Méditations sur la Genèse - Heinrich Thiersch - E-Book

Méditations sur la Genèse E-Book

Heinrich Thiersch

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Beschreibung

A la fois simples et profondes ces études sur la Genèse ont pour principale qualité de bien mettre en lumière la portée prophétique du premier livre de la Bible. Autrement dit, l'auteur montre comment l'histoire de l'humanité à ses débuts contenait en germe les grandes commotions spirituelles qui devaient accompagner la venue de Jésus-Christ, et celles qui, à la fin des temps, précèderont son retour. Philologue réputé, adepte de l'Eglise Irvingienne, Heinrich Wilhem Josias Thiersch a sans doute tendance à abuser un peu trop de l'interprétation typico-allégorique ; cependant son ouvrage fournit suffisamment de belles applications à la vie présente du chrétien pour estomper ce défaut et justifier entièrement la traduction de l'allemand que nous en a donné Georges Godet. Les notes historiques du traducteur, rajoutées en fin de livre, intéresseront par leur pertinence et leur précision tous les biblistes. Cette numérisation ThéoTeX reproduit le texte de 1882.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Ce fichier au format EPUB, ou livre numérique, est édité par BoD (Books on Demand) — ISBN : 9782322484256

Auteur Heinrich Thiersch. Les textes du domaine public contenus ne peuvent faire l'objet d'aucune exclusivité.Les notes, préfaces, descriptions, traductions éventuellement rajoutées restent sous la responsabilité de ThéoTEX, et ne peuvent pas être reproduites sans autorisation.

ThéoTEX

site internet : theotex.orgcourriel : [email protected]
MÉDITATIONS
sur
la Genèse
Heinrich Wilhelm Josias THIERSCH
Traduit de l'allemand par Georges GODET
1882
♦ ♦ ♦Thé[email protected] – 2013 –
Table des matières
Un clic sur ◊ ramène à cette page.
Avant-propos du Traducteur
Préface de l'Auteur
I. La Création
II. Le Paradis
III. La Chute
IV. Les Conséquences de la Chute
V. Adam et Christ
VI. Hors du Paradis
VII. Le Vieux Monde, d'Adam à Noé
VIII. Les Derniers Temps avant le Déluge
IX. La Foi de Noé et la Construction de l'Arche
X. Le Déluge
XI. L'Alliance de Dieu avec Noé
XII. Noé et ses Fils après le Déluge
XIII. La Tour de Babel
XIV. La Vocation d'Abraham
XV. Abraham Étranger dans le Pays de Canaan
XVI. Abraham et Sara en Egypte
XVII. Abraham et Lot
XVIII. Abraham Sauve Lot de la captivité
XIX. Melchisédec et son Sacerdoce
XX. La Justice de la Foi
XXI. L'Alliance de l'Eternel avec Abraham
XXII. La Naissance d'Ismaël
XXIII. Le Renouvellement de l'Alliance et la Circoncision
XXIV. L'Eternel Apparaît à Abraham sous les Chênes de Mamré
XXV. L'Intercession d'Abraham
XXVI. La Destruction de Sodome
XXVII. Isaac et Ismaël
XXVIII. Abimélec et Abraham
XXIX. Le Sacrifice d'Isaac
XXX. Le Sacrifice d'Isaac, Envisagé comme Type
XXXI. Mort et Sépulture de Sara
XXXII. L'Envoi d'Eliézer en Mésopotamie
XXXIII. Laban, Rébecca et Isaac
XXXIV. Isaac et ses Fils
XXXV. Esaü Méprise son Droit d'Aînesse
XXXVI. La Foi et la Patience d'Isaac
XXXVII. La Ruse de Jacob
XXXIII. La Douleur et la Colère d'Esaü
XXXIX. La Fuite et le Songe de Jacob
XL. L'Échelle de Jacob
XLI. Le Réveil et le Vœu de Jacob
XLII. Jacob et Laban
XLIII. Le Retour de Jacob
XLIV. La Réconciliation de Jacob et d'Esaü
XLV. La Chute de Dina et la Vengeance de ses Frères
XLVI. Le Retour de Jacob à Béthel. — Le Royaume d'Edom
XLVII. Les Songes de Joseph et la Jalousie de ses Frères
XLVIII. Joseph, Type de Jésus-Christ
XLIX. Les Épreuves de Joseph en Egypte
L. Patience et Élévation de Joseph
LI. Les Songes de Pharaon
LII. La Sévérité de Joseph envers ses Frères
LIII. Joseph se Fait Reconnaître de ses Frères
LIV. Joseph Fait Venir son Père en Egypte
LV. Jacob et les Siens en Egypte
LVI. La Prophétie de Jacob sur ses Fils
LVII. La Fidélité de Joseph envers ses Frères
LVIII. La Fin de Jacob et de Joseph. — L'Espérance des Patriarches
Notes du Traducteur
◊ Avant-propos du Traducteur

C'est en étudiant la Genèse, en vue de l'édification de ma paroisse, que j'ai appris à apprécier le livre dont je publie aujourd'hui la traduction, avec l'autorisation bienveillante de l'auteur. Jamais comme en me livrant à cette étude, je n'avais été frappé du caractère de grandeur et de simplicité monumentales de ce document des révélations primitives et des plus anciens souvenirs de l'humanité. A côté d'admirables caractéristiques des patriarches et d'une foule de vues profondes sur le développement du règne de Dieu, j'ai trouvé dans l'ouvrage de M. Thiersch une richesse extraordinaire d'applications pratiques. Je ne connais pas de recueil de sermons qui le surpasse à cet égard. Aussi est-ce aux prédicateurs, avant tout, que j'offre ce volume, persuadé qu'ils y trouveront, comme moi, une nourriture saine et forte à distribuer à leurs troupeaux. Ils reconnaîtront bien vite qu'ils n'ont pas à faire ici à un esprit d'une portée ordinaire, mais à une intelligence élevée, d'une originalité souvent géniale, et dont la haute culture classique se fait sentir partout. M. Thiersch est un maître aussi bien pour la solidité du fond que pour le soin et la beauté de la forme. Son style se distingue par une remarquable clarté et une concision digne de Tacite, que j'aurais voulu pouvoir, mieux que je n'ai su le faire, conserver dans la traduction.

Heinrich-W.-J. Thiersch est né à Munich, en 1817. Il était le fils aîné du célèbre philologue Friedr. Thiersch. Atteint dans son enfance d'un mal douloureux qui ne l'empêchait pourtant pas de se livrer à l'étude, il acquit de bonne heure une maturité et une culture scientifique peu communes. A 22 ans il était docteur en théologie et donnait des cours à Erlangen. A la même époque, il épousait l'une des filles de Chr.-H. Zeller, le pédagogue chrétien bien connu, de Beuggen. En 1843, il devint professeur à l'université de Marbourg, qu'il dut quitter en 1849. Il a habité, dès lors, sans revêtir de nouvelles fonctions publiques, Munich, Augsbourg et enfin Bâle, où il réside actuellement.

L'activité littéraire de M. Thiersch a été longue et variée. Il débuta par la théologie proprement dite. Personne peut-être n'a fait de nos jours une étude plus complète et plus approfondie des Pères de l'Eglise. Cette étude le mit en état, tout jeune encore, de lutter le premier et avec succès contre le chef de la nouvelle école critique, Ferd.-Christian Baur. Son Versuch zur Herstellung des historischen Standpuncts für die Critik der neutestam. Schriften (1845) lui valut une très vive réplique de Baur, à laquelle il répondit à son tour dans ses Einige Worte über die Echtheit der neutest. Schriften und ihre Enueisbarkeit aus der ältesten Kirchengeschichte (1846). A côté de travaux en latin sur l'épître aux Hébreux, la version alexandrine du Pentateuque et le discours d'Etienne (Actes ch. 7), M. Thiersch a publié un important ouvrage sur le siècle apostolique : Die Kirche im apostolischen Zeitalter und die Entstehung der neutestam. Schriften (3e éd., 1879).

Dans le domaine des questions pratiques et ecclésiastiques, je nommerai, entre autres écrits sortis de sa plume, les suivants : Vorlesungen über Catholicismus und Protestantismus (2e éd., 1848) ; Döllingers Auffassung des Urchristenthums (1861) ; Ueber den christlichen Staat (1875) ; Das Verbot der Ehe innerhalb der nahen Verwandschaft (1869) ; et surtout l'excellent petit écrit : Ueber christliches Familienleben (7e éd., 1876), qui, je l'espère, ne tardera pas à paraître en français.

Enfin, M. Thiersch est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages d'édification (Beiträge zum Verständniss der christl. Lehre, 1858 ; Die Gleichnisse des Herrn nach ihrer moralischen und prophetischen Bedeutung betrachtet, 1875 ; Die Bergpredigt und ihre Bedeutung für die Gegenwart, nouvelle éd. 1878 ; Ueber die Gefahren und Hoffnungen der christl. Kirche, 2e éd., 1878 ; etc.) et d'écrits historiques ou biographiques (Griechenlands Schicksale vom Anfang des Befreiungskrieges, 1863 ; Luther, Gustav-Adolf und Maximilian I. von Baiern, 1869 ; biographies étendues de son père, de son beau-père et du professeur E.-A. von Schaden ; conférences sur Mélanchton, Wesley, Lavater, etc.).

Il m'est impossible de passer sous silence le fait le plus caractéristique de la carrière de M. Thiersch, son entrée dans l'Eglise « apostolique, » communément appelée irvingienne. Je le puis d'autant moins, que l'influence des doctrines de cette Eglise se fait, quoique avec une grande réserve, sentir dans les pages qu'on va lire. Son adhésion à l'irvingianisme a coûté à M. Thiersch sa position de professeur à Marbourg, et lui a imposé des sacrifices de plus d'un genre. Dès longtemps frappé et affligé du triste état de l'Eglise, il avait cru reconnaître l'intervention du Seigneur dans l'œuvre « apostolique » qui se poursuivait depuis 1830 en Ecosse et en Angleterre et à laquelle son principal fondateur, le pasteur Edouard Irving (mort en 1834), a donné son nom. Il s'y rattacha formellement en 1847, et jusqu'à ces dernières années il a rempli diverses charges dans cette Eglise.

Je n'ai pas à examiner ici les principes de l'Eglise irvingienne, qui a rétabli les charges de l'Eglise primitive et en particulier l'apostolat, et dans le sein de laquelle se sont produits des phénomènes que ses adeptes envisagent comme une résurrection des dons miraculeux du premier siècle. On comprendra, sans que j'aie besoin d'insister, qu'en traduisant l'ouvrage de M. Thiersch, je n'ai point entendu me rendre solidaire des vues propres à l'irvingianisme que l'on y rencontrera quelquefois. Quant à la préoccupation dominante du retour de Christ, que l'irvingianisme envisage comme très prochain, il ne saurait être inopportun de la replacer devant les yeux de notre chrétienté, surtout quand on sait en tirer des leçons aussi saisissantes que celles qu'y puise M. Thiersch.

On reconnaîtra d'ailleurs chez lui l'esprit toujours large et élevé de la vraie catholicité chrétienne, bien éloigné de toute préoccupation sectaire. Peut-être lui reprochera-t-on d'abuser de l'allégorie. Mais, là même où il semblera dépasser la mesure, la vérité et le sérieux des applications au temps présent, la fermeté et la lucidité des jugements, feront taire la critique. Je n'ai pas besoin de recommander à l'attention du lecteur la préface dans laquelle l'auteur expose ses vues sur l'interprétation de l'Ancien Testament.

Je dois encore au lecteur une courte explication sur mon travail de traducteur et sur les notes dont j'ai fait suivre les discours de M. Thiersch. L'ouvrage allemand a été condensé dans la traduction, sans qu'aucune pensée de quelque importance ait disparu. Quant aux notes, elles n'ont pas plus la prétention d'être complètes que celle de donner les résultats de recherches originales. Sans traiter aucune des questions théologiques et critiques qui se posent à l'occasion de la Genèse, j'ai cru rendre service à quelques personnes en réunissant, sur certains points importants, des renseignements de fait empruntés aux derniers travaux de la science et propres à compléter l'explication pratique du texte sacré.

Que le Seigneur veuille bénir ce travail entrepris en vue de l'édification de son Eglise !

Le 30 novembre 1881.

G. G.
◊ Préface de l'Auteur

L'explication de l'Ecriture sainte réclame le concours de forces multiples et variées. La connaissance toujours plus exacte des langues dans lesquelles elle a été écrite et l'étude approfondie du milieu historique d'où sont sortis les divers livres qui la composent, sont l'une et l'autre indispensables. Je ne suis pas demeuré étranger à ce travail de la science. Mais il y a encore une autre tâche à remplir, celle de retrouver et d'appliquer à l'instruction et à l'édification de l'Eglise les vérités divines renfermées dans la Bible. C'est à cette dernière que le présent écrit est exclusivement consacré.

On aurait tort de croire que l'Ancien Testament ne se prête pas comme le Nouveau à cet usage, ou que du moins on ne puisse trouver d'édification que dans les Psaumes et dans les écrits des prophètes, à l'exclusion des livres historiques et en particulier du plus antique et du plus admirable de tous, la Genèse. Ce livre, confié à Israël comme un trésor de traditions authentiques et de divines révélations, et soigneusement conservé par les Juifs ainsi que les autres livres de l'ancienne alliance, a été transmis par eux sans altération à l'Eglise chrétienne. Celle-ci a appris de Jésus et des apôtres à envisager l'Ancien Testament comme le document fidèle de la révélation divine, et à ne l'aborder qu'avec respect et avec la plus entière confiance dans son contenu (Matth.5.17-49 ; Luc.16.17 ; 24.44-45 ; Jean.10.35 ; 2Tim.3.16-17).

Les écrits de l'Ancien Testament sont pour l'Eglise une source inépuisable d'édification ; ils doivent être lus et expliqués dans ses assemblées. C'est ce qui a eu lieu dès les premiers temps, et l'antique liturgie de l'Eglise d'Espagne fait précéder chaque dimanche l'évangile et l'épître du jour d'une section de l'Ancien Testament. Si, comme cela devrait être, l'Eglise se rassemblait quotidiennement devant Dieu, l'Ancien Testament tout entier, à l'exception d'un petit nombre de morceaux, pourrait et devrait être lu et médité dans le culte. Qu'on l'étudie dans un esprit de prière et de respect, avec un désir sincère d'être sanctifié, et l'Esprit de Dieu, qui en a inspiré et guidé les auteurs, saura en rendre le contenu clair et vivant pour l'Eglise et l'attacher aux saints livres ce qu'il peut avoir à lui dire.

Les méditations qu'on va lire sont nées du devoir qui m'était imposé d'expliquer l'Ancien Testament pour l'édification d'une communauté chrétienne. J'ai cherché à rendre, sans phrases ni développements scientifiques, sous une forme simple et accessible à tous, ce que je puis avoir reçu, de lumières sur le plus ancien de nos saints livres, dans le désir d'être utile au-delà du cercle restreint où ces discours ont pris naissance.

Nous allons considérer la Genèse dans sa signification morale et prophétique. Ce double point de vue réclame quelques développements.

L'histoire biblique est riche en contenu édifiant. Quiconque a été appelé à l'enseigner aux enfants ou à l'expliquer aux adultes, s'en est convaincu. Il n'est nullement nécessaire d'ôter aux récits leur sens simple et naturel, pour en faire sortir de nombreuses applications à la vie chrétienne. Les caractères et les actes des personnages sont autant d'exemples à fuir ou à imiter ; les dispensations de Dieu, que la suite des événements révèle, sont une ample source de consolation et d'encouragements. C'est là le point de vue de l'explication morale, qui s'en tient au sens littéral et au contenu historique du texte. C'est de cette manière que Luther a traité la Genèse dans son grand Commentaire, où il a emprunté tant de choses excellentes à Jérôme, à Augustin et à d'autres Pères, et qui peut être envisagé comme le plus mûri et le plus solide de ses ouvrages. On s'apercevra sans peine que je lui dois beaucoup.

Mais, à côté de ce sens pratique, je me suis appliqué à relever aussi cet autre sens plus profond de l'histoire et des textes sacrés que l'on appelle le sens mystique, spirituel, typique, — il serait plus exact de dire prophétique. La tentative n'est pas nouvelle. Les écrits des plus anciens Pères prouvent que l'Eglise des premiers siècles a vécu comme dans son élément dans l'interprétation prophétique de l'Ancien Testament. Origène peut avoir erré en mêlant des idées néoplatoniciennes au système chrétien ; il n'en est pas pour cela moins digne de foi quand il nous rapporte les opinions admises de son temps. On sait que dans l'introduction de son livre des Principes, il donne un résumé de ce que toute l'Eglise proclamait comme doctrine apostolique ; il termine cet exposé en énonçant la thèse que les livres saints, outre leur sens littéral et accessible à tous, en ont un autre plus profond, caché à la multitude et que le Saint-Esprit seul peut révélera. On comparait le sens littéral au feuillage du cep, le sens spirituel au fruit qui se cache derrière les feuilles ; en écartant celles-ci, on trouve le fruit exquis.

La Bible elle-même nous autorise et nous invite à l'expliquer de cette manière. Les lettres des apôtres sont pleines d'explications prophétiques de l'Ancien Testament, et cela aussi bien à propos des parties purement historiques que des morceaux symboliques par leur nature même. Saint Paul pose le principe de l'interprétation prophétique dans ces paroles que l'on regarde avec raison comme l'une des principales preuves de l'inspiration de l'Ancien Testament : « Demeure ferme dans les choses que tu as apprises, sachant de qui tu les as apprises, et que dès ton enfance tu as la connaissance des saintes lettres qui peuvent t'instruire pour le salut par la foi en Jésus-Christ. Toute Ecriture (toutes les parties de l'Ancien Testament) est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger et pour instruire dans la justice, afin que l'homme de Dieu (le serviteur de Christ appelé à instruire et à guider les autres) soit accompli et propre à toute bonne œuvre » (2Tim.3.14-17). D'après ces paroles, l'inspiration de l'Ecriture se démontre par l'édification que le contenu des saints livres procure aux croyants. Le terme théopneustosb, qui proprement se dit d'un homme animé de l'Esprit divin et comme pénétré par le souffle de Dieu, est appliqué ici par extension aux écrits des hommes inspirés. Ainsi, d'après l'idée biblique de l'inspiration, l'Ancien Testament tout entier doit être pour les serviteurs de Christ et pour les troupeaux qui leur sont confiés une source de salutaire instruction. Mais si l'on s'en tient au sens historique et littéral, il s'y rencontre des parties stériles et même des pierres de scandale, dont il ne me semble pas qu'un saint Paul lui-même ait pu tirer parti pour l'édification de l'Eglise autrement qu'en recourant à l'interprétation prophétique. Ces exemples montrent que l'inspiration divine de l'Ancien Testament n'implique pas seulement l'exactitude historique, mais qu'un de ses éléments essentiels est ce sens prophétique et caché dont nous parlons. Je crains que si l'interprétation mystique vient à être négligée ou même entièrement mise de côté, la foi à l'inspiration elle-même ne soit compromise et ne puisse à la longue pas se maintenir.

On ne saurait douter que les Psaumes, les prophéties, les cérémonies de la Loi, ne demandent à être expliqués spirituellement ; il en est de même de l'histoire de l'ancienne alliance. Dans ce dernier domaine, nous ne sommes pas tout à fait sans fil directeur : nous n'avons qu'à suivre fidèlement les indications qui nous sont données dans le Nouveau Testament.

Paul, dévoilant le sens prophétique de l'histoire d'Agar et de Sara, a employé le mot « allégorie » (Gal.4.24). Il veut dire que le sens apparent du récit n'est pas le seul ; qu'il y en a un autre plus important encore ; que dans cette histoire se reflète un mystérieux dessein de Dieu, lequel ne peut être compris que depuis qu'il s'accomplit en Christ et dans l'Eglise, et grâce à la lumière du Saint-Esprit.

L'explication allégorique a été discréditée par l'abus qu'on en a fait trop souvent. Il ne pouvait guère en être autrement. L'esprit prophétique que l'Eglise a reçu à son origine, devait lui dévoiler le sens profond des Ecritures. Ce don ayant diminué sans qu'on eût pour cela cessé de croire au sens mystique de l'Ecriture et renoncé à le comprendre, la fantaisie prit la place de la prophétie, et l'interprétation allégorique ne fut plus, dans bien des cas, qu'un jeu d'imagination. Mais ici comme ailleurs il convient de se souvenir que l'abus d'une chose ne nous autorise pas à en proscrire l'usage et ne nous défend pas d'en rechercher l'acquisition.

La véritable interprétation prophétique ne sera jamais la négation du sens historique. La prophétie doit, dans l'Eglise, être réglée par l'analogie de la foi (Rom.12.6). Tout développement du sens caché de l'Ecriture doit être en harmonie avec les vérités explicitement enseignées. Non seulement il ne doit pas les contredire, mais il doit se mouvoir entièrement dans les limites de la doctrine positivement révélée et n'introduire aucun élément étranger dans la foi de l'Eglise. La seule interprétation digne de ce nom est celle qui envisage tout en partant du vrai centre : Christ et son Eglise. C'est le plan de Dieu réalisé en Christ et dans l'Eglise que l'interprétation prophétique de l'Ancien Testament a pour but d'éclairer. L'objet des promesses et dés révélations divines, en effet, c'est Christ — j'entends le Christ complet, chef et membres tout ensemble, dont Paul parle 1Cor.12.12 ; Gal.3.16, — ce « serviteur de l'Eternel » que contemplait Esaïe, — Christus explicatus, comme s'exprime Tertullien.

Le moyen-âge a souvent abusé de l'interprétation allégorique, en cherchant à démontrer par ce moyen des doctrines qui n'ont d'ailleurs aucun fondement dans la Bible. C'est avec raison que Luther repousse l'allégorie comme moyen de démonstration dans les choses de la foi. Il ne veut cependant pas la bannir entièrement ; il admet qu'on puisse s'en servir dans l'exposition de la doctrine biblique ; mais sa place est, selon lui, non dans la dialectique, mais dans la rhétorique.

L'ancienne théologie protestante fit d'abord peu de cas de l'interprétation mystique. Ce furent les théologiens réformés qui les premiers se remirent à cultiver ce champ abandonné. Ils avaient sur les Luthériens cet avantage, que dans leurs Eglises on chantait les Psaumes, et que, n'étant pas lié par les péricopes, on y prêchait plus fréquemment sur des textes de l'Ancien Testament. L'intelligence de l'Ancien Testament et de son sens prophétique se maintint ainsi plus vivante. Coccéius et Vitringa ont fondé parmi les Réformés, Bengel et Crusius chez les Luthériens, une théologie prophétique. Lorsque, plus tard, à la suite de l'aplatissement qui marqua tout particulièrement dans ce domaine le règne du rationalisme, un nouveau réveil se fit sentir, des hommes comme Menken, Hengstenberg, Bähr, Olshausen, Conrad Hofmann, Delitzsch, Michel Baumgarten et d'autres théologiens croyants, ravivèrent et firent progresser l'intelligence des types de l'Ancien Testament et de la relation intime qui existe entre l'histoire et la prophétie.

C'est pendant les années 1835 à 1837 que je fus initié à la théologie prophétique par mes maîtres, Olshausen et Conrad Hofmann. Les principes qu'ils m'ont enseignés et pour lesquels je leur suis reconnaissant, sont d'une manière générale ceux que je professe encore aujourd'hui. Plus tard, étant entré en relation avec les communautés apostoliques, j'y ai trouvé une mesure plus abondante d'intelligence prophétique, en même temps que la vraie constitution de l'Eglise. Je désire faire part ici, en ce qui concerne la Genèse, des lumières que j'ai reçues peu à peu par ces diverses voies ; non, cela va sans dire, en reproduisant servilement, mais en m'appropriant et élaborant librement ce que j'ai reçu. La responsabilité de ce livre m'appartient donc tout entière. Les lecteurs jugeront, par le plus ou moins de valeur de mes explications, si les maîtres que j'ai suivis étaient bien ceux qu'il fallait écouter.

On objectera peut-être que ce livre renferme bien des choses qui ne sont plus de l'explication, mais de l'application. J'en conviens. J'avoue ne pouvoir en bien des cas fixer la limite précise qui les sépare l'une de l'autre. Mais je ne crois pas qu'il en résulte des inconvénients. L'explication d'un écrit quelconque prétend déterminer exactement le sens que l'auteur a lui-même attaché à ses paroles ; elle s'en tient là et écarte toute application étrangère à l'intention de l'auteur. Ce principe est aussi celui qui régit l'interprétation grammaticale et historique de la Bible, laquelle s'en tient strictement au sens que l'auteur humain de tel ou tel livre a voulu exprimer. Mais l'Ecriture présente une particularité qui lui est propre : c'est que souvent l'Esprit divin a exprimé dans le texte sacré plus que l'intelligence de l'auteur humain ne pouvait saisir au moment où il écrivait (1Pierre.1.10-12). C'est la tâche de la théologie chrétienne de retrouver ce sens plus profond, d'où découlent beaucoup d'applications prophétiques étrangères, il est vrai, aux préoccupations de l'écrivain sacré, mais voulues de l'Esprit qui sonde toutes choses et voit le futur comme s'il était déjà présent, lorsqu'il guidait les hommes de Dieu dans la composition des saints livres. Nous avons donc, comme théologiens chrétiens, le devoir de comprendre les paroles d'un Moïse d'une manière plus profonde que lui-même ne l'a fait. Si l'interprétation doit se proposer de développer ce qu'un auteur a voulu mettre dans son texte, toute application de l'Ecriture conforme à l'intention du Saint-Esprit méritera aussi, dans un sens large, le nom d'explication.

A mesure que je suis entré plus avant dans la signification prophétique de l'Ancien Testament, le lien intime qui l'unit au Nouveau m'est apparu toujours plus clairement, et j'ai senti s'affermir ma conviction de l'inspiration et par là même de la crédibilité de l'Ecriture sainte. Je voudrais que, ces méditations sur la Genèse pussent servir à fortifier chez quelques-uns cette conviction, aujourd'hui attaquée de tant de côtés.

Dans l'histoire de l'humanité primitive sont déjà préfigurés les desseins de Dieu qui nous ont été pleinement révélés par Christ. La vie des patriarches présente de nombreux types de la nouvelle alliance, et celle de Joseph entr'autres offre un admirable parallèle de l'histoire de Jésus et de son règne. Une harmonie si profonde ne saurait être due à un simple jeu du hasard. Il faut reconnaître et révérer l'action de la Providence divine dans ces faits typiques et dans la manière dont ils nous sont rapportés.

Ma croyance à l'inspiration de l'Ancien Testament ut la méthode d'interprétation à laquelle elle me conduit, sont en contradiction avec la conception mythique aujourd'hui si répandue, mais non pas avec les résultats de la science historique et critique. Il ne faut pas marchander à celle-ci la place à laquelle elle a droit. Il est de notre devoir d'étudier toujours mieux les langues originales de la Bible ; il n'est pas moins légitime et nécessaire de rechercher avec soin les circonstances historiques dans lesquelles sont nés les livres bibliques. Tout fait nouveau mis au jour doit être accueilli avec reconnaissance. Toutefois qu'on nous permette de distinguer entre ce qui est fait bien constaté et ce qui est pure hypothèse. On sait combien sont subjectives et fragiles, dans la plupart des cas, les opinions des critiques. On n'ignore pas combien aisément les savants perdent de vue la limite entre les faits observés et la simple conjecture. Comme on s'exagère volontiers la valeur d'une idée à laquelle vous a conduit une étude laborieuse ! Tant de temps et de travail resteraient-ils donc sans résultat ? Dans l'assurance avec laquelle bien des critiques soutiennent leurs hypothèses, il y a quelque chose de la prédilection naturelle que l'on éprouve pour l'enfant délicat qui vous a coûté beaucoup de soins et de peines. Seulement la critique devrait comprendre qu'elle ne peut réclamer de nous pour ses produits les mêmes sentiments maternels.

Si on laisse à leurs auteurs les nombreuses hypothèses, soit positives, soit négatives, pour s'en tenir à ce qui est sûrement démontré, la crédibilité de l'Ecriture ne court aucun danger sérieux. Pour ce qui concerne la Genèse et les diverses sources auxquelles son auteur a puisé, les résultats de l'analyse critique, bien compris, ne sont nullement en contradiction avec l'inspiration. Je puis, sur ce point important, m'en référer à Delitzsch, avec qui je suis heureux de me sentir en complet accord.

La conception mythique ne repose pas sur des preuves historiques ; elle n'a d'autre fondement que l'opinion préconçue que même dans les âges primitifs il ne peut y avoir eu ni révélation surnaturelle ni intervention directe de Dieu ; en d'autres termes, ni miracle ni prophétie. Nous n'avons jamais songé à condamner les recherches philologiques ou historiques ; ce que nous repoussons, c'est l'intrusion de ces présuppositions erronées.

Ce point de vue mythique est en étroit rapport avec la manière profane de traiter l'Ancien Testament qui a prévalu chez les théologiens protestants, et à laquelle se prêtent même des hommes qui veulent retenir encore quelque chose du contenu divin du Nouveau Testament.

Je n'ai point qualité pour décider quelle part de responsabilité tel ou tel peut avoir dans de pareils errements. Ce qui est incontestable, c'est que la principale cause de ces écarts est l'état général de l'Eglise et particulièrement de l'Eglise protestante d'Allemagne. Pour sentir vivement le contenu divin de l'Ancien Testament, il faut lire saintement les saints livres ; il faut s'asseoir humblement aux pieds du Maître et avoir soif de la lumière et de la sainteté dont lui seul est la source. Je n'ai pas besoin de dire combien rares sont ceux qui lisent l'Ancien Testament dans cet esprit et qui en font le seul usage qui soit agréable à Dieu et vraiment béni. Il y a des théologiens qui ne l'ont jamais lu pour leur édification. Toutes les fois qu'ils s'en sont occupés, ils l'ont fait dans un esprit profane et dans un tout autre but que celui de grandir dans la connaissance de Dieu et de sa volonté. Le contenu divin du saint livre ne peut être compris qu'à la lumière du sanctuaire. Plusieurs, peut-être la plupart de nos exégètes et de nos critiques, ne l'ont jamais considéré qu'à la lumière de leur pauvre lampe d'étude. Il n'est pas surprenant qu'une intelligence vivante et spirituelle, et par là même une juste appréciation de l'Ancien Testament, leur fasse défaut. Ils ressemblent à un botaniste qui — à supposer que ce cas pût exister — n'aurait jamais vu une plante vivante et ne connaîtrait le monde végétal que par les exemplaires séchés dans un herbier. L'un des caractères distinctifs de l'Ecriture, c'est qu'elle se révèle vivante, vivifiante et lumineuse à l'âme qui connaît la vie en Dieu, tandis qu'elle demeure une lettre morte pour qui est spirituellement mort, qu'elle reste fermée à l'indifférent, et que l'orgueilleux se sent repoussé par elle. On peut lui appliquer ce que le Psaume 18 dit de Dieu : « Avec celui qui est pur, tu te montres pur ; mais avec le pervers, tu agis selon sa perversité. »

Le récit mosaïque des origines du monde est aujourd'hui l'objet d'attaques très vives. La littérature allemande semble prendre en général, à l'égard de l'Ancien Testament, une attitude analogue à celle de la littérature française au temps de Voltaire. On s'autorise des progrès des sciences naturelles pour porter les jugements les plus méprisants sur la cosmogonie biblique. Et cependant nous avons pleinement le droit de maintenir tout ce que la Genèse enseigne sur la création, l'unité de la race humaine, le paradis, la chute, le déluge, la dispersion des peuples. On prétend y substituer des notions toutes différentes et même opposées sur les origines de la terre et de l'humanité : notre devoir est d'examiner avec soin si elles reposent sur des faits ou sur de simples hypothèses. Nous saluons avec reconnaissance toute donnée qui est le fruit de l'observation et de l'expérience, comme un enrichissement de la connaissance que nous avons des œuvres de Dieu. Ce n'est pas seulement un droit, c'est un devoir pour l'homme d'étudier sans relâche la nature. En disant aux premiers hommes : « Assujettissez la terre, » Dieu ne les invitait pas seulement à se l'asservir par le glaive et par la charrue, mais à s'en rendre maîtres en appliquant à la comprendre toutes leurs facultés naturelles, tout l'effort de leur intelligence et de leurs sens. Nous sommes reconnaissants aux naturalistes pour tous les faits nouveaux qu'ils découvrent. Qu'ils nous permettent seulement de mettre leurs hypothèses à la place qui leur convient, c'est-à-dire dans le domaine de l'incertain ! Car, en vérité, l'imagination ne joue pas un moindre rôle dans les théories récentes sur la formation de la terre et l'origine de l'homme que dans la critique de l'Ancien Testament. Quiconque a suivi, depuis vingt ou trente ans, le mouvement des idées à cet égard, sait combien vite une théorie est remplacée par une autre exactement contraire. Il n'en est psychologiquement que plus inexplicable qu'en dépit de ces expériences chaque théorie nouvelle soit à son tour accueillie avec la même confiance et le même enthousiasme. En se renfermant strictement dans les limites de notre connaissance actuelle de la nature et dans celles de la connaissance humaine en général, on ferait preuve de plus de rigueur de pensée et de culture philosophique qu'en acceptant, avec la précipitation qui est de mode aujourd'hui, les solutions les moins mûries de l'énigme de l'univers.

L'étude vraiment scientifique de la nature ne peut causer aucun dommage à la révélation ni à la foi en la révélation. Elle reconnaît, au contraire, un domaine sur lequel la lumière nous fait défaut et ne peut nous être communiquée que par révélation. Ici encore le danger n'est pas dans les progrès de la science, mais dans les préjugés philosophiques qu'on y mêle. Les fausses théories sur la formation du monde, de la terre et des organismes, et sur l'origine de la race humaine, ont leur source dans les préventions qui existent contre la croyance à la création et au Créateur. Et cependant, sans cette croyance, on ne réussira jamais à se faire du commencement des choses une idée satisfaisante pour la pensée. On croit pouvoir se passer de l'acte créateur en expliquant tout par l'évolution et en assignant à celle-ci un nombre incalculable de siècles. Mais tout développement, si lent qu'il puisse être, suppose un point de départ, — qu'on se le représente sous la forme de la nébuleuse primitive tournant sur elle-même, ou sous n'importe quelle forme, — et à ce point de départ se retrouve toujours le même miracle créateur auquel on voulait échapper. Pour être reculé de quelques millions d'années, le mystère de l'apparition de la vie et de la formation des premiers organismes au sein de la nature inorganique, n'en demeure pas moins sans solution. Les gnostiques, qui mettaient au point de départ un monde de lumière et de perfection, pensaient expliquer l'origine du mal dans le monde actuel par l'interposition d'une série indéfinie d'émanations de moins en moins parfaites. L'énigme n'était pas résolue pour cela. Nos savants tombent dans une illusion toute semblable, quand ils croient, par leurs incommensurables périodes de développement, avoir écarté le miracle créateur. Supposer un commencement qui renfermerait en germe tout cet univers, avec l'infinie richesse de vie et de formes qui s'y déploie, c'est admettre un miracle tout aussi grand que celui de la formation du monde dans une période relativement courte par la parole du Tout-Puissant.

L'astronomie nous a donné des dimensions de l'univers une idée bien plus grande que celle que s'en faisait l'antiquité et qui s'exprime dans la Bible elle-même. Il n'y a rien là non plus qui puisse mettre en péril l'autorité de l'Ecriture. En éclairant l'homme par la révélation sur son essence et ses desseins, Dieu lui a laissé le soin de déchiffrer la nature, pour autant du moins qu'elle peut être pénétrée par l'intelligence de la créature. L'éloignement, la grandeur, les mouvements des astres, la formation de la terre, la place qu'elle occupe dans le système du monde, — ce sont là autant de sujets dont l'étude est abandonnée à l'homme. Un enseignement surnaturel qui aurait anticipé les résultats de cette étude, n'aurait probablement pas contribué au salut éternel de l'homme et peut-être n'aurait pas même réussi à se faire accueillir. Mais, à côté de ce domaine de la nature, il y en a un autre, sur lequel nous demanderions en vain la lumière à notre raison ou à nos sens. Ce qu'est Dieu, pourquoi il a créé l'homme, ce qu'il réclame de nous, quels sont ses sentiments à notre égard, ce qu'il veut faire pour nous et comment il se propose de nous conduire à notre éternelle destination, — voilà des questions que toute l'intelligence des intelligents est impuissante à résoudre. Le plan de Dieu pour notre salut est l'objet propre de la révélation, et la Genèse aussi est principalement destinée à nous éclairer à cet égard. Nos opinions sur l'organisation du monde visible peuvent se modifier, sans que les vérités révélées soient remises en question, ou que notre foi dans la véracité, la justice et l'amour de Dieu, et dans notre salut et notre gloire à venir, soit ébranlée. Si les miracles de la création nous apparaissent aujourd'hui plus grands qu'autrefois, les miracles de la grâce et de la rédemption se révèlent aussi à nous plus grands et plus merveilleux. Les antiques hymnes de louange, Psaumes 8 et 19, n'ont pas pour cela perdu leur valeur : ils reçoivent au contraire une signification nouvelle et plus profonde.

Je ne puis terminer sans dire encore un mot de la doctrine qui forme le contraste le plus absolu avec la vérité biblique, je veux dire le matérialisme moderne. La conception matérialiste n'est pas le fruit d'un progrès, mais d'un arrêt de la pensée philosophique. Loin de nous apporter des lumières nouvelles, le matérialisme renonce à toute espèce d'explication des mystères qui nous entourent de toutes parts dans la nature et dans la vie. La propagation des idées matérialistes n'annonce point un effort vigoureux de la pensée ; elle est bien plutôt le symptôme d'un affaissement des esprits. Le matérialisme dégrade l'homme non seulement, comme cela saute aux yeux, sous le rapport moral, mais aussi sous le rapport intellectuel. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'animalisation de l'homme est mise en pratique. Ce qui est relativement nouveau, ce qui est dangereux, c'est qu'on ose la poser en théorie et qu'on cherche à tuer par là dans les âmes le sentiment de la dignité humaine.

Phénomène étrange et sinistre ! Ce sont ceux-là mêmes qui font sortir l'homme de l'animalité par une évolution graduelle, qui proclament aussi très haut cette autre hérésie : que l'homme, au lieu d'être une créature, est lui-même l'être suprême. Ils placent ainsi, dans leur pensée, l'animal sur le trône de la divinité ; et le temps viendra sans doute où l'on voudra faire passer dans les faits ces conceptions morbides d'une raison obscurcie, et où, tout en faisant de l'homme un animal, on réclamera pour lui des honneurs divins ! C'est ainsi que ces théories viennent confirmer, sans que leurs auteurs s'en doutent, la Parole de Dieu qu'elles prétendent anéantir. Car ce terme effrayant, auquel doit aboutir la révolte de l'humanité contre le Christ, est depuis longtemps prédit dans les livres prophétiques. Jean ne contemple-t-il pas l'homme de péché, l'Antéchrist des derniers temps, sous la forme d'une bête féroce qui se met à la place de Dieu et reçoit l'adoration des habitants de la terre (Apoc.12.1-9 ; 2Thess.2.3-12) ?

Les erreurs du matérialisme sont des inspirations de l'esprit malfaisant, qui incessamment travaille à la destruction du bien et qui se fait de tant d'esprits des instruments en les poussant vers un terme dont la plupart jusqu'ici n'ont pas conscience. En regard de ces tendances, le prix inestimable de la vérité révélée nous apparaît plus clairement que jamais. L'homme n'est pas dieu, il est créature ; il dépend de Dieu comme un faible enfant dépend de son père ; — l'homme n'est pas un animal, il y a entre lui et les créatures inférieures une différence essentielle : il est créé à l'image de Dieu ; Dieu veut se révéler en lui et par lui ; il est appelé à une destinée éternelle. Cette doctrine est la seule qui sauvegarde la dignité de l'homme, tout en établissant sa responsabilité. N'oublions pas à qui nous devons ces vérités. La seule doctrine de la création, qui soit digne à la fois de Dieu et de l'homme, est celle qu'enseigne la Genèse, ce « document le plus antique du genre humain. »

Herder tentait il y a un siècle de prouver, contre l'incrédulité de son temps, quel trésor nous possédons dans ce document ; il montrait la beauté poétique et la profonde vérité psychologique des premiers chapitres de la Genèse ; son travail conserve aujourd'hui encore toute sa valeur. Mais il ne s'était point proposé de montrer l'accord entre le récit mosaïque de la création et les résultats de l'astronomie et de la géologie. Ce dernier point de vue a suscité de nombreux travaux dans ces derniers temps. Il suffit de rappeler les ouvrages d'A. Wagner, de Rougemont, de Kurtz, de Delitzsch, de Reusch et de tant d'autres.

On peut comparer la Genèse à un temple devenu presque inaccessible, grâce aux décombres que l'incrédulité, l'ignorance et le préjugé ont accumulés tout à l'entour. Il faut quelque effort pour écarter ces obstacles, aplanir l'entrée, purifier le seuil et faire paraître l'édifice dédaigné dans sa beauté et son harmonie premières. Cela fait, il faut savoir se souvenir de la véritable destination du temple et entrer dans le sanctuaire, pour y goûter et y adorer la présence de Dieu. Le travail pénible et parfois désagréable du déblaiement est celui qu'accomplissent les savants, polémistes ou exégètes. Qui ne leur en serait reconnaissant ? Mais il faut aussi que d'autres, à côté d'eux, soient là pour inviter à entrer dans le sanctuaire, et pour aider ceux qui y sont disposés à reconnaître et à admirer le plan divin qui s'y révèle. Telle est la tâche à l'accomplissement de laquelle je désire contribuer pour ma part. Puisse mon travail n'être pas trouvé sans valeur et sans fruits ; et Dieu veuille l'accueillir avec faveur comme une faible contribution à la gloire de son nom !

Augsbourg, jour de la Toussaint, 1869.

◊ ILa CréationGen. 1.1 à 2.3

Les prophètes ont contemplé par l'Esprit-Saint l'avenir du règne de Dieu. C'est par le même Esprit que Moïse, ou l'un des patriarches qui ont vécu avant lui, eut le privilège de contempler et de décrire les grandes œuvres de Dieu dans le passé. Quel que soit le nom de celui qui a consigné l'histoire de la création, ceci est certain : une telle histoire n'a pu être connue que par révélation. Où étais-tu quand je posais les fondements de la terre ? » dit l'Eternel à Job (Job.38.4). Ces scènes grandioses, dont aucun homme n'a été témoin, le Seigneur les a fait passer devant les regards du Voyant.

Cette révélation n'est point destinée à nous apprendre en détail l'histoire de la nature, que nous pouvons étudier nous-mêmes sans le secours de l'Esprit-Saint, mais à nous faire connaître, craindre, aimer et servir Dieu, en nous dévoilant sa puissance, sa bonté, sa sagesse, son amour éternels. De ce tableau si riche, nous ne relèverons que les traits principaux qui l'éclairent tout entier.

I

L'Esprit-Saint nous apprend avant tout à qui nous devons tous les bienfaits de l'existence, qui nous a préparé la terre pour demeure et procuré l'aliment nécessaire, qui nous a créés et qui nous conserve. C'est du Père céleste que vient tout cela, et de sa parole créatrice qui agit aujourd'hui comme au premier jour. Tout ce que nous avons est un don gratuit de sa pure et paternelle bonté. Le plus petit enfant parmi nous qui a appris à répéter : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, Créateur des cieux et de la terre, » en sait plus long que le plus sage des philosophes grecs, auxquels manquait cette lumière de la révélation qui nous éclaire dès notre enfance. Les sages de l'antiquité ont pensé connaître Dieu ; ils ont ignoré que sa volonté a tiré l'univers du néant et qu'il a créé toutes choses par son Fils, par cette Parole « qui était au commencement, » par cette éternelle Sagesse qui parle dans le livre des Proverbes (Pro.8.22-31) : « L'Eternel m'a possédée dès le commencement de ses voies ; avant qu'il fît aucune de ses œuvres, j'étais là. Quand il compassait les fondements de la terre, j'étais à l'œuvre auprès de lui, et je faisais tous les jours ses délices. » Ils n'ont pas compris d'où vient la mort et son cortège de maux ; ils n'ont pas vu que l'œuvre de Dieu, telle qu'il l'avait faite, était très bonne, et que la mort est entrée dans le monde par le péché de la créature. Nous qui savons tout cela, nous pouvons reconnaître dans la création la marque de la puissance, de la sagesse, de la bonté de l'Eternel et lui rendre l'honneur qui lui revient. Le premier chapitre de la Genèse est le plus antique chant de louange que le Saint-Esprit ait inspiré à la gloire du Tout-Puissant. Sachons nous y associer, avec les justes de toutes les générations ! Les quatre « vivants » de l'Apocalypse qui entonnent le Trisagionc, les vingt-quatre vieillards qui jettent leurs couronnes au pied du trône, adorent Celui qui vit aux siècles des siècles, en disant : « Tu es digne de recevoir la gloire, l'honneur et la puissance ; car tu as créé toutes choses, et c'est par ta volonté qu'elles subsistent et qu'elles ont été créées ! » (Apoc.4.9-11)

Adorer et rendre grâces ! Est-il un cœur d'homme qui ne sente cette obligation ? Le nom du Créateur et du Père n'éveille-t-il pas un écho, n'appelle-t-il pas une réponse dans toute conscience ? Nous connaissons sa voix, car nous sommes sa race. Il n'est pas loin de nous ; c'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être (Act.8.27-28). Voilà pourquoi ne pas l'adorer, ne pas le bénir est un si grand péché ; c'est celui par lequel ont débuté les égarements du paganisme et qui a été si sévèrement châtié (Rom.1.18-25). Péché qui devient plus grave encore, quand ce sont des chrétiens qui le commettent. Le châtiment, c'est un obscurcissement croissant du cœur et de l'intelligence, obscurcissement qui seul explique que des insensés osent dire ouvertement parmi nous : « Il n'y a pas de Dieu ! » (Ps.14.1).

L'incrédulité actuelle cherche à se justifier par un prétendu désaccord entre la création telle que la science nous l'a révélée et le récit que Moïse nous fait de l'origine du monde. Il est vrai que la création comme nous la connaissons aujourd'hui dépasse infiniment l'idée que l'on s'en était faite autrefois d'après le récit de Moïse, et qu'elle paraît être beaucoup plus ancienne qu'on ne l'avait admis. Mais elle en paraît d'autant plus merveilleuse au chrétien, et il n'en discerne que mieux la toute-puissance de son Auteur. La vraie cause de l'incrédulité moderne, ce n'est donc pas le progrès des sciences de la nature, c'est le déclin de la piété dans les cœurs. Et ne faut-il pas le reconnaître, — sans que cela excuse personne, — ce n'est pas sans la faute — faute grave et ancienne — de la chrétienté que la divine lumière de la conscience et de la raison s'est obscurcie chez un si grand nombre. Si Dieu daigne nous accorder une nouvelle mesure de sa lumière et de son Esprit, notre tâche sera donc de rendre grâces au Père tout-puissant en nous consacrant à lui avec une sainte joie, de célébrer ses perfections et de l'adorer dans les œuvres de sa sagesse.

II

La création terrestre a débuté par les êtres inférieurs, plantes et animaux, pour s'achever dans l'homme. Mais l'œuvre de Dieu, une fois créée, ne doit pas rester éternellement au même point ; de bonne, elle doit devenir parfaite, en s'élevant de degré en degré vers le but. « Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté » (1Jean.3.2).

L'aurore de la vie humaine fut pleine de charme et de beauté. Toutefois l'homme, créé dans l'innocence, avec la tâche de dominer la terre et les êtres inférieurs, avec les dons nécessaires pour cela, n'avait point encore atteint à la perfection que le décret éternel de Dieu lui destinait. L'Eternel avait dit : « Faisons l'homme à notre image et selon notre ressemblance, » et dès le premier jour il avait mis en l'homme le fondement de la réalisation de cette parole ; son image était reconnaissable en Adam dès la première heure de son existence. Mais la parole de l'Eternel vise plus loin  : elle est le gage de la manifestation future et parfaite de son image dans la créature, malgré l'altération de cette image causée par la chute. En créant, Dieu ne veut pas seulement, à la façon de l'artiste, montrer par son œuvre sa puissance et sa sagesse ; il veut surtout se révéler lui-même personnellement et habiter dans sa créature ; et ce n'est pas dans le monde des anges que cette révélation aura lieu, mais dans l'homme : Faisons l'homme à notre image. »

Le Fils unique, « splendeur de la gloire du Père, image empreinte de sa personne » (Hébr.1.3), est l'image éternelle et incréée du Dieu invisible. L'homme est appelé à être l'image créée et terrestre de ce même Dieu. Entre ces deux images doit nécessairement exister une similitude. Le Fils éternel est le modèle sur lequel le premier homme a été formé. Aussi Adam est-il appelé par l'Ecriture un « fils de Dieu » (Luc.3.38) et une « figure de celui qui devait venir, » c'est-à-dire de Christ (Rom.5.14). Et si l'essence intime de Dieu, son amour, sa sainteté, doit un jour être manifestée dans l'homme, la voie est déjà préparée dès la création : c'est par l'union de l'éternelle image de Dieu avec son image temporelle, ou par l'incarnation du Fils de Dieu, que se réalisera ce dessein de son amour, exprimé, dès le sixième jour du monde, dans ce mot : « Faisons l'homme à notre image. » Le séducteur de l'homme et l'homme lui-même ont fait ce qu'ils ont pu pour anéantir le dessein de Dieu ; mais sa fidélité ne s'est pas laissé ébranler par l'infidélité générale de l'humanité, et si l'exécution de son plan n'a plus été possible qu'à travers les souffrances de la mort, le Malin n'a cependant pu l'empêcher de s'accomplir. L'amour divin a goûté l'amertume de la mort et porté la malédiction en la personne du Fils devenu homme. Ainsi le Fils de l'homme a rendu à la nature humaine sa pureté au regard de Dieu ; il l'a glorifiée, en rentrant lui-même dans la gloire ; il a été en notre chair le vrai et céleste Adam, et il a réalisé cette vieille parole qui annonçait la révélation de l'image de Dieu dans l'homme.

III

Quelle a été la durée des six jours de la création, dont les trois premiers se sont écoulés avant que le soleil eût paru ? Nous l'ignorons. Mais ce qui est clairement révélé, c'est que ce grand ouvrage ne s'acheva pas d'un seul coup et ne parvint que graduellement à son terme. C'est ce dont témoigne la nature elle-même par les restes variés des âges primitifs qu'elle a conservés dans son sein, et qui prouvent que la formation de la terre et de ses habitants a parcouru les mêmes phases qui sont indiquées dans le récit de la Genèse, jusqu'au moment où enfin parut l'homme, couronnement de la création[1].

Cette œuvre a trouvé son terme dans le grand sabbat : « Dieu se reposa de toute son œuvre ; et il bénit le septième jour et le sanctifia. » Avec ce sabbat qui la couronne, elle forme un tout complet. Un autre âge du monde commence avec la chute de l'homme et sa sortie du paradis : période de labeur et de misère, qui n'est pas encore terminée. Mais ce n'est pas seulement pour l'homme qu'il y a lutte et travail : Dieu travaille aussi à vaincre la résistance de la créature, à réaliser le plan du salut et à établir son règne. Sans la révélation, nous n'aurions devant nous que la perspective désespérée de voir se prolonger indéfiniment notre misère présente jusqu'au jour où la terre, devenue un immense cimetière, n'aurait plus de place pour de nouvelles tombes. Mais, grâce à Dieu, nous savons que ce monde est destiné à un but glorieux et qu'aux siècles de peine et de travail succédera le grand sabbat : « Il reste encore un repos — une fête de sabbat — pour le peuple de Dieu » (Hébr.4.9). L'Eternel prépare une création nouvelle, et un jour elle paraîtra dans sa perfection, plus belle encore que la première. « Voici, je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre, et on ne se souviendra plus des choses passées ; elles ne reviendront plus dans l'esprit » (Es.65.17). Telles sont les promesses de Dieu. L'histoire de la première création est un gage de leur accomplissement. Le septième jour, où le Seigneur se reposa et se réjouit de son œuvre (car elle était bonne), est le type du sabbat futur. Le temps du rafraîchissement viendra de la part du Seigneur, quand il enverra son Fils du ciel pour établir le règne de la paix. Il se réjouira alors de l'œuvre de la rédemption enfin achevée, et « son repos sera gloire » (Esa.11.10) : L'Eglise des premiers-nés aura part à sa joie et à sa gloire. Satan sera lié ; il ne séduira plus les peuples ; la terre sera délivrée de l'antique malédiction, et le voile de ténèbres dont sont encore enveloppés les Gentils, sera ôté. La nouvelle création, aussi bien que la première, aura son achèvement. C'est une idée fort ancienne, que notre monde doit durer six milliers d'années, correspondant aux six jours de la création. On la trouve chez les Israélites et chez de très anciens docteurs de l'Eglise, par exemple dans l'épître dite de Barnabas. D'après l'Ecriture, le sabbat futur doit durer « mille ans » (Apoc.20.1-7). La parole : « Mille ans sont devant le Seigneur comme un jour, et un jour comme mille ans » (2Pi.3.8), s'applique donc assez naturellement à la durée du monde actuel. Quatre mille ans se sont écoulés d'Adam à Christ, plus de dix-huit cents de Christ à nos jours ; les six mille ans ne seraient pas loin de leur terme ; nous avons l'espoir que le Roi de paix sera bientôt manifesté. Mais la délivrance et la consommation des « premiers-nés » qui entreront avec lui dans son règne, doit précéder son avènement. Leur mise à part est l'événement le plus prochain dans le règne de Dieu. Et comme, au dernier jour d'une semaine, on cesse de meilleure heure le travail quotidien et l'on distribue à chacun son salaire, peut-être le Seigneur abrégera-t-il le sixième millier d'années pour se hâter de donner aux siens leur récompense. Notre réunion avec lui quand il viendra sera notre entrée dans le repos de sabbat auquel nous sommes appelés (2Thess.1.7 ; 2.1). Prenons garde ; craignons de négliger cette grande promesse, de peur que quelqu'un de nous ne demeure en arrière ! Le repos de Canaan était promis aux Israélites sortant d'Egypte ; mais, après avoir obéi pendant un temps, ils s'endurcirent et irritèrent Dieu par leur incrédulité. Il jura dans sa colère« qu'ils n'entreraient pas dans son repos. »

Dès l'âge apostolique, la chrétienté a reçu un avertissement tout pareil (Hébr.3.7-4.11). L'histoire de l'Eglise montre à quel point il était nécessaire. Il l'est surtout pour la génération actuelle. Qu'il atteigne chacune de nos consciences ! Quand le moment décisif sera là, le frère ne pourra sauver son frère ; le fond des cœurs sera dévoilé, et chacun portera son propre fardeau. « C'est pourquoi, frères, prenez garde que quelqu'un parmi nous n'ait un cœur mauvais et incrédule qui se détourne du Dieu vivant ; mais exhortez-vous les uns les autres chaque jour pendant qu'il en est temps, de peur que quelqu'un ne s'endurcisse par la séduction du péché. Efforçons-nous d'entrer dans ce repos, de peur que quelqu'un de nous ne tombe dans une semblable rébellion ! »

◊ IILe ParadisGen. 2.4-25
I

Dieu avait pourvu non seulement à ce qui était indispensable à la conservation d'Adam, mais aussi à ce qui pouvait réjouir son cœur et embellir son existence. Dans le lointain Orient, un « jardin de délices », destiné à devenir le séjour de l'homme, avait été planté par l'Eternel avec un soin particulier. L'enfant, lorsqu'il vient au monde, trouve une place toute préparée par l'amour de sa mère. De même, Dieu avait pourvu au bien-être de l'homme avant qu'il existât. A ces biens, préparés à l'avance, il voulut ajouter le plus précieux des dons : celui d'une aide semblable à lui et capable de soulager ses efforts et d'accroître ses joies en les partageant.

Cette divine prévoyance est éternelle : elle s'occupe de nous aussi. Les biens du paradis n'ont pas entièrement disparu. Si nous marchions avec Dieu, la terre parfois ne le lui céderait pas de beaucoup. C'est Dieu qui nous a donné les parents qui ont pris soin de nous et les innombrables bienfaits que nous avons reçus de leur amour. C'est lui qui envoie du ciel les saisons fertiles, la santé, la paix, la prospérité, et qui remplit nos cœurs de joie. Les bénédictions de la vie de famille, dont il a ouvert la source dans le paradis, subsistent encore, et quiconque craint Dieu peut goûter une large part du bonheur que le Père céleste nous avait primitivement destiné.

Lorsque Adam ouvrit les yeux pour la première fois ; lorsqu'il vit autour de lui le jardin de Dieu, et au-dessus de lui le ciel et ses astres ; lorsque chaque jour il put reconnaître avec quelle bonté Dieu avait pensé à lui, alors sans doute son cœur se répandit en adoration et en actions de grâces. Il en doit être ainsi de nous, chaque fois que nous jouissons des biens de Dieu et que nous puisons à la source de ses bénédictions. Pour oublier de le faire et recevoir les bienfaits sans élever nos regards vers Celui qui les donne, il faudrait que notre cœur fût bien endurci et notre conscience bien obscurcie. Si Dieu, alors même qu'il laissait les païens marcher dans leurs voies, attendait déjà d'eux adoration et reconnaissance, combien plus de nous, qui n'avons pas seulement les lumières naturelles, mais celles bien plus vives de la grâce ; de nous, à qui son amour s'est manifesté en Christ, bien plus touchant encore que pour Adam dans le paradis !

II

Le récit qui nous occupe met en pleine lumière la dignité de l'homme. Elle résulte déjà de la manière dont Dieu l'a créé. Sur un signe du Tout-Puissant, les forces vitales déposées dans le sein de la terre et des eaux avaient donné naissance aux créatures destituées de raison. L'homme est tiré de la terre, et il vit aussi de la vie primitive de la nature. Mais, après l'avoir formé de la poudre de la terre avec un art plus merveilleux que toute autre créature, Dieu souffle dans ses narines une respiration de vie et lui communique par un acte créateur le principe de la vie spirituelle qui manque aux animaux : force de la volonté pour servir Dieu librement ; lumière de la raison pour le connaître ; conscience pour entendre sa voix ; cœur pour l'aimer et l'adorer ; aptitude à devenir immortel et à transformer la vie terrestre en une vie céleste. L'homme est ainsi une « âme vivante » dans le sens le plus élevé du mot, un être capable de refléter l'image du Dieu vivant.

Sa dignité paraît ensuite dans sa communion avec Dieu. Ce Dieu n'était pour lui ni éloigné ni inconnu : il lui était apparu et lui avait parlé ; sa présence se faisait sentir à lui ; lui-même lui apprenait à le prier et à le servir, et l'instruisait de sa tâche et de ses devoirs terrestres. En paix avec lui, Adam goûtait ce bonheur de l'innocence dont une enfance pure nous offre encore aujourd'hui quelque image.

La tâche assignée à l'homme nous révèle aussi sa dignité. Formé hors du paradis, il est placé dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder ; le paradis doit s'épanouir plus magnifique sous sa main et en même temps être préservé d'un mystérieux ennemi (s'il n'y avait pas eu d'ennemi, il n'eût pas été besoin d'un gardien) ; il a puissance sur les créatures ; il pénètre leur être intime, il lit pour ainsi dire en elles ; et le nom qu'il leur donne, leur restera. Aujourd'hui, il faut qu'il les dompte par force ou par ruse ; alors Dieu les lui amenait, et elles lui obéissaient comme à leur maître et à leur protecteur. Sa mission était donc d'ennoblir toute la création qui lui était soumise et de répandre la vie du paradis sur la terre entière en consacrant la création terrestre, dont il était le chef, à la gloire du Créateur.

Lui-même enfin était destiné à s'élever à une vie supérieure. Innocent, il n'avait pas encore subi l'épreuve ; il n'était point parvenu à cet état où les enfants de Dieu « ne peuvent plus mourir, parce qu'ils sont semblables aux anges et fils de Dieu, étant fils de la résurrection » (Luc.20.36). Mais la voie lui était ouverte pour s'y élever sans passer par la mort. Il pouvait, mais il ne devait pas mourir. L'arbre de vie était dans le paradis. S'il eût été fidèle, le fruit de cet arbre, la pleine possession de l'immortalité, eût été sa récompense[2].

Cette dignité primitive de l'homme a été altérée et obscurcie de bien des manières. Admirons la fidélité de Dieu qui, malgré la chute, a maintenu sans l'amoindrir la glorieuse destination que son amour nous avait assignée. Déjà, en Christ, nous sommes élevés à un état bienheureux, et nous avons, avec une nouvelle vie, l'espérance de la gloire ; nous marchons avec Dieu par la foi ; son Esprit nous guide ; nous avons le privilège d'être en bénédiction à d'autres, et nous voyons approcher le jour où nous serons transformés à l'image du Christ glorifié et où nous atteindrons ainsi le glorieux but assigné à l'homme, lorsqu'il sortait innocent et pur des mains de Dieu.

III

Le paradis est un prélude de cette gloire future. Il n'existe plus sur la terre. Les jugements de Dieu en ont bouleversé le sol ; les flots du déluge ont ravagé le jardin d'Eden. Le nom des quatre fleuves qui en sortaient s'est conservé ; mais leur cours a été changé[3]. Ce paradis disparu ne sera pas rétabli. Sans doute, quand la terre ne sera plus maudite et que le séducteur des nations sera lié ; quand tous les peuples serviront le Seigneur et que la prophétie du Psaume 72 s'accomplira dans le royaume du Christ, la terre sera semblable à un paradis. Mais nous aspirons à quelque chose de meilleur encore ; nous tendons vers une patrie plus belle ; nous avons de plus hautes promesses. « Là où je suis, celui qui me sert y sera aussi, » a dit Jésus (Jean.12.26). Or il est, lui, dans le ciel ; s'il règne sur la terre, ce sera sans être lié à la terre. Le terme de notre pèlerinage n'est donc ni sur la terre, ni dans le monde des morts : il est dans la céleste cité, dont Dieu est l'architecte et le fondateur, dans la nouvelle Jérusalem où coule le fleuve d'eau vive, pur comme le cristal, qui sort du trône de Dieu et de l'Agneau, et où croît l'arbre de vie qui donne son fruit chaque mois et dont les feuilles servent à la guérison des nations. Là doivent habiter les serviteurs de Dieu ; ils verront sa face, et son nom sera écrit sur leurs fronts (Apoc.22.1-4). Voilà la réalité dont le paradis ancien n'est qu'une image. « Notre bourgeoisie est dans les cieux » (Phil.3.20).

Le commencement et le terme des voies de Dieu s'entre-répondent. Il est l'Alpha et l'Oméga. Ce qu'il s'est proposé au commencement, il le réalisera magnifiquement au terme. Dans le paradis céleste que nous attendons, nous verrons le second Adam, le Seigneur du ciel, et à ses côtés son Eglise sanctifiée, semblable à lui, digne d'être son Epouse, la « mère de tous les vivants » qui partagent avec lui la royauté sur les œuvres de Dieu. Ce mystère n'est pas encore révélé ; mais il est déjà une réalité. Ce qui doit être un jour, c'est ce qui est déjà maintenant.