Lorenzaccio - Alfred de Musset - E-Book

Lorenzaccio E-Book

Alfred De Musset

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Beschreibung

Le duc Alexandre de Médicis, un débauché tyrannique, règne sur Florence au XVIe siècle. Il achète la vertu d'une jeune femme. ... Lorenzaccio est provoqué en duel par Sir Maurice, mais il perd connaissance à la vue de l'épée, ce qui lui vaut le sobriquet de « Laurenzetta ».

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Lorenzaccio

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1

Lorenzaccio

Alfred de Musset

2

ACTE I

SCÈNE PREMIÈRE

Un jardin. – Clair de lune ;

un pavillon dans le fond, un autre sur le devant.

Entrent le Duc et Lorenzo, couverts de leurs manteaux ; Giomo

une lanterne à la main.

LE DUC

Qu’elle se fasse attendre encore un quart d’heure, et je m’en vais.

Il fait un froid de tous les diables.

LORENZO

Patience, Altesse, patience.

LE DUC

Elle devait sortir de chez sa mère à minuit ; il est minuit, et elle ne

vient pourtant pas.

LORENZO

3

Si elle ne vient pas, dites que je suis un sot, et que la vieille mère

est une honnête femme.

LE DUC

Entrailles du pape ! Avec tout cela je suis volé d’un millier de

ducats.

LORENZO

Nous n’avons avancé que moitié. Je réponds de la petite. Deux

grands yeux languissants, cela ne trompe pas. Quoi de plus curieux

pour le connaisseur que la débauche à la mamelle ? Voir dans un

enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer

paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d’ami,

dans une caresse au menton ; – tout dire et ne rien dire, selon le

caractère   des   parents ;   – habituer   doucement   l’imagination   qui   se

développe   à   donner   des   corps   à   ses   fantômes,   à   toucher   ce   qui

l’effraie, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu’on ne

pense ; le vrai mérite est de frapper juste. Et quel trésor que celle­ci !

Tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à Votre Altesse !

Tant de pudeur ! Une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais

qui ne veut pas se salir la patte. Proprette comme une Flamande ! La

médiocrité bourgeoise en personne. D’ailleurs, fille de bonnes gens, à

qui leur peu de fortune n’a pas permis une éducation solide ; point de

fond   dans   les   principes,   rien   qu’un   léger   vernis ;   mais   quel   flot

violent d’un fleuve magnifique sous cette couche de glace fragile, qui

craque à chaque pas ! Jamais arbuste en fleurs n’a promis de fruits

plus rares, jamais je n’ai humé dans une atmosphère enfantine plus

exquise odeur de courtisanerie.

LE DUC

Sacrebleu ! Je ne vois pas le signal. Il faut pourtant que j’aille au

bal chez Nasi : c’est aujourd’hui qu’il marie sa fille.

GIOMO

Allons   au   pavillon,   monseigneur.   Puisqu’il   ne   s’agit   que

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d’emporter une fille qui est à moitié payée, nous pouvons bien taper

aux carreaux.

LE DUC

Viens   par   ici,   le   Hongrois   a   raison.  (Ils   s’éloignent.  – Entre

Maffio.)

MAFFIO

Il me semblait dans mon rêve voir ma sœur traverser notre jardin,

tenant   une   lanterne   sourde,   et   couverte   de   pierreries.   Je   me   suis

éveillé en sursaut. Dieu sait que ce n’est qu’une illusion, mais une

illusion trop forte pour que le sommeil ne s’enfuie pas devant elle.

Grâce   au   ciel,   les   fenêtres   du   pavillon   où   couche   la   petite   sont

fermées comme de coutume ; j’aperçois faiblement la lumière de sa

lampe entre les feuilles de notre vieux figuier. Maintenant mes folles

terreurs se dissipent ; les battements précipités de mon cœur font

place à une douce tranquillité. Insensé ! Mes yeux se remplissent de

larmes, comme si ma pauvre sœur avait couru un véritable danger.

– Qu’entends­je ? Qui remue là entre les branches ?  (La sœur de

Maffio passe dans l’éloignement.) Suis­je éveillé ? C’est le fantôme

de ma sœur. Il tient une lanterne sourde, et un collier brillant étincelle

sur sa poitrine aux rayons de la lune. Gabrielle ! Gabrielle ! Où vas­

tu ? (Rentrent Giomo et le duc.)

GIOMO

Ce sera le bonhomme de frère pris de somnambulisme. – Lorenzo

conduira votre belle au palais par la petite porte ; et quant à nous,

qu’avons­nous à craindre ?

MAFFIO

Qui êtes­vous ? Holà ! Arrêtez ! (Il tire son épée.)

GIOMO

Honnête rustre, nous sommes tes amis.

5

MAFFIO

Où est ma sœur ? Que cherchez­vous ici ?

GIOMO

Ta sœur est dénichée, brave canaille. Ouvre la grille de ton jardin.

MAFFIO

Tire ton épée et défends­toi, assassin que tu es !

GIOMO saute sur lui et le désarme.

Halte­là ! Maître sot, pas si vite !

MAFFIO

Ô honte ! Ô excès de misère ! S’il y a des lois  à Florence, si

quelque justice vit encore sur la terre, par ce qu’il y a de vrai et de

sacré au monde, je me jetterai aux pieds du duc, et il vous fera pendre

tous les deux.

GIOMO

Aux pieds du duc ?

MAFFIO

Oui,   oui,   je   sais   que   les   gredins   de   votre   espèce   égorgent

impunément les familles. Mais que je meure, entendez­vous, je ne

mourrai pas silencieux comme tant d’autres. Si le duc ne sait pas que

sa ville est une forêt pleine de bandits, pleine d’empoisonneurs et de

filles déshonorées, en voilà un qui le lui dira. Ah ! Massacre ! Ah !

Fer et sang ! J’obtiendrai justice de vous.

GIOMO, l’épée à la main

Faut­il frapper, Altesse ?

LE DUC

Allons donc ! Frapper ce pauvre homme ! Va te recoucher, mon

ami ; nous t’enverrons demain quelque 90 ducats. (Il sort.)

6

MAFFIO

C’est Alexandre de Médicis !

GIOMO

Lui­même, mon brave rustre. Ne te vante pas de sa visite si tu

tiens à tes oreilles. (II sort.)

SCÈNE 2

Une rue. – Le point du jour. – Plusieurs masques sortent d’une

maison illuminée.

Un marchand de soieries et un orfèvre ouvrent leurs boutiques.

LE MARCHAND DE SOIERIES

Hé, hé, père Mondella, voilà bien du vent pour mes étoffes.  (Il

étale ses pièces de soie.)

L’ORFÈVRE, bâillant.

C’est à se casser la tête ! Au diable leur noce ! Je n’ai pas fermé

l’œil de la nuit.

LE MARCHAND

Ni ma femme non plus, voisin ; la chère âme s’est tournée et

retournée comme une anguille. Ah ! Dame ! Quand on est jeune, on

ne s’endort pas au bruit des violons.

L’ORFÈVRE

Jeune ! Jeune ! Cela vous plaît à dire. On n’est pas jeune avec une

barbe   comme   celle­là ;   et   cependant   Dieu   sait   si   leur   damnée

musique me donne envie de danser. (Deux écoliers passent)

7

PREMIER ÉCOLIER

Rien n’est plus amusant. On se glisse contre la porte au milieu des

soldats,   et   on   les   voit   descendre   avec   leurs   habits   de   toutes   les

couleurs.Tiens !   Voilà   la   maison   des   Nasi.  (Il   souffle   dans   ses

doigts.) Mon portefeuille me glace les mains.

DEUXIÈME ÉCOLIER

Et on nous laissera approcher ?

PREMIER ÉCOLIER

En   vertu   de   quoi   est­ce   qu’on   nous   en   empêcherait ?   Nous

sommes citoyens de Florence. Regarde tout ce monde autour de la

porte ; en voilà des chevaux, des pages et des livrées ! Tout cela va et

vient, il n’y a qu’à s’y connaître un peu ; je suis capable de nommer

toutes   les   personnes   d’importance ;   on   observe   bien   tous   les

costumes,   et   le   soir   on   dit   à   l’atelier :   j’ai   une   terrible   envie   de

dormir, j’ai passé la nuit au bal chez le prince Aldobrandini, chez le

comte   Salviati ;   le   prince   était   habillé   de   telle   ou   telle   façon,   la

princesse de telle autre, et on ne ment pas. Viens, prends ma cape

par­derrière. (Ils se placent contre la porte de la maison.)

L’ORFÈVRE

Entendez­vous   les   petits   badauds ?   Je   voudrais   qu’un   de   mes

apprentis fît un pareil métier !

LE MARCHAND

Bon, bon, père Mondella, où le plaisir ne coûte rien, la jeunesse

n’a   rien   à   perdre.   Tous   ces   grands   yeux   étonnés   de   ces   petits

polissons me réjouissent le cœur. – Voilà comme j’étais, humant l’air

et   cherchant   les   nouvelles.   Il   paraît   que   la   Nasi   est   une   belle

gaillarde, et que le Martelli est un heureux garçon. C’est une famille

bien   florentine   celle­là !   Quelle   tournure   ont   tous   ces   grands

seigneurs ! J’avoue que ces fêtes­là me font plaisir, à moi. On est

dans son lit bien tranquille, avec un coin de ses rideaux retroussé ; on

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regarde de temps en temps les lumières qui vont et viennent dans le

palais ; on attrape un petit air de danse sans rien payer, et on se dit :

Hé, hé, ce sont mes étoffes qui dansent, mes belles étoffes du bon

Dieu, sur le cher corps de tous ces braves et loyaux seigneurs.

L’ORFÈVRE

Il en danse plus d’une qui n’est pas payée, voisin ; ce sont celles­

là qu’on arrose de vin et qu’on frotte sur les murailles avec le moins

de regret. Que les grands seigneurs s’amusent, c’est tout simple, – ils

sont nés pour cela. Mais il y a des amusements de plusieurs sortes,

entendez­vous ?

LE MARCHAND

Oui,  oui,  comme  la  danse,  le  cheval,  le  jeu  de  paume  et  tant

d’autres. Qu’entendez­vous vous­même, père Mondella ?

L’ORFÈVRE

Cela suffit ; – je me comprends – c’est­à­dire que les murailles de

tous ces palais­là n’ont jamais mieux prouvé leur solidité. Il leur

fallait moins de force pour défendre les aïeux de l’eau du ciel, qu’il

ne leur en faut pour soutenir les fils quand ils sont trop pris de leur

vin.

LE MARCHAND

Un verre de vin est de bon conseil, père Mondella. Entrez donc

dans ma boutique, que je vous montre une pièce de velours.

L’ORFÈVRE

Oui, de bon conseil et de bonne mine, voisin ; un bon verre de vin

vieux a une bonne mine au bout d’un bras qui a sué pour le gagner ;

on le soulève gaiement d’un petit coup ; et il s’en va donner du

courage au cœur de l’honnête homme qui travaille pour sa famille.

Mais ce sont des tonneaux sans vergogne que tous ces godelureaux

de   la  cour.   À  qui  fait­on  plaisir,  en  s’abrutissant   jusqu’à  la   bête

féroce ? À personne, pas même à soi, et à Dieu encore moins.

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LE MARCHAND

Le carnaval a été rude, il faut l’avouer ; et leur maudit ballon m’a

gâté de la marchandise pour une cinquantaine de florins. Dieu merci !

Les Strozzi ont payé.

L’ORFÈVRE

Les Strozzi ! Que le ciel confonde ceux qui ont osé porter la main

sur leur neveu ! Le plus brave homme de Florence, c’est Philippe

Strozzi.

LE MARCHAND

Cela   n’empêche   pas   Pierre   Strozzi   d’avoir   traîné   son   maudit

ballon sur ma boutique et de m’avoir fait trais grandes taches dans

une aune de velours brodé. À propos, père Vondella, nous verrons­

nous à Montolivet ?

L’ORFÈVRE

Ce n’est pas mon métier de suivre les foires ; j’irai cependant à

Montolivet par piété. C’est un saint pèlerinage, voisin, et qui remet

tous les péchés.

LE MARCHAND

Et   qui   est   tout   à   fait   vénérable,   voisin,   et   qui   fait   gagner   les

marchands plus que tous les autres jours de l’année. C’est plaisir de

voir   ces   bonnes   dames,   sortant   de   la   messe,   manier   et   examiner

toutes les étoffes. Que Dieu conserve Son Altesse ! La cour est une

belle chose.

L’ORFÈVRE

La Cour ! Le peuple la porte sur le dos, voyez­vous ! Florence

était encore, il n’y a pas longtemps de cela, une bonne maison bien

bâtie ; tous ces grands palais, qui sont les logements de nos grandes

familles, en étaient les colonnes. Il n’y en avait pas une, de toutes ces

colonnes, qui dépassât les autres d’un pouce ; elles soutenaient à elles

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toutes une vieille voûte bien cimentée, et nous nous promenions là­

dessous sans crainte d’une pierre sur la tête. Mais il y a de par le

monde deux architectes mal avisés qui ont gâté l’affaire, je vous le

dis en confidence, c’est le pape et l’empereur Charles. L’empereur a

commencé par entrer par une assez bonne brèche dans la susdite

maison.   Après   quoi,   ils   ont   jugé   à   propos   de   prendre   une   des

colonnes dont je vous parle, à savoir celle de la famille Médicis, et

d’en faire un clocher, lequel clocher a poussé comme un champignon

de malheur dans l’espace d’une nuit. Et puis, savez­vous, voisin,

comme   l’édifice   branlait   au   vent,   attendu   qu’il   avait   la   tête   trop

lourde et une jambe de moins, on a remplacé le pilier devenu clocher

par un gros pâté informe fait de boue et de crachat, et on a appelé

cela la citadelle. Les Allemands se sont installés dans ce maudit trou

comme des rats dans un fromage ; et il est bon de savoir que tout en

jouant aux dés et en buvant leur vin aigrelet, ils ont l’œil sur nous

autres.   Les   familles   florentines   ont   beau   crier,   le   peuple   et   les

marchands ont beau dire, les Médicis gouvernent au moyen de leur

garnison ;   ils   nous   dévorent   comme   une   excroissance   vénéneuse

dévore un estomac malade ; c’est en vertu des hallebardes qui se

promènent sur la plate­forme, qu’un bâtard, une moitié de Médicis,

un butor que le ciel avait fait pour être garçon boucher ou valet de

charrue, couche dans le lit de nos filles, boit nos bouteilles, casse nos

vitres ; et encore le paye­t­on pour cela.

LE MARCHAND

Peste ! Peste ! Comme vous y allez ! Vous avez l’air de savoir

tout cela par cœur ; il ne ferait pas bon dire cela dans toutes les

oreilles, voisin Mondella.

L’ORFÈVRE

Et quand on me bannirait comme tant d’autres ! On vit à Rome

aussi bien qu’ici. Que le diable emporte la noce, ceux qui y dansent

et ceux qui la font ! (Il rentre. Le marchand se mêle aux curieux.

– Passe un bourgeois avec sa femme.)

11

LA FEMME

Guillaume Martelli est un bel homme, et riche. C’est un bonheur

pour Nicolo Nasi d’avoir un gendre comme celui­là. Tiens, le bal

dure encore. Regarde donc toutes ces lumières.

LE BOURGEOIS

Et nous, notre fille, quand la marierons­nous ?

LA FEMME

Comme tout est illuminé ! Danser encore à l’heure qu’il est, c’est

là une jolie fête ! – On dit que le duc y est.

LE BOURGEOIS

Faire   du   jour   la   nuit,   et   de   la   nuit   le   jour,   c’est   un   moyen

commode de ne pas voir les honnêtes gens. Une belle invention, ma

foi, que des hallebardes à la porte d’une noce ! Que le bon Dieu

protège la ville ! Il en sort tous les jours de nouveaux, de ces chiens

d’Allemands, de leur damnée forteresse.

LA FEMME

Regarde donc le joli masque. Ah ! La belle robe ! Hélas ! Tout

cela coûte très cher, et nous sommes bien pauvres, à la maison. (Ils

sortent.)

UN SOLDAT, au marchand.

Gare ! Canaille ! Laisse passer les chevaux.

LE MARCHAND

Canaille toi­même, Allemand du diable ! (Le soldat le frappe de

sa pique.)

LE MARCHAND se retirant.

Voilà comme on suit la capitulation ! Ces gredins­là maltraitent

les citoyens. (Il rentre chez lui.)

12

L’ÉCOLIER, à son camarade

Vois­tu celui­là qui ôte son masque ? C’est Palla Ruccellaï. Un

fier luron ! Ce petit­là à côté de lui, c’est Thomas Strozzi, Masaccio,

comme on dit.

UN PAGE, criant.

Le cheval de Son Altesse !

LE SECOND ÉCOLIER

Allons­nous­en, voilà le duc qui sort.

LE PREMIER ÉCOLIER

Crois­tu qu’il va te manger ? (La foule s’augmente à la porte.)

L’ÉCOLIER

Celui­là, c’est Nicolini celui­là, c’est le provéditeur. (Le duc sort,

vêtu en religieuse, avec Julien Salviati, habillé de même, tous deux

masqués.)

LE DUC, montant à cheval.

Viens­tu, julien ?

SALVIATI

Non, Altesse, pas encore. (Il lui parle à l’oreille.)

LE DUC

Bien, bien, ferme !

SALVIATI

Elle est belle comme un démon. – Laissez­moi faire, si je peux me

débarrasser de ma femme. (Il rentre dans le bal.)

LE DUC

Tu es gris, Salviati ; le diable m’emporte, tu vas de travers.  (Il

part avec sa suite.)

13

L’ÉCOLIER

Maintenant que voilà le duc parti, il n’y en a pas pour longtemps.

(Les masques sortent de tous côtés.)

LE SECOND ÉCOLIER

Rose, vert, bleu, j’en ai plein les yeux ; la tête me tourne.

UN BOURGEOIS

Il paraît que le souper a duré longtemps : en voilà deux qui ne

peuvent plus se tenir. (Le provéditeur monte à cheval ; une bouteille

cassée lui tombe sur l’épaule.)

LE PROVÉDITEUR

Eh ! Ventrebleu ! Quel est l’assommeur, ici ?

UN MASQUE

Eh ! Ne le voyez­vous pas, seigneur Corsini ? Tenez, regardez à la

fenêtre ; c’est Lorenzo, avec sa robe de nonne.

LE PROVÉDITEUR

Lorenzaccio, le diable soit de toi, tu as blessé mon cheval.  (La

fenêtre   se   ferme.)  Peste   soit   de   l’ivrogne   et   de   ses   farces

silencieuses ! Un gredin qui n’a pas souri trois fois dans sa vie, et qui

passe   le   temps   à   des   espiègleries   d’écolier   en  vacance !  (Il   sort.

– Louise Strozzi sort de la maison, accompagnée de Julien Salviati ;

il   lui   tient   l’étrier.   Elle   monte   à   cheval ;   un   écuyer   et   une

gouvernante la suivent.)

SALVIATI

La jolie jambe, chère fille ! Tu es un rayon de soleil, et tu as brûlé

la moelle de mes os.

LOUISE

Seigneur, ce n’est pas là le langage d’un cavalier.

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SALVIATI

Quels yeux tu as, mon cher cœur ! Quelle belle épaule à essuyer,

tout humide et si fraîche ! Que faut­il te donner pour être ta camériste

cette nuit ? Le joli pied à déchausser !

LOUISE

Lâche mon pied, Salviati.

SALVIATI

Non, par le corps de Bacchus ! Jusqu’à ce que tu m’aies dit quand

nous coucherons ensemble.  (Louise frappe  son cheval  et  part au

galop.)

UN MASQUE, à Salviati.

La petite Strozzi s’en va rouge comme la braise ; – vous l’avez

fâchée, Salviati.

SALVIATI

Baste ! Colère de jeune fille, et pluie du matin… (Il sort.)

SCÈNE 3

Chez le marquis de Cibo.

Le Marquis, en habit de voyage ; la Marquise ; Ascania ; le cardinal

Cibo, assis.

LE MARQUIS, embrassant son fils.

Je voudrais pouvoir t’emmener, petit, toi et ta grande épée qui te

traîne entre les jambes. Prends patience, Massa n’est pas bien loin, et

je te rapporterai un bon cadeau.

15

LA MARQUISE

Adieu, Laurent ; revenez, revenez !

LE CARDINAL

Marquise, voilà des pleurs qui sont de trop. Ne dirait­on pas que

mon frère part pour la Palestine ? Il ne court pas grand danger dans

ses terres, je crois.

LE MARQUIS

Mon frère, ne dites pas de mal de ces belles larmes.(Il embrasse

sa femme.)

LE CARDINAL

Je voudrais seulement que l’honnêteté n’eût pas cette apparence.

LA MARQUISE

L’honnêteté   n’a­t­elle   point   de   larmes,   monsieur   le   cardinal ?

Sont­elles toutes au repentir ou à la crainte ?

LE MARQUIS

Non, par le ciel ! Car les meilleurs sont à l’amour. N’essuyez pas

celles­ci sur mon visage ; le vent s’en chargera en route : qu’elles se

sèchent lentement ! Eh bien ! Ma chère, vous ne me dites rien pour

vos favoris ? N’emporterai­je pas, comme de coutume, quelque belle

harangue   sentimentale   à   faire   de   votre   part   aux   roches   et   aux

cascades de mon vieux patrimoine ?

LA MARQUISE

Ah ! Mes pauvres cascatelles !

LE MARQUIS

C’est la vérité, ma chère âme ; elles sont toutes tristes sans vous.

(Plus   bas.)  Elles   ont   été   joyeuses   autrefois,   n’est­il   pas   vrai,

Ricciarda ?

16

LA MARQUISE

Emmenez­moi.

LE MARQUIS

Je le ferais si j’étais fou, et je le suis presque, avec ma vieille mine

de soldat. N’en parlons plus ; – ce sera l’affaire d’une semaine. Que

ma   chère   Ricciarda   voie   ses   jardins   quand   ils   sont   tranquilles   et

solitaires ; les pieds boueux de mes fermiers ne laisseront pas de

trace  dans ses allées  chéries. C’est  à  moi  de  compter  mes  vieux

troncs d’arbres qui me rappellent ton père Albéric, et tous les brins

d’herbe   de   mes   bois ;   les   métayers   et   leurs   bœufs,   tout   cela   me

regarde. À la première fleur que je verrai pousser, je mets tout à la

porte, et je vous emmène alors.

LA MARQUISE

La première fleur de notre belle pelouse m’est toujours chère.

L’hiver est si long ! Il me semble toujours que ces pauvres petites ne

reviendront jamais.

ASCANIO

Quel cheval as­tu, mon père, pour t’en aller ?

LE MARQUIS

Viens avec moi dans la cour, tu le verras. (Il sort. – La marquise

reste seule avec le cardinal. – Un silence.)

LE CARDINAL

N’est­ce pas aujourd’hui que vous m’avez demandé d’entendre

votre confession, marquise ?

LA MARQUISE

Dispensez­m’en, cardinal. Ce sera pour ce soir, si votre Éminence

est libre, ou demain, comme elle voudra. – Ce moment­ci n’est pas à

moi. (Elle se met à la fenêtre et fait un signe d’adieu à son mari.)

17

LE CARDINAL

Si   les   regrets   étaient   permis   à   un   fidèle   serviteur   de   Dieu,

j’envierais le sort de mon frère. – Un si court voyage, si simple, si

tranquille ! – une visite à une de ses terres qui n’est qu’à quelques

pas d’ici ! – une absence d’une semaine, – et tant de tristesse, une si

douce tristesse, veux­je dire, à son départ ! Heureux celui qui sait se

faire aimer ainsi après sept années de mariage ! N’est­ce pas sept

années, marquise ?

LA MARQUISE

Oui, cardinal, mon fils a six ans.

LE CARDINAL

Étiez­vous hier à la noce des Nasi ?

LA MARQUISE

Oui, j’y étais.

LE CARDINAL

Et le duc en religieuse ?

LA MARQUISE

Pourquoi le duc en religieuse ?

LE CARDINAL

On m’avait dit qu’il avait pris ce costume ; il se peut qu’on m’ait

trompé.

LA MARQUISE

Il l’avait en effet. Ah ! Malaspina, nous sommes dans un triste

temps pour toutes les choses saintes !

LE CARDINAL

On peut respecter les choses saintes, et, dans un jour de foie,

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prendre   le   costume   de   certains   couvents,   sans   aucune   intention

hostile à la sainte Église catholique.

LA MARQUISE

L’exemple est à craindre, et non l’intention, je ne suis pas comme

vous ; cela m’a révoltée. Il est vrai que je ne sais pas bien ce qui se

peut et ce qui ne se peut pas, selon vos règles mystérieuses. Dieu sait

où elles mènent ! Ceux qui mettent les mots sur leur enclume, et qui

les tordent avec un marteau et une lime, ne réfléchissent pas toujours

que ces mots représentent des pensées, et ces pensées, des actions.

LE CARDINAL

Bon, bon ! Le duc est jeune, marquise, et gageons que cet habit

coquet des nonnes lui allait à ravir.

LA MARQUISE

On ne peut mieux ; il n’y manquait que quelques gouttes de sang

de son cousin, Hippolyte de Médicis.

LE CARDINAL

Et le bonnet de la Liberté, n’est­il pas vrai, petite sœur ? Quelle

haine pour ce pauvre duc !

LA MARQUISE

Et vous, son bras droit, cela vous est égal que le duc de Florence

soit le préfet de Charles Quint, le commissaire civil du pape, comme

Baccio est son commissaire religieux ? Cela vous est égal, à vous,

frère   de   mon   Laurent,   que   notre   soleil,   à   nous,   promène   sur   la

citadelle des ombres allemandes ? Que César parle ici dans toutes les

bouches ? Que la débauche serve d’entremetteuse à l’esclavage, et

secoue   ses   grelots   sur   les   sanglots   du   peuple ?   Ah !   Le   clergé

sonnerait au besoin toutes ses cloches pour en étouffer le bruit et

pour réveiller l’aigle impérial, s’il s’endormait sur nos pauvres toits.

(Elle sort.)

19

LE CARDINAL

Seul, soulève la tapisserie et appelle à voix basse. Agnolo ! (Entre

un page.) Quoi de nouveau aujourd’hui ?

AGNOLO

Cette lettre, monseigneur.

LE CARDINAL

Donne­la­moi.

AGNOLO

Hélas ! Éminence, c’est un péché.

LE CARDINAL

Rien   n’est   un   péché   quand   on   obéit   à   un   prêtre   de   l’Église

romaine,  (Agnolo remet la lettre.)  Cela est comique d’entendre les

fureurs de cette pauvre marquise, et de la voir courir à un rendez­

vous   d’amour   avec   le   cher   tyran,   toute   baignée   de   larmes

républicaines, (Il ouvre la lettre et lit.) “Ou vous serez à moi, ou vous

aurez fait mon malheur, le vôtre, et celui de nos deux maisons.” Le

style du duc est laconique, mais il ne manque pas d’énergie. Que la

marquise soit convaincue ou non, voilà le difficile à savoir. Deux

mois de cour presque assidue, c’est beaucoup pour Alexandre ; ce

doit   être   assez   pour   Ricciarda   Cibo.  (Il   rend   la   lettre   au   page.)

Remets cela chez ta maîtresse ; tu es toujours muet, n’est­ce pas ?

Compte sur moi. (Il lui donne sa main à baiser et sort.)

SCÈNE 4

Une cour du palais du Duc.

Le duc Alexandre sur une terrasse ; des pages exercent des chevaux

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dans la cour. Entrent Valori et sire Maurice.

LE DUC, à Valori.

Votre Éminence a­t­elle reçu ce matin des nouvelles de la cour de

Rome ?

VALORI

Paul III envoie mille bénédictions à votre Altesse et fait les vœux

les plus ardents pour sa prospérité.

LE DUC

Rien que des vœux, Valori ?

VALORI

Sa Sainteté craint que le duc ne se crée de nouveaux dangers par

trop   d’indulgence.   Le   peuple   est   mal   habitué   à   la   domination

absolue ; et César, à son dernier voyage, en a dit autant, je crois, à

votre Altesse.

LE DUC

Voilà, pardieu, un beau cheval, sire Maurice ! Hé ! Quelle croupe

de diable !

SIRE MAURICE

Superbe, Altesse.

LE DUC

Ainsi,   monsieur   le   commissaire   apostolique,   il   y   a   encore

quelques mauvaises branches à élaguer. César et le pape ont fait de

moi  un  roi ;  mais, par  Bacchus,  ils  m’ont  mis  dans la  main  une

espèce   de   sceptre   qui   sent   la   hache   d’une   lieue.   Allons,  voyons,

Valori, qu’est­ce que c’est ?

VALORI

Je suis un prêtre, Altesse ; si les paroles que mon devoir me force

21

à vous rapporter fidèlement doivent être interprétées d’une manière

aussi sévère, mon cœur me défend d’y ajouter un mot.

LE DUC

Oui, oui, je vous connais pour un brave. Vous êtes, pardieu, le

seul prêtre honnête homme que j’aie vu de ma vie.

VALORI

Monseigneur, l’honnêteté ne se perd ni ne se gagne sous aucun

habit, et parmi les hommes il y a plus de bons que de méchants.

LE DUC

Ainsi donc, point d’explications ?

SIRE MAURICE

Voulez­vous   que   je   parle,   monseigneur ?   Tout   est   facile   à

expliquer.

LE DUC

Eh bien ?

SIRE MAURICE

Les désordres de la cour irritent le pape.

LE DUC

Que dis­tu là, toi ?

SIRE MAURICE

J’ai dit les désordres de la cour, Altesse ; les actions du duc n’ont

d’autre juge que lui­même. C’est Lorenzo de Médicis que le pape

réclame comme transfuge de sa justice.

LE DUC

De sa justice ? Il n’a jamais offensé de pape à ma connaissance,

que Clément VII, feu mon cousin, qui, à cette heure, est en enfer.

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SIRE MAURICE

Clément VII a laissé sortir de ses États le libertin qui, un jour

d’ivresse, avait décapité les statues de l’arc de Constantin. Paul III ne

saurait pardonner au modèle titré de la débauche florentine.

LE DUC

Ah ! Parbleu, Alexandre Farnèse est un plaisant garçon ! Si la

débauche l’effarouche, que diable fait­il de son bâtard, le cher Pierre

Farnèse, qui traite si joliment l’évêque de Fano ? Cette mutilation

revient toujours sur l’eau, à propos de ce pauvre Renzo. Moi, je

trouve cela drôle, d’avoir coupé la tête à tous ces hommes de pierre,

je protège les arts comme un autre, et j’ai chez moi les premiers

artistes de l’Italie. Mais je n’entends au respect du pape pour ces

statues qu’il excommunierait demain, si elles étaient en chair et en

os.

SIRE MAURICE

Lorenzo est un athée ; il se moque de tout. Si le gouvernement de

votre Altesse n’est pas entouré d’un profond respect, il ne saurait être

solide. Le peuple appelle Lorenzo, Lorenzaccio : on sait qu’il dirige

vos plaisirs, et cela suffit.

LE DUC

Paix ! Tu oublies que Lorenzo de Médicis est cousin d’Alexandre.

(Entre le cardinal Cibo.) Cardinal, écoutez un peu ces messieurs qui

disent que le pape est scandalisé des désordres de ce pauvre Renzo,

et qui prétendent que cela fait tort à mon gouvernement.

LE CARDINAL

Messire Francesco Molza vient de débiter à l’Académie romaine

une harangue en latin contre le mutilateur de l’arc de Constantin.

LE DUC

Allons donc, vous me mettriez en colère ! Renzo un homme à

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craindre !   Le   plus   fieffé   poltron !   Une   femmelette,   l’ombre   d’un

ruffian énervé ! Un rêveur qui marche nuit et jour sans épée, de peur

d’en apercevoir l’ombre à son côté ! D’ailleurs un philosophe, un

gratteur de papiers, un méchant poète, qui ne sait seulement pas faire

un sonnet ! Non, non, je n’ai pas encore peur des ombres. Eh ! Corps

de Bacchus ! Que me font les discours latins et les quolibets de ma

canaille ! J’aime Lorenzo, moi, et, par la mort de Dieu, il restera ici.

LE CARDINAL

Si je craignais cet homme, ce ne serait pas pour votre cour, ni pour

Florence, mais pour vous, duc.

LE DUC

Plaisantez­vous,   Cardinal,   et   voulez­vous   que   je   vous   dise   la

vérité ? (Il lui parle bas.) Tout ce que je sais de ces damnés bannis,

de tous ces républicains entêtés qui complotent autour de moi, c’est

par Lorenzo que je le sais. Il est glissant comme une anguille ; il se

fourre partout, et me dit tout. N’a­t­il pas trouvé moyen d’établir une

correspondance avec tous ces Strozzi de l’enfer ? Oui, certes, c’est

mon  entremetteur ;  mais croyez  que  son entremise,  si  elle  nuit  à

quelqu’un, ne me nuira pas. Tenez ! (Lorenzo paraît au fond d’une

galerie basse.)  Regardez­moi ce petit corps maigre, ce lendemain

d’orgie   ambulant.   Regardez­moi   ces   yeux   plombés,   ces   mains

fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail ;

ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de

rire.   C’est   là   un   homme   à   craindre ?   Allons,   allons,   vous   vous

moquez de lui. Hé ! Renzo, viens donc ici ; voilà sire Maurice qui te

cherche dispute.

LORENZO, monte l’escalier de la terrasse.

Bonjour, messieurs les amis de mon cousin.

LE DUC

Lorenzo, écoute ici. Voilà une heure que nous parlons de toi. Sais­

tu la nouvelle ? Mon ami, on t’excommunie en latin, et sire Maurice

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t’appelle   un   homme   dangereux,   le   cardinal   aussi ;   quant   au   bon

Valori, il est trop honnête pour prononcer ton nom.

LORENZO

Pour qui dangereux, Éminence ? Pour les filles de joie ou pour les

saints du paradis ?

LE CARDINAL

Les chiens de cour peuvent être pris de la rage comme les autres

chiens.

LORENZO

Une insulte de prêtre doit se faire en latin.

SIRE MAURICE

Il s’en fait en toscan, auxquelles on peut répondre.

LORENZO

Sire Maurice, je ne vous voyais pas ; excusez­moi, j’avais le soleil

dans les yeux ; mais vous avez bon visage et votre habit me paraît

tout neuf.

SIRE MAURICE

Comme votre esprit ; je l’ai fait faire d’un vieux pourpoint de mon

grand­père.

LORENZO

Cousin,   quand   vous   aurez   assez   de   quelque   conquête   des

faubourgs, envoyez­la donc chez sire Maurice. Il est malsain de vivre

sans femme, pour un homme qui a, comme lui, le cou court et les

mains velues.

SIRE MAURICE

Celui qui se croit le droit de plaisanter doit savoir se défendre. À

votre place, je prendrais une épée.

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LORENZO

Si l’on vous a dit que j’étais un soldat, c’est une erreur ; je suis un

pauvre amant de la science.

SIRE MAURICE

Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C’est une arme

trop vile ; chacun fait usage des siennes. (Il tire son épée.)

VALORI

Devant le duc, l’épée nue !

LE DUC, riant.

Laissez faire, laissez faire. Allons, Renzo, je veux te servir de

témoin ; qu’on lui donne une épée !

LORENZO

Monseigneur, que dites­vous là ?

LE DUC

Eh bien ! Ta gaieté s’évanouit si vite ? Tu trembles, cousin ? Fi

donc ! Tu fais honte au nom des Médicis, je ne suis qu’un bâtard, et

je le porterais mieux que toi, qui es légitime ? Une épée, une épée !

Un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici ;

toute la cour le verra, et je voudrais que Florence entière y fût.

LORENZO

Son Altesse se rit de moi.

LE DUC

J’ai ri tout à l’heure, mais maintenant je rougis de honte. Une

épée ! (Il prend l’épée d’un page et la présente à Lorenzo.)

VALORI

Monseigneur, c’est pousser trop loin les choses. Une épée tirée en

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présence de votre Altesse est un crime punissable dans l’intérieur du

palais.

LE DUC

Qui parle ici, quand je parle ?

VALORI

Votre Altesse ne peut avoir eu autre dessein que celui de s’égayer

un instant, et sire Maurice lui­même n’a point agi dans une autre

pensée.

LE DUC

Et vous ne voyez pas que je plaisante encore ! Qui diable pense ici

à une affaire sérieuse ? Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux

tremblent ;   il   serait   devenu   pâle,   s’il   pouvait   le   devenir.   Quelle

contenance,   juste   Dieu !   Je   crois   qu’il   va   tomber.  (Lorenzo

chancelle ; il s’appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d’un

coup.)

LE DUC, riant aux éclats.

Quand je vous le disais ! Personne ne le sait mieux que moi ; la

seule vue d’une épée le fait trouver mal. Allons ! Chère Lorenzetta,

fais­toi emporter chez ta mère. (Les pages relèvent Lorenzo.)

SIRE MAURICE

Double poltron ! Fils de catin !

LE DUC

Silence ! Sire Maurice ! Pesez vos paroles ; c’est moi qui vous le

dis maintenant ; pas de ces mots­là devant moi.

VALORI

Pauvre jeune homme ! (Sire Maurice et Valori sortent.)

LE CARDINAL, resté seul avec le duc.

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Vous croyez à cela, monseigneur ?

LE DUC

Je voudrais bien savoir comment je n’y croirais pas.

LE CARDINAL

Hum ! C’est bien fort.

LE DUC

C’est justement pour cela que j’y crois. Vous figurez­vous qu’un

Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir ? D’ailleurs

ce n’est pas la première fois que cela lui arrive ; jamais il n’a pu voir

une épée.

LE CARDINAL

C’est bien fort. C’est bien fort. (Ils sortent.)

SCÈNE 5

Devant l’église de Saint­Miniato à Montolivet. La foule sort de

l’église.

UNE FEMME, à sa voisine.

Retournez­vous ce soir à Florence ?

LA VOISINE

Je ne reste jamais plus d’une heure ici, et je n’y viens jamais

qu’un seul vendredi ; je ne suis pas assez riche pour m’arrêter à la

foire ;  ce  n’est pour  moi  qu’une  affaire  de  dévotion,  et  que cela

suffise pour mon salut, c’est tout ce qu’il me faut.

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UNE DAME DE LA COUR, à une autre.

Comme il a bien prêché ! C’est le confesseur de ma fille. (Elle

s’approche d’une boutique.) Blanc et or, cela fait bien le soir ; mais

le jour, le moyen d’être propre avec cela ! (Le marchand et l’orfèvre

devant leurs boutiques avec quelques cavaliers.)

L’ORFÈVRE

La citadelle ! Voilà ce que le peuple ne souffrira jamais ; voir tout

d’un coup s’élever sur la ville cette nouvelle tour de Babel, au milieu

du plus maudit baragouin : les Allemands ne pousseront jamais  à

Florence, et pour les y greffer, il faudra un vigoureux lien.

LE MARCHAND

Voyez,   mesdames ;   que   vos   seigneuries   acceptent   un   tabouret

sous mon auvent.

UN CAVALIER

Tu  es un  vieux  sang florentin,  père  Mondella ;  la  haine  de  la

tyrannie   fait   encore   trembler   tes   doigts   ridés   sur   tes   ciselures

précieuses, au fond de ton cabinet de travail.

L’ORFÈVRE

C’est vrai, Excellence. Si j’étais un grand artiste, j’aimerais les

princes,   parce   qu’eux   seuls   peuvent   faire   entreprendre   de   grands

travaux ; les grands artistes n’ont pas de patrie ; moi, je fais des

saints­ciboires et des poignées d’épée.

UN AUTRE CAVALIER

À propos d’artiste, ne voyez­vous pas dans ce petit cabaret ce

grand gaillard qui gesticule devant des badauds ? Il frappe son verre

sur la table ; si je ne me trompe, c’est ce hâbleur de Cellini.

LE PREMIER CAVALIER

Allons­y donc, et entrons ; avec un verre de vin dans la tête, il est

curieux à entendre, et probablement quelque bonne histoire est en

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train. (Ils sortent. – Deux bourgeois s’assoient.)

PREMIER BOURGEOIS

Il y a eu une émeute à Florence ?

DEUXIÈME BOURGEOIS

Presque rien. – Quelques pauvres jeunes gens ont été tués sur le

vieux­Marché.

PREMIER BOURGEOIS

Quelle pitié pour les familles !

DEUXIÈME BOURGEOIS

Voilà   des   malheurs   inévitables.   Que   voulez­vous   que   fasse   la

jeunesse d’un gouvernement comme le nôtre ? On vient crier à son

de trompe que César est à Bologne ; et les badauds répètent : “César

est à Bologne”, en clignant des yeux d’un air d’importance, sans

réfléchir à ce qu’on y fait. Le jour suivant, ils sont plus heureux

encore   d’apprendre   et   de   répéter :   “Le   pape   est   à   Bologne   avec

César.” Que s’ensuit­il ? Une réjouissance publique, ils n’en voient

pas davantage ; et puis un beau matin ils se réveillent tout engourdis

des fumées du vin impérial, et ils voient une figure sinistre  à la

grande   fenêtre   du   palais   des   Pazzi.   Ils   demandent   quel   est   ce

personnage,   et   on   leur   répond   que   c’est   leur   roi.   Le   pape   et

l’empereur sont accouchés d’un bâtard qui a droit de vie et de mort

sur nos enfants, et qui ne pourrait pas nommer sa mère.

L’ORFÈVRE, s’approchant.

Vous parlez en patriote, ami ; je vous conseille de prendre garde à

ce flandrin. (Passe un officier allemand.)

L’OFFICIER

Ôtez­vous de là, messieurs ; des dames veulent s’asseoir.  (Deux

dames de la cour entrent et s’assoient.)

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PREMIÈRE DAME

Ceci est de Venise ?

LE MARCHAND

Oui, magnifique, Seigneurie ; vous en lèverai­je quelques aunes ?

PREMIÈRE DAME

Si tu veux. J’ai cru voir passer Julien Salviati.

L’OFFICIER

Il va et vient à la porte de l’église ; c’est un galant.

DEUXIÈME DAME

C’est un insolent. Montrez­moi des bas de soie.

L’OFFICIER

Il n’y en aura pas d’assez petits pour vous.

PREMIÈRE DAME

Laissez donc ; vous ne savez que dire. Puisque vous voyez julien,

allez lui dire que j’ai à lui parler.

L’OFFICIER

J’y vais, et je le ramène. (Il sort.)

PREMIÈRE DAME

Il est bête à faire plaisir, ton officier ; que peux­tu faire de cela ?

DEUXIÈME DAME

Tu sauras qu’il n’y a rien de mieux que cet homme­là.  (Elles

s’éloignent. – Entre le prieur de Capoue.)

LE PRIEUR

Donnez­moi un verre de limonade, brave homme. (Il s’assoit.)

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UN DES BOURGEOIS

Voilà   le   prieur   de   Capoue ;   c’est   là   un   patriote !  (Les   deux

bourgeois se rassoient.)

LE PRIEUR

Vous venez de l’église, messieurs ? Que dites­vous du sermon ?

LE BOURGEOIS

Il était beau, seigneur prieur.

DEUXIÈME BOURGEOIS, à l’orfèvre.

Cette noblesse des Strozzi est chère au peuple, parce qu’elle n’est

pas fière. N’est­il pas agréable de voir un grand seigneur adresser

librement la parole à ses voisins d’une manière affable ? Tout cela

lait plus qu’on ne pense.

LE PRIEUR

S’il faut parler franchement, j’ai trouvé le sermon trop beau ; j’ai

prêché   quelquefois,   et   je   n’ai   jamais   tiré   grande   gloire   du

tremblement des vitres. Mais une petite arme sur la joue d’un brave

homme m’a toujours été d’un grand prix. (Entre Salviati.)

SALVIATI

On m’a dit qu’il y avait ici des femmes qui me demandaient tout à

l’heure. Mais je ne vois de robe ici que la vôtre, prieur. Est­ce que je

me trompe ?

LE MARCHAND

Excellence, on ne vous a pas trompé. Elles se sont éloignées ;

mais  je  pense   qu’elles  vont   revenir.   Voilà  dix   aunes  d’étoffes  et

quatre paires de bas pour elles.

SALVIATI, s’asseyant.

Voilà une jolie femme qui passe. Où diable l’ai­je donc vue ?

– Ah ! Parbleu, c’est dans mon lit.

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LE PRIEUR, au bourgeois.

Je crois avoir vu votre signature sur une lettre adressée au duc.

LE BOURGEOIS

Je le dis tout haut ; c’est la supplique adressée par les bannis.

LE PRIEUR

En avez­vous dans votre famille ?

LE BOURGEOIS

Deux, Excellence : mon père et mon oncle ; il n’y a plus que moi

d’homme à la maison.

LE DEUXIÈME BOURGEOIS, à l’orfèvre.

Comme ce Salviati a une méchante langue !

L’ORFÈVRE

Cela n’est pas étonnant : un homme à moitié ruiné, vivant des

générosités de ces Médicis, et marié comme il l’est à une femme

déshonorée partout ! Il voudrait qu’on dît de toutes les femmes ce

qu’on dit de la sienne.

SALVIATI

N’est­ce pas Louise Strozzi qui passe sur ce tertre ?

LE MARCHAND

Elle­même, Seigneurie. Peu des dames de noire noblesse me sont

inconnues. Si je ne me trompe, elle donne la main à sa sœur cadette.

SALVIATI

J’ai rencontré cette Louise la nuit dernière au bal de Nasi ; elle a,

ma foi, une jolie jambe, et nous devons coucher ensemble au premier

jour.

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LE PRIEUR, se retournant.

Comment l’entendez­vous ?

SALVIATI

Cela est clair, elle me l’a dit. Je lui tenais l’étrier, ne pensant guère

à malice ; je ne sais par quelle distraction je lui pris la jambe, et voilà

comme tout est venu.

LE PRIEUR

Julien, je ne sais pas si tu sais que c’est de ma sœur que tu parles.

SALVIATI

Je le sais très bien ; toutes les femmes sont faites pour coucher

avec les hommes, et ta sœur peut bien coucher avec moi.

LE PRIEUR, se lève

Vous dois­je quelque chose, brave homme ? (Il jette une pièce de

monnaie.sur la table et sort.)

SALVIATI

J’aime beaucoup ce brave prieur, à qui un propos sur sa sœur fait

oublier le reste de son argent. Ne dirait­on pas que toute la vertu de

Florence s’est réfugiée chez ces Strozzi ? Le voilà qui se retourne.

Écarquille les yeux tant que tu voudras, tu ne me feras pas peur. (Il

sort.)

SCÈNE 6

Le bord de l’Arno.

Marie Soderini, Catherine.

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CATHERINE

Le   soleil   commence   à   baisser.   De   larges   bandes   de   pourpre

traversent le feuillage, et la grenouille l’ait sonnée sous les roseaux sa

petite cloche de cristal. C’est une singulière chose que toutes les

harmonies du soir, avec le bruit lointain de cette ville.

MARIE

Il est temps de rentrer ; noue ton voile autour de ton cou.

CATHERINE

Pas encore, à moins que vous n’ayez froid. Regardez, ma mère

chérie ; que le ciel est beau ! Que tout cela est vaste et tranquille !

Comme   Dieu   est   partout !   Mais   vous   baissez   la   tête ;   vous   êtes

inquiète depuis ce matin.

MARIE

Inquiète,   non,   mais   affligée.   N’as­tu   pas   entendu   répéter   cette

fatale histoire de Lorenzo ? Le voilà la fable de Florence.

CATHERINE

Ô ma mère, la lâcheté n’est point un crime ; le courage n’est pas

une vertu. Pourquoi la faiblesse est­elle blâmable ? Répondre des

battements de son cœur est un triste privilège ; Dieu seul peut le

rendre noble et digne d’admiration. Et pourquoi cet enfant n’aurait­il

pas le droit que nous avons toutes, nous autres femmes ? Une femme

qui n’a peur de rien n’est pas aimable, dit­on.

MARIE

Aimerais­tu   un   homme   qui   a   peur ?   Tu   rougis,   Catherine ;

Lorenzo est ton neveu, tu ne peux pas l’aimer. Mais figure­toi qu’il

s’appelle   de   tout   autre   nom,   qu’en   penserais­tu ?   Quelle   femme

voudrait s’appuyer sur son bras pour monter à cheval ? Quel homme

lui serrerait la main ?

CATHERINE

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Cela est triste et cependant ce n’est pas de cela que je le plains.

Son cœur n’est peut­être pas celui d’un Médicis ; mais, hélas c’est

encore moins celui d’un honnête homme.

MARIE

N’en parlons pas, Catherine ; – il est assez cruel pour une mère de

ne pouvoir parler de son fils.

CATHERINE

Ah ! Cette Florence ! C’est là qu’on l’a perdu. N’ai­je vu briller

quelquefois dans ses yeux le feu d’une noble ambition ? Sa jeunesse

n’a­t­elle   pas   été   l’aurore   d’un   soleil   levant ?   Et   souvent   encore

aujourd’hui il me semble qu’un éclair rapide… – je me dis malgré

moi que tout n’est pas mort en lui.

MARIE

Ah ! Tout cela est un abîme. Tant de facilité, un si doux amour de

la solitude ! Ce ne sera jamais un guerrier que mon Renzo, disais­je

en le voyant rentrer de son collège, tout baigné de sueur, avec ses

gros livres sous le bras ; mais un saint amour de la vérité brillait sur

ses lèvres et dans ses yeux noirs ; il lui fallait s’inquiéter de tout, dire

sans cesse : “Celui­là est pauvre, celui­là est ruiné ; comment faire ?”

Et   cette   admiration   pour   les   grands   hommes   de   son   Plutarque !

Catherine, Catherine, que de fois je l’ai baisé au front, en pensant au

père de la patrie !

CATHERINE

Ne vous affligez pas.

MARIE

Je dis que je ne veux pas parler de lui, et j’en parle sans cesse. Il y

a de certaines choses, vois­tu, les mères ne s’en taisent que dans le

silence éternel. Que mon fils eût été un débauche vulgaire ; que le

sang des Soderini eût été pâle dans cette faible goutte tombée de mes

veines, je ne me désespérerais pas ; mais j’ai espéré, et j’ai eu raison

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de le faire. Ah ! Catherine, il n’est même plus beau ; comme une

fumée malfaisante, la souillure de son cœur lui est montée au visage.

Le sourire, ce doux épanouissement qui rend la jeunesse semblable

aux fleurs, s’est enfui de ses joues couleur de soufre, pour y laisser

grommeler une ironie ignoble, et le mépris de tout.

CATHERINE

Il est encore beau quelquefois dans sa mélancolie étrange.

MARIE

Sa naissance ne l’appelait­elle pas au trône ? N’aurait­il pas pu y

faire monter un jour avec lui la science d’un docteur, la plus belle

jeunesse du monde, et couronner d’un diadème d’or tous mes songes

chéris ?   Ne   devais­je   pas   m’attendre   à   cela ?   Ah !   Cattina,   pour

dormir tranquille, il faut n’avoir jamais fait certains rêves. Cela est

trop cruel d’avoir vécu dans un palais de fées, où murmuraient les

cantiques des anges, de s’y être endormie, bercée par son fils, et de se

réveiller dans une masure ensanglantée, pleine de débris d’orgie et de

restes humains, dans les bras d’un spectre hideux qui vous tue en

vous appelant encore du nom de mère.

CATHERINE

Des   ombres   silencieuses   commencent   à   marcher   sur   la   route ;

rentrons, Marie, tous ces bannis me font peur.

MARIE

Pauvres gens ! Ils ne doivent que faire pitié ! Ah ! Ne puis­je voir

un seul objet qu’il ne m’entre une épine dans le cœur ? Ne puis­je

plus ouvrir les yeux ? Hélas ! Ma Cattina, ceci est encore l’ouvrage

de Lorenzo. Tous ces pauvres bourgeois ont eu confiance en lui ; il

n’en est pas un, parmi tous ces pères de famille chassés de leur

patrie, que mon fils n’ait pas trahi. Leurs lettres, signées de leur nom,

sont montrées au duc. C’est ainsi qu’il fait tourner à un infâme usage

jusqu’à   la   glorieuse   mémoire   de   ses   aïeux.   Les   républicains

s’adressent à lui comme à l’antique rejeton de leur protecteur ; sa

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maison leur est ouverte, les Strozzi eux­mêmes y viennent. Pauvre

Philippe ! Il y aura une triste fin pour tes cheveux gris ! Ah ! Ne

puis­je voir une fille sans pudeur, un malheureux privé de sa famille,

sans que tout cela ne me crie : Tu es la mère de nos malheurs !

Quand serai­je là ? (Elle frappe la terre.)

CATHERINE

Ma pauvre mère, vos larmes se gagnent.  (Elles s’éloignent. – le

soleil est couché. – Un groupe de bannis se forme au milieu d’un

champ.)

UN DES BANNIS

Où allez­vous ?

UN AUTRE

À Pise ; et vous ?

LE PREMIER

À Rome.

UN AUTRE

Et   moi   à   Venise ;   en   voilà   deux   qui   vont   à   Ferrare ;   que

deviendrons­nous ainsi éloignés les uns des autres ?

UN QUATRIÈME

Adieu, voisin, à des temps meilleurs. (Il s’en va.)

LE SECOND

Adieu ; pour nous, nous pouvons aller ensemble jusqu’à la croix

de la vierge. (Il sort avec un autre. – Arrive Maffio.)

LE PREMIER BANNI

C’est toi, Maffio ? Par quel hasard es­tu ici ?

MAFFIO

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Je suis des vôtres. Vous saurez que le duc a enlevé ma sœur ; j’ai

tiré l’épée ; une espèce de tigre avec des membres de fer s’est jeté à

mon cou, et m’a désarmé ; après quoi j’ai reçu l’ordre de sortir de la

ville, et une bourse à moitié pleine de ducats.

LE SECOND BANNI

Et ta sœur, où est­elle ?

MAFFIO

On me l’a montrée ce soir sortant du spectacle, dans une robe

comme n’en a pas l’impératrice ; que dieu lui pardonne ! Une vieille

l’accompagnait, qui a laissé trois de ses dents à la sortie. Jamais je

n’ai donné de ma vie un coup de poing qui m’ait fait ce plaisir­là.

LE TROISIÈME BANNI

Qu’ils crèvent tous dans leur fange crapuleuse, et nous mourrons

contents.

LE QUATRIÈME

Philippe Strozzi nous écrira à Venise ; quelque jour nous serons

tous étonnés de trouver une armée à nos ordres.

LE TROISIÈME

Que Philippe vive longtemps ! Tant qu’il y aura un cheveu sur sa

tête, la liberté de l’Italie n’est pas morte. (Une partie du groupe se

détache ; tous les bannis s’embrassent.)

UNE VOIX

À des temps meilleurs.

UNE AUTRE

À des temps meilleurs. (Deux bannis montent sur une plate­forme

d’où l’on découvre la ville.)

LE PREMIER

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Adieu, Florence, peste de l’Italie ; adieu, mère stérile, qui n’as

plus de lait pour tes enfants.

LE SECOND

Adieu, Florence la bâtarde, spectre hideux de l’antique Florence ;

adieu, fange sans nom.

TOUS LES BANNIS

Adieu, Florence ! Maudites soient les mamelles de tes femmes !

Maudits soient tes sanglots ! Maudites les prières de tes églises, le

pain de tes blés, l’air de tes rues ! Malédiction sur la dernière goutte

de ton sang corrompu !

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