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"Mayotte, l’île des contrastes" vous invite à un voyage au cœur d’une île lointaine et méconnue, brassant une population aux origines diverses et destins inégaux. Au travers de brefs tableaux de vie, partez à la découverte de Mayotte : ses paysages vierges, sa biodiversité unique, ses traditions multiples. Laissez-vous enivrer par sa culture éclectique, ses saveurs délicates et senteurs envoûtantes. Jamais Mayotte n’aura aussi bien porté son nom que dans ces récits contrastés.
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Seitenzahl: 114
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Manon Mauvais
Mayotte, l’île des contrastes
© Lys Bleu Éditions – Manon Mauvais
ISBN : 979-10-422-5533-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Mayotte, qui m’a fait grandir par un intense shot de voyage, de débrouillardise et d’ouverture culturelle.
À Moana, mon compagnon éternel de joies et de galères.
À nos familles respectives qui nous aident à créer des rêves, et mes parents qui m’ont donné les clés pour les réaliser.
Aux copains d’outre-mer qui aiment la mer et ses splendeurs tout autant que moi, et surtout Lara, Aurélie et Marie, aventurières de l’océan Indien.
Aux copains de toujours restés en Métropole : pour qu’ils voient avec mes yeux ces mois passés loin d’eux. À notre amitié qui perdure dans le temps.
Et enfin, un immense merci à ma maman pour sa plume parfaite qui sublime tout.
Il est 17 h 24 et je sors de l’eau. Tes deux yeux immenses scrutent l’horizon. Tu siffles dans ton jouet à l’effigie du PSG.
Tu surveilles que je ne me noie pas, je dis.
Oui, et que les requins ne s’approchent pas trop de toi, tu réponds.
Cette plage, ce lagon, cet océan Indien, c’est ta maison. On marche un peu ensemble, on discute. On apprend à se connaître. Plus j’en sais sur ton histoire, plus je grandis. Néanmoins, c’est toi l’enfant. Du haut de tes neuf ans, tu as eu tant de vies.
Ce soir, durant la fête, c’est ton sourire indétrônable et ton aisance à imiter Michael Jackson qui troublent tout le monde. Tu danses sur Billie Jean et tu parles français sans écorcher les mots. Pourtant, ta maman n’écoutait pas Beat It et ne parlait pas français lorsque tu étais dans son ventre.
Tu es né là-bas, comme tant d’autres qui vivent désormais ici. Là-bas : cette île comorienne si proche par sa culture, son climat, et les deux petites heures de navigation qui la sépare de Mayotte. Cet atoll si lointain par sa différence économique, sociale et médicale. Cet archipel qui t’a semblé si loin quand on t’a installé petit dans ce kwassa1 minuscule.
Je regarde le lagon et je pense à toutes les embarcations qui ne sont jamais arrivées à destination.
Quand je regarde le fond de la mer, je vois des hommes et des femmes nager avec des dugongs et des cœlacanthes, je vois des rêves accrochés aux algues et des bébés dormir au creux des bénitiers. De là où je vous parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu’il suffira d’un rien pour qu’il s’embrase.2
Les extraits de Tropiques de la violence résonnent dans ma tête. Depuis que j’ai vu ce tout petit manteau, coincé au fond de l’eau entre les anémones et bercé par la houle, je ne pense qu’aux enfants pour qui océan rime avec ossuaire.
Tu as débarqué ici : Karibou en France. Certains de tes frères sont restés et d’autres t’ont suivi. La chance t’a souri, Alidi3, mais le périple continue. Tu as grandi avec tatie que tu as nommée maman avant que la tienne ne vienne te récupérer. Ton père n’est pas trop là, les assiettes pas trop pleines. Les adultes soufflent à ton oreille d’enfant l’urgence de travailler pour nourrir ta famille.
Ton échappatoire c’est l’eau. Ton masque de plongée est toujours glissé dans ton sac à dos de fortune. Sur les bateaux, tu ris, tu chantes, tu danses. Au bord du rivage, tu passes des heures à attendre les adultes en jouant dans les vagues. Tu amuses les touristes qui veulent sauver ta joie et même ton avenir. Ils s’étonnent de te voir barboter ainsi tout seul : tes jeunes camarades craignent le lagon, ses menaces et tous ses mauvais djinns4.
Ceux qui croisent ton chemin veulent que tu manges mieux et espèrent même l’instruction chaque jour de l’année. Ils te prennent sous leur aile. Te sortir de la merde – comme ils disent – est devenu leur responsabilité.
Tu grandis, et l’adolescence arrive. Tu te sens incompris. Les plaies béantes de ton âme crient qu’elles sont méconnues. Parfois, tu n’en peux plus. Tu n’en veux plus.
Plus de cette vie protégée, de cette vie de Blanc, de ces vêtements de Blanc, de cette musique blanche qui ne transporte nulle part et de ces livres qui parlent de roseaux et de saules. (…). Pas être un mzungu, un étranger.
(…) appartenir à un endroit, connaître mes vrais parents, avoir des cousins, des tantes et des oncles. (…) parler une langue qui fait rouler les r et chuinter les s.5
Peu importe le toit que tu as sur la tête, je sais, Alidi, comme il est dur de s’endormir le soir. Je te souhaite que l’avenir réalise tes plus beaux rêves.
Les avions Ewa6 et Air Austral dévoilent aux voyageurs les mille couleurs du lagon et l’étendue de cette piscine turquoise vers laquelle ils s’aventurent. C’est sur un petit caillou de l’océan Indien que l’on nomme Petite Terre que nous nous posons – pas toujours sereins. La piste d’aéroport de Pamandzi est fine et courte, voilà comment je la décrirai.
Depuis 2011, les décideurs ont tranché : cette piste d’atterrissage doit s’allonger. Telle qu’elle est aujourd’hui, elle ne permet pas aux avions de partir trop loin et trop chargés. Les études se sont multipliées, les spécialistes se sont succédé. Seulement deux options ont été retenues : soit on rallonge la voie actuelle, soit on construit sur Bouyouni/M’Tsangamouji.
En 2019, l’urgence est redonnée à grands coups de discours macronien : la piste doit voir le jour. L’enjeu est touristique, économique et social. Il s’agit de désenclaver, de développer et de faire rayonner Mayotte. Les études d’impact ça suffit, qu’on tranche et qu’on commence, déclare le président.
La Direction générale de l’Aviation civile tâche de savoir où récupérer et installer les trois millions de mètres cubes de remblai et granulats. Géologues et géotechniciens se relaient : ils essaient d’harmoniser la demande présidentielle avec l’effondrement de l’île, la hausse du niveau de la mer et les potentiels cyclones et tsunamis7.
Les scientifiques tentent de concilier le bitume et la nature. Pas de chance, l’aéroport a comme voisin le parc Marin. Les écolos des mers brandissent de grands non. Non, on ne fait pas n’importe quoi dans le plus beau lagon du monde. L’immense projet d’infrastructure doit slalomer entre herbiers et récifs de corail.
Là, derrière les tétrapodes énormes qui annoncent la fin de la piste actuelle, se trouve le splendide tombant des aviateurs. On y patauge avec les tortues, les raies, les balistes, les gaterins. Et le dugong pour les chanceux. Il en reste dix sur Mayotte, voilà l’estimation. État de survie annoncé pour ce lamantin qui coupe l’herbe sous le pied des compagnies aériennes. Compliqué d’aller détruire à la dynamite les coraux millénaires et l’habitat ultime d’une bestiole attachante. Nous continuons de nous baigner en riant. Et puis tant pis si les cris de joie sont entrecoupés des bruits des décollages puisqu’aujourd’hui le dugong a gagné contre les coucous.
Le vent de juillet se met à souffler et l’air s’est rafraîchi. Les reines de l’océan remontent vers Mayotte, délaissant les eaux glaciales de l’Antarctique où elles se sont nourries pendant des mois de krill et de petits poissons. Les baleines à bosse parcourent sept mille kilomètres pour se reproduire et mettre bas dans le plus grand lagon du monde. Certaines trouvent les Passes pour entrer vers les terres. Dans les couples mère-baleineau, les juvéniles imitent les adultes en sautant. Ils apprennent à se mouvoir dans cet océan gigantesque qui devient leur maison. Comment se repérer dans cette immensité profonde ?
Nos petites embarcations s’approchent. Les caméras photo identifient les détails uniques des caudales de Megaptera novaeangliae8. Mon esprit immortalise la grâce des géantes. Sous l’eau, les chants des mâles résonnent pour attirer les femelles et repousser les autres compétiteurs de la reproduction. Nos hydrophones9 enregistrent le concert aquatique des ambassadeurs de l’océan.
Plus au Sud, l’association Globice10 décompte plus de 500 individus dans les eaux réunionnaises. Des bords de plage de La Saline-Les-Bains, les foules de vacanciers montrent du doigt les sauts des cétacés. Des centaines de bateaux sillonnent le sec11 transportant les touristes qui ont payé pour voir du gros. Les humains cherchent à créer la rencontre et organisent des mises à l’eau toujours plus sensationnelles. Se laissent-elles observer parce qu’elles sont lassées de fuir les bateaux par centaines ? Il semblerait que les baleines se soient acclimatées à nos moteurs.
Le 23 août 2023, un petit baleineau meurt sur le récif de La Réunion. Les scientifiques s’alarment : comment désenchouer un joli bébé de dix tonnes, empêtré sur les tabulaires ? La mère de trente-cinq tonnes restera longtemps dans les parages, attendant désespérément son enfant qu’elle a mené jusqu’aux eaux chaudes.
Certains hurlent contre la Réserve Marine12 qui l’aurait attiré près des côtes comme une sirène qui chuchote à l’oreille des pirates. Les écolos répondent que le baleineau est venu se réfugier dans le seul endroit où les bateaux ne le pourchassent pas. Comment savoir ? Peut-être a-t-il été séparé de sa mère, accaparée par quelques mâles en quête d’amour ? Avec ou sans humains, ce drame aurait bien pu arriver.
À Mayotte, pas de mises à l’eau autorisées13. Évidemment, des têtes brûlées bravent l’interdiction et capturent les mammifères en images de GoPro. Ces moments sont fugaces. Les baleines sondent et s’échappent loin des quelques canots qu’elles croisent.
Le bleu est notre grand voyage. À bord de notre navire, nous naviguons des heures au gré du vent et des courants. Nul n’a besoin de parler, il n’y a rien à dire. Nous restons là, à scruter l’horizon en écoutant le clapotis de l’eau. Des dauphins viennent fendre le calme et nous nous précipitons à l’avant. Les pieds des enfants touchent presque les flancs des cétacés qui esquivent si délicatement les rebords du bateau. Les jeunes rient, les mères sourient à s’en décrocher la mâchoire. Nous vivons un cliché. Les longs becs14 virevoltent un peu au-dessus des vagues puis plongent dans les abysses.
Parfois, les palanquées chanceuses croisent cent dauphins qui défilent la Passe Bateau. Les plongeurs se groupent, se font petits et arrêtent de palmer. Ils oublient presque de reprendre leur souffle, tant le bonheur est grand. L’Homme ne veut plus être le prédateur, mais un explorateur. Nous regardons le fond avec curiosité. Quand le bleu devient noir, les créatures abyssales deviennent transparentes ou bioluminescentes dans la nuit éternelle. Là-bas, des calmars géants se battent contre des cachalots et lacèrent leurs peaux qui remontent meurtries à la surface.
Lorsque nous approchons des rivages tant rêvés, le bleu profond s’adoucit en bassins d’eau turquoise. J’aime la fugacité des bancs de sable fin qui percent le bleu de l’eau. Une marée plus tard, ils disparaissent. Quelques nageoires de raies mantas complètent la carte postale. La houle se forme et le navire se met en route en fin de journée. Au large, une pirogue passe. Les nuances de bleu nous accompagnent jusqu’à bon port et le ciel vire à l’orangé. La mer dépose de jolis dessins ondulés en s’éloignant de la plage.
Sur le sable, nous marchons heureux. Des enfants ramassent des palourdes et bigorneaux. La saison ne l’autorise pas, mais ils chassent le poulpe en cachette. Les femmes se retrouvent en bord de mer pour une partie de pêche au djarifa. Dans d’immenses toiles de moustiquaire, elles récoltent les mhidzi15. Loin du village et loin des hommes, elles se racontent les dernières histoires. Elles rient et chantent, sous les yeux des touristes.
Le monde pourrait s’écrouler, il n’y a que bonheur et plénitude dans nos cœurs de grands adolescents. Je lis les dégradés de bleu, vert et jaune dans tes yeux qui se plissent avec ton rire et j’aimerais arrêter ce moment. C’est un rêve et pourtant c’est notre réalité.
Dans ce décor nommé maison, nous voudrions emmener tous ceux qu’on cherche à faire rêver. Pourtant, est-il encore possible de vendre ce bout du Globe sur une planète qui crame au kérosène de nos avions ? Comment donner à la planète entière ce paysage d’île déserte ? Tout le monde mérite de voir notre jardin mahorais16. Chaque enfant a le droit de plonger ses yeux sous les flots pour y voir les tortues et les raies, de se faire picorer par les fusiliers et les demoiselles.
Créons le rêve sur cette plage qui parle d’elle-même. Envoyons le fantasme à ceux restés là-bas. Nous sommes en France, mais la Métropole semble si loin. Ces images de bleu feront peut-être venir de loin les épuisés des grisailles parisiennes. Je pense à celle que j’étais, poussée vers une carrière tracée et cloisonnée dans la capitale, et à mes pieds éternellement salés d’aujourd’hui. Je pense aux routines tristes du métro-boulot-dodo