Maman Aurore et Papa Soleil - Serge Revel - E-Book

Maman Aurore et Papa Soleil E-Book

Serge Revel

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Beschreibung

Jules et Paul sont deux enfants, deux frères que tout oppose même et surtout l’amour de Yolande, leur mère, un amour que Jules recherche désespérément jusqu’à s’inventer des parents aimants. Dans une famille déchirée, hantée par la mort brutale d’Anna, la sœur de Yolande, Jules, avec son ami Remzi, le fils de l’épicier turc, cherche à connaître la vérité sur la disparition tragique de sa tante. C’est dans la maison et le village breton de ses grands-parents, qu’il commencera à comprendre.

Une quête tragique, une écriture légère, les mots qui dansent et chantent les émotions d’un enfant qui voudrait tellement comprendre ce drame familial que l’on veut cacher et oublier.

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Serge Revel

BIBLIOGRAPHIE

Aux Editions Encre Rouge

Dialogue avec mon mainate 2018

Au sculpteur de rêves 2018

Le fou de dieu et le rêveur d’étoiles 2019

Rivière Eternité 2020

Aux Editions du Rouergue

Les frères Joseph 2013 (Prix Claude Farrère en 2014) Paru en poche en 2015

Le maître à la gueule cassée 2014

Chemins de liberté2015

Les grandes évasions de Paul Métral 2016

Chez d’autres éditeurs

Entre les temps d’ombre Poésie Lyon 1987

Le vieux, la jeune fille et le capitaine Editions Michalon 1996

Le fils du dieu soleil Editions des écrivains 1998le bonheur est si délicatement fragile Essai. Editions CLC 2002

Le silence des larmes Editions Edilivre 2016

Le juge et le cuisinier Editions Les Chemins du hasard 2018

Le ministre, la grippe et les poulets Editions Le chant de l’aube 2007

J’ai commencé à naître un peu avant trois ans. Je ne sais exactement quand mais ce dont je suis certain c’est que c’était avant mon anniversaire. Quand je dis naître, c’est avoir des souvenirs parce qu’avant je suis incapable de dire ce qui s’est passé, ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu, entendu. Il paraît que c’est enfoui en soi mais j’ai beau creuser, je ne trouve rien, absolument rien.

Plusieurs choses m’ont profondément marqué et sont comme un paysage autour de moi, un décor que je ne suis jamais arrivé à écarter vraiment. Elles me font encore peur et me font toujours souffrir aujourd’hui…

Tout d’abord celle de l’ombre, de la nuit. Tout était sombre, la maison cachée derrière une colline qui masquait le peu de soleil qui n’atteignait le jardinet que quelques petites heures en été, la cuisine, ma chambre qu’éclairait faiblement et en permanence une ampoule qui libérait une lumière d’un jaune pisseux. J’ai pris peur de l’ombre et de la nuit. Comme j’ai pris peur du feu lorsqu’un incendie s’est déclaré dans une maison voisine. Fascinant mais surtout effrayant. Maman nous portait dans ses bras, Jules et moi, pour nous empêcher de courir vers les flammes… C’est la seule fois où j’ai dû être dans les bras de maman… avant, je ne sais pas mais après ce jour, jamais… jamais… J’ai pourtant essayé mille fois mais elle me repoussait, jamais méchamment mais visiblement elle n’avait pas envie de s’embarrasser de moi. Je quêtais un baiser comme je voyais faire les mamans dans le petit parc où une fille sans tendresse, une étudiante sans doute payée par mes parents pour s’occuper de moi, me conduisait tous les jours.

Et puis il y a surtout ce mystère qui a grandi au cours des années, la disparition brutale de tante Anna, la sœur de maman, une disparition qui semblait mettre tout le monde mal à l’aise, qui provoquait colères et silences.

La nuit et l’ombre, la peur et la fascination du feu, l’absence et la quête désespérée d’amour et surtout cet effrayant mystère, voilà ce qui m’a profondément marqué aux premiers jours de ma conscience. Je replonge dans mon enfance. Reviennent les images, les mots, les visages, les peurs, les joies, les rêves et surtout, surtout les questions.

Maman

Maman est très belle, c’est ce que tout le monde dit. Il suffit de suivre le regard des hommes lorsqu’elle se promène en ville avec mon frère Jules et moi… Mon frère qu’elle tient par la main et moi qui les suis. Je vois bien les hommes s’arrêter et se retourner ! Maman est grande, toute fine, avec des jambes qui n’en finissent pas. Elle est aussi blonde que les poupées Barbie qui sont exposées dans la vitrine du magasin de jouets du coin de la rue.

Oui, maman ressemble vraiment à une grande poupée Barbie, avec ses lèvres peintes, ses yeux dessinés. Je la vois tous les jours ajouter des grands cils noirs qui font ressortir ses yeux bleu si pâle qu’on dirait presque de l’eau. Elle s’ajoute aussi des ongles aux doigts, des ongles très longs et de couleur différente selon les jours. Bleu le lundi, rose le mardi, vert le mercredi, jaune le jeudi, noir le vendredi, blanc le samedi et rouge le dimanche. Comme ça je sais vraiment quel jour on est ! C’est comme pour ses robes et ses manteaux. Elle a ses couleurs suivant les jours. Maman s’habille toujours comme une princesse avant de partir travailler. Elle est secrétaire de direction d’un grand groupe, c’est ce qu’elle répète souvent comme si c’était important, secrétaire d’un grand groupe dont je n’arrive pas à retenir le nom tant il est compliqué et puis je m’en fiche d’ailleurs.

Maman ne m’aime pas, c’est tout ce que je sais. Je l’ai bien compris quand j’ai vu, au parc, les autres mamans. Les mamans disaient à leurs enfants : ma chérie, mon chéri, mon amour, mon cœur, mon ange… Elles les embrassaient, les prenaient dans leurs bras où ils venaient se jeter, les yeux riant de bonheur. Je les regardais comme s’ils arrivaient d’une autre planète. Et ce soir-là, lorsque maman est revenue de son travail, j’ai couru vers elle pour me jeter moi aussi dans ses bras qu’elle n’ouvrait jamais. Ça ne va pas, Paul ? Qu’est-ce qui te prend ? Fiche-moi la paix ! On dirait une sangsue ! T’es collant, Paul !

Paul… J’ai toujours détesté ce prénom, celui de l’oncle Paul, le frère du grand-père de papa, un vieux tout ridé aux yeux morts comme ceux des lapins qu’il tuait toutes les semaines. Paul… c’est bête comme prénom, ça sonne mal, ça ne donne pas envie d’exister. Juste de vivoter comme le vieil oncle baveux, l’horreur quoi, beurk… Et puis ce prénom imbécile, il sert à quoi ? À interdire… ou à obliger… Paul, ne touche pas à ça… Paul, ne monte pas sur… Paul, qu’est-ce que je t’ai dit… Paul, tu ne dois pas… Paul, qu’est-ce que tu m’as encore fait ? Paul, tu vas manger… Paul, tu vas te coucher, Paul tu vas… Oui, ça sonne mal et ça donne aussi envie de se révolter si on a un peu de caractère.

Maman préfère mon frère Jules. Encore un prénom imbécile ! Oui, elle le préfère car lui il peut l’embrasser comme il veut. Elle l’appelle mon petit Jules, mon Juju… Et moi c’est : Paul-encore dans mes pattes !

J’aimerais mieux qu’elle ait des pattes, maman, qu’elle ressemble à la chienne du voisin qui vient se faire câliner. Elle est toute noire avec des poils longs qui sont tout doux. Je la prends dans mes bras et elle me lèche avec sa grosse langue baveuse. C’est dégoutant, Paul ! File te laver ! Je me lave tout seul. Jamais maman ne vient avec moi comme elle le fait avec papa. Je les entends dans la salle de bain ! Ils rient tous les deux. Ça me fait mal de les entendre. Au début, j’ai pleuré mais j’ai vite compris que ça ne servait à rien. T’arrêtes de chougner, Paul ! T’as vu ta tête ! File dans ta chambre et mouche-toi !

Maman lève souvent le bras avec un torchon mouillé au bout de la main. Mais qu’est-ce que tu as encore fait, Paul ? Tu es impossible Paul ! Qu’est- ce qui m’a fichu un abruti pareil ! Je t’avais interdit de… Tu n’as pas le droit de… Mais regarde-toi ! Tu es laid, Paul ! Tu pues, va te laver, petit porc ! Arrête de chougner pour un rien ! Chougner, c’est un mot qu’elle adore pour parler de moi.

C’est vrai qu’au plus loin de mes souvenirs, j’étais une fontaine. Mais quand j’en ai pris conscience, j’ai fermé une bonne fois les yeux et je n’ai plus jamais pleuré, même quand elle me frappait avec son torchon, plus jamais. Je la regardais seulement, fixement. Ça la mettait encore plus en rage. Tu arrêtes, Paul ! Tu arrêtes de me regarder comme ça ! Tu me fais peur, Paul ! Plus aucune larme. Juste mes yeux pour la tuer. J’avais vu à la télévision un film où l’héroïne fixait ses adversaires de ses yeux bleus et tous baissaient la tête, aussi penauds qu’Olga, la chienne du voisin, Kémal Kérulu, qui la punissait quand elle faisait tout plein de bêtises comme son fils Remzi, mon copain. Oui, je crois bien que maman avait peur. Elle n’a plus levé son torchon. Elle se contentait de mots méchants mais je m’en fichais totalement.

Un jour, je l’ai entendue dire à papa : je n’en peux plus de ton fils ! Il est effrayant ! Tu as vu son regard ? On dirait qu’il veut m’assassiner ! Je n’ai pas compris ce que papa a répondu mais ça l’a mise en fureur. Elle est sortie en claquant la porte et papa est venu me voir, m’a pris dans ses bras et m’a dit qu’il me comprenait mais qu’il fallait essayer d’être gentil avec elle, que c’était ma maman, qu’elle avait eu une vie compliquée et que ce n’était pas forcément de sa faute, que je comprendrai plus tard…

Papa

J’aime mon papa. Il s’appelle Jean, mais personne ne l’appelle par son prénom et surtout pas maman. Il est presque aussi haut que la porte et, quand il me met sur ses épaules, je touche le plafond ! Il est tout grand et tout musclé comme Raphaël Nadal. Il lui ressemble tellement, surtout quand il met son bandeau sur la tête pour faire son sport dans le garage. Je m’assieds sur la marche et je le regarde. Il fait des pompes, saute à la corde, pédale sur son vélo, se couche sur le dos pour faire rouler ses jambes, respire fort, souffle, écarte les bras, les jambes, sautille, se hisse à la force des bras accroché à une barre qu’il a coincée dans la trappe du grenier, au- dessus du garage, se met à quatre pattes, lève un bras, puis l’autre, pareil pour les jambes, fait la roue, le pendu… Il transpire beaucoup, il est tout rouge quand il a terminé. Papa est un vrai sportif. Il va aussi trois fois par semaine au judo. Il me dit à chaque fois : quand tu seras grand, tu pourras t’entraîner comme moi… C’est toujours quand je serai grand, avec lui.

Papa joue de temps en temps, avec moi et mon frère Jules, le dimanche, dans le jardin ou plutôt dans le bout de pré qu’il a acheté dans la banlieue de la ville. On y va tous les quatre. On a construit une cabane, on fait un feu avec des brindilles ce qui met chaque fois maman en colère. Tu sais que c’est interdit ? On va se faire prendre ! Mais papa s’en fiche. Il hausse les épaules et rajoute du bois en me faisant un clin d’œil. J’aurais tant aimé jouer avec lui tous les dimanches… Parfois maman ne vient pas et c’est bien mieux car on peut tout faire mais Jules raconte tout à maman et on se fait disputer.

Papa ne parle pas beaucoup. Un peu avec moi et Jules. Il nous prend parfois dans ses bras et nous dit : mes enfants, mes garçons, mes grands. Il ne parle plus dès qu’on est tous ensemble avec maman. Il ne lui répond même pas quand parfois elle s’adresse à lui. Je le comprends. Elle crie tout le temps et papa, ça doit l’énerver. D’ailleurs il part très vite. Dans son bureau, dans le jardin ou même dans la rue. Parfois il s’en va même le soir faire du sport ce qui met maman en colère. Elle lui crie : c’est ça, vas-y, ne te gêne surtout pas !… Je ne sais pas ce qu’elle veut dire. Mon frère Jules se précipite dans ses bras et moi je suis tout triste parce que papa est parti et je reste muet. Je regarde le vide. C’est pratique, le vide, parce que c’est comme si on n’était plus là. Ça met maman en fureur. T’es bien comme ton père ! Deux sourdingues ! Pas un pour racheter l’autre ! Alors je pars en claquant la porte, comme papa. ! Moi, je suis fier de ressembler à papa et ça me rend plus fort.

Papa reste toujours silencieux quand nous sommes tous les quatre, c’est-à-dire le soir ou les dimanches, au moment des repas. Je voudrais dire plein de choses sur papa-Silence, c’est comme ça que je l’ai appelé. Mais c’est difficile de parler de l’absence. Il revient très tard chaque soir, sans dire un mot, m’embrasse sur le front et soupe si silencieusement que je n’entends que le petit chlac de la cuillère dans l’assiette de soupe. Il ne nous regarde pas, maman, Jules et moi, à peine un léger sourire quand il se lève de table pour disparaître jusqu’au lendemain soir. Il m’impressionne, papa-Silence. Et surtout il a un air si triste, sauf quand il fait son sport, que j’ai envie de le prendre dans mes bras pour le consoler. Moi qui rêve d’un papa-Soleil comme j’en vois de temps en temps au parc, qui jouent au ballon avec leurs enfants, qui les portent sur leurs épaules en faisant le cheval, hennissant et éclatant de rire. Il n’y a qu’au jardin, quand on est tous les deux, qu’il s’amuse vraiment avec moi.

Papa part tous les matins avant que je me lève et il rentre tard le soir. Il travaille dans une clinique vétérinaire parce qu’il aime les animaux, lui qui aurait voulu être paysan, et ramène à la maison des blouses vertes avec son nom inscrit sur une petite bande rouge. Il travaille même les samedis. Plusieurs fois, le soir, quand nous sommes couchés Jules et moi, je l’ai entendu répondre à maman qui lui reproche son absence perpétuelle. Je gagne notre vie. C’est bien ce qui t’intéresse, non ? De quoi tu te plains ? Elle a beau élever la voix, le harceler, il ne répond qu’une chose : tu sais pourquoi. Elle dit : tu ne vas pas me pourrir la vie avec ça ! Tout est de ta faute, tout ! Un soir il lui a dit que ça suffisait, qu’il allait tout raconter, qu’il n’en pouvait plus. Qu’il allait partir parce qu’il ne l’aimait pas, qu’il ne l’avait jamais aimée. Elle s’est mise en colère et l’a menacé de je sais pas quoi, je n’ai pas compris. Je suis malheureux pour papa car il est si gentil avec moi.

Heureusement, c’est moi qu’il préfère. Je le sens bien. Il me sourit souvent, me prend la main, caresse mon front et, même s’il ne dit rien, je sens bien qu’il m’aime plus que Jules, beaucoup plus.

Moi

Je suis rouquin comme les renards qu’on voit sur les livres. Avec plein de taches marron sur tout le corps, des milliers de taches qui se touchent presque, surtout sur mon visage. Moi, je trouve ça plutôt rigolo mais maman, mon frère Jules et mes copains de l’école n’aiment pas. On dirait que ça les effraie. T’es le fils du diable ! me dit souvent maman, ce qui semble agacer papa qui lui aussi a des petites taches sur les joues et le nez.

J’ai des yeux tout bleus. Un beau bleu lagon, dit papa. Comme ceux de ta grand-mère et de tante Anna. Quand il prononce son nom, il a un drôle de regard, tout triste. Tante Anna, je ne l’ai jamais connue mais je vous dirai un jour ce que je sais. Papa aime la couleur de mes yeux. Tu me donnes envie de voyager, mon Paul. C’est ce qu’il me dit souvent. Un bleu d’enfer, crache maman. Je crois surtout que ça lui fait peur, surtout quand je la regarde fixement, sans rien dire. Elle dit souvent à papa : ton fils est effrayant, son regard c’est pire qu’un fusil. S’il pouvait tirer, il le ferait ! Parfois elle tente de me regarder mais c’est toujours elle qui baisse les yeux. C’est amusant. J’ai essayé avec ma maitresse, les élèves de ma classe. Ça marche toujours !

Je suis plutôt petit pour mon âge et vraiment tout maigre, ce qui me fait une grosse tête. Et en plus il est laid, dit maman lorsqu’elle est en colère, ce qui lui arrive tous les jours. Il serait noir, on le croirait sorti d’un camp de réfugiés ! Moi, j’aimerais bien parce que je pourrais être adopté par une autre maman comme je l’ai vu à la télévision dans un reportage sur les guerres et la famine en Afrique. Pourtant je mange beaucoup et tout ce que je trouve. Ton fils, ce n’est pas un estomac, c’est un tube digestif, dit maman lorsqu’elle me voit dévorer à table. Elle cuisine juste ce qu’il faut pour qu’il ne reste rien dans les plats. Je la soupçonne de le faire exprès pour me punir. De quoi ? Je ne sais pas mais c’est comme si j’étais coupable de tout, toujours.

J’ai aussi les oreilles écartées, comme des choux-fleurs, dit aussi maman en prenant un air dégouté. C’est pratique parce que ça me permet de tout entendre, même ce qu’il ne faudrait pas. C’est peut-être aussi parce que je suis curieux ou plutôt parce que je voudrais bien comprendre ce qui se passe entre papa et maman. Ils se disputent souvent, maman crie puis quand j’apparais elle chuchote comme si elle voulait me cacher quelque chose. Et toujours papa me prend la main ou me regarde avec son gentil sourire pour me rassurer. Mais j’ai beau coller mon oreille aux portes, me cacher sous la table ou derrière les rideaux, dans le placard à balais ou dans la penderie, je n’arrive pas à comprendre ce mystère. Je me suis fait surprendre plusieurs fois… Regarde-moi ce petit sournois, il nous espionne ! hurle maman. Il joue, répond papa. Tous les enfants jouent à cache-cache.

Je suis peut-être petit, vilain, rouquin, j’ai peut-être des yeux méchants et des oreilles écartées, mais je suis intelligent. C’est ce que dit ma maitresse qui m’aime bien même si je l’effraie aussi. Il comprend tout si vite, c’est ce qu’elle a dit un jour à maman devant moi, qu’il me fait peur parfois. Il n’a pas le niveau d’un enfant de son âge. Il a appris à lire et à compter en trois mois, il lit couramment et il me fait des réflexions d’un gosse de douze ou treize ans ! Il est mûr, trop mûr pour son âge ! Je ne sais pas ce qu’elle a voulu dire par là, mais je n’aime pas trop quand les fruits sont mûrs parce qu’ils pourrissent trop vite après. Je les préfère un peu verts. Enfin, c’est pour vous dire que Paul est surdoué, a chuchoté la maitresse, et ça risque de vous poser des problèmes un jour. Ça m’en pose déjà, a répondu maman, qui depuis ce jour me regarde étrangement, comme si j’étais dangereux.

Mais, je l’ai dit, je suis surtout curieux. Je fais semblant de dormir, je me cache sous la table, dans le placard, j’écoute aux portes, je fais semblant d’être passionné par un jeu. Mais j’écoute, j’écoute tout ce qui se dit autour de moi. Entre papa et maman, chez grand-père et grand-mère, dans leur village, à l’école entre maman et la maitresse. J’écoute parce que je suis sûr qu’il y a un secret, un mystère, quelque chose de grave qu’on veut me cacher à tout prix. Plusieurs fois, j’ai demandé maman si c’était de moi dont elle parlait à voix basse mais elle s’est mise en colère. Tu n’es pas le centre du monde, Paul ! Tu m’ennuies avec tes questions ! Et puis même si c’est de toi dont on parle, j’en ai bien le droit, non ? Tu es mon fils !

Ce qui me fait plein de questions dans ma tête, c’est que chaque fois, lorsqu’elle se rend compte que j’écoute, elle parle d’autre chose, elle semble gênée ou agacée. Il faudra que je trouve une solution pour savoir enfin ce qui se cache derrière les quelques mots qui reviennent sans cesse : si j’avais su, regrets, si tu dis la moindre chose, accident, tu aimerais bien qu’elle revienne… De qui parle-t-elle ? De quoi ? Je sens seulement qu’entre papa et maman il y a quelque chose d’effrayant. Et même lorsque je suis chez grand-père, quand je pose des questions, il y a des silences qui sont si terribles que même les sourires et les mots doux de grand-mère n’arrivent pas à les effacer.

Papa et maman

Papa et maman n’ont pas le même nom. Papa s’appelle Jean Gueguen et maman Yolande Treguenec. Quand j’ai demandé à papa pourquoi ils n’avaient pas le même nom, il m’a répondu que c’était parce qu’ils n’étaient pas mariés.

⸺ Pourquoi vous n’êtes pas mariés ?

⸺ Et pourquoi tu voudrais qu’on soit mariés, Paul ? Ça ne change rien, et ça complique même les choses quand on veut se séparer.

⸺ Vous voulez vous séparer ?

⸺ Non… mais tu sais, dans la vie mon garçon…

J’ai bien senti que quelque chose n’allait pas parce que papa était tout gêné pour me répondre. Entre papa et maman, c’est toujours la guerre. Ils se disputent pour tout. Ou plutôt maman dispute papa qui ne répond presque jamais, ou alors il dit seulement : ça suffit maintenant, Yolande ! Et il s’en va dans sa chambre, ou il sort. Maman lui crie qu’il est un lâche parce qu’il fuit toujours mais je le comprends ! Quand maman est en colère, on ne peut rien dire tellement elle crie, c’est comme si on recevait des coups. Rien ne lui plait. Chaque fois que papa parle ou fait quelque chose, ce n’est jamais le bon moment, jamais ce qu’il faut dire. On dirait qu’elle lui en veut. Elle a toujours des vilains mots à la bouche et ça fait tout drôle parce qu’elle est jolie, maman. Je croyais que les vilains mots c’était pour les femmes vilaines, grosses et mal peignées, comme la maman de Jérémie qui a toujours une vieille cigarette au coin de la bouche et s’habille avec des vêtements si collants que ça lui fait plein de gros boudins sur le ventre et les jambes. Quand elle parle, elle ne sort que des gros mots qui la font rire, et Jérémie a honte comme j’ai honte quand maman traite papa de salaud, de fumier, de pourriture, de pisse-vinaigre, de merde, de crevure, de lâche, de plein d’autres mots que j’oublie vite parce qu’ils sont vraiment méchants. Quand papa n’en peut plus, il dit : si tu continues, je m’en vais. Elle lui réplique toujours : c’est ça, dégage et tu emmènes ton fils ! Il lui répond qu’il a deux fils et qu’il les emmènera tous les deux. Parfois il ajoute : Je vais raconter tout ce que je sais, Yolande… Ça la fait rire et elle lui crache toujours avec son air méchant : chiche ! Tu n’en es même pas capable car tu sais bien ce que tu risques ! Là, j’avoue que je ne comprends plus. Quand j’ai demandé à papa ce que maman veut dire, il me chuchote, comme s’il avait peur qu’elle l’entende : elle veut faire son intéressante. N’y prête pas attention, Paul. Tu sais comme elle est.

Parfois papa et maman se réconcilient. C’est-à-dire qu’elle ne lui crie plus dessus et qu’ils arrivent à parler normalement. Enfin presque, parce que très vite maman se remet à parler fort ou papa recommence à se taire ou s’en va. Et ça repart ! Tu es un lâche, Jean ! Tu refuses toute discussion ! Et les mêmes mots reviennent toujours ! De quoi veux-tu qu’on discute ? Tu veux toujours avoir raison ! Jules préfère ne rien entendre et court dans sa chambre. Moi, je me fais tout petit, ou je vais dans le couloir et j’écoute.

Chaque fois qu’ils se disputent, papa dit qu’il va partir définitivement et qu’il emmènera ses enfants. Ça fait hurler maman qui lui répond : emmène ton Paul mais Jules, je te l’interdis ! Je sais qu’elle ne m’aime pas et ça ne me ferait rien de partir définitivement avec papa. Mais lui il veut emmener ses deux garçons même si c’est moi qu’il préfère. Un jour, elle a tellement crié que j’ai eu peur qu’ils se battent. Papa lui a dit : un jour je raconterai tout, tout parce que moi je n’en peux plus de me taire ! Elle lui a hurlé qu’il n’avait qu’à essayer, qu’il ne verrait jamais plus ses enfants. Toi aussi, lui a répondu papa très calmement mais très fort.

Je ne suis jamais arrivé à savoir ce qu’ils veulent vraiment dire quand ils parlent comme ça de tout raconter, de ne plus nous voir. On croirait qu’ils jouent à se faire peur et moi, ça m’inquiète beaucoup mais je ne veux pas le montrer. Lorsque j’ai raconté à grand-mère qu’ils se disputaient toujours et que papa répète qu’il va partir et tout raconter, elle a répondu : mon Dieu, j’espère qu’il ne le fera jamais ! Qu’est-ce que papa veut raconter, grand-mère ? Rien, rien, mon petit. Ce sont des histoires d’adultes, des disputes stupides. Mais toi, grand-mère, tu ne te disputes jamais avec grand-père ! Ça nous arrive, mon Paul, mais ça nous passe très vite ! Et elle s’est mise à rire et je n’ai rien pu savoir de plus.

Un jour, comme ils se disputaient encore plus fort que les autres, papa a redit qu’il allait partir et très vite. Alors tu gardes Paul et moi Jules ! a hurlé maman. Ce sont nos deux enfants ! a dit papa. Je sais que tu n’aimes pas Paul, a ajouté papa. Tu sais bien pourquoi, a répondu maman. Mon pauvre Jean, arrête de faire comme si rien ne s’était passé, arrête de jouer la comédie !

Alors là, je n’ai vraiment rien compris, rien ! Ils se disputaient à cause de nous et j’ai bien vu que maman ne m’aimait pas mais que papa nous aimait tous les deux, mais je ne vois pas pourquoi elle a parlé de comédie et de ce qui s’était passé ou pas passé.

Le feu et la nuit