Mémoires d’un criminologue - Laurent Montet - E-Book

Mémoires d’un criminologue E-Book

Laurent Montet

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Beschreibung

Pour la première fois, le criminologue Laurent Montet revient sur sa carrière internationale dans un récit autobiographique inédit.
Le scientifique apolitique, praticien éclectique et fervent défenseur de l’État de droit explique son engagement malgré les nombreux obstacles d’opposants. Après avoir servi la justice et les forces de l’ordre, il continue de dénoncer les graves dérives sécuritaires et politico-commerciales qui ont contribué à entraver sa vie professionnelle et qui gangrènent les coulisses du pouvoir en France.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Laurent Montet est journaliste d’investigation et chercheur indépendant. Docteur en criminologie à l’Uniludes en Suisse, il est spécialisé dans le renseignement et l’analyse comportementale, après vingt-deux ans passés à servir diverses autorités de par le monde. Membre de Transparency International et de la Maison des lanceurs d’alerte, il dénonce les affaires sensibles sur le site lm-media-libre.fr.

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Laurent Montet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémoires d’un criminologue

Justice faussée, République dévoyée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Laurent Montet

ISBN : 979-10-377-7871-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

Du même auteur

 

 

 

Tueurs en série, essai en profilage criminel, PUF, collection « Criminalité internationale », Paris, 2000, 7e édition ;

 

Profileurs, spécialisation ou professionnalisation ?, PUF, collection « Criminalité internationale », Paris, 2001 ;

 

Le profilage criminel, PUF, collection « Que sais je ? », Paris, 2001 ;

 

Tueurs en série, PUF, collection « Que sais je ? », Paris, 2002 ;

 

Les disparus de Mourmelon, éditions Le Pré aux Clercs, Paris, 2004 ;

 

Tueurs en série – Analyses d’un profileur français, éditions du Rocher, Paris, 2004.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Face à l’injustice, il n’y a que deux chemins, celui de l’indignation ou de l’indifférence. L’un est un combat, l’autre une soumission.

Loïc Schneider

 

 

 

 

Zola a été le combattant énergique de la vérité, et c’est cet amour passionné du vrai qui fait l’unité profonde de son œuvre et de sa vie. Parce qu’il s’était dit : j’ai cherché à être dans l’art l’homme de la vérité ; je dois faire pour l’honneur de l’art, lui-même, la preuve que nous ne sommes pas des dilettantes et des virtuoses, et que la vérité que nous voulions mettre dans notre œuvre, nous voulons la mettre dans notre vie.

Jean Jaurès

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

Par Nathalie Mougenot, ancienne étudiante des établissements de formation IHECRIM, FORCRIM et ECF animés notamment par Laurent Montet – Extraits actualisés des lettres échangées en prison en date du 5 mars, 17 mars, 22 mai 2019 et autres conversations.

 

Voici mon ressenti. Et pourtant je sais que je ne suis pas la personne la plus proche de vous. On peut compter sur les doigts des deux mains le nombre de fois où nous nous sommes rencontrés, mais nous avons passé suffisamment d’heures à discuter par téléphone pour qu’un lien se soit créé. Et si je n’avais pas eu la certitude de votre innocence, je ne chercherais pas à le prouver.

Vous avez fait des erreurs, mais ces erreurs ne justifient pas votre condamnation.

C’était tellement invraisemblable, par rapport à ce que j’ai vécu, que j’ai cru au début que c’était un test, une simulation pratique à laquelle vous nous aviez habitués lors des stages. J’ai envisagé également que vous vous soyez infiltré pour faire une étude criminalistique sur le problème récurrent de la violence dans les prisons. Peut-être vous étiez-vous mis volontairement ou involontairement en situation d’être incarcéré pour vous protéger d’une violence externe ? J’avais bien compris que les formations que je suivais ne débouchaient pas sur des diplômes reconnus en France, vous n’avez cessé de nous le dire en cours, mais qu’ils l’étaient à l’étranger. Je ne considère donc pas avoir perdu mon argent dans votre école.

Si je devais me sentir grugée financièrement, ça ne serait que sur l’argent envoyé (à la présidente de l’association où vous enseigniez dans les derniers temps) pour payer les taxes à Malte concernant la validité de mon mémoire pour l’obtention de mon Bachelor en criminologie. Mais je n’ai demandé ni accepté aucun remboursement lorsqu’elle me l’a proposé. Cela aurait permis une reconnaissance européenne certaine, et surtout, comme pour une VAE (validation des acquis de l’expérience), aurait pu valider un niveau Licence, ce qui m’aurait peut-être permis par la suite de faire de même avec mes formations pour un niveau Master. De plus, quand nous avons été interrogés la première fois par la police judiciaire par e-mail, on ne nous a pas parlé d’escroquerie financière, juste de problèmes liés aux diplômes. Et puis l’ascendant de l’uniforme fait que si la police nous le dit, c’est que ça doit être vrai.

Je n’accepte pas la condamnation concernant vos diplômes qui seraient faux.

Avec tous les intervenants de votre école, des gendarmes, policiers, ambassadeurs et même une dame d’Interpol (j’ai sa carte de visite qu’elle m’a donnée lors de la première rentrée scolaire)… Personne ne se serait rendu compte de rien durant 18 ans ? Il y a réellement anguille sous roche. J’ai téléphoné à l’avocate des parties civiles et elle s’est fâchée quand je lui ai demandé la preuve de votre jugement. Les seules preuves que j’avais étaient des articles de presse numériques et les témoignages de plusieurs personnes essayant de me convaincre de votre culpabilité. Quant aux témoignages là aussi, j’avais un gros doute. Les profs pouvaient être de mèche et me faire croire une information.

Surtout, je me suis demandé : comment donc un homme tel que vous, à l’esprit aussi clair et logique, aurait-il pu se laisser entraîner dans un tel enchaînement de faits incompréhensibles ? Comment, avec un caractère si stable et déterminé, auriez-vous pu accepter une manœuvre financière et prendre le risque de détruire ce que vous avez mis tant d’années à construire ? Cela n’avait aucun sens. Avait-on cherché à vous nuire par jalousie ? Possible, vu l’article du journal Libération vingt ans plus tôt, qui vous calomniait tout en vous hissant en tête des « profileurs » de France. Vu aussi une note confidentielle qui avait été envoyée pour vous discréditer auprès de plusieurs procureurs (encore un jaloux ?), en vous mettant en cause dans la création de votre école privée.

Il semble que certaines personnes ont tout fait pour vous mettre en retraite anticipée…

Mais là encore, il y a beaucoup trop d’humanité et d’humilité chez vous pour que vous puissiez être ce genre de personnage. Je sais que vous n’êtes pas qu’un criminologue. Vous êtes aussi un coach en développement personnel. Vous m’avez permis de dire tout ce que je n’ai pas dit, sur des kilomètres de récits et de confidences. Vous avez été mon déversoir, mon journal intime sur des centaines de pages. Vous m’avez fait mettre des mots sur mes maux, pour qu’en devenant des mots dits, ils cessent d’être maudits.

J’espérais, il est vrai, exercer un métier à l’opposé de ce que j’avais vécu. Je ne voulais plus être du côté des victimes, mais de ceux qui empêchent les crimes. Et si, comme vous le disiez, on pouvait comprendre l’esprit criminel sans aller rencontrer nécessairement des criminels en prison, alors je me disais qu’on pouvait devenir suffisamment sage sans souffrir ni faire souffrir. Or, trop de personnes ont souffert dans « l’affaire Montet », vous le premier.

J’ai soupçonné que de hauts fonctionnaires vous avaient considéré comme un adversaire. Histoire d’école ou raison politique ? Vous apparaissiez peut-être avec l’ambition de changements politiques. Était-ce une lutte intestine lancée par la Chancellerie à cause d’oppositions entre les forces de l’ordre et les experts privés en criminologie ? Qui sait. Il est certain aussi que peu de temps avant votre procès, vous étiez en train d’être propulsé médiatiquement. Vous interveniez régulièrement sur LCI et Crimes la quotidienne sur NRJ12. Alors qui pouvait vous haïr autant pour vouloir vous faire taire ?

Une chose en tout cas est certaine à mes yeux : des rivaux ont combattu contre un seul homme, telle une insurrection militaire.

Je ne mettrai jamais en cause vos enseignements. Vous m’avez beaucoup appris, et à travers votre triste expérience, vous m’apprenez encore. Vous avez pour moi des qualités exceptionnelles et exponentielles qui ne peuvent que m’apprendre à m’améliorer à votre contact. Vous êtes maître de vous-même. Vous avez une volonté ferme qui se perçoit autant dans vos cours que dans les conférences que vous donniez. Votre bouche sait manier les mots comme votre main la plume.

Vous êtes d’une intelligence évidente, et j’apprendrai plus tard que vous êtes un enfant précoce. Vous avez fait le Conservatoire de musique, des études en droit jusqu’au doctorat de criminologie en Suisse. Vous vous êtes formé à la psychologie d’urgence, aux victimes de traumatismes violents, en faisant même un stage en Pologne dans un établissement spécialisé des victimes de guerre. Vous avez un gros quotient émotionnel, un profil social qui aide les autres.

Vous étiez un enseignant dans plusieurs écoles de police, c’est pourquoi vous faisiez de fréquents déplacements à l’étranger. Beaucoup vous reconnaissaient être un enquêteur hors pair. Vous avez contribué également à innocenter Patrick Dils, j’ai lu personnellement la lettre de l’avocat vous remerciant pour votre analyse. D’après vous et quelques témoignages, la plupart de vos interventions étaient « pro bono », c’est à dire gratuites. Vos programmes de formation accueillaient des centaines d’étudiants chaque année, en France et à l’étranger. Et j’ai prouvé pour ma part les erreurs d’un certain juge qui vous diffamait. Les dates et les propos ne concordaient pas entre ce qui vous était reproché et vos dires. J’ai pris des photos des livres en question, avec leur date d’impression et les « passages-preuves » que j’ai surlignés, et j’ai fait de même avec le livre du juge.

De sorte que sur le plan professionnel (l’enseignement), vous êtes pour moi irréprochable.

Vous avez passé avec moi des heures au téléphone pour la correction de mes devoirs, et personne ne me fera dire le contraire, car j’en suis le témoin direct. Aussi, concernant la qualité de vos cours, je témoignerai en votre faveur. Mais avec la policière lors de l’enquête, dès que j’ai commencé à dire que je n’avais rien de sérieux à vous reprocher, elle m’a dit : « Vous n’êtes pas là pour les éléments à décharge, mais pour nous dire en quoi vous êtes victime »…

En tout cas, je regrette de ne pas avoir été présente lors de votre procès (en première instance). J’ai l’impression que votre avocat n’était pas bon. J’ai lu quelques phrases qu’il a prononcées pour votre défense : « Il voulait être le meilleur criminologue de France » ? Ce n’est pas vous. Je sais que vous n’êtes pas du genre à chercher les honneurs, vous n’êtes pas ce que les calomnies disent de vous. Contrairement, faut-il le dire, à certains de vos concurrents directs. Vous, vous restiez dans la pénombre, ne cherchant pas l’ultra médiatisation que vous saviez dangereuse.

Vous êtes en fait le type à vouloir protéger les droits humains. Je pense même que vous auriez été capable d’aller en prison pour chercher les preuves de violences sur les détenus, parce que cela aurait pu expliquer par exemple le grand nombre de suicides en cellule, mais aussi de récidives, faute de réinsertion optimale, etc. Je ne vous ai jamais vu ou entendu afficher des sentiments hostiles envers la République et la démocratie. Bien au contraire. Vous n’avez rien d’un complotiste, et vous savez très bien faire la différence avec de réels complots.

Mais je me suis fait laminer par mail pour avoir pris votre défense, comme boycotté. En appel, j’étais avec votre mère dans le tribunal, et quand je suis allée chercher une boisson au distributeur, un des étudiants qui vous accusaient m’a agressée verbalement comme un chien qui sortait les crocs… Et l’avocate des parties civiles nous a rejoints pour me dire : « Vous n’avez pas à parler aux parties civiles ! » en me montrant du doigt la salle d’audience pour que j’y revienne, comme si je faisais partie des accusés...

J’espère, « malgré tout », que vous allez bien, que vous mangez à votre faim, que vous avez accès à la douche et que le contact avec les autres prisonniers se passe bien. C’est malheureux à dire, mais vous avez sans doute l’occasion d’utiliser vos talents pour analyser la vie en prison depuis l’intérieur. J’ai toujours eu de l’estime pour vous et par respect pour ce que vous m’avez enseigné, par respect pour le métier de criminologue, à charge ou à décharge, j’ai besoin de tout comprendre. Et je vous dis : je souhaite de tout mon cœur qu’à la fin, on puisse se dire que « tout est bien qui finit bien ». J’espère que le grand architecte de l’univers, le Grand Manitou, le Bon Dieu, Jésus, Marie, Bouddha et tous les êtres les plus sages de la planète vous aident en résolvant ce problème qui vous fait souffrir, vous et vos proches.

Une dernière chose. Vous me dites avoir dépensé plus de 130 000 euros à essayer de faire venir en France votre fille adoptive, Divine, et que vous n’auriez rencontré que des échecs durant cinq ans. Expliquez-moi s’il vous plaît le déroulé de cette affaire, car pour le moment, je constate que c’est LA raison qui fait que vous n’avez pas pu honorer tous vos paiements envers vos intervenants.

Merci de me raconter votre histoire.

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

 

Si la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.

Jacques Prévert

 

La formule a carillonné en moi comme la cloche d’une église... Tambourinant de plus en plus, me déterrant de ma torpeur, réveillant absolument tous mes sens. J’étais alors assis dans une « bibliothèque », particulièrement abattu et dépressif. Une bibliothèque sinistre et minuscule, un fatras aux murs décrépis, où prenaient racine de vieux bouquins poussiéreux que personne ne lisait.

 

Sauf moi. Qui commençait, dans la sérénité du lieu, à écrire ce livre en prison...

 

Puis deux, puis trois, puis quatre livres. Sur de grands cahiers à carreaux où je redevenais petit écolier, soignant l’exactitude des faits comme j’avais écrit mes premières lettres de l’alphabet. Un besoin existentiel de libération de la parole, d’expulsion de ma souffrance paroxystique face à l’injustice. Un besoin criant de manifestation de la vérité, tant il m’était impossible d’en rester là. Comment d’ailleurs en rester là quand votre vie entière a été consacrée à la lutte contre le crime, et que vous vous retrouvez emprisonné aux côtés de criminels pour des faits que vous n’avez pas commis ?… La justice s’était trompée, elle avait incarcéré un de ses plus fervents défenseurs, et j’allais le lui prouver. Avec tout le respect que je lui dois.

 

Je repensai immédiatement à Alfred Dreyfus, Guillaume Seznec, Patrick Dils. Les différents ouvrages sur eux que j’avais lus, les analyses que j’avais effectuées aussi, à partir de leur dossier quand j’étais expert. Je vivais à présent le même genre d’enquête indigne, de procès cynique, de détention inique. Et puis, j’ai déroulé dans ma tête mes vingt-deux ans de bons et loyaux services, ma vie aux quatre coins du monde, toutes ces belles personnes avec qui j’ai tant aimé partager... Le télescopage de cette condamnation avec mon vécu m’est apparu tout aussi absurde que celui de ces hommes tombés en disgrâce. Un contresens incompréhensible, comme une vie fauchée qui ne demandait qu’à se réaliser. Je ressassais : « Mais comment en est-on arrivé là ? Il faut que je comprenne, il faut que je l’écrive ».

 

Pour mes enfants d’abord, pour ma famille. Mais aussi mes « chers étudiants », mes collègues, mes amis, mes projets déchus. Pour l’honneur de la criminologie, dont l’utilité majeure a été bafouée en France au travers de mon affaire. Et pour ceux qui ont voulu me détruire, car ils devaient bien comprendre que je serai toujours là pour dénoncer leurs turpitudes.

 

J’ai pesé ici chaque mot, au plus près d’une vérité factuelle, qui va bien au-delà de « ma vérité ». Bien que je doive me préserver d’éventuelles poursuites ou représailles, je reste sans concession sur la chronologie et ce qui me semble important de révéler. C’est une rétrospective qui va droit au but, qui se fonde sur les faits, et rien que les faits. Je vous expliquerai simplement les choses de manière globale et contextualisée, à l’échelle d’une vie, en interconnectant tous les éléments qui font foi, comme tout bon criminologue devrait à mon avis le faire. Je suis en tout cas convaincu que c’est la seule façon de comprendre « pourquoi » et « comment » tout ceci m’est arrivé. Mais j’expliciterai aussi en détail quand viendra le moment d’argumenter les plus graves dévoiements commis, en particulier les éléments de ce que j’estime être une erreur judiciaire. Une justice faussée.

 

Ainsi, de là d’où je viens, dénoncer l’injustice est un sacerdoce. « Lanceur d’alerte », ou « relanceur d’alerte » diraient certains, je ne lâche jamais rien. Je vais toujours jusqu’au bout. Surtout quand des vies sont en jeu. Surtout quand l’injustice ou l’abus de pouvoir sont commis par ceux qui sont censés se comporter de manière exemplaire en démocratie. Surtout quand il s’agit d’assassiner quelqu’un d’une manière ou d’une autre, en parfaite impunité ou duplicité. « Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage ». C’est un leitmotiv, un fil rouge qui jalonnera quasiment tout mon livre. Et donc toute ma vie.

 

Bien sûr, je ne suis pas parfait. Bien sûr que j’ai commis des fautes. J’exprimerai ici de la même manière toute ma repentance sur le mal que j’ai pu faire. J’y mets un point d’honneur, en pleine équité et transparence. Mais en dehors de cela, je n’ai pas à m’excuser sur ce que je n’ai jamais fait. Et je ne reconnaîtrai jamais un déni de justice, de quelque manière que ce soit.

 

Le temps est donc venu que ma vérité soit libre, pour que ma liberté soit vraie.

 

Je suis Laurent Montet, docteur en Criminologie en Suisse, criminologue formateur dûment en activité de 1997 à 2019, en France ou à l’étranger. Bien connu des médias, j’ai commenté de nombreuses affaires criminelles, expertisé pour la justice, enseigné dans divers établissements, partagé de multiples savoir-faire avec les étudiants, et même renseigné pour diverses autorités. Mais c’est aussi « l’homme » qui vous parle, le père et le citoyen, dans toute sa dimension chrétienne, progressiste et universaliste. Je suis fondamentalement un altruiste, un profil « social » et relationnel qui aime son prochain. Aussi, me faire passer pour tout autre chose constitue pour moi « un viol de mon identité ».

 

Je ne me suis jamais exprimé jusqu’à présent, voici donc mon premier droit de réponse et mes premiers mémoires. Un témoignage totalement apolitique et indépendant. Des éléments que je me suis efforcé d’objectiver, et même de sourcer, documenter et recouper la plupart du temps. Sans aucune colère ni revanche. Mais avec la plus grande opiniâtreté.

 

J’ai un engagement existentiel pour la psychologie et la criminologie d’investigation. Je suis doué pour profiler les personnes, les criminels et les victimes. Spécialement débusquer les anomalies, reconstituer toutes sortes de puzzle, voir clair dans les zones d’ombre. Je suis un type simple, mais entier, qui dit ce qu’il pense, et qui fait ce qu’il dit. Je suis précoce émotionnel, doté d’une hypersensibilité et d’une intuition aiguës, que j’ai appris au gré du temps à fortement rationaliser. J’aime avant tout le « bien », et c’est pourquoi j’aime révéler le « mal ». Parce qu’il porte atteinte fondamentalement au « bien », il faut bien le comprendre. La criminologie est donc la discipline la plus appropriée pour répondre à mes aspirations.

 

Tout ceci est un sérieux atout dans une enquête criminelle, ou en matière de renseignement. Mais un handicap certain dans la vie de tous les jours, me valant notamment de nombreuses inimitiés à démasquer ouvertement les bassesses des uns ou des autres. Mon hypersensibilité est devenue également un sérieux problème quand je me suis mis à trop idéaliser une personne ou une institution, qui profitait alors de ma gentillesse pour m’exploiter. J’ai mis beaucoup de temps à le comprendre, et surtout à le corriger. J’ai par ailleurs commis des infractions dans ma vie, mais pas celles que l’on me reproche principalement. En cela, je crois ici mettre les pendules à l’heure, je vous en laisse juge en tout cas.

 

Je n’écris pas ce livre dans une tentative désespérée ou trompeuse de réhabilitation artificielle. Je ne m’adonne pas à une rationalisation psychologique a posteriori pour refaire l’histoire à bon compte, « dénier ma responsabilité », « minimiser les faits », ou je ne sais quoi encore. Je témoigne tout bonnement de ce que j’ai vécu, à charge et à décharge, et que je n’ai jamais raconté. C’est ma vie. Celle que j’ai tant aimé vivre, pour le meilleur et pour le pire. Celle que j’explique du mieux que je peux, avec certaines révélations que je dois aux hommes dans une démocratie que j’estime en danger, et aux victimes qui en ont été tenues à l’écart dans mon affaire. Celle qui alertera et qui l’emportera un jour, j’en suis convaincu, puisque la vérité se fraye toujours un chemin pour parvenir à nous. Tôt ou tard.

 

En attendant, on a voulu me tuer. On a voulu me tuer professionnellement, socialement, familialement. Jusqu’à être tellement désespéré de vivre une telle injustice que je tente de me suicider en prison... Les faits sont là, je n’invente rien. Et je ne manquerai pas de le rappeler en justice le moment venu. Car j’ai toujours eu, bien sûr, le plus grand respect pour la justice, la police, la République. Ces piliers impérieux qui garantissent notre sécurité et nos libertés, contre toute forme de violence, de radicalisme ou de conspirationnisme. J’ai servi pour eux, j’ai sacrifié ma vie personnelle pour eux, et je continuerai à le faire d’une manière ou d’une autre pour la défense des valeurs qui me sont chères.

 

Malgré cela, il y aura sans doute encore de mauvaises langues qui referont l’histoire, en imaginant de ma part je ne sais quelle « contre-attaque forcenée antisystème », d’« indignité à contester une condamnation ayant autorité de chose jugée », de « cruauté perverse même pour les victimes, à revenir ainsi sur l’affaire »... On va me faire passer cette fois-ci pour un mythomane, un paranoïaque, un complotiste peut-être... Mais encore pour un « escroc » ! C’est tellement facile de stigmatiser et d’ostraciser, tant qu’on a le pouvoir ou qu’on ne creuse pas la question. À tous ceux-là, je veux dire d’ores et déjà haut et fort : « Gardez bien à l’esprit que la cabale judiciaire menée contre moi avait avant tout pour objectif de décrédibiliser ma parole. Il fallait m’empêcher de parler sur ce que je savais. Allez au fond des choses, ne soyez pas dupes, de manière contradictoire et équitable, comme je vous invite à le faire sur l’ensemble du livre ».

 

Aussi, pourquoi avoir voulu détruire ma vie ? Qu’ai-je donc fait de si grave qui ait déclenché tant d’animosités ? Que peut-on véritablement me reprocher, ou pas ?

 

Au fond, qui est « Laurent Montet, le criminologue » ? Qui suis-je vraiment ?...

 

J’ose dire que personne à ce jour ne l’a vraiment compris et relayé publiquement. Il m’appartient donc d’accoucher quelque peu de ma vie, de mon âme, afin qu’elle ne soit plus dénaturée ou travestie par d’autres. J’en ai absolument besoin pour ma part, afin de me reconstruire et poursuivre mon chemin, fondé sur le roc de la vérité, et non le sable mouvant de la diffamation ou d’intérêts malsains qui doivent être dénoncés.

 

Et dans quatre ans, soyez-en sûr : je redeviendrai criminologue.

 

 

 

 

 

 

I

Les crimes dans mon enfance

 

 

 

Ma mère technologique

 

Ma mère était institutrice. Elle avait poursuivi ses études pendant quatre ans à l’aide d’une bourse, pour devenir professeur de travaux manuels éducatifs et d’enseignement ménager. Elle avait presque terminé son cursus que je naissais le 29 février 1972 à Boulogne-Billancourt. Un anniversaire, donc, tous les quatre ans... Cette femme vertueuse, dont l’ascension sociale était en marche, était également très belle. Néanmoins, il lui importait avant tout de rendre fiers ses parents, qui s’étaient beaucoup investis pour elle avec leurs simples revenus. Elle menait donc de front sa maternité avec ses cours, ce qu’elle continuera à faire plus tard avec ses deux autres enfants, alors qu’elle était enseignante à temps plein. J’étais extrêmement heureux de partager le meilleur avec mon frère et ma sœur, dans une famille unie, confortable, exemplaire à bien des égards.

Ma mère était la figure dominante, prenant souvent la place du père, car il était souvent en voyage ou à son bureau. Mais elle avait aussi besoin de contrôler les choses selon ses convictions. Les valeurs travail, mérite, discipline, honnêteté sont au cœur de sa vie. Un profil rationnel, pragmatique, typiquement organisé. Et ses efforts paieront lorsqu’elle obtiendra des années plus tard son doctorat en sciences de l’éducation. Mais elle ne tarissait pas non plus de tendresse vis-à-vis de ses enfants, même s’il fallait filer droit. Elle tenait ça de son père, forte personnalité au grand cœur, policier à la Préfecture de police de Paris, qui rêvait d’avoir un garçon ; mais aussi de sa mère épicière, fusionnelle à son mari, qui la rejoindra plus tard dans le même commerce en région parisienne. Un de ses couples inséparables, sur lesquels le temps ne semblait pas avoir d’emprise. Un mélange donc d’organisation et d’affection, de ténacité et de sociabilité, dont je reste grandement imprégné encore aujourd’hui.

 

Mon père psychologique

 

Mon père était très différent : introverti, psychologique et spirituel. Il avait connu ma mère alors qu’il était maître-nageur, à Perpignan, se distinguant déjà des autres prétendants par une grande sensibilité, et un talent littéraire indéniable. Sans doute avait-il hérité, en cela, de son propre père, inspecteur à l’Éducation nationale, maîtrisant le verbe, l’écriture, et la séduction avec brio. Toutefois, ce fonctionnaire se montrait souvent alcoolique, infidèle compulsif et violent conjugal, reléguant cruellement mon père au rang de poète sans intérêt. D’autant que ses frères et sœur étaient au contraire valorisés pour leurs projets professoraux et leur personnalité battante. Ma grand-mère paternelle, quant à elle, semblait fort effacée, bien qu’affectueuse. Mon père se mit alors en tête de devenir professeur d’éducation physique, comme son frère aîné qui avait la faveur du paternel. Mais il dut renoncer en raison d’un défaut vertébral, et se rabattit sur la profession de masseur-kinésithérapeute, puis d’ostéopathe, dans laquelle il mit toute son énergie.

Une énergie telle que l’on peut parler de passion existentielle. La compensation était à la hauteur de sa frustration, car il lui fallait mériter l’estime du père. Exerçant en cabinet libéral, il était très apprécié : ses mains, son touché, son tact empathique suscitaient l’admiration, et il transmit son précieux savoir-faire dans de nombreuses écoles privées. Il devint même l’une des références dans son domaine, souvent loué pour sa finesse et sa profondeur d’analyse. Mais il fut fortement jalousé, pour ses dons et son dévouement, au point d’être éconduit par des collègues déloyaux. Il créa alors sa propre école pour contribuer, viscéralement, à la reconnaissance de la profession d’ostéopathe en France. Il devint également psychologue et docteur en théologie. Au cœur, pourrait-on dire, de la relation entre l’homme de l’art guérisseur et son patient. Mais moi, je me sentais délaissé. Je voyais peu mon père, obsédé par son travail, un homme pourtant exceptionnel qui ne se révéla à moi que très tardivement. J’ai donc grandi avec ce manque d’amour, de modèle structurant de sa part. Pourtant, à l’évidence, quelque chose relevant du même surinvestissement professionnel allait commander toute ma vie…

 

Le décès de mon grand-père maternel

 

Un jour, alors que j’avais environ 3 ans, mon grand-père maternel décéda d’un cancer du pancréas. Tout son système digestif avait été progressivement laminé, après avoir été opéré deux fois de l’estomac, puis de la vésicule biliaire. Un bouleversement pour toute la famille. La mort avait balayé l’ancien policier, une force de la nature et un bon père de famille issu du monde agricole. C’était mon « papy » chéri, celui qui m’aimait tant. Je m’imaginais pour la première fois la mort, la faucheuse insidieuse, sournoise, implacable, venue gangréner la bienveillance de cet homme dans tous les pores de sa peau. Un crime à mes yeux, celui de l’injustice à ôter la vie à quelqu’un de bien. Le tueur était la maladie, mais aussi toutes ces blessures de vie qui avaient eu raison de lui. Les victimes étaient ses proches, tous ses bien-aimés, bien au-delà d’ailleurs de sa famille. Le mobile était invraisemblable, inexistant, si cruel quand on aime comme il nous a aimés. Car cet homme avait embrassé la vie, sa famille, après avoir été détenu dans le Stalag pendant presque 5 ans durant la Seconde Guerre mondiale. Il avait foulé ces camps de prisonniers dévastés par la malnutrition, dans lesquels étaient internés en Allemagne les sous-officiers et les soldats des armées alliées. Jean-Paul Sartre écrivait d’ailleurs en 1964 : « Je n’ai retrouvé cette nudité, cette présence sans recul de chacun à tous, ce rêve éveillé, cette conscience obscure du danger d’être homme qu’en 1940, dans le Stalag XII D ».

Mon « papy » avait néanmoins dû son salut à une famille allemande, pour laquelle il était employé pour des travaux agricoles au bénéfice du Führer. Ce qui ne l’empêchait pas de revenir tous les soirs au Stalag, pour ne jamais laisser seuls ses copains. Cette famille n’adhérait aucunement au régime fasciste, et ne faisait que « collaborer » pour sauver des vies. Cette duplicité vertueuse, propre aux plus grands Résistants contre toute violence nazie, me marqua à vie, au point de faire mienne très tôt la défense des droits et de la Vie, dans toute sa diversité. Ma conviction intime, dès mon plus jeune âge, était que la Vie n’avait pas été créée pour être tuée, d’une quelconque manière. C’est pourquoi aussi, bien plus tard, je ferai très naturellement le lien avec l’Amour de Dieu pour son prochain. L’idée fondamentale étant que tous doivent être sauvés, qu’ils soient criminels ou victimes, autant que faire se peut. Pour que l’amour triomphe de toutes violences, que la vie triomphe de toutes morts, qu’elles soient psychologiques, économiques, sociales, culturelles, spirituelles, visibles ou invisibles... Oui, Dieu me susurrait déjà à l’oreille, cela ne fait aucun doute rétrospectivement, et prenait la place que bon lui semblait pour sceller en moi cette guidance.

 

Ma vocation première

 

Ainsi germait dans mon esprit une idée simple, mais cardinale : aimer pour guérir le mal. Être de toutes les fraternités, franco-allemande ou d’ailleurs, pour que de telles tragédies ne surviennent plus jamais. Un idéal, un fil rouge qui me conduira à me consacrer corps et âme à la résilience des criminels et des victimes, définition ultime de la criminologie à mes yeux.

 

 

Le suicide de ma grand-mère maternelle

 

Quelques mois plus tard, de nouveaux évènements allaient me ramener à cette vision embryonnaire de la « criminologie résiliente » : ma grand-mère maternelle se suicidait par pendaison dans la maison familiale. Cette veuve n’avait pas supporté la mort de son mari, et avait organisé son suicide dans les moindres détails pour aller le rejoindre. La mort de l’un avait entraîné la mort de l’autre. Et quelques morts psychologiques aussi pour les vivants qui sont restés. C’est mon père qui découvrit le corps, et qui me raconta en détails les faits quand je fus adulte. Des faits également recoupés avec le témoignage d’une tante très proche de la défunte. Ainsi, ma grand-mère avait laissé un message manuscrit en évidence sur la porte d’entrée : « Ghislaine, ma petite, n’entre pas toute seule ». Ma mère était alors restée dehors, totalement mutique et sidérée. Le cadavre de « mamie » était suspendu à une poutre, à l’abri des regards dans l’escalier en colimaçon, entre la cuisine du rez-de-chaussée et la salle de bain du premier étage.

Le deuxième crime venait d’avoir lieu, celui de la dépression chronique, qui mine l’être cher jusqu’à chavirer dans l’illusion salvatrice. Je gardai longtemps à l’esprit l’image de cette mort organisée, préméditée, qui avait pris soin de sélectionner une victime vulnérable, si vulnérable que la souffrance l’avait contrainte à mort. Fuite en avant, où « mamie » avait fantasmé sur les retrouvailles avec son mari, à reprendre goût à la vie dans les derniers jours, à tout planifier pour que personne ne la fasse échouer. Comme endormir sa petite chienne avec des cachets, prendre la corde fatale à la cave, se laver, se coiffer, s’habiller impeccablement de noir vêtu, puis poser ses chaussures sur les marches, de manière symétrique, avant de mettre en évidence une lettre dans l’escalier à destination de ses proches. Puis retrouver son bel amour la corde au cou.

J’ai dû vivre pour ma part avec ce tabou pendant plus de quarante ans, sans jamais en parler à qui que ce soit. Je savais que ma grand-mère était partie dans des circonstances troubles, mais personne n’était vraiment revenu sur le drame. J’étais réduit à reconstituer dans ma tête ce que je pouvais à partir d’une atmosphère, d’un retentissement parmi mes proches, d’une observation sur de multiples détails. Jusqu’à finir, au bout du compte, dans l’impasse. Mais cela m’avait initié à une investigation mentale des plus minutieuses qui m’accapare toujours aujourd’hui, quelle que soit l’activité dans laquelle je m’investis. C’est ce qui me permit aussi plus tard, dans mon for intérieur, de pressentir que ma vie entière résultait d’une cause première qui m’échappait. Pourquoi en effet une telle vocation viscérale pour la criminologie, la victimologie, la prévention criminelle ? Pourquoi cet intérêt vorace plus particulièrement pour la psychologie criminelle, l’analyse criminelle et comportementale ? Comment expliquer mon hyperactivité passionnelle, à remuer vents et marées pour faire reconnaître la profession de criminologue ? Plus de quarante ans à chercher, à investiguer, à apprendre de toutes les manières, encyclopédique, transdisciplinaire, multi-professionnelle, internationale... Parce qu’il fallait que je reconstitue mon propre mystère, ma propre genèse criminologique. Et ce travail de fourmi a finalement payé, puisque j’eus finalement l’intuition indicible qu’il fallait revenir au petit garçon de trois ans pour avoir le fin mot de l’histoire.

 

Le suicide « altruiste » manqué : ma genèse de criminologue

 

Je revins questionner les trois seuls « témoins » encore vivants après les faits : mon père, ma mère et ma tante. Ma mère me restitua le contexte détaillé du suicide de ma grand-mère. Mais elle resta en surface, comme si elle n’en savait pas plus, ou ne voulait pas en dire plus. Je sens instinctivement ce genre de choses, comme si j’étais un radar ambulant, un scanner empathique, un sonar redoutable, diront certains. Ce fut en tout cas mon père et ma tante qui rentrèrent dans le vif du sujet. Surtout ma tante, vis-à-vis du plus enfoui des secrets, ou « du plus secret des enfouis »... Je veux ici rendre hommage à cette femme valeureuse, pour ce qu’elle m’a révélé de plus essentielle sur mon histoire, mais aussi parce qu’elle m’aimait comme son fils, et qu’on ne dira jamais assez que la plus chaleureuse des affections est de dire toute la vérité à ceux qu’on aime. Je ne dirai jamais assez combien, en général, la vie d’un homme est conditionnée par la connaissance de l’ensemble de son vécu, en vérité. Et combien, par conséquent, je dois à ma tante la plus grande découverte sur moi-même, celle qui explique la majeure partie de mon identité criminologique.

 

Ma tante me gardait dans la maison familiale, tandis que ma mère poursuivait ses études en classe, et que ma grand-mère défaillait sous l’effet de la dépression. Celle-ci se confiait souvent à ma tante, laquelle la soutenait de son mieux. Elle commença d’abord à vouloir se suicider en se jetant seule sous un train. Puis, à plusieurs reprises, elle lui expliqua son désir de retrouvailles avec son époux au paradis. Jusqu’au jour où il ne s’agissait plus de restaurer uniquement le couple par cet acte, mais de recréer une famille entière dans les cieux. C’est-à-dire, de me tuer pour rejoindre ensemble son mari… Aussi incroyable que cela puisse paraître, rien ne fut plus lumineux pour moi à cet instant que la façon de me présenter les choses ainsi. Car les faits refoulés me revinrent immédiatement à l’esprit, et je pus revoir alors chaque détail de la scène vécue, comme si j’y étais.

 

Ma grand-mère m’a dit après le déjeuner : « Viens, on va faire une promenade tous les deux », et je me suis revu avec elle marcher dans la rue, main dans la main, en descendant le trottoir pavillonnaire vers les voies de chemin de fer. Cinq minutes de marche dans un silence de plomb, les mains moites, les mâchoires serrées. Puis, arrivés au pont qui surplombe les rails SNCF, elle m’a invité à m’asseoir avec elle sur le parapet, les jambes dans le vide, le regard tourné vers le sol. Il n’y avait aucune barrière, aucune sécurité à cet endroit, et personne aux alentours. À ce moment-là, elle me tenait toujours la main en me mettant à l’aise, en me parlant de tout et de rien, comme si elle me parlait en adulte sur un banc. Et dès qu’elle a vu arriver le train en face, celui qui était à destination de Paris, elle m’empoigna d’un regard livide, prête à faire le grand saut. Ma tension était à son comble, le corps raide comme un tronc, le souffle coupé avant de plonger…

 

J’étais bouleversé, j’avais extrêmement peur. C’était tellement haut, le train allait tellement vite, j’allais tellement me faire mal… Mais je sentais ma grand-mère plus déterminée que jamais, m’écrasant les doigts d’une main de fer. Je ne pouvais pas lutter, à l’image d’un enfant sous le joug d’un père violent, prêt à m’attirer au fond du gouffre en me menottant le poignet au sien... Totalement paralysé, je ne sentais plus mon corps. Je fermais les yeux pour avoir moins peur, je me coupais du monde, et je me laissais faire comme un mannequin de piscine qu’on allait jeter à l’eau. Tout se passait comme si j’étais dans le wagon d’un grand huit en pleine descente, cramponné de toute part. Mon cœur battait la chamade, impuissant à empêcher le pire…

 

C’était pourtant sans compter sur la divine providence. À cet instant précis, j’aurais pu dire : « Un petit ange passe »… C’est ainsi en tout cas que je l’appelle aujourd’hui, car c’est bien « quelque chose de fort et de gentil », d’invisible et d’angélique, qui a stoppé l’élan implacable de ma grand-mère. Le train s’engouffrait alors sous le pont d’en face dans un vacarme infernal, tandis qu’elle me tirait en arrière in extremis, et que je retrouvais pied sur le trottoir. Je me souviens, à cet instant précis, avoir été pris de puissants vertiges, proches de l’évanouissement, comme si j’étais une toupie effrénée, un manège fou qui finissait enfin sa course. Mais surtout, j’étais heureux ! Frénétiquement heureux d’être en vie, bien sûr, mais heureux aussi d’avoir... sauvé Mamie. Car si je n’avais pas été là, bien malgré moi, ma grand-mère serait partie à jamais avec « le petit ange »…

 

 

Ma vocation seconde

 

Ainsi germait dans mon esprit une deuxième idée simple, mais tout aussi cardinale que la première : comprendre le mal, pour mieux le combattre. Ce qui m’amènera à toutes les analyses criminelles pour détecter, prévenir, et stopper le mal. Un nouvel idéal, un autre fil rouge qui me conduira à la politique pénale, au progressisme de la sécurité publique. À la portée ultime de la criminologie à mes yeux.

 

Comme un « Cyrulnik de la criminologie »

 

Il devait toutefois s’écouler quarante-quatre ans, avant que je ne prenne vraiment conscience du « pourquoi » et du « comment » de mon identité criminologique. Ce fut de manière totalement inattendue et insolite, à la lecture d’un livre dont le titre m’avait stoppé net au premier regard : « les âmes blessées », du neuropsychiatre Boris Cyrulnik. Spécialement le chapitre intitulé « une histoire n’est pas un destin ». Ce fut une rencontre absolument incroyable et révélatrice, car pour la première fois de ma vie, il me suffisait presque de lire un livre pour me voir dedans, comme dans un miroir… Comme si Boris Cyrulnik était dans ma tête, et qu’il me connaissait mieux que moi à travers lui. Sauf que le chapitre parlait bien sûr de ses origines et de sa vision de la vie, pas de la mienne. Et pourtant, c’était plus qu’évident : moi et le neuropsychiatre avions cette vision commune.

 

Voici les extraits de mon « maître à penser », ceux qui m’ont le plus parlé, tant ils raisonnent en moi et jalonnent ma route avec une exactitude éclairante (avec mes commentaires dans les crochets) :

 

« Certains livres sont de vraies rencontres (…) Quand on sort d’un livre en éprouvant le sentiment d’avoir vécu un évènement, c’est que nous l’attendions ce livre, nous espérions le rencontrer. (…) J’ai pensé que le diable était un ange devenu fou, et qu’il fallait le soigner pour ramener la paix [tout comme le criminologue que je suis analyse le mal et veut le transformer]. Cette idée enfantine m’a engagé dans un voyage de cinquante ans, passionnant, logique et insensé [comme pour moi en criminologie]. (…) La guerre m’avait forcé à me poser des questions qui n’intéressent pas les enfants d’habitude : pourquoi a-t-on fait disparaître mes parents ? [Et moi, mes grands-parents, mon grand-père « intoxiqué » par la guerre, ma grand-mère « suicidée »]. Pourquoi a-t-on voulu me tuer ? [on sait que ma grand-mère a voulu se suicider avec moi, donc me tuer avec elle] J’ai peut-être commis un crime, mais je ne sais pas lequel » [d’où la criminologie d’investigation, où je menai d’abord l’enquête sur moi-même au travers des affaires criminelles des autres...]. (…)

 

« J’étais dans l’esprit des autres [d’où mon cheminement naturel vers la psychologie, puis le profilage criminel], quelque chose que je ne savais pas, et cette énigme me troublait, délicieuse et inquiétante. Pour maîtriser ce monde et ne pas y mourir, il fallait comprendre, c’était ma seule liberté. (…) La nécessité de rendre cohérent ce chaos affectif, social et intellectuel m’a rendu complètement psychiatre [criminologue] dès mon enfance. (…) Tout est innovateur est transgresseur. (…) Un concept ne peut pas naître en dehors de sa culture, c’est pourquoi il faut un agitateur [précurseur, « profileur », lanceur d’alertes] pour soulever un problème qui secoue la routine intellectuelle. (…) Solmit, précurseur américain du terme résilience, avait critiqué cette vision [des élites] exclusivement scientifique [ou idéologique] qui voit le monde comme dans un tunnel, à travers une loupe grossissante, à la fois vraie et déformante » [tout ce que je n’ai cessé de dénoncer, car c’est l’une des causes majeures des erreurs judiciaires, comme de nombreuses injustices et intolérances dans la vie de tous les jours]. (…)

 

« Pour éviter ce biais, Solmit proposait d’intégrer le savoir pointu des scientifiques [relevant des sciences « dures », les experts de la police scientifique par exemple] avec celui plus large des cliniciens [les sciences « molles », les sciences humaines et sociales, le criminologue clinicien par exemple]. (…) Un clinicien est contraint à la pluridisciplinarité. Un malade [agresseur ou victime] s’assoit près de lui, avec son cerveau, son psychisme, son histoire, sa famille, sa religion, sa culture… Le médecin [du crime] doit avoir des connaissances transversales s’il veut aider son patient [en violence ou/et en souffrance], ce qui n’exclut pas les expériences d’un chercheur de labo. (…) Ce sont des praticiens [criminologie pratique, pratiques criminologiques], aidés par des fondations privées [formations privées créées que j’ai fondées ou développées avec d’autres partout où cela était possible] qui ont détruit le dogme et proposé une autre manière d’affronter le problème. [Le dogme était que] la séparation [avec la famille] n’a pas d’effet sur le développement des enfants. Il est en réalité un fait que, lorsque la séparation est rapidement [re]composée par un substitut affectif [restauration et nécessité familiales pour moi], les troubles sont facilement résiliés. » (…)

 

« Mais en cas de vulnérabilité émotionnelle [précocité émotionnelle, hypersensibilité, traumas de séparations affectives par exemple), la séparation a provoqué des dégâts cérébraux photographiables en neuro-imagerie [pouvant occasionner une dépendance affective sentimentale, une dépendance comportementale professionnelle, un « effet tunnel » en criminologie jusqu’au-boutiste ?]. (…) Cette culture [ce dogme] postule que c’est grâce à la répression sociale qu’on empêche l’expression de la bestialité qui est au cœur de la nature [d’où la prison avant tout, la politique pénale actuelle]. C’est pourquoi, lorsqu’un enfant devient délinquant ou prostitué, il est logique d’augmenter la répression et de construire des maisons de correction, afin de le remettre dans le droit chemin de la civilisation [aucune place par conséquent à la réinsertion, la justice restaurative, la résilience non pénale...]. Grâce à ce prêt à penser, la violence institutionnelle devient légitime [et s’auto-légitime ; donc pas d’erreur possible, pas de remise en question, malgré l’insécurité grandissante que de nombreuses mesures gouvernementales ne semblent arrêter]. On place des enfants difficiles dans des patronages où le rôle du père est assumé par des juges, des policiers et des prêtres » [tout le contraire de la fonction résiliente du criminologue notamment, en lien avec toutes les professions mobilisées dans cette perspective]. (…)

 

« Quand on explique un phénomène par une seule cause (exemple : « vous êtes un tueur né ! »], la raison devient totalitaire. Je pense qu’il vaut mieux être touche à tout, ça correspond à la variabilité des phénomènes cliniques [de la même manière que chaque agresseur, chaque victime, chaque être humain dans sa diversité et son vécu devrait être compris dans sa singularité globale]. Je me crispais à chaque fois que j’entendais un pronostic fatal [et non un diagnostic véritable] : les mongoliens, il n’y a rien à faire, c’est chromosomique [racisme et discrimination en vérité, comme les juifs]. (Or) en 2010, ils vont à l’école, obtiennent parfois même de bons résultats, leur espérance de vie dépasse soixante ans, et ils parviennent à développer des personnalités plus épanouies, puisqu’ils sont moins soumis au regard dévalorisant des autres [et combien d’agresseurs, de victimes pourraient être bonifiés, sauvés, si on cherchait vraiment à développer leur potentiel ?] (…)

 

« Les pensées simples sont claires, dommage qu’elles soient fausses. Les causalités linéaires n’existent pratiquement jamais, c’est un ensemble de forces hétérogènes qui convergent pour provoquer un effet ou l’atténuer [comme il n’y a pas une méthode ou un médicament miracle]. (…) C’est trop facile de penser que seuls les monstres peuvent commettre des actes monstrueux. (…) Je préférerais les nuances que j’avais connues dans mon enfance, même quand elles paraissaient illogiques. Et comme j’avais besoin de comprendre pour me sauver, il fallait que je devienne psychiatre [ou criminologue, et le meilleur que je puisse être, pour tenter de sauver et faire vérité autant que possible]. (…) Emmy Werner baptisa ce processus résilience. Je préfère l’image agricole qui dit qu’un sol est résilient quand, dévasté par un incendie ou une inondation, toute vie a disparu, jusqu’au moment où l’on voit resurgir une autre flore, une autre faune » [autrement dit, une renaissance. Parallèle biblique qui me sautera aux yeux quand je devins croyant des années plus tard : « Je crée un nouveau ciel et une nouvelle terre, pour qu’elle soit source d’allégresse, mon peuple, ma joie » – Esaïe 65, 17]. (…)

 

Oui, à lire et relire maintes fois ces passages essentiels, je pourrais dire exactement la même chose encore aujourd’hui. Mais le plus époustouflant d’exactitude pour moi réside dans les extraits suivants :

 

« Janus Korczak a créé la Maison de l’orphelin à Varsovie en 1912, avec la pédagogie [dite de la] République des enfants. Utopie bien sûr, mais fondatrice : il n’y a pas des enfants, il y a des êtres humains, mais ils ont des règles de vie différentes, à cause d’une expérience différente [il est donc impératif de restituer leur hyper-complexité dans l’évaluation, y compris par eux-mêmes]. Il faut comprendre leur monde et leur donner la parole, comme dans une République [exemple : groupe d’expression libre, formes artistiques ou littéraires qui révèlent leur être unique]. La philosophie de cet homme a miraculé ma propre enfance [et ô combien ici pour moi] (…) La phrase de Michaël Rutter : ces enfants ont quelque chose à vous apprendre fut une lumière pour moi » [si on daignait écouter criminels et victimes, et vouloir vraiment prendre à bras le corps ce qui les entrave, comme ce qui les libère dans leur cœur, alors ils pourraient enfin embrayer le meilleur d’eux-mêmes…]. (…)

 

« Emmy Werner et Myriam David pratiquaient et théorisaient les dégâts provoqués par la déchirure du lieu et sa couture possible. Vous m’avez beaucoup aidé en ne me considérant pas comme foutu ou comme un type inquiétant et sans futur [tout le contraire d’un procureur « broyeur de vie », ou des vrais ennemis qui ont voulu clairement détruire ma vie], lui a dit un jeune qui revenait les voir pour lui donner de ses nouvelles. » (…)

 

Enfin, « La possibilité de résilience consiste à trouver le plus vite possible un substitut affectif, une famille d’accueil [nouvelle famille épanouissante, regroupement familial prioritaire pour moi], une adoption [n’oubliez pas dès à présent son prénom, j’en reparlerai longuement, elle s’appelle Divine…] rapide [comme mon mariage, aussi précipité qu’insensé avec le recul] ou une institution réchauffante [centre privé en criminologie à l’ambiance familiale, voué à former les résilients de demain]. [Sinon,] les troubles inscrits dans la mémoire de l’enfant peuvent devenir des habitudes relationnelles [passion excessive, négligences administratives, « effet tunnel », etc.]. L’enfant se représente comme celui que personne n’aime [exclu progressivement d’une vie familiale et professionnelle normale], celui qui est méchant [mauvais frère, criminologue marginalisé, incompris, dévié puis déviant ?] et qui mérite d’être puni » [on peut aider tout le monde, mais pas au point de s’autodétruire, en passant par la case prison…].

 

Tout un présage.

 

 

 

 

 

II

Ma vocation

 

 

 

Baccalauréat en poche à dix-sept ans (option Économique et Social), je rêvais alors de devenir un « enquêteur dans les affaires criminelles ». Mais dans un style beaucoup plus psychologique et multidisciplinaire, qui ne correspondait à aucun métier exercé alors en France. J’imaginais du « haut niveau » et du « sur mesure », qui tirerait avant tout profit de mon regard multiple et transversal. J’allais rapidement déchanter : je manquais mon orientation professionnelle, avec un parcours d’études qui ne coïncidaient pas avec mon approche foncièrement criminologique.

 

Ma vision holistique

 

1/ Pourquoi tout d’abord ai-je voulu absolument être un criminologue ? Et pas un psychologue, un sociologue, un policier ou toute autre profession connexe fort intéressante ? Parce que ma vision a toujours été globale, intégrale. Pour tout dire : holistique. Ma vision a toujours été d’appréhender un phénomène comme un tout indivisible, dont il faut saisir l’authenticité, la singularité et la cohérence propre. Autrement dit, une analyse d’ensemble, une méta-analyse. Je n’ai jamais voulu négliger les diverses composantes, interdépendances, influences extérieures qui ne sauraient être prises séparément. Sinon pour l’analyse descriptive, la pédagogie ou la vulgarisation, mais sans jamais oublier que l’objet doit être compris pour ce qu’il est vraiment. Donc, sans aucune restriction qui le dénaturerait.

 

2/ Une autre façon de le dire est une vision arborescente et consubstantielle de l’information. Autrement dit, tout est « inter » dans mon esprit. Interaction, intervention, interconnexion, inter-discipline, interdépendance, interrogation, interprétation, interlocution, intermédiaire, interview, interministériel, international, internet... C’est voir en permanence l’unité dans la diversité. C’est-à-dire l’idée que le renseignement est un tronc, un tronc qui ne peut se concevoir sans les racines et les branches, le lieu et le temps, la terre et l’air, bref le tout et son contraire de manière indissociable. Raisonner homme/femme, travail/repos, vrai/faux, jour/nuit, yin/yang, microcosmos/macrocosmos… C’est d’ailleurs l’acception de toute recherche scientifique, quand on y réfléchit bien, puisque celle-ci requiert un approfondissement constant de chaque champ d’études, qui conduit à la fois à une approche spécialisée – donc arborescente – au sein de chaque discipline, et à des approches transversales – donc consubstantielles – entre les diverses disciplines. Ainsi, le droit pénal, la médecine légale, la psychologie criminelle, la sociologie de la délinquance, l’analyse comportementale doivent tout autant à mes yeux être investis dans le cadre global de la criminologie pluridisciplinaire, au sens le plus large possible. C’est aussi inscrire la recherche dans l’action, la contextualisation des connaissances, la construction collective. En reconnaissant le savoir des autres dans un cadre de valeurs partagées, mais aussi dans un processus itératif, c’est-à-dire fondé sur une analyse réflexive. Bref, les bases de la recherche scientifique, mais pour la plus exploratoire des recherches de mon point de vue : la criminologie.

 

3/ Pour faire plus simple encore, ou plus trivial, l’idée générale pourrait se rapprocher des paroles d’une chanson de Michel Berger : « Pour me comprendre, il faudrait savoir qui je suis. Pour me comprendre, il faudrait connaître ma vie. Et pour apprendre, devenir mon ami. » Oui, j’ai toujours pensé que, quel que soit l’objet ou le sujet d’étude, il faut essayer d’en faire son « ami ». En prenant le temps de le comprendre, de le respecter et de l’aimer, avec ses qualités et ses défauts, dans toute sa complexité et sa subtilité. Ce qui nécessite du temps, des efforts, de la nuance, et peut-être le plus important, de la fluidité relationnelle. Sans entrave liée aux préjugés, à l’éducation, ou à la culture par exemple. En gardant donc un esprit aussi ouvert et neutre que possible, un peu comme un enfant en éveil sur le monde, lorsqu’il découvre pour la première fois ce qu’il perçoit.

 

À côté de cela, vu de l’extérieur, nombreux furent ceux qui me voyaient devenir un enquêteur de police ou de gendarmerie, en police judiciaire ou en brigade criminelle – ce qui est bien naturel quand on s’intéresse de si près au crime. À commencer par ma mère qui, un jour, avant que je ne rentre à l’université, m’avait emmené à la Préfecture de police de Paris, pour me faire rencontrer des inspecteurs, des commissaires. Elle pensait que ce serait le meilleur parti pour moi d’être juriste, fonctionnaire, avec des perspectives de formation et de carrière dans l’investigation qui m’intéressait tant. N’oublions pas aussi que ma mère avait eu un père policier, qui avait officié dans la même Préfecture de police de Paris où elle m’amenait…

 

Toutefois, je n’étais pas comme mon grand-père. Ou du moins, pas totalement. D’abord, il m’a toujours fallu faire totalement ce que j’étais, ou ne pas l’être du tout. C’était tout ou rien. Non pas que je me priverais d’études ou de collaborations si nécessaire, bien au contraire : chaque discipline est cruciale pour mener à bien l’action criminologique et holistique. Mais devenir juriste m’enserrerait assurément dans un corpus de règles, trop froides et rigides à mes yeux, bien que je fus fort passionné par le droit pénal, la procédure pénale, ou les libertés publiques. Être fonctionnaire m’enfermerait également dans un système bureaucratique, où je me voyais perdre une grande partie de ma liberté d’expression et de ma capacité exploratoire. La sécurité de l’emploi aurait été un avantage, certes, mais au détriment de mes recherches à mes yeux, lesquelles auraient sans doute été brimées tôt ou tard par une hiérarchie trop régalienne, bien que nécessaire et respectable dans un État de droit. Quant aux perspectives de carrière, je ne l’imaginais aucunement à coup d’avancements et de changements de services, mais avant tout comme des ponts de plus en plus importants entre les matières, les professions, les universités, les pays de manière universelle.

 

En fait, j’aspirais à un projet de vie éclectique et philosophique. Oui, foncièrement philosophique, spécialement dans l’humanisme, le progressisme et l’universalisme. Pour ne pas dire spirituel, rétrospectivement, si l’on considère cette quête absolue du vrai, du juste, et de l’amour pour son prochain, afin que chacun se réalise au mieux. Ceci, néanmoins, je n’en prendrai conscience que bien plus tard, tout en restant indéfectiblement « les pieds sur terre ».

 

Un projet impossible ?

 

Problème de taille : cela paraissait bien impossible en l’état. Impossible de tout savoir, de tout faire, de tout mettre en lien. Même notre cerveau, aussi extraordinaire soit-il, rencontre ses limites. Impossible de trouver une profession qui recouvrait un tel champ de connaissances et de compétences. Impossible à l’échelle d’une vie de mener à terme une telle ambition, aussi louable soit-elle, qui plus est avec des moyens nécessairement limités face à l’ampleur de la tâche. Je devais me résoudre à ne pas pouvoir pleinement me réaliser, ce qui revenait presque à m’amputer mentalement. Cela me coûtait énormément, rien que d’y penser. Alors, je m’empressais de trouver le meilleur compromis, c’est-à-dire de faire le maximum malgré tout, à commencer par tenter de transformer les criminels et les victimes. Et puis résoudre ma propre énigme, avant tout criminologique, comme nous l’avons vu.

 

Mais voilà : la profession de criminologue n’était pas codifiée en France. L’UFR de criminologie, c’est-à-dire l’Unité de Formation et de Recherche de l’enseignement universitaire français dans ce domaine, n’existait pas non plus. Et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui… J’allais même découvrir très rapidement, et à mes dépens, que des guerres de personnes et d’écoles faisaient rage en la matière. Pire encore : les « sciences criminelles » étaient historiquement rattachées au droit privé dans les facultés de droit qui les revendiquaient farouchement. Il n’y avait pas encore les différents cursus, qui existent aujourd’hui, développant la criminologie en faculté de psychologie, de médecine, de sociologie, de technologie, etc. J’allais donc devoir faire des études de droit, pour me spécialiser ensuite en criminologie, et embrayer vers des professions judiciaires, protocolaires, fonctionnarisées, où la criminologie et la recherche exploratoire seraient parfaitement secondaires. Tout ce que je ne voulais pas… Pour autant, il ne me semblait pas avoir d’autre choix, je n’avais pas non plus les moyens d’étudier ailleurs, de sorte que cela m’apparaissait être la seule façon en France de me rapprocher un tant soit peu de mon objectif. Je m’inscrivis donc en faculté de droit sur Paris. Presque à contrecœur.

 

Mon orientation manquée de « psychologue du crime »

 

La vérité, et elle est d’autant plus évidente aujourd’hui après ma « rencontre » avec Cyrulnik, c’est que j’aurais dû faire des études de psychologie pour devenir psycho-criminologue. Qui est le criminel, qui est la victime ? Pourquoi et comment le deviennent-ils ? Pourquoi et comment pourraient-ils ne plus l’être ? Voilà ce qui a toujours été mes principales préoccupations, et qui ne relèvent pas directement du droit, mais de l’esprit criminel, de l’aptitude à comprendre leurs émotions, leurs personnalités, leurs signatures comportementales. De quoi contribuer à les réhabiliter. Mais ma mère ne croyait guère en la psychologie, considérant plutôt que chacun devait trouver la force de caractère permettant de se discipliner et de faire des choix rationnels. Par le contrôle de soi, et l’héritage de son père policier à la forte personnalité, sans doute. Mon père, quant à lui, était trop accaparé par son travail, et n’avait aucun poids dans ce genre de décision face à ma mère. Alors, puisqu’il fallait commencer par des études de droit, je devais me résoudre à en faire un tremplin pour monter (Montet) en puissance vers mon dessein final, au travers de spécialisations en psychologie criminelle dans un deuxième temps.

 

Le divorce « bascule » de mes parents

 

Toutefois, un évènement majeur allait me bouleverser plus que je ne pensais au départ, et accélérer même mon devenir : le divorce de mes parents. J’avais 23 ans, je finissais alors mes études de 2e cycle (Maîtrise de droit privé « Carrières judiciaires »), quand mes parents jouèrent cartes sur table lors d’un repas dominical, en présence de mes frère et sœur. Difficile encore aujourd’hui de mesurer l’impact exact sur moi, bien qu’il y ait eu clairement un « avant » et un « après ». Mais cela précipita pour le moins mon hyperactivité à me professionnaliser en criminologie. Il faut avouer que mes parents, vu de l’extérieur, étaient un couple modèle, dont personne n’aurait pensé qu’il puisse se séparer. Vu de l’intérieur, c’était une tout autre histoire : ils étaient devenus si différents qu’ils n’arrivaient même plus à communiquer sereinement. Je n’en dirai pas davantage ici par respect pour eux.