Mathématiques et mathématiciens - Alphonse Rebière - E-Book

Mathématiques et mathématiciens E-Book

Alphonse Rebière

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Extrait : "Les généralités qui suivent se rapportent aux principes, aux méthodes, à la classification, à l'enseignement et à l'histoire des Mathématiques. Nous les avons puisées à bonne source, dans les savants et les penseurs anciens et modernes..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

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EAN : 9782335086669

©Ligaran 2015

Morceaux choisis et pensées

Les généralités qui suivent se rapportent aux principes, aux méthodes, à la classification, à l’enseignement et à l’histoire des Mathématiques. Nous les avons puisées à bonne source, dans les savants et les penseurs anciens et modernes.

Objet et caractère des mathématiques
*

De quoi s’occupent les mathématiques, si ce n’est de la proportion et de l’ordre ?

ARISTOTE.

*

Je me demandai d’abord ce que tout le monde entendait précisément par ce mot (mathématiques), et pourquoi on regardait comme faisant partie des mathématiques, non seulement l’arithmétique et la géométrie, mais encore l’astronomie, la musique, l’optique, la mécanique et plusieurs autres sciences.

 

Il n’est personne, pour peu qu’il ait touché seulement le seuil des écoles, qui ne distingue facilement, parmi les objets qui se présentent à lui, ceux qui se rattachent aux mathématiques, et ceux qui appartiennent aux autres sciences. En réfléchissant à cela, je découvris enfin qu’on ne devrait rapporter aux mathématiques que toutes les choses dans lesquelles on examine l’ordre ou la mesure, et qu’il importe peu que ce soit dans les nombres, les figures, les astres, les sons ou dans tout autre objet qu’on cherche cette mesure.

DESCARTES.

*

Les spéculations mathématiques ont pour caractère commun et essentiel de se rattacher à deux idées ou catégories fondamentales : l’idée d’ordre sous laquelle il est permis de ranger… les idées de situation, de configuration, de forme et de combinaison ; et l’idée de grandeur qui implique celles de quantité, de proportion et de mesure.

COURNOT.

*

La validité de l’analyse algébrique dépend, non de l’interprétation des symboles employés, mais uniquement des lois de leurs combinaisons… La mathématique abstraite et générale n’a pas seulement pour objet des notions de quantités numériques, géométriques ou mécaniques : elle traite des opérations en elles-mêmes, indépendamment des matières diverses auxquelles elles peuvent être appliquées.

LIARD.

*

Nous sommes donc parvenus maintenant à définir avec exactitude la science mathématique, en lui assignant pour but la mesure indirecte des grandeurs et ne disant qu’on s’y propose constamment de déterminer les grandeurs les unes par les autres, d’après les relations précises qui existent entre elles. Cet énoncé, au lieu de donner l’idée d’un art, caractérise immédiatement une véritable science, et la montre sur-le-champ composée d’un immense enchaînement d’opérations intellectuelles qui pourront évidemment devenir très compliquées, à raison de la suite d’intermédiaires qu’il faudra établir entre les quantités inconnues et celles qui comportent une mesure directe… D’après cette définition, l’esprit mathématique consiste à regarder toujours comme liées entre elles, toutes les quantités que peut présenter un phénomène quelconque, dans la vue de les déduire les unes des autres.

AUG. COMTE.

À propos de cette citation, Hoppe, de Berlin, fait remarquer qu’il s’agit aussi en Mathématiques de l’équivalence des opérations.

*

La définition la plus généralement reçue des mathématiques est celle-ci : les mathématiques sont la science des grandeurs. Cette définition est vraie au fond, mais elle est superficielle et demande explication.

De quelles grandeurs s’agit-il en mathématiques ? Est-ce de toute grandeur en général ? Non car alors tout serait objet des mathématiques, puisque tout est grandeur, si du moins on se contente de définir la grandeur comme on le fait d’ordinaire : « ce qui est susceptible d’augmentation ou de diminution ; » car cela s’applique à tout ; une chose peut être plus ou moins belle, une action plus ou moins bonne, un plaisir plus ou moins vif, un homme plus ou moins spirituel ; ce ne sont pas là des grandeurs mathématiques. Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas là des grandeurs mesurables. Qu’est-ce qu’une grandeur mesurable et, en général, qu’est-ce que mesurer ? C’est comparer une grandeur quelconque à une grandeur donnée prise pour unité. Mesurer une route, c’est comparer la longueur de la route à une unité de longueur qu’on appelle le mètre, et dire combien de fois elle comprend cette unité. Mais qui pourra dire, par exemple, combien de fois le talent de Catulle est contenu dans le génie d’Homère ?

Il n’y a donc que les grandeurs mesurables qui soient l’objet des mathématiques. De là cette nouvelle définition : c’est la science de la mesure des grandeurs.

Cette définition est plus juste que la précédente ; mais elle est encore superficielle. En effet, mesurer ne semble guère en réalité qu’une opération purement mécanique. Or c’est là l’objet d’un art et non d’une science. L’arpentage n’est pas la géométrie. C’est l’arpenteur qui mesure, c’est le géomètre qui fournit les moyens de mesurer. La mesure n’est donc pas l’objet immédiat de la science. Elle n’en est que l’objet indirect et éloigné. Voyons comment elle peut devenir un objet vraiment scientifique.

La comparaison directe et immédiate d’une grandeur quelconque à l’unité est la plupart du temps, impossible. Par exemple, si je demande combien il y a d’arbres dans une forêt, je ne puis le savoir qu’en comptant les arbres un à un, ce qui demanderait un temps infini. Il en est de même dans la plupart des cas. Prenons le plus facile : la mesure d’une ligne droite par la superposition d’une de ses parties. Cela suppose : 1° que nous pouvons parcourir la ligne, ce qui exclut les longueurs inaccessibles (par exemple la distance des corps célestes) ; 2° que la ligne ne soit ni trop grande, ni trop petite, qu’elle soit convenablement située : par exemple horizontale, non verticale. Si cela est vrai des lignes droites, cela est vrai à plus forte raison des lignes courbes, des surfaces, des volumes, et à plus forte raison encore des vitesses, des forces, etc. Comment toutes ces quantités peuvent-elles être mesurées ? C’est là le problème qui rend nécessaire les mathématiques.

Les mathématiques, dans leur essence même, ont donc pour objet de ramener les grandeurs non immédiatement mesurables à des grandeurs immédiatement mesurables. C’est par là qu’elles sont une science. En effet, l’intervalle qui sépare une grandeur à mesurer de la grandeur immédiatement mesurable peut être plus ou moins grand. De là une série de réductions, depuis la grandeur la plus éloignée jusqu’à la plus prochaine ; et c’est la réduction de ces grandeurs les unes aux autres qui constitue la science ; soit, par exemple, à mesurer la chute verticale d’un corps pesant. Il y a ici deux quantités distinctes : la hauteur d’où le corps est tombé, et le temps de la chute. Or ces deux quantités sont liées l’une à l’autre ; elles sont, comme on dit en mathématique, fonction l’une de l’autre. D’où il suit que l’on peut mesurer l’une par l’autre ; par exemple dans le cas d’un corps tombant dans un précipice, on mesure la hauteur de la chute par le temps qu’il met à tomber ; en d’autres cas, au contraire, le temps n’étant pas directement observable, sera déduit de la hauteur. Si donc on trouve une loi qui lie ces deux quantités et qui permette de conclure de l’une à l’autre, on aura réduit une grandeur non mesurable directement à une autre qui peut l’être. C’est là un problème mathématique. Autre exemple. Comment mesurer la distance des corps célestes qui sont inaccessibles ? On regardera cette distance comme faisant partie d’un triangle, dont on connaîtra un côté et deux angles. Or, la géométrie nous apprend dans ce cas à découvrir les deux côtés du triangle, et par conséquent nous donne le moyen de construire le triangle dans lequel il suffira de tirer une ligne du sommet à la base pour avoir la distance réelle. Maintenant, la distance étant connue, on peut, du diamètre apparent conclure le diamètre réel, passer de là au volume et même au poids, en y ajoutant d’autres éléments.

PAUL JANET.

*

Le mathématicien prépare d’avance des moules que le physicien viendra plus tard remplir.

TAINE.

En d’autres termes, l’ordre mathématique inspire la conception de l’ordre physique.

*

Les mathématiques offrent ce caractère particulier et bien remarquable que tout s’y démontre par le raisonnement seul, sans qu’on ait besoin de faire aucun emprunt à l’expérience, et que néanmoins tous les résultats obtenus sont susceptibles d’être confirmés par l’expérience, dans les limites d’exactitude que l’expérience comporte. Par là, les mathématiques réunissent au caractère de science rationnelle, celui de science positive, dans le sens que la langue moderne donne à ce mot.

COURNOT.

*

Les mathématiques forment pour ainsi dire un pont entre la métaphysique et la physique.

KANT.

*

D’après Leibniz, il n’y a de mesure que « là où il y a antérieurement de l’ordre. » On peut dire, par suite, que les mathématiques sont la science de l’ordre.

*

Quelques-uns ont prétendu que toute la partie des mathématiques qui n’est susceptible d’aucune vérification expérimentale devrait être transportée dans la philosophie. Tels seraient les nombres incommensurables et, à plus forte raison, les nombres négatifs et imaginaires. Mais on est arrivé à interpréter ces symboles d’une façon concrète, et du reste cette limitation si étroite et si arbitraire des mathématiques les restreindrait à presque rien.

*

Les vérités géométriques sont en quelque sorte l’asymptote des vérités physiques, c’est-à-dire le terme dont celles-ci peuvent indéfiniment approcher, sans jamais y arriver exactement.

D’ALEMBERT.

*

Les figures géométriques sont de pures conceptions de l’esprit et cependant la géométrie n’est pas seulement une science spéculative très propre à développer les facultés intellectuelles… ; mais elle est encore utile par ses nombreuses applications aux arts. Cela tient à ce que les volumes de certains corps, leurs surfaces, les portions communes à deux portions de ces surfaces peuvent être regardés comme étant sensiblement des volumes, des surfaces et des lignes géométriques.

COMPAGNON.

*

Avec des définitions précises et des axiomes certains, la Mathématique établit des déductions sûres tant que le raisonnement se maintient dans les voies de l’évidence logique. C’est pourquoi la science des grandeurs porte, à l’exclusion de toute autre, le titre glorieux d’« exacte ».

Cela signifie surtout que, moins qu’aucune autre, elle est sujette à l’erreur. La perception a ses méprises, la conception ses lacunes, l’induction ses témérités, l’opinion ses dissidences, l’observation ses mécomptes, l’expérience ses égarements. Seule, la déduction ne trompe point, quand elle suit la loi du raisonnement. La science qu’elle établit progresse avec plus ou moins de lenteur ; mais ses vérités une fois démontrées, sont parfaites, définitives, et ne changent plus.

La théorie des grandeurs est l’unique exemple d’une construction scientifique ne laissant rien à désirer… À ce titre, elle méritait le nom de « science par excellence » (mathesis) que les Grecs lui avaient donné. Elle est la science type, l’idéal de connaissance certaine proposé pour modèle à toutes les sciences de fait, mais dont celles-ci ne se rapprochent qu’en lui empruntant sa méthode et en subordonnant leurs mensurations à ses lois.

BOURDEAU.

Dire que les mathématiques ne laissent rien à désirer, c’est trop dire. Là aussi, il reste encore des questions à élucider.

*

Ce qui est acquis dans les sciences de démonstration, dans les mathématiques, par exemple, est absolument parfait ; ce qui est acquis dans les sciences d’observation est indéfiniment perfectible et conséquemment variable, ou du moins conserve ce caractère jusqu’au moment où la démonstration devient possible.

DUVAL-JOUVE.

*

Les mathématiques ont des inventions très subtiles et qui peuvent beaucoup servir, tant à contenter les curieux qu’à faciliter tous les arts et à diminuer le travail des hommes.

DESCARTES.

*

Les objets de la Géométrie, disent-ils, n’ont aucune réalité et ne peuvent exister ; des lignes sans largeur, des surfaces sans profondeur, un point mathématique, c’est-à-dire sans longueur, largeur, ni épaisseur, sont des êtres de raison, de pures chimères. Il en est de même des figures dont la Géométrie démontre les propriétés ; il n’y a et il ne saurait y avoir aucun cercle parfait, aucune sphère parfaite : ainsi, concluent-ils, cette science ne s’occupe que d’objets chimériques et impossibles…

 

… Il importe peu aux géomètres qu’il existe physiquement une sphère parfaite, un plan parfait ; ces figures ne sont que les limites intellectuelles des grandeurs matérielles qu’ils considèrent, et ce qu’ils démontrent à l’égard de ces limites est d’autant plus vrai pour les corps matériels, qu’ils en approchent davantage…

 

… Mais insistera-t-on peut-être… demandera-t-on si ces corps doués de figures parfaites sont possibles ?…

… Il suffit aux Géomètres que l’idée métaphysique de ces figures soit claire et évidente pour servir de fondement à leurs recherches, et pour que leurs conséquences jouissent de la même évidence et de la même clarté.

MONTUCLA.

*

Les ennemis de la Géométrie, ceux qui ne la connaissent qu’imparfaitement, regardent les problèmes théoriques, qui en forment la partie la plus difficile, comme des jeux d’esprit qui absorbent un temps et des méditations qu’on pourrait mieux employer ; opinion fausse et très nuisible au progrès des sciences, si elle pouvait s’accréditer. Mais, outre que les propositions spéculatives, d’abord stériles en apparence, finissent souvent par s’appliquer à des objets d’utilité publique, elles subsisteront toujours comme un des moyens les plus propres à développer et à faire connaître toutes les forces de l’intelligence humaine.

BOSSUT.

*

La science des grandeurs, considérée dans son ensemble, a une parfaite unité que le mot « Mathématiques » (au pluriel) paraît méconnaître, en faisant présumer un groupe de sciences plutôt qu’une science unique…

Il serait préférable, comme l’avait proposé Condorcet, et comme Auguste Comte en donne l’exemple, de dire « la Mathématique », afin de mieux marquer l’unité générale de la science des grandeurs. Il est d’ailleurs à noter que cette réforme nous remet dans le vrai courant de la langue.

Le terme « Mathématique » était usité au XVIIe siècle et se lit trois fois dans une page de la notice sur Pascal, par Mme Périer, sa sœur.

*

La Mathématique n’est pas seulement une science, mais la science ; et son nom ne signifie que cela ; car pour les Grecs c’était la seule science.

*

Le matelot qu’une exacte observation de la longitude préserve du naufrage, doit la vie à une théorie conçue, deux mille ans auparavant, par les hommes qui avaient en vue de simples spéculations géométriques.

CONDORCET.

*

C’est par les sciences mathématiques qu’il convient de commencer la série des connaissances humaines, parce que ce sont celles qui exigent pour point de départ et qui ont pour objet un plus petit nombre d’idées. De plus, on peut étudier les vérités dont elles se composent sans recourir aux autres branches de nos connaissances, et celles-ci leur empruntent, au contraire, de nombreux secours, tels par exemple que les théorèmes et les calculs sur lesquels s’appuient les sciences physiques et industrielles ; la mesure des champs et le calendrier, si nécessaires à l’agriculture ; la mesure précise des différents degrés de probabilité de celles de nos connaissances qui ne sont pas susceptibles d’une certitude complète, et les exemples les plus frappants de la diversité des méthodes que la philosophie doit examiner ; la détermination des lieux et des temps, bases de la géographie et de l’histoire ; et, parmi les sciences politiques, où leurs applications sont si nombreuses, quels indispensables secours ne prêtent-elles pas surtout à toutes les parties de l’art militaire ?

AMPÈRE.

Notions primitives

On trouvera peut-être étrange que la géométrie ne puisse définir aucune des choses qu’elle a pour principaux objets ; car elle ne définit ni le mouvement, ni le nombre, ni l’espace ; et cependant ces trois choses sont celles qu’elle considère particulièrement… Mais on n’en sera pas surpris, si l’on remarque que cette admirable science ne s’attachant qu’aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d’être ses objets, les rend incapables d’être définies ; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu’un défaut, parce qu’il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence…

 

… Quand elle (la géométrie) est arrivée aux premières vérités connues, elle s’arrête là et demande qu’on les accorde, n’ayant rien de plus clair pour les prouver ; de sorte que tout ce que la géométrie propose est parfaitement démontré, ou par la lumière naturelle, ou par les preuves. De là vient que si cette science ne définit et ne démontre pas toutes choses, c’est par cette seule raison que cela nous est impossible.

 

… Se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d’elles-mêmes.

PASCAL.

*

Il est des notions premières qu’on est en droit de supposer aux élèves. Elles serviront à leur donner d’autres connaissances. Nous ne chercherons pas à les éclaircir elles-mêmes, parce que les explications n’ont pour but que de ramener ce que l’on ne connaît pas à ce que l’on connaît et qu’il faut par conséquent admettre a priori certaines notions, certaines idées par leur simple énoncé, ou par la simple dénomination par laquelle on les a désignées.

DUHAMEL.

*

La figure est inhérente à l’objet, le nombre dépend de l’unité.

*

C’est dans la sphère propre de l’esprit, et bien au-delà des résultats de l’observation, non dans ces résultats eux-mêmes, qu’il faut chercher la véritable source des idées géométriques, quoique leur point d’application soit plus bas, dans la sphère expérimentale, là où la matière et l’esprit se joignent et où les idées, prenant corps, nous deviennent en quelque sorte palpables.

Le monde idéal a son autonomie, ses lois distinctes, comme le monde physique. Mais ils s’appellent l’un l’autre, l’harmonie règne entre eux, jusqu’à un haut degré d’approximation qui d’ailleurs nous échappe.

BOUSSINESQ.

*

L’origine des notions mathématiques a donné lieu à des controverses encore pendantes parmi les philosophes. Pour les uns, nombres et figures sont des types créés de toutes pièces par l’esprit, et qui s’imposent aux choses de l’expérience, en vertu d’une mystérieuse concordance entre la pensée et la réalité extérieure. Pour les autres, au contraire, nombres et figures ne font pas exception à cette loi générale d’après laquelle toute connaissance dériverait, soit directement, soit indirectement, de l’expérience sensible. Dans un cas, les notions mathématiques seraient des modèles ; dans l’autre, elles seraient des copies.

Ce n’est pas le lieu d’entrer dans cette controverse et de peser les raisons invoquées de part et d’autre. Il nous suffira de constater deux faits : en premier lieu, quelque opinion qu’on professe sur l’origine des notions mathématiques, on ne contestera pas qu’elles ne sont pas des représentations absolument exactes des réalités extérieures. L’unité est divisible en parties rigoureusement égales ; il n’en est pas ainsi d’un objet réel ; jamais la moitié, le quart, le dixième de cet objet ne sera rigoureusement égal à l’autre moitié, à chacun des trois autres quarts, à chacun des neuf autres dixièmes, et même plus les subdivisions se multiplieront, plus l’inégalité réelle des parties augmentera. Le cercle des géomètres a des rayons absolument égaux ; jamais il n’en sera ainsi des rayons d’un cercle réel ; tous les points d’une surface sphérique sont équidistants du centre ; jamais il n’en sera ainsi des rayons d’une sphère matérielle. En second lieu, le mathématicien considère souvent des nombres et des figures dont il n’a jamais trouvé les modèles dans la réalité. Toute division d’un objet réel en parties égales a une limite que nos sens et nos instruments de précision, même les plus perfectionnés, sont impuissants à franchir ; cette limite, la pensée du mathématicien la franchit aisément, et au-delà des plus petites divisions possibles d’un objet, il conçoit d’autres divisions encore et toujours à l’infini ; de même il est des limites à l’addition des objets ; il n’en est pas à celle des unités mathématiques ; la nature a bien vite cessé de fournir ; la numération ne s’arrête jamais. De même en géométrie, si variées que soient les formes réalisées dans la nature, il en est dont le géomètre étudie les propriétés, sans les avoir jamais rencontrées dans le monde extérieur. Qui a vu un polygone régulier d’un millier de côtés ?

Il résulte de ce double fait que, même dans le cas où l’esprit tirerait de l’expérience les premiers éléments dont il compose les notions mathématiques, il les élabore, les transforme, et ne tarde pas à s’affranchir des suggestions expérimentales. Il procède alors comme s’il les tirait de son propre fonds. Aussi, sans prendre ici part dans ce conflit de doctrines sur l’origine première des notions mathématiques, on peut et on doit considérer ces notions comme des constructions faites par l’esprit suivant des lois qu’il pose, constructions qui sont en partie, mais en partie seulement et imparfaitement reproduites par la réalité sensible.

LIARD.

*

L’étendue n’existe qu’avec trois dimensions ; mais, pour la considérer suivant la méthode analytique, on commence par la dépouiller de deux de ses dimensions et en la réduisant ainsi à une seule, on a l’idée de la ligne. Si, dans cette idée, on écarte tout rapport avec deux dimensions, on a l’idée de la ligne droite ; car, quoiqu’une ligne courbe n’ait qu’une dimension, cependant l’idée de courbure suppose nécessairement la considération de deux dimensions. L’extrémité de la ligne forme le point, qui est la dernière abstraction de l’entendement dans la considération de l’étendue. La surface est l’étendue envisagée avec deux dimensions et si, dans cette idée, on fait entièrement abstraction de la troisième, on a l’idée du plan. Enfin l’étendue avec ses trois dimensions forme le solide.

LAPLACE.

*

L’espace étant nécessairement homogène, il suit qu’on peut le concevoir divisé en deux parties telles qu’on ne puisse rien dire de l’une qui ne puisse se dire également de l’autre ; telles, de plus, que leur limite commune ait à chacune d’elles les mêmes rapports, soit qu’on la considère en son entier, soit qu’on n’en considère qu’une partie. C’est cette limite qu’on appelle plan, et le plan, comme l’espace, peut être conçu divisé en deux parties telles, qu’on ne puisse rien dire de l’une qui ne puisse se dire également de l’autre ; telles, de plus, que leur limite commune ait à chacune d’elles les mêmes rapports, soit qu’on la considère en son entier, soit qu’on n’en considère qu’une partie…

BERTRAND, de Genève.

*

La série des axiomes géométriques habituellement adoptée est à la fois insuffisante et surabondante. Elle est insuffisante parce que, en réalité, on suppose plusieurs faits non énoncés ; mais elle est en même temps surabondante, parce qu’on y admet des faits qui peuvent être rigoureusement démontrés au moyen de ceux qu’il faut admettre comme axiomes…

Les axiomes de la géométrie peuvent se réduire à trois, savoir : celui de la distance et de ses propriétés essentielles, celui de l’augmentation indéfinie de la distance et celui de la parallèle unique.

DE TILLY.

*

L’étude de la mécanique, succédant à la géométrie, peut être considérée comme le développement de trois idées fondamentales, qui existent dans l’esprit humain antérieurement à tout enseignement scientifique : ce sont les idées de force, de temps et de masse. Ces idées sont irréductibles et on ne peut pas plus définir la force, le temps ou la masse qu’on ne peut définir l’étendue.

CH. SIMON.

*

Quelque objet que les mathématiques considèrent, elles le dépouillent de toutes ses qualités sensibles, de toutes ses propriétés individuelles ; bientôt il n’est plus qu’un rapport abstrait de nombre ou de grandeur : on désigne ce rapport par une lettre ou une ligne ; l’objet lui-même est alors oublié, il cesse d’exister pour les mathématiques. Ces signes, arbitraires en apparence, sont l’unique objet de leurs méditations ; c’est sur eux seuls qu’elles opèrent, et ce n’est qu’après être parvenu au dernier résultat que revenant sur leurs premières opérations, elles appliquent ce résultat à l’objet réel dont elles avaient cessé de s’occuper. Les vérités certaines, trouvées par cette méthode, paraissent au premier coup d’œil n’être que des vérités intellectuelles et abstraites : on a pu les prendre pour des propositions identiques, en oubliant que les combinaisons diverses des mêmes éléments ne sont pas une même chose. On serait encore plus tenté de croire qu’elles n’appartiennent point à la nature réelle. Mais ce serait une erreur : car elles sont des vérités réelles, si l’objet auquel vous les avez appliquées existe dans la nature tel que vous l’avez supposé.

CONDORCET.

Méthodes

1° N’entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d’elles-mêmes, qu’on n’ait point de termes plus clairs pour les exprimer.

2° N’admettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition.

3° N’employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

4° N’omettre aucun des principes nécessaires, sans avoir demandé si on l’accorde, quelque clair et évident qu’il puisse être.

5° Ne demander en axiomes que des choses parfaitement évidentes d’elles-mêmes.

6° N’entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d’elles-mêmes, qu’on n’ait rien de plus clair pour les prouver.

7° Prouver toutes les propositions un peu obscures, en n’employant à leur preuve que des axiomes très évidents d’eux-mêmes ou des propositions déjà démontrées ou accordées.

8° N’abuser jamais de l’équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.

PASCAL.

*

Lorsque l’on aura à trouver la démonstration d’une proposition énoncée, on cherchera d’abord si elle peut se déduire comme une conséquence nécessaire de propositions admises, auquel cas, elle devra être admise elle-même, et sera par conséquent démontrée. Si l’on n’aperçoit pas de quelles propositions connues elle pourrait être déduite, on cherchera de quelle proposition non admise elle pourra l’être, et alors la question sera ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. Si celle-ci peut se déduire de propositions admises, elle sera reconnue vraie, et par suite la proposée ; sinon, on cherchera de quelle proposition non encore admise elle pourrait être déduite, et la question serait ramenée à démontrer la vérité de cette dernière. On continuera ainsi jusqu’à ce que l’on parvienne à une proposition reconnue vraie : et alors la vérité de la proposée sera démontrée.

On voit que cette méthode, que l’on appelle analyse, consiste à établir une chaîne de propositions commençant à celle qu’on veut démontrer, finissant à une proposition connue et telle qu’en partant de la première, chacune soit une conséquence nécessaire de celle qui la suit ; d’où il résulte que la première est une conséquence de la dernière, et, par conséquent, vraie comme elle.

 

La méthode synthétique consiste à partir de propositions reconnues vraies, à en déduire d’autres comme conséquences nécessaires, de celles-ci de nouvelles, jusqu’à ce qu’on parvienne à la proposée, qui se trouve alors reconnue elle-même comme vraie. Elle n’est donc qu’une méthode de déduction. D’où l’on voit que, si l’on connaissait la démonstration analytique d’un théorème, on en obtiendrait immédiatement la démonstration synthétique en renversant l’ordre des propositions.

DUHAMEL.

*

Il est en mathématiques une méthode pour la recherche de la vérité, que Platon passe pour avoir inventée, que Théon a nommée analyse et qu’il a définie ainsi : Regarder la chose cherchée, comme si elle était donnée, et marcher de conséquences en conséquences, jusqu’à ce que l’on reconnaisse comme vraie la chose cherchée. Au contraire, la synthèse se définit : Partir d’une chose donnée, pour arriver, de conséquences en conséquence, à trouver une chose cherchée.

VIÈTE.

*

On peut remarquer que la méthode analytique qui est une méthode rigoureuse par réduction, en réalité identique à la méthode synthétique par déduction, n’est pas la même que l’analyse des Anciens, qui était déductive et était une sorte d’expérimentation sur la vérité à démontrer.

Aujourd’hui nous ne faisons plus de synthèse, parce qu’il est de règle de ne procéder en analyse que par conclusions immédiatement réversibles. « Si A est vrai, B est vrai » n’est employé que si l’on peut dire : « B est vrai, donc A est vrai. » Il est rare que les Anciens aient été assez assurés de la pratique de leurs procédés pour se croire dispensés de la contre-épreuve, la synthèse après l’analyse.

P. TANNERY.

*

Si vous substituez à une proposition ou à une question, une proposition ou une question plus générale, vous pouvez trouver des solutions en plus, des solutions étrangères.

Par contre, si la nouvelle proposition ou la nouvelle question est moins générale, vous pouvez perdre des solutions.

*

Voici, d’après la Logique de Port-Royal, quelques défauts qui se rencontrent dans la méthode des géomètres :

1° Avoir plus de soin de la certitude que de l’évidence, et de convaincre l’esprit que de l’éclairer.

2° Démonstration par l’impossible.

3° Démonstrations tirées par des voies trop longues.

4° N’avoir aucun soin du vrai ordre de la nature.

5° Ne point se servir de divisions et de partitions.

Il serait à désirer qu’on ne laissât pas autant dans l’oubli certains résultats des travaux des géomètres des siècles passés, et qu’on revînt un peu sur les principes presque toujours faciles et souvent ingénieux à l’aide desquels les grands hommes de ces temps-là y étaient parvenus ; car ce ne sont pas tant les vérités particulières que les méthodes qu’il ne faut pas laisser périr.

PONCELET.

*

Pour bien faire sentir la différence entre les résultats de la méthode expérimentale et inductive et les résultats de la méthode mathématique, supposons qu’un malin génie… se plaise à nous embrouiller dans nos opérations, à créer ou à annihiler un objet entre nos doigts, au moment où nous comptons quel nombre d’objets font deux groupes de cinq objets, à faire varier les angles du triangle que nous mesurons, ou les angles du rapporteur qui nous sert d’unité de mesure ; nous n’aurons aucun moyen de découvrir la supercherie, nous enregistrerons ingénument les divers résultats obtenus, et nous conclurons en toute sécurité de conscience, que les angles d’un triangle valent tantôt deux droits, tantôt plus, tantôt moins ; et que cinq et cinq font, suivant le cas, dix, douze ou tout autre nombre.

Mais si nous avons une fois démontré rationnellement que cinq et cinq font dix, que les angles d’un triangle valent deux angles droits, alors, quand même un malin génie, intervenant lorsque nous voulons vérifier expérimentalement ces vérités, brouillerait nos comptes et nos mesures, nous n’en maintiendrions pas moins la vérité absolue de notre démonstration faite dans l’abstrait, et nous en conclurions seulement que, pour des raisons à nous inconnues, ces vérités se trouvent modifiées dans le concret par l’association, dans les objets réels, de propriétés de divers genres aux propriétés mathématiques.

RABIER.

*

Les questions aisées doivent être traitées par des moyens également faciles ; il faut réserver l’analyse savante pour les questions qui exigent les grands moyens et il ne faut pas ressembler à ce personnage de la Fable, qui, pour se délivrer d’une puce, voulait emprunter à Jupiter sa foudre ou à Hercule sa massue.

DELAMBRE.

*

C’est une remarque que nous pouvons faire dans toutes nos recherches mathématiques : ces quantités auxiliaires, ces calculs longs et difficiles où l’on se trouve entraîné, y sont presque toujours la preuve que notre esprit n’a point, dès le commencement, considéré les choses en elles-mêmes et d’une vue assez directe, puisqu’il nous faut tant d’artifices et de détours pour y arriver ; tandis que tout s’abrège et se simplifie, sitôt que l’on se place au vrai point de vue.

POINSOT.

*

Les définitions géométriques ne précèdent jamais l’apparition des figures qu’il s’agit d’étudier ; elles les suivent, au contraire, et les fixent. Ce n’est qu’après avoir démontré qu’une figure est possible et unique, qu’il est permis de résumer par un mot, le résultat de cette démonstration, et de regarder conventionnellement ce mot comme l’équivalent ou comme la définition de la figure.

J.F. BONNET.

*

Il semble que dans l’état actuel des sciences mathématiques, le seul moyen d’empêcher que leur domaine devienne trop vaste pour notre intelligence, c’est de généraliser de plus en plus les théories que ces sciences embrassent, afin qu’un petit nombre de vérités générales et fécondes soit, dans la tête des hommes, l’expression abrégée de la plus grande variété de faits particuliers.

CHARLES DUPIN.

*

L’étendue et les progrès de la géométrie sont tels que, plutôt que de se refuser à toute étude des nouvelles méthodes, il faudra peut-être avant peu tenir compte seulement des méthodes générales, afin d’avoir en sa possession un plus grand nombre de moyens pour arriver à la connaissance des vérités dont on a besoin. Il est effectivement impossible désormais d’avoir présentes à l’esprit toutes les vérités qui sont découvertes.

BELLAVITIS.

*

Voulant résoudre quelque problème, on doit d’abord le considérer comme déjà fait, et donner des noms à toutes les lignes qui semblent nécessaires pour le construire, aussi bien à celles qui sont inconnues qu’aux autres. Puis, sans considérer aucune différence entre ces lignes connues et inconnues… on cherche à exprimer une même quantité en deux façons, ce qui se nomme une équation… On doit trouver autant de telles équations qu’on a supposé de lignes qui étaient inconnues.

DESCARTES.

*

Certaines parties d’une figure, considérées dans un état général de construction, peuvent être indifféremment réelles ou imaginaires. Or il arrive souvent que ces parties servent utilement, dans le cas de la réalité, à la démonstration d’un théorème, et que cette démonstration n’a plus lieu quand ces mêmes parties deviennent imaginaires. Alors on dit qu’en vertu du principe de continuité le théorème démontré dans le premier cas s’étend au second, et on l’énonce d’une manière générale. Quelquefois le contraire a lieu, et c’est quand certaines parties d’une figure sont imaginaires, que l’on y trouve les éléments d’une démonstration facile, dont on applique les conséquences, en vertu du principe de continuité, au cas où ces mêmes parties sont réelles et où la démonstration n’existe plus.

CHASLES.

*

Un jour qu’il présidait un concours d’agrégation, Poisson, oubliant un instant le candidat qu’il avait à juger, prit la parole et développa ceci : qu’il y a en géométrie quatre méthodes : méthode de superposition ; méthode de réduction à l’absurde ; méthode des limites ; méthode infinitésimale. La superposition, disait-il, n’est applicable que dans très peu de cas ; la réduction à l’absurde suppose la vérité connue, et prouve alors qu’il ne peut pas en être autrement, mais sans montrer pourquoi. La méthode des limites, plus généralement applicable que les deux autres, suppose la vérité connue, et ce n’est, par conséquent, pas davantage une méthode d’investigation ; ce sont trois méthodes de démonstration applicables chacune, dans certains cas, aux vérités déjà connues. Au contraire, la méthode des infiniment petits se trouve être à la fois une méthode, générale et toujours applicable, et de démonstration et d’investigation.

GRATRY.

*

On peut établir dans les Mathématiques une autre classification, fondée non plus sur l’objet de la science, mais sur ses méthodes. À ce nouveau point de vue, nous aurions à distinguer deux sortes d’Analyse :

1° Celle des quantités discontinues ;

2° Celle des quantités continues.

Dans la première, on cherche les relations qui existent entre certaines quantités fixes données a priori. Cette méthode est employée dans les parties élémentaires des Mathématiques, et plus spécialement en Arithmétique et au début de la Géométrie, sauf pour un petit nombre de théorèmes fondamentaux, dont la démonstration exige la notion des quantités incommensurables.

Dans l’Analyse des quantités continues, on considère au contraire les éléments de la question proposée comme susceptibles de varier par degrés insensibles et l’on cherche à déterminer les lois qui régissent leurs variations simultanées.

Cette méthode dont Euclide et Archimède avaient donné autrefois de remarquables exemples, était tombée en oubli pendant plusieurs siècles, lorsque la mémorable découverte de Descartes sur l’application de l’Algèbre à la théorie des courbes obligea les géomètres à y revenir, pour résoudre les deux questions qui s’imposaient à eux, le problème des tangentes et celui des quadratures.

JORDAN.

Géométrie et analyse

On a dit que la géométrie était l’art de raisonner juste sur des figures fausses. Une figure grossière n’est tracée que pour soutenir l’attention et on raisonne en réalité sur la figure idéale et parfaite.

*

Celui-là est indigne du nom d’homme, a dit Platon, qui ignore que la diagonale du carré est incommensurable avec son côté.

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L’algèbre n’est qu’une géométrie écrite, la géométrie n’est qu’une algèbre figurée.

SOPHIE GERMAIN.

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L’Algèbre emploie des signes abstraits, elle représente les grandeurs absolues par des caractères qui n’ont aucune valeur par eux-mêmes, et qui laissent à ces grandeurs toute l’indétermination possible ; par suite elle opère et raisonne forcément sur les signes de non-existence comme sur des quantités toujours absolues, toujours réelles : a et b par exemple, représentant deux quantités quelconques, il est impossible, dans le cours des calculs, de se rappeler et de reconnaître quel est l’ordre de leurs grandeurs numériques ; l’on est, malgré soi, entraîné à raisonner sur les expressions a – b, , etc., comme si c’étaient des quantités toujours absolues et réelles. Le résultat doit donc lui-même participer de cette généralité, et s’étendre à tous les cas possibles, à toutes les valeurs des lettres qui y entrent ; de là aussi ces formes extraordinaires, ces êtres de raison, qui semblent l’apanage exclusif de l’Algèbre.

 

Dans la Géométrie ordinaire, qu’on nomme souvent la synthèse, les principes sont tout autres, la marche est plus timide ou plus sévère ; la figure est décrite, jamais on ne la perd de vue, toujours on raisonne sur des grandeurs, des formes réelles et existantes, et jamais on ne tire de conséquences qui ne puissent se peindre, à l’imagination ou à la vue, par des objets sensibles ; on s’arrête dès que ces objets cessent d’avoir une existence positive et absolue, une existence physique. La rigueur est même poussée jusqu’au point de ne pas admettre les conséquences d’un raisonnement établi dans une certaine disposition générale des objets d’une figure, pour une autre disposition également générale de ces objets, et qui aurait toute l’analogie possible avec la première ; en un mot, dans cette Géométrie restreinte, on est forcé de reprendre toutes la série des raisonnements primitifs, dès l’instant où une ligne, un point ont passé de la droite à la gauche d’un autre, etc.

PONCELET.

Le célèbre auteur du Traité des propriétés projectives des figures montre ensuite comment les modernes se sont efforcés de donner à la Géométrie la généralité de l’Algèbre.

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L’exactitude de toute relation entre des grandeurs concrètes quelconques est indépendante de la valeur des unités auxquelles on les rapporte pour les exprimer en nombres. Par exemple, la relation qui existe entre les trois côtés d’un triangle rectangle a lieu, soit qu’on les évalue en mètres, ou en lignes, ou en pouces, etc.

Il suit de cette considération générale, que toute opération qui exprime la loi analytique d’un phénomène quelconque doit jouir de cette propriété de n’être nullement altérée, quand on fait subir simultanément à toutes les quantités qui s’y trouvent le changement qu’éprouveraient leurs unités respectives. Or, ce changement consiste évidemment en ce que toutes les quantités de même espèce deviendraient à la fois m fois plus petites, si l’unité qui leur correspond devenait m fois plus grande, ou réciproquement. Ainsi, toute équation qui représente une relation concrète quelconque, doit offrir ce caractère de demeurer la même quand on y rend m fois plus grandes toutes les quantités qu’elle contient, et qui expriment les grandeurs entre lesquelles existe la relation, en exceptant toutefois les nombres qui désignent les rapports mutuels de ces grandeurs, lesquels restent invariables dans le changement des unités. C’est dans cette propriété que consiste la loi de l’homogénéité, suivant son acception la plus étendue…

AUGUSTE COMTE.

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C’est une simplification intéressante que de résoudre par le second livre de Géométrie un problème, placé ordinairement dans le troisième. Citons, par exemple, la circonférence, passant par deux points et tangente à une droite. Nous voyons ainsi que l’ordre logique des propositions n’est pas aussi fixé qu’on l’admet généralement.

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L’Algèbre plane pour ainsi dire également sur l’Arithmétique et sur la Géométrie : son objet n’est pas de trouver les valeurs mêmes des quantités cherchées, mais le système d’opérations à faire sur les quantités données pour en déduire les valeurs des quantités que l’on cherche. Le tableau de ces opérations, représentées par les caractères algébriques, est ce que l’on nomme en Algèbre une formule.

LAGRANGE.

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« L’Algèbre est généreuse, a dit d’Alembert, elle donne souvent plus qu’on ne lui demande. » On interprète alors les solutions dites étrangères et qui sont celles du problème élargi, généralisé. Le calcul ne tient nul compte de nos restrictions.

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Les extensions successives que l’on fait subir aux opérations et aux définitions mathématiques doivent être soumises au principe de la permanence des règles de calcul.

HANKEL.

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Les formules sont un secours admirable pour l’esprit, elles le dispensent de toute attention pénible, il n’a qu’à les suivre : elles ne le dirigent pas seulement, elles le portent. Il n’a besoin que de l’attention nécessaire pour ne pas manquer à la formule et à ses règles et cette attention est presque matérielle : elle est des yeux plutôt que de l’esprit. Les formules, en un mot, sont des espèces de machines avec lesquelles on opère presque machinalement.

CONDORCET.

Il faut pouvoir, au besoin, raisonner directement chaque cas particulier.

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On dit que l’analyse mathématique est un instrument. Cette comparaison peut être admise, pourvu qu’on admette que cet instrument, comme le Protée de la fable, doit sans cesse changer de forme.

ARAGO.

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L’emploi du calcul est comparable à celui d’un instrument dont on connaît exactement la précision.

J. FOURIER.

*

Dans les opérations on peut distinguer le signe indiquant l’opération, le nombre, c’est-à-dire le sujet sur lequel on opère, et le résultat obtenu. On peut faire abstraction des deux dernières choses, qui paraissent pourtant les plus importantes, et ne raisonner que sur les signes indicateurs. On a alors des théorèmes, de nature philosophique, qui constituent le calcul des opérations.

Exemple : .

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Les formules d’algèbre, dans leur étroite enceinte, contiennent toute la courbe dont elles sont la loi.

TAINE.

*

L’Algèbre est une langue bien faite, et c’est la seule. L’analogie, qui n’échappe jamais, conduit insensiblement d’expression en expression… La simplicité du style en fait toute l’élégance.

CONDILLAC.

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Parmi les mathématiciens, les uns ont une prédilection exclusive pour les symboles les plus généraux et les plus abstraits et ils évitent les interprétations géométriques, comme imparfaites et limitées ; les autres, au contraire, ne jugent claires, que celles des conceptions analytiques qui sont susceptibles d’une traduction concrète. Il faut avouer que ces derniers se font une idée bien étroite de la science de l’ordre.

*

L’algèbre est la plus générale des sciences mathématiques, puisqu’elle étudie non pas telle ou telle quantité, mais la quantité.

La géométrie n’est qu’une science mathématique particulière, puisque son objet, l’étendue, n’est qu’une sorte de quantité.

L’algèbre est à la fois un art et une science : une science parce qu’elle se compose d’un ensemble de vérités ; et un art, parce qu’elle fournit un grand nombre de règles infaillibles pour résoudre un grand nombre de difficultés.

Arrivé à ce point, Descartes fut naturellement amené à penser que toute question de géométrie pouvait se ramener à une question d’algèbre, et il conjectura justement qu’à cause du caractère méthodique de l’algèbre une telle substitution serait toujours ou du moins presque toujours avantageuse. Telles furent les vues à la fois très élevées et très simples qui firent concevoir à Descartes le dessein d’appliquer l’algèbre à la géométrie.

 

Les sciences mathématiques ne furent plus un assemblage de spéculations isolées ; elles formèrent un corps dans lequel les parties furent dans une dépendance mutuelle et facile à saisir.

T.V. CHARPENTIER.

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En géométrie, comme en algèbre, la plupart des idées différentes ne sont que des transformations ; les plus lumineuses et les plus fécondes sont pour nous celles qui font le mieux image et que l’esprit combine avec le plus de facilité dans le discours et dans le calcul.

Le calcul n’est qu’un instrument qui ne produit rien par lui-même, et qui ne rend en quelque sorte que les idées qu’on lui confie. Si nous n’avons que des idées imparfaites, ou si l’esprit ne regarde la question que d’un point de vue borné, ni l’analyse, ni le calcul ne lui apporteront plus de lumière, et ne donneront à nos résultats plus de justesse ou plus d’étendue : au contraire, on peut dire que cet art de réaliser en quelque sorte par le calcul de vagues conceptions n’est propre qu’à rendre l’erreur plus durable, en lui donnant pour ainsi dire une consistance.

Sitôt qu’un auteur ingénieux a su parvenir directement et simplement à quelque vérité nouvelle, n’est-il pas à craindre que le calculateur le plus stérile ne s’empresse d’aller la chercher dans ses formules comme pour la découvrir une seconde fois et à sa manière, qu’il dit être la bonne et la véritable ; de sorte qu’on ne s’en croit plus redevable qu’à son analyse, et que l’auteur lui-même, quelquefois peu exercé à ce langage et à ce symbole, sous lesquels on lui dérobe ses idées, ose à peine réclamer ce qui lui appartient et se retire presque confus, comme s’il avait mal inventé ce qu’il a si bien découvert.

POINSOT.

*

Les ressources puissantes que la Géométrie a acquises depuis une trentaine d’années sont comparables, sous plusieurs rapports, aux méthodes analytiques, avec lesquelles cette science peut rivaliser désormais, sans désavantage, dans un ordre très étendu de questions…

 

… Hâtons-nous de dire, cependant, pour éviter toute interprétation inexacte de notre but et de notre sentiment sur les deux méthodes qui se partagent le domaine des sciences mathématiques, que notre admiration pour l’instrument analytique, si puissant de nos jours, est sans bornes, et que nous n’entendons pas lui mettre en parallèle sur tous les points, la méthode géométrique. Mais, convaincu qu’on ne saurait avoir trop de moyens d’investigation dans la recherche des vérités mathématiques, qui toutes peuvent devenir également faciles et intuitives quand on a trouvé et suivi la voie étroite qui leur est propre et naturelle, nous avons pensé qu’il ne pouvait être qu’utile de montrer… que les doctrines de la pure Géométrie offrent souvent, et dans une foule de questions, cette voie simple et nouvelle qui, pénétrant jusqu’à l’origine des vérités met à nu la chaîne mystérieuse qui les unit entre elles et les fait connaître individuellement de la manière la plus lumineuse et la plus complète.

Cette troisième branche de la Géométrie, qui constitue aujourd’hui ce que nous appelons la Géométrie récente, est exempte de calculs algébriques, quoiqu’elle fasse un aussi heureux usage des relations numériques des figures que de leurs relations de situation : mais elle ne considère que des rapports de distance rectiligne, d’un certain genre, qui n’exigent ni les symboles, ni les opérations de l’Algèbre. Cette Géométrie est la continuation de l’Analyse géométrique des Anciens, sur laquelle elle offre d’immenses avantages par la généralité, l’uniformité et l’abstraction de ses méthodes.

La méthode par le calcul a le merveilleux privilège de négliger les propositions intermédiaires dont la méthode géométrique a toujours besoin, et qu’il faut créer quand la question est nouvelle. Mais cet avantage si beau et si précieux de l’Analyse a son côté faible, comme toutes les conceptions humaines : c’est que cette marche pénétrante et rapide n’éclaire pas toujours suffisamment l’esprit ; elle laisse ignorer les vérités intermédiaires qui rattachent le point de départ à la vérité trouvée, et qui doivent former avec l’un et l’autre, un ensemble complet et une véritable théorie. Car, est-ce assez dans l’étude philosophique et approfondie d’une science, de savoir qu’une chose est vraie, si l’on ignore comment et pourquoi elle l’est, et quelle place elle occupe dans l’ordre des vérités auquel elle appartient ?

CHASLES.

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Il est certain que l’analyse de situation est une chose qui manque à l’algèbre ordinaire : c’est ce défaut qui fait qu’un problème paraît souvent avoir plus de solutions qu’il n’en doit avoir dans les circonstances où on le considère. Il est vrai que cette abondance de l’algèbre, qui donne ce qu’on ne lui demande pas, est admirable à plusieurs égards ; mais aussi elle fait souvent qu’un problème qui n’a réellement qu’une solution, en prenant son énoncé à la rigueur, se trouve renfermé dans une équation de plusieurs dimensions et, par là, ne peut en quelque manière être résolu. Il serait fort à souhaiter que l’on trouvât moyen de faire entrer la situation dans le calcul des problèmes.

D’ALEMBERT.

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La géométrie et l’algèbre ont entre elles des relations nécessaires sur lesquelles il importe d’être fixé.

Faut-il ériger en principe les vues de Pythagore sur les nombres, puis essayer d’y rattacher les vues géométriques ?

Faut-il, au contraire, suivre la voie tracée par Descartes et déduire les éléments de l’algèbre des premières données de la géométrie pure ?

De ces deux méthodes, la seconde semble être la plus rationnelle.

En effet, si peu qu’elle interroge l’expérience, la Géométrie n’en est pas moins une science d’observation. Elle considère les corps, leurs parois, leurs arêtes afin d’en abstraire les solides, les surfaces et les lignes ; puis elle commence par étudier ces figures et finit par les mesurer pour en faciliter la comparaison. Descartes est donc autorisé par là même à fonder l’Algèbre sur la considération des droites et des opérations qu’elles comportent. Mais, ce qui fait surtout le mérite de sa méthode, c’est qu’elle se guide uniquement sur les allures de la grandeur continue pour en conclure toutes les propriétés du nombre et les lois qui le régissent ; tandis qu’en suivant la loi contraire, on est bien vite réduit à ne raisonner que sur de purs symboles.

MOUCHOT.

Les nombres, les symboles et les fonctions

L’apparition d’un nombre suppose l’existence d’une grandeur mathématique soumise à une opération simple qu’on nomme sa mesure. S’il n’y avait pas de grandeurs mathématiques, il n’y aurait pas de nombres, tandis que les grandeurs mathématiques existent, même pour celui qui n’a pas l’idée de nombre. L’emploi des nombres tire principalement son utilité de ce que ceux-ci ne conservent pas la trace des grandeurs qui leur ont donné naissance ; d’où il résulte que les combinaisons qu’on peut en faire, et les conséquences qu’on tire de leurs combinaisons, ont un certain degré de généralité, qui permet de les appliquer à toutes les espèces de grandeurs et que ne sauraient avoir les opérations effectuées directement sur les grandeurs mêmes.

J.F. BONNEL.

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Aucun nombre entier élevé au carré ne donne 2, et l’on démontre qu’aucun nombre fractionnaire ne le donne non plus.

Nous résignerons-nous à conclure que 2 n’a pas de racine carrée ?

Si nous nous bornons à dire que est incommensurable, nous n’en donnerons pas une définition.

Dirons-nous que est le nombre qui multiplié par lui-même produit 2 ? Ce serait faire un cercle vicieux, puisque pour comprendre la multiplication par , il faut avoir préalablement défini .

Nous définissons d’abord la racine carrée de 2 à un dixième près, le plus grand nombre de dixièmes dont le carré est contenu dans 2 ; nous définissons ensuite de même la racine carrée de 2 à un centième, à un millième près, etc.

La racine carrée de 2 est maintenant pour nous la limite de ses racines carrées à un dixième, à un centième près, etc.

Voici la définition rigoureuse : « La racine carrée d’un nombre est la limite des nombres dont les carrés ont pour limite le nombre proposé. »

On prouve, bien entendu, que la limite existe et qu’elle est unique.

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Cournot a rapproché l’extension de l’idée de multiplication aux fractions et l’extension des règles de calcul aux nombres négatifs. Ces deux généralisations permettent de rendre les relations entre les grandeurs, indépendantes de l’unité et du zéro-origine choisis.

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Les nombres incommensurables donnent déjà de la généralité à l’arithmétique. Le vrai passage à l’algèbre se fait lorsqu’apparaissent les nombres négatifs, permettant de généraliser davantage les règles et les formules. Viennent ensuite les imaginaires et les autres symboles qui étendent de plus en plus la généralisation.

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Les signes + et – modifient la quantité devant laquelle ils sont placés, comme l’adjectif modifie le substantif.

CAUCHY.

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Il convient de considérer le signe – précédant un coefficient comme soudé au coefficient.

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Le signe – s’explique en géométrie en rétrogradant et les solutions par – reculent là où les solutions par + avançaient.

ALBERT GIRARD, 1629.

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À l’inverse des autres sciences, l’algèbre a une manière toute spéciale et bien caractéristique de traiter les impossibilités ; si tel problème d’algèbre est impossible, si telle équation est insoluble, l’algèbre, au lieu de s’arrêter là pour passer à une autre question, accorde droit de cité à ces solutions impossibles et en enrichit son domaine au lieu de les exclure.

Le moyen qu’elle emploie est le symbole.

Dès les équations du premier degré à une inconnue, au lieu de diviser les équations en deux classes, suivant les valeurs des lettres qu’elles renferment, celles qui admettent une solution et celles qui n’en admettent pas, l’algèbre dit que toute équation du premier degré admet une solution, cette solution pouvant être négative ou infinie et étant, dans ce dernier cas, symbolique.

Dans un grand nombre d’équations du second degré, il semblerait qu’on doit être arrêté net, l’impossibilité se manifestant d’une manière pour ainsi dire absolue ; l’algèbre admet pourtant ces solutions comme elle a déjà fait pour le premier degré, et, toujours à l’aide de symboles, elle donne droit de cité aux incommensurables et aux imaginaires.

DE CAMPOU.

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Convenons de représenter à l’aide du symbole

(1)

la triple égalité

sans attacher aux lettres i, j d’autre sens que celui de séparation. Les signes i, j, qui pourraient être en plus grand nombre, ont reçu de Cauchy le nom de clefs. Les formules telles que (1) portent le nom d’égalités symboliques, et l’on dit, pour abréger le langage, que a et a’ sont les coefficients de i et que b et b’ sont les coefficients de j. L’ensemble des quantités qui forment le premier membre de la formule (1) s’appelle une quantité imaginaire.

Ainsi, pour nous, une quantité imaginaire se compose de l’ensemble de plusieurs nombres qui, dans un calcul ultérieur, doivent être respectivement égalés à des nombres donnés.

 

Les clefs tendent à s’introduire tous les jours davantage dans l’analyse, leur emploi donne beaucoup d’élégance et de simplicité au calcul.

De toutes les clefs, celle qui a été le mieux étudiée, celle qui est le plus anciennement connue, est celle que l’on est convenu de représenter par le symbole .

Hamilton est le créateur d’un système d’imaginaires auxquelles il a donné le nom de quaternions ; ces imaginaires contiennent trois clefs ; elles sont par conséquent de la forme

Autrefois, les quantités imaginaires avaient en elles quelque chose de fantastique : elles ne représentaient rien, elles servaient d’instrument dans les recherches ; mais à la suite d’une découverte due à l’emploi des imaginaires, les géomètres amis de la rigueur réclamaient une confirmation du résultat obtenu, par d’autres voies : c’est ce qui a valu leur nom à ce genre de quantités.

H. LAURENT.

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Je montre au début ce qui constitue vraiment la ligne de séparation de l’arithmétique et de l’algèbre.

Tant que les grandeurs ne sont considérées que dans leurs modules, c’est-à-dire dans leurs rapports abstraits avec l’unité choisie, on fait de l’arithmétique ou de l’arithmologie. On établit les règles de calcul sur les modules ou sur les nombres ; on étudie les propriétés diverses des nombres entiers auxquels tous les autres se ramènent.

Quand, à la considération du module, on joint celle de la direction et que l’on représente les grandeurs directives par un symbole complexe qui donne à la fois le module et l’argument, c’est-à-dire un signe marquant nettement le sens de la grandeur, on fait de l’algèbre.

Les grandeurs directives que l’on étudie dans les diverses branches des sciences peuvent être classées en plusieurs groupes :

1° Les unes, et c’est le plus grand nombre, ne sont susceptibles que de deux sens opposés l’un à l’autre… On pourrait les désigner sous le nom de grandeurs diodes…

2° D’autres grandeurs, qu’on pourrait nommer polyodes, peuvent avoir toute direction, soit sur un plan, soit dans l’espace…

… On les représente par des droites de longueurs déterminées suivant leurs modules, portées dans certaines directions, à partir d’un point-origine.

Il faut distinguer particulièrement les grandeurs polyodes planes… Ces grandeurs polyodes planes comprennent évidemment les grandeurs diodes, comme cas particulier.

3° Les grandeurs absolues, dans l’étude desquelles l’idée de direction n’intervient pas, peuvent aussi être regardées comme un cas particulier des grandeurs polyodes planes, car on peut toujours représenter leur module par la longueur d’une droite et porter ce module dans une même direction, sur un axe indéfini, à partir d’une origine fixe. Les grandeurs absolues ainsi représentées pourraient être appelées monodes.

 

L’algèbre, comme nous l’entendons, a pour but de donner les règles de calcul des grandeurs polyodes planes…

 

Les considérations un peu nouvelles que j’ai développées… renferment implicitement les règles du calcul des équipollences de M. Bellavitis.

Les idées philosophiques qui m’ont guidé… me conduisaient naturellement à la considération des symboles propres à représenter les grandeurs polyodes de l’espace, c’est-à-dire aux quaternions d’Hamilton.

J. BOURGET.

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Ce n’est plus l’algèbre qui est responsable de cette manifestation de résultats impossibles, c’est nous-mêmes qui y donnons lieu par l’introduction de certaines contradictions dans nos demandes. Cette circonstance dans laquelle l’esprit du calculateur intervient comme partie au débat, nous paraît mériter une attention toute particulière. Il est intéressant d’étudier comment, dans ce cas, la réaction de l’algèbre cherche à se mettre en équilibre avec l’action égarée de notre intelligence ; comment elle se maintient dans le vrai alors que nous voudrions l’entraîner dans le faux, comment du moins elle refuse de nous suivre dans cette voie, et par quels moyens, toujours logique et toujours utile, tout en nous disant que nous l’avons frappée d’impuissance, elle nous indique en quoi consiste l’erreur que nous n’avions pas même soupçonnée.

VALLÈS.

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Les difficultés relatives à plusieurs symboles singuliers auxquels conduisent les calculs algébriques et notamment aux expressions dites imaginaires, ont été, ce me semble, beaucoup exagérées par suite des considérations purement métaphysiques qu’on s’est efforcé d’y introduire, au lieu d’envisager ces résultats anormaux sous leur vrai point de vue, comme de simples faits analytiques. En les considérant ainsi, il est aisé de reconnaître, en thèse générale, que l’esprit de l’analyse mathématique consistant à considérer les grandeurs sous le seul point de vue de leurs relations, et indépendamment de toute idée de valeur déterminée, il en résulte nécessairement pour les analystes, l’obligation constante d’admettre indifféremment toutes les sortes d’expressions quelconques que pourront engendrer les combinaisons algébriques. S’ils voulaient s’en interdire une seule à raison de sa singularité apparente, comme elle est toujours susceptible de se présenter d’après certaines suppositions particulières sur les valeurs des quantités considérées, ils seraient contraints d’altérer la généralité de leurs conceptions, et en introduisant ainsi, dans chaque raisonnement, une suite de distinctions vraiment étrangères, ils feraient perdre à l’analyse mathématique son principal avantage caractéristique, la simplicité et l’uniformité des idées qu’elle combine.

 

Relativement aux quantités négatives qui ont donné lieu à tant de discussions déplacées… il faut distinguer, en considérant toujours le simple fait analytique, entre leur signification abstraite et leur interprétation concrète qu’on a presque toujours confondues jusqu’à présent. Sous le premier rapport, la théorie des quantités négatives peut être établie d’une manière complète par une seule vue algébrique. Quant à la nécessité d’admettre ce genre de résultats, concurremment avec tout autre, elle dérive de la considération générale que je viens de présenter : et quant à leur emploi comme artifice analytique pour rendre les formules plus étendues, ce mécanisme de calcul ne peut réellement donner lieu à aucune difficulté sérieuse. Ainsi, on peut envisager la théorie abstraite des quantités négatives comme ne laissant rien d’essentiel à désirer, mais il n’en est nullement de même pour leur théorie concrète.

AUG. COMTE.

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