Local rock’n’roll circus - Denis Jaro Sinski - E-Book

Local rock’n’roll circus E-Book

Denis Jaro Sinski

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Beschreibung

"Local rock’n’roll circus" offre une plongée dans l’existence d’un musicien de rock en Lorraine. Ce voyage débute avec une simple guitare, germe d’une passion qui s’épanouit en un arbre foisonnant de récits, où chaque branche révèle une belle expérience. À travers une plume à la fois incisive et authentique, l’auteur vous transporte dans l’effervescence de quarante années de culture musicale au sein d’une Lorraine post-industrielle. Cet ouvrage est une ode au rock, mêlant souvenirs et émotions, et invite à découvrir un univers, où l’énergie de la scène musicale se confond avec l’histoire d’un homme animé par un amour indéfectible.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Denis Jaro Sinski, à la croisée de la musique, de la comédie et de l’écriture, découvre une passion pour les lettres après un diagnostic de cancer du poumon. Durant sa convalescence, il compose poèmes, notes et souvenirs, transformant son cheminement en une célébration de la vie à travers les mots.

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Seitenzahl: 215

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Denis Jaro Sinski

Local rock’n’roll circus

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Denis Jaro Sinski

ISBN : 979-10-422-5043-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Note de l’auteur

Toutes ces histoires sont vraies sauf « Le hérisson » et « Formation » qui sont inspirées de faits réels, mais avec lesquelles je me suis un peu amusé.

Prologue

Guitare

D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours voulu jouer de la guitare. Je me souviens encore de ma première, en plastique rose avec des cordes en élastique, j’avais cinq ans peut-être. Mon frère JC, mon aîné de six ans à qui je dois tant de choses et surtout ce que je suis maintenant, en avait dégottée une, un arc : les cordes étaient à un centimètre du manche. Moi je m’en étais fabriqué une avec un manche de pioche et la caisse découpée dans du contreplaqué avec comme modèle celle de Alvin Lee avec le signe hippy et tout. Je travaillais mon jeu de scène devant la glace du salon.

Mon frangin et ses copains essayaient d’apprendre les rudiments de l’instrument, parmi eux certains étaient déjà bien avancés et moi je ne quittais pas des yeux leurs doigts sur le manche.

Quand mon frère était absent, il ne voulait pas que je touche à sa guitare, je la lui piquais et m’évertuais à reproduire ce que j’avais vu.

La première fois qu’il a daigné me la prêter, il en est resté bouche bée.

À huit ans j’ai tanné mes parents pour avoir une guitare digne de ce nom.

« Je t’achète une guitare si tu prends des cours, a dit mon père.

— Des cours ? Mais avec qui ?

— Avec Monsieur Montanaro.

— C’est qui ? »

Deux semaines après, c’était un samedi après-midi, mon père me dit : « Allez, viens, fils, je t’emmène au bal ».

La salle François de Curel était pleine de danseurs, tous des as. Mes parents dansaient à merveille, je n’ai malheureusement pas hérité de leur talent.

Sur scène, un orchestre de baloche comme il y en avait tant à cette époque. Un accordéoniste, en l’occurrence Titi Oberti, une célébrité dans la région, un batteur et Monsieur Montanaro à la guitare, mon père me l’avait désigné.

Je me suis approché de la scène.

Il était petit, rondouillard, une dent en or et des culs de bouteilles en guise de lunettes. Il avait perdu un œil à l’usine.

Il portait sa guitare très haut, presque sous le menton, une Gibson SE 335. Une fortune à l’heure actuelle.

Il jouait avec les doigts sans médiator et ce que je voyais ne correspondait pas à ce que j’entendais. J’avais l’impression d’entendre deux guitaristes !

Je suis allé voir mon père « Pa, c’est d’accord, je veux bien prendre des cours avec Monsieur Montanaro ».

Nous voilà mes parents et moi chez Parachini. Le Pierrine comme ma mère le surnommait, ils étaient amis d’enfance. Pierre Parachini, champion du monde d’accordéon avec « Perles de cristal », un truc d’une rapidité diabolique qu’il exécutait de ses gros doigts boudinés, je me demande comment. Il tenait le magasin de musique en bas de la côte de Montois.

Moi je voulais une guitare folk, mais monsieur Montanaro avait bien précisé : une guitare classique.

Nous repartons donc avec une Gianini Brésilienne, fabrication main, à 900 francs, mon mineur de père devait gagner 5000 francs à cette époque.

Cette guitare, je l’ai toujours et je la garde précieusement. Elle vaut 4000 euros maintenant.

Un appartement au troisième étage d’un bloc en face de la mairie. La cuisine des Montanaro ne diffère pas de la nôtre, une table et des chaises en Formica vert pâle bordées de noir, chez nous c’était rouge et noir. Il prend ma guitare toute neuve et commence à jouer « Jeux interdits ». Les bras m’en tombent. « Elle est drôlement bien ta guitare », puis il sort un cahier d’écolier à petits carreaux et dessine des grilles d’accords. « Il faut que tu les connaisses par cœur et que tu saches les passer rapidement ». C’est fou ce qu’on est un bon élève quand on est passionné.

À Harlem, le quartier du bois d’Arly, il y a au moins quinze guitaristes de tous âges et de tout niveau. Nous nous réunissons au bout de la rue dans un petit enclos cerné de troènes avec deux bancs en plastique rouge et une bouche à incendie. J’ai maintenant une guitare folk, une Cimar. J’ai douze ans, je joue déjà plutôt bien et je chante aussi. Il faut dire qu’à la maison il y a tout le temps de la musique, ma grande sœur fan de yéyé, mon père dingue d’Edith Piaf, ma mère de chants italiens et mon frère, fan de rock. Je restais en hypnose écoutant des morceaux comme « Come together » « L’America » des Doors et surtout Harvest de Neil Young qui venait juste de sortir. Il me tardait d’entrer en 6e pour apprendre l’anglais et comprendre tout ce que ces chansons pouvaient bien raconter.

Moi je chantais du Brassens, du Maxime Leforestier et des trucs du genre. Les trucs en anglais, je les reprenais en Yaourt. Je jouais plusieurs heures par jour.

Mon premier passage sur scène, c’était pour la fête du collège. La salle Curel était blindée de parents et d’élèves. J’allai chanter « Le joueur de pipeau » de Hugues Aufrais. Au final, je devais siffler le refrain, mais mes lèvres étaient tellement sèches de trac qu’aucun son n’est sorti.

Un jour ma mère qui était cuisinière pour les mariages me dit « Il y a un groupe de bal qui cherche un chanteur guitariste, Patrick Chauvet et les Black Birds, tu ne voudrais pas aller voir ? »

Ils répétaient dans la salle de la Philharmonie à Homécourt. Les deux frères Chauvet, l’un à l’accordéon, l’autre au clavier, enfin un accordéon à plat, une boîte à punaise quoi, un batteur bègue, un bassiste croque-morts qui jouait tout le temps faux, mais si grave que personne ne s’en apercevait, Victor T à la guitare (il connaissait un tas d’accords de Jazz) et Bob un sax polio et irascible.

Je chante mes quatre pauvres chansons en m’accompagnant de ma guitare folk. Ils me disent « C’est bon, tiens, il faut que tu apprennes ça le plus vite possible » et Patrick me donne une pile de cent vingt 45 tours. « Et aussi que tu t’achètes une guitare électrique et un ampli ».

J’annonce à mes parents que je suis embauché. Ils sont fiers de leur rejeton.

Et nous voilà de retour chez Parachini. Ils se saignent et m’offrent une imitation Gibson noire et surtout un Jazz Chorus 160 de chez Rolland, une Rolls-Royce. Fokky, un ami sonorisateur, m’a dit qu’il s’usait autant allumé qu’éteint, je l’ai toujours et il m’a accompagné pendant des années.

Me voilà à tenter d’apprendre tous ces morceaux, certains sont relativement simples, mais d’autres m’empêchent de dormir la nuit. Il n’y avait ni Google ni YouTube à cette époque. C’est en cette période que j’ai développé mon oreille. Mes guitar-héros étaient Carlos Santana, Stewe Howe de Yes, Alvin Lee et son Ten years after, bien loin des Humberto Tozzi et autres variétés de l’époque.

Donc à douze ans me voilà embarqué dans le grand cirque des bals populaires et des mariages. On jouait tous les week-ends parfois trois fois : samedi aprèm, un thé dansant ; le soir, un bal ; et le dimanche, un autre thé. Je gagnais 200 francs par prestation. Je n’ai jamais plus demandé d’argent de poche et me suis payé tout mon matériel.

J’ai vécu des scènes dignes de Fellini.

Un mariage : « Ben elle est où la mariée ? Et il est où le frère du marié ? » va enchaîner derrière ça, toi.

Ou encore, la famille grandes oreilles et la famille gros nez face à face dans la salle se dévisageant en silence d’un air mauvais, comme dans Lucky Luke, et les mariés tels des Roméo et Juliette.

À pécore land, nous jouons dans une salle de bal itinérante. Une bagarre éclate, ça devenait de plus en plus fréquent, puis ça se calme. Soudain, un bruit de moteur, la toile du chapiteau se fend de haut en en bas et un type entre, tronçonneuse à la main.

Il faudrait un bouquin entier pour raconter ma période de bal. Mais elle a été réellement formatrice, ma voix commençait à se former. Un bal durait six heures, ça fait de la pratique.

Mes parents nous emmenaient souvent à la baignade à Valleroy. Un type genre hippy était assis sous un arbre et jouait de la guitare. Je me suis approché, il jouait « Friends » du Led Zep III. J’étais scié. Je me cassais les dents sur ce morceau depuis des années. Il le jouait avec une facilité déconcertante. J’ai attendu qu’il finisse et je lui ai demandé de m’expliquer.

« Il faut t’accorder en Open Tuning de DO sinon c’est impossible.

— Open Tuning ? Kesako ? »

Il réaccorde sa guitare en mode normal en deux secondes.

« Regarde, tu fais un Mi majeur, OK ? Tu montes le “La” et le “Ré” d’un ton et le “Sol” d’un demi-ton. » Il le fait. Voilà, ta guitare est accordée en « Mi ». Il lâche le manche et gratte les cordes dans un beau « Mi » majeur bien puissant, puis il entame « Progdigal son » des Stones, une autre pièce qui me posait des problèmes, puis il passe en sol et joue « Honky tonk woman ». Puis il a sorti son bottleneck et a joué « Little red rooster ».

J’avais l’impression d’avoir reçu la lumière divine. En un quart d’heure ce type m’a ouvert des horizons infinis. J’ai rarement rencontré de guitariste qui refusaient de partager leurs savoirs avec un moins bon qu’eux.

Mais j’ai seize ans et je n’en peux plus de la danse des canards ou de la marche des accordéonistes lyonnais. J’ai un groupe « Vitriole ». Alors avant le bal du Nouvel An, j’annonce aux Birds que j’arrête l’affaire. Je jouerai jusqu’à minuit, et après ciao, ils finiront en musette. Adieu.

Nous sommes en 77, grand cru de la musique rock qui est devenue ma seule passion. Mon jeu de guitare s’est radicalement transformé, inspiré par des groupes qui ont fait table rase des solos de guitare à n’en plus finir. En cette fin de décennie sont apparus, les Talking Heads, Wire, Joy Division, The Cramps, Père Ubu, Suicide… Je pourrais remplir la page.

Je roule donc vers la cité radieuse. Il y a une fête chez mon frère. Arrivé au sixième en sortant de l’ascenseur, je remarque que les boîtes aux lettres ont été arrachées du mur, dans le couloir il y a des trous dans les portes des appartements, la porte de chez mon frère est défoncée. J’entre. C’est la Bérézina. Edgard, un colosse dont je vous parlerai une autre fois a débarqué dans un état alcoolique plus qu’avancé, ne reconnaissant personne. Il a frappé à la porte la démolissant à moitié, Titi est venu lui ouvrir, il l’a chopé par le cou et l’a soulevé d’une seule main. Il a fallu sept personnes pour le maîtriser, le temps que les pompiers arrivent. Dans la mêlée, il a mordu le doigt de Véro jusqu’au sang. Ils lui ont fait un méga shoot de valium et il a dormi pendant trois jours. Bonne année.

Vitriole. Michel à la batterie, un gaucher qui jouait sur une batterie de droitier assis sur une chaise plastique genre CGT surmontée d’un agglo. Il s’entraînait tout le temps, mais cela n’avait aucun résultat, il n’était pas bon et c’est tout. L’autre Michel, le bassiste était un type souffreteux, le cou toujours entouré d’un foulard. On reprenait les Ramones, Bijou, Bernard Lavillier « Chaque fois qu’elle me serre la main j’ai l’impression qu’elle me tâte la queue ». On a tout de même fait la première partie d’un Claude Nougaro bourré à la fête du parti communiste à Auboué.

Michel le bassiste a fait une overdose à table chez ses parents. Fin du groupe.

Puis est venu The Brats, les marmots, avec mon ami Nono, futur batteur de Cockpit, Luc, un organiste débutant et Pascal P, un bassiste taciturne. On s’évertuait à reprendre « Télévision ».

Les grands, eux, avaient formé Ravachol. Il faut que je m’arrête sur ce groupe, car il a été une sorte de pouponnière punk : Mon frère à la basse, Véro, sa copine au Synthé Korg MS20, Johnny K, batteur bûcheron, Dan Sneed, guitariste lunaire, Biquet, chanteur sur vitaminé, Pat dos Santos, guitariste funk qui détonnait un peu.

Le personnel du groupe avait beaucoup changé depuis 75 quand ils ont commencé les répétitions. Il y a eu Fred L au chant qui est passé ensuite au Sax remplacé par Biquet au micro. J’assistais à toutes leurs répétitions. Ils jouaient très mal, très très fort sur des amplis faits pour les stades de foot, ils tentaient de reprendre les Stooges, les New-York Dolls… Ils apprenaient et moi aussi.

Puis est venu ce concert dans une salle de Briey bas. Une jeune fille riche avait loué deux groupes pour son anniversaire. The Brats et Ravachol. Pat n’est pas venu ce soir-là et c’est moi qui l’ai remplacé. Voilà, j’ai été engagé illico.

Nous avons décidé d’écrire nos propres chansons, Biquet s’y est mis, moi idem, Véro aussi. Le groupe a fait un bond en avant. Nous sommes allés à Nancy enregistrer ces chansons. Elles ont été pressées l’année dernière sur le disque Tésaurus N° 5, si cela vous intéresse. 50 années plus tard, incroyable.

Puis le groupe a éclaté. La drogue venait de pointer sa sale gueule chez certains d’entre nous. Dan a formé « Whats’up Doc », Biquet et Johnny « Sir Stanley », Véro, mon frelot, et moi « Cockpit » avec Nono à la batterie. La suite je vais vous la raconter.

Ce matin j’ai sorti ma Gianini et je mesure tout le parcours depuis la cuisine de Monsieur Montanaro. Du Bal, au rock, du rock au théâtre, du théâtre à l’écriture, des milliers de rencontres dont certaines avec mes idoles, tout ça grâce à cet instrument.

Depuis que j’ai commencé à en jouer, je ne me suis jamais plus ennuyé de ma vie.

Cockpit

Dans mon cockpit je contemple

les boutons et les manettes

qui commandent mon univers

Saint Exupéry – Jerzy Kosinski

La vengeance de Joe

« La première partie de Joe Jackson ? Dan, tu ne serais pas en train de te foutre de ma gueule par hasard ?

— … /…

— Mais on a que 6 morceaux, dont deux qui n’ont pas encore de paroles.

— …/…

— Mais si bien sûr on va le faire. La pression que tu me mets là. Putain j’ai déjà le trac, mec.

— …/…

— Dac… /… Ok… /… ouais ouais…/… ben oui…/… Ok…/… Ok…/… Allez ciao. Et Dan, Dan…/… merci hein. »

Le soir, j’arrive à la répète grand prince, et je lance avec nonchalance : « La première partie de Joe Jackson dans quinze jours ça vous dit ? ». Silence. Je raconte le coup de fil de Dan. Il est devenu notre « manager » depuis peu. Il nous a vu sur scène une fois et depuis il nous trouve des dates. Souvent des bons plans. Ce coup-là, il a fait fort. Très fort. Nous sommes en soixante-dix-neuf et de Joe Jackson, on est fans. Sunday papers, I’m a man, Is she really going out with him. J’ai les mains moites. Le groupe existe depuis trois mois. Nous apprenons tout juste à jouer ensemble. Nous c’est Cockpit. Le groupe avec lequel il va falloir compter dans peu de temps. Faut que j’écrive encore deux textes en anglais. Les quatre précédents ne me plaisent déjà pas, et il faut en écrire encore deux. J’ai envie de pleurer. La machine à idées noires se met en branle. Et mon anglais. Si les roastbeefs me comprennent comme je comprends Blondie quand elle chante « Denis Denis » autant écrire en kobaïen. Et ce morceau « Paradise » je sens bien qu’on tient un truc, mais on arrive à le refaire correctement qu’une fois sur cinq. Et qu’est-ce que je vais mettre ? Faudrait que je me trouve un costard…

Arrivés à quatre heures de l’aprèm, nous déchargeons le matos des trois voitures. Toujours la même bande qui nous suit partout. Nous débarquons toujours en tribu. Cette fois, elle est un peu plus importante vu le montant de l’enjeu. Tous espèrent avoir des places gratos et peut-être un accès backstage, qui sait. Dan est là pour nous accueillir. Il remet de l’ordre tout de suite. Uniquement la garde rapprochée. Guy the Spy, Lionel et Isa, et Eric (futur batteur de the Mess). Point barre. Les autres dehors.

Le matériel est entassé au pied de la scène. Les roads s’affairent sur le plateau. J’ai d’abord l’impression qu’ils parlent en allemand. Mais non, c’est bien de l’anglais. Putain, j’entrave que pouic. Ce sont des Cockneys ou un truc dans le genre. Ça va être coton pour s’expliquer.

Je les regarde bosser, assis sur mon ampli. Rapides, super pro. C’est la première fois que je vois autant de matos de sonorisation. Derrière le bâtiment, un bus, deux camions, deux groupes électrogènes, un pour le son, l’autre pour la lumière. La vache. Je suis mort de trac. Et il faut encore que je trouve les deux dernières phrases de cette saloperie de chanson.

La grande porte s’ouvre. Un fox-terrier blanc entre et vient nous renifler les pieds. Je dis « Salut Milou ».

« Et voilà Tintin », fait Guy the Spy en montrant la porte. Mister Joe Jackson himself vient d’arriver avec ses costards sur l’épaule. On rigole. Même les roads se fendent la poire. Joe Jackson nous jette un regard noir et file s’enfermer dans sa loge. C’est sûr qu’il a entendu et qu’il a compris. Putain Guy, tu fais chier. Mon trac a triplé de volume, vient s’y ajouter la chouffe maintenant.

Le reste du groupe entre, Graham Maby en tête. Un bassiste hors pair. Gary Sanford le guitariste puis le batteur dont je ne me souviens plus du nom. Je l’apprendrai plus tard. David Houghton. Ils viennent directement vers nous. Je dis :

« Hello, we are the band wich plays before you.

— Ho the support band ! Nice to meet you, i’m Graham. »

On fait les présentations, on se serre les louches. Qu’est-ce qu’ils sont sympathiques, simples et tout.

Ils ne font même pas de balance, juste un essai d’instrument. Les roadies règlent le micro et le piano de Joe. Bing boumm Baaaaaoooooowwww. Toudoudou doodoo. Ta ta ta. Cling cling. Et hop c’est fini. J’en reste comme deux ronds de flan.

Le chef roads vient nous voir. « Hey, i’m Phil can i do some for ya ? »

Quoi ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Pas le temps de répondre, il a déjà attrapé le corps du Marshall basse et d’un savant mouvement de levier avec ses genoux, dépose l’engin sur scène un mètre cinquante plus haut. Soixante-dix kilos tout de même. De la secousse ça nous booste et tout le monde s’y met. Ils nous font place nette. Je veux brancher mon ampli, malheur des prises anglaises. Phil se pointe illico. « A problem ? » Je lui montre ma prise. « Ha right, don’t worry ». En deux temps, trois mouvements, ils ont tiré une ligne spéciale pour nous. On se branche, on joue. Je n’ai jamais aussi bien entendu ma voix de ma vie, ma guitare, les autres, je me rends compte que l’on joue vraiment mal avec le meilleur son que l’on ait jamais eu. Je n’ose pas chanter. Les roads anglais sont là tout autour. J’ai honte de mon anglais de lycéen, de mon accent de grenouille.

Puis vient le moment redouté. L’attente en backstage. Je suis dans un coin avec mes feuilles et mon stylo à tenter de trouver ces deux dernières putains de bordel de nom de dieu de phrases. Je ne me suis jamais senti aussi mal de ma vie. Passe Graham Maby avec une bière. Voyant ma mine de déterré il fait.

« Are you all right ?

— No. I’m scared.

— Scared ? Why that ? »

Je lui explique.

« Ho. I see. Do you mind ? » Il montre mes textes.

— « Heu what ? Oh please, sure, sure. »

Je suis en train de rêver. Pincez-moi, bouchez-moi le nez et la bouche, injectez-moi de l’eau glacée dans le fondement, Graham Maby, le bassiste de Joe Jackson en train de corriger mes textes dix minutes avant que je n’aille les chanter sur scène. Il change deux ou trois expressions, remplace une phrase, met un autre mot, me rend mon bien. « Not bad », il fait :

« Where have you learned speaking English so well ?

— At school. »

Je fais. Je me demande encore aujourd’hui s’il ne s’est pas foutu de ma gueule.

Mais non. Ses corrections sont bonnes, évidemment, la phrase qu’il a changée est certainement la seule qui soit de l’anglais. Pour les deux phrases qui me manquent, il suggère de répéter les deux premières. Bonne idée.

« Why don’t you write in French ?

— Because the problem is less writing in French than singing in French. When you play rock singing in French, it’s like flying a plane with no wings. »

Il se marre, c’est déjà ça.

Voilà Dan. Il nous rassemble. Et c’est parti. Mains moites, pulsations 140, souffle court.

La salle est pleine, mille cinq cents places. J’attrape ma guitare. Un type me lance : « Tu vas à un mariage ? ». J’ai mis le seul costard que j’ai. Un truc infâme, beige, pantalon à pinces. Mais quelle idée à la con j’ai eu ! Heureusement Vero C démarre l’intro du premier morceau.

Son korg MS20 vrombit comme un zeppelin. La puissance du son sur scène me va droit aux creux des reins. Plus rien ne compte.

Sixième morceau. Le seul, peut-être qui tient vraiment la route. Un texte noir sur la drogue.

Un beat qui de très loin pourrait s’apparenter à un boléro dans le fracas industriel du synthétiseur et des infrabasses de mon frelot. Arrive le final. Dans ma vision périphérique, j’entrevois le fox-terrier qui me fonce dessus. Mon sang se glace.

Cet imbécile de cabot me chope la jambe de ses deux pattes avant et commence à se branler.

Effet garanti. Tout le monde se marre. Moi aussi. Mais j’ai le meurtre dans les yeux. Ce con de clébard, il ne sait pas que je suis du même quartier que Michel Platini ? J’ai envie de tirer un penalty. Mais non, j’aime les bêtes, je le décroche gentiment. Lui croit que j’ai envie de jouer. Il revient à la charge. Je m’apprête à lui foutre un coup de guitare sur la tronche, mais Phil vient à mon secours hilare, attrape le cador, l’emmène en coulisses. Le final est raté. Je salue d’un geste et je sors de scène. Les applaudissements ont du mal à couvrir les rires. D’ailleurs qui applaudissent-ils ? Nous ? Le chien ?

Depuis cette date je garde une rancœur tenace à l’encontre de la gent canine. Le chien meilleur ami de l’homme ? Ça ne m’étonne pas, ils sont aussi cons l’un que l’autre.

Joe et sa bande furent excellentissimes. Mais après nous ce n’était pas difficile.

Rendez-vous derrière le Rémotel

C’est le parti communiste qui organise la soirée. À l’affiche, Bloc 96 et Cockpit, les seuls groupes qui tiennent vraiment la route à cette époque, avec les GTI’s aussi dont le chanteur, un certain Schultz, fondra Parabellum quelques années plus tard.

Les Bloc 96, ce sont nos potes. Nous avons écumé quelques lieux ensemble et nous partageons les mêmes goûts musicaux et chimiques. Sur scène ils sont impressionnants, et leur reprise de « Heartbreak Hôtel », version John Cale – Kevin Ayers est imparable. Derrière Ginger, le chanteur, les frères Magoni, Phil, excellent guitariste, et Olive, batteur fou et puissant. À la basse, Roland, ténébreux dans son long manteau noir. Quand ils démarrent, on les regarde, pas moyen de faire autrement.

Pour Cockpit c’est pareil. Le mensuel « Best » nous a qualifiés d’aristocratiques. Quelle connerie ! Tout ça parce qu’on parle un peu plus intelligemment de sujets qui nous préoccupent. Tu parles d’aristocrates, juste de jeunes fils d’ouvriers qui tentent de faire leur possible pour jouer une musique sincère et originale. Le journaliste mentionne la seule fille à sévir dans un groupe de Rock. Vero et son Korg MS20. Parfois, elle entre en scène, seins nus sous un sac poubelle bleu serré à la taille par une rallonge électrique. C’est dingue comme la proportion de mâles augmente côté court quand elle est sapée comme ça.

Le lieu où nous jouons est une espèce de chapiteau construit pour l’occasion. Les murs sont faits de tôles ondulées grises et le toit est tendu de bâches en plastique blanc épais. Le son est merdique au possible.