Madeleine Delbrêl et le scoutisme - Sayed Marroun - E-Book

Madeleine Delbrêl et le scoutisme E-Book

Sayed Marroun

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Beschreibung

Dans l'ensemble des ouvrages publiés sur Madeleine Delbrêl, il manquait une étude sur son engagement dans le scoutisme, engagement qui a tenu une place importante dans sa vie entre 1926 et 1933. Les grandes lignes étaient connues, mais aucune publication n'avait encore permis d'en explorer la richesse.

L'auteur, le père Sayed Marroun, montre comment le scoutisme a contribué à structurer la personnalité spirituelle de Madeleine Delbrêl, et particulièrement à développer chez elle une spiritualité fondée sur le mystère pascal. Son itinéraire au sein du scoutisme a imprégné sa vie et sa pensée.

Un travail d'archives très approfondi a permis d'asseoir cette réflexion sur un ensemble d'articles et d'ouvrages soigneusement examinés par l'auteur.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Le père Sayed Marroun, est prêtre libanais, curé de paroisse. Il est directeur spirituel du séminaire patriarcal maronite à Ghazir (Liban) et responsable du bureau des prêtres pour l'archidiocèse de Tripoli. Docteur en théologie, il a soutenu sa thèse en décembre 2016, à l'Institut catholique de Paris, conjointement avec l'Université catholique de Louvain (Belgique), sur le sujet suivant : « L'assimilation et l'expansion du mystère pascal par l'existence chrétienne dans la pensée de Madeleine Delbrêl ».

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Madeleine Delbrêl et le scoutisme

Sayed Marroun

Madeleine Delbrêlet le scoutisme

Couverture : Florence VandermarlièrePhoto : © Amis de Madeleine Delbrêl

Tous droits de traduction,d’adaptation et de reproductionréservés pour tous pays.

© 2024, Groupe ElidiaÉditions Nouvelle Cité10, rue Mercœur – 75011 Paris

www.nouvellecite.fr

ISBN : 978-2-37852-574-7EAN Epub : 9782375826355

Préface

Dans l’ensemble des ouvrages que nous avons publié sur Madeleine, il manquait une étude sur son engagement dans le scoutisme, qui a tenu une place importante dans sa vie depuis 1926, deux ans après sa conversion jusqu’à son départ pour Ivry-sur-Seine, en 1933. Bien sûr, nous en connaissions les grandes lignes, mais aucune publication n’avait encore permis d’en explorer la complexité. Dans la thèse qu’il avait soutenue à l’Institut catholique de Paris et conjointement avec la Katholieke Universiteit Leuven, en décembre 2016, dont le sujet était « L’assimilation et l’expansion du mystère pascal par l’existence chrétienne dans la pensée de Madeleine Delbrêl », le père Sayed Marroun, prêtre du diocèse de Tripoli, au Liban, avait étudié de façon précise cet aspect méconnu de la vie de Madeleine Delbrêl et de son engagement chrétien. Il y avait consacré un important chapitre. C’est ce chapitre qui fait aujourd’hui l’objet de cette publication.

L’ouvrage est divisé en deux grandes parties : une première partie, plus historique, qui fait apparaître tout le parcours accompli par Madeleine. Le père Marroun a effectué là un remarquable travail d’archives qui nous permet de suivre Madeleine de façon très précise à travers les responsabilités qu’elle a exercées. La deuxième partie est théologique et nous permet de mesurer combien le mystère pascal est présent dans ce qu’on peut considérer comme des années de formation pour la cheftaine Delbrêl. Là aussi, un travail d’archives très approfondi a permis d’asseoir cette réflexion sur un ensemble d’articles et d’ouvrages soigneusement examinés par l’auteur. La théologie qu’on y trouve surprendra peut-être quelque peu le lecteur. C’est la théologie des années 1930, plus centrée sur le mystère de la Croix que sur celui de la résurrection de Jésus. Elle s’adapte assez bien au scoutisme, mouvement éducatif où l’effort, le don de soi, la générosité, le sacrifice sont alors considérés comme des valeurs premières. Elle n’exclut cependant pas la joie, témoin le totem de Madeleine : « Abeille joyeuse ». On peut d’ailleurs se demander si la littérature scoute d’alors n’emprunte pas à la théologie en vogue à cette époque plutôt qu’elle ne l’informe. Y a-t-il vraiment une littérature scoute ? Oui, dans la mesure où il y a des revues scoutes, des livres inspirés par le scoutisme et qui parlent du scoutisme, de sa pédagogie, de sa spiritualité. Mais les aumôniers scouts, qui ont écrit ces articles et ces livres dont nous parle le père Marroun, étaient déjà pétris d’une théologie et d’une spiritualité, dont ils s’étaient imprégnés pendant leur formation au séminaire. Ils les ont adaptées au mouvement scout naissant, au moins autant que le scoutisme les a influencées. Il y a eu, en tout cas, influence réciproque.

Restait à adapter le langage de la thèse à un langage « tout public » pour le type de publication que nous proposons. C’est ce qui a été fait dans un échange avec le père Marroun, et qui a produit l’ouvrage que nous avons aujourd’hui le plaisir de présenter au lecteur.

Bernard Pitaud

Introduction

Le 30 mars 1922, le pape Pie XI approuvait le mouvement des Scouts de France, qui avait déjà été reconnu le 17 janvier 1921 par le cardinal Dubois, alors archevêque de Paris1. Le père Sevin (1882-1951), cofondateur2 du scoutisme en France, publiait en 1922 son maître-livre, Le scoutisme, étude documentaire et applications3, dans lequel il adaptait le scoutisme anglais à la culture française4. Et, le 13 mars 1922, paraissait le premier numéro de la revue Le chef, revue mensuelle destinée aux chefs-scouts et aux éducateurs5.

C’est au mois de juin 1923 que fut créée la branche féminine, appelée « Fédération des Guides de France », présidée par Mme Duhamel6. Par ailleurs, « la Route », branche aînée du scoutisme, allait être lancée par le père Paul Doncoeur, jésuite, et le père Marcel-Denys Forestier, dominicain ; le premier « clan scout » date en effet de 19247. Et, en 1926, le père Doncoeur publiait son ouvrage intitulé Routiers8.

Le jeune mouvement progressa si bien que, six ans après sa création, c’est-à-dire en 1926, les Scouts de France atteignaient déjà le nombre de huit mille membres, répartis dans soixante diocèses9. On le voit s’implanter à Paris à partir des collèges confessionnels et des paroisses, où de jeunes vicaires, comme l’abbé Jacques Lorenzo10 à Saint-Dominique, appuient cette création protestante de Baden Powell, « catholicisée » au lendemain de la Première Guerre mondiale11. C’est au mois de décembre 1926 et dans la 38e troupe de la paroisse Saint-Dominique12, que, dès avant sa rencontre avec l’abbé Lorenzo, Madeleine Delbrêl avait fait ses premiers pas dans le scoutisme13. Elle y resta engagée jusqu’à son départ à Ivry en 193314. Il est donc intéressant de chercher comment ces neuf ans passés par Madeleine comme cheftaine de louveteaux et dans d’autres responsabilités, ont influencé sa vie et sa pensée. Ce mouvement, « un des mouvements de jeunesse qui aura le plus marqué notre siècle15 », comme le dit encore Gérard Cholvy, a nécessairement laissé des traces dans sa vie spirituelle. C’est ce que nous allons essayer de chercher.

1. G. CHOLVY, M.-T. CHÉROUTRE, Le scoutisme. Quel type d’ hommes ? Quel type de femmes ? Quel type de chrétiens ? Paris, Cerf, 1994, p. 498.

2. On donne habituellement comme fondateurs du scoutisme en France : Jacques Sevin, le chanoine Cornette, Paul Coze et Édouard de Macedo.

3. J. SEVIN, Le scoutisme, étude documentaire et applications, Paris, Spes, 1922, 338 p.

4. G. CHOLVY, « L’essor du scoutisme », in G. CHOLVY, Y.-M. HILAIRE, Histoire religieuse de la France contemporaine, 1880/1930, Toulouse, Privat, 1986, p. 378.

5. G. CHOLVY, M.-T. CHÉROUTRE, Le scoutisme . Quel type d’ hommes ? Quel type de femmes ? Quel type de chrétiens ?, op. cit., p. 498.

6. G. CHOLVY, « L’essor du scoutisme », op.cit., p. 382.

7. Ibid., p. 380.

8. P. DONCOEUR, Routiers, Paris, Art catholique, 1926, 181 p.

9. G. CHOLVY, « L’essor du scoutisme », op. cit., p. 379.

10. L’abbé Jacques Lorenzo est né le 31 juillet 1893 à Fontaine, en Isère. D’après Bernard Pitaud, « dès son adolescence, il désira devenir prêtre. Entré au séminaire de Saint-Sulpice, à Issy-les-Moulineaux au début d’octobre 1910, il fut tonsuré en 1912 à la fin de sa philosophie et reçut les ordres mineurs en 1913. Entre-temps, il s’était orienté vers le diocèse de Paris. La guerre l’arracha à sa formation. Mobilisé en 1914, il revint au séminaire probablement en 1918, à la fin de la guerre. » Cf. B. PITAUD, « Madeleine Delbrêl et l’abbé Jacques Lorenzo », in G. FRANÇOIS, B. PITAUD, Madeleine Delbrêl, Genèse d’une spiritualité, Bruyères-le-Châtel, Nouvelle Cité, 2008, p. 135. Ordonné prêtre le 29 juin 1921 pour le diocèse de Paris, il entra à la fin de la même année chez les Fils de la Charité, congrégation fondée par le P. Anizan. Après un an de noviciat, il fut nommé vicaire à la paroisse Notre-Dame Auxiliatrice de Clichy. Il quitta la congrégation en 1925 et fut nommé vicaire à la paroisse Saint-Dominique, dans le 14e arrondissement de Paris. C’était la paroisse de Madeleine Delbrêl qui s’était convertie un an auparavant. C’est là qu’elle fit sa connaissance et sollicita son accompagnement spirituel à la fin de 1927 ou au début de 1928. Il resta son accompagnateur spirituel jusqu’à son décès en 1958. C’est lui qui l’a initiée à une vie de foi au plein sens du terme : « Il a fait exploser pour moi l’Évangile », dira-t-elle au lendemain de sa mort. Il est certainement le prêtre qui exerça sur elle la plus profonde influence.

11. C. LANGLOIS, G. FRANÇOIS, « La jeunesse d’une assistante sociale : de la poésie au scoutisme », in Vie sociale, nº 3 (septembre 2008), p. 15.

12. Ibid.

13. Cf. G. FRANÇ;OIS, « D’un projet de carrière littéraire au départ pour Ivry », in G. FRANÇOIS, B. PITAUD, Madeleine Delbrêl, genèse d’une spiritualité, op. cit., p. 23.

14. M. DELBRÊL, Humour dans l’amour, méditations et fantaisies, Œuvres complètes, t. III, Montrouge, Nouvelle Cité, 2005, p. 132.

15. G. CHOLVY, « Avant-propos », dans G. CHOLVY, M.-T. CHÉROUTRE, Le scoutisme. Quel type d’ hommes ? Quel type de femmes ? Quel type de chrétiens ?, op. cit., p. 8.

I

L’historique du parcours de Madeleine Delbrêl dans le scoutisme

Pour cela nous ne pouvons pas éviter de la suivre d’abord tout au long de son parcours dans ce mouvement ; notre but cependant n’est pas de nous arrêter à la reconstitution historique des engagements de Madeleine dans le scoutisme. Ce que nous souhaitons surtout, c’est essayer de mesurer comment le scoutisme a contribué à structurer sa personnalité spirituelle, et particulièrement à développer chez elle une spiritualité fondée sur le mystère pascal, puisque tel était le sujet de l’ensemble de notre thèse. Et si nous évoquons d’abord son itinéraire au sein du scoutisme, c’est justement pour montrer comment son engagement profond dans ce mouvement a imprégné sa vie et sa pensée.

1926-1927 : Les débuts de l’engagement scout de Madeleine Delbrêl

Dans une lettre à son amie Louise Salonne1, datée du 23 décembre 1926, Madeleine Delbrêl lui annonce s’être engagée dans le scoutisme ; elle signale l’impact positif de ce mouvement sur les aspects spirituel et moral de la vie des jeunes : « Comme vie active, changement de programme ; pour des raisons multiples qui ne sont pas sans m’affliger, j’ai dû quitter le patronage dont je m’occupais. Sans travail, je me suis décidée à m’engager dans le scoutisme, mouvement en général assez mal connu et qui est une promesse de redressement moral et spirituel pour les générations qui viennent2. » Elle confirme l’époque de son entrée dans le mouvement dans une lettre du 1er juin 1929 au père Marcel-Denys Forestier3, dominicain : « Il y a un peu plus de deux ans que je fais du scoutisme4.» Dans la lettre à Louise Salonne que nous venons de citer, Madeleine parle de ses activités scoutes en notant qu’elle sera cheftaine d’une troupe en janvier 1927 – « je fais exercice sur exercice, je rampe, saute, chante, etc., autant de sports qui m’étaient assez peu familiers, comme tu peux le croire5 » –, de sa troupe à la paroisse Saint-Dominique de Paris. Dans la même lettre, elle écrit : « En janvier, ma cheftaine et moi prendrons possession de notre troupe. » Elle va donc d’abord être sous-cheftaine, en suivant la progression normale des responsabilités, ce qui l’oblige à se soumettre à une formation théorique et pratique : « Mais pour être cheftaine ou sous-cheftaine, ce que je serai, c’est-à-dire chef des plus petits scouts, il faut passer par toute une initiation intellectuelle, pratique et aussi physique6. »

Cependant, sa santé l’empêchera de remplir correctement ses engagements durant plus de deux ans. Opérée en novembre 1927 d’une appendicite chronique détectée un peu plus tôt7, elle reste fragile, et elle confie au père Forestier : « Mais des raisons de santé ne m’ont guère permis de m’en occuper de façon suivie que depuis cette année8 [1929]. »

1928-1929 : Un engagement intense interrompu par des problèmes de santé

En effet, au cours des années 1928-1929, elle ne peut guère exercer ses activités que de façon intermittente : « Très patraque encore, je peux tout de même reprendre mes enfants [ses louveteaux]9 », écrit-elle à Louise Salonne, le 11 janvier 1928. Mais dès qu’elle le peut, elle s’y donne intensément : « Hier, je suis allée au bois avec ma Meute. Il faisait un temps magnifique, jeune comme mes enfants. Quelle belle chose que ce mouvement scout et comme on se donne à lui avec joie10. » « Je me donne toujours beaucoup au scoutisme11 », dira-t-elle quelques jours plus tard.

Malgré ses problèmes de santé, la valeur de la nouvelle cheftaine est très vite repérée par les responsables du mouvement. Le 6 février 1928, elle annonce à Louise Salonne qu’on vient de lui confier une nouvelle responsabilité : « On vient de me confier un nouveau poste qui me fait un peu peur mais qui doit, je crois, être très intéressant : j’ai droit de regard et d’extension sur le sud de Paris et la banlieue12. » Le numéro d’avril-mai 1929 de L’Île-de-France, revue du scoutisme pour la région du même nom, nous renseigne sur l’étendue géographique du district Paris-Sud. Celui-ci englobe les 7e, 8e, 14e et 15e arrondissements de Paris, et les villes de banlieue – Bourg-la-Reine, Antony, Sceaux, Cachan, Fresnes, Plessis-Robinson, Clamart, Vanves, Issy, Chatillon, Malakoff, Gentilly, Rungis, Thiais13.

Le numéro de décembre 1928 de la même revue constitue une trace administrative de la charge officielle de Madeleine au sein du mouvement. On trouve en effet son nom et son adresse dans l’organigramme régional de la formation du louvetisme en Île-de-France. Dans la colonne de la rubrique des louveteaux, rédigée par Henri Casnier, commissaire chargé du louvetisme dans la province, Madeleine apparaît comme responsable de l’inscription et de la formation des cheftaines de la branche du louvetisme pour le district de Paris-Sud, alors que la cheftaine Suzanne Dollé est commissaireassistante pour la même tâche, mais pour la province, sous la responsabilité du chef Édouard de Macedo14. Une note souligne : « C’est seulement par l’intermédiaire régulier de ces cheftaines que doivent être faites les inscriptions des stagiaires, et c’est de même sous leur gestion que se continue leur formation jusqu’à leur nomination. Ensuite, elles relèvent du district15. » Deux sortes de formation étaient mises en place pour les chefs et cheftaines en fonction de leur expérience16 : pour les stagiaires, une formation première, composée d’une part des cours à la meute Sainte-Marie de la province d’Îlede-France, et d’autre part par des stages dans des meutes désignées par les commissaires-responsables. Pour les chefs de meute, une formation générale était assurée dans la province par le cercle Vera-Barclay et par les réunions des districts. Madeleine évoque ce cercle Vera-Barclay dans sa lettre du 1er juin au père Forestier : « Nous avons sur le plan technique l’expérience de Vera Barclay ; sur le plan religieux, celle de la retraite des cheftaines17. »

Dans sa biographie de Madeleine, Christine de Boismarmin a signalé que les cheftaines qu’elle devait former lui avaient attribué le totem d’« Abeille Joyeuse », qu’elle avait transformé en « À Joie », « montrant par là qu’elle est comme l’insecte qui les emporte dans une ronde effrénée où s’enchevêtrent les chants, les danses, la réflexion et la méditation. Mais elle ne veut être qu’« À Joie18 ». C’est dans cet esprit que le groupe de cheftaines en formation s’était placé sous le patronage de Notre-Dame de Liesse19.

La réponse joyeuse et sans réserve de Madeleine à l’appel des Scouts de France sera vite « interrompue par ses problèmes de santé qui l’immobiliseront tout le printemps et une partie de l’été 192820 ». Dans une lettre à Louise Salonne datée du 18 février 1928, Madeleine écrit :

Mais il [le médecin qui la soignait] m’a déjà prévenue que je dois partir au plus tôt pour trois mois de Paris. Cinq semaines à passer dans une ville d’eau, à fixer. Pougues peut-être. Les établissements sont fermés, mais reçoivent certains malades. Après, il faudra que j’aille ailleurs. Matériellement parlant, la situation que je laisse est un peu compliquée, mais cela n’a pas une grosse importance21.

Les coéditeurs des œuvres complètes de Madeleine avaient signalé, dans une première édition de ces lettres, que cette situation compliquée dont elle parle était liée soit à sa toute nouvelle responsabilité d’animation du scoutisme dans le sud de Paris et sa banlieue, soit à la situation de ses parents22. Quoi qu’il en soit, une question se pose : Madeleine a-t-elle repris ses activités scoutes à l’automne 1928 ou en 1929 ? Les repères qu’elle nous donne elle-même dans sa correspondance ne sont pas toujours aussi éclairants qu’on le souhaiterait. Dans sa lettre du 1er juin 1929 au père Forestier, elle écrit : « Il y a plus de deux ans que je fais du scoutisme, mais des raisons de santé ne m’ont guère permis de m’en occuper de façon suivie que depuis cette année [donc 1929]23. » Si l’année visée par Madeleine est l’année scoute dont la rentrée a lieu en septembre, comme l’année scolaire, elle a repris ses activités à l’automne 1928. C’est ce que dit le père Gilles François quand il souligne que Madeleine ne pourra concrétiser son engagement dans la formation des cheftaines qu’en septembre 192824. En revanche, si Madeleine vise l’année civile 1929, elle n’a repris ses activités que plus tard, dans le courant de cette année ; ce qui explique la note dans la première édition des lettres de cette période, à propos de la lettre de Madeleine à tante Sophie : « Madeleine est en vacances chez sa tante, Mme Alice Mocquet-Junière. Ses activités scoutes ont pu reprendre durant l’hiver [c’est-à-dire les premiers mois de l’année 1929], signe d’une amélioration de sa santé25. » Cependant, même si l’on adopte cette hypothèse tardive, l’expression « de façon suivie » employée par Madeleine dans sa lettre du 1er juin au père Forestier permet d’envisager la possibilité d’une reprise de ses engagements en septembre 1928, d’une manière non suivie et progressive, en raison de sa santé. Ensuite, à partir du début 1929, étant physiquement rétablie, elle aurait repris ses activités d’une façon continue.

Cette hypothèse est compatible avec des notes de la cheftaine Paulette Petit, devenue Mme André Thierry à Paris, dans son journal personnel :

À ma demande, elle m’a expliqué l’origine et les occupations du groupe N.-D.-de-Liesse. D. de V. lui avait envoyé quelques cheftaines à former ; Madeleine pendant deux mois les a réunies une fois par semaine, le soir. Le cours achevé, elles ont voulu continuer les réunions. […] Peu à peu il s’est accru26.

Ces deux mois évoqués par Paulette Petit, avec les mêmes responsabilités que Madeleine pour Paris-Ouest, font partie de l’année scoute 1928-1929. Le journal ne précise pas de quels mois il s’agit. Mais compte tenu de l’hypothèse formulée plus haut, ils doivent se situer en hiver ou au printemps 1929. Madeleine, formatrice des cheftaines, procède à des rencontres hebdomadaires de formation. Elle réunit vingtneuf cheftaines qui lui ont été envoyées pour se former. Après avoir été regroupées en formation une soirée par semaine durant deux mois, les cheftaines voulurent continuer les réunions en se formant en cinq sizaines, ce que précise la cheftaine Paulette Petit :

Elles [les cheftaines en formation] sont vingt-neuf maintenant, groupées en cinq sizaines. Chaque sizaine a ses réunions, toutes amicales, etc. ; comme travail commun ; […] véritable amitié ? Aussi et travail de formation les unes par les autres… De temps à autre, sorties communes, en banlieue, avec une B. A. [bonne action] à faire27.

Tout en se répartissant en cinq sizaines, comme le dit Paulette Petit, la formation développe « une organisation semblable à celle des Routiers, branche aînée des Scouts de France28 ».

Autre activité de l’année 1929 : le camp de louveteaux qui se déroule pendant l’été, dont elle commence à prévoir l’organisation vers le mois de mars, ce dont témoigne une lettre à « tante Sophie » du 2 avril :

Vous êtes bien bonne de vouloir accueillir les Scouts dans vos domaines. Si vous pouviez recevoir mes Louveteaux nous en serions bien heureux. Voici ce dont nous aurions besoin du 15 juillet au 10 août environ :

1º Un hangar ou une grange avec du foin où une quinzaine de personnes pourraient coucher.

2º Un terrain où nous pourrions faire notre cuisine, par conséquent pas trop loin de l’eau potable.

3º Les deux suffisamment séparés du terrain des Scouts pour que nous ne soyons pas ensemble (règlement scout à cause des chefs et des cheftaines et du terrible « qu’en-dira-t-on ».)

[…] Mes enfants seront bien heureux de cantonner en Bretagne…et moi aussi29.

Tante Sophie n’était pas une parente de Madeleine, mais une amie de sa famille, Mme Le Floch, qui possédait avec son mari une grande propriété à Saint-Julien de Quiberon, où s’est déroulé tel ou tel camp de louveteaux organisé par Madeleine.

Le 24 avril, Madeleine envoie à la cheftaine Tillet une carte où elle évoque une retraite des cheftaines et la visite d’un groupe de Guides, avec aussi une allusion à des contacts avec Bourg-la-Reine et Le Plessis-Robinson :

Chère Cheftaine. La retraite des cheftaines commence vendredi et elle me donne quelques occupations sur lesquelles je ne comptais pas. Je remets donc à mercredi prochain ma visite aux Guides et je vous envoie en attendant mon fraternel salut scout. Une « Semeuse » veut bien enfin se charger du Plessis [Le Plessis-Robinson]. Si vous avez une bonne réponse de Bg-la-R. [Bourg-la-Reine] je crois qu’on pourrait l’accepter : elles ne seraient pas trop de deux30 !

Dans le numéro d’avril-mai 1929 de L’Île-de-France31, Édouard de Macedo, le commissaire de la province Paris-Sud, fait part de certaines décisions concernant le district du même nom, prises en accord avec l’autorité diocésaine et le quartier général des Scouts de France. D’abord, Jean Rupp est nommé commissaire du district Paris-Sud. Ensuite, il est question de la répartition des secteurs du district. Le secteur B auquel appartient Madeleine est formé par le 14e arrondissement. Jacques Favrot est désigné comme scoutmestre (chef) de groupe des troupes de Saint-Dominique. Enfin, le même numéro d’avril-mai de L’Île-de-France signale qu’en l’absence du chanoine Cornette et de l’abbé Grangeneuve, c’est l’abbé Jacques Lorenzo qui préside une séance du lundi du cercle Vera-Barclay, lieu de formation permanente des chefs et cheftaines sur la province d’Île-de-France32.

Les 8 et 9 mai 1929, un événement scout national se déroula à Orléans. Il s’agissait d’un grand rassemblement du scoutisme pour le cinq centième anniversaire du passage de Jeanne d’Arc dans cette ville33. Le numéro de mars 1929 de L’Île-de-France34 avait déjà publié le programme officiel des Fêtes du cinq centième anniversaire de l’arrivée de Jeanne d’Arc à Orléans (1429-1929), et en particulier les éléments d’organisation concernant le rallye des Scouts les 8 et 9 mai. Cet hommage national s’étendit sur plusieurs jours, entre le 29 avril et le 9 mai. Mais nous n’avons aucun indice de la présence de Madeleine à cette manifestation nationale.

Le 1er