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Pour le corps social, la pandémie du Covid-19 est à la fois un traumatisme et l'occasion d'expériences inédites. Que restera-t-il de tout cela après, quand tout sera terminé ? En particulier, que restera-t-il de ce fait extraordinaire : avoir réussi à faire porter un masque à l'ensemble d'une population ? Plus personne n'y pensera alors, raison pour laquelle ces quelques pages tentent de retenir le souvenir de ce que nous avons pu ressentir en ces jours étranges. Ces petites scènes de la société masquée, parfois amères, parfois cocasses, sont profondément ancrées dans le décor familier des rues de Toulouse. Elles plongent le lecteur dans les micro-événements de la vie quotidienne où le port du masque appauvrit ces contacts sociaux de voisinage qui animent d'habitude si agréablement la vie quotidienne. Tout, dans ces pages, est authentique, à part ce qui ne l'est pas...
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Seitenzahl: 111
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Photo de couverture : deux membres de la classe politique espagnole dans un débat pour l'élection à la présidence de la Communauté Autonome de Madrid (mars 2021) © El País en ligne.
« L'insociable sociabilité » Emmanuel Kant
« Si un homme me tient à distance, ma consolation est qu'il se tient à la même distance de moi. » Jonathan Swift
Hologramme
Goulag
Déchetterie
Le vengeur masqué
Orthodoxie
De l'avantage du masque
Les pétainistes à l'épicerie
Conversation sous le masque
La tache originelle
Habitude
Visages sans yeux
Dessin humoristique
Pas de justice
Reconnaissance faciale
Couple mixte
Voisinage
Le rêve des deux chiots
Baiser automobilistique
Temps long, temps court
Beauté
Qui sont-elles vraiment ?
La doxa des masques
Bali, ses œuvres et ses pompes
À l'angle de l'Institut Cervantes
Créativité
Manspreading
Chez le coiffeur
Une retraitée
St Pierre et Miquelon, terre vierge
Salut
Le confit ne ment jamais
Des regards féroces et balayants
L'anesthésiste qui aimait la littérature
espagnole
Le chien
Bleu ou rose
Sentiment d'appartenance
Un cri sauvage, rue de la Balance
Humour de bas étage
DRH
Sous les masques, l'humidité
Exhibitionnisme nasal
Dispense
Nouveaux nez
Individus masqués
Brève
Le cordonnier, le plus mal chaussé
Archéologie littéraire
Qui « même » me suive
Skippers
Masques vénitiens
30 nuances de masques
Élégance naturelle
Charme de la transgression
Mona Lisa
Un rêve de visage
Ceinture et bretelles
Retour au bercail
Conversation
Calembours
Décathlon et la Haute autorité
Casuistique du masque
Préfète déboutée
Rangement
Non-respect des règles sanitaires
Nouvel objet de consommation
Masque opportun
Au coin de la rue
Faits-divers aux Sables d'Olonne
Belgique
Suivie
Regards
Invisible
Non-anecdote
Petit salut de la main
Factrice
Farceur
D'un masque, l'autre
Univers impitoyable
Jolis minois ?
Voisine
L'accessoire de l'accessoire
L'heure fatidique
Langage des signes
Échanges frontaliers
Soigner sa dépression
Conseils vestimentaires
Spécificité
Pour toujours ?
Comment s'y faire ?
Glauque
Quelque chose de vrai là-dedans
Chez le coiffeur
Carnaval à Toulouse
Petit bénéfice
Autorité sous le masque
Reconnaissance
Confidence professorale
Collectif Enfance et Liberté : « Laissez nos
enfants respirer »
France Culture
Vivre dangereusement
Pour la distanciation, c'est raté
Logique à la Lewis Carrol
Nouvelle pudeur
Modes médicales
Le calme proverbial des Suisses
Il ne mâche pas ses mots
Masque social
Soupape de sécurité
Nouvelle élite
Fleuriste
Orthoptie
L'art des présentations
Sombres perspectives
Folie choisie
Promenade dominicale en bord de mer
Ambiance de Prohibition
Zorro
Construction mentale
L'immunité collective, un jour
Rien ne vaut les mesures barrières
Une nouvelle ère
Patiente
Hitchcock, fenêtre sur cour
Senteurs fantasmées
Masque du rêve
Floutage
Parler sans masque
Stigmates
Messe de tous les risques
VDM
Maladresse ou rigueur légitime ?
Députée de choc
Violences
Le plus grand défi posé à l'écriture
Délitement
Éternel retour
Méprise
Ça passe mal
Deuil
british
« Le monde s'est dédoublé »
Nouveau sourire
Nouvelle frontière
Personnage
Point de focalisation
Double capture d'écran
Zigzag
Entre-soi
Reconnaissance olfactive
Piétons et cyclistes
Le « super-contaminateur » indien
Tout d'un coup
Tout ça pour ça ?
Place Jeanne d'Arc, une apparition
Hier, rue d'Embarthe, j'ai croisé Ali sur son vélo, un Motobécane des années 1970, – je les repère entre mille –, fin et élégant comme lui, qu'il avait dégoté sur le Bon Coin. Ali est en troisième année de thèse d'économie politique à l'Université Capitole 1 et se rend toujours en vélo, depuis son studio du quartier Saint-Michel, aux cours qu'il donne au centre ville en tant qu'Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche. Il porte en toute saison des lunettes noires à cause de sa conjonctivite. Avec le froid, ce jour-là, il était vêtu d'une doudoune noire à capuche bordée d'une auréole de fourrure synthétique et, sur son visage sombre, il portait le masque en tissu noir de la pandémie.
L'espace d'un éclair, j'ai vu un vélo chevauché par un être sans visage, noir sur noir. Une absence. Et, en effet, Ali n'est pas vraiment là,il ne s'appartient pas, il attend le jour où il reviendra à N'Djamena, sa ville d'origine, où sa mère a organisé son mariage avec une jeune musulmane bien sous tous rapports, appartenant au même niveau social que lui. L'étudiante qui vit avec lui à Toulouse, et qui l'aime éperdument, ne sait pas qu'il va partir.
Éva a eu plusieurs vies. Allemande « de l'Est » installée dans le marais sud vendéen à Puyravault pour suivre les désirs de son mari colonel à la retraite et amateur de voile, je l'ai d'abord connue en tant que collègue dans le lycée où elle enseignait l'allemand et moi, l'espagnol. Devenue veuve, et retraitée, elle avait renoué avec sa première formation, les Beaux-Arts, fait de la peinture non-figurative, qu'elle vendait bien, et aussi des gravures puissantes, des livres d'artiste, puis s'était tournée vers le travail du tissu, produisant des œuvres extraordinaires. Trois ans avant la pandémie, Éva avait abordé un thème glacial, dans sa nouvelle production de plasticienne. Après une période de robes déjantées et somptueuses, faites de matériaux de récupération, de cravates usagées et de filets agricoles achetés à la GAEC, suivies de robes de bure monumentales, d'une beauté austère, exposées dans divers châteaux et monastères du Poitou et des Charentes, elle s'était tournée, avec l'urgence qui caractérise chaque nouvelle voie explorée, vers la confection de masques bien particuliers. Elle avait trouvé dans une revue d'archives allemandes du XXe siècle des photos grises représentant quelques exemplaires de masques anti-froid portés par les prisonniers d'un goulag sibérien. Un orifice rond pour la bouche, comme un cri gelé, deux fentes étroites pour les yeux s'ouvraient à travers les couches de tissus récupérées sur des lambeaux de hardes. Les prisonniers plaquaient ces protections improvisées en cuirasse devant leur visage dans l'espoir de faire partiellement barrière aux températures extrêmes. Ces reliques vides avaient un air lunaire, et Éva avait été tellement fascinée par ces yeux sans visage qu'elle n'avait eu de cesse d'en découper, assembler et coudre à la machine plusieurs, inspiration rageusementsoulageante. Je n'ai jamais vu les masques finis, ils devaient faire peu après l'objet d'une exposition à La Rochelle ; mais j'ai vu les épaisseurs de tissus écrasées avec dextérité sous le pied-de-biche de la lourde machine à coudre.
N'ayez jamais de jardin loin de chez vous ! Les choses de la vie nous avaient fait négliger d'aller au village de Marcolès, près d'Aurillac, pendant trois ans, et le jardin situé au quartier dit du « Faux-bourg », l'ancien potager de mon grand-père, entouré de ses murs de pierres sèches, était resté à l'abandon, envahi par plusieurs couches d'herbes hautes et quelques massifs de ronce. Le mur qui bordait le chemin avait commencé à s'ébouler. La voisine et riveraine de l'autre côté du jardin, une parente par alliance, se plaignait aigrement que son jardin allait être envahi par de maléfiques serpents. Alain décida de nettoyer lui-même, mais couper la végétation, ce n'était pas tout, il fallait ensuite évacuer des monceaux d'herbes et de feuilles. Alain compressait l'herbe sèche dans de grands sacs et la tassait dans le coffre de la voiture. S'ensuivit une noria de passages dans les deux déchetteries les plus proches, Saint-Mamet et Lacapelle-del-Fraysse, qui s'étaient accordées pour ouvrir à des horaires complémentaires, tantôt l'une, tantôt l'autre. C'était le temps de la pandémie et les gardiens, comme dans tout lieu public, portaient un masque, ce qui donnait aux paroles échangées une intensité inhabituelle, due à la nécessité d'articuler. Il fallait montrer patte blanche au gardien la première fois, pour bien prouver qu'on avait le droit de déposer le chargement. À la grande surprise du premier gardien, qui s'attendait à me prendre en défaut, j'avais sur moi le document administratif exigé. Puis, au tour suivant, quand la première déchetterie fut fermée, nous sommes allés à la recherche de la deuxième, celle de Lacapelle. Le gardien s'est approché, comme son collègue, pour nous demander qui nous étions et s'enquérir de la nature du dépôt. Il s'est penché vers la portière dont j'avais baissé la vitre. Des yeux plissés par un sourire masqué invisible, d'inoubliables yeux verts.
C'était en décembre, une période sans confinement, mais avec couvre-feu à 20 h, petite promenade de 3/4 d'heures, l'après-midi, dans le quartier, rue des Chalets, pour s'aérer un peu ; bizarrement nous avions gardé le rythme du premier Grand Confinement : 1 h maximum pour sortir, 1 km de rayon autour de chez soi, cela reste un fil à la patte intériorisé dont je n'arrive pas à me défaire. Si je dépasse ce délai, aussitôt m'envahit une vague culpabilité. Nous portions le masque, obligatoire hors de chez soi dans cette période de « distanciation sociale » et de « gestes barrières » et étions sur le point de traverser la rue Mérimée. C'est un quartier à vitesse limitée à 30 à l'heure, donc priorité aux piétons partout (mais tout le monde n'a pas l'air de le savoir). Juste au moment d'aborder la traversée de cette petite rue, arrive à vive allure une voiture conduite par une femme de la cinquantaine, avec une passagère. Cela nous oblige à un bref temps d'arrêt au cas où elle n'aurait pas ralenti, mais, finalement, elle stoppe réglementairement pour nous laisser traverser. Comme, d'un peu plus, elle ne s'arrêtait pas, elle se sent un peu coupable d'avoir pensé un peu tard à le faire et d'être arrivée trop vite au carrefour, d'où un air contrit affiché ostensiblement, en guise de réparation, et un aimable sourire d'excuse à mon égard. Je passe devant leur véhicule immobilisé, et Alain, lui, choisit de passer à l'arrière. À son habitude, il frôle, tel un danseur, l'obstacle de la carrosserie, et au moment où il se penchait légèrement sur la voiture pour l'esquiver, sa poche de parka, lestée de son téléphone, heurte légèrement le coffre du véhicule, de façon perceptible, produisant un petit choc métallique étouffé seulement en partie par le tissu. Je me retourne, la voiture est toujours arrêtée, la passagère a baissé à la hâte sa vitre, la conductrice se penche, me hèle, stupéfaite et en colère « Il a frappé la voiture ? ». Je me dis : réflexe classique, les automobilistes ne supportent pas qu'on effleure leur carrosserie, paranoïa ordinaire qui a fait croire à cette dame charmante, mais un peu trop vive, qu'Alain se vengeait de ce qu'elle ne nous avait pas cédé le passage tout de suite. Alain, qui n'a pas saisi ce qui se passait, le visage anonymisé par son masque, se tourne vers elle. Elle ne peut rien décoder sur son visage. C'est donc moi qui dois expliquer « mais non, il n'a pas frappé votre véhicule, c'est le téléphone dans sa poche qui l'a légèrement heurtée au passage, ce n'est rien ». Soulagée, elle redémarre en trombe.
Si elle savait que l'un des « sports » préférés d'Alain, aux passages piétons avec feux, est de frapper bruyamment du plat de la main les carrosseries des automobilistes qui forcent le feux rouge et ne laissent pas passer les piétons dans leur droit. Mais, pour une fois, il n'avait rien fait ! Ambiance électrique de la pandémie.
MPC, après sa longue journée de consultations médicales, rentre chez elle en vélo. Elle s'arrête au magasin Truffaut rue de Metz, pour acheter des croquettes de régime à ses chats. Elle attache soigneusement son vélo, avec chaîne et cadenas, au mobilier urbain. Une fois les croquettes trouvées, elle fait sagement la queue à la caisse. Des panneaux indiquent clairement que chaque client doit garder une distance d'un mètre et porter le masque. Arrive une étudiante de 20 ans, insouciante, satisfaite de sa personne, qui se colle juste derrière elle. MPC se retourne, lui montre du doigt le règlement. La fille lève les yeux au ciel, « Bouu là là ! » et recule d'un demi-pas. MPC se retourne encore : « Un mètre ! ». La fille râle « Bouuu là là, vous, alors ! » et recule encore. Elle porte son masque sous le nez. « Et le masque, on le met aussi SUR le nez ! », lui jette MPC, ce à quoi l'étudiante répond « Oh, mais vous, alors, qu'est-ce que vous êtes agressiiiiiiive ! » MPC explose : « Après, à cause d'écervelées comme vous, des gens seront contaminés et vont mourir, vous n'êtes qu'une tête en l'air, une irresponsable, aucune maturité, quand allez-vous enfin grandir ? ». Les autres clients et le jeune homme de la caisse baissent les yeux et gardent un silence prudent.
En sortant, MPC trouve sur le trottoir un SDF en train de masser amoureusement la selle de son vélo. Mille sabords !!!