Max - Pascal Lagrange - E-Book

Max E-Book

Pascal Lagrange

0,0

Beschreibung

Histoire d’un duo amoureux entre Max et Julie. Max frôle la mort et est sauvé par Julie. Très vite une sympathie s’installe entre eux qui nous fait découvrir en plus de leur liaison amoureuse le monde post-moderne dans lequel ils vivent. Un futur qui semble proche de nous où l’humanité est contrainte de se séparer de son contact avec la nature. Au fil du récit se construit non seulement le roman mais l’objet que le lecteur a dans les mains.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Psychanalyste et musicien en tant que cor solo à l’Orchestre de Montpellier, Pascal Lagrange se consacre également à l’écriture. Après un essai et des chroniques sur la musique il publie ici son premier roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 188

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

 

Pascal Lagrange

MAX

Chapitre 1

À la fois dur et tendre, chaud et froid, quel étrange souvenir…

 

Ces sensations mélangées sont celles qui me restent de cette chute dans un escalier. Il était en bois et en descendant, la volée de marches après un palier tournait vers la gauche. Bien éclairé par la fenêtre surplombant ce large ouvrage de menuiserie, aurais-je été ébloui ? Ou quelques forces mystérieuses provoquèrent cette perte d’équilibre qui me fit rouler de marche en marche pour finalement m’évanouir ?

Dur, tendre, chaud, froid ; ces opposés qui résultaient tant des sons que du contact avec le bois constituaient mon plus vieux souvenir. Quelque peu confus mais réel, comme après un évanouissement. Un souvenir d’enfant de moins de cinq ans : la naissance de mon conscient. Pourtant né physiquement quelques années plus tôt, ma mémoire occultait ces premières années au contact du sein nourricier et du regard de ma mère pour ne me laisser que ce souvenir brutal.

Ces chocs sur les marches d’escalier étaient les premiers coups portés à mon être, marqués en ma mémoire. La dure réalité de ma vie commençait ici, dans cet escalier, par ces chocs qui me sortirent de cette douce torpeur de la petite enfance. Pourtant il m’avait fallu certainement tenter plus d’une fois pour apprendre la marche, et l’escalier, ce monument aux yeux d’un enfant, était encore plus redoutable à descendre qu’à escalader. Donc des coups, des blessures, et des chutes furent certainement nombreux, mais je n’en avais gardé aucun souvenir. Alors voilà, ma conscience me faisait débuter mon histoire ici, et sur cette chute, je devais commencer ma vie. Première mission pour moi, je devais me relever. De cet évanouissement il me fallait sortir et debout, il me fallait à nouveau être, pour affronter ma vie d’enfant.

 

Si l’escalier me paraissait monumental, c’était bien à cause de ma taille car pour un adulte il n’était que celui d’une simple et modeste maison des années vingt ou trente. Il aboutissait sur l’unique chauffage de la maison. Un poêle à charbon placé à cet endroit afin qu’il distribue sa trop faible chaleur aux deux niveaux. Une maison avec à l’étage trois chambres et au rez-de-chaussée, séjour – cuisine. Les hivers de cette partie de la France étaient fort rudes, et il n’était pas rare que l’humidité de la maison finisse par geler au petit matin sur la surface interne des fenêtres à la faveur de cet insuffisant chauffage dont la charge de ses galets noirs s’avérait insuffisante pour tenir toute une nuit. Je ne me souvenais pas, étrangement, de salle de bains ou de lieux d’aisances. Ces endroits, ceux du corps et donc de la nudité, occultés de ma mémoire, trouvaient ici l’expression des classiques tabous relatifs au propre et au sale. Mais peut-être, dans cette modeste maison, étaient-ils inconfortables au point de n’avoir pu laisser de souvenirs agréables. Des souvenirs pouvant contribuer à créer le mythe d’une enfance heureuse. Ma prime jeunesse fut-elle entourée de douceur ? Il me fallait bien en élaborer une vision éludant l’inconfort voire les souffrances qui auraient précédé ce premier souvenir conscient : les escaliers.

 

Je naissais donc à la vie d’une chute dans une modeste maison difficile à chauffer et d’un père représentant en lave-linge. Je m’en souvenais bien car c’est de la cuisine de notre maison que je gardais le souvenir le plus précis. Plus exactement d’une pièce vidée de ses meubles au moment d’installer un linoléum d’une étrange couleur bleue. Du sol dénudé dépassaient quatre gougeons que mon père me désignait comme étant les points de fixation nécessaires à maintenir le lave-linge au sol afin qu’il ne se déplace pas, notamment lors des phases d’essorage. Un lave-linge qu’il fallait surveiller comme le lait sur le feu. Nul programme ou automatisme, il fallait rester à ses côtés pour déclencher manuellement les différentes phases du lavage et surveiller que la mousse ne déborde pas. Une burette de produit anti-mousse devant rester à portée de main. L’utilité d’un nouveau revêtement appelé communément Lino prenait ici tout son sens.

C’était là le travail de mon père, non seulement vendre ces fameux lave-linge modernes devant suppléer les lessiveuses manuelles, mais encore passer de longues heures avec les ménagères à côté de la machine en fonctionnement pour en expliquer l’usage fastidieux, qui pourtant représentait toute la modernité de l’époque. De ce fait je ne voyais guère mon père. Sorte de V.R.P. de la propreté du linge la semaine, il n’était pour moi que fumeur invétéré du dimanche lors des fins de repas, à demi masqué par un nuage bleuté pour moi suffoquant. D’ailleurs à cette époque, et dans ce qui était mon monde, les enfants ne devaient pas déranger les adultes. Encore moins la société masculine laborieuse qui, rentrant tard la semaine, ne voulait point de rejetons à table ou dans leurs jambes. C’était les mères qui s’occupaient des enfants. Il aurait dû être normal pour moi d’avoir alors un souvenir maternel, or pour cette période, je n’en avais aucun. Pas de souvenir de soin, d’habillage, de nourriture que l’on apporte au jeune enfant de façon indispensable tant il ne peut survivre seul. Plus cruel encore, rien d’affectueux ne remplissait mes souvenirs. Ce ne fut que plus tard, dans une nouvelle maison, que la figure maternelle prit forme. Reléguée aux activités domestiques, c’était par les sons que ma mère existait dans mes souvenirs. Ceux du petit matin où, encore couché, j’entendais les bruits de la cuisine. C’étaient ceux des opérations d’écrémage du lait qui avait reposé durant la nuit. Il fallait recueillir la crème remontée à la surface, et j’entendais alors depuis ma chambre les heurts de la cuillère en bois sur le bord du récipient servant à collecter la crème. Puis c’étaient les différents sons de casseroles et de couverts lors de la préparation des repas pour la journée.

Toujours dans cette jeune enfance, peu après mes cinq ans, je me souvenais être allé au marché de la ville voisine qui se tenait le long d’un petit cours d’eau. Il était situé sur une route fermée à la circulation ce jour-là, en hauteur du lit de ce ru presque à sec qui devait servir le plus souvent à drainer les eaux lors de fortes pluies. Mes yeux arrivaient autant à la limite du parapet que de la hauteur des étals où je peinais à observer les produits proposés à la vente. C’était certainement lors d’un effort, sur la pointe des pieds, afin de mieux voir les objets exposés, que mon attention se détourna de ce que faisait ma mère. Quand je reposai à nouveau mes talons au sol, elle avait disparu. Je ne vis que pantalons et chaussures, robes et sacs. Et plus mon regard cherchait autour de moi, plus les mouvements de ces tissus bariolés me donnaient le vertige. C’était certainement cette même sensation qui me fit, un peu plus grand, pleurer tout au long de mon premier tour de manège. Ce tournoiement du paysage devant me rappeler la panique vécue sur ce marché quand je perdis ma mère. Je me souvenais l’avoir longtemps cherchée, appelée, tout en sentant l’angoisse de ne jamais la retrouver m’envahir.

Chapitre 2

Du haut de cet immeuble, les pieds au bord du vide, je ne voyais pas le danger d’être ici, quasi en équilibre, à la frontière entre la vie et la mort. Je ne voyais que ces images du passé celles où je cherchais l’image maternelle, celles où désespérément elle n’apparaissait pas.

Soudain je me sentis empoigné avec force et jeté au sol. Mon nez frappa le toit de l’immeuble et devint douloureux, mon bras droit aussi, d’être subitement tordu et maintenu fermement.

 

– Vous voulez mourir ?

– Heu…

– En tout cas ça y ressemble fort.

 

Disait une voix féminine quoique quelque peu autoritaire quand, enfin, la sorte d’étau qui me maintenait le bras se desserra me permettant de rouler sur le dos et d’entrevoir celle qui pensait certainement m’avoir sauvé la vie.

– Mais que faisiez-vous ?

– Je cherchais l’amour.

– Dans la mort ?

– Non… dans le passé.

 

Je répondais à la propriétaire de cette bienveillante voix tout en recouvrant progressivement une vision plus nette. Elle émanait d’un visage doux qui contrastait avec la force physique dont elle venait de faire preuve pour m’éloigner du risque d’un saut fatal. Quelque peu rond, la forme de son visage était accentuée par le fait que ses cheveux étaient attachés et que ses joues avaient gardé une rondeur enfantine.

 

– Vous avez de la chance, hier les ascenseurs étaient encore en panne et je n’aurais peut-être pas pu arriver à temps. Mais vous grelottez ! Venez avec moi vous réchauffer, de toute façon je dois retourner à mon poste.

 

J’avais déjà dû me remettre sur pied car, sans m’en rendre compte je suivais cette jeune femme en tenue d’agent de sécurité dans les dédales qui menaient aux locaux des surveillants de cette tour. Absorbée à rejoindre son poste de travail au plus vite, elle restait silencieuse et ne se retournait que de temps à autre pour vérifier que je la suivais bien. Entre escaliers, ascenseurs et couloirs, je découvris petit à petit mon guide. Dans la pénombre elle se déplaçait comme un chat, silencieusement, avec légèreté et sans hésiter. Bien que chaussée avec du matériel de sécurité, son pas restait léger. Heureusement pour moi, les différents ascenseurs me laissaient quelques répits pour reprendre mon souffle, mais surtout me permettaient d’observer en pleine lumière mon guide.

Sous sa tenue unisexe de service, il m’était aisé de deviner le physique de cette belle femme. Son pantalon, moulant légèrement le haut de ses jambes, laissait apercevoir un corps musclé propice à exercer avec aisance son métier de secouriste. Sa poitrine gonflait légèrement le haut de sa tenue pour finalement, mon regard poursuivant en un mouvement ascendant, me laisser voir le sourire de celle qui m’avait tiré hors du précipice.

« Nous arrivons » dit-elle.

En effet, au débouché d’un dernier couloir, le centre de sécurité de l’immeuble était bien là, sous mes yeux, truffé d’écrans qui s’activaient en fonction des différents ordres qu’ils recevaient. Que ce soit ceux des détecteurs de mouvements ou de température, comme me l’expliquait brièvement mon guide en passant devant ceux-ci.

 

– Thé ou café ? me demanda-t-elle en m’invitant à m’assoir sur l’un des sièges qu’elle me désignait.

– Café s’il vous plaît, mais je ne voudrais pas m’imposer, vous devez avoir mieux à faire que de vous occuper de moi.

– Bah, pas vraiment… tout est automatisé, du moins tant que cela fonctionne. C’est pour cela que je suis quasiment toujours seule.

 

Puis elle me tendit une tasse bien remplie de café chaud.

 

– Et qu’allez-vous faire maintenant ? me dit-elle.

– Pourquoi cette question ?

– Disons que, comme je vous l’ai déjà dit, les ascenseurs ne fonctionnant pas tous les jours avec certitude, et si vous deviez recommencer, autant que je le sache à l’avance ; ainsi je ferai directement ma garde sur le toit… puis elle émit un petit rire.

– Ça me fait plaisir que vous le preniez avec humour car je préfère ça à un discours moralisateur. En fait je ne saurais vous répondre… ne sachant même pas pourquoi je me suis retrouvé là-haut.

– Êtes-vous somnambule ?

– C’est un mystère pour moi… puis j’avalai un peu de ce réconfortant café.

– Vous vous droguez ?

Décidément il me semblait subir un interrogatoire bien direct…

– Non plus… la seule chose que je peux vous dire c’est que je sortais de chez un psychologue. Et sans doute que, la fatigue aidant, mes pensées inconscientes ont pris le dessus sur mon conscient. Est-ce une drogue ? Peut-être les mêmes effets apparents.

– Ah, je comprends un peu mieux ainsi votre réponse.

Puis elle regarda sa montre.

– Il est l’heure de la relève. Je ne vais pas vous laisser avec cet inconscient qui vous domine et vous fait agir n’importe comment dans les avenues et les immeubles de la cité. Si vous n’habitez pas trop loin je vous accompagne ou vous mets dans un taxi. Attendez en finissant votre café pendant que je m’organise avec mon collègue pour le changement d’équipe.

 

Elle se leva et s’éloigna vers les écrans blafards, ce qui à nouveau, me laissait tout le loisir pour admirer la souplesse de ses mouvements et la féminité qui s’en dégageait malgré une tenue peu adéquate à des rêveries romantiques. Le contraste avec le physique de son remplaçant qui entrait à l’instant dans le local la faisait être tout à l’avantage de ce qu’une femme laisse voir, tant celui de l’homme correspondait aux attendus caractérisant un agent de sécurité type. Haute taille, carrure large, musculature proéminente, visage sévère ; je les entendis chuchoter, certainement à mon sujet. Il fallait bien expliquer ma présence ici, et les regards furtifs à mon endroit de l’homme de relève semblaient tout autant désapprouver le fait que je sois ici que si j’avais réellement fait « le voltigeur » ; mot que je perçus et qui semblait désigner les tentatives suicidaires dans leur jargon. Je ne devais probablement pas être le premier.

 

« Bon, on y va ! me lança-t-elle. J’ai besoin d’air. »

 

Elle dut prendre conscience de ce qu’elle venait de prononcer, et de la portée que ces mots pouvaient avoir sur moi alors que je revenais tout juste d’éviter un « très grand bol d’air ». C’est ce que trahissait son sourire qui venait juste de s’effacer pour une moue quelque peu perplexe. Puis elle prit congé de son collègue et m’invita à la suivre. Ce que je fis avec soulagement. D’abord parce qu’il était temps pour moi de reprendre le cours normal de mes activités, mais aussi je ne voulais pas rester avec son imposant remplaçant et subir ce qui devait être le protocole habituel en pareilles circonstances. J’échappai ainsi à un signalement en bonne et due forme aux forces de l’ordre de mon intrusion sur le toit de cette tour, et les interrogatoires qui en découlaient. Me retrouver fiché comme suicidaire ne me convenait pas trop.

Ce ne fut que quand nous sortîmes de l’immeuble que je me rendis compte de l’heure. C’était le petit matin et les premières lueurs de l’aube donnaient un ton rosé, comme si je portais des lunettes de soleil à bas prix, celles qui colorent outrageusement tout d’une improbable couleur. L’humidité nocturne déposée donnait des reflets brillants à toutes choses. Comme si je me trouvais à nouveau dans un rêve, tel que celui qui me fit me retrouver là-haut.

– Je ne connais pas votre nom… le mien est Julie.

– Enchanté Julie, j’ai l’habitude de me faire appeler Max.

– Alors Max, où résidez-vous ?

– Juste en bas de l’avenue, au 1043, mais je peux y aller seul vous savez.

– Non non ! je vous raccompagne, comme ça, une fois chez vous Max, vous serez sorti de ma responsabilité de surveillance, presque comme si rien ne s’était passé et je pourrai rentrer chez moi me reposer sereinement. De toute façon mon métro est au bas de l’avenue Baudrillard.

 

C’étaient des conditions idéales pour flâner, presque seuls, nous descendions nonchalamment l’avenue sans réelles contraintes horaires, profitant de cet entre-deux, entre la nuit et le jour. Julie prit le temps pour me questionner délicatement sur moi et je trouvai agréable que quelqu’un ait quelque curiosité à mon égard. Je tâchai de lui répondre de la façon la plus neutre possible, sans dévoiler trop de ma personnalité et de ma vie. Je lui avouai toutefois mon réel métier d’écrivain, qu’habituellement je travestissais en simple chroniqueur pour les éditions numériques de journaux ; ceux qui me sollicitaient pour différents articles plus proches de la rubrique des chiens écrasés que de réelles informations. Mais mon talent inné à mettre du pathos dans les faits divers, me permettait d’être régulièrement employé et m’offrait la liberté de perdre mon temps dans une écriture que je jugeais plus sérieuse. Je désirais secrètement devenir le nouveau romancier qui marquerait son temps.

 

« Alors vous écrivez sur l’amour et le cherchez en haut des tours ou immeubles ? Au bord du vide ? Mais c’est dangereux ! » me dit-elle.

 

Alors que nous passions sous les fenêtres d’une pâtisserie, des effluves savoureux nous éveillèrent l’appétit et Julie m’invita à entrer afin que nous nous restaurions. J’approuvai son initiative, subitement désireux de ne pas rejoindre immédiatement mon habituelle solitude. Face à face, chacun avec notre choix de pâtisserie et de boisson, assis à l’étage surplombant l’avenue, nous étions tels deux êtres qui donnaient l’apparence de se connaitre depuis toujours. Pour une fois, aucune timidité ne m’assaillait au point de devoir prendre subitement la poudre d’escampette en prétextant la plus absurde des excuses qui me venait alors à l’esprit. Est-ce que ma dernière consultation m’avait débarrassé de mon embarrassante phobie sociale ? Que s’était-il donc passé en haut de la tour pour que je trouve enfin la compagnie humaine agréable. Voilà ce à quoi je pensais en répondant aux questions de Julie et en admirant les taches de rousseur sur son visage. Bien que travaillant de nuit, son visage ne laissait voir aucune trace de fatigue. Ni cerne, ni plis autour des yeux, seules deux petites fossettes à la commissure des lèvres venaient perturber le parfait de sa peau. Son regard vif faisait des allers et retours entre la pâtisserie qu’elle dégustait, sa tasse de café et mon visage dans l’attente de mes réponses aux questions qu’elle continuait de me poser.

 

« Et vous avez publié ? je suis plus curieuse de vos romans que de vos chroniques, vous savez, les chiens écrasés moi… »

 

Bien évidemment à scruter les comportements humains quotidiens sur des écrans, Julie devait en avoir sa dose des petits tracas et drames de nos semblables ; et bien que notre société moderne ne se portât plus vraiment sur la littérature, il devait bien rester quelques personnes propices à la rêverie pour oser encore s’adonner à la lecture de romans, fussent-ils policiers ; cet intemporel genre littéraire qui arrivait encore à faire survivre les quelques éditeurs encore existants. L’intérêt dont Julie semblait vouloir faire preuve me laissait l’espoir d’avoir au moins un lecteur.

 

– Vous savez l’édition se porte très mal et l’on a coutume de dire qu’il y a toujours plus d’écrivains que de lecteurs…

– Il n’empêche que je suis curieuse de ce qu’écrit un type qui côtoie la mort ou plutôt la défie du cinquante-troisième étage.

– Oh vous seriez peut-être déçue, car ce n’est pas vraiment l’inspiration que je cherchais là-haut et d’ailleurs je ne sais pas vraiment pourquoi je me suis retrouvé dans cette situation, un vilain coup de blues certainement. Mais je ne voudrais pas avec mes histoires, faire disparaître les traces de gaîté que je lis dans vos yeux. Dites-moi plutôt ce que vous lisez, qu’à mon tour je vous pose quelques questions, après tout…

 

Tandis qu’elle me racontait ses dernières lectures et ses actuelles études de littérature moderne, je me laissais aller à recevoir tout ce qui se dégageait de sa personne. Sa voix bien sûr, douce et toutefois claire, mais aussi sa gestuelle qui trahissait une grande assurance et confiance. Elle me parlait comme si cela lui était naturel, comme à un vieil ami. Et si elle y mettait de la conviction ou de l’enthousiasme, elle restait calme et maîtresse d’elle-même, sans emportement, éclat de voix ou rire intempestif ; même lorsque j’osais l’interrompre pour placer un trait d’humour et tenter de lui faire oublier les circonstances premières qui nous ont fait nous retrouver dans ce café – pâtisserie de l’avenue Descartes. Je profitais égoïstement de la situation, de sa bonne humeur réconfortante, quand subitement, elle regarda sa montre. Elle me dit qu’il lui fallait rentrer pour se reposer un peu avant de pouvoir assister à ses cours de l’après-midi. Confus, je m’essayai à des excuses ridicules où toute ma timidité réapparut. Avec un clin d’œil elle me fit promettre de ne plus recommencer mes visites nocturnes sans guide sur le toit de « sa tour » et me salua comme si nous devions nous retrouver le lendemain, comme deux amis de toujours.

Déjà son pas rapide et léger l’emportait en direction de sa station de métro et je me retrouvais planté là, debout, à côté de nos tasses de café vides et des miettes de nos pâtisseries, comme l’un des éléments d’une nature morte, au centre de cette bulle d’insouciance dans ma vie qui peu à peu s’évanouissait. Alors je relevai machinalement le col de ma gabardine, descendis à mon tour l’avenue Descartes en enfonçant mes mains dans mes poches. Un bref retournement pour me rendre compte que je passais devant ce café en demi-étage chaque jour sans l’avoir jamais remarqué. « La Pomme d’Or » était-il écrit sur un panneau en hauteur, certainement à cause de sa spécialité : le chausson aux pommes, que je n’appréciais pas vraiment mais qui je m’en souvins alors, garnissait copieusement les étals aux côtés des plus classiques gourmandises sucrées.

Sur cette contrariété, le souvenir de ce léger dégoût, je repris mon chemin vers le 1043 quelques dizaines de mètres plus bas.

Chapitre 3

Mon chez-moi était toujours aussi triste que lorsque je l’avais quitté. Nul désordre subit ou heureuse transformation, la pénombre régnait toujours, je n’avais pas dû lever les volets roulants et le verre teinté électroniquement des fenêtres restait malheureusement activé. Seule subsistait la lueur de l’aquarium pour éclairer la pièce principale, celle que l’on nomme habituellement séjour. Ce n’était pourtant pas ici que je passais la majeure partie de mon temps, mais dans une petite pièce attenante où se tenait un bureau qui étrangement voyait s’accumuler journaux et mensuels. Car je lui préférais nettement le fauteuil à l’assise en cuir et aux accoudoirs en bois pour, appuyé sur un genou, réaliser mes travaux d’écriture. Que ce soit mes chroniques ou mon travail personnel, je préférais cette position peu académique pour un écrivain, mais elle me laissait plus de liberté pour, dans cette attitude nonchalante, faire croire à mon esprit qu’il n’était pas vraiment au travail.

Travailler… un concept qui m’avait toujours déplu. Faire, oui ! Être opératif ! Non pas dans le sens de ce que l’ouvrier fait, mais avec le souci de réaliser quelque chose, mû par un désir, par une envie personnelle. J’avais toujours eu des difficultés à subir des directives voire des ordres. Ma période scolaire, ou la société rigide dans laquelle nous évoluions devaient en être l’origine et je préférais garder ma liberté de faire quand et ce que je voulais. Et puis, ne rien faire est tellement important, c’est dans ce temps mal compris que pourtant les idées se forment et c’était là ma conviction car c’était ainsi que j’y voyais mon fonctionnement le plus efficace.