Marcher vers l'inconnu - Jack Mardesic - E-Book

Marcher vers l'inconnu E-Book

Jack Mardesic

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Beschreibung

Dans ce récit plein d’humour et d’espérance, frère Jack nous raconte quelques-unes de ses incroyables aventures. Suivant la grande tradition franciscaine, il part régulièrement en mission avec un autre frère dans les quartiers défavorisés, sac au dos, sans programme, sans argent, sans savoir où ils dormiront le soir. La Providence organise alors les rencontres les plus improbables... Son témoignage nous invite à changer de regard sur ceux qui sont apparemment loin de nous, mais aussi sur l’Église et sa mission. Il nous encourage à la rencontre, à l’école de saint François d’Assise. Une lecture qui brûle le coeur !

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Frère Jack Mardesic avec Claire Denoël

Marcher vers l’inconnu

Fioretti de missions franciscaines

Conception couverture : © Christophe Roger

Photos couverture : © Frères Franciscains Conventuels

Composition : Soft Office (38)

© Éditions de l’Emmanuel, 2021

89, bd Auguste Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

ISBN : 9-782-35389-925-8

Dépôt légal : 2e trimestre 2021

Préface

Père René-Luc

Juillet 1982. J’ai 16 ans et je suis un tout jeune converti. Voilà deux ans que la rencontre personnelle du Christ a complétement changé le cours de ma vie. Auparavant, c’était une mosaïque d’épreuves, un père inconnu, un beau-père violent qui s’est suicidé devant moi1… Cette nouvelle vie avec Jésus, je souhaite la vivre à fond. Et pour ça, j’ai besoin de modèles. Parmi ces modèles, je découvre saint François. Je suis touché par son changement radical de vie en pleine fougue de la jeunesse. Je décide de partir en auto-stop en pèlerinage à Assise. En quelques voitures, me voilà à Nice. Après une explication délicate avec les douaniers à la frontière vu mon âge, j’arrive le soir à Vintimille. Je cherche une église. À l’entrée, une personne fait la manche. Cela m’interpelle. Saint François envoyait ses frères mendier le pain pour rassasier les hommes affamés de donner des gestes d’amour. Est-ce que je serais capable de mendier, comme les franciscains ? Je prie devant le tabernacle : « Jésus, est-ce que tu veux que je fasse ce soir l’expérience de la mendicité ? Donne-moi un signe. » À ce moment-là, la porte latérale droite de l’église s’ouvre et se referme seule. Sans doute un coup de vent. Intrigué, j’insiste : « Seigneur, si tu veux que je mendie, fais que la porte s’ouvre de nouveau maintenant ! » La porte s’ouvre à l’instant même. Je ne saurai jamais si c’était un signe de Dieu ou une simple coïncidence due à un appel d’air, mais ce que je sais, c’est que je l’ai interprété comme étant la volonté de Dieu. Je sors et là, je suis incapable. Incapable de tendre la main pour mendier. Je me mets à pleurer sur moi, sur mon orgueil. Je comprends que l’appel franciscain est vraiment particulier, que nous ne sommes pas tous capables de vivre cette radicalité au quotidien, et que seuls ceux qui sont appelés sont capables de le vivre toute une vie. Ce fut une grande leçon d’humilité. J’ai d’autant plus admiré le message de saint François, mais j’ai compris que je ne serai pas franciscain. Le lendemain, j’ai fouillé dans mes poches et je me suis acheté un billet de train pour Assise.

Depuis lors, j’ai un attachement particulier à la famille franciscaine et en particulier à ceux qui, comme frère Jack, partent sur les routes de la mission en vivant l’exigence de la mendicité. Il est sans doute plus facile de parler de la spiritualité de saint François en restant à l’abri des murs d’un couvent. Mais lorsque la cellule du franciscain prend régulièrement la forme d’un carton, le message du Poverello d’Assise fait un bond de mille ans dans le temps. Aujourd’hui comme au temps de François, frère Jack va à la rencontre de ceux qui se sentent les plus éloignés de l’Église, les marginaux, les SDF, les homosexuels, les punks, les prostituées, les étudiants, les barmen… Aujourd’hui comme au temps de François, frère Jack part toujours accompagné. Aujourd’hui comme au temps de François, frère Jack prie beaucoup et mange peu, rigole toujours et pleure souvent, prend dans ses bras cette femme en pleurs et console la religieuse qui a quitté les ordres. Aujourd’hui comme au temps de François, frère Jack est le chouchou de la Providence qui lui prend le nombre exact de billets de train au bon moment, ou qui lui prépare une excellente pizza napolitaine sortie du four. Aujourd’hui comme au temps de François, frère Jack ne trouve pas l’hospitalité auprès de certains couvents, mais il est accueilli comme un prince dans un squat.

Frère Jack marche avec « ses deux pieds » sur le chemin de l’Évangile que Jésus a tracé et que le saint d’Assise a réactualisé. Ne perdons pas de temps pour les suivre pas à pas !

1. Voir le livre témoignage du père René-Luc, Dieu en plein cœur, Paris, Presses de la renaissance, 2018.

Voici comment le Seigneur me donna, à moi frère François, la grâce de commencer à faire pénitence. Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignai de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde (Test 1).

Introduction

Évangéliser implique un zèle apostolique. Évangéliser présuppose dans l’Église l’audace de sortir d’elle-même. L’Église est appelée à sortir d’elle-même et à aller vers les périphéries, pas seulement géographiques, mais également celles de l’existence : celles du mystère du péché, de la souffrance, de l’injustice, celles de l’ignorance et de l’absence de foi, celles de la pensée, celles de toutes les formes de misère2.

Jorge Mario Bergoglio

Je n’ai pas trouvé de meilleure manière pour commencer ce livre que de citer ces célèbres phrases du cardinal Bergoglio, plus connu aujourd’hui sous le nom du pape François. « Évangéliser », « audace », « appel à aller vers les périphéries géographiques et existentielles » sont pour moi des mots-clés. Voilà ce dont je veux témoigner dans ce livre, qui ne développe pas des théories sur la mission ou des idées abstraites sur l’évangélisation, mais qui raconte, sous la forme de fioretti, l’œuvre de Dieu dans ma vie, à travers des expériences d’évangélisation « à la franciscaine ».

Il m’arrive très souvent de voir des visages surpris lorsque je me présente comme un missionnaire australien vivant en Europe. Les gens trouvent mon propos tantôt étrange, voire comique, tantôt menaçant ou dérangeant, mais aussi parfois réconfortant et encourageant. J’ignore où mon lecteur se situera. Cependant, pour vous aider à mieux me connaître, je voudrais vous partager une parole de Dieu qui m’est chère : « Je ferai de toi la lumière des nations et tu porteras mon salut jusqu’aux extrémités de la terre » (Is 49, 6). Depuis le jour où j’ai rencontré le Dieu de Jésus et me suis éveillé à sa présence, je ressens un appel à porter son salut et sa lumière jusqu’aux terres lointaines, à l’autre bout du monde. Pour l’Australien que je suis, les « extrémités », ce sont bien la Belgique et les nations européennes !

Depuis dix ans, je parcours les routes d’Europe, pérégrinant en Italie, Espagne, France, Luxembourg et Belgique, avec un sac à dos et sans argent, pour aller à la rencontre des gens. C’est ma manière de porter la lumière du Christ et son salut à ceux qui veulent bien m’accueillir. Je ne m’impose pas. Je me fais recevoir. Voilà pourquoi j’ai d’innombrables histoires et expériences de « foi en action » à raconter.

Les témoignages de missions racontés dans ce livre se situent dans le cadre d’une longue tradition franciscaine : elle date de plus de huit cents ans ! Je suis heureux de dire que je n’ai pas inventé la forme de vie que vous allez découvrir ici : je l’ai reçue de mes frères franciscains ; nous l’avons reçue de saint François, qui la tenait lui-même de Jésus-Christ et ses apôtres.

Comme Jésus, saint François (1182-1226) et ses frères étaient des hommes itinérants, en continuel mouvement. Ils prêchaient l’Évangile par un style de vie fraternel, pauvre, priant et pacifique. Les premiers franciscains étaient connus pour leur proximité vis-à-vis des pauvres et des marginalisés, pour leur joie dans la pauvreté, pour leur fraternité offerte à chacun, quel qu’il soit, et pour leur zèle apostolique à annoncer Jésus-Christ, Dieu fait homme.

Je suis un fils béni de la famille franciscaine. Comme beaucoup d’autres, je suis convaincu que saint François et sa spiritualité sont toujours d’une grande actualité aujourd’hui. C’est pour cela qu’au fil de cet ouvrage, des textes franciscains vous sont proposés afin de mieux vous faire connaître saint François et l’héritage qu’il nous a transmis.

Les récits que je partage avec vous dans les pages qui suivent, je les ai personnellement vécus. Rien n’a été inventé. Ils sont racontés au plus près de la réalité factuelle et spirituelle. Toutefois, pour des raisons de respect de la vie privée, certains prénoms ont été modifiés, ainsi que, parfois, des éléments de contexte.

Ce livre est le résultat d’un travail en tandem. Je n’exagère pas en disant qu’il n’aurait jamais vu le jour sans la collaboration de sa co-autrice, Claire Denoël. Grâce à sa rigueur, sa finesse, sa sensibilité de femme croyante, engagée dans le service social et dans l’Église, mes expériences de mission ont pu enfin trouver les mots pour se dire. Écrire ce livre avec elle fut une véritable aventure spirituelle, un cadeau de Dieu et un fruit inattendu du confinement covid.

J’invite maintenant le lecteur à mettre ses pas dans les pas de Jésus, comme dirait saint François, pour vivre avec mes frères et moi l’expérience de la mission franciscaine, et marcher vers l’inconnu.

2. Jorge Mario Bergoglio, Discours lors des congrégations générales qui ont précédé le conclave de mars 2013.

Sigles utilisés

Écrits de François

Saint François se décrivait lui-même comme un homme « simple » et « illettré ». Cependant, il nous a laissé plusieurs écrits de genres différents : prières, lettres, règles, exhortations et testaments. Voici les références qui seront présentes dans cet ouvrage.

Adm

Admonitions

LMin

Lettre à un ministre

LOrd

Lettre à tout l’Ordre

PCru

Prière devant le Crucifié

1Reg

Règle non bullata

2Reg

Règle bullata

Test

Testament

VJ

La vraie Joie

Biographies et témoignages

Après la mort du saint d’Assise, de nombreuses biographies ont été écrites avec le désir de conserver son héritage au sein de l’Ordre franciscain. Les textes que nous citerons sont l’œuvre de frères quasi contemporains de François.

1C Vita prima de Thomasde Celano

2C Vita secunda de Thomasde Celano

CA Compilation d’Assise

LM Légende Majeure de saint Bonaventure

3S Légende des trois compagnons

SP Miroir de perfection majeur

Fior Fioretti – ou Actes du bienheureux François

Chapitre 1

Le Dieu caché

« Abandonne au Seigneur tout souci, et il prendra soin de toi. » C’était la phrase habituelle que François disait lorsqu’il envoyait un frère en mission… Lorsque le nombre de frères atteignit huit le bienheureux François les réunit tous autour de lui et leur parla longuement du royaume de Dieu et il leur annonça son projet de les envoyer dans les quatre parties du monde comme pour tracer un immense signe de croix. « Allez, dit-il, en annonçant la paix aux hommes, prêchez-leur la pénitence pour qu’ils obtiennent le pardon de leurs péchés. Soyez patients dans la difficulté, assidus à la prière, courageux au travail ; sûrs que le Seigneur accomplira son projet et sa promesse. À qui vous interroge, répondez humblement ; bénissez qui vous persécute ; rendez grâce à ceux qui vous font du tort et vous calomnient, car en échange de cela un royaume éternel nous est préparé. » (LM 3)

Rome en décembre. Nous sommes sur le point de quitter le couvent et de partir en mission, Clément, un jeune frère roumain, et moi. À cette époque, nous sommes tous les deux étudiants à Rome à l’Institut théologique du Seraphicum.

Cette mission, nous l’avons prévue de longue date : nous allons partir sans argent, sans nourriture, sans savoir où manger ni où dormir, dans un quartier défavorisé situé dans la banlieue de Rome. Nous sommes abreuvés de connaissances théologiques et bibliques et nous avons soif de vivre et de mettre tout cela en pratique.

Vers 10 h 30, alors que nous sommes en train de boucler notre sac à dos, Clément s’exclame : « Oh mon frère ! Regarde, il neige. Et à gros flocons ! »

Un de nos confrères, Blasio, éclate de rire : « Il ne neige jamais à Rome ! Vous n’avez vraiment pas de pot ! » Frère Luca, lui, trouve la situation moins drôle et s’inquiète : « Partir par ce temps ? Vous allez mourir de froid. Il faut que vous annuliez votre mission. »

Clément et moi traversons un moment d’indécision : nous sommes tétanisés à la vue du climat, et en même temps mal à l’aise à l’idée de tout annuler. « Il faut qu’on prie », dit Clément. Nous descendons tous les deux dans la chapelle. Après un temps de prière et avec un nœud dans l’estomac, nous décidons de rester fidèles à notre engagement. Nous quittons le couvent avec un signe de croix et nous mettons en marche vers la gare.

Nous voilà arrivés dans le quartier populaire : de grands immeubles grisâtres s’y dressent en ordre dispersé. Nous arpentons les rues et peu à peu nous nous familiarisons avec le lieu. Tout en marchant, nous sommes à la recherche d’un emplacement qui pourrait nous servir d’abri pour la nuit, au cas où nous ne trouverions pas avant la fin de la journée un endroit où être accueillis.

À part explorer le quartier, Clément et moi, nous n’avons pas de programme précis ni d’horaire particulier. Nous avons du temps. Les franciscains, quand ils vont en mission de par le monde, ont l’habitude de visiter les églises. Cela leur donne un but en attendant une rencontre significative.

Vers 16 heures, c’est sur le parvis d’une église que nous rencontrons Pietro. Il vient de terminer son boulot et est encore en bleu de travail. Il attend sa femme, Francesca, qui prie le chapelet avec d’autres paroissiennes.

« Que faites-vous ici, dans notre église ? » demande Pietro. Je lui sors ma phrase standard de présentation : « Clément et moi sommes en mission “à la franciscaine”. Nous sommes partis avec notre sac à dos, sans argent, sans nourriture et sans savoir où dormir pour vivre l’Évangile en faisant confiance à la bonté de Dieu et à la bonté de l’homme.

– Alors vous êtes franciscains ! Je voue une grande dévotion à Padre Pio », nous dit-il en nous montrant avec fierté la photo du saint dans son portefeuille, juste avant que Francesca ne sorte de l’église. Elle est très active dans la paroisse. « Comme c’est beau d’avoir des franciscains dans notre église ! Quand j’étais petite, chaque dimanche après la messe, nous invitions à déjeuner le prêtre franciscain. D’ailleurs si vous voulez manger chez nous ce soir, vous êtes les bienvenus. » Sans hésitation, nous acceptons l’invitation.

À 20 heures, nous arrivons chez Pietro et Francesca. Nous sommes accueillis chaleureusement par des effluves de cuisine qui enchantent nos narines. En entrant dans leur appartement, nos hôtes nous présentent Alessandro et Enrica, un couple ami, invités eux aussi à dîner.

Nous prenons place à table et Francesca sort les plats qu’elle a préparés : pâtes au pesto en entrée et vital tone (la succulente version italienne du rôti de veau) en plat principal. Avec un tel menu, il n’est pas difficile de mettre en pratique la règle d’or de tout franciscain : « Qu’il leur soit permis de manger tous les aliments qu’on leur présente » (1R 3).

« Savez-vous, mes frères, qu’Alessandro et Enrica viennent de se marier dans notre paroisse après plus de quinze ans de vie commune ? » dit Francesca. Enrica continue avec enthousiasme : « C’était un rêve depuis toujours. Surtout quand je pense à ma maman qui n’est plus avec nous. Elle a toujours voulu qu’on se marie à l’église. Et c’était important pour moi aussi. Je voulais que Dieu soit présent dans notre vie de couple et je sentais que nous n’étions pas en règle avec lui. » Je lui réponds : « Félicitations ! Cela a dû être quelque chose de fort de vous marier avec vos deux enfants à vos côtés. »

Alessandro ajoute : « Mon frère, je te jure, le chemin vers le mariage n’a pas été évident. Quand je pense à la manière maladroite avec laquelle le curé nous a accueillis, un véritable interrogatoire ! Et toute cette procédure pour que l’Église déclare nul mon premier mariage ! Je l’ai fait pour Enrica : je suis un sacré veinard de vivre avec elle, mais je t’avoue que plus d’une fois, j’ai failli renoncer à toutes ces démarches. »

Francesca coupe son ami et défend son curé : « Notre curé est quelqu’un de bien, mais il est surchargé. Il a besoin de notre soutien spirituel car le diable ne dort pas. »

« À propos de dormir, mes frères, où pensez-vous passer la nuit ? J’espère que vous allez pouvoir trouver un endroit bien couvert », nous dit Pietro. Espérant qu’il nous propose un petit coin dans leur appartement, je réponds : « Nous n’avons pas vraiment trouvé d’endroit pour passer la nuit. » Et à ce moment-là, douche froide : « Alors, peut-être faudrait-il que vous vous dépêchiez si vous voulez trouver un lieu où dormir. »

Je fais de mon mieux pour afficher un sourire, cacher ma déception et la peur du froid : « Je pense que tu as raison Pietro. Il commence à se faire tard. » Ensemble, nous rendons grâce à Dieu pour le repas et nous nous disons adieu.

En descendant les escaliers de leur immeuble, Clément me confie : « Je croyais vraiment qu’ils allaient nous accueillir.

– Moi aussi, mon frère. Pourtant c’est leur liberté. Nous ne pouvons pas exiger un accueil. »

En ouvrant la porte de l’immeuble, nous sentons le vent qui nous heurte de plein fouet. Nous frissonnons, l’air est glacial. La température a continué de baisser. Tout est blanc et il est 23 heures.

Après une petite heure de marche, nous retrouvons un endroit vaguement repéré dans la journée, juste devant la grille d’un marché public couvert. Nous déployons nos cartons par terre et faisons de notre mieux pour nous protéger du vent. Pendant que nous nous glissons dans notre sac de couchage, une ombre sort de la nuit et crie d’un ton agressif : « Qu’est-ce que vous foutez là ? »

Nous apercevons de l’autre côté de la grille un homme grand, les épaules larges, incroyablement baraqué. Nous lui expliquons que nous sommes des frères franciscains : « Nous sommes en mission, nous avons quitté notre couvent sans argent, sans nourriture, sans adresse où dormir.

– Je ne vous crois pas. Comment vous appelez-vous ? » Mon jeune frère roumain décline son identité et je poursuis : « Je suis un vrai frère franciscain, je m’appelle frère Jack Mardesic. » L’homme répète : « Mardesic ? Mardesic ! D’où viens-tu ?

– Je suis né en Australie, mais mes parents sont d’origine croate. » Il commence alors à me parler dans sa langue, je comprends quelques mots et lui réponds en croate. Il est originaire de Macédoine, une région qui faisait partie de l’ex-Yougoslavie, comme la Croatie.

Sa voix rude contraste avec son regard aimable. Il nous adresse à tous les deux un grand sourire qui fait fondre la glace ! « Jetez vos cartons, les gars, venez avec moi. »

Il force la grille du portail du marché couvert et nous invite à le suivre le plus discrètement possible. Nous traversons un dédale de ruelles avec l’impression d’être en territoire interdit, défendu. Nous arrivons devant son squat. Il nous y fait entrer, ferme bruyamment la porte et allume la lumière. Nous sommes chez Igor. Il y a un lit à deux places, du bric-à-brac et du chauffage. Quel bonheur !

« Avez-vous faim ? Il faut que vous mangiez quelque chose.

– Merci beaucoup, Igor, mais nous venons de dîner, lui dit Clément.

– Non, non, il faut que vous mangiez quelque chose. Il fait froid et ça vous fera du bien. Installez-vous. Mettez-vous à l’aise. Ma maison est votre maison. Toi, frère, tu peux dormir ici sur mon lit, et toi de l’autre côté. Moi, je vais m’installer dans le coin sur les coussins. »