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Il est des livres où le regard ralentit son balayement de la page, tant la densité des mots porte vers un plus haut. Prendre et reprendre les lignes qui ondulent et fuient tels des frissons.
"Partir, certes, s’évader sans commune mesure. Car le pays réel est le pays rêvé. Sachant que l’ombre rassurante d’un arbre, ou du moins son souvenir, parviendra à canaliser les songes d’un ailleurs… Une clé de ce recueil se niche en effet dans des textes intercalaires, Au pied d’un seul arbre, suivis par un chiffre romain de I à XIII, comme autant de bornes rassurantes sur la via Appia de l’aventure."
Claude Luezior (préface)
Lauréat de l’Académie française
https://claudeluezior.weebly.com/
À PROPOS DE L'AUTEURE
Barbara Auzou est née le 13 mai 1969.
Elle est professeur de lettres en Seine-Maritime.
Passionnée de poésie contemporaine, elle publie de nombreux poèmes dans des revues depuis 2017. (Lichen, Traction-Brabant, Le Capital des Mots, Cabaret, Traversées etc.)
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Barbara Auzou
Mais la danse du paysage
à l’âme de tous mes voyages,
Au cœur de tous mes retours
Ma danse
Platon n’accorde pas droit de cité au poète
Juif errant
Don Juan métaphysique
Les amis, les proches
Tu n’as plus de coutumes et pas encore d’habitudes
[…]
La femme, la danse que Nietzsche a voulu nous apprendre à danser
La femme
Mais l’ironie ?
Va-et-vient continuel
Vagabondage spécial
Tous les hommes, tous les pays
C’est ainsi que tu n’es plus à charge
Tu ne te fais plus sentir…
Je suis un monsieur qui en des express fabuleux traverse les toujours mêmes Europes et regarde découragé par la portière
Le paysage ne m’intéresse plus
Mais la danse du paysage
La danse du paysage
Danse paysage
Paritatitata
Je tout-tourne
Février 1914 - Blaise Cendrars, Dix-neuf poèmes élastiques (1919), in Du monde entier au cœur du monde, Poésies complètes, préface de Paul Morand, Edition établie par Claude Leroy, Poésie / Gallimard, 2006, p. 99
Préface
Il est des livres où le regard ralentit son balayement de la page, tant la densité des mots porte vers un plus haut. Prendre et reprendre les lignes qui ondulent et fuient tels des frissons.
Partir, certes, s’évader sans commune mesure. Car le pays réel est le pays rêvé. Sachant que l’ombre rassurante d’un arbre, ou du moins son souvenir, parviendra à canaliser les songes d’un ailleurs… Une clé de ce recueil se niche en effet dans des textes intercalaires, Au pied d’un seul arbre, suivis par un chiffre romain de I à XIII, comme autant de bornes rassurantes sur la via Appia de l’aventure.
Nous ne savions pas alors qu’avec force à nos bouches éclaterait l’aromate de toutes les légendes… Et que dansent les paysages ! Dans ce train du possible et de l’impossible, un tout premier compagnon : Blaise Cendrars, dont nous avons, en son temps, appris partiellement mais avec ivresse quelques passages de sa Prose du Transsibérien.
Le poète évoquera aussi l’humble René-Guy Cadou ; et, en Algérie, comment s’étonner qu’entre ces murs Camus se réclama dans un sourire du droit d’aimer sans mesure ?
N’étant pas chirurgien des lettres comme Barbara Auzou, je ne me risquerai pas à trop disséquer les images présentes, tout à la fois denses et aériennes. À mon sens, elles sont issues de la magie et du miracle.
Certains bagages sont restés à quai : ponctuations inutiles, majuscules empesées, sauf pour les titres et sous-titres qui gardent ainsi un brin d’aristocratie. Grâce à la richesse de la langue, infuse la ligne non écrite encore du prochain oracle. Senteurs du Moyen-Orient et de civilisations anciennes : en mer de Thessalie j’ai semé mes ex-voto de galets / peints et de miel sur les mythologies de nos peaux. En fait, la terre entière sera sur la carte, du fjord norvégien au lac Titicaca, de l’Écosse aux steppes de Mongolie, du Kenya au Grand Canyon, de Cassis aux âmes ultramarines. Billet sans limite. Mais rassurez-vous : demeure dans le cœur l’ombre tutélaire de l’arbre.
Toi de feu moi de terre qui tremble (…) et ta main comme un rituel cherche ma main. Préside le « je » qui donne tendresse et proximité. La parole est adressée à l’immédiateté d’un « tu » (te conter dans les yeux ce constat sublime de l’état de la vie), quand elle ne devient pas un « nous » à la véracité lumineuse : viens avec moi / nous allons nous taire à tue-tête / et recommencer les eaux.
L’auteure se risquerait-elle à retrouver des eaux bibliques, des eaux lustrales ? Au-delà des horizons diamantés, toujours cet appel des choses fondamentales.
L’on se surprend à chuchoter ces textes, à les psalmodier entre silence et murmures sacrés. Pour en goûter encore davantage la musique, les effluves, les respirations internes : histoires muettes que l’on entend auprès des pierres.
Itinéraire de longue haleine, dans une langue tierce : celle de la poésie. Au final, je m’éloigne des maçons du passé de tout ce qui brûle les passereaux. Les frissons du voyage font place à un retour bienfaisant, au pied d’un seul arbre (…) où j’empoigne le chant de mille oiseaux.
Claude LUEZIOR
Danse photogénique
Et ivre en plein ciel
Tout est rythme
Et les destinations
Ne sont que les étapes
Dont se compose
L’éternel ravi
De son propre voyage
Nomadisme d’un amoureux permanent
Images simultanées
Bien plus que successives
Cartes postales de l’instant
Sans aucune logique de route
Point dans l’espace entre Madère
Et les îles Cook
Éternité de l’éphémère
Que contredit partout
L’arbre que l’on s’est choisi
À l’âme de tous mes voyages,
Au cœur de tous mes retours,
Il y aura
puisque je te le dis
au bout des routes
jonchées de tessons de bouteilles
et de chevaux fourbus
comme autant de balises
à nos yeux avertis
de tout ce qui tremble
de tout ce qui s’enlise
la simple merveille
d’un tapis nu sauvé des déroutes
Nous y rirons ensemble
nous passant de main en main
le caillou rond de nos vies
et la grande fatigue de nos valises
Au pied d’un seul arbre I
ici commence le territoire
le retrait effronté des plus belles fleurs a ouvert des volières
le sang s’est fait plus léger comme des taches de soleil sur l’enfance
dans le luth des respirations en renaît l’ardeur et cet amour qui va
au-delà toujours de ce qu’il aime
la lune dans nos paumes enchâssées nous a fait un corps de tendre laine
et d’écorces
chercheuses d’or et de silences occupées à caresser le cercle parfait
des heures hautes
concluant une paix avec la nécessaire frivolité du voyage
nous ne savions pas alors qu’avec force à nos bouches éclaterait
l’aromate de toutes les légendes au pied d’un seul arbre
Fresques de Knossos / Crête
Commencer notre visage
nous voilà revenues bois rouge au seuil du sensible
viens commencer notre visage contre les colonnes
renversées
des certitudes laisser l’âme dédalique boire la fleur de son cru
l’eau des premières civilisations a des clameurs
entrechoquées
tolérantes comme la main d’un enfant qui tient la promesse d’un voyage parfait
l’île mémoire aux multiples baies bâille désormais sur des puits de lumière
Fresques de Tarquinia / Toscane
Terracotta
Là
la tombe des lionnes et celle des taureaux
là
le cheval échevelé qui pivote pour prendre
l’espace
terracotta sur le haut-relief de la peau
un profil ancien sur nous parfois se pose
et ces animaux que l’on croise nous lancent des énigmes
leurs gestes posés et leurs inlassables signes
et tout ce qui ne peut se dire c’est autant de couronnes
d’étain vulnérables que je glisse dans ta main
et le vent clair de Toscane les emporte sans laisser
de trace
dans la lumière qui te regarde exister
Mer des oliviers / Grèce
Fruits d’huile et d’étoiles
Quand deux enfants caressent la sagesse d’un olivier
l’oiseau flèche rapporte qu’il leur façonne un coeur unique et entier
conforme à leur attente et qu’il leur grimpe des poèmes comme des fruits
d’huile et d’étoiles qui se balancent dans les grandes nuits
de l’Olympe
ils sont les convives sans apprêt de leur propre faim
ils sont l’oreille sans crainte sur l’écoute blessée des fonds marins
par le trou noir d’un soleil d’incendie par le pays donné en récompense
ils vont sequins d’or jusqu’à la cannelle des cheveux infuser
la ligne non écrite encore du prochain oracle
Météores / Péloponnèse
Météores
tous les vains rideaux de nos vies sont nichés
désormais dans une antichambre un repli quelque part
en mer de Thessalie j’ai semé mes ex-voto de galets
peints et de miel sur les mythologies de nos peaux
il y avait des blocs arrondis en plein ciel des cordes
et des échelles pour les mots et tous les élans qui
s’accomplissent
on a ri devant le pain de sucre de nos âmes à peine entaillé
par la lame des saisons qui avait sculpté ces parois lisses
contre des arbres debout sur une seule jambe tremblants
séculaires et tout en visions
Grand Canyon / États-Unis
Renard gris
le renard gris de ton insolence heureuse
dans les mailles déraisonnables de mon esprit
je crois bien que ce soir-là avait une saison de plus
dans les Rocheuses et le feu sous nos pas témoignait
du silex
sous le défi d’un ciel toujours ouvert
quand je parlais avec lui je te parlais aussi
le langage des pierres qui vous creuse à la gorge
tu répondais avec ton langage à émettre des oiseaux
au-dessus des cactus
et ce pays devenait habitable puisqu’il avait ta forme
La Réunion
Ultramarines
je rêve jusqu’à la source de nos âmes ultramarines
je regarde minuit dans les yeux tandis que les étoiles
à l’horizon s’attardent entre deux ravines le tec-tec
quitte sa canopée il vient pour l’épi et pour le chant
le jardin avec enfant l’obstination qu’il lui devine
à épeler l’écriture au pied de l’arbre calciné du langage
et moi je viens à la nage je m’obstine à laisser
les herbes nous envahir les galops d’eau nous recouvrir
au détour de leurs récifs frangeants
Kenya
Pigments
désormais plus rien en nous ne s’inquiétera
de la poussière
et de sa lente saturation dans le ciel
il y a dans la crinière des grands fauves
que tu m’offres comme territoire
d’irréelles pesanteurs où j’empoigne le rêve
avec l’étendue de son verbe
dès à présent la mémoire dans la chair
devient le pigment le plus clair
du règne animal
et la beauté s’émonde tendue
entre deux gazelles
Cap-Vert
Au soleil de son propre phénomène
Dans les luxuriantes vallées où je t’emmène
les multiples sens à la vie que l’on convoque pour se
rassurer
rient de palmiers en palmiers comme des pudeurs
hautement vantées
et les oiseaux dans les vents descendants chantent un fado de gommiers
bleus qui épelle à vif les râles des volcans
viens maintenant dans les cordes pincées des herbes hautes je vais
te conter dans les yeux ce constat sublime de l’état de vie qui naît
d’un état de guerre doucement chauffé au soleil de son propre phénomène
Cap-Vert II
Versant clair
Entre solitude océanique
et mélancolie insulaire les mornas du coeur
lancent leur chant de mer à l’amante unique
l’eau et ses périples de mains en itinérance
dans deux masses d’azur et laquelle des deux
méduse l’autre quand la nuit grimpe dans sa hâte
d’envahisseur
avec son hoquet heureux d’enfance lancé en plein ciel ?
je soliloque dans le versant clair de ma voix abrasive
et j’investis tes yeux je prends le cap d’une tendre habitude
chahutée d’imprudences marines
Île de Pâques
Les vieux enfants de basalte
Comment ignorer ce qui frappe à la porte
et l’or sombre de la voix à l’aube accordé
sais-tu que l’on meurt parfois de ne pas avoir connu
son double et que l’on guette le croissant de l’espoir
dans chaque nouvelle lune de vieux enfants de basalte
écoutent le passage du vent sa caresse dans les runes
espérant le retour toujours différé de la sterne noire
sans jamais se poser la moindre question
dans les coulures bouclées de nos âmes nous leur devons
bien l’îlot dépossédé de quelques chansons
Les Îles Marquises
La peau sans fin
de ces archipels de silence tu me dis les bêtes transies
qui s’y pressent en hiver et la peau sans fin
les tessons verts de leur rayonnement dans les toiles
de Gauguin
et l’espace d’un cri dans la paume septentrionale
son odeur d’encens
je vois monter dans l’arbre à pain
les fourmis moissonneuses et tranquilles
de nos lendemains