Maman volée - Nuria Iniesta - E-Book

Maman volée E-Book

Nuria Iniesta

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Beschreibung

Le jour où sa mère lui annonce son intention d’adopter son fils aîné, l’existence de Nuria Iniesta fut profondément bouleversée. Cette nuit du 6 juillet 2022, elle se retrouva en proie à une crise d’angoisse dévastatrice, une sensation d’étouffement qui la saisit jusqu’à l’aube. Ce fut un moment de rupture, une épreuve où, avec son garçon alors âgé de 18 ans, ils traversèrent un passage inconnu, un état de confusion intérieure qui les sépara irrémédiablement de ce qu’ils avaient vécu jusqu’alors. Au matin, Nuria réalise que l’espoir de voir un jour son aîné demeurer sous leur toit, dans un cadre familial normal et réconfortant, se dissipe. Elle dut faire face à la réalité d’une perte irréparable : l’idée même d’un quotidien commun et serein avec son fils s’éloigna définitivement.

À PROPOS DE L'AUTRICE  

Nuria Iniesta, auteure de deux ouvrages précédents, trouve dans l’écriture de cet ouvrage une réponse à une épreuve personnelle intense. Confrontée à une période d’angoisse et d’insomnie, elle se sert des mots pour se reconstruire. À travers ce récit, elle livre un témoignage d’amour maternel et partage une réflexion poignante sur la résilience humaine, offrant ainsi un précieux message de soutien aux parents.

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Seitenzahl: 566

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Nuria Iniesta

Maman volée

Chrysalides

Témoignages

© Lys Bleu Éditions – Nuria Iniesta

ISBN : 979-10-422-5733-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

À mon fils aîné, ici prénommé Livio,

en espérant qu’il lise un jour mon livre

et réalise enfin qui j’étais en réalité,

et combien je l’aimais en vérité.

À mon fils cadet, ici prénommé Falco,

que je tiens par la main alors que c’est lui qui tient la mienne

et m’aide ainsi à aller de l’avant,

et qui m’a sauvée sans le savoir

car je n’aurais pas eu la force de surmonter l’absence

de son frère sans lui à mes côtés.

À mon conjoint, ici prénommé Stéphane,

pour avoir toujours été près de moi,

pour son amour et son soutien, surtout lors de mes insomnies.

À mes tantes Ime et Lat,

qui m’ont conseillé l’écriture comme thérapie

et qui, comme mes grands-parents ou Biec, Carlets, Genet,

Zèpe et Chon

ont ensoleillé mon enfance,

merci pour leur réconfort et leurs précieux conseils.

À Sylvie, la seule de la fratrie qui a accepté que je me confie

et m’a écoutée sans me juger.

À Enca, Christine, Claudette et Maryse,

rencontrées dans le cadre professionnel,

pour leur écoute attentive et leur patience.

Aux professionnels (psychologue, kinésithérapeute,

neuropsychologue, associations…)

pour leur professionnalisme

et leur dévouement aux autres à travers leur métier,

À mes amies Nadine, Elodie et Zoulika,

pour leur compassion et leur attention à mon égard.

À tous les parents qui élèvent leurs enfants sous le même toit,

le leur,

même ne serait-ce qu’un week-end de temps en temps,

pour qu’ils sachent qu’ils ont alors entre leurs mains,

la plus grande des richesses.

Les noms de personnes (mais pas les surnoms) sauf ceux des défunts et de certains lieux ont été remplacés par d’autres, pour préserver leur anonymat.

Parler, écrire peut sauver des vies, celles d’enfants ou de parents. Ce livre ce veut être à la fois une bouteille jetée à la mer, pour quiconque aurait la solution pour nous, et un message de prévention à destination de parents et d’enfants qui risqueraient d’avoir pareille destinée…

Puissent mes fils et vous, lecteurs, ne jamais laisser se perpétrer sous vos yeux toute forme de maltraitance, telle que celle subie par Livio ou moi, sa mère, même s’il est vrai qu’il en existe évidemment, et malheureusement, des pires que celle-là.

Prologue

C’est de la confiance que naît la trahison.

Un internaute

La trahison se dissimule dans l’apparence.

Mazouz Hacène

3 h du matin. 27 juillet 2024. J’ouvre les yeux, la gorge nouée, pensant avoir fait un terrible cauchemar mais la réalité vient très vite m’ébranler… Bientôt deux ans déjà que la sentence est tombée sur moi, sur eux… sur nous quatre. Le soir du mardi 5 juillet 2022, ma mère m’a annoncé son intention d’adopter mon fils aîné, elle et mon père. La surprise m’a transcendée, je n’ai pas pu sortir un seul mot, et suis rentrée chez moi, à côté, comme une automate, figée et silencieuse…

J’ai tellement pleuré cette nuit-là, chez moi dans mon lit, essayant de le faire en silence pour ne pas réveiller Falco, son petit frère qui dort chez nous, que je n’oublierai jamais ce qui a suivi, et mon conjoint Stéphane, le papa de Falco, s’en souviendra toujours lui aussi, je pense.

Il devait être à peu près minuit. J’ai soudain eu du mal à respirer, les mots ne pouvaient plus sortir de ma bouche et plus je tentais de respirer, plus je m’étouffais… D’une main tremblante, je tapotai brièvement l’épaule de Stéphane pour appeler à l’aide et il se leva promptement, l’air hagard. Il comprit vite pourquoi je l’avais réveillé et me suivit, sans comprendre ce qui se passait. Je « marchais » difficilement, tous mes muscles étaient soudain crispés, raides, j’avais du mal à faire un pas après l’autre mais il fallait que j’aille loin de la chambre, de peur de réveiller Falco, ne sachant pas quelle serait l’issue de ce qui m’arrivait. Nous nous dirigeâmes vers le garage, qui me servait de cabinet professionnel, hésitant à appeler les pompiers mais j’avais trop honte de les contacter pour rien alors que tant de choses dramatiques surviennent chaque jour et les pompiers sont souvent débordés. Je m’effondrai difficilement sur le fauteuil, toujours sans pouvoir parler, je ne communiquai plus qu’avec des signes avec Stéphane. C’était comme si les sanglots versés auparavant tout en voulant réprimer le bruit causé par ceux-ci avaient failli noyer mes poumons, je ne parvenais plus à respirer comme si je me noyais… Cela dura jusqu’à l’aube.

La veille, nous avions eu une violente altercation Stéphane et moi, à propos d’Elle, ma mère que je défendais bec et ongles à chaque fois et cette nouvelle de la veille avait fini par me détruire, le manque d’amour ressenti la veille mêlé à la douleur d’avoir l’impression qu’on me prenait mon fils en demandant son adoption avaient fini par créer chez moi, ce que j’appris par la suite que je vivais là : une forte crise d’angoisse. Mais pour en avoir vécu d’autres, normales, auparavant, je ne savais pas que c’en était une, je pensais vraiment que j’allais y passer, et Stéphane, le regard livide, immobile devant moi dans une sorte de stupeur, le croyait aussi. Tout en étant crispée de haut en bas, je tremblais aussi de tous mes membres, mes larmes coulant sans arrêt…

N’en ayant jamais eu avant, je ne suis pas certaine de mon « diagnostic » mais je pense que je venais de faire une crise de tétanie et de spasmophilie, du fait de ma crise d’angoisse.

Je sais que je ne vais pas dormir durant deux ou trois heures, comme chaque nuit depuis cet épisode-là. J’éclate encore en sanglots la nuit, en me réveillant et subsistant au milieu de la nuit, mais ce n’est plus systématique depuis quelques mois maintenant. Parfois, seules quelques larmes viennent couler en travers de mes joues, en silence.

C’est seulement à partir de cette nuit-là, deux ans plus tôt, que tout est soudain devenu clair et limpide. À 47 ans passés déjà, le passé m’est subitement apparu sous un nouveau jour, m’obligeant à faire le deuil d’une réalité qui était faussée par mon amour inconditionnel pour Elle, ma mère, et la culpabilité vis-à-vis de Livio, vis-à-vis du fait qu’il n’avait pas eu une vie « normale » car vivant chez mes parents, la maison d’à côté, et moi ici depuis huit ans déjà, parce que je n’avais pas réussi à le faire venir vivre dans la maison achetée en 2014, s’est dissipée en partie…

Travaillant trop pour pouvoir bénéficier d’un suivi psychologique et ayant eu des troubles de la mémoire après la prise de Lexomil durant la semaine qui suivit mon entrevue avec un médecin généraliste un an plus tard, en 2023, toujours à propos de l’adoption, je me suis mise à écrire ; grâce à une de mes tantes qui m’avait suggéré d’écrire une lettre à mon fils… Une sorte d’exutoire qui consiste surtout à mettre des mots sur ma souffrance, des mots sur les maux…

Voilà plusieurs fois que mon médecin m’a prescrit des antidépresseurs, dès que ça dégénère à nouveau dans ma relation avec Livio, après une période d’accalmie, où le contact est rétabli, justement parce que ma mère trouvait que ça n’allait plus dans son sens, mais je ne peux pas les prendre car c’est contre-indiqué à la conduite en voiture et je travaille essentiellement à domicile, surtout l’été, et davantage encore à partir de septembre car je viens de trouver un poste salarié pour compléter mon mi-temps, dans un service de soins à domicile…

Voilà deux ans que je n’ai des nouvelles de lui que très rarement, si je le demande, plus rarement en photos, et plus rien du tout depuis quelques mois désormais. Le fond d’écran de mon téléphone portable est une photo de Livio trouvée par hasard sur son profil WhatsApp via mon ancien numéro de téléphone, qu’il a sans doute oublié de bloquer.

La tristesse est un mal qui me ronge chaque jour, chaque nuit ; j’ai la boule au ventre, au sens propre, lorsque je me lève le matin, à l’idée de vivre sans mon fils aîné, sans rien savoir de lui, pas même entendre le son de sa voix… tout juste quelques photos de temps en temps, envoyées par ma mère lorsque je le lui demande. J’ai des nausées, envie de vomir, et la peur de vivre que j’avais avant mes 18 ans, parce qu’il va me falloir apprendre à vivre peut-être encore des années ainsi, sans Livio, qui a été durant 13 ans le centre de ma vie (avant la naissance de Falco, devenu lui aussi ma raison de vivre).

Si Falco n’était pas là, je ne serais certainement plus là, la douleur l’aurait emporté sur la raison…

D’ailleurs, à l’instar de son frère Livio qui a donné un sens à ma vie, a marqué le début des plus beaux jours de ma vie puisque je suis devenue mère grâce à lui, je reste persuadée que Falco a été envoyé par la Providence, Dieu, ou un ange. Jamais je n’aurais pensé qu’on puisse tomber enceinte en début de cycle et qui plus est, en prenant les précautions qui s’imposent quand on programme d’avoir un enfant dans quelques mois mais pas de suite.

Peut-être même qu’il ne serait jamais arrivé si nous avions attendu plus longtemps, vu mon âge avancé car j’avais déjà 42 ans en 2017, avant que je tombe enceinte, sans ce coup de main magnifique de la Vie. Il est devenu mon moteur dans la vie, m’ayant sortie sans le savoir d’impasses qui auraient été dévastatrices pour moi et ceux qui m’aiment, et sauvée aussi, car l’annonce de l’adoption en 2022 et le sens donné soudain au passé, à ma relation avec mes parents, m’ont profondément anéantie. Même si là encore, cette main divine ou cet ange venu m’éclairer soudainement, après ma crise d’angoisse du 6 juillet 2022, a été salutaire également car sans cela je n’aurais cessé de culpabiliser en tant que mère, et cela aurait été bien plus douloureux, j’en suis certaine.

Pour tenter de me sentir mieux, car il ne faut pas laisser paraître ma douleur devant son petit frère qui est triste aussi de ne plus voir son frère ni d’autres membres de la famille, ni le chien Raco, depuis leur départ en octobre 2022, parfois, j’imagine ce que la vie aurait pu être pour nous quatre, ensemble. Je rêve de cette vie de famille que j’avais tant convoitée depuis la séparation d’avec son papa à la sortie de la clinique, il y a vingt ans de cela déjà. Dans chaque logement, loué ou acheté, il y avait une belle chambre pour Livio, souvent la plus grande, et une salle de jeux, parfois deux… mais c’était sans compter sur le fait que plusieurs choses s’étaient mises en travers de nous à l’issue des cinq ans passés à vivre ensemble chez mes parents, dont je n’avais pas encore conscience… Ainsi, je me suis mise à rêver cette vie que nous ne connaîtrons jamais en réalité hélas, car comme le dit Renaud dans sa chanson Mistral Gagnant « Le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants… ».

Rêver sa vie, à défaut de l’avoir vécue comme on le voulait.

Et alors, dans mes rêves « éveillés », je me sens bien… Je le « vois » nager avec son petit frère pour lui apprendre comment faire, même s’il a déjà appris à 5 ans, tout seul, à nager sans brassards, ou bien assis sur un transat au bord de la piscine, pianotant sur son téléphone portable comme la plupart des adolescents, tandis que son frère nage… Je « vois » son frère l’encourager ou le pousser sur la balançoire, l’aider bientôt à faire ses devoirs puisqu’il va rentrer au CP, l’accompagner ou aller le chercher à l’école quand ses horaires à la fac le lui permettraient, rentrer à la maison entre deux virées avec des copains, maintenant qu’il a eu le permis… Je le « vois » déambuler dans le couloir, entre sa chambre et le salon pour faire une pause au cours de ses devoirs et venir nous raconter une anecdote. Je l’imagine sortir de la salle de bains la nuit et retourner aussitôt dans sa chambre puis venir déjeuner avec nous le matin… Bref, tout ce qui peut paraître banal, ce qu’il y a de plus normal, pour la plupart des parents. Un rêve qui ne sera jamais la réalité mais ça me fait du bien de m’inventer ces souvenirs jamais vécus pour ne pas trop souffrir.

Comme j’aurais été fière qu’on me voie marcher auprès de mon fils Livio, si beau et si grand à présent ! J’avais souvent imaginé à quoi il ressemblerait plus tard, le trouvant déjà magnifique… J’aperçois parfois au loin un ancien camarade de classe de Livio marcher aux côtés de sa mère, et qui a également grandi à tel point qu’il dépasse lui aussi à présent sa mère de plusieurs têtes. Et alors, même si j’imagine que cela reste sûrement exceptionnel pour elle étant donné l’âge de son fils, je ne peux pas m’empêcher de songer à la chance qu’elle a sans le savoir. J’y songe aussi lorsque je vois de jeunes adultes qui ressemblent à Livio (à croire que je le vois partout) et que j’évite de les regarder de peur de ne pas me rendre compte que je les dévisage en fait, et je pense alors avec orgueil, fierté : « Qu’est-ce que mes fils sont beaux » !

Je prends aussi des photos de moi et lorsque je me trouve jolie, j’en accroche certaines dans ma chambre, non visibles depuis le couloir, pour m’aimer un peu quand même, malgré la méchanceté des autres subie bien souvent dans la vie, depuis le collège. Je pourrais paraître narcissique aux yeux de mon fils, peut-être le lui ont-ils déjà fait croire, mais c’est pour éviter de me détester moi-même à force de me sentir rejetée par certains, moi qui ai grandi avec l’amère impression que mes parents préféraient mes frères et sœurs.

Ma mère m’a pris ce qu’il y a de plus cher à mes yeux, ma propre vie de famille, mon fils aîné, ma vie… Elle a pris un frère à mon fils cadet. Elle m’a volé ces instants de bonheur qui rendent les mères heureuses, comme recevoir les copains de son fils pour leur servir à boire, leur souhaiter d’être prudents sur la route lorsqu’ils sortent entre amis le soir…

Elle a pris définitivement mon fils dès sa majorité ; et juste après qu’il a eu le permis, ils sont partis ensemble à 600 km de nous… Elle s’est révélée sous son véritable jour à sa majorité car je n’avais plus autorité sur lui désormais, elle n’avait plus à mentir car il suffisait pour cela de le convaincre, plus rien ne se mettrait désormais en travers de leur chemin.

La psychologue, experte auprès des tribunaux, que je suis allée voir dans le cadre de la demande d’adoption, à laquelle j’ai alors fait part du « rêve » qu’avait fait ressurgir le sentiment d’inceste que suscitait chez moi cette démarche, me répondit sans détour « On ne rêve pas de choses comme ça à 13 ans, ce n’était pas un rêve. Elle vous prend pour sa rivale et se venge sur vous par le biais de votre fils ». Puis elle ajouta : « En demandant à adopter votre fils, ils vous dénigrent en tant que mère. »

Bien sûr, comme l’avait dit le Président Théodore Roosevelt, « Le seul homme à ne pas faire d’erreur est celui qui ne fait rien », la psychologue n’avait pas la science infuse, elle pouvait se tromper. Néanmoins, cela donnait enfin un sens à des faits du passé, à mon complexe physique irrationnel, cette désagréable impression d’inceste que prenait la tournure des événements (mon fils avec mes deux noms, à mon insu, comme s’il s’agissait de mon frère, le fait de vouloir adopter son petit-fils comme s’il s’agissait de l’enfant que nous avions eu en commun eux et moi, ces moments du coucher chez eux où je la surprenais en train de lui lécher le lobe de l’oreille ou les orteils alors qu’il avait déjà 11 ans et que je m’offusquais de la chose mais qu’elle restait stoïque…).

En 2022, j’ai enfin réalisé que durant des années, elle avait mis en place tous les stratagèmes possibles pour éviter de voir mon fils aîné partir de chez eux, le retenir auprès d’elle. Et plus il se rapprochait de moi, de chez nous, soit parce qu’il s’entendait à merveille avec mon conjoint dès le début, soit à la suite de la naissance de son petit frère, tant attendu durant sa propre enfance… plus l’espoir de le voir enfin vivre à la maison grandissait en moi et plus elle redoublait d’imagination pour ne pas le voir partir de chez elle.

Quitte à lui nuire ! Par exemple, elle lui servait régulièrement du coca cola et du jus d’orange après 16 h pour qu’il ait du mal à s’endormir et trouver ainsi un bon prétexte pour dire qu’il ne fallait pas qu’il dorme ailleurs que chez elle au risque que cela aggrave ses troubles du sommeil…

Mais je l’aimais tant, elle faisait si naïve et fragile, que je n’ai réalisé tout cela qu’après son départ, justement parce que le fait de ne pas la voir m’avait rendue soudain objective. Ce qui n’est hélas pas le cas de Livio actuellement, puisqu’il vit non loin d’elle.

Si j’avais su que le prix à payer pour avoir accepté son aide était de perdre mon fils aîné à sa majorité (puisque, alors, légalement, je ne pouvais plus m’opposer à toute décision « émanant » de lui, justement parce qu’en réalité elle avait encore une fois pu le persuader dans son sens), j’aurais évidemment refusé cette aide, quitte à l’élever dans la rue s’il le fallait ! Car j’étais prête à tout pour élever mon fils moi-même, il comptait plus que tout pour moi, sinon je n’aurais pas sacrifié tant de choses, ma liberté par exemple, en retournant vivre chez mes propres parents à 29 ans, parce que je me suis retrouvée mère célibataire quelques jours après sa naissance. Et c’est toujours le cas, pour mes deux fils.

Ma mère avait tout ce que je n’ai pas eu : mère de famille nombreuse et au foyer, n’ayant pas besoin de travailler pour nourrir sa famille. Elle était belle et inspirait la bonté et la générosité, la compassion… bref toutes les qualités requises pour une bonne mère. Elle était pour moi l’incarnation de la mère parfaite. J’aimais me blottir contre elle, même à 30 ans passés, elle était ma confidente et elle se confiait aussi à moi.

Lorsque mon fils Livio avait encore seulement 5 ou 6 ans, je lui confiai que j’aimais tellement les enfants, pour en avoir fait mon métier, que j’aurais aimé avoir 5 enfants du même père et il me consola en me disant, avec sa maturité des jeunes enfants intelligents : « Tu ne sais pas dans la vie, ç’aurait peut-être pas été bien, c’était peut-être mieux comme ça ».

J’avais été obligée, en me retrouvant séparée du père de mon fils, de devoir l’assumer seule et j’ai alors dû travailler à un rythme effréné dès qu’il eut atteint l’âge de 6 mois, travaillant pour cela six jours sur sept, pour payer mes dettes et compenser l’absence de vie de famille, la culpabilité de ne pas avoir pu lui donner l’essentiel (un foyer, une famille), en le comblant de jouets et de vêtements, ignorant à ce moment-là que cette pulsion d’achat masquait un manque… et pour acheter plus tard un logement pour nous deux.

Pourtant, c’est justement cela, d’une certaine façon, qui me sera reproché bien des années plus tard, en 2022 avant leur départ pour l’Espagne, indirectement. Mon fils me reprochait en quelque sorte de l’avoir fait garder par ma mère, d’avoir été si absente, et ma mère en profitait pour ajouter que je l’avais laissé chez eux, me reprochant d’avoir perçu les allocations familiales moi-même, alors qu’il avait toujours vécu chez eux, malgré le fait que j’avais toujours tout assumé financièrement, y compris le mobilier dédié à mon fils, chez eux. Je répliquai que je n’avais jamais souhaité qu’il vive chez elle, que c’était moi la mère et donc il était normal que ce soit moi qui perçoive ces allocations (142 euros par mois) et que, par ailleurs, je lui reversais celles-ci sous forme de pension alimentaire (150 euros par mois) !

Était-ce un rêve prémonitoire ? Vers l’âge de 18 ans, j’avais rêvé que je présentais mon bébé à ma famille. Il était très beau mais je le présentais seule…

Lorsque je me suis retrouvée mère célibataire à la sortie de la clinique, sur un simple coup de fil du papa, et qu’elle m’a proposé son hospitalité, ne songeant même pas à une autre alternative, qui aurait été de me proposer de louer un appartement pour nous deux, ou d’en construire un dans leur jardin, qui était assez grand pour cela, j’acceptai volontiers.

Je louais le bon Dieu chaque jour de m’avoir donné la chance d’avoir une mère et un père pareils.

C’est elle qui m’a appris ce que j’appelle « l’intelligence du cœur », cette faculté selon moi de faire appel au peu d’humanité qu’il y a en nous, à son cœur, pour agir intelligemment.

Celle-là même que j’idolâtrais depuis ma tendre enfance en me répétant sans cesse « quelle chance d’avoir une maman pareille ! » a nui par tout moyen à notre vie de famille, à mon fils aîné et moi-même. Elle a, à elle seule, empêché à mon fils aîné et moi-même d’avoir une vie de famille, d’être heureux.

Elle m’avait appris comment s’occuper d’un enfant en évitant de le faire pleurer lorsqu’on lui coupe les ongles, ne serait-elle par exemple qu’en profitant de sa phase de sommeil profond pour le faire, ou bien comment le distraire pour sécher ses larmes… J’ai ainsi réalisé aussi que lorsqu’un enfant demande en pleurant qu’on cède à un caprice qui aura lieu dans le très long terme, voire l’an prochain (ex une sortie) cela ne coûte rien de dire oui car de toute façon il aura oublié d’ici là. Et qu’il vaut parfois mieux mentir, si ça lui évite une douleur inutile (ex la mort d’un lézard).

J’avais aussi ainsi appris que bien souvent il suffit de distraire un enfant qui pleure pour un caprice ou un refus de se coucher par exemple, de détourner la tâche à accomplir en challenge « le premier qui a fini de se mettre en pyjama a gagné » !

Elle m’avait appris, en la voyant faire, comme il est facile de distraire un enfant en proie aux larmes pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une douleur vive, ou s’il est énervé, par une simple blague ou une chose à lui montrer… On cherchait à table les objets portant la couleur énoncée, pour pouvoir nourrir sans pleurs un enfant qui ne souhaitait pas manger de légumes ou de pâtes, ou en utilisant le chifoumi.

Elle disait que son plus beau cadeau c’était de nous voir heureux, paroles qui selon moi témoignaient d’une beauté intérieure certaine. Elle disait « On efface tout et on recommence à zéro ! » pour mettre un terme aux disputes, le plus souvent entre frères et sœurs.

Pourtant…

Pourtant, si j’écris aujourd’hui ce livre comme un exutoire, à défaut d’avoir des séances de psychothérapie car les dettes sociales m’obligent à travailler six jours sur sept et de 8 h à 20 h bien souvent, c’est essentiellement à cause d’elle.

J’écris aussi dans l’espoir d’éviter à d’autres parents de subir le même sort, pas forcément à cause de leur propre mère, mais de se méfier de l’aide et des conseils donnés par un tiers vis-à-vis de sa progéniture. Ma mère a fini en effet par se servir contre moi des conseils donnés jadis.

Elle disait, d’une voix et d’un air empreints d’empathie, semblant sincère : « Il faut que tu sortes, que tu rencontres quelqu’un pour lui, pour qu’il ait enfin une famille ». Mais en 2022, elle niait les faits, en me reprochant ouvertement, devant mon fils Livio, à mon attention : « À notre époque, on n’avait pas si faim (sexuellement), on se retenait de sortir ! » et de la part de mon père, toujours devant mon fils, s’adressant à ma mère : « C’est pas elle qui nous le faisait garder pour aller voir des types » ?!

Je voudrais également que ce livre fasse réaliser, notamment aux parents séparés, ô combien nombreux hélas, tous les rouages possibles que présente une relation familiale et qui peuvent détruire l’amour entre un fils, une fille, et sa mère ou son père, lorsque ceux-ci sont élevés dans le mépris de l’autre parent, voire dans la haine de l’autre, parfois insultée ou humiliée comme je l’ai été devant l’adulte en devenir qu’est l’enfant au moment des faits. Et ce sentiment d’abandon que ces agissements pérennisent chez le futur adulte.

Enfin, j’écris aussi pour faire réaliser aux parents que s’ils voient tous leurs enfants grandir sous le même toit, le leur, ne serait-ce qu’un week-end sur deux ou à des années d’intervalle si l’écart d’âges ne le permet pas, et qu’en prime ils sont dépourvus de handicap, tant les parents que leurs enfants, ils font alors partie des plus riches de la planète. C’est une richesse d’une valeur inestimable, que Livio, Falco et moi n’avons ni n’aurons la chance d’avoir un jour.

Cette chance, ce trésor inestimable des moments passés ensemble en famille, le fait de voir tous ses enfants se lever ou se coucher sous le même toit, le leur, ne nous a pas été donné. Les voir se chamailler parfois, simplement parce que ce sont des frères et sœurs, même à demi, qui vivent ensemble, en famille… En très grande partie par la faute de ma propre mère. Ces moments-là, si vous avez la chance de les vivre, fût-ce parfois dans la dispute, c’est de l’or !

À mon sens, tout mettre en œuvre, comme ma mère, pour nuire à l’amour entre deux êtres, notamment entre une mère et son enfant, par des mensonges et de la trahison, c’est criminel. Il arrive que la nuit son petit frère Falco crie « Je veux Livio ! Je veux mon frère » ! Mes enfants sont ma vie, je vis et travaille avant tout pour eux, jamais, je ne pardonnerai à ma mère de nous avoir privé de l’essentiel, cette vie de famille que nous n’aurons jamais, ces moments de bonheur jamais partagés ensemble…

Or j’estime que tout faire pour détruire l’amour entre un enfant et son parent, et priver de droits celui-ci sans que rien ne puisse être fait au niveau légal du fait que l’enfant en question a atteint sa majorité… à mon sens, c’est ignoble. On tue ainsi le sentiment de sécurité qui permet à un enfant de devenir un adulte épanoui en se sentant voulu et aimé par ses parents.

Je m’estime victime d’une sorte de rapt d’enfant qui s’est fait de façon insidieuse, discrètement, durant des années et le kidnappeur est connu, on sait où vit l’enfant mais la loi française ne nous permet pas de faire quoi que ce soit, ne serait-ce que de protéger son enfant de l’influence de cette personne qui a d’ailleurs un ascendant et non des moindres sur l’enfant, toxique au plus haut point pour lui. Car il est majeur depuis ses 18 ans. Si jeune encore pourtant…

Lorsque son père a vraiment repris contact avec lui, vers 5 ans, après trois entrevues de quarante-cinq minutes à peu près (à la piscine, dans un parc aquatique ou au Mac Do), il y a alors eu un procès à son initiative pour bénéficier de la garde alternée. La juge n’avait vraisemblablement pas lu le dossier lorsque je fus présentée à elle, demandant de quoi il s’agissait. Elle décida que malgré le fait que son père n’avait pas été présent aux rencontres en centre de médiation familiale comme le jugement l’avait ordonné, ne s’y étant présenté que trois fois pour faire connaissance avec Livio, je devrais l’amener en train pour qu’il puisse aller voir son père un week-end sur deux, son père habitant alors dans la Drôme. Je fis l’aller-retour avec lui une ou deux fois puis ma mère dit que ce serait plus judicieux que ce soit elle qui l’y amène car elle profiterait alors de l’occasion de voir sa propre mère, domiciliée dans une ville limitrophe. Je cédai, à contrecœur car il allait me manquer et je lui en fis part mais elle renchérit que je m’ennuierais une fois là-bas chez elle, que c’était trop petit pour nous trois (ou quatre, lorsque mon père se joignait à eux). Ainsi ce conseil de sa part le rapprochait en fait de lui une fois de plus… Et l’attente était longue pour moi. Une fois, j’avais même pleuré devant lui, dans le salon de chez mes parents. Livio m’avait alors consolée, du haut de ses 5 ans, me disant qu’il reviendrait de toute façon, qu’il allait juste voir son père…

J’écris aussi pour ma future descendance, pour qu’ils ne croient pas en la fausse image qu’on leur aura donnée de moi, à cause des capacités de mensonges et de persuasion de ma mère, image d’une mère qui aurait abandonné son enfant alors que justement, il passait avant tout dans ma vie, tout ce que je faisais je le faisais pour lui…

Enfin, j’écris à titre posthume, pour mon fils aîné Livio, en espérant qu’un jour, peut-être, enfin, il réalise que j’étais le contraire de ce qu’elle a voulu lui faire croire. Pour me défendre aux yeux de ma descendance qui parlera sûrement de moi comme d’une mère qui, en plus d’avoir abandonné son fils chez ses propres parents, avait refusé qu’il se fasse ensuite adopter par eux…

Je pleure tellement la nuit, alors que Falco ne peut pas me voir, que je suis parfois obligée d’aller me réfugier dans le garage afin qu’il ne m’entende pas. Je pleure de tout mon saoul dans l’espoir d’être trop fatiguée pour continuer à pleurer encore. Et puis il y a Stéphane, endormi, qui va se lever tôt pour le travail lui aussi. Mais la tristesse est trop dure à supporter alors une fois de retour dans le lit, d’un geste de la main, je le réveille pour qu’il me prenne dans ses bras et je fonds en larmes blottie contre lui.

Le lendemain matin, j’aère toutes les pièces de la maison, y compris la chambre de Livio, dans laquelle il a juste dormi quelques nuits, que je peux compter sur les doigts de la main, mais ça m’apaise de reproduire les mêmes gestes pour mes deux fils, car j’ai bien eu deux fils et non pas un seul… et puis, ça me donne l’illusion qu’il vit avec nous, comme ça aurait dû être le cas.

Quelques traces de gerçures arrachées apparaissent parfois sur mes lèvres, noircies au contact de l’air, comme je le fais depuis le début de mon adolescence.

I

Une forme de maltraitance psychologique

dès l’enfance

La plus grande gloire de l’homme n’est pas de ne jamais tomber mais de se relever chaque fois.

Confucius

L’histoire paraît surréaliste. Il s’agit principalement de l’histoire de mon fils aîné et moi-même.

Cette histoire est celle d’une vie de famille « empêchée », « brisée », qui a laissé des séquelles, un traumatisme indéniable, mon conjoint n’acceptant pas l’idée de laisser dormir son fils légitime, Falco, chez qui que ce soit, y compris chez ses propres parents, de peur que l’histoire ne se répète avec lui…

Je suis orthophoniste salariée et libérale. J’exerce depuis 24 ans : en 2000, j’ai démarré dans un SESSAD à Valence et j’en suis partie au bout d’un an pour travailler exclusivement en libéral jusqu’à ce que j’intègre un IME en 2006, et je devrais compléter mon mi-temps salarié par un autre mi-temps dans un SESSAD, dès la semaine prochaine.

Depuis toute petite, je voulais écrire des livres, mais plutôt des romans ; l’un d’eux aurait pu être publié si j’avais eu les moyens financiers suffisants car je n’avais alors que 18 ans, j’étais encore étudiante. Mais à aucun moment, je n’imaginais un jour écrire une sorte de biographie. J’aurais préféré de jamais avoir à le faire, du moins pour de telles raisons…

Issue d’une famille de sept enfants d’origine espagnole mais tous nés en France, je suis la cinquième de la fratrie, j’ai deux frères aînés et quatre sœurs, dont deux plus jeunes que moi. Nous étions divisés en deux groupes selon les sorties : « les quatre grands » et « les trois petites ». Aînée des « trois petites », je me suis pourtant toujours sentie être la benjamine, et ce, jusqu’à aujourd’hui encore. Elles étaient toutes les deux plus matures que moi, moins naïves aussi, ayant un caractère davantage affirmé que le mien ; il m’est souvent arrivé de leur demander conseil ou d’être épaulée par elles, ne serait-ce par exemple, que pour le permis de conduire puisque ma plus jeune sœur m’avait elle-même payé des cours de conduite, permis que j’eus bien après elles car je m’étais obstinée à passer le permis moto sinon rien, ce que ma mère avait refusé… J’eus le permis de conduire pour les quatre mois de mon fils Livio, devenu ma motivation principale pour ne plus être obligée de conduire une AIXAM (voiture sans permis).

Je suis née avec une anoxie néonatale et le médecin qui m’a sauvée était un interne en médecine qui a commis une erreur médicale en bloquant le nerf sciatique droit. De telle sorte que le pied droit est resté bloqué en pronosupination et a cessé de grandir. Le médecin en chef avait préconisé un pied bot mais sa femme, secrétaire, croisée par mes parents au sortir du cabinet, avait conseillé à mes parents d’essayer des séances de kinésithérapeute, ce qui a sauvé mon pied et ma jambe même si je chausse une pointure de moins à droite et que j’ai une jambe plus courte à droite. Mais seules les personnes auxquelles j’en ai parlé le savent, car cela ne se voit pas.

J’ai donc un steppage qui ne me permet pas de conduire comme tout le monde car je n’ai pas de releveur des orteils droits et suis donc obligée de lever le pied pour changer de pédale. Je suis obligée de traîner du pied si je suis en pantoufle en particulier si je monte l’escalier, ce qui avait tendance à agacer ma sœur Cathy, incrédule à l’idée que mon handicap puisse vraiment me gêner alors je montais ensuite l’escalier en chaussettes… Le handicap n’a pas été reconnu par la commission chargée de déterminer les droits des handicapés, les membres de celle-ci m’ayant répondu que cela ne m’a visiblement pas empêchée de travailler. Parce que j’ai moi-même trouvé des moyens de compensation, mon handicap n’est pas reconnu comme tel. Pourtant, je ne peux pas porter n’importe quel type de chaussure, au risque de devoir acheter deux paires de deux pointures différentes mais c’est deux fois plus cher bien sûr… Un jour, dans une boutique, l’idée m’avait traversé l’esprit de changer une des chaussures de la boîte par une autre d’une pointure de moins mais la honte de ne pas savoir quoi répondre à la caisse me retint de le faire. Je changeai alors de paire de chaussures. Déjà que je ne peux pas porter de boucles d’oreille car j’y suis allergique, je ne peux pas non plus vraiment choisir les chaussures. De là sans doute, ma hantise lorsque je dois m’en acheter. Contrairement à la plupart des femmes, c’est une corvée pour moi… Jusqu’à ce qu’enfin je découvre ces semelles antidérapantes qui se placent au bout de la chaussure pour compenser la différence de pointure. Une renaissance !

Je me souviens d’un passage dans un film comique, dont je tairai volontairement le nom. L’une des scènes comiques présentait la jeune femme qui avait le rôle principal ; elle se présentait devant son prétendant qui resta choqué en voyant ses pieds car l’un était plus petit que l’autre. Les gens sont censés rire devant cette scène ; moi ça m’a mise mal à l’aise car j’étais concernée par cela, et cela n’avait rien de comique dans ma vie. Au contraire, ça compliquait les choses sans compter que ce n’était pas reconnu au niveau administratif…

Alors je me suis souvent demandé si le fait que mon père ne me parle pas durant des années, injustement depuis le début de mon adolescence, ou que ma mère me traite avec moins d’égards que les autres, était dû au fait qu’ils estimaient que je leur devais plus de respect que les autres vu tout ce qu’ils avaient fait pour minimiser l’erreur médicale dont j’avais été victime à ma naissance.

De mon enfance, je garde surtout de très bons souvenirs. J’ai eu de la chance d’être née dans cette famille, ô combien nombreuse, qui m’a permis d’avoir plein de bons souvenirs d’enfance, avec mes frères et sœurs ou mes oncles et tantes. Je me souviens aussi de gestes de tendresse, comme les caresses de mon père sur mes doigts d’enfant qu’il tenait dans sa main lorsque je marchais à ses côtés, de sa manie à vouloir bien mettre le traversin sous nos chères petites têtes d’enfants, lorsqu’il venait nous border dans le lit le soir…

Auprès de mon fils Livio, il a été toujours très proche, se comportant avec lui comme un père, se couchant parfois sur un tapis au sol pour jouer avec lui malgré son âge déjà avancé… Le premier sourire, fait par mon fils Livio bébé, fut adressé à mon père, un matin, avant le petit-déjeuner, depuis son transat sur le plan de travail, dans leur cuisine.

Mais l’affaire relatée ici m’a amenée à consulter des avocates, qui m’ont demandé comment j’avais été traitée par Elle dans le passé, pour savoir si sa malveillance à mon égard existait depuis longtemps. Je m’étais souvent vantée d’avoir eu de la chance d’être née dans une telle famille, considérant depuis toujours que j’avais eu une enfance heureuse. Cela m’a donc pris un certain temps pour réaliser certains faits…

J’ai alors cherché dans mes souvenirs les plus enfouis, pour tenter de comprendre le mobile qui avait poussé ma mère à agir ainsi, hormis le fait qu’elle avait eu un enfant mort-né, frère jumeau de ma sœur aînée Cathy, et une fausse-couche après ma sœur cadette, qui aurait été alors son huitième enfant et qu’elle aurait aimé adopter un enfant. Je cherchai dans mes souvenirs les plus lointains des explications à son attitude envers moi.

C’est ainsi que j’ai trouvé au fond de moi des réponses à certaines questions, notamment à ce sentiment étrange de différence ressentie depuis des années dans ma famille sans trop savoir pourquoi. J’ai toujours eu la désagréable impression que mes parents préféraient certains de mes frères et sœurs à moi-même même si je n’osais me l’avouer car je ressentais alors une certaine culpabilité à leur égard, consciente du mal qu’ils s’étaient donné pour nous donner la meilleure éducation qui soit. Et alors j’ai réalisé que j’étais la seule des sept enfants à ne pas avoir le droit de conduire leur véhicule, mon fils Livio ayant lui-même le droit de le faire. Ou encore que ma mère refusait de se promener seule avec moi les soirs d’été, disant que ça faisait honte, que c’était ridicule alors qu’elle le faisait volontiers seule avec ma sœur Cathy…

Même si je suis fort heureusement bien consciente que la maltraitance qui me concerne n’est rien du tout, en comparaison à d’autres, malheureusement, notamment physique… le risque de subir des actes de malveillance est d’autant plus grand qu’ils se fondent dans le quotidien, deviennent transparents, à tel point que cela ne choque personne de l’entourage, puisqu’on s’y est habitué. Alors tout paraît banal, normal… et c’est l’engrenage.

Lorsque j’allaitais Livio allongée sur le canapé de leur salon où je m’étais endormie avec lui, et que je me levais ensuite pour aller manger, il arrivait parfois que tout le monde soit sorti de table et que celle-ci soit débarrassée, ou qu’il ne restait rien du repas, alors que j’aurais tant aimé goûter moi aussi aux bons plats de ma mère, notamment sa succulente paëlla…

Lorsque Livio eut atteint les 12 ans, nous partîmes en famille en Espagne, dans un hôtel pour fêter les 60 ans de mon feu beau-frère. Stéphane s’était joint à nous, au grand damne de Cathy qui ne supportait pas qu’il y ait d’autres personnes que mes parents ou ses neveux, aussi bien à la maison qu’ici en vacances…

Après le repas, tout le monde était passé aux toilettes avant la promenade au bord de la plage et ma mère avait dit « Bon, tout le monde est là alors on peut partir ! » mais moi je n’étais pas là puisque j’étais aux toilettes et Stéphane répliqua aussitôt : « Non, on attend Caroline » ! Et en silence, ils m’attendirent alors.

Je me souviens aussi, non sans amertume, mes demandes restées vaines auprès de ma mère, concernant la couture à la machine à coudre ou la cuisine de certains plats, auxquelles elle répondait simplement que cela s’apprend tout seul, que j’apprendrais comme elle en pratiquant. Hélas, je n’ai pas autant de temps libre qu’elle pour m’y mettre, même si j’ai effectivement appris « seule » à cuisiner certains plats dont Stéphane fait sans cesse des éloges, mais en ce qui concerne la couture, pour faire parfois des économies, et parce que je n’ose pas demander de l’aide aux personnes de mon entourage qui seraient susceptibles de s’y connaître (qui sont essentiellement des patients, des collègues ou issus de la famille de Stéphane), je me contente alors de découper les rideaux avec des ciseaux et d’agrafer les bords du tissu en guise d’ourlet. Je n’ai d’ailleurs jamais compris pourquoi elle a offert une machine à coudre à mes sœurs mais pas à moi… Pourtant, elle m’a gâtée moi aussi, ne serait-ce qu’en me payant par exemple la bâche de la piscine, sur mesure ou en me donnant son robot de piscine.

Mais lors d’un séjour chez une de mes sœurs cadettes, alors que je leur faisais des éloges sur leur plancha électrique, ma sœur me fit remarquer que c’était un cadeau de notre mère avant la Covid, qu’ils avaient été plusieurs à en recevoir une, me faisant part de sa surprise lorsque je lui dis que je l’ignorais car je n’en avais pas reçu.

Une réponse à cela me vient alors : ce qu’elle ne m’achetait pas ou ne m’apprenait pas aurait consisté à me valoriser auprès de mon fils, lui prendre un peu le rôle qu’elle s’était attribué auprès de lui… En revanche, en m’offrant la bâche à bulles et le robot qui amélioraient mon confort chez moi, espérait-elle ainsi m’aider en quelque sorte à être mieux chez moi, et donc mieux hors de chez elle, « loin » de Livio ?… Difficile de faire la part des choses quand la mémoire est soudain submergée par un certain nombre de souvenirs d’actes malveillants.

Pour en revenir à mon enfance, je me souvins aussi soudain des longs moments à attendre qu’elle vienne me consoler dans ma chambre, en vain, et qu’elle ne venait pas, que je sortais alors de mon « repère », déçue par son indifférence. Une fois, je m’étais accroupie au pied de mon lit à me lamenter de la façon dont mes frères et mon père me traitaient, pleurant beaucoup ; je devais avoir 13 ans à peu près, je pense que j’avais l’âge d’aller au collège. Ce jour-là, alors que je n’étais pas seule à la maison, c’était sûrement un dimanche, j’ai vu le jour décliner par la fenêtre et lorsque je sortis de la chambre c’était le soir déjà ; personne n’était venu me voir, peut-être que tout le monde n’était pas présent ce jour-là, mais je crois me rappeler qu’il y avait en tout cas mes frères et mes parents. Pas même ma mère n’était venue dans ma chambre me consoler. Du moins, je n’en ai pas le souvenir. Je ne les blâme pas tous car j’imagine bien, à présent, qu’ils avaient dû suivre les recommandations de ma mère. Cette journée passée à pleurer sans consolation de sa part, je ne l’oublierai pas, je pense. Cela vient peut-être de là mon empressement à réagir lorsqu’un de mes fils pleure, qu’il s’agisse de Livio ou Falco, les entendre pleurer ravivant en moi une certaine douleur qui me pousse à les consoler de suite comme si moi-même ressentais ce besoin…

Il y a eu aussi la fois où je me disputais avec mon frère à cause de lui et que ce fut moi qu’elle gronda pourtant, me couchant à plat ventre sur ses genoux, pour me donner la fessée devant eux alors que je portais déjà une protection féminine, ce qui, outre l’injustice subie, rendit la scène choquante car j’estimais que j’étais arrivée à un âge où on ne nous infligeait plus cela…

Ou encore la fois où je me disputais en criant avec elle dans la cuisine et que l’un de mes frères aînés me traîna jusqu’à ma chambre, mitoyenne à la cuisine, et je ne sais pas si c’est le fait qu’il ait tenu fermement mon cou de ses doigts pour m’amener ainsi jusqu’à ma chambre ou l’énervement qui m’avait emportée contre ma mère mais dès qu’il me lâcha, mon nez saigna beaucoup. Le sang coulait tant que j’avais créé sans le vouloir une grosse flaque de sang à mes pieds dans la chambre et la réaction de ma mère alors me marqua à jamais par son irrationalité : elle avait passé la tête par l’entrebâillement de la porte et, constatant brièvement, d’un simple coup d’œil, que le sang avait beaucoup coulé à la suite de l’intervention de mon frère, elle cria simplement : « Et tu laveras tout ça après ! » avant de refermer prestement la porte derrière elle. J’étais sidérée, consternée… que sa réaction à une telle scène se borne seulement à ces quelques mots ! Je n’oublierai jamais où je me tenais à ce moment-là, debout, près de mon lit dans l’unique chambre du bas (plus tard, ils firent une chambre pour mon plus grand frère, au rez-de-chaussée). C’est fou comme un événement traumatisant peut marquer à jamais la mémoire de la victime de l’image du lieu de la scène !

L’indifférence, comme le disait mon père, fait plus de mal parfois qu’un acte ou une parole violente et j’allais en faire les frais à plusieurs reprises. Ainsi, par une après-midi ensoleillée, alors que j’entrai dans le salon chez mes parents, par leur véranda, je ne sais plus ce que ma mère me dit en m’apercevant mais je lui glissai furtivement en passant, presque gênée d’oser en parler à quelqu’un d’autre qu’à Stéphane, seul au courant jusqu’alors, que j’avais subi une agression au cours d’une de mes rencontres via internet et sa réaction m’a marquée à jamais… Elle était assise à droite de la baie vitrée donnant sur le salon, devant son ordinateur portable, et avait brièvement tourné la tête vers moi pour dire « Ah oui ? Oh ! » sur un ton placide avant de se remettre aussitôt à scruter l’écran de son ordinateur. Pas une seule question sur les faits, la même indifférence que l’on aurait pu avoir à l’égard d’une mythomane, identique à celle subie lorsque je lui évoquai le « rêve » un matin alors âgée de 11 ou 13 ans, la même indifférence également que lorsqu’elle avait aperçu la flaque formée par le sang qui avait coulé de mon nez lorsque j’étais adolescente…

Par ailleurs, c’est grâce à Stéphane que, âgée désormais de 49 ans, j’ai enfin réalisé pourquoi, dès que j’ai pu avoir un logement après la naissance de mon fils, je n’ai eu de cesse de changer les meubles de place ou de changer la décoration à moindre coût. Stéphane se rappelle encore qu’à chaque fois qu’il entrait chez moi au début, dans l’ancienne maison, il était désorienté car cela avait encore changé d’apparence… Ma mère me reprocha un jour de n’avoir pas su donner envie à mon fils de venir vivre chez moi car je changeais sans cesse la décoration ou les meubles. C’était plus fort que moi et j’ignorais d’où cela pouvait venir, car avant sa naissance, ce n’était pas le cas dans les différents logements loués. Et je crois avoir enfin compris.

Je pense que lorsqu’on devient parent à son tour, des événements de l’enfance refont surface. À ce propos, je me souviens donc que j’occupais chez mes parents, depuis environ l’âge de 8 ans, lorsque nous avons déménagé pour une maison plus grande car ma mère venait d’avoir son septième enfant, la seule chambre située au rez-de-chaussée. Ce qui me surprend d’autant plus que j’étais la plus « trouillarde »… Mes souvenirs ne sont peut-être pas tout à fait exacts mais il me semble qu’au début je l’occupais avec une de mes deux plus jeunes sœurs, puis seule. Mais ce dont je suis sûre, c’est que je n’ai jamais décoré ma chambre moi-même, aussi bien avec des posters qu’avec des lampes ou autres. C’est peut-être de ma faute, il faut l’admettre, je n’avais peut-être pas envie de la décorer, pas d’idée… mais je ne me souviens que d’un plafonnier violet à fleurs que j’avais choisi dans un magasin, ainsi que de la tapisserie rose. Ou violette, je m’en souviens plus. J’ai vu bien des chambres d’adolescentes superbement décorées, personnalisées, mais je n’ai pas connu cela. Il faut dire aussi que nous n’étions alors que dans les années 80, c’était sans doute moins tendance.

Peut-être aussi que la frustration de n’avoir pu avoir de maison avec ma décoration personnelle, pour mon fils et moi, après sa naissance, durant des années, moi qui suis férue de décoration comme la plupart des femmes, y est pour beaucoup aussi. Et je pense que le fait de changer sans cesse de décoration masquait un manque dans ma vie de mère et d’adolescente. Comme les acheteurs compulsifs, ce que j’ai moi-même également été, qui le sont parce qu’ils ont vécu un manque dans le passé. Je ne me rappelle aucun objet relatif à l’adolescence ou à mes goûts du moment dans ma chambre d’adolescente. Je me raisonne en me disant que nous étions sept enfants et que seul mon père travaillait, ce qui expliquerait le manque de moyens financiers pour cela ; pourtant, ma sœur Annabelle, par exemple, avait affiché des posters de groupes de chanteurs rock comme Ah-Ah ou Indochine sur les murs de sa chambre.

Si seulement on m’avait donné droit à un logement avant ses cinq ans ! Si seulement je n’avais pas écouté ma mère qui m’avait conseillé de mettre les allocations de côté pour acheter un appartement pour lui et moi a posteriori, dès lors que j’ai perçu des aides ! Tout aurait été complètement différent, pour lui, pour moi, pour eux, pour nous. Et le thème du livre aussi.

Je réalise aussi que, à l’instar des enfants qui deviennent parfois violents à défaut d’être compris car ne pouvant bien parler, j’ai fait une sacrée crise d’adolescence et je pense savoir enfin pourquoi. Le silence de mon père à mon égard faisait que je m’endormais chaque soir avec la sempiternelle question en moi « Qu’est-ce que j’ai fait de mal encore aujourd’hui ? » sans pour autant trouver réponse à la question, pour chercher à justifier, rationaliser tout au moins, l’indifférence de mon père à mon égard alors qu’il parlait et faisait des chatouilles à mes autres frères et sœurs. S’ajoutaient à cela le fait que je dormais seule en bas, malgré mes phobies, et tous les autres à l’étage, et le fait de ne pouvoir exprimer clairement mes goûts d’adolescente par des choix de décoration par exemple, mais là encore, peut-être que cela venait de moi. Cela avait fini par créer chez moi un fort sentiment de révolte sur lesquels je ne pouvais/ne voulais mettre de mots, ne serait-ce que par l’interdit que j’avais fini par m’imposer face à la honte suscitée par l’idée que ce « rêve » fait entre 11 et 13 ans n’en était qu’un et qu’en somme j’étais coupable, de l’avoir fait et d’avoir pu croire cela réel, au risque de mettre en cause un innocent…

Ainsi ai-je grandi, sans le savoir, en développant ce que la psychothérapeute Sylvie Tannenbaum décrit dans son livre Vaincre la dépendance affective, cette tendance qu’ont les enfants victimes de maltraitance, physique ou psychologique, à expier des fautes qu’ils n’ont pas commises. Je m’endormais le soir avec un tel sentiment de culpabilité, inexplicable, irrationnel, car j’avais beau me remémorer la journée passée, rien ne justifiait un tel silence, une telle indifférence à mon égard de la part de mon père (il m’avait ensuite appris, bien des années plus tard, que le meilleur des mépris est l’indifférence et que lorsque quelqu’un ne nous aime pas il suffit de penser au sujet de ce tiers « si tu savais ce que je pense moi-même de toi ! ») et ainsi ne trouvais-je jamais de réponse à ce que j’avais pu faire de mal pour mériter une telle attitude de sa part, lui qui passait simplement devant la porte de ma chambre sans un mot le soir, sans un geste de tendresse, pour monter ensuite à l’étage faire des chatouilles à mes deux petites sœurs, que j’entendais alors rire aux éclats et qui me faisait les envier, sans les jalouser pour autant – on ne se refait pas ; je n’ai jamais été jalouse et ne le serai, j’espère, jamais, et surtout, je les aime profondément. Elles n’y sont pour rien dans cette différence subie par moi –. Je m’endormais ainsi durant des années sans jamais trouver de réponses à mes questions, puisque ce dont j’avais parlé à ma mère n’était qu’un simple rêve…

Ainsi nous croisions-nous, mon père et moi, sous le même toit, durant des années, sans qu’il ne m’adresse un seul mot ni un seul regard attentif, me traitant différemment de mes six frères et sœurs. Cela dura jusqu’à mes 20 ans, je pense, peut-être plus… À ses yeux, je n’étais rien ni personne.

Me soumettant à cette omerta imposée par la culpabilité, le doute, suscités par les paroles de ma mère à l’évocation de ce « rêve », et l’idée de commettre un acte grave en parlant de cela à un tiers, j’ignorais alors que j’étais victime surtout d’une détresse psychologique qui ne fut pas sans conséquence sur ma vie d’adolescente puis mon devenir d’adulte, pénalisés l’un après l’autre par les tics sur mes lèvres et le manque de confiance en moi qui favorisa par la suite les actes malveillants de certaines personnes, intéressées ou non, qui ont ensuite malheureusement trop souvent jalonné mon existence jusqu’à présent. Ces mésaventures qu’attisait mon manque de confiance et donc, par là, mon caractère introverti, faisaient dire à mon fils Livio, à mon intention, il y a plusieurs mois, à peu près dans ces termes : « À un moment donné quand on a plein d’histoires avec tout le monde, il faut se poser des questions » !

La psychologue, rencontrée vers 15 ans dans le cadre du silence de mon père à mon égard et de mes tics incessants, ne réussit pas à résoudre le problème. Bien sûr, je ne lui fis nullement part de ce « rêve », la présence de ma mère lors de la première séance me rappelant que c’était une chose dont il ne fallait pas parler. Mais je me souviens parfaitement de ces séances avec la thérapeute, où elle attendait que je me mette à parler et griffonnait sur son cahier durant mon silence, ne parlant pas elle non plus. Le temps étant écoulé, elle me disait au revoir. Aucun mot n’avait été échangé durant toute la séance. Je venais, du haut de mes 11 ou 13 ans, pour qu’on m’aide à résoudre ce problème d’automutilation et de complexe par rapport à mes lèvres, tenter de comprendre pourquoi mon père ne m’adressait pas la parole depuis longtemps déjà… mais elle, elle était surtout là pour gagner sa vie. De sorte que la psychothérapie entreprise à cet âge-là fut sans succès. Dans tous les corps de métier, il y a ceux qui exercent leur métier par vocation, et puis les autres…

Ainsi continuais-je à garder la main sur la bouche la plupart du temps, sans trop savoir pourquoi, me questionnant sur le fait que cela puisse venir d’une moquerie de mon frère au sujet de la forme de mes lèvres de profil. Ma mère devait avoir raison sur le fait que cela n’avait été qu’un mauvais rêve, de quelque chose qui se serait passé entre moi et mon père, venu me dire bonne nuit alors que j’étais déjà dans mon lit, ce soir-là, et donc juste avant que je m’endorme, d’où la confusion. Il n’empêche que durant des années ce même geste ne me quitta pas : arracher la peau des lèvres, même une fois que la peau saignait, continuer coûte que coûte, inlassablement. Parfois il en restait des marques brunes sur la bouche, vestiges d’une tendance à l’automutilation.

Mais cela ne m’empêcha pas, heureusement, d’éprouver une certaine sensation d’escapade vers la liberté un jour à 14 ans à l’arrière sur la moto du jeune Arnaud, si gentil et prévenant avec moi, ou encore à 18 ans, avec Frédéric. Ils venaient tous les trois, à mobylette ou à moto, me chercher à la maison. Cela m’a inspiré le manuscrit que j’écrivis alors à cet âge-là, « Stéphane », et qui contenait bien plusieurs dizaines de pages. Une maison d’édition me proposa de le publier mais je n’en fis rien, faute d’argent à cet âge-là. Les membres de ma famille auxquels je remis un exemplaire de celui-ci avec fierté, comme un cadeau, ont égaré celui-ci lors des déménagements, persuadés que j’en avais gardé un exemplaire. Mais ce n’était pas le cas, ainsi mon manuscrit ne fut jamais publié. Dans mon manuscrit je m’étais inspirée des copains que je côtoyais donc : mon copain Fred, Bakinou, Kikou et moi. Dans mon livre, ils s’appelaient Stéphane, Christophe, Arnaud et Elvire, une bande de copains qui se retrouvaient dans un bois certains soirs, à moto. Un de mes poèmes avait également, soi-disant, été publié dans l’Anthologie de la poésie française mais je n’achetai pas le manuel en question, toujours pour des raisons financières et n’ai pas réussi à le trouver sur internet. Mais de là vient peut-être cette sensation d’apaisement le soir au coucher lorsque j’entends au loin le doux ronronnement des moteurs de mobylettes ou de motos, qui exaspère la plupart des adultes mais qui, en ce qui me concerne, me rassure, m’aide à me sentir moins seule et enfin à m’endormir.

Pour en revenir à ma famille, je pense que l’habitude que j’avais de vivre dans la mienne, le quotidien, a rendu à mes yeux certaines autres scènes banales à tel point que rien d’autre ne m’a choquée venant d’elle, même si je n’ai gardé aucun souvenir de son intervention au collège face au harcèlement dont j’étais victime en 6e et 5e… Une vie tranquille, en somme, à part ces quelques épisodes.

Ce qui m’a amenée à écrire ce qui suit c’est que pour faire face à l’inflation et à l’augmentation de toutes les taxes et charges sociales depuis le Covid-19 et la guerre en Ukraine… j’ai dû travailler davantage et ne trouve alors pas le temps de pouvoir m’étendre sur le sujet auprès d’un professionnel, mon principal confident sur le sujet étant mon conjoint, même si mes tantes, mes amies et deux de mes patientes, m’ont bien souvent prêté une écoute attentive.