Masqué·e·s - Françoise Cazal - E-Book

Masqué·e·s E-Book

Françoise Cazal

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Beschreibung

Pour le corps social, la pandémie du Covid-19 est à la fois un traumatisme et l'occasion d'expériences inédites. Que restera-t-il de tout cela après, quand tout sera terminé ? En particulier, que restera-t-il de ce fait extraordinaire : avoir réussi à faire porter un masque à l'ensemble d'une population ? Plus personne n'y pensera alors, raison pour laquelle ces quelques pages tentent de retenir le souvenir de ce que nous avons pu ressentir en ces jours étranges. Ces petites scènes de la société masquée, parfois amères, parfois cocasses, sont profondément ancrées dans le décor familier des rues de Toulouse. Elles plongent le lecteur dans les micro-événements de la vie quotidienne où le port du masque appauvrit ces contacts sociaux de voisinage qui animent d'habitude si agréablement la vie quotidienne. Tout, dans ces pages, est authentique, à part ce qui ne l'est pas...

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Photo de couverture : deux membres de la classe politique espagnole dans un débat pour l'élection à la présidence de la Communauté Autonome de Madrid (mars 2021) © El País en ligne.

« L'insociable sociabilité » Emmanuel Kant

« Si un homme me tient à distance, ma consolation est qu'il se tient à la même distance de moi. » Jonathan Swift

Table des matières

Hologramme

Goulag

Déchetterie

Le vengeur masqué

Orthodoxie

De l'avantage du masque

Les pétainistes à l'épicerie

Conversation sous le masque

La tache originelle

Habitude

Visages sans yeux

Dessin humoristique

Pas de justice

Reconnaissance faciale

Couple mixte

Voisinage

Le rêve des deux chiots

Baiser automobilistique

Temps long, temps court

Beauté

Qui sont-elles vraiment ?

La doxa des masques

Bali, ses œuvres et ses pompes

À l'angle de l'Institut Cervantes

Créativité

Manspreading

Chez le coiffeur

Une retraitée

St Pierre et Miquelon, terre vierge

Salut

Le confit ne ment jamais

Des regards féroces et balayants

L'anesthésiste qui aimait la littérature

espagnole

Le chien

Bleu ou rose

Sentiment d'appartenance

Un cri sauvage, rue de la Balance

Humour de bas étage

DRH

Sous les masques, l'humidité

Exhibitionnisme nasal

Dispense

Nouveaux nez

Individus masqués

Brève

Le cordonnier, le plus mal chaussé

Archéologie littéraire

Qui « même » me suive

Skippers

Masques vénitiens

30 nuances de masques

Élégance naturelle

Charme de la transgression

Mona Lisa

Un rêve de visage

Ceinture et bretelles

Retour au bercail

Conversation

Calembours

Décathlon et la Haute autorité

Casuistique du masque

Préfète déboutée

Rangement

Non-respect des règles sanitaires

Nouvel objet de consommation

Masque opportun

Au coin de la rue

Faits-divers aux Sables d'Olonne

Belgique

Suivie

Regards

Invisible

Non-anecdote

Petit salut de la main

Factrice

Farceur

D'un masque, l'autre

Univers impitoyable

Jolis minois ?

Voisine

L'accessoire de l'accessoire

L'heure fatidique

Langage des signes

Échanges frontaliers

Soigner sa dépression

Conseils vestimentaires

Spécificité

Pour toujours ?

Comment s'y faire ?

Glauque

Quelque chose de vrai là-dedans

Chez le coiffeur

Carnaval à Toulouse

Petit bénéfice

Autorité sous le masque

Reconnaissance

Confidence professorale

Collectif Enfance et Liberté : « Laissez nos

enfants respirer »

France Culture

Vivre dangereusement

Pour la distanciation, c'est raté

Logique à la Lewis Carrol

Nouvelle pudeur

Modes médicales

Le calme proverbial des Suisses

Il ne mâche pas ses mots

Masque social

Soupape de sécurité

Nouvelle élite

Fleuriste

Orthoptie

L'art des présentations

Sombres perspectives

Folie choisie

Promenade dominicale en bord de mer

Ambiance de Prohibition

Zorro

Construction mentale

L'immunité collective, un jour

Rien ne vaut les mesures barrières

Une nouvelle ère

Patiente

Hitchcock, fenêtre sur cour

Senteurs fantasmées

Masque du rêve

Floutage

Parler sans masque

Stigmates

Messe de tous les risques

VDM

Maladresse ou rigueur légitime ?

Députée de choc

Violences

Le plus grand défi posé à l'écriture

Délitement

Éternel retour

Méprise

Ça passe mal

Deuil

british

« Le monde s'est dédoublé »

Nouveau sourire

Nouvelle frontière

Personnage

Point de focalisation

Double capture d'écran

Zigzag

Entre-soi

Reconnaissance olfactive

Piétons et cyclistes

Le « super-contaminateur » indien

Tout d'un coup

Tout ça pour ça ?

Place Jeanne d'Arc, une apparition

Hologramme

Hier, rue d'Embarthe, j'ai croisé Ali sur son vélo, un Motobécane des années 1970, – je les repère entre mille –, fin et élégant comme lui, qu'il avait dégoté sur le Bon Coin. Ali est en troisième année de thèse d'économie politique à l'Université Capitole 1 et se rend toujours en vélo, depuis son studio du quartier Saint-Michel, aux cours qu'il donne au centre ville en tant qu'Attaché Temporaire d'Enseignement et de Recherche. Il porte en toute saison des lunettes noires à cause de sa conjonctivite. Avec le froid, ce jour-là, il était vêtu d'une doudoune noire à capuche bordée d'une auréole de fourrure synthétique et, sur son visage sombre, il portait le masque en tissu noir de la pandémie.

L'espace d'un éclair, j'ai vu un vélo chevauché par un être sans visage, noir sur noir. Une absence. Et, en effet, Ali n'est pas vraiment là,il ne s'appartient pas, il attend le jour où il reviendra à N'Djamena, sa ville d'origine, où sa mère a organisé son mariage avec une jeune musulmane bien sous tous rapports, appartenant au même niveau social que lui. L'étudiante qui vit avec lui à Toulouse, et qui l'aime éperdument, ne sait pas qu'il va partir.

Goulag

Éva a eu plusieurs vies. Allemande « de l'Est » installée dans le marais sud vendéen à Puyravault pour suivre les désirs de son mari colonel à la retraite et amateur de voile, je l'ai d'abord connue en tant que collègue dans le lycée où elle enseignait l'allemand et moi, l'espagnol. Devenue veuve, et retraitée, elle avait renoué avec sa première formation, les Beaux-Arts, fait de la peinture non-figurative, qu'elle vendait bien, et aussi des gravures puissantes, des livres d'artiste, puis s'était tournée vers le travail du tissu, produisant des œuvres extraordinaires. Trois ans avant la pandémie, Éva avait abordé un thème glacial, dans sa nouvelle production de plasticienne. Après une période de robes déjantées et somptueuses, faites de matériaux de récupération, de cravates usagées et de filets agricoles achetés à la GAEC, suivies de robes de bure monumentales, d'une beauté austère, exposées dans divers châteaux et monastères du Poitou et des Charentes, elle s'était tournée, avec l'urgence qui caractérise chaque nouvelle voie explorée, vers la confection de masques bien particuliers. Elle avait trouvé dans une revue d'archives allemandes du XXe siècle des photos grises représentant quelques exemplaires de masques anti-froid portés par les prisonniers d'un goulag sibérien. Un orifice rond pour la bouche, comme un cri gelé, deux fentes étroites pour les yeux s'ouvraient à travers les couches de tissus récupérées sur des lambeaux de hardes. Les prisonniers plaquaient ces protections improvisées en cuirasse devant leur visage dans l'espoir de faire partiellement barrière aux températures extrêmes. Ces reliques vides avaient un air lunaire, et Éva avait été tellement fascinée par ces yeux sans visage qu'elle n'avait eu de cesse d'en découper, assembler et coudre à la machine plusieurs, inspiration rageusementsoulageante. Je n'ai jamais vu les masques finis, ils devaient faire peu après l'objet d'une exposition à La Rochelle ; mais j'ai vu les épaisseurs de tissus écrasées avec dextérité sous le pied-de-biche de la lourde machine à coudre.

Déchetterie

N'ayez jamais de jardin loin de chez vous ! Les choses de la vie nous avaient fait négliger d'aller au village de Marcolès, près d'Aurillac, pendant trois ans, et le jardin situé au quartier dit du « Faux-bourg », l'ancien potager de mon grand-père, entouré de ses murs de pierres sèches, était resté à l'abandon, envahi par plusieurs couches d'herbes hautes et quelques massifs de ronce. Le mur qui bordait le chemin avait commencé à s'ébouler. La voisine et riveraine de l'autre côté du jardin, une parente par alliance, se plaignait aigrement que son jardin allait être envahi par de maléfiques serpents. Alain décida de nettoyer lui-même, mais couper la végétation, ce n'était pas tout, il fallait ensuite évacuer des monceaux d'herbes et de feuilles. Alain compressait l'herbe sèche dans de grands sacs et la tassait dans le coffre de la voiture. S'ensuivit une noria de passages dans les deux déchetteries les plus proches, Saint-Mamet et Lacapelle-del-Fraysse, qui s'étaient accordées pour ouvrir à des horaires complémentaires, tantôt l'une, tantôt l'autre. C'était le temps de la pandémie et les gardiens, comme dans tout lieu public, portaient un masque, ce qui donnait aux paroles échangées une intensité inhabituelle, due à la nécessité d'articuler. Il fallait montrer patte blanche au gardien la première fois, pour bien prouver qu'on avait le droit de déposer le chargement. À la grande surprise du premier gardien, qui s'attendait à me prendre en défaut, j'avais sur moi le document administratif exigé. Puis, au tour suivant, quand la première déchetterie fut fermée, nous sommes allés à la recherche de la deuxième, celle de Lacapelle. Le gardien s'est approché, comme son collègue, pour nous demander qui nous étions et s'enquérir de la nature du dépôt. Il s'est penché vers la portière dont j'avais baissé la vitre. Des yeux plissés par un sourire masqué invisible, d'inoubliables yeux verts.

Le vengeur masqué

C'était en décembre, une période sans confinement, mais avec couvre-feu à 20 h, petite promenade de 3/4 d'heures, l'après-midi, dans le quartier, rue des Chalets, pour s'aérer un peu ; bizarrement nous avions gardé le rythme du premier Grand Confinement : 1 h maximum pour sortir, 1 km de rayon autour de chez soi, cela reste un fil à la patte intériorisé dont je n'arrive pas à me défaire. Si je dépasse ce délai, aussitôt m'envahit une vague culpabilité. Nous portions le masque, obligatoire hors de chez soi dans cette période de « distanciation sociale » et de « gestes barrières » et étions sur le point de traverser la rue Mérimée. C'est un quartier à vitesse limitée à 30 à l'heure, donc priorité aux piétons partout (mais tout le monde n'a pas l'air de le savoir). Juste au moment d'aborder la traversée de cette petite rue, arrive à vive allure une voiture conduite par une femme de la cinquantaine, avec une passagère. Cela nous oblige à un bref temps d'arrêt au cas où elle n'aurait pas ralenti, mais, finalement, elle stoppe réglementairement pour nous laisser traverser. Comme, d'un peu plus, elle ne s'arrêtait pas, elle se sent un peu coupable d'avoir pensé un peu tard à le faire et d'être arrivée trop vite au carrefour, d'où un air contrit affiché ostensiblement, en guise de réparation, et un aimable sourire d'excuse à mon égard. Je passe devant leur véhicule immobilisé, et Alain, lui, choisit de passer à l'arrière. À son habitude, il frôle, tel un danseur, l'obstacle de la carrosserie, et au moment où il se penchait légèrement sur la voiture pour l'esquiver, sa poche de parka, lestée de son téléphone, heurte légèrement le coffre du véhicule, de façon perceptible, produisant un petit choc métallique étouffé seulement en partie par le tissu. Je me retourne, la voiture est toujours arrêtée, la passagère a baissé à la hâte sa vitre, la conductrice se penche, me hèle, stupéfaite et en colère « Il a frappé la voiture ? ». Je me dis : réflexe classique, les automobilistes ne supportent pas qu'on effleure leur carrosserie, paranoïa ordinaire qui a fait croire à cette dame charmante, mais un peu trop vive, qu'Alain se vengeait de ce qu'elle ne nous avait pas cédé le passage tout de suite. Alain, qui n'a pas saisi ce qui se passait, le visage anonymisé par son masque, se tourne vers elle. Elle ne peut rien décoder sur son visage. C'est donc moi qui dois expliquer « mais non, il n'a pas frappé votre véhicule, c'est le téléphone dans sa poche qui l'a légèrement heurtée au passage, ce n'est rien ». Soulagée, elle redémarre en trombe.

Si elle savait que l'un des « sports » préférés d'Alain, aux passages piétons avec feux, est de frapper bruyamment du plat de la main les carrosseries des automobilistes qui forcent le feux rouge et ne laissent pas passer les piétons dans leur droit. Mais, pour une fois, il n'avait rien fait ! Ambiance électrique de la pandémie.

Orthodoxie

MPC, après sa longue journée de consultations médicales, rentre chez elle en vélo. Elle s'arrête au magasin Truffaut rue de Metz, pour acheter des croquettes de régime à ses chats. Elle attache soigneusement son vélo, avec chaîne et cadenas, au mobilier urbain. Une fois les croquettes trouvées, elle fait sagement la queue à la caisse. Des panneaux indiquent clairement que chaque client doit garder une distance d'un mètre et porter le masque. Arrive une étudiante de 20 ans, insouciante, satisfaite de sa personne, qui se colle juste derrière elle. MPC se retourne, lui montre du doigt le règlement. La fille lève les yeux au ciel, « Bouu là là ! » et recule d'un demi-pas. MPC se retourne encore : « Un mètre ! ». La fille râle « Bouuu là là, vous, alors ! » et recule encore. Elle porte son masque sous le nez. « Et le masque, on le met aussi SUR le nez ! », lui jette MPC, ce à quoi l'étudiante répond « Oh, mais vous, alors, qu'est-ce que vous êtes agressiiiiiiive ! » MPC explose : « Après, à cause d'écervelées comme vous, des gens seront contaminés et vont mourir, vous n'êtes qu'une tête en l'air, une irresponsable, aucune maturité, quand allez-vous enfin grandir ? ». Les autres clients et le jeune homme de la caisse baissent les yeux et gardent un silence prudent.

En sortant, MPC trouve sur le trottoir un SDF en train de masser amoureusement la selle de son vélo. Mille sabords !!!

De l'avantage du masque