Méditations Religieuses - Samuel Vincent - E-Book

Méditations Religieuses E-Book

Samuel Vincent

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Beschreibung

Né dans la même ville que François Guizot, Nîmes, et la même année, 1787 qui vit l'Édit de Tolérance promulgué par Louis XVI rendre aux protestants le droit de vivre en France, le pasteur et théologien Jacques-Louis-Samuel VINCENT fut lui aussi une personnalité remarquable du protestantisme français de l'après-Révolution. Richement doué sur le plan intellectuel, fervent d'esprit, Samuel Vincent a nourri la pensée de deux générations de pasteurs, notamment celle de son ami Ferdinand Fontanès (1797-1862), qui est l'auteur de la notice biographique que l'on trouvera en tête de ce livre numérique ThéoTeX. Ce dernier reproduit l'édition de 1863 d'Athanase Coquerel, qui a réuni sous le titre de Méditations Religieuses, les principaux discours de Samuel Vincent. Le style en est certes un peu emphatique, d'une époque révolue, lorsque les mots amour de la patrie résonnaient encore glorieusement dans le coeur des hommes ; cependant l'élévation de la pensée, présente dans plusieurs beaux morceaux, ne manquera pas de faire encore vibrer l'âme chrétienne, éternellement jeune, puisqu'elle reçoit sa vie et ses sentiments de Celui qui ressuscité des morts, ne peut plus mourir.

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Seitenzahl: 498

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322485413

Auteur Samuel Vincent. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
M É D I T A T I O N S
RELIGIEUSES
Samuel VINCENT
1863
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2015 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Introduction
Notice sur Samuel Vincent
1. Les Mystères
2. L'amour de Jésus
3. L'âme humaine et le monde
4. La Femme et la Religion
5. Revivrons-nous ?
6. Mangeons et buvons
7. Le Royaume de Dieu
8. La guerre intérieure
9. La durée du Christianisme
10. Jésus, idéal de l'humanité
11. La prière
12. La chair et l'esprit
13. L'amour de la patrie
14. Le visible et l'invisible
15. Le doute
16. Le Passager et le Permanent
17. De l'union du Christianisme à la civilisation grecque
◊Introduction
I

Il faut que la religion, si elle prétend se faire écouter, se faire comprendre et accepter, parle à chaque époque la langue qui lui convient. Les siècles ne se ressemblent pas. Telle parole qui autrefois parut magique et qui a électrisé tout un monde, a perdu son prestige et n'est plus intelligible que pour un nombre d'âmes infiniment restreint. Ainsi, par exemple, le livre de l'Imitation de Jésus-Christ, qui a ému si profondément et si puissamment édifié le moyen âge, n'est plus aujourd'hui qu'un objet d'étude plein d'un intérêt mystique et d'un charme austère. Il élève encore à Dieu quelques âmes rares ; mais il est pour nos contemporains en masse une lettre morte que rien ne ressuscitera.

Comparés à leurs prédécesseurs immédiats, les hommes de notre temps ont ceci de remarquable et de nouveau, qu'ils s'intéressent de plus en plus aux questions religieuses. On s'en informe. On désire se faire une opinion sur ces graves problèmes. On consent même à recevoir l'impression des vérités d'en haut. On veut au moins en entendre parler.

C'est aux personnes qui ont des convictions chrétiennes et qui veulent les propager, à savoir les présenter à leurs contemporains dans un langage qu'ils puissent entendre et goûter, sous une forme qui agisse sur leur esprit et leur volonté. Il ne suffit nullement pour cela que les défenseurs de la religion étudient l'idiome moderne comme on apprend une langue étrangère, et qu'ils traduisent après coup en style du jour ce qu'ils auront pensé en un langage suranné. Il faut que l'homme de foi soit aussi l'enfant de son siècle et de sa patrie, qu'il vive de la vie de son époque ; que sa langue maternelle soit celle des penseurs de son temps ; et si, comme en nos jours, le règne de l'esprit scientifique, le goût de l'analyse, les droits et les devoirs de la critique sont reconnus par tout ce qui pense, il faut que lui aussi ait été nourri du même lait et ait grandi à la même école.

Notre siècle souhaite de croire, mais il prétend ne rien admettre sans savoir pourquoi. L'esprit moderne est positif ; il éprouve le besoin de l'idéal, mais il lui faut un idéal sensible, raisonné, et pour ainsi dire, concret. Il sent le vide de ce scepticisme ignorant et léger dont le xviiie siècle s'est épris. Notre génération, élevée à la rude école des révolutions et des restaurations successives, réclame une nourriture plus solide, plus substantielle que l'incrédulité étourdie et moqueuse de ses pères.

Et ce n'est pas seulement l'expérience douloureuse du passé qui nous rend plus exigeants et plus sérieux ; c'est aussi le pressentiment, toujours plus général, d'un avenir non moins redoutable. Notre passé, et, il faut bien le reconnaître aussi, notre présent, légueront à un prochain avenir d'immenses difficultés à vaincre, de vastes et obscurs problèmes à résoudre. Aussi, l'esprit public se recueille comme par instinct, s'examine, obéit à l'urgente nécessité de s'instruire et de s'armer, comme le voyageur qui va partir pour explorer des contrées nouvelles, pleines de périls mal connus. Religion et politique, économie sociale et philosophie soulèvent toutes à la fois des questions si complexes, si ardues, et bientôt si pressantes, que la pensée contemporaine, très légitimement préoccupée, cherche à s'affermir sur ses bases menacées, et voudrait pouvoir, au milieu de l'ébranlement des esprits, s'appuyer au moins sur des principes arrêtés.

Aux interrogations inquiètes que notre époque s'adresse à elle-même sur les sujets religieux, le livre dont nous publions aujourd'hui une édition nouvelle donne une réponse calme et précise, pleine d'autorité humaine et de foi chrétienne. Elevé bien au-dessus de tout point de vue sectaire, le pasteur protestant dont on va lire les solides et pieuses Méditations était un homme de notre siècle, et un des plus avancés. Comme l'a dit de lui avec une entière vérité M. Prevost-Paradol, « on a vu rarement un sage et ferme esprit marcher avec autant de bonne foi dans le chemin de la vérité et exprimer des idées fortes et justes avec autant de candeur. Sur la plupart des points d'histoire ou de doctrine que Samuel Vincent a touchés… il a devancé de beaucoup les idées de son temps et se trouve d'accord avec les meilleurs esprits du nôtrea. »

Voici en deux mots ce qu'était le protestantisme aux yeux de Vincent : « Pour moi, dit-il, et pour beaucoup d'autres, le fond du protestantisme, c'est l'Évangile ; sa forme, c'est la liberté d'examen. »

On peut prédire hardiment à notre génération qu'elle arrivera nécessairement en religion, sous un nom ou un autre, et par quelque chemin qu'elle veuille ou puisse choisir, à ce double résultat : l'Évangile (car il n'existe rien au monde qui égale l'Évangile ou même qui en approche), mais l'Évangile interprété par la conscience libre et la libre pensée (car l'esprit humain est sorti de tutelle et ceux qui prétendent l'y faire rentrer sont dans une pitoyable illusion ; le temps les détrompera).

. Il est possible, il est probable que ni la génération actuelle en France, ni les suivantes, ne se déclareront protestantes ; mais il est certain que dès maintenant et de plus en plus, les bons esprits dans toutes les Églises sont déjà et seront chaque jour davantage de la religion de Samuel Vincent, qui se réduit tout entière à ces deux termes : Évangile et liberté.

II

Les Méditations religieuses de Samuel Vincent voient le jour pour la quatrième foisb. Publiées d'abord isolément, elles furent réunies en un volume par les soins de l'auteur, dès 1829. Après la mort de Vincent, ce premier recueil, revu et augmenté de plusieurs morceaux inédits, fut publié de nouveau par son neveu et son collègue dans l'église de Nîmes, M. Fontanès, qui plaça en tête du volume une double notice sur la vie et les écrits de son oncle ; on retrouvera ce pieux travail dans l'édition actuelle. Depuis longtemps épuisé, l'ouvrage était souvent redemandé, soit par les disciples de l'auteur et par des familles protestantes où règne une instruction solide et une piété de l'ordre le plus élevé, soit par des pasteurs pour lesquels Vincent est demeuré un maître éminent et une lumière de leur Église, soit encore par bien des catholiques impartiaux, désireux de connaître ce grand et ferme esprit ou de s'éclairer de son opinion indépendante et réfléchie, sur les plus graves de tous les sujets.

En 1859, un autre écrit important de Samuel Vincent (du Protestantisme en Francec 1 vol. gr. in-18), a reparu avec une introduction très remarquable de M. Prevost-Paradol ; cette publication a été accueillie avec une faveur marquée. Nous ne craignons pas d'affirmer que l'ouvrage que nous réimprimons aujourd'hui offre un intérêt plus général et met encore mieux en évidence les mérites éminents de l'auteur.

Ce livre réunit deux caractères qu'on trouve rarement confondus en un seul. Comme le précédent éditeur l'a dit avec raison, « ce Recueil est un cours de philosophie religieuse adressé aux personnes qui peuvent et qui veulent se faire à elles-mêmes leur croyance. » Aussi est-ce avec une pleine confiance que nous le présentons aux esprits, très nombreux aujourd'hui, qui cherchent la vérité et qu'émeuvent ces grandes questions de Dieu, de l'âme et de nos destinées immortelles, du christianisme et de son avenir, partout agitées en ce temps-ci. Mais ces mêmes Méditations, œuvre d'un penseur profond et hardi, émanent aussi d'un cœur croyant et chrétien. C'est ainsi que ce volume, où tant de grands problèmes sont remués, est en même temps un livre de piété dans le meilleur sens du mot, non assurément pour ceux qui adorent sans penser et qu'effraye toute recherche sérieuse, mais pour les fidèles de diverses communions qui ont besoin d'une solide nourriture, intellectuelle et religieuse à la fois.

Les Mystères, le Doute, Revivrons-nous ? Mangeons et buvons, car demain nous mourrons, la Durée du christianisme, le Passager et le Permanent dans la religion, voilà autant de sujets qui doivent provoquer à de graves et fécondes réflexions tout esprit philosophique ; l'Amour de Jésus, l'Ame humaine et le monde, la Femme et la Religion, le Royaume de Dieu, la Guerre intérieure, Jésus, idéal de l'humanité, voilà des titres qui attireront les âmes pieuses ; mais nous osons assurer aux penseurs qu'ils trouveront dans ces pages chrétiennes une hauteur de vues tout à fait exceptionnelle et une puissante originalité ; et nous pouvons promettre aux lecteurs qui recherchent avant tout l'édification, qu'ils rencontreront dans ces essais philosophiques une rare abondance des sentiments les plus élevés et des émotions les plus religieuses.

Avec Vincent, on apprend à penser, à se rendre compte de ce qu'on croit ; la piété devient forte et virile ; l'adoration, qui s'est rendu compte d'elle-même, est d'autant plus fervente et plus profondément sérieuse. On sort de cette lecture plus calme et plus énergique ; on se sent devenu plus complètement homme et plus véritablement croyant.

A nos yeux, Samuel Vincent est, par excellence, un penseur religieux en qui se trouvent unis un esprit éminemment philosophique et une âme profondément chrétienne.

III

Ce qui frappe au premier abord, quand on a parcouru ses écrits et étudié sa vie, c'est l'étendue de ses facultés et la variété de ses connaissances. Occupé des devoirs de son ministère et de la présidence du consistoire dans une des Églises les plus populeuses et les plus influentes de la France protestante, Vincent avait trouvé le temps d'apprendre l'anglais, l'allemand, l'italien, l'espagnol. Voulant raviver dans la ville dont il était une des lumières, l'essor des intelligences et le goût de l'étude, il donna un cours public sur les littératures étrangères et sur leur histoire. Non seulement il analysait dans son journal, et de manière à en extraire toute la substance, les principales publications des théologiens et des prédicateurs de l'Allemagne et de l'Angleterre, mais il traduisit entièrement et il publia plusieurs de leurs ouvrages (Chalmers, Paley, Sintenis).

La théologie et les langues étaient si loin d'absorber toutes ses facultés, qu'il fut, dans le conseil général de son département, un des chefs actifs et influents du mouvement politique d'alors, dans une province difficile à administrer. Pendant ses dernières années, devenu un agronome distingué, il fut un bienfaiteur pour la contrée qu'il habitait, en introduisant dans la culture du sol de sages améliorations qui, d'abord combattues et honnies par l'esprit de routine, mais patiemment poursuivies par sa veuve, avec une fermeté de volonté et une supériorité intellectuelle dignes de lui, obtinrent plus tard l'éclatante consécration du succès et finirent par rallier tous les suffrages.

Enfin, ce même homme qui appréciait et goûtait les diverses littératures européennes, qui fut jusqu'à sa mort épris de la poésie, ne laissait aucune des sources du savoir échapper à ses investigations infatigables, et lisait, pour se délasser, des traités de hautes mathématiques. L'aridité des sciences exactes ne le rebutait nullement ; la rigueur des raisonnements, l'étroit enchaînement des déductions, avaient pour lui un attrait puissant.

Souvent les esprits qui aiment à se mouvoir dans un cercle si étendu n'en connaissent que la surface. Chez Vincent, au contraire, on a remarqué, comme un caractère dominant de ses travaux, la pénétration, une rare vigueur d'analyse, une laborieuse et féconde sagacité. Le volume qu'on va lire en offre de nombreux exemples, dans les développements originaux dont il revêt une foule d'idées larges et saines, et jusque dans les subdivisions lumineuses de quelques-unes de ses Méditations. Nous ne ferons qu'une citation, et nous l'emprunterons à un autre de ses écrits. Dans le Discours préliminaire qu'il mit en tête de la seconde édition de l'Histoire des Camisards, par Antoine Court, il avait à démontrer cette vérité qui, assurément, n'a rien de nouveau : « La violence appliquée à la religion est le plus mauvais de tous les moyens de conversion. » D'autres, peut-être, eussent appelé à l'appui de cette assertion des preuves extérieures, des exemples historiques ; Vincent se contente de dire que « l'expérience l'a partout prouvé, » et que ce moyen a été « repoussé avec horreur par l'auteur divin du christianisme. » Mais aussitôt il fait une analyse psychologique des effets de la persécution sur ceux qu'elle frappe.

« Loin d'éclairer les âmes, la persécution ne fait que les exalter et les aigrir. L'homme persécuté ne saurait être froid. Il est placé dans une situation violente qui le remue fortement, et qui développe toutes les facultés de son âme. Les émotions qu'il éprouve, cette chaleur toute nouvelle dont il se sent animé, doivent surtout se diriger sur les doctrines pour lesquelles il souffre. Son cœur, blessé dans l'endroit le plus sensible, et redoublant d'énergie pour repousser la force qui le comprime et qui l'humilie, désire vivement que ces doctrines soient vraies. Son esprit, plein d'une activité que la contrainte rend infatigable, cherche avec ardeur tout ce qui peut les établir ; sa croyance devient une véritable passion. Qu'attendre de la simple vérité sur un homme qu'on vient de placer dans une situation si violente ? Il est aussi peu disposé à céder aux raisonnements qu'à plier sous la force. Il était peut-être indifférent et froid, et la vérité l'aurait trouvé sans préjugé comme sans passion. Maintenant il est fortement persuadé des opinions que vous voulez détruire et plein d'ardeur pour les défendre. Il les soutiendrait même contre sa persuasion intérieure, parce qu'il croirait commettre une lâcheté en les abandonnant, lorsque vous voulez l'y contraindre. »

Voilà un exemple du procédé habituel de la pensée de Vincent. Une thèse, soutenue mille et mille fois, qui n'eût inspiré à bien d'autres que des lieux communs et de la déclamation, devient pour lui l'occasion d'une étude de psychologie aussi délicate que solide. Cette sagacité réfléchie et active, ce talent naturel pour creuser son sujet et le sonder jusqu'au fond, était chez lui animé par un ardent amour de la vérité et par la conviction profonde de l'intérêt et du droit qu'a tout être humain à posséder la vérité. Cet analyste si fin, cet investigateur passionné, ce critique sans peur, n'était rien moins que sceptique. Sa pensée saisissait la vérité d'une étreinte si vigoureuse, que rien ne pouvait plus l'en détacher ; de même que chez le mathématicien, rien n'ébranle la certitude de ce qui a été une fois pleinement démontré.

Ce qui l'a toujours sauvé du scepticisme, c'est que son âme était trop richement douée pour pouvoir s'enfermer tout entière dans le domaine de l'esprit, quelque vaste que ce domaine fût pour lui, en profondeur comme en étendue. Homme de cœur et de foi, père de famille tendrement dévoué à ses filles et à leur digne mère, pasteur habile à développer tout à la fois chez ses catéchumènes ou chez les auditeurs de ses sermons la pensée et la piété, la conviction et le sentiment, Vincent était chrétien sans étroitesse dogmatique, mais aussi sans sécheresse ni froideur. On verra, dans ses Méditations, quelle part essentielle, primordiale, il attribuait à l'amour dans le christianisme, au cœur dans la vie religieuse. Jamais peut-être un plus large savoir, un raisonnement plus serré, une plus droite et plus pénétrante logique n'ont été mis en œuvre sous l'inspiration d'une foi chrétienne plus ferme et plus sentie.

Aucune affection humaine, chez lui, n'était faible ou banale. Sous ce rapport, le discours qu'on lira plus loin, sur l'Amour de la patrie, mérite d'être signalé. Les autres Méditations de Vincent ne sont point des discours, et renferment seulement la substance des prédications du pasteur nîmois. C'est par exception que son sermon sur l'Amour de la patrie fut écrit tout entier, et l'on a eu raison de le comprendre dans la précédente édition de notre recueil. Rarement éloquent, si l'on entend par ce mot l'abondance entraînante des mouvements, l'éclat des images, la puissance d'une parole qui subjugue ceux qui l'entendent, Vincent s'élevait cependant par moments à une grande hauteur, et communiquait alors à ses auditeurs une émotion dont le souvenir ne s'effaçait plus. Il y a plus d'un morceau de ce genre dans le discours que nous indiquons. On se rappelle encore à Nîmes de quel accent, au retour d'un voyage dans des contrées moins brûlées du soleil, il disait du sol natal : « Ses sites réjouissent mes yeux. Après avoir contemplé avec extase la verdure luxuriante du Nord, j'éprouve une douceur secrète à retrouver la teinte pâle de l'olivier et ces collines pelées sur lesquelles s'étend un dôme resplendissant de lumière et d'azur. »

On se souvient encore de ses pressants appels à la concorde, au nom de la patrie commune, dans une province où, en 1815, la terreur blanche avait laissé des traces si cruelles, et où, en 1830, trois mois avant cette prédication de Vincent, quelques catholiques avaient craint un moment, de la part de la population protestante, des représailles indignes d'elle, et qui ne furent pas même tentées. Bien des colères sourdes et des défiances funestes fermentaient dans les cœurs ; Vincent en était indigné et combattait ces éléments de trouble et de haine, en digne ministre de Jésus-Christ et en citoyen plein d'amour pour son pays.

« Toutes les âmes généreuses, s'écriait-il, ne sympathisent-elles point à la douleur dont mon âme est navrée quand je songe à tout le mal qu'a fait à notre malheureux pays l'absence de la paix parmi les concitoyens ? O belles contrées du Midi favorisées du ciel, doux climat, terre nourricière, féconde nature qui ne demandez qu'à donner, beaux jours qui la secondez, air tiède, azur brillant des cieux, éblouissante lumière, torrent de chaleur régénératrice, soleil éclatant et réparateur, pourquoi, quand vous répandez sur nous les flots inépuisables de vos bienfaits, semblons-nous. prendre à tâche de les gâter les uns pour les autres en les arrosant de fiel ? Pourquoi, dans un pays où la nature est si puissante et si riche, l'homme, l'homme seul, qui devrait valoir mieux qu'elle, se montre-t-il au-dessous des merveilles qui l'entourent, et comme indigne des dons qui pleuvent sur lui ? Pourquoi des concitoyens et des frères cherchent-ils à s'en empoisonner la jouissance par des inimitiés et des haines que les moindres accidents renouvellent, et dont rien ne présage la fin ? Ici la nature embellit tout ; l'homme la flétrit. Ah ! que le soleil se voile, que l'azur des cieux se ternisse, que la terre devienne ingrate, que la brume et les frimats remplacent nos jours tièdes et sereins, et que la paix règne dans les cœurs ! »

Si nous avons cité cette belle page, c'est moins encore pour montrer que Vincent a eu des moments de vraie et touchante éloquence que pour faire apprécier avec quelle chaleur d'âme et quelle vivacité d'impression il éprouvait ces deux nobles sentiments : l'enthousiasme pour les beautés de la nature et un filial amour pour sa patrie.

Nous le reconnaissons d'ailleurs : Vincent n'était pas, à vrai dire, un orateur ; sa parole manquait parfois de souplesse, et même de clarté ; son style était souvent négligé et sans élégance. Un accent languedocien fortement prononcé et un léger défaut de langue nuisaient à son élocution. Comme tous les hommes de son âge et de la même province, il avait parlé d'abord le patois du pays, et le français pour lui était plutôt une langue étudiée après coup que l'idiome maternel, dans lequel l'enfant a formulé ses premières pensées. Il y aurait injustice à ne pas tenir compte de pareils obstacles. A Paris, où il prêcha en 1835, dans la chaire de l'Oratoire, ces défauts tout extérieurs diminuèrent l'impression qu'aurait dû produire son sermon.

Un autre inconvénient plus grave ôtait souvent à sa parole quelque chose de son efficacité. Trop profond, trop abstrait pour son auditoire, trop riche d'idées neuves, de fines et justes nuances, d'observations délicates sur le cœur humain, saisissant et indiquant trop vite des rapports vrais, mais inattendus, entre le sujet qu'il traitait et d'autres idées qui se présentaient à lui, Vincent était peu compris par le peuple. En revanche, les meilleurs esprits recherchaient avidement ses enseignements, et ses élèves, mieux accoutumés à le comprendre, y trouvaient une source abondante d'édification et de lumières. D'ailleurs, impatient des longueurs qu'entraîne la recherche de la forme, trop fort et trop occupé pour assujettir son esprit à ces soins minutieux, Vincent prépara souvent ses prédications trop rapidement. Tandis que le fond de ses discours était le produit d'une méditation soutenue et mesurée, la forme était livrée trop souvent aux hasards d'une improvisation hâtive. Peu importe aujourd'hui pour ses lecteurs ; cette forme obscure ou peu oratoire a disparu, et c'est le fond seulement, tel qu'il l'a conçu et recueilli lui-même, que nous offrons aux bons esprits et aux âmes pieuses.

Pour être sincère jusqu'au bout, et tout épuiser, le blâme comme la louange, disons encore que Samuel Vincent, théologien assidu, penseur original, savant philologue, agronome habile et même, dans sa sphère, homme politique influent, a été accusé de n'être pas assez pasteur et prédicateur. Si l'on a prétendu le blâmer d'avoir étendu ses connaissances et son infatigable activité d'esprit, d'avoir voulu juger de près et de haut la vie intellectuelle de ses contemporains, d'avoir enfin dominé les esprits de tous les côtés à la fois, pour les éclairer et les amener à la vérité, ce reproche, à nos yeux, est un éloge. L'idéal du pasteur protestant, et en général du ministre d'un culte chrétien au xixe siècle, était pour Vincent plus élevé, plus complexe, plus humain, plus sainement religieux, plus complètement chrétien que pour ses censeurs. Sa conscience, s'il se fût emprisonné dans le cercle étroit qu'on aurait voulu tracer autour de lui, l'aurait justement condamné, comme ne comprenant pas sa tâche et l'amoindrissant. Selon lui, le ministre de Jésus-Christ doit, s'il le peut, marcher en avant de tous ceux qu'il s'est chargé d'instruire et d'édifier. C'est bien ainsi que l'avaient entendu avant lui, au xvie et au xviie siècle, ses plus illustres prédécesseurs. Mais si l'on veut dire seulement que Vincent, si éminent et si actif qu'il fût, n'a pu suffire à tout, n'a pu trouver toujours le secret difficile de se faire tout à tous, nous ne le nierons pas ; ce n'est pas ici un panégyrique, mais un portrait exact, et nous recommanderons seulement à ceux qui ont censuré un tel homme, d'être, avec autant d'abnégation et de fidélité, laborieux et dévoués, selon leur façon d'entendre leurs devoirs, qu'il le fût à sa manière.

Il a laissé après lui, dans ce monde, comme une traînée de lumière ; l'influence de ses vues élevées et de ses fermes principes est demeurée vivante et féconde.

IV

Il nous reste à signaler dans l'œuvre de sa vie un côté essentiel sans lequel on ne se ferait qu'une idée très imparfaite des services qu'il a rendus et de la direction qu'il a imprimée aux esprits. Mais pour nous faire comprendre, il nous faut jeter un rapide coup d'œil sur la situation où s'est trouvée en France, avant et après lui, la science théologique.

Le réveil des hautes études de théologie auquel nous assistons depuis peu, fut pendant toute la carrière de Samuel Vincent l'objet de ses vœux ardents et de ses continuels efforts.

On a oublié, parmi nos compatriotes, que la science théologique, dédaignée depuis, fut jadis une des gloires intellectuelles de la France. Il n'est pas nécessaire, pour le prouver, de remonter à l'époque éloignée où florissaient Guillaume de Champeaux ou Anselme de Cantorbéry, Abeilard ou son antagoniste Bernard de Clairvaux. La théologie brilla d'un nouvel éclat quand Calvin eut écrit ses chefs-d'œuvre de style et de science, où une logique étroite le conduisit à mêler parmi d'immortelles vérités d'énormes erreurs. Un laïque, Duplessis-Mornay, publiait de savants et volumineux traités d'apologétique et de dogme. Cappel créait une science nouvelle, toute française d'origine, la critique sacrée, où marcha sur ses traces un célèbre oratorien, Richard Simon. C'était le temps où la reine Christine appelait en Suède le pasteur Bochart comme le premier orientaliste du monde. Alors Claude répondait un jour au grand Arnauld, le lendemain à Bossuet. Amyraut réformait déjà la sombre dogmatique des premiers réformateurs. L'érudit Blondel démontrait le premier la fausseté d'une légende scandaleuse contre la papauté, acceptée comme vraie par une foule d'auteurs catholiques. Les pasteurs des diverses Églises, et surtout ceux de Charenton, les Daillé, les Drelincourt, les Du Moulin, les Mestrezat, les Aubertin, publiaient de doctes écrits sur toutes les grandes questions religieuses qui alors partageaient les esprits. Louis XIV, après une harangue de leur émule Du Bosc, disait : Je viens d'entendre l'homme de mon royaume qui parle le mieux. La discussion, l'éloquence et le savoir, étaient en faveur. Le protestantisme français avait des académies célèbres à Saumur, à Sedan, et d'autres à Nîmes, à Die, à Orthez, à Montauban, à Orange. L'émulation entre catholiques et protestants était vivement excitée, et jamais, ni en France, ni nulle part, les chaires de l'Église romaine n'ont eu d'aussi grands et dignes orateurs que ceux qui se formèrent alors, un Bossuet, un Fénelon, un Massillon, un Bourdaloue, un Fléchier.

Louis XIV ferma les académies protestantes ; il exila les professeurs ; il donna à la Hollande l'historien Basnage, plus fait, a dit Voltaire, pour être ministre d'un État que d'une paroisse ; le pasteur Jurieu, l'érudit Le Clerc, Bayle enfin, et bien d'autres. Dès lors aussi, la science qui, dans une religion d'autorité comme le catholicisme, ne peut être aiguillonnée que par la contradiction du dehors, s'éteignit et ne se releva plus. Bossuet, que La Bruyère avait proclamé un Père de l'Église, fut le dernier. La médiocrité, la nullité extrême de la théologie catholique, vengea ses contradicteurs réduits au silence. La science ne s'est pas encore relevée, et elle ne fleurira de nouveau, dans les facultés de théologie romaine en France, que du jour où un gouvernement équitable aura placé à côté des plus importantes, et surtout à Paris, une faculté de théologie protestante, librement et fortement organisée.

A dater de la révocation de l'édit de Nantes, les Eglises de la réforme, écrasées sous la persécution, n'eurent plus aucune ressource pour le haut enseignement. Elles furent longtemps sans pasteurs, malgré l'héroïque tentative de quelques proscrits qui osèrent rentrer en France et reprendre leur ministère ; leur hardi dévouement échoua le plus souvent. Malzac, Gardien-Givry, Géraud, finirent leurs jours dans les donjons des îles Sainte-Marguerite, et Brousson, le plus grand de tous par le courage, le savoir et le talent, fut exécuté sur l'esplanade de Montpellier. Ainsi, de l'ignorance naquit le fanatisme, et les inspirés des Cévennes, les prétendus prophètes camisards succédèrent aux pasteurs mis à mort ou bannis.

Ce fut alors qu'Antoine Court restaura le ministère évangélique en France. Avec une activité et une intelligence admirable, il prit l'initiative, forma quelques jeunes gens d'élite, se rattacha, avec eux, par l'étude et la consécration, au corps des pasteurs de Zurich, puis réussit, après de longs efforts, à réunir des fonds suffisants pour créer à Lausanne un séminaire transporté plus tard à Genève, cette Rome protestante que M. Michelet a justement nommée l'École des martyrs. Ce séminaire rendit alors d'éminents services, et forma de grands courages. Rabaut Saint-Etienne en sortait, ayant achevé ses études, quand il apprit pour première nouvelle, en mettant le pied sur le sol français, le supplice d'un collègue, d'un ami de son père, Teissier-Lafage, il ne recula point, et quand plus tard il monta sur l'échafaud de la Terreur, il montra, avec son collègue le girondin La Source, comment savaient mourir les fils des huguenots.

A dire vrai, c'est peut-être ce qu'ils savaient le mieux. Le séminaire de Lausanne, qui créait des martyrs, ne pouvait en même temps former des savants. Les pasteurs du désert n'y recevaient qu'un enseignement sommaire, et plus tard, dans leur vie de proscrits, tout leur manquait pour perfectionner leurs rapides études. Quand, en 1802, le premier consul donna une existence officielle à l'Église persécutée, il trouva dans ses rangs un clergé éprouvé, digne, dévoué, mais fort peu érudit.

Bientôt, en des temps plus calmes, le manque de vie scientifique fut senti ; mais d'abord les esprits les plus distingués furent seuls à en souffrir. Fils d'un des pasteurs de 1802, et petit-fils d'un ministre du désert, Samuel Vincent fut des premiers à signaler cette grave lacune. Dès lors il n'épargna rien pour protester contre l'ignorance satisfaite d'elle-même, ou effrayée de toute libre discussion. Il a laissé un spirituel portrait du pasteur ou du fidèle qui ne sait rien et qui s'inquiète des témérités de la science.

« Ils ont lu nos anciens théologiens ; mais ils ne connaissent point les immenses travaux dont la théologie s'est enrichie depuis ce temps. La critique sacrée est pour eux une science suspecte. Ils lui permettent bien d'exister, mais à condition de ne rien faire, de ne rien établir de nouveau. Ils voient partout des abîmes. Si vous leur parlez des variantes du texte sacré, ils vous regardent avec terreur et ils vous disent : « Monsieur, quelle incertitude vous jetez sur la Bible ! » Ils vous en veulent, comme si c'était vous qui les eussiez mises dans la Bible. Si vous leur parlez de recherches historiques et impartiales sur les divers livres de la Bible, ils vous disent : « Monsieur, vous voulez donc en faire un livre humain ! » En un mot, ils sont effrayés des faits comme des sophismes ; et tout ce que la théologie moderne trouve, il leur semble qu'elle l'invente. Ils ont toujours le rouleau à la main pour effacer les moindres aspérités, détruire les moindres proéminencesd. »

Espérons que ce portrait ne ressemble plus à personne, et que le mépris de la vérité ou la peur de la science n'a plus d'adeptes, au moins parmi les protestants.

Vincent ne cessa, pendant toute sa vie, de faire la guerre à l'ignorance, de réveiller l'esprit scientifique, de provoquer le mouvement des esprits et la libre recherche. Il disait très bien : « La théologie, dans un grand nombre de ses branches, et des plus essentielles, est une science positive et de faits. Or, les faits ne s'inventent pas ; il faut les apprendre. »

Ailleurs, il montrait combien l'Angleterre à certains égards, la Hollande et bien plus encore l'Allemagne, nous étaient supérieures pour tout ce qui touche à cette science si élevée et si vaste. Française de naissance, la critique sacrée est depuis longtemps devenue tout allemande ; c'est de nos jours seulement que, grâce aux travaux de MM. Michel Nicolas, Reuss, Scherer, Colani et Réville, parmi les protestants, et de M. Renan, chez les catholiques, cette science exilée reparaît enfin dans sa première patrie. Mais Vincent a préparé de loin, et laborieusement, ce nouvel avènement dont enfin nous sommes témoins. Longtemps il ne fut que la voix du prophète qui crie au désert : « Aplanissez les sentiers ! » On l'écoutait peu ; on le comprenait moins encore ; il avait tout à créer, jusqu'à ses lecteurs ; mais il avait la foi ; il ne se décourageait point. Peu à peu, il sut se faire entendre. Le recueil de ses Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée demeurera comme le plus ancien monument et le point de départ du réveil scientifique en France au xixe siècle, dans le domaine de la théologie. « J'ai constamment tâché, a-t-il dit lui-même en parlant de cette Revue, d'augmenter la masse des faits, d'étendre les moyens d'instruction, de faire circuler quelques idées génératrices, et surtout de créer le désir et le besoin de pousser plus loin les recherches. J'ignore si j'ai réussi. »

Aujourd'hui, on ne l'ignore plus. Samuel Vincent n'a pas lutté en vain pendant tant d'années. A l'avenir, protestants ou catholiques, ceux qui écriront l'histoire de la théologie moderne en France devront placer en tête de leurs annales, s'ils veulent être équitables, le nom de Samuel Vincent.

Athanase Coquerel Fils
a – Du Protestantisme en France, introd., p. vii.
b – Elles ont paru, en outre, traduites en allemand, sous deux titres différents, d'abord sous celui de Das Christenthum als die Religion des Herzens, puis à Esslingen, en 1852, sous celui-ci : Betrachtungen ueber Religion und Christenthum (1 vol. in-12). Une des Méditations, la Femme et la Religion, a été publiée à part et intitulée Der weibliche Beruf im Lichte der Religion, Worte der Liebe.
c – C'est l'ouvrage que Vincent avait intitulé Vues sur le protestantisme en France.
d – Du Protestantisme, p. 307.
◊Notice sur Samuel Vincent
Sa Viea

Après cette impression grave et religieuse que produit toujours la mort d'un homme, surtout quand il a été frappé au milieu de nous, il est naturel à l'esprit humain de se replier sur lui-même pour apprécier cet événement et en peser les conséquences. Les uns, attristés par le spectacle de la tombe, s'arrêtent pensifs et se livrent au pressentiment du monde invisible auprès duquel ils se sentent arrivés ; les autres, plus occupés des choses visibles, regardent à la douleur de la famille affligée, à la place devenue vacante dans la société, aux affaires interrompues. Dans le premier moment, les mille voix de la multitude parlent de celui qui vient de mourir ; bientôt il n'est plus question de lui qu'au foyer domestique ; au dehors, la mort et l'oubli le pressent de tout leur poids.

Mais lorsqu'il s'agit d'un homme qui sort de la foule, d'un homme que ses talents, son influence et sa position distinguaient entre beaucoup d'autres, d'un homme que la mort a tout à coup arrêté au milieu de sa carrière, brisant les liens qui l'attachaient à la vie, et anéantissant les espérances qu'il offrait encore, chacun se sent plus vivement affecté. Les paroles vagues et sans suite de la multitude ne suffisent plus ; on éprouve le besoin de se recueillir auprès de cette tombe à peine fermée, de rappeler les traits honorables, les talents, les services de celui que la cité vient de perdre ; on cherche à recueillir les détails épars de sa vie, pour les mieux comprendre ; on les résume pour les mieux retenir, et en appréciant l'homme remarquable qui a disparu de la scène, on veut lui payer un dernier tribut d'estime et de regrets.

Telle a été sans doute la pensée de l'Académie, lorsqu'elle a décidé qu'un de ses membres parlerait de M. Samuel Vincent dans cette séance publique. Je regrette qu'une voix plus digne d'attention n'ait pas été chargée de dire à M. Vincent un solennel adieu ; mais puisque la tâche m'a été présentée, je ne crois pas devoir refuser de la remplir, et je viens m'acquitter en ce moment d'un devoir à la fois doux et triste pour mon cœur. Ce qui m'encourage à prendre aujourd'hui la parole au milieu de vous, c'est la simplicité du travail qui m'a été confié. Je n'ai pas à faire ici l'éloge de M. Vincent : il était trop modeste pour que personne ait songé à le louer ; je dois seulement, dans une notice, vous raconter une vie que j'ai vue de près, et qui m'a fait beaucoup de bien. Le temps qui m'est donné est court, les développements et les détails trop particuliers me sont interdits ; je me bornerai aux traits les plus caractéristiques, en m'attachant à ceux qui peuvent plus particulièrement vous intéresser.

Jacques-Louis-Samuel Vincent, pasteur de l'Église réformée de Nîmes et président du consistoire, naquit à Nîmes en septembre 1787. Fils de pasteur, petit-fils d'un ministre du désert, il fut destiné au saint ministère. Une mémoire solide, une intelligence facile et étendue, de l'ardeur pour l'étude et des sentiments élevés secondèrent et encouragèrent les vœux de ses parents. De bonne heure, il se montra ami des livres, avide d'apprendre, et l'on s'aperçut, à la suite d'une maladie qui appela sur lui une attention toute particulière, qu'il passait une partie des nuits à lire et à écrire.

Pour commencer des études régulières, il fut mis au collège d'Uzès, puis à celui de Sommières, où un abbé lui enseigna le latin. Il ne l'a jamais oublié ; il se plaisait encore, dans les dernières années de sa vie, à rappeler les principes excellents qu'il avait reçus de lui, et le ministre protestant faisait l'éloge du prêtre catholique auquel il avait voué une juste reconnaissance.

Ses progrès à Sommières furent tels que, placé plus tard à Montpellier, dans l'établissement d'éducation de M. Daniel Encontre, qui l'appela souvent chez lui et lui donna des leçons comme à un ami, il écrivait en latin classique ce qu'on lui dictait en français, quoiqu'il déclarât à son professeur étonné qu'il n'avait jamais fait de thème. Une année, pendant les vacances, il lut l'Enéide en manière de délassement.

Arrivé à l'âge de faire des études plus fortes, il fut envoyé à Genève, où les jeunes protestants se préparaient au ministère évangélique et apprenaient la théologie. En arrivant, son langage modeste, ses manières simples, son accent méridional, sa mise vulgaire, la forme arrondie et vague de ses traits encore peu caractérisés, le firent prendre pour un jeune homme épais et lourd ; mais son esprit pénétrant, son jugement sûr, sa facilité à tout comprendre, à tout saisir, littérature, sciences, histoire, langues vivantes et classiques, l'abondance de ses idées, la promptitude avec laquelle il les liait et en formait des plans d'ouvrages, la quantité de travail qu'il faisait, tout en paraissant ne pas être économe de son temps, changèrent bientôt l'opinion à son égard : chacun reconnut que cet enfant du Midi avait une nature puissante, et il prit rang à la tête de ses condisciples. Il fut très aimé à Genève : ses professeurs, ses camarades, tous ceux avec lesquels il eut des relations s'attachèrent à lui ; tous aimèrent sa modeste simplicité et l'inaltérable bonhomie qui le caractérisaient, malgré les saillies d'un esprit enjoué qui raillait quelquefois, mais avec une parfaite bienveillance.

A travers les études classiques, tout en perfectionnant sa connaissance du latin et du grec, il apprit l'italien et l'anglais ; il fit ses études de philologie et de mathématiques avec une rare facilité. Entré dans l'auditoire de théologie, il prit goût à la critique appliquée à l'origine, à l'authenticité et à l'intégrité des livres saints, devançant les leçons de ses professeurs et travaillant par lui-même entouré de livres. Ses premiers essais de prédication eurent un caractère auquel ceux qui ne l'ont connu que tard ne s'attendent sûrement pas : cet écrivain solide, grave, distingué surtout par le fond de la pensée, par la sévérité du style et une grande sobriété d'ornements, se faisait remarquer par la grâce et la poésie de ses premières compositions, et l'on vit cette âme richement dotée jeter d'abord des fleurs et des parfums, comme plus tard donner des fruits pleins de maturité et de substance.

Il eut de tels succès comme étudiant, qu'il fut consacré avant le temps ordinaire, trois ans après être entré en théologie, et l'Église de Nîmes l'appela, en 1809, comme pasteur catéchiste. Là, il eut à instruire les enfants du peuple, qui n'entendaient pour la plupart que fort mal le français et ne savaient pas lire. Il fallut se plier à ce niveau inférieur, afin d'être utile aux faibles et aux petits. Il le fit ; mais, pour se dédommager, il se mit à lire en grec les histoires d'Hérodote et de Thucydide ; il fit ses délices d'Homère ; il médita les belles pages de Platon, et se nourrit de cette philosophie spiritualiste, en possession depuis tant de siècles de rallier autour de son drapeau les âmes élevées et généreuses. Alors aussi, il traduisit la Philosophie morale de William Paley, et il apprit à vaincre les difficultés de la langue allemande, se préparant aux publications qu'il a faites plus tard. Quand on sait tout ce qu'il a lu dans les huit ou dix premières années de son ministère, tout ce qu'il a extrait, toutes les ébauches d'ouvrages qu'il a faites, toutes les connaissances qu'il a acquises ou étendues et perfectionnées, le trésor immense d'idées et de faits qu'il a recueillis, classés, médités, fécondés, on s'arrête confondu devant cette activité prodigieuse. C'est ainsi que cet esprit supérieur se familiarisa avec toutes les branches des connaissances humaines. Il n'était étranger à rien, soit dans les arts, soit dans les lettres, soit dans les sciences. Avec le médecin, avec le naturaliste, avec le littérateur, avec le mathématicien, avec l'artiste, avec l'ouvrier, il était sur son terrain ; car il connaissait les faits, il comprenait les questions, et il les éclairait des lumières de son esprit toujours droit et sûr.

Mais, après ses travaux de cabinet, il s'occupa des moyens de répandre au dehors les fruits de ses études ; il fit plusieurs publications. Je ne puis, Messieurs, les analyser toutes ici ; à peine vous dirai-je un mot de quelques-unes. Je passe sous silence la traduction de l'ouvrage du docteur Chalmers sur les preuves et l'autorité de la révélation chrétienne ; la réponse au célèbre abbé de Lamennais, et les Vues si larges, si originales,sur le protestantisme ; j'arrive à un de ses ouvrages les plus importants, aux Mélanges de religion, de morale et de critique sacrée, qu'il publia de 1820 à 1825. Le but de ce journal, qu'il rédigea presque seul, faisant lui-même les fonds nécessaires à cette entreprise, et se créant en quelque sorte un public, le but de ce journal était de favoriser les études approfondies sur la religion. Après le xviiie siècle et ses attaques reproduites sous tant de formes, il pensait que l'on ne peut concevoir, exposer, défendre le christianisme exactement comme au xviie siècle, et il demandait qu'on le posât sur une base solidement éprouvée, qu'on le présentât de la manière la plus propre à le faire accepter de nos contemporains ; en un mot, heureux de posséder la perle de grand prix, pour parler avec l'Évangile, il voulait qu'on la montât pour les besoins du temps. Ce recueil, qui résumait les travaux théologiques de l'Angleterre et de l'Allemagne, remua beaucoup d'idées, posa un grand nombre de questions, agita parfois les esprits, en troubla quelques-uns, en éclaira beaucoup d'autres, et imprima un mouvement à la théologie parmi les protestants. Quoique la publication des Mélanges ait cessé depuis douze ans, ils sont restés comme un recueil fondamental de bibliothèque théologique, où le penseur aime à chercher encore des aliments pour ses méditations et d'utiles renseignements pour ses études.

Mais les Mélanges parlaient plus de science que de religion, de sorte que leur public était borné. Pour répandre au loin les idées auxquelles il avait foi, M. Vincent publia, sous forme de Méditations, la substance des discours qu'il prononçait dans les chaires de Nîmes. Là, il jeta les bases d'une véritable philosophie religieuse. Considérant la religion en elle-même, il montra qu'elle a sa source dans les profondeurs de l'âme, bien au delà du point où commence le raisonnement ; il en appela sans cesse à nos tendances primitives, à nos besoins intimes, et, les développant avec habileté, il constata la réalité du sentiment religieux comme celle du sentiment moral. Ces méditations, quelque peu nombreuses qu'elles soient, renferment une mine féconde d'idées neuves, d'aperçus profonds ou ingénieux, et servent de portique au vaste monument que M. Vincent élevait au christianisme.

Pour continuer son œuvre et répondre à divers besoins ecclésiastiques, M. Vincent reprenait, en 1830, une publication périodique dans le but de faire prévaloir de plus en plus le spiritualisme sur le matérialisme, l'esprit sur la lettre, le fond sur la forme, lorsque la révolution de juillet éclata, et le nouveau journal, Religion et Christianisme, dut cesser de paraître au milieu des préoccupations politiques.

Le moment était bien grave, Messieurs : une révolution complète brusquement accomplie, une dynastie nouvelle élevée, toute l'Europe en armes, les questions politiques et sociales agitées avec passion jusque sur la place publique ! M. Vincent crut qu'il ne devait pas se couvrir de sa robe et s'asseoir à l'écart ; il pensa que, plus les temps sont difficiles, plus les amis de la patrie doivent faire de sacrifices personnels. Lorsque le vaisseau est battu par la tempête, tout le monde met la main à l'œuvre pour le sauver du naufrage. Il se joignit en conséquence aux amis de l'ordre et d'une sage liberté pour travailler à éclairer, à calmer, à civiliser les hommes, au risque de déplaire à quelques-uns, au péril de sa popularité et de son repos. Pour lui, les intérêts de l'humanité, les progrès dans l'ordre moral établi par la Providence passaient avant tout, et il s'y livra avec ce courage ferme et modeste qu'il possédait à un haut degré. Avait-il raison ? avait-il tort ? Ce sont des questions que nous n'avons pas le temps de résoudre ; je raconte seulement sa pensée.

Une autre préoccupation a pris, dans la dernière partie de sa vie, une place très grande, trop grande, aux yeux de beaucoup de personnes : je veux parler de l'agriculture. Messieurs, avant de juger un homme aussi distingué, surtout avant de le condamner d'une manière absolue, il faut le comprendre. Des arrangements de famille l'avaient chargé d'un domaine assez considérable pour l'occuper, pas assez pour le dispenser de veiller lui-même à son exploitation ; il dut y donner ses soins. A peu près dans le même temps, sa santé, éprouvée par les travaux du cabinet poussés avec une ardeur extrême, s'ébranla ; plusieurs maladies très graves le frappèrent ; celle dont il est mort quinze ans après s'annonça comme imminente. M. Vincent chercha, dans le grand air et l'activité de la campagne, une ressource précieuse pour rétablir ses forces et prolonger sa vie.

En passant du cabinet dans les champs et se livrant à des travaux d'une nature toute nouvelle, M. Vincent ne trouva point cet embarras, ces difficultés que l'on éprouve d'ordinaire à changer la direction de son esprit. Ce qui aurait été pour un autre un effort pénible, peut-être impossible, devint pour lui un jeu facile et plein d'attraits. L'agriculture s'offrit à cette vaste intelligence comme une nouvelle source d'idées, de faits et de combinaisons. Bientôt au courant des principes de la science, il y apporta ce même besoin de progrès qui le conduisait toujours. Les meilleures méthodes, les instruments perfectionnés, les améliorations les mieux entendues, empruntées aux livres et à d'autres contrées, distinguèrent bientôt les campagnes de M. Vincent. Un temps on crut que cet esprit élevé, concevant tout en grand, n'avait pas suivi la bonne voie, précisément parce qu'il aspirait à faire très bien ; mais les résultats, qui ne marchent pas aussi vite que la pensée, arrivaient enfin, et il commençait à recueillir la récompense de son habileté comme agriculteur, lorsque la mort l'a frappé tout à coup au milieu de sa carrière.

Cependant, quoique occupé de travaux agricoles, il ne cessa point tout commerce avec les lettres : dans un hiver où sa santé avait ressenti quelque atteinte, il se mit à étudier l'espagnol, et, depuis lors, il revint souvent avec délices à la poésie si riche et si brillante de Calderon.

Il y a peu d'années, de 1831 à 1833, vous l'avez vu, Messieurs, faire dans cette même enceinte un cours de littérature comparée de l'Europe moderne. Il commença par établir ce principe si neuf pour nos contrées, si profond et si lumineux, que les plaisirs du goût tiennent bien plus à l'état dans lequel le beau et le sublime jettent l'âme qu'à la nature même des objets qui s'offrent à nous. Puis, après avoir rapidement indiqué la théorie des beaux-arts, il s'occupa de la littérature italienne. Afin de préparer en quelque sorte la scène, il jeta d'abord un coup d'œil sur l'Italie, son climat, ses habitants, leur caractère et leur civilisation, et s'appuyant sur cette base, il passa successivement en revue et apprécia les plus grands écrivains de cette belle contrée de l'Europe : Dante, Pétrarque, Boccace, l'Arioste, le Tasse. Il traça, en outre, une esquisse de la littérature italienne dans les xvie, xviie et xviiie siècles. Ce travail sur l'Italie est à peu près complet ; mais il n'en est pas de même pour ce qu'il a dit de l'Angleterre, malgré quelques belles leçons dont le souvenir est encore présent à la pensée de plusieurs de vous. Ce cours, où chacun admira une connaissance approfondie des littératures de l'Europe, montra combien son goût était délicat et sûr, ses vues larges ; combien il avait le sentiment du beau dans tous les genres. Il l'aimait sous toutes les formes, dans la poésie aussi bien que dans les monuments de l'architecture ; il goûtait avec délices les chefs-d'œuvre de la peinture ; il recherchait les jouissances de la musique et jouait de plusieurs instruments ; il laissa enfin quelques morceaux de poésie fugitive, fruits des loisirs de sa jeunesse.

Arrivé à un âge où le positif de la vie envahit tout et où l'imagination se décolore, M. Vincent aimait toujours la poésie et il en goûtait les charmes. Mûr de bonne heure, ayant épuisé les livres, il croyait toujours au progrès, et il s'y dévouait avec persévérance. On trouvait dans son cabinet les ouvrages nouveaux, ceux où sont consignés les travaux les plus récents sur la chimie, la physique, la minéralogie : il n'y a pas longtemps qu'il s'occupait encore des mathématiques, et qu'il lisait un ouvrage sur le calcul différentiel et intégral. Toutes ces connaissances, cette facilité qu'avait M. Vincent de saisir la vérité partout où elle s'offre à nous, la richesse de son esprit et sa haute raison l'avaient fait remarquer au dehors. On l'appréciait au loin, et notre illustre compatriote, M. Guizot, qui l'honorait d'une estime toute particulière, l'appela auprès de lui lorsqu'il s'occupait, étant ministre, en 1835, des besoins de l'Église protestante sous le rapport de l'enseignement religieux dans les écoles, dans les collèges et les facultés de théologie,

Indépendamment des études auxquelles il se livrait, et qui auraient suffi pour remplir une vie active, Samuel Vincent avait une profession attachante, sacrée, à laquelle il donnait tout le temps qu'elle réclamait. Président du consistoire de l'une des Églises les plus populeuses du royaume, il en dirigeait et soignait les affaires ; pasteur, il montait en chaire presque tous les dimanches, et ne revenait jamais sur les discours qu'il avait déjà prononcés. Depuis un assez grand nombre d'années, il prêchait de méditation. Orateur plein de substance et de sève, il versait avec abondance la lumière et la chaleur vivifiante ; grave et profond, il touchait les ressorts les plus secrets de l'âme, maniait avec délicatesse les sentiments les plus tendres, tout en évitant une sensibilité purement extérieure que l'on confond beaucoup trop avec le véritable sentiment. Malgré une légère imperfection dans l'organe vocal, M. Vincent captivait son auditoire, et produisait souvent les plus beaux effets de l'éloquence chrétienne. Toujours prêt à seconder ses collègues, il recourait fort rarement à leur obligeance, et remplissait lui-même toutes ses fonctions. Nous l'avons vu, dans les derniers mois de sa vie, descendre des hauteurs de la pensée où il se plaisait à marcher avec l'élite de l'humanité, se rapprocher des enfants du peuple effrayés de sa réputation de science et craignant de ne pouvoir le comprendre ; nous l'avons vu leur parler avec la dernière simplicité, trouver les images les plus familières pour leur exposer les saints mystères de la foi et se plaire avec leur faiblesse, comme un père au milieu de sa famille, tant il y avait de ressources dans cette noble intelligence, tant il nous a charmés mille fois par l'alliance de mérites ce semble opposés !

On trouvait, en effet, chez M. Vincent des qualités bien rarement réunies dans le même homme. Robuste de corps et fortement constitué, il avait une grande finesse d'organes. Quoique l'expression se fît parfois un peu attendre, on l'écoutait avec intérêt. Esprit solide et judicieux à un très haut degré, il ne dédaignait pas de jouer quelquefois sur les mots dans la causerie et d'aiguiser sa phrase en épigramme ; habile dans la spéculation, il se distinguait aussi par le tact et l'entente des affaires ; plein de bonhomie et de laisser-aller, il avait une force de volonté très remarquable et une énergie puissante, sans secousses comme sans violence ; sérieux et occupé d'idées graves, il savait égayer la conversation, et son âme s'épanouissait alors dans un doux et gracieux sourire.

D'un commerce facile et sûr, n'ayant ni susceptibilité, ni petitesse, il aimait la société. Il y apportait beaucoup et en retirait beaucoup aussi, parce qu'il savait observer et utiliser, pour s'éclairer, les hommes avec lesquels il entrait en rapport. Il se mettait toujours à leur portée, et souvent je l'ai entendu, au milieu des gens de la campagne, imiter leur langage pittoresque et les surpasser dans leur manière figurée de s'exprimer. Il allait volontiers dans le monde ; il trouvait que les hommes doivent multiplier entre eux les points de contact et de frottement, afin d'échanger leurs lumières et de former leur caractère ; mais il savait préférer aux réunions nombreuses le cercle intime d'un petit nombre d'amis, au milieu desquels il passait avec plaisir la soirée dans des entretiens dont on ne se lassait jamais, parce qu'il en était l'aliment et la vie.

Mais c'est surtout dans le sein de sa famille qu'il fallait le suivre. Marié, depuis 1816, à une femme de son choix, digne de le comprendre et de s'associer à lui, il jouissait de la vie de famille avec un bonheur toujours nouveau. Ce commerce si doux qu'il trouvait dans son ménage l'a dédommagé de bien des mécomptes et de bien des peines. Privé de très bonne heure du seul fils que la Providence lui eût donné, il s'entourait avec joie de ses filles. Comme il savait se prêter aux idées de leur âge, s'intéresser à leurs jeux, les élever jusqu'à lui par la simplicité de ses entretiens ! Comme il était bon, complaisant, plein d'affection et de patience ! Il ne leur donna presque jamais de leçons régulières ; il laissa à d'autres l'enseignement proprement dit ; mais il formait leur esprit et leur cœur, tout en paraissant ne pas s'en occuper. En hiver, autour du foyer domestique ; en été, à la campagne, en prenant, le soir, le frais dans son aire ; à table, en parlant des hommes et des choses, il répandait dans leur âme des jugements charitables, des vues droites et fécondes ; il cultivait en elles l'amour de l'ordre, de la vertu et de l'humanité, les grandes vérités qui sont la force et la consolation de la vie.

Tel a été Samuel Vincent. Plus que tout autre, je l'ai vu longtemps ; plus que tout autre, je l'ai vu de près, dans tous les moments, dans la bonne et dans la mauvaise fortune ; plus que tout autre, je l'aimais et j'honorais ce caractère si élevé, si bon, cette intelligence si distinguée, et cependant, il grandit encore à mes yeux, dans cette terrible maladie qui l'a, en quelques heures, jeté dans la tombe. Je savais bien qu'il avait de l'empire sur lui-même, mais il m'a étonné par la force qu'il a montrée, par le calme inaltérable, par la rare patience qu'il a déployée au milieu des plus vives douleurs. Rangés autour de son lit, sa famille et moi, nous pleurions, nous auxquels il restait tant de consolations ; mais lui, qui perdait à la fois une épouse bien-aimée, des enfants chéris, des amis dévoués, une belle position sociale, lui qui était brusquement arraché à ses affaires, à son avenir, à ses travaux commencés, il restait maître de lui et il nous encourageait : « Ne pleure pas, disait-il à sa femme, ne t'attendris pas ainsi. » Il voulait qu'elle ne se laissât pas énerver en s'abandonnant à sa douleur ; il voulait qu'elle restât à la hauteur de ses devoirs de veuve et de mère chrétienne ; et comme sa parole a été noblement entendue ! — Je savais bien que son âme élevée s'était nourrie de l'esprit de l'Évangile, mais je ne m'attendais pas à en recevoir une aussi touchante preuve. Dans ses dernières heures, où la mort déjà victorieuse lui laissait à peine la force de prononcer quelques mots, il attacha sur ses filles un regard plein de tendresse, et leur dit d'une voix affaiblie : « Mes enfants, vous vous aimerez bien ! » et il n'ajouta pas autre chose ; mais ces mots, qui rappellent les derniers entretiens de Jésus-Christ avec ses disciples, résument ainsi, d'une manière bien profonde, tout ce qu'un pasteur, tout ce qu'un père peut recommander à ses enfants, et nous révèle le principe qui l'a soutenu pendant sa vie. — Je savais bien que son âme était profondément aimante, mieux que personne j'en avais la preuve ; mais je ne savais pas que l'affection pût aller jusqu'à s'oublier soi-même au bord de la tombe. Au milieu d'atroces douleurs, dans les angoisses de l'agonie, il n'a cessé de donner des marques de tendresse à ceux qu'il allait quitter, et nous l'avons vu nous faire encore des signes d'adieu et d'affection lorsque le voile de la mort s'était déjà épaissi sur ses yeux, et que sa langue glacée ne pouvait plus nous dire qu'il nous aimait.

O Vincent ! ô mon ami ! adieu ! adieu ! — Mais tout n'est pas fini entre nous ; nous nous reverrons là-haut, dans notre véritable patrie, où tu vas nous attendre ! Malheureux de t'avoir perdu, je me console par l'espoir de me retrouver un jour auprès de toi, et alors nous ne nous quitterons plus !

Mais que fais-je ? Est-ce pour parler de moi que je suis ici ? Non, Messieurs, il s'agit de celui que nous avons perdu et du vide qu'il laisse après lui.

Membre du conseil général du département, membre de l'Académie royale du Gard, du conseil académique, de la commission d'examen des instituteurs, de la commission de l'École normale et professeur dans ce même établissement, membre de la commission des prisons, de la Société d'agriculture, pasteur, président du consistoire, propriétaire, fermier, que de places il laisse vides ! Quelle perte pour le pays ! On nommera, je le sais, aux postes qu'il a remplis ; les rangs où il figurait seront complétés ; mais où trouvera-t-on une capacité aussi vaste et aussi universellement reconnue ? Longtemps on remarquera son absence dans la cité ; longtemps, dans les circonstances difficiles, on regrettera de ne l'avoir plus pour conseil ; souvent, au milieu des questions embarrassantes, on se rappellera qu'il apportait toujours avec lui les lumières qui montrent la voie, la modération qui concilie et l'énergie qui ne faiblit pas ; bien souvent ceux qu'il honorait de son affection trouveront dans leur âme un vide douloureux et donneront un soupir à sa mémoire. C'est ainsi, Messieurs, que les hommes vraiment distingués se conservent une place sur la terre, lors même qu'ils sont déjà passés dans l'éternité. Notre ville, le département, l'Église protestante, garderont le souvenir de Samuel Vincent ; c'est une triste et dernière consolation qui ne manquera point à sa famille et à ses amis.

Jacques-Louis-Samuel VINCENT est mort à Nîmes le 10 juillet 1837.

Ses Écrits

Dans le discours lu à l'Académie, j'avais dû raconter en peu de mots l'histoire de M. Vincent, rappeler son caractère, ses travaux si divers et si multipliés, les principaux événements de sa vie, et m'attacher de préférence à ce qui pouvait intéresser un public qui l'avait connu personnellement. Aujourd'hui, la première émotion calmée, et travaillant pour un public plus éloigné, je puis m'occuper en détail des écrits de M. Vincent, et le considérer lui-même comme théologien. Les idées qu'il a mises en circulation, les principes qu'il a posés, ce qui restera de son passage sur la terre, voilà ce que je veux recueillir pour élever un monument à sa mémoire. Dans ce dessein, et pour être plus fidèle, je me servirai souvent de ses propres expressions ; partout je m'appliquerai à présenter sa pensée telle que je l'ai connue en le lisant ou en l'écoutant parler. Si je ne puis échapper entièrement à quelques redites de ce qui se trouve déjà dans le discours à l'Académie, elles seront très légères, et le lecteur les excusera comme inévitables.