Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation - Renaud Brosse - E-Book

Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation E-Book

Renaud Brosse

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Beschreibung

Quel que soit le pays ou le continent considéré, une interdépendance étroite existe aujourd’hui entre démocratie, liberté des médias et régulation de la communication. Une place cruciale revient en effet aux organes de régulation dans la procédure d’allocation de fréquences d’émissions, dans la promotion de la diversité culturelle des contenus médiatiques, dans l’équitable accès aux ondes des courants politiques et de pensée, ou encore dans l’émergence de véritables médias de service public. Les organes de régulation des médias se sont partout ou presque imposés comme partie intégrante de l’appareillage institutionnel démocratique. En Afrique subsaharienne, les premières instances de régulation des médias ont été créées dans le sillage de la démocratisation, au tournant des années 1980/1990. Le rejet du système des partis uniques et la revendication des libertés civiles et politiques se traduisent notamment alors, dans le domaine de l’information et de la communication, par l’avènement de régulateurs dont la vocation est de couper le cordon ombilical entre pouvoir politique et médias. Le bouillonnement médiaticopolitique né de l’essor sans précédent de nouveaux supports écrits et audiovisuels privés, a, de par sa vigueur et, il faut bien le reconnaître aussi, ses excès, nécessité l’organisation de ces nouvelles libertés d’expression et de communication. Ce besoin d’arbitrage, justifié au nom de l’intérêt supérieur du public et de son droit à une information de qualité, a débouché sur la création d’instances de régulation des médias écrits et/ou audiovisuels. A l’heure où la légitimité de ces nouveaux acteurs indépendants semble globalement acquise, de nouveaux dangers les attendent pourtant : sauront-ils, par exemple, relever les défis que leur posent les nouvelles technologies de l’information et de la communication - notamment Internet – et parviendront-ils à gérer collectivement, en bonne intelligence et complémentarité, les images télévisuelles se déversant sur les Etats africains, en s’affranchissant de toute considération de frontières ?

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© Groupe De Boeck s.a., 2013

Éditions Bruylant

Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 9782802741473

LES PUBLICATIONS DE LA COLLECTION

– Les médias de la diversité culturelle en Afrique. Entre traditions et mondialisation, (Serge-Théophile Balima et Michel Mathien), 2012.

– Les jeunes dans les médias en Europe. De 1968 à nos jours, Bruylant, Bruxelles, 2009 (sous la direction de Michel Mathien).

– Histoire, mémoire et médias, 2009 (sous la direction de Régis Latouche et de Michel Mathien)

– Les journalistes et l’Europe, 2009 (sous la direction de Gilles Rouet).

– Éthique de « la société de l’information », 2008 (sous la direction de Jean-Louis Fullsack et de Michel Mathien).

– Le journalisme : avis de recherches. Les études françaises dans le contexte international, 2008 (Nicolas Pélissier).

– L’Écologie des médias, 2008 (sous la direction de Patrick-Yves Badillo).

– Le Sommet Mondial sur la Société de l’Information et « après » ?, Perspectives sur la Cité globale, 2007 (sous la direction de Michel Mathien).

– Évolution de l’économie libérale et liberté d’expression, 2006, (sous la direction d’Alain Kiyindou et Michel Mathien, préface de Francis Balle).

– La Guerre en Irak. Les médias face aux conflits armés, 2006 (sous la direction de Gérald Arboit et Michel Mathien).

– La « société de l’information ». Entre mythes et réalités, 2005 (sous la direction de Michel Mathien, préface de Michèle Gendreau-Massalou).

– La médiatisation de l’histoire. Ses risques et ses espoirs, 2004 (sous la direction de Michel Mathien, préface de Jean Favier).

– Les médias de la diversité culturelle dans les pays latins d’Europe, 2011 (sous la direction d’Annie Lenoble-Bart et Michel Mathien).

Depuis la création de l’Annuaire français de relations internationales (AFRI), avec la parution de son premier volume en 2000, le titulaire de la Chaire Unesco participe à la rédaction de cette publication réalisée par le Centre Thucydide – Analyse et recherche en relations internationales de l’Université Panthéon Assas-Paris II, et dirigée par de Serge Sur. Il est responsable de la rubrique Médias et société internationale. L’AFRI est édité par les Editions Bruylant (onze volumes parus) en coopération avec la Documentation française à Paris.

In memoriam René Megniho Dossa

1er président de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication du Bénin

Pionnier africain de la régulation « Que la terre te soit légère… »

Remerciements

Qu’il me soit permis ici d’exprimer toute ma gratitude au professeur Michel Mathien pour sa confiance et son soutien, et pour l’exigence de rigueur qu’il a su un peu plus m’inculquer.

À Laurence, Vilhelm, Oscar et Jules pour leur patience et leur bienveillance pour un « livre qui n’en finit jamais ! »…

Introduction

Le postulat de départ de cet ouvrage est qu’une régulation (1) efficace des médias et de l’information peut favoriser le bon fonctionnement d’un régime démocratique, qu’un lien existe entre bonne gouvernance (2) sociétale et régulation. Que l’on considère l’Amérique latine, l’Afrique, l’Europe centrale et orientale ou n’importe quel autre endroit du globe, les pays récemment sortis de pratiques et de règles autoritaires ou totalitaires ont en effet compris qu’une société politique et qu’un secteur médiatique libres ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ce lien peut s’expliquer empiriquement par le fait que seul le libre échange d’idées, d’opinions et d’informations peut permettre à un débat public de prendre racine et peut garantir un processus ouvert de discussion et de décision indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Autrement dit, les médias de masse, et plus particulièrement les médias audiovisuels, peuvent être considérés comme des outils de discussion publique et des pourvoyeurs d’informations, qui peuvent en retour aider les citoyens et les responsables politiques à prendre des décisions éclairées.

Démocratie et régulation de l’espace médiatique : éléments de discussion

Le besoin d’arbitrages indépendants

L’émergence d’une société transparente, garantissant les libertés politiques, récemment recouvrées ou conquises sous certaines latitudes, dépend en grande partie des institutions qui ont pour charge de renforcer et d’assurer une libre communication – tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Cette fonction importante peut être considérée comme étant remplie à la fois par les organes de régulation des médias et par les associations professionnelles d’autorégulation, qui peuvent responsabiliser simultanément les leaders politiques et les acteurs médiatiques. La régulation peut donc aider les hommes politiques, les acteurs sociaux au sens large et les journalistes à apprendre à se situer et à savoir comment se comporter dans une société politique et médiatique ouverte.

La régulation permet, idéalement, d’assurer que l’espace médiatique favorise et promeuve les intérêts du public et, parallèlement, de soustraire les médias écrits et audiovisuels de la tutelle, voire, dans certains cas, des griffes de l’État. L’ensemble des pays sortis, ou en passe de sortir, de systèmes politiques non démocratiques et fermés sont confrontés au défi du passage d’un état d’absence de toute régulation (du fait d’un monopole et d’un contrôle étroits sur les médias et l’information) à la mise en place d’un ensemble de lois et d’instances de régulation dans lequel pourra se développer un paysage médiatique indépendant, audiovisuel en particulier, et ce, tant dans le secteur public que privé.

Quel que soit le continent retenu, les médias dans les sociétés démocratiques font l’objet de restrictions communément admises, que l’on peut retrouver dans les constitutions, les Codes pénaux et les lois générales comme dans des législations spécifiques à la presse, de même que dans des conventions ou déclarations internationales comme, par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Déclaration européenne des droits de l’homme.

De façon générale, les éléments suivants font l’objet d’une régulation dans la procédure légale de la grande majorité des pays : la liberté de la presse, la liberté d’expression, la protection de la vie privée, la diffamation et les insultes, le droit de réponse, l’accès du public à l’information, la discrimination, la censure, les mineurs, la protection des sources, etc. Pourtant, l’idée selon laquelle la liberté d’expression et la liberté de la presse devraient être régulées n’est pas unanimement partagée dans les démocraties modernes. En effet, pourquoi réguler (certains professionnels diraient « renoncer à »…) une liberté pour laquelle des citoyens, journalistes ou non, se sont longtemps battus et qui a été reconnue comme un instrument de contrôle important du gouvernement et du système politique dans son acception la plus large ?

L’invocation du droit du public à une information de qualité

De fait, la justification de la nécessité d’un processus de régulation renvoie en partie à l’idée que, comme n’importe quel autre pouvoir, les médias doivent être à leur tour « contrôlés ». La régulation, dès lors, entrerait-elle en jeu pour « contrôler » ce qui est encore de nos jours dépeint comme étant le « quatrième pouvoir » ? Cercle vicieux que Daniel Cornu traduit en ces termes : « Tout contrôle des médias qui ne repose pas sur une forme de régulation interne suppose une intervention de l’État. Comment le mettre en place sans rompre avec la liberté de l’information ? Et comment éviter, si une autonomie suffisante est assurée à l’organe de contrôle, que la solution ne repousse simplement le problème d’une case, posant alors la question du contrôle des contrôleurs ? » (3).

Quoi qu’il en soit, lorsque l’on se pose la question de l’opportunité de la régulation de l’espace médiatique, on se trouve, pour reprendre un terme anglo-saxon, face à un système délicat de checkand balances (« poids et contrepoids ») : la liberté d’expression et de presse, l’interdiction de toute forme de censure peuvent certes être garanties par la constitution, par exemple, mais peuvent néanmoins faire l’objet de pressions constantes plus ou moins subtiles – notamment en nommant des partisans à des fonctions d’influence dans le management des médias ou en invoquant des lois protégeant la sécurité de l’État…

Il est, dès lors, raisonnable de penser que, si les mécanismes de régulation sont détournés de leur mission et de leur vocation originelle, l’information du public, et le contrôle par les médias du pouvoir des autorités et des groupes d’intérêts, ne peuvent être atteints. Pour autant, et dans une logique inversée, certains médias ne pourraient-ils être tentés d’utiliser leur influence sur le public en se montrant partisans, peu professionnels, etc. ?

Régulation opposée à autorégulation ?

De tels agissements, assimilables à la violation du droit du public à être correctement informé, peuvent, là aussi, conduire à des développements nuisibles et dangereux pour le système démocratique dans son entier. En effet, un gouvernement mal intentionné pourrait alors avoir beau jeu d’invoquer un contrôle nécessaire sur les médias, afin de protéger les individus et le public : le principal danger réside ici dans la tentation, qui peut être grande pour n’importe quel gouvernement en fonction du contexte, de se servir de mesures légitimées au nom de la protection des usagers des médias comme autant d’outils pour contrôler les médias eux-mêmes.

C’est peut-être ce qui a motivé les journalistes, de par le monde, pour tenter d’apporter une réponse à cette interrogation en mettant sur pied des systèmes d’autorégulation de la presse et des professionnels, qui consistent pour l’essentiel en des principes qui figurent dans les différents codes déontologiques et de pratique existants. Au nombre des principes auxquels adhèrent unanimement et spontanément les journalistes lorsqu’on les questionne, on citera pêle-mêle : le respect de la vie privée, le secret professionnel, la véracité des faits rapportés, l’honnêteté, l’interdiction d’accepter des cadeaux ou autres avantages, la rectification des erreurs, etc.

Il faut bien reconnaître que la régulation de l’espace médiatique et l’autorégulation de la presse renvoient plus ou moins aux mêmes objets et aux mêmes préoccupations. Elles diffèrent certes dans leur nature. Pour autant, la régulation mise en place au sein du système légal et l’autorégulation instituée au cœur de la profession sont-elles complémentaires ou contradictoires ? La réponse à cette question est difficile à apporter et variera certainement d’un pays et d’un contexte à l’autre. Bornons-nous, pour le moment, à postuler que les deux ont leur intérêt et leur place dans la mesure où et à la condition qu’elles servent les intérêts du public.

Régulation et bonne gouvernance démocratique

L’hypothèse peut être faite que, par son existence, ses actes, et parfois son inaction aussi, une instance de régulation de la communication des médias peut participer tout à la fois à la défense de ces principes intangibles ainsi qu’à la bonne gouvernance démocratique d’une société donnée. Cette responsabilité particulière, qui peut passer inaperçue pour le sens commun dans une démocratie et une société complexes caractéristiques des États du Nord, pourrait s’en trouver décuplée dans d’autres contextes que sont, par exemple, les sociétés post communistes et/ou post autoritaires d’Europe centrale et orientale et d’Afrique subsaharienne. À cet égard, il faut rappeler que les changements politiques et institutionnels qui s’y sont fait jour dès la fin des années 1980 (et qui se poursuivent encore jusqu’à aujourd’hui dans certains cas), ont permis une libéralisation de la presse écrite et audiovisuelle dans un contexte auparavant marqué par le monopole de l’information en faveur du parti unique. Dans ce nouveau contexte, caractérisé par la prévalence des libertés politique et économique, de nouvelles formes de pression sont néanmoins apparues : celles des lois et des règles du marché.

Si, dans certains États, les pressions politiques pèsent encore sur les médias écrits, dans d’autres elles ont pratiquement cessé. Par contre, en raison parfois d’un manque de culture politique, les médias audiovisuels y sont souvent restés sous le contrôle étroit des « nouvelles élites libérales » – dont la plupart se sont montrées peu disposées à accepter une couverture critique de l’actualité par ces médias. Cela étant, dans ces pays, d’importantes modifications sont intervenues dans le rôle joué par les gouvernements dans le secteur des médias. Alors que sous le régime ancien, les médias étaient instrumentalisés pour servir et promouvoir les intérêts de l’État, d’un parti ou d’un homme, une nouvelle structure juridique et institutionnelle formelle, visant à la régulation du secteur, de même qu’à responsabiliser les médias, a été adoptée dans la grande majorité des pays. C’est ainsi qu’entre le début des années 1990 et 2006, des autorités de régulation des médias ont été créées dans une quarantaine de pays sur les quarante-sept que totalise aujourd’hui l’Afrique subsaharienne.

Ce mouvement d’ensemble a en effet été rendu nécessaire par l’apparition d’un nombre considérable de nouveaux médias privés écrits et audiovisuels (4) au cours de ces deux décennies. À la différence de l’Europe et de l’Amérique du Nord, le régulateur, dans cet ensemble disparate, exerce, selon les cas, une compétence sur l’audiovisuel seul, sur l’audiovisuel et la presse, ou sur la presse seule… Une réglementation nouvelle et variée est venue reconnaître et aussi, parfois, proclamer la liberté de la presse comme de l’audiovisuel. Il a ainsi pu être constaté, dans le cadre de recherches passées (5), que là où les réformes ont été adoptées dans le secteur des médias, et plus particulièrement de l’audiovisuel, cela a pu aider à la démocratisation des organes de presse eux-mêmes, et, indirectement, à la libéralisation politique de ces États.

Spécificités de la régulation de la communication dans un contexte africain

Le continent africain, et plus précisément les États situés au sud du Sahara, offre de ce point de vue un champ d’investigation et de recherche d’une grande richesse, du fait des bouleversements politiques et institutionnels orientés vers la démocratie libérale que tous les pays ou presque ont connus, avec des fortunes diverses, depuis ces quinze ou vingt dernières années.

Explosion médiatique et faible professionnalisation

Le secteur des médias a lui aussi évolué dans la même direction, et cela a nécessité la mise sur pieds d’instances de régulation « pour répondre aux exigences de la démocratie, parmi lesquelles la libéralisation du secteur de la communication » (6). Ce qui caractérise ce mouvement d’ensemble, qui a touché indistinctement les aires linguistiques francophone, anglophone ou lusophone, c’est son extrême fragilité en même temps que la rapidité avec laquelle s’opèrent les évolutions en cours, tant dans le secteur politique que médiatique. Ce qui paraît également remarquable dans le cas des pays de l’Afrique subsaharienne, c’est que les instances mises en place progressivement à partir du début des années 1990 le sont dans des sociétés où le paysage médiatique reste très peu structuré, en comparaison de ce qui peut se faire ailleurs, et notamment en Europe centrale et orientale, et où les acteurs, fragiles, qui le composent, souffrent d’importantes lacunes en terme de professionnalisation, de pratiques et presque toujours aussi d’éthique et de déontologie…

Paradoxalement, si la presse africaine jouit aujourd’hui d’un degré de liberté sans commune mesure avec la période antérieure, ce mouvement s’est accompagné d’une perte de professionnalisation avec le développement du secteur privé. À l’inflation des médias n’a pas correspondu, au contraire, d’offre accrue de main-d’œuvre formée… Trop souvent l’employeur a dû se contenter de ceux qui se présentaient, sans plus (7). Le tout dans un contexte où les journalistes et les médias jouent et/ou aspirent à jouer un rôle politique important, ce qui tend à être partiellement confirmé par le fait que de nombreux leaders politiques de ces dernières années sont d’anciens journalistes ou ont eu des activités étroitement liées à la presse et à la communication.

Cette réalité place les instances de régulation face à une responsabilité accrue, dans la mesure où elles ont, d’une part, pour mission de fixer les règles du jeu et de les faire respecter par les différents acteurs intervenant, à un titre ou un autre, dans le secteur médiatique. Parce que, d’autre part, elles se retrouvent dans le même temps au centre de l’attention de toutes les forces partisanes, gouvernement et opposition confondus, de par les conséquences et les implications politiques que peuvent potentiellement avoir leurs actions et leurs décisions pour l’ensemble de la société, et ce, dans un contexte de démocraties naissantes.

Les médias au cœur de la démocratisation

Ceci nous amène naturellement à aborder ce qui fait l’essence même de la démocratie, ou plutôt sa supériorité supposée sur toute autre forme de régime politique : sa façon de gérer et de surmonter les conflits en son sein de façon pacifique et symbolique. Or, dans ce processus, les médias, selon la thèse Géraldine Muhlmann (8), sont bien les outils qui peuvent « permettre à la démocratie moderne de réaliser son mariage impossible, son alliance de l’unité et du conflit », parce qu’ils constituent « cet espace du “ voir ” collectif » qui favoriserait une « issue symbolique » à la compétition ouverte pour le pouvoir, écartant de la sorte la menace d’éclatement de la communauté…

Comment s’assurer, dès lors, que ceux-là jouent effectivement ce rôle consistant à favoriser l’expression de points de vue différents, voire opposés et antagonistes, transcendent les antagonismes politiques et fassent droit au conflit social pour, in fine, fonder (ou refonder) l’unité de la société ? Dans un environnement continental de démocraties balbutiantes, cette « institution démocratique moderne » que serait la presse souffre pourtant de limites et de lacunes, voire de « tares congénitales » à propos de certaines pratiques. Ce terme est emprunté à Serge Théophile Balima, pour lequel « en Afrique, le rôle que les mythes ont joué dans les temps anciens est remplacé aujourd’hui par l’information journalistique en faisant découvrir aux publics, “à travers leurs mises en récit, les histoires du monde grâce auxquelles nous donnons sens à notre existence”. Les publics africains sont encore friands des ingrédients qui donnent du piquant à la vie politique, économique et sociale. Et les journalistes n’échappent pas à cette pratique de mélange d’ingrédients qui constituent, selon certains, les tares et les dérives de la profession sous les tropiques », affirme-t-il (9).

Réguler au nom de la démocratie en construction

Ce serait contre de telles pratiques qu’il s’agirait de lutter dans l’intérêt même de la démocratie en construction, pour que celle-ci puisse accueillir le conflit sans éclater. C’est peut être là que se joue partiellement la spécificité de la régulation de la communication dans un contexte africain, où, peut-être plus qu’ailleurs, il y a lieu à la fois de protéger les acteurs du secteur contre eux-mêmes (10) et parfois contre les immixtions des pouvoirs politique et économique, mais également de mettre en avant certaines exigences qualitatives et déontologiques vis-à-vis des journalistes et des médias, au nom de l’intérêt supérieur du public citoyen. Le régulateur, dans des sociétés dominées par la tradition de l’oralité – symbolisées par l’image de l’arbre à palabre sous lequel se tient l’assemblée coutumière où se discutent des sujets concernant la communauté villageoise – doit favoriser les avancements et les compromis consensuels nécessaires pour surmonter tout blocage ou tout conflit entre acteurs directs et/ou indirects du secteur de la communication.

De la même façon, il doit veiller à ce que l’exercice de certains principes intangibles, caractéristiques du régime démocratique et liés à la liberté de communication, soit respecté par toutes les parties prenantes. La pédagogie, la patience, la réactivité et l’inventivité sont en effet des vertus indispensables que doivent posséder les régulateurs pour, de concert avec les différents acteurs, atteindre les résultats recherchés, au premier rang desquels figure le droit du public à des médias libres, pluriels et de qualité, éléments indispensables parmi d’autres à une bonne gouvernance démocratique.

La régulation au service de la coexistence d’identités complexes

La régulation de la communication en Afrique ne saurait se concevoir sans une recherche de cohésion du secteur avec ce qui demeure aujourd’hui des réalités profondément ancrées dans les faits et les mentalités. Faut-il, par exemple, rappeler que, s’il existe bien des entités étatiques constituées, on ne rencontre pas à proprement parler de nations partageant la même langue, la même culture et la même histoire à l’échelle de l’étendue des territoires délimitant lesdits États ? Au lieu de cela – du fait de l’histoire coloniale, et notamment de la conférence de Berlin qui a partagé le continent noir entre puissances européennes à la fin du XIXe siècle (1885) – on se trouve en face de « nations » ou « d’ethnies » parfois très nombreuses et coexistant sur le territoire d’un même État, voire de deux États comme les Haoussa, par exemple, partagés des deux côtés de la frontière qui sépare le Niger du Nigeria… Comment ne pas faire en sorte que leurs traditions, leurs cultures et leurs langues respectives soient prises en compte par le secteur médiatique dans son ensemble ?

Dans des situations politiques où le fragile équilibre « national » peut reposer exclusivement ou presque sur la reconnaissance et le respect des particularités de chaque composante constitutive de la société, une action positive et volontaire pour la préservation et l’expression de ces différences dans les champs médiatique et politique n’est-elle pas indispensable ? Pour être plus concret, comment ne pas imaginer qu’une instance de régulation de la communication tienne compte de principes démocratiques intangibles, comme l’égalité dans l’exercice du droit d’expression, l’égal accès aux services publics ou encore celui du pluralisme culturel et politique, lorsqu’elle a en charge, par exemple, l’attribution des fréquences audiovisuelles ou la gestion de l’aide accordée à la presse ? Ce qui peut apparaître comme allant de soi ou désuet, dans une société moderne où la démocratie est fonctionnelle et pérenne, peut au contraire se révéler extrêmement difficile et d’une importance politique cruciale dans le contexte africain, dans lequel les instances de régulation pourraient bien avoir une partition fondamentale à jouer pour l’équilibre entre les parties et l’unité politique du tout.

Favoriser l’accès aux médias du plus grand nombre possible

Autre réalité pouvant affecter l’enracinement de régimes politiques libéraux sur le continent : la permanence d’un analphabétisme important. Toute démocratie fonctionnelle suppose des citoyens éclairés et actifs, conscients des enjeux de société engageant non seulement leur avenir propre, mais, au-delà, celui de l’entière collectivité. Or, pour opérer des choix et pour les exercer en pleine connaissance de cause, le libre accès aux médias peut paraître indispensable. En effet, en tant qu’espace privilégié de discussion, ceux-là joueraient un rôle primordial dans l’apport des informations et des éléments de réflexion nécessaires à ce que chaque citoyen puisse se forger sa propre opinion.

Pour pouvoir éclairer le public, puisque c’est de cela dont il est question ici, encore faut-il que ce dernier puisse avoir accès aux médias. Cette difficulté est décuplée lorsque l’on considère le poids de l’analphabétisme dans ces sociétés où, trop souvent, les médias existants diffusent dans les langues véhiculaires – délaissant de la sorte le gros de la population qui ne maîtrise qu’une langue vernaculaire… Là encore, les instances de régulation de la communication ont un vaste champ d’action dans lequel s’investir pour faire en sorte de favoriser l’éclosion de médias audiovisuels diffusant en langues vernaculaires, de façon à ce que la majorité « silencieuse » ne soit pas exclue des débats et de la discussion publique. Il en va ici de la défense du principe de l’égalité entre citoyens, fondement de la participation de tous à la vie démocratique.

Service public et qualité de l’information

Le corollaire de ceci voudrait que le public ait à sa disposition des contenus médiatiques de qualité, qui puissent véritablement l’éclairer et l’aider à comprendre son environnement au sens large. Une gestion de la liberté de communication uniquement basée sur des considérations d’ordre économiques et/ou quantitatives peut-elle être compatible avec le fait que, bien souvent en Afrique, l’information est investie d’une fonction sociale encore plus importante qu’ailleurs (11) ?

Une dérégulation du secteur de la communication et une augmentation des opérateurs privés ne signifient pas automatiquement, tant s’en faut, une meilleure qualité et une plus grande qualité de contenus. Leur quête constante d’équilibre économique et financier fait que sont produits et diffusés des contenus qui ne répondent pas nécessairement à ce qui pourrait être qualifié d’intérêt général du public et de la société… Certes, le régulateur a souvent introduit dans les cahiers des charges de ces opérateurs commerciaux un certain nombre d’obligations, par exemple, celle de quotas de diffusion de programmes nationaux (musique, etc.), mais ces derniers n’ont pas vocation à se muer en service public de l’information, quand bien même ils en auraient les moyens.

Seul un service public audiovisuel paraît être à même d’offrir à l’ensemble des usagers un service universel apportant des informations de base, ainsi que des programmes dans les domaines de la culture, de l’éducation ou encore du divertissement. La raison première en est que les opérateurs publics sont dans une écrasante majorité de pays les seuls à couvrir l’ensemble du territoire ou presque, contrairement aux autres opérateurs qui opèrent quasi exclusivement dans les zones urbaines (12). Traditionnellement, les médias publics africains, pour des raisons objectives tenant à l’histoire post décolonisation, se sont vu confier des missions et des responsabilités particulières renvoyant à la nécessité de favoriser et développer le sentiment d’appartenance et de cohésion nationales au sein de territoires ayant accédé du jour au lendemain à l’indépendance.

Cet objectif suppose la production et la diffusion de contenus pluralistes, à destination d’un large public tout en n’omettant pas les minorités nationales, et œuvrant en faveur de la tolérance et de la compréhension réciproque entre les différentes composantes de la société. D’où l’impérieuse nécessité de contenus valorisant tout à la fois le patrimoine culturel commun à toutes les composantes de la société, mais aussi de programmes promouvant les patrimoines spécifiques à telle ou telle population, région, etc. De ce point de vue, les médias publics ont théoriquement un rôle original à jouer, qui plus est dans un contexte de libéralisation de la sphère politique. Le régulateur aussi, qui peut poser les conditions à remplir pour qu’émerge un service public de communication qui en soit capable et doté des moyens minima nécessaires.

En fixant des exigences en termes d’équilibre et de qualité des contenus, en érigeant la neutralité comme principe intangible dans les informations et les commentaires, ce dernier peut pousser à la naissance de médias au service du public (dans son unité, mais aussi sa diversité), avec pour objectif de l’éclairer en lui offrant les clefs qui lui permettront de jouer activement son rôle citoyen. Parallèlement, le régulateur doit pouvoir, en faisant montre de persuasion et de courage, convaincre les pouvoirs publics d’accepter de couper le lien ombilical qui les lie encore trop souvent aux médias d’États, pour en faire des médias de service public dotés d’une autonomie réelle. Or, c’est là une tâche particulièrement ardue, tant la conviction est répandue que ces médias doivent tout bonnement être au service du gouvernement, quand ils ne sont pas considérés purement et simplement comme leur porte-parole, situation a priori incompatible avec l’esprit d’un régime politique libéral.

Organiser le paysage médiatique au nom de la liberté de tous

Historiquement, les instances de régulation de la communication africaines ont été mises en place dans un contexte d’ébullition politique et médiatique, présenté plus loin. Sans entrer plus en avant dans l’analyse de ce contexte, il faut néanmoins rappeler à ce stade que la libération de la parole politique, après quelque trente années de monopartisme, s’est accompagnée d’une conquête de la liberté d’expression (et vice versa) qui a d’abord gagné la presse écrite à partir de la fin des années 1980, puis l’espace audiovisuel au début de la décennie suivante, avec l’apparition de radios privées, le tout dans un cadre réglementaire et juridique en retard sur les événements politiques et médiatiques. Indépendamment de toute considération de nature politique, l’annonce de la création d’instances de régulation de la communication, en très large partie influencée par les partenaires extérieures, a été justifiée par la nécessité d’organiser ce foisonnement médiatique et donc d’assurer le fonctionnement harmonieux d’un secteur en pleine mutation, voire en phase de révolution au regard de la situation antérieure.

D’une façon générale, l’ouverture au pluralisme audiovisuel va souvent s’opérer à contrecœur, étant donné la croyance des autorités publiques en l’impact politique de la radio et de la télévision sur les populations. C’est aux organes de régulation que va échoir la responsabilité de favoriser, de promouvoir et d’organiser cette nouvelle liberté de communication audiovisuelle, sous le regard au mieux critique des autorités publiques et dans un contexte fait de très nombreuses demandes émanant de candidats aux projets et aux motivations les plus diverses… Cette mission touche au cœur de ce qui a trait au rôle des médias dans une démocratie, puisqu’elle renvoie à la garantie et à la protection de la liberté de presse et de communication, sans oublier la question du pluralisme (tant quantitatif que qualitatif) des médias et de leurs contenus, et de son adéquation avec les caractéristiques sociales et culturelles d’une société donnée.

La régulation des médias, gage d’élections transparentes

Les médias assurent en démocratie la distribution de la parole, la confrontation de points de vue différents et autorisent en cela la tenue d’un débat public, qui est la condition à son bon exercice. Reste que la sanction de la confrontation des idées et des projets concurrents en démocratie passe par les élections, organisées de façon transparente et à intervalles réguliers pour permettre aux citoyens de faire leur choix, d’opter pour la continuité ou, au contraire, préférer l’alternance politique. De la même façon qu’elles doivent en temps « normal » veiller à l’équitable expression dans les médias des courants politiques, religieux et philosophiques, il est du ressort des instances de régulation de veiller à ce que les forces politiques en compétition pour la conquête du pouvoir puissent accéder dans les mêmes conditions aux médias en général et aux médias publics en particulier (13). Du bon déroulement de cette mission aux aspects techniques nombreux, et éminemment sensible politiquement, peut dépendre en partie l’acceptation ou le rejet, par les acteurs se disputant le suffrage universel, du verdict des urnes.

C’est là une tâche difficile dans l’Afrique en transition démocratique, où certains acteurs politiques ne sont prêts à reconnaître le résultat des élections que s’il leur est favorable, et où une attitude de défiance généralisée à l’endroit du bon déroulement et de la régularité des processus électoraux subsiste encore aujourd’hui, parfois à juste titre, il faut bien le reconnaître… Les instances de régulation pourraient donc être l’un des quelques maillons essentiels (parmi les autres, on pense notamment aux commissions électorales indépendantes) devant œuvrer à la résolution pacifique des différends politiques en démocratie, et contribuer à ce que, par les actions qu’elles mènent spécifiquement en période électorale, le conflit trouve effectivement une « issue symbolique » acceptable et acceptée par tous.

Des missions importantes et multiples

Pour résumer, les régulateurs opèrent génériquement à différents niveaux : ils veillent à ce qu’aucune composante de la société ne soit exclue du secteur de la communication et encouragent la création de médias audiovisuels représentatifs des différentes cultures et traditions, afin de renforcer la cohésion nationale ; ils favorisent l’accès du plus grand nombre aux médias et garantissent la liberté d’expression et de communication ; ils posent des critères exigeants en matière de qualité des contenus et de pluralisme médiatique, de même qu’ils encouragent la transformation des médias d’État en véritables services publics autonomes ; ils accompagnent la libéralisation du paysage audiovisuel en établissant des critères transparents et publics pour l’attribution de licences d’émission ; ils organisent et supervisent la couverture de l’information électorale par les médias, et prennent un soin tout particulier à l’accès équitable et à l’égal traitement des forces politiques en compétition dans les médias.

Chacune des missions listées ci-dessus a un rapport plus ou moins direct avec l’existence, le fonctionnement et la pérennisation des expériences démocratiques fragiles qui se font jour en Afrique subsaharienne depuis maintenant une vingtaine d’années. Bien entendu, au vu de la façon dont les choses se passent concrètement sur le terrain, l’observateur est bien contraint d’admettre que ces missions théoriques ne sont appliquées complètement par aucune instance de régulation, et que les difficultés et les réalités avec lesquelles elles doivent composer agissent comme autant d’obstacles et de freins à l’exercice souverain de leurs attributions.

Le régulateur, nouvel acteur clef en Afrique

Pour autant, ce serait une erreur de passer sous silence l’originalité de cet acteur nouveau dans le champ médiatique, et l’influence qu’il exerce de facto dans le fonctionnement au quotidien des médias, sur les relations du public avec ces derniers, ou encore dans l’autonomisation progressive du secteur médiatique vis-à-vis des autorités de tutelle traditionnelles. En tant qu’arbitre neutre, il exerce une action de décrispation des relations entre les acteurs des espaces médiatique et politique – dont chacun sait qu’ils connaissent des échanges et des interactions incessantes – qui lui permet d’avancer dans la voie d’une plus grande liberté de communication et d’une meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers des médias. En ce sens, les organes de régulation de la communication, instaurés à partir du début des années 1990, pourraient constituer la garantie d’une gouvernance démocratique plus efficace des champs médiatique et politique dans les sociétés d’Afrique subsaharienne qui s’en sont doté, et dans lesquelles ils ont pu exercer a minima les missions pour lesquelles ils ont officiellement été installés.

Aussi, questionner la réalité de l’action menée par les régulateurs et évaluer les résultats enregistrés dans le secteur de la communication en Afrique subsaharienne passe par la mise au point des critères objectifs nécessaires à leur analyse. Le premier retenu est celui du degré d’indépendance et d’autonomie de l’instance régulatrice par rapport aux autres acteurs du secteur de la communication, et de l’éventail des moyens d’action dont elle peut ou non disposer pour accomplir ses missions. Le second critère a trait, quant à lui, à l’efficacité de la régulation atteinte, et ce, au regard du rôle idéal typique du régulateur dans un contexte de démocratisation de sociétés sorties depuis peu d’une situation de monisme politique et médiatique qui aura duré près de trois décennies.

La régulation des médias : modèle universel opposé aux réalités africaines ?

Il apparaît indispensable de rappeler que si, en théorie, tout le monde s’accorde à reconnaître le besoin de réguler le secteur, les avis divergent bien souvent, dès lors que se pose la question de savoir quel doit être l’organisme ou la structure le plus légitimé à le faire… Ceci revient à s’interroger sur le fait de savoir si la régulation en Afrique a vocation à être un espace cogéré et à questionner la légitimité des différents acteurs aspirant à le faire (Chapitre 4). Le décor de la régulation de la communication et de l’information en Afrique subsaharienne pourra alors être planté (Chapitre 5), en insistant sur la genèse de la création des différentes instances nationales. À partir des nombreuses données recueillies sur le terrain, une typologie des organes de régulation a de la sorte pu être élaborée, mentionnant systématiquement, à des fins comparatives, un certain nombre d’informations de base telles que la composition, les attributions et compétences, l’acte constitutif, le statut, etc. L’analyse de leurs contraintes ou limites respectives, de même que des atouts des unes et des autres, permet en outre de dresser un modèle idéal typique. L’observateur averti notera ainsi au passage qu’entre politisation et autonomisation d’un champ nouveau, la réalité de la régulation de la communication est très contrastée en Afrique. Et, qu’au vu des expériences, « la démocratie exige des instances de régulation crédibles » (14)…

Trois domaines relevant du champ d’action et des compétences des régulateurs doivent sans doute faire l’objet d’une attention particulière (Chapitre 6), tant ils sont étroitement associés à l’idée de bonne gouvernance démocratique : l’ouverture au pluralisme audiovisuel et de l’information ; l’évolution et la transformation progressive des médias d’État en médias de service public ; et la gestion des périodes électorales dans les médias.

Démocratie et régulation : une relation complexe

Cependant, avant d’analyser les relations spécifiques pouvant exister entre régulation et démocratisation dans les pays de l’Afrique subsaharienne, il convient au préalable de revenir sur la complexité du couple « régulation et démocratie ». Si le sens commun considère que la régulation occupe désormais une fonction à part dans le système médiatique (Chapitre 1) – au point de s’être imposée historiquement comme une composante structurelle du régime démocratique dans les pays développés – la définition de la notion elle-même est encore loin d’être chose aisée.

À cette difficulté d’ordre définitionnelle s’ajoute le fait que l’action du régulateur peut parfois paraître ambiguë (Chapitre 2). Certains des fondements philosophiques sur lesquels s’est opérée la conquête de la liberté de la presse, encore prégnants chez nombre de journalistes, s’opposeraient en effet à l’idée d’une régulation de cette liberté en dehors du cadre étroit de la profession elle-même. À cette vision négative de la régulation, associée à la continuité du contrôle étatique sur le secteur des médias, peut en être opposée une autre, positive, selon laquelle la régulation ne saurait être autre chose en démocratie que l’exercice de l’intérêt général à l’intérieur du champ médiatique, dont il conviendrait en quelque sorte de civiliser certains excès. Cette vision dichotomique se retrouve sur le terrain, aussi bien en Afrique subsaharienne qu’en Europe de l’Est, où le mouvement oscille entre autonomisation d’un champ nouveau et instrumentalisation politique de ces nouveaux acteurs.

L’expérience européenne a souligné que la régulation était historiquement perçue comme un vecteur d’accélération de la démocratisation (Chapitre 3). À ce titre, elle fait l’objet d’un traditionnel soutien de la part de nombre d’acteurs internationaux, l’Afrique subsaharienne ayant par la suite elle aussi bénéficié de telles incitations.

(1) Il sera fait état plus loin de la question de l’autorégulation, dont l’utilité ne saurait être passée sous silence ici.

(2) Bien qu’il n’existe pas de définition agréée sur le plan international de la gouvernance, ce concept a gagné en importance et, au cours de la dernière décennie, tous les partenaires du développement ont approfondi leur travail dans ce domaine. Selon la Commission de l’Union européenne, la gouvernance a trait à la capacité d’un État à servir ses citoyens : « la gouvernance concerne les règles, les processus et les comportements par lesquels les intérêts sont organisés, les ressources générées et le pouvoir exercé dans la société [...] À mesure que les notions de droits de l’homme, de démocratisation, de démocratie, d’État de droit, de société civile, de décentralisation et de saine gestion des affaires publiques gagnent en importance et en pertinence, cette société prend la forme d’un système politique plus complexe et la gouvernance se transforme en bonne gouvernance [...] ». Cf. COM(2003) 615 final, Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, Gouvernance et Développement, Bruxelles, 20 octobre 2003, pp. 3-4, sur http://europa.eu/eur-lex/fr/com/cnc/2003/com2003_0615fr01.pdf.

(3) Cité par Serge Théophile Balima, « La régulation de la communication en Afrique : enjeux et perspectives », communication présentée au séminaire atelier Médias et élections en Afrique, Ouagadougou, octobre 2005, p. 14.

(4) Pour l’analyse de leurs contenus, de leurs structures et de leur audience, cf. Annie Lenoble-Bart et André-Jean Tudesq, Connaître les médias d’Afrique subsaharienne. Problématiques, sources et ressources, coll. Hommes et Société (IFAS – IFRA – MSHA), Karthala, Paris, 2008.

(5)Cf. Renaud de la Brosse, Le rôle de la presse écrite dans la transition démocratique en Afrique, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, Thèse à la carte, 1999. Pour l’Europe centrale et orientale, cf. Ioan Horga et Renaud de la Brosse, The Role of the Mass-media and of the New Information and Communication Technologies in the Democratization Process of Central and Eastern European Societies, International Institute of Administrative Sciences, Bruxelles, 2002.

(6)Cf. Kotoudi Idimama, Les organes de régulation des médias en Afrique de l’Ouest : entre hier et demain, rapport à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, juin 2005, p. 7.

(7) Sur ce point, cf. Thierry Perret, Le temps des journalistes. L’invention de la presse en Afrique francophone, Karthala, Paris, 2005.

(8)Cf. Géraldine Muhlmann Du journalisme en démocratie, coll. Petite Bibliothèque, Payot, Paris, 2006, pp. 353 à 366.

(9)Cf. « Un journaliste professionnel est-il universel ? Réflexion sur la pratique journalistique en contexte africain », Les Cahiers du journalisme, ESJ Lille et Université Laval, automne 2006, n° 16, p. 193.

(10) L’autorégulation par les professionnels, quand elle existe, n’est pas toujours suffisante pour enrayer des comportements et des pratiques déviants par rapport aux standards partagés par la corporation journalistique et dont certains peuvent être attentatoires à la pérennisation d’une démocratie en devenir. On peut ainsi douter de la capacité d’une association de type corporatiste à pouvoir, seule, influer significativement et durablement sur les comportements et les pratiques des membres qui la composent et qui l’animent…

(11) Autrement dit, « le citoyen africain et la démocratie elle-même ont des besoins qui dépassent largement ceux du consommateur prêt à absorber goulûment Paris, “un produit d’information” ». Cf. Serge Théophile Balima, « La régulation de la communication en Afrique : enjeux et perspectives », op. cit., p. 3.

(12) À l’exception des radios villageoises communautaires, dont la vocation se rapproche cependant beaucoup plus du modèle de média au service du public que du modèle commercial.

(13) Sur ce point, cf. Jacques Gerstlé, « Médias et campagnes électorales », in Regards sur l’actualité. Élections et campagnes électorale, La Documentation Française, Paris, pp. 35-44.

(14)Cf. René-Megniho Dossa, « La démocratie exige des instances de régulation crédibles », L’Autre Afrique, 10-16 février 1999, p. 60.

Partie I. Régulation et démocratie

Chapitre I. La place de la régulation dans un « système médiatique » démocratique

Étymologiquement, le concept de régulation renvoie tour à tour à l’idée de détermination, d’orientation et de contrôle d’un système. L’usage même du terme « concept » à propos du vocable « régulation » paraît inapproprié à certains, tant il est vrai qu’au-delà d’une signification générale valant accord minimal, qui renvoie à l’idée d’organiser, de contrôler et de maintenir en équilibre, chaque discipline générerait sa propre approche de la régulation, voire en fonderait plusieurs à l’instar des économistes. Pour Laurence Calandri, « l’attribution de la qualité de “concept” à un objet de connaissance suppose une certaine dose de rationalité, de cohérence, de logique ». Or, « en l’absence de tels caractères, la qualification de “concept” devient inopérante », c’est la raison pour laquelle elle préfère, en l’occurrence, parler de « paradigme » pour identifier la notion juridique de régulation (1).

De nos jours encore, plus que l’idée de détermination et d’orientation, c’est celle de « contrôle » qui, dans son principe même, pose sans doute le plus problème à certains professionnels des médias. Les plus virulents partisans d’une liberté totale de la presse et de la communication rejettent en effet toute incursion de la puissance publique dans le champ médiatique, au nom du caractère « sacré » de la liberté d’expression en général, et de la liberté de la presse en particulier. À tort ou à raison, cette dernière est célébrée comme la « pierre angulaire » de toutes les autres libertés.

À ce libéralisme sans limites, rejetant toute forme de régulation extérieure à la profession elle-même, peut être opposé un libéralisme de responsabilité, plus respectueux de l’environnement dans lequel évoluent les médias. Ainsi donc, comme le rappelle Serge Théophile Balima, le principe même de la mise en place d’instances de régulation a toujours été discuté dans tous les pays de droit démocratique : « pour les uns, se réclamant du libéralisme, les dispositions légales sur les atteintes de l’honneur, la protection de la personne, le droit de réponse et la limitation des abus assurent un contrôle suffisant. Mais pour les autres, de telles instances, quoique légales, ne peuvent exercer qu’un encadrement restrictif qui ne suffira pas à enrayer les dérapages médiatiques » (2).

Pour être forte, l’affirmation selon laquelle la régulation ne serait rien d’autre qu’une forme nouvelle de l’interventionnisme étatique n’en est pas moins abusive, car réguler n’est pas censurer. Ici réside d’ailleurs un paradoxe (3) tant il est vrai qu’historiquement l’avènement de la régulation est étroitement associé aux progrès enregistrés en matière de liberté de presse et au recul de la présence de l’État, à la fois comme acteur du champ médiatique et comme arbitre du fonctionnement du système dans son ensemble. L’impératif de la régulation des médias ne s’est imposé que très récemment dans les « vieilles démocraties » (4), généralement avec la levée du monopole de la puissance publique sur l’information et la communication audiovisuelles. Ailleurs, la régulation des médias a été concomitante ou a immédiatement suivi la conquête des libertés civiles et politiques, comme dans les « démocraties récentes » et en devenir d’Europe centrale et orientale et d’Afrique subsaharienne.

Le double mouvement de la fin du monopole de l’État sur les ondes, là où il existait encore, et de l’arrivée en force des intérêts privés, à la recherche de nouveaux marchés lucratifs dans le secteur audiovisuel, s’est traduit partout par l’apparition de nombreux opérateurs privés et par une mise en question du cadre médiatique ex ante. En effet, les États dans leur ensemble ont dorénavant dû subir la concurrence d’autres opérateurs, les chaînes étatiques et publiques n’étant plus assimilées qu’à un acteur parmi tant d’autres… Cette nouvelle donne a rendu nécessaire, dans un régime démocratique, la remise en cause d’une situation où l’État serait à la fois juge (ou arbitre) et acteur (ou opérateur), ce que n’auraient assurément pas accepté ses concurrents audiovisuels. Tout simplement parce que le secteur audiovisuel touche à deux domaines sensibles que sont les libertés publiques et les activités économiques.

C’est ici que réside la principale justification à la mise sur pied d’instances de régulation indépendantes et autonomes par rapport à la puissance publique. Ainsi, à la condition expresse que cette indépendance et cette autonomie soient réelles et respectées, la notion de régulation est indissociable de celle de démocratie (5). La notion de contrôle doit parallèlement être prise dans son acception positive au sens où ce qui est, in fine, visé ici, c’est bien le fonctionnement harmonieux d’un système basé sur la liberté de communication. À cet égard, il faut rappeler que la régulation des médias, en tant que système indépendant et autonome, est apparue post déréglementation, et à partir du moment où concurrence il devait y avoir entre opérateurs, fussent-ils privés ou publics.

L’action de réguler sous-tend celle d’arbitrer qui, loin de celle de contrôle autoritaire, suppose une recherche constante d’ajustements et d’agencements complexes entre les acteurs du secteur, avec en ligne de mire la garantie de la liberté de communication. Cet objectif, au travers des attributions et des missions qui peuvent être assignées aux organes de régulation, suppose, d’un côté, d’œuvrer avec les autres acteurs pour lever des obstacles et tenter de résoudre des différends qui peuvent bloquer des résultats escomptés, et, de l’autre, de valoriser des potentialités et/ou d’inciter des initiatives considérées comme positives en vue de parvenir à satisfaire l’intérêt général. En ce sens, l’activité de régulation vise aussi à orienter et à déterminer des actions en faveur de ce qui est perçu comme étant souhaitable pour le champ médiatique pris dans son ensemble, ce qui est très différent de l’agrégation des intérêts particuliers des opérateurs du système…

Assurément la fonction d’arbitrage revêt une réalité multiple et complexe (6). Il est possible, en même temps, de mesurer la difficile équation consistant pour elle à être simultanément indépendante de l’autorité publique et des acteurs du secteur médiatique, tout en recherchant à garantir la liberté de communication et l’intérêt général des usagers citoyens. Les juristes sont ainsi les premiers à s’être penchés sur l’objet d’étude « régulation », mais, malgré les tentatives de définition élaborées, celui-ci demeure un concept juridique aux contours flous.

La compréhension de l’enjeu démocratique attaché à la régulation des médias nécessite donc de resituer cette activité institutionnelle dans le système politique et médiatique au sens large, pour ensuite examiner les fonctions, remplies par le régulateur, inhérentes aux valeurs constitutives de la démocratie.

Bien entendu, la forme et l’organisation qu’a prise la régulation dans les sociétés d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, où elle a d’abord émergé, ont varié. Pour autant, partout, l’institutionnalisation du régulateur est venue traduire l’adaptation du système démocratique à des contextes inédits.

Un concept juridique aux contours flous

Les juristes sont les premiers à s’être saisis de l’objet « régulation de la communication », tout simplement parce que la notion renvoie à des règles de droit, ainsi qu’à des réglementations spécifiques. Le terme même de « régulation » n’est-il pas, après tout, l’équivalent anglais de « réglementation » ?

Face à la difficulté de rendre compte, pour la seule approche juridique, de l’ensemble des activités induites par l’action de régulation, une autre tentative de définition est apparue nécessaire, en recourant à une démarche téléologique prenant en compte tant ses objectifs que ses avantages pour la société.

Apport et limite de l’approche juridique

La signification juridique de la régulation doit être recherchée dans la création, par le législateur, d’autorités indépendantes en charge de garantir la liberté de la communication. Historiquement, selon Jean-Louis Autin, « […] leur création a généralement répondu à un besoin légitime dans deux secteurs sur lesquels la pertinence de leur intervention s’est facilement imposée : celui de la protection des libertés publiques, là où le gouvernement est parfois suspect de partialité […] et celui de la régulation de l’économie de marché, au moment où la libéralisation desmarchés et l’ouverture à la concurrence incitaient à redoubler de vigilance pour garantir l’impartialité des règles du jeu, tout en associant les professionnels à l’élaboration des normes […] » (7).

Traditionnellement, un autre fondement ayant présidé à la mise sur pied de telles institutions renvoie à l’idée de gestion d’un bien rare. Effectivement, dans un contexte technologique donné, alors marqué par un nombre limité de fréquences disponibles, on a souhaité à l’origine en confier l’attribution à un acteur indépendant qui tiendrait compte de l’intérêt général et collectif. Le législateur, en France, y a particulièrement veillé. Le député de Paris, Patrick Bloche, rappelait ainsi en 1997 que cette motivation relève de deux ordres : « d’une part, la régulation économique d’une ressource rare qui justifie l’attribution de fréquences par le biais d’autorisations exclusives et temporaires d’utilisation d’exploitation ; d’autre part, la garantie de l’exercice de la liberté de communication » (8). Parce que cette ressource était rare, il fallait d’autant plus veiller à ce que son attribution favorise l’exercice de la liberté de la communication, au profit d’un public le plus large possible.

Dans son rapport d’information sur l’« état des lieux de la communication audiovisuelle 1998 », Jean-Paul Hugot, tout en notant la difficulté de définir juridiquement la « régulation », voit dans la création des autorités administratives indépendantes (A.A.I.), à partir de la loi du 6 janvier 1978 (9), le moyen d’en cerner les aspects institutionnels et juridiques (10). Comme les autres A.A.I., le Conseil supérieur de l’audiovisuel (C.S.A.) (11) est, en France (12), une structure administrative soustraite à toute autorité hiérarchique, couvrant, dans le domaine de ses missions et de ses compétences, tout « le spectre de l’administration active : conseiller, décider, contrôler » (13). Pour autant, précise-t-il, la régulation n’apparaît guère en tant que telle dans le tableau des compétences des A.A.I. (similaires à celles des administrations classiques), pas plus que le contenu juridique de la notion, qui n’est guère mis en lumière par l’examen du droit positif (14).

Le trait marquant de l’A.A.I. serait donc avant tout son indépendance vis-à-vis du gouvernement, ce qui conduit Jean-Paul Hugot à poser la question de savoir « si la régulation ne serait […] pas essentiellement la dénomination d’un procédé biaisé de dessaisissement de l’autorité politique au profit d’une structure administrative ? » (15)…

Indépendance vis-à-vis du gouvernement et du reste de l’administration, certes, mais aussi corps distinct des diffuseurs eux-mêmes, précise le professeur François Jongen (16), pour lequel « le modèle de l’AAI paraît le meilleur pour assurer la régulation de l’audiovisuel » (17).

La régulation de la communication ne serait-elle pas, tout simplement, et en définitive, la garantie et le contrôle par cette dernière (la structure administrative) de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle, dans les conditions définies par la loi ?

Notant que le concept de régulation de l’audiovisuel est trop souvent employé sans être défini (et donc comme si sa signification allait de soi), et qu’en l’espèce les juristes resteraient bien muets « à de rares exceptions près », François Jongen émet ainsi l’hypothèse intéressante selon laquelle « le concept de régulation [ne serait] que le vêtement nouveau d’un concept juridique plus traditionnel » appliqué à la communication audiovisuelle : celui de « police administrative », qu’il définit comme recouvrant « l’ensemble des interventions ponctuelles mues par ou à l’initiative de l’autorité administrative compétente aux fins de garantir le fonctionnement harmonieux et conforme à l’intérêt général d’une activité sociale » (18). En l’occurrence, et selon l’analyse juridique, la régulation ne serait que le contrôle des acteurs concernés par le respect de la réglementation nationale, c’est-à-dire de l’ensemble des règles régissant les activités du secteur de la communication médiatique d’un pays (19).

L’intérêt d’une définition téléologique

Il y a sans doute d’autres façons de définir ou d’appréhender la régulation de la communication médiatique. L’une d’entre elles, qui a le mérite de laisser entrevoir toutes ses potentialités, consisterait à partir d’une démarche téléologique en prenant en compte ses objectifs et ses avantages (donc ses finalités). D’où l’intérêt de convoquer ici ses praticiens, afin d’éclairer une notion dont le caractère confus a si souvent été relevé chez les uns et chez les autres. Le regard porté par Hervé Bourges, ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel en France, est de ce point de vue très instructif. Parce qu’il concentre celui d’un journaliste enseignant, d’un penseur et d’un patron de grands médias privés ou publics.

Ce dernier, lors d’une réunion des régulateurs européens tenue à Londres en 1996, en donnait ainsi sa vision personnelle : « la régulationest une forme moderne de l’intervention de l’État dans un secteur économique, afin de préserver les intérêts supérieurs de la collectivité, et de remédier aux dérives qui pourraient affecter le fonctionnement harmonieux et équilibré d’un marché. La régulation, en préservant un certain nombre de principes intangibles, qui ne doivent pas être remis en cause par les lois du marché, permet néanmoins de laisser la plus grande liberté et la plus grande autonomie aux acteurs professionnels. C’est en cela que la régulation est un choix moderne, libéral, raisonnable. Développer la régulation, c’est se donner un cadre dans lequel il est possible, progressivement, d’abandonner des réglementations trop contraignantes » (20).

Il est fait ici mention d’éléments mis en avant par les juristes, de même que l’idée que la régulation, à l’heure actuelle, est d’une certaine façon perçue comme « l’art de faire piloter un système complexe d’une manière simple » (21). L’intérêt de cette définition paraît résider dans le fait qu’elle accorde une place importante aux éléments non directement économiques et/ou juridiques, en faisant le lien avec des « principes intangibles », qu’il s’agit de défendre, notamment et éventuellement contre les lois du marché. Ces principes touchent au cœur des libertés publiques en démocratie et renvoient entre autres à la liberté d’expression et de presse, au pluralisme des médias et à l’existence d’expressions plurielles (et donc à la réalité d’un choix non seulement quantitatif de médias, mais également qualitatif), à l’idée d’égalité (p. ex., en terme d’accès aux médias pour toutes les forces politiques en temps de campagnes électorales et, au-delà, à la prise en compte de la diversité culturelle nationale par les médias…), à la protection des plus faibles (minorité, jeunesse…), etc. Les dimensions d’ordre politique au sens large de l’acte de régulation de la communication restent largement inexplorées, alors même que les médias, et en particulier les médias audiovisuels, occupent une place et jouent un rôle a priori non négligeable dans tout système politique d’essence libérale.

Une composante structurelle du système démocratique

Pour être utile, l’analyse juridique du concept de « régulation » n’en est pas moins insuffisante pour rendre compte du lien inextirpable avec l’idée et la pratique démocratiques. C’est précisément en partant d’une définition qui prenne en compte leurs objectifs et leurs finalités que peut être entrevue la particularité du rôle joué par les instances de régulation des médias dans les sociétés dites démocratiques.

Pour autant, appréhender l’enjeu démocratique de la régulation des médias suppose au préalable de resituer cette activité dans le système (22) politique au sens large, afin de décrire et d’analyser les nombreuses et complexes relations existant avec les différents acteurs du jeu médiatique et politique. En effet, les conséquences ou portées des activités (décisions, recommandations, sanctions, etc.) des instances de régulation des médias peuvent concerner de près ou de loin bien d’autres acteurs que ceux du système médiatique à proprement parler. Système dont on sait qu’il n’est pas cloisonné et qui fait l’objet d’interactions incessantes avec son environnement, politique notamment. Sans oublier, par ailleurs, que d’autres acteurs du jeu, médiatique ou non, peuvent légitimement prétendre à une cogestion de la régulation du secteur des médias…

Le postulat de base veut que, dans un régime démocratique fonctionnel, les citoyens soient correctement informés et donc conscients des enjeux politiques majeurs auxquels la société doit faire face, et ce, dans l’optique de pouvoir exercer un jugement éclairé et prendre les décisions leur apparaissant comme étant les plus appropriées dans un contexte donné. Cet idéal ne saurait pourtant exister ou espérer être approché un jour sans liberté d’information et de communication, en particulier audiovisuelle. À ce propos, un consensus historique, bâti sur l’expérience, s’est progressivement fait jour, qui fait de l’indépendance des médias vis-à-vis des autorités politiques en général un objectif vers lequel toute société démocratique devrait tendre. Étant donné le rôle crucial de médiation politique et d’animation de l’espace public qu’y jouent les médias, un mouvement général a conduit un peu partout, dans les sociétés développées, à l’émergence d’entités indépendantes chargées de veiller au libre exercice de cette liberté de communication et d’information, mais aussi d’accompagner la liberté d’entreprendre, de telle sorte que cette dernière ne remette pas en cause ce qui peut être qualifié d’intérêts supérieurs de la collectivité et de principes intangibles constitutifs de la démocratie. Telle pourrait être, résumée, la philosophie de la régulation de la communication et des médias comme composante structurelle du système médiatique et politique.

De la même façon que l’idée de démocratie repose théoriquement sur l’existence de pouvoirs et de contre-pouvoirs qui s’équilibrent les uns les autres – et dont le résultat et la « plus-value » consistent, in fine, à la prise de décisions consensuelles mûrement réfléchies, car passées au tamis de la discussion et de débats contradictoires – le paysage de la régulation s’organise autour de différents acteurs détenteurs de fonctions propres et exerçant des rôles distincts les uns des autres. En effet, en démocratie, la régulation des médias puise à différentes sources, car elle est mise en œuvre par plusieurs acteurs, même s’il existe de facto des instances qui, contrairement aux autres acteurs du jeu, ont pour vocation unique, et c’est d’ailleurs là la justification de leur existence, de réguler le champ médiatique.

Contradiction, concurrence, complémentarité ? Là réside sans doute une spécificité propre à l’ordonnancement de la régulation en régime politique libéral, qui l’éloigne du caractère extrêmement centralisé et contrôlé, caractéristique des régimes totalitaires ou autoritaires. Il faut ajouter à ce premier constat que, dans l’action de réguler, l’instance doit idéalement s’appuyer sur ses « partenaires naturels » (par la concertation, la consultation, etc.), au risque de voir sa légitimité érodée et ses décisions contestées. Enfin, troisième observation, si la vocation première de la régulation vise à satisfaire l’intérêt général en matière de liberté de communication au sens large, celle-ci s’exerce néanmoins en direction de certains bénéficiaires ou destinataires « prioritaires ». Autrement dit, il existe d’une part un public atomisé, fait de citoyens consommateurs pris individuellement et éparpillés, et un public organisé, regroupé autour d’intérêts particuliers et structuré formellement d’autre part.

Toute instance de régulation de la communication est donc contrainte de tenir compte d’un certain nombre de réalités juridiques, politiques, sociales et économiques qui s’imposent à elle dans l’exercice de ses missions et attributions, et ce, afin que son action régulatrice soit suivie d’effets et produise des résultats concrets recherchés. Sans viser à l’exhaustivité de l’analyse de cet environnement, ce qui pourrait faire l’objet d’un travail de recherche spécifique, il convient de camper celui-ci en s’intéressant simultanément aux autres sources et acteurs de la régulation, aux partenaires naturels du régulateur dans le champ médiatique ainsi qu’aux publics bénéficiaires et destinataires au nom desquels se justifie la notion même de régulation (23).

Parallèlement à la complexité des relations et interactions à l’œuvre dans le paysage de la régulation en démocratie, existent un certain nombre de fonctions ou objectifs dévolus aux instances de régulation, qui sont inhérents aux valeurs sur lesquelles se fonde la démocratie.

Sources et acteurs de la régulation

Quels que soient les pays démocratiques considérés, les instances de régulation de la communication qui ont vu le jour depuis le milieu du XXe siècle – et dont la généralisation à l’échelle internationale tend à démontrer qu’elles sont aujourd’hui enveloppées d’un nimbe, voire considérées comme étant une composante structurelle du régime démocratique – ne sont pas nées ex nihilo.

La place de l’exécutif