Madame de Sévigné - Mary Play-Parlange - E-Book

Madame de Sévigné E-Book

Mary Play-Parlange

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Beschreibung

Juin 1644 à Paris. Elise Poquelin apprend avec sidération que son frère Jean-Baptiste a choisi de changer de nom pour s'appeler Molière.

Octobre 1650 à Rennes.
Elise Poquelin croise avec admiration Mme de Sévigné à laquelle elle va désormais vouer sa vie.
Comment cette jeune inconnue habitée par une redoutable "vieille, si vieille âme" va-telle influer sur la destinée de ces deux personnages emblématiques et de tous ceux qui sont dans leur sillage ?

Certaines âmes sont condamnées à errer de corps en corps sans jamais trouver le repos. Dans notre propos, venue du fond des âges, une « vieille, si vieille âme » erre dans le royaume des ombres. Moult fois elle s’est réincarnée, moult fois lorsque la mort a frappé son enveloppe charnelle, elle a été condamnée à errer de nouveau.
Nous avons choisi de vous raconter quatre des réincarnations de cette vieille, si vieille âme.
Quatre fois elle trouvera refuge dans quatre corps de femmes à quatre époques différentes.
Quatre histoires se succéderont faisant l’objet de quatre romans différents.
Dans chacun d’entre eux, la vieille, si vieille âme sera confrontée à l’un des quatre éléments auxquels se heurte l’enveloppe charnelle dans laquelle elle s’est glissée : l’eau, le feu, l’air et la terre. Dans chacun d’entre eux, la vieille, si vieille âme se glissera dans le corps d’une nouvelle TETRANEBREUSE qui évoluera dans le sillage d’un personnage historique célèbre.
Quatre femmes de l’ombre, mais femmes puissantes, les TETRANEBREUSES vous réservent bien des surprises.

Dans ce second opus des Tétranébreuses, Mary Play-Parlange mêle avec virtuosité l'ambiance feutrée des salons littéraires, la magnificence de fêtes grandioses mais aussi la rudesse impitoyable du quotidien d'une troupe de comédiens sous le règne de Louis XIV.

EXTRAIT

— Père, puis-je vous parler ?
Affaissé dans son fauteuil, il a les paupières closes et semble dormir. Je m’apprête à tourner les talons quand soudain il ouvre les yeux :
— Eh bien Élise, que veux-tu donc ?
La voix est sèche, je reste coite un instant puis m’enhardis :
— Père, qu’avez-vous dit tantôt à Jean-Baptiste ? Avant qu’il vous rencontre, il semblait fort joyeux, il s’est même laissé bastonner par Polichinelle pour le plus grand plaisir de Justine. Mais après votre conversation, il est sorti précipitamment et j’ai ouï claquer très fort la porte de notre maison.
Alors il s’exclame bien haut :
— Ah, la peste soit de Jean-Baptiste ! Il m’a fâché tout à l’heure plus que je ne saurais dire. J’ignore quelle mouche l’a piqué mais il a trahi notre famille en changeant de nom.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Deux amies d’enfance se retrouvent à l’aube de la soixantaine avec le désir de partager leur envie d’écriture. Mary Play-Parlange travaille à quatre mains en parfaite harmonie de fond et de forme.

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Table des matières

Résumé

Personnages

Prologue

Acte I scène I

Acte I scène II

Acte I scène III

Acte I scène IV

Acte II scène I

Acte II scène II

Acte II scène III

Acte II scène IV

Acte II scène V

Acte III scène I

Acte III scène II

Acte III scène III

Acte III scène IV

Acte IV scène I

Acte IV scène II

Acte IV scène III

Acte IV scène IV

Acte IV scène V

Acte V scène I

Acte V scène II

Acte V scène III

Acte V scène IV

ÉPILOGUE

Dans la même collection

Résumé

Juin 1644 à Paris

Elise Poquelin apprend avec sidération que son frère Jean-Baptiste a choisi de changer de nom pour s'appeler Molière.

Octobre 1650 à Rennes :

Elise Poquelin croise avec admiration Mme de Sévigné à laquelle elle va désormais vouer sa vie.

Comment cette jeune inconnue habitée par une redoutable "vieille, si vieille âme" va-telle influer sur la destinée de ces deux personnages emblématiques et de tous ceux qui sont dans leur sillage ?

Certaines âmes sont condamnées à errer de corps en corps sans jamais trouver le repos. Dans notre propos, venue du fond des âges, une « vieille, si vieille âme » erre dans le royaume des ombres. Moult fois elle s’est réincarnée, moult fois lorsque la mort a frappé son enveloppe charnelle, elle a été condamnée à errer de nouveau.

Nous avons choisi de vous raconter quatre des réincarnations de cette vieille, si vieille âme.

Quatre fois elle trouvera refuge dans quatre corps de femmes à quatre époques différentes.

Quatre histoires se succéderont faisant l’objet de quatre romans différents.

Dans chacun d’entre eux, la vieille, si vieille âme sera confrontée à l’un des quatre éléments auxquels se heurte l’enveloppe charnelle dans laquelle elle s’est glissée : l’eau, le feu, l’air et la terre. Dans chacun d’entre eux, la vieille, si vieille âme se glissera dans le corps d’une nouvelle TETRANEBREUSE qui évoluera dans le sillage d’un personnage historique célèbre.

Quatre femmes de l’ombre, mais femmes puissantes, les TETRANEBREUSES vous réservent bien des surprises.

Dans ce second opus des Tétranébreuses, MPP mêle avec virtuosité l'ambiance feutrée des salons littéraires, la magnificence de fêtes grandioses mais aussi la rudesse impitoyable du quotidien d'une troupe de comédiens sous le règne de Louis XIV.

Mary PLAY-PARLANGE

Tétranébreuses

T 2 - Madame de Sévigné

Thriller historique

ISBN : 978-2-35962-973-6

Collection rouge : 2108-6273

Dépôt légal octobre 2017

©couverture Ex Aequo

©2017 tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Toute modification interdite.

Personnages

Ceux qui ont réellement existé :

Jean Poquelin, père de Molière (1597-1669)

Jean-Baptiste Poquelin dit Molière (1622-1673)

Marie{1}, marquise de Sévigné (1626-1696)

Françoise de Sévigné, comtesse de Grignan (1646-1705)

Madeleine Béjart, comédienne (1618-1672)

Armande Béjart, épouse de Molière (1642-1700)

Nicolas Fouquet (1615-1680)

Ceux qui sont de pure fiction :

Élise Poquelin, demi-sœur de Molière (1634-1693)

Valère, premier mari d’Élise (1630-1653)

Éléonore de Sévigné (1638 – 1655)

Vincenzo da Galvana, deuxième mari d’Élise (1634-1672)

Prologue

Quand la vieille, si vieille âme par une soirée d’hiver navigue sur une gabare de Loire entre Angers et Nantes…

24 décembre 1464

Toute sa vie, Colombe de Maignelay a redouté de périr aspirée dans les remous d’une eau trouble et glacée.

Elle s’est trompée.

Colombe se consume dans les flammes d’un feu éclatant et brûlant.

Colombe n’est plus que braises.

Colombe n’est plus que cendres.

À l’instant, la vieille, si vieille âme s’échappe du corps de la brûlée{2}

L’instant d’après, la vieille, si vieille âme se met en quête d’un enfant à naître.

Las, depuis cent ans et plus, la vieille, si vieille âme cherche en vain un corps pour l’accueillir. Toujours elle arrive trop tard, toujours la place est déjà prise.

La vieille, si vieille âme est lasse, tellement lasse ! Épuisée par la lutte sans merci qu’elle doit livrer pour retrouver la chaleur d’un abri protecteur.

Elle erre depuis si longtemps dans les froides ténèbres… Pourra-t-elle un jour revenir dans le monde des vivants ?

***

Quand la vieille, si vieille âme reprend espoir lorsqu’à Paris, capitale du royaume de France…

15 janvier 1634 – Demeure de Jean Poquelin – Paris

Aujourd’hui enfin le miracle va se produire à nouveau.

L’enfant est prêt à sortir du ventre de sa mère. Une naissance sans douleur, une naissance en douceur.

Après trois simples poussées, Catherine Fleurette, épouse Poquelin, sent d’un coup une masse chaude descendre le long de ses cuisses. C’est dans l’éclat de sa jeunesse que, pour la première fois, elle donne la vie.

L’instant d’avant, la vieille, si vieille âme s’est glissée dans le corps de la presque née.

Acte I scène I

Quand la vieille, si vieille âme par une froide nuit s’affole en proie à une irrépressible angoisse venue de loin, de fort loin…

15 janvier 1643 - Demeure de Jean Poquelin - Paris

Ce soir, la neige recouvre la ville et continue à tomber sans s’arrêter. Je suis couchée au chaud dans mon lit, l’oreille aux aguets. Au-dehors pas le moindre bruit ! Ce silence ne me va pas. J’aime l’agitation de la rue, elle me rassure. Heureusement qu’en bas résonnent les voix de Père et de Jean-Baptiste. Ils parlent fort comme s’ils se disputaient. J’ai bien vu pendant le souper que notre père avait l’air fâché et que mon frère restait muet comme une carpe, ce qui n’est pas du tout dans ses manières. Au bout d’un long silence, Jean-Baptiste a fini par dire qu’ils devaient s’entretenir tous les deux. Alors Père a repoussé son écuelle de potage et d’un signe de la tête, il nous a envoyées nous coucher Justine et moi.

Ce soir, j’ai envie de pleurer. Ce soir, ma mère me manque encore plus qu’à l’accoutumée. Pourquoi n’est-elle pas là pour me consoler ? Je n’avais que deux ans quand elle est morte en mettant au monde ma petite sœur. Veuf pour la seconde fois, Père ne s’en est pas remis. Il ne sourit jamais. Ses cheveux ont blanchi d’un coup. Il est sévère et me fait un peu peur.

Ce soir, j’ai besoin de parler avec Jean-Baptiste. Lui, c’est mon préféré. Il est déjà bien grand mais quelle que soit l’heure à laquelle il rentre, il ne manque jamais de passer un moment en notre compagnie. Quand nous jouons avec les marionnettes qu’il nous a confectionnées, Justine qui est triste si souvent, rit aux éclats. Aujourd’hui, nous n’avons pas ouvert le rideau rouge de notre théâtre.

Justine dort depuis longtemps. Je serre Sophie contre moi. J’aime ses boucles blondes et ses yeux de porcelaine bleue. Moi qui suis brunette, je voudrais lui ressembler. On me dit que je n’ai plus l’âge de jouer à la poupée, que je suis l’aînée des filles et qu’étant la plus grande je dois donner l’exemple. Mais je ne veux pas être raisonnable. Je veux rester petite, toute petite pour qu’on me protège et qu’on s’occupe de moi.

Ce soir j’ai eu neuf ans mais personne ne s’en est souvenu, pas même Dorine notre nourrice. Père semblait trop soucieux et Jean-Baptiste qui est revenu au moment où nous nous mettions à table avait l’air perdu dans ses pensées. Malgré qu’il soit bien tard, j’espère qu’il s’arrêtera dans notre chambre quand il montera. Je vais l’attendre en gardant les yeux ouverts. Il ne faut pas que je m’endorme. Si je fixe la chandelle et que je songe à une chose qui me mettrait en joie, le sommeil ne m’attrapera pas. Ah ! J’y suis : dans quelques semaines ce sera la Sainte Élise{3}. Vivement le printemps pour qu’on la fête ensemble !

Mais que sont ces cris qui soudain emplissent le silence ? Ce ne sont pas des cris mais des hurlements et ils me glacent jusqu’au sang. Mais d’où vient cette clarté si vive qui soudain illumine la pièce ? Je cours à la fenêtre. A travers les carreaux givrés, j’aperçois de l’autre côté de la rue des flammes qui dévorent la maison du drapier. Elles ont gagné l’étage et sa boutique n’est plus qu’un brasier géant où flambent ses belles étoffes.

Le jaune, le rouge et le noir trouent le blanc de la neige, une odeur âcre me prend à la gorge, je sanglote, j’appelle à l’aide. Mes pensées se brouillent, la terreur me saisit, je suffoque. Je suis prisonnière de l’incendie. C’est moi qui brûle de l’intérieur, c’est moi qui suis au milieu du feu. D’un bond je me réfugie au fond du lit, me cache sous les draps, enfouis mon visage au creux d’un coussin pour ne plus rien voir, pour ne plus rien entendre.

Je ne sais comment je me retrouve dans les bras de mon père tandis que Jean-Baptiste sèche mes joues mouillées de larmes.

***

Me voici pour l’heure fort contrarié. Et bien amer. Mauvaise soirée tudieu ! Au diable une progéniture par qui ne me parviennent que contrariétés et désillusions ! Par deux fois marié, par deux fois devenu veuf d’épouses tendrement aimées, je fais de mon mieux pour donner aux descendants dont elles m’ont pourvu la meilleure éducation qu’il se puisse et voilà comme on me récompense.

D’abord cette comédie ridicule servie tantôt par Élise, ses cris d’orfraie à la vue de prétendues flammes dans la demeure. Certes la maison du drapier a flambé, certes le malheureux a vu sa marchandise s’envoler en fumée et ses biens réduits en cendre. Mais le bâtiment se trouvait au loin dans la rue, c’est à peine si l’on parvenait à distinguer quelques flammes s’élever vers le ciel. L’incendie ne s’est point propagé et nous n’eûmes point à en souffrir. De la même manière sa façon chaque soir de trembler lorsqu’on allume les chandelles, puis de les fixer comme on se lance un défi m’effraie ! Si fait, cette enfant m’inquiète ; je crains fort que sa raison ne soit brouillée au-delà du convenable et j’en suis bien marri.

Cependant c’est envers Jean-Baptiste que j’entrai tout à l’heure en grande colère sans parvenir à contenir mon courroux. L’impudent jeune homme prétend se défaire des liens que j’ai noués pour son avenir et renoncer avec véhémence à la noble charge de tapissier du Roi. J’ai racheté cette charge à mon frère dans le but de la transmettre à mon fils et j’avais bon espoir qu’avoir suivi le Roi en déplacement jusqu’à Narbonne l’an dernier l’ait convaincu d’embrasser fièrement cette carrière. Je n’ai point démérité ce me semble dans l’accomplissement de mon devoir de père en l’envoyant faire ses humanités au collège de Clermont{4} y apprendre le latin, les sciences et la philosophie. J’ai dépensé plus que de raison pour acquérir les licences de droit lui conférant le titre d’avocat. Rien de tout cela ne paraît satisfaire ce petit monsieur qui s’est mis dans l’idée de suivre une troupe de saltimbanques !

Il y a une femme dans cette affaire, j’en jurerais. Jean-Baptiste a défendu sa position avec tant de fougue que le doute n’est pas permis. Seul un amour hors de mesure peut à ce point troubler l’esprit d’un jeune écervelé. J’en eusse été ravi s’il s’était agi d’une fille honnête et de bonne bourgeoisie. Mais las ! Je crains qu’il ne se soit épris d’une quelconque gourgandine qui lui aura tourné la tête et le détourne de la voie respectable que j’ai tracée pour lui.

Si grande agitation ne me sied guère et je ne parviens point à trouver le repos auquel aspire un honnête homme après une journée de dur labeur. Je prie Dieu d’accorder sa protection voire son pardon à ces êtres que je chéris malgré le chagrin qu’ils me procurent parfois.

***

Ce soir j’ai osé. J’ai affronté mon père et lui ai dit mon fait. Rien n’a pu m’arrêter, j’ai jeté sur la table le fardeau qui oppressait mon cœur et accablait mon âme. Je lui ai avoué mon peu de goût d’une existence prédéterminée, permettant certes de vivre bien mais sans élan ni passion, et confessé mon inclination pour le théâtre. Si sa surprise fut feinte m’ayant vu maintes fois revenir enchanté des représentations où me conduisait mon aïeul en l’Hôtel de Bourgogne, son courroux, lui, fut bien réel quand il comprit ma décision inébranlable de ne point suivre la voie qu’il a tracée pour moi. Je tins bon cependant et nous nous quittâmes fort irrités. Je regagnai ma chambre en hâte, maudissant le sort qui m’avait doté d’un père aussi borné dans son entendement que sourd à tous mes arguments.

Non que je fisse grief à cet excellent homme des bons soins qu’il me prodigua dès l’enfance ou de l’éducation qu’il m’offrit ; non plus que de m’avoir instruit dans les meilleurs collèges ou m’avoir assuré la survivance de sa charge. Mais il doit cependant accepter qu’il n’entre point dans mes aspirations de me perdre dans la tâche, aussi noble soit-elle, de tapissier du roi ; fût-ce au dépit des ambitions d’un père pour l’ainé de ses fils.

Qu’on ne m’accuse point de n’avoir pas tenté de complaire aux désirs de mon père. Pour lui être agréable j’ai suivi il y a peu la cour en ses déplacements, et de Paris à Lyon et de Lyon à Narbonne je me suis consacré à bien servir le roi. L’honneur de la fonction n’a pas suffi à mon contentement. Il s’en faut de beaucoup. J’ai ressenti en moi comme un bouillonnement, le besoin absolu de libérer ma pensée de ce trop plein d’idées ; l’envie de m’exprimer par l’esprit et le corps.

Je vais y parvenir, j’en rends grâce à la femme qui a su révéler la passion qui grandissait en moi depuis les années d’enfance et que je n’avais pas eu jusqu’alors l’audace d’affirmer. Belle et fort pourvue d’esprit, d’un attrait et d’un charme à nuls autres pareils, la demoiselle est d’une famille où j’aurais voulu naître, vouée sans réserve à la comédie. Ses membres ne se quittent guère, attachés tout autant aux liens venus du sang qu’à ceux dus à leur art. Et quand on dit Béjart on ne sait jamais bien s’il s’agit d’une troupe ou bien d’une lignée tant les deux se confondent. Je n’ai touché mot de Madeleine à mon père, cela l’eût achevé. J’attends encore un peu, il en a bien assez pour l’heure de savoir que c’est vers le théâtre que vont tous mes penchants.

Le théâtre ! Voilà le rêve auquel je me veux consacrer. Loin des enfantillages auxquels Élise prétendrait me contraindre. Est-ce là mon destin que déclamer quelques poèmes pour d’obscures marionnettes ? Malgré l’affection que je porte à mes sœurs, devrais-je me contenter de faire la comédie avec pour seul public ces deux enfants ? J’ai d’autres prétentions et si je dois par mes vers éblouir une femme, que ce soit Madeleine !

Acte I scène II

Quand la vieille, si vieille âme par un après-midi d’été ouvre des yeux d’enfant sur les bizarreries des grands…

28 juin 1644 – Demeure de Jean Poquelin – Paris

J’ai tranché à présent, le sort en est jeté. J’ai coupé dans le vif. J’ai signé ce matin pour la première fois du nom que j’ai choisi, qui n’est point, n’en déplaise à mon père, celui de ses aïeux. Qu’on ne s’y trompe pas. Je ne veux ce faisant marquer quelque dédain vis-à-vis du nom de Poquelin. Poquelin reste le nom d’un tapissier, Molière sera celui d’un tragédien, le plus grand de son temps. Je m’en sens le talent, je m’en veux les ardeurs.

Je ne veux point mêler mon père à cette affaire, dont le moins qu’on puisse en dire est qu’elle est hasardeuse. Si d’aventure je me trouvais dans quelque mauvais pas il ne pourra me reprocher d’avoir sali sa réputation. On connaît le peu de cas que notre société fait des gens de théâtre.

Je marque ainsi par là que je change de vie et que ma décision est à présent irrévocable. Une année entière s’est écoulée depuis que nous fondâmes avec ma chère Madeleine cet Illustre Théâtre dont je pris bientôt les rênes. Une année entière au cours de laquelle j’eus tout loisir de tâter pleinement de la vie de comédien, d’en éprouver les joies comme d’en subir les peines, d’en découvrir les aléas comme d’en apprécier les succès. Chaque jour qui passe m’émerveille davantage et je ne veux plus d’une autre vie que celle-là.

Il me reste pour l’heure le plus difficile, en informer mon père. Il a du mal à accepter que je désire vouer mon existence à l’accomplissent de ma passion. Il doute encore de la réalité de ma vocation. Dans son esprit, un honnête homme ne délaisse pas une carrière honorable qui lui assure de bons revenus et un confort enviable pour diriger une troupe d’artistes à l’avenir incertain. Comment lui faire comprendre qu’il y va de mon destin ? Comment lui faire admettre qu’en prenant le nom de Molière je ne le renie point ? Comment lui expliquer que je reste Poquelin en devenant Molière ?

***

Me voici de nouveau en grand courroux ! En proie à l’amère sensation que mes enfants ne sont sur terre que pour me causer les pires déconvenues. Ainsi en va-t-il cette fois encore de Jean-Baptiste qui ce matin a changé de nom. Changer de nom ! Comment diantre cela se peut-il faire ? Ne trouvait-il point à son goût celui de Poquelin que portent son père et avant lui son grand-père et encore avant eux la lignée de ses aïeux ? Avait-il tant grande honte de ce nom que je lui ai donné à sa naissance ? Y a-t-il pire affront que je puisse subir de la part de mon garçon que de le voir renoncer à s’appeler comme moi ?

Que signifie qu’il signe désormais « de Moliere{5} » ? Qu’est-ce donc que cette appellation bizarre dont il s’est entiché ? A-t-il peur qu’on le reconnaisse comme fils d’un tapissier ? Se détournant d’une honorable charge pour rejoindre une troupe de saltimbanques, se veut-il anoblir{6} ? Quelle est la perverse enjôleuse qui a réussi à l’entraîner à sa suite dans cette funeste dérive ? De quel déloyal stratagème a-t-elle usé pour le convaincre de devenir comédien et de perdre son âme ? Décidément, je n’y comprends rien mais cela me bouleverse au-delà du raisonnable.

À dire vrai, je ne sais plus à quel saint me vouer. J’ai tant souffert d’avoir vu mourir à peu d’intervalle mes deux chères épouses que je me suis enfermé dans ma coquille, incapable de porter attention à ceux dont j’avais la charge. J’ai veillé à les nourrir, à les vêtir et à leur assurer une éducation de qualité mais je ne leur ai pas témoigné la tendresse d’un père. Ainsi donc, si aujourd’hui j’éprouve mille tourments, il me faut bien admettre que j’ai pour partie fait mon malheur. Je me suis montré à mes enfants sous les traits d’un homme vieillissant au caractère austère et acariâtre. Mes quelques rares et maladroites tentatives pour me rapprocher d’eux sont restées vaines. Mes fils ont grandi, s’éloignant de moi au fil du temps. Quant à mes filles qui sont encore jeunettes, elles éprouvent à mon égard un respect entaché de crainte et non pas une affection véritable. Lorsqu’il m’arrive de vouloir les embrasser, elles me fixent d’un regard étonné qui me remplit de tristesse.

Pour être honnête, je dois reconnaître que Jean-Baptiste, au contraire de moi, a su trouver le chemin de leur cœur. Il a noué avec elles une tendre complicité qui ne se dément pas. Il est à la fois leur confident et leur modèle. Je lui suis gré de la constante et bienveillante attention qu’il porte à ses sœurs. Cette attitude au moins échappe à mes reproches. Mais qu’adviendra-t-il si d’aventure il quitte Paris et part en bohémien errer sur les routes ?

***

— Père, puis-je vous parler ?

Affaissé dans son fauteuil, il a les paupières closes et semble dormir. Je m’apprête à tourner les talons quand soudain il ouvre les yeux :

— Eh bien Élise, que veux-tu donc ?

La voix est sèche, je reste coite un instant puis m’enhardis :

— Père, qu’avez-vous dit tantôt à Jean-Baptiste ? Avant qu’il vous rencontre, il semblait fort joyeux, il s’est même laissé bastonner par Polichinelle pour le plus grand plaisir de Justine. Mais après votre conversation, il est sorti précipitamment et j’ai ouï claquer très fort la porte de notre maison.

Alors il s’exclame bien haut :

— Ah, la peste soit de Jean-Baptiste ! Il m’a fâché tout à l’heure plus que je ne saurais dire. J’ignore quelle mouche l’a piqué mais il a trahi notre famille en changeant de nom.

— Ne s’appellera-t-il plus comme nous ?

— C’est en effet ce à quoi il s’est résolu ce matin, provoquant mon juste courroux.

— Mais il restera cependant notre frère ?

— Assurément, cela ne change rien aux liens qui vous unissent.

Puis il toussote et ajoute l’air préoccupé :

— Retire-toi fillette et laisse-moi maintenant car il me faut régler une affaire urgente.

En vérité, me voilà bien tracassée par ce que je viens d’entendre et que je ne comprends pas. J’étouffe dans la moiteur de ce début d’été ! Vite de l’air, de la lumière et tandis que je cours le long du sombre corridor pour rejoindre ma sœur dans la courette, je songe aux bons moments que nous passons avec Jean-Baptiste. Il connaît tout de nos peines et de nos joies. Il sait trouver les paroles qui consolent et apaisent. Comment ce frère que j’adore a-t-il pu renier notre nom pour en prendre un autre ? Dès ce soir, il faudra qu’il me l’explique sans détour.

Acte I scène III

Quand la vieille, si vieille âme par une claire journée d’hiver quitte la ville et découvre la campagne…

22 janvier 1650 – Sur la route entre Paris et la Gascogne

Les cahots du chemin me brisent les reins. Quelle folie ai-je donc commise de partir ainsi sur les routes de contrées inconnues en compagnie d’un homme dont je ne sais au fond que peu de choses. Je le regarde, endormi sur la banquette, et le revois toquer un soir à notre porte, grand et maigre, sans âge mais plus tout jeune quand même, son long visage barré d’une triste moustache. Je l’entends s’enquérir auprès de mon père du lieu où se trouve Molière qui joue dans la troupe de Dufresne. Il veut y rejoindre Catherine, sa promise qui appartient à la troupe. Mon père le met prestement dehors, je le rattrape avant qu’il ait tourné le coin de la rue.

— Monsieur de Brie{7}, lui dis-je, je sais où se trouve mon frère. Je consens à vous le révéler à une condition.

Il se retourne, me dévisage avec stupeur. Je le sens hésiter, il ne sied pas de converser dans la rue avec une jeune fille à la nuit tombée. Pourtant le désir de revoir Catherine est si fort qu’il accepte d’avance. Le désir de revoir mon frère est si fort que je ne me rends pas compte de ce que je fais ; ni de ce que je dis. Mue peut-être aussi par l’envie de quitter cette maison où je m’ennuie, cette vie sans intérêt alors que je rêve d’aventures et d’amours intrépides.

— Bien, Monsieur de Brie, si vous voulez rejoindre la troupe de Dufresne voici ma condition. Vous m’emmenez avec vous sans le dire à mon père.

Je crois n’avoir jamais vu auparavant air plus effaré ni regard plus terrifié que les siens quand il réalisa l’inconvenance de ma requête. J’insistai tant et tant, en minaudant un peu et en pleurant beaucoup, qu’il accepta de chaperonner mon voyage. J’eus bien tenté pour arriver à mes fins de le séduire plus avant mais il me semblait sot et dépourvu d’attrait et je me contentai de verser forces larmes qui parvinrent pareillement à le convaincre.

Je n’en puis plus, nous roulons depuis des heures et rien n’indique une arrivée prochaine. Je n’ai d’autre loisir que me laisser aller à de sombres pensées qui troublent mon esprit. Je suis partie sans en toucher mot à mon père qui pour l’heure doit se morfondre en grand souci ; ou s’enflammer d’affreuse colère. J’en ai un peu de peine pour ma sœur qui va supporter ses éclats et sa mauvaise humeur. Mais je ne regrette pas mon choix. Avais-je d’ailleurs vraiment le choix ? Une passion nouvelle me possède, la passion de vivre à l’écart des contraintes et des règles imposées. Je ne puis ni ne veux lutter contre cet élan qui me pousse irrésistiblement et malgré moi à vivre ma vie en faisant fi des obstacles qui se dressent sur ma route. Jean-Baptiste me comprendra.

***

Paris - Demeure de Jean Poquelin

Cette fois c’en est trop ! Maudit théâtre et maudits enfants ! Ingrats qu’ils sont tous ! Grâce à Dieu Justine s’est ouverte à moi du plan funeste d’Élise. Maudite soit-elle à son tour de ne pas avoir trahi les indignes desseins de sa sœur avant qu’il ne soit trop tard pour la retenir. Que ne me suis-je méfié ? Que n’ai-je enfermé cette donzelle à double tour dans sa chambre chaque soir ? J’aurais dû deviner que son admiration imbécile pour son frère et la peine qu’elle ressentait de son absence lui feraient entreprendre des choses insensées pour le revoir. Je jure par devant Dieu que si d’aventure un beau jour ils osent à nouveau se présenter à moi je les rosserai de bonne façon.

Le ciel m’est témoin que je ne suis pas un mauvais homme, encore moins un mauvais père. J’ai donné à mes fils une éducation propre à assurer leur avenir et arrangé pour mes filles de bons mariages dont elles n’auront qu’à se féliciter. J’ai dépensé beaucoup d’argent pour offrir de bonnes études à Jean-Baptiste, j’ai payé fort cher une licence en droit dont il fait fi, et remboursé ses dettes de théâtreux. Croyez-vous qu’il m’en ait su gré, pensez-vous qu’il ait compris la leçon en abandonnant à jamais ses ambitions de comédien en même temps que son Illustre Théâtre ? Que nenni ! Il est reparti de par les routes et les chemins à la suite de ce Dufresne qui l’entraîne à sa perte.

Et voilà que ma fille Élise dont la grande beauté est le meilleur atout, voilà que cette pimbêche promise au fils d’un marchand de mes amis aux confortables revenus me défie à son tour et trompe ma confiance. Je ne sais qui des deux m’abuse le plus, Élise ou Jean-Baptiste ; je ne sais qui des deux me brise le plus, le déshonneur ou la douleur.

24 janvier 1650 – Agen en Gascogne

Élise, je n’en crois pas mes yeux : ainsi te voilà devant moi, la mine polissonne, à me narguer un sourire mutin aux lèvres ! Sans tes noires prunelles et tes boucles brunes, j’aurais eu le plus grand mal à te reconnaître tant tu as changé. Il est vrai qu’il y a presque deux ans que je ne t’avais vue. Sidéré, je reste cloué au sol, bras ballants et bouche ouverte. Quelle folie a donc traversé ta jolie tête ? Diantre, il m’en souvient d’un coup : lors de mon dernier séjour à Paris, tu avais juré de quitter la ville dès tes seize ans accomplis. J’avais ri franchement de ce qui m’était alors apparu comme les vaines paroles d’une jeune écervelée. Mal m’en a pris car il t’aura suffi de quelques jours à peine pour tenir ton serment. Et échapper à la surveillance de notre père. Tu es arrivée tantôt par la malle-poste pour nous rejoindre dans ce coin de Garonne où tu n’entends mot de ce qui se dit. Je découvre avec stupeur comme tu as grandi, tu n’as désormais peur de rien ni de personne !

Élise, je ne sais comment tu as su où précisément nous séjournions mais il me faut bien me rendre à l’évidence : tu te tiens là, plantée sur tes deux jambes à me fixer de ton regard malicieux. Belle tu es petite sœur, et futée tout autant qu’enjôleuse mais qu’aurais-je donc à t’offrir de rester ici où l’on parle la langue d’oc que tu ne comprends pas ? Et puis, tu n’as jamais joué la comédie et ne sais rien faire de tes dix doigts. Les temps sont durs, Dufresne refuserait d’avoir une bouche inutile à nourrir.

Élise, il me faut sans détour te convaincre de repartir, il ne serait point raisonnable de te garder ici. Père et Justine sont sûrement morts d’inquiétude, tu dois les rejoindre sans tarder.