Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande - Athanase Garnier-Audiger - E-Book

Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande E-Book

Athanase Garnier-Audiger

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Extrait : "Dès que la Hollande cessa d'être assez forte pour se défendre contre les prétentions du dehors, et que des discordes intérieures eurent rompu le faisceau de l'union, elle a constamment porté le joug de la domination : l'Angleterre et la France l'ont alternativement asservie."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : ● Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. ● Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Préface

Plus une époque est riche en faits remarquables, et plus les moindres renseignements deviennent des matériaux précieux pour écrire l’histoire. Rien ne s’oppose aujourd’hui à ce que la vérité se présente comme une autorité que nulle considération ne peut affaiblir ; d’après ce principe on peut avoir la confiance de voir accueillir un ouvrage qui a pour but de rendre un véritable service à ceux qui voudront suivre la marche du temps pendant lequel un grand homme a présidé aux destinées de l’Europe.

L’auteur, par ses fonctions et ses relations sociales, placé sur le théâtre des évènements, a vu se dérouler sous ses yeux les scènes de ce grand spectacle, dont l’exposition, l’intrigue et le dénouement ont marché avec une rapidité étonnante. Il a assisté à cette représentation ; il a vu les acteurs qui y figuraient, et il a rassemblé avec autant de soin que d’exactitude les différents rôles épars sur la scène.

Fidèle rapporteur des faits, mais historien moins éloquent que peintre exact, sans avoir besoin du passé pour en faire la leçon de l’avenir, l’auteur de ces mémoires n’a d’autre ambition, surtout quand l’œil des contemporains est ouvert sur lui, que de convaincre le public qu’il a rapporté des faits dont l’authenticité peut être facilement reconnue par tout lecteur instruit et impartial.

Chapitre premier

Situation de la Hollande pendant la république Batave. – Création du titre de grand pensionnaire. – Vains efforts du grand pensionnaire pour le maintien de la république. – La Hollande constituée en royaume. – Le prince Louis Bonaparte désigné pour être roi de Hollande.

Dès que la Hollande cessa d’être assez forte pour se défendre contre les prétentions du dehors, et que des discordes intérieures eurent rompu le faisceau de l’union, elle a constamment porté le joug de la domination : l’Angleterre et la France l’ont alternativement asservie.

Sous le règne de Louis XVI, dès les premières agitations révolutionnaires en France, les Patriotes hollandais commencèrent à s’agiter ; et, encouragés par un parti considérable, ils se montrèrent ouvertement impatiens de s’affranchir du Stathoudérat ; mais les Prussiens, commandés par le prince de Brunswick, en entrant en Hollande, détruisirent toutes leurs prétentions, et le Stathouder triompha.

En 1795, après la retraite des Prussiens, les Patriotes triomphèrent à leur tour ; et le prince d’Orange, en s’échappant de la Hollande, fut chercher un asile en Angleterre.

À cette époque la Hollande, obligée de réclamer l’appui de la France et abandonnée de tous ses alliés, se constitua en république Batave, et l’armée française occupa son territoire.

L’autorité législative résidait dans une assemblée représentative, et le pouvoir exécutif dans un directoire. La Hollande, par un traité onéreux, abandonna à la France plusieurs de ses provinces méridionales, s’engagea à une alliance, et lui compta deux cents millions de francs : à ce prix elle eut l’espoir de conserver l’intégrité de son territoire.

Cette nouvelle république n’était pas celle qui, jadis à l’ombre de la liberté, avait vu fleurir un pays qui rassemblait dans son sein des richesses immenses ; et, dès l’année 1801, le nouveau gouvernement fit d’importants changements à sa constitution. La Hollande fut divisée en huit provinces, et la représentation nationale réduite de beaucoup. Quoi qu’il en soit, la république n’obtenait pas plus de stabilité, et chaque jour l’Angleterre diminuait ses forces maritimes. Ses colonies dévastées, son commerce étonnamment appauvri, et la paix d’Amiens, qui lui enlevait encore l’île de Ceylan, tout semblait se réunir pour préparer sa ruine.

Tous ces évènements, qui surgissaient autour de la république, firent éprouver à la banque d’Amsterdam une des plus violentes secousses, qui, en rependant partout l’épouvante, restreignit encore davantage les opérations commerciales.

Mais par sa sagesse, sa patience et son économie, la république serait parvenue à triompher des malheurs dont elle était entourée, si, en 1803, la France ne l’eût point engagée avec elle dans une nouvelle guerre contre l’Angleterre : Surinam et le Cap-de-bonne-Espérance lui furent ravis par cette puissance, dont les vaisseaux faisaient le blocus de toutes les côtes de la Hollande. Tout espoir de salut s’évanouit en voyant tarir entièrement les sources de son industrie.

Sans renverser leur constitution, les Hollandais, en 1804, lui firent subir de graves modifications. En 1805, Schimmelpenninck, sous le titre de grand pensionnaire de la république, fut revêtu du pouvoir exécutif ; et, appréciant comme il le devait l’honneur qu’il recevait, il promit de s’en rendre digne.

Mais les vues du chef du gouvernement Hollandais étaient en opposition avec le système de Napoléon. Le grand pensionnaire favorisa le commerce de son pays avec l’Angleterre ; et les spéculations de ses administrés étaient d’autant plus brillantes, que les produits des fabriques anglaises étaient alors prohibés dans presque toute l’Europe. L’empereur des Français trouva dans cette opération, dans ces rapports d’intérêts avec l’ennemi juré de la France, et dans la cécité dont venait d’être atteint Schimmelpenninck, le prétexte d’opérer en Hollande le changement politique qu’il méditait depuis longtemps. Il érigea donc la république batave en monarchie, et lui donna pour souverain le prince Louis Bonaparte, l’un de ses frères.

Chapitre II

Députation hollandaise au prince Louis pour lui offrir la couronne. – Napoléon proclame son frère roi de Hollande. – Le roi conserve la dignité de connétable de l’empire. – Difficultés dans l’organisation de la cour. – Arrivée du roi et de la reine à la Maison du Bois. – Leur entrée à La Haye. – Refus par le roi d’une escorte française. – Jalousie des Hollandais contre les Français. – Grands dignitaires et fêtes à la cour. – Composition du corps diplomatique. – La cour divisée en deux partis. – Point de vue politique. – Méfiance de Napoléon sur les intentions de Louis. – Composition du ministère Hollandais. – Nouvelle rédaction de la constitution du royaume. – Cultes. – Travaux du roi sur la situation administrative du pays. – Le roi veut apprendre la langue hollandaise.

Au mois de mai 1806, une députation de la république Batave, députation composée de MM. Verhuell, vice-amiral ; Brandzen, ambassadeur à la cour de France, Van Styrum, membre des hautes puissances ; Gogel, ministre des finances ; et W. Six, conseiller d’État, vint offrir au prince Louis Napoléon de régner sur la Hollande ; et, le 5 juin de la même année, l’empereur des Français proclama, à Saint-Cloud, Louis, son frère, roi de Hollande, en lui conservant la dignité de connétable de l’empire.

Le roi et la reine s’étaient fait devancer dans la résidence royale, à la Haye, par des amis sur le dévouement desquels ils croyaient pouvoir compter. Ces personnages distingués, réunis aux hommes les plus recommandables du pays, établirent entre eux les différents services destinés à former la maison du roi. Rien de ce qui avait existé sous le gouvernement qui venait de cesser ne pouvait aider à la composition de la cour d’un roi. À la simplicité du régime républicain devait succéder, sinon le faste, au moins une sorte de somptuosité, un entourage d’un rang plus élevé que tout ce qui constituait le service du grand pensionnaire. Les Hollandais voulaient décider sur la formation de la nouvelle cour ; mais les Français, prenant pour modèle la cour impériale de France, se trouvèrent en opposition avec les Hollandais ; et ce fut tandis que les petites prétentions nationales et d’amour-propre étaient aux prises, que le roi et la reine arrivèrent, le 18 juin, dans leurs états.

Les députations se présentèrent bientôt en foule à la maison du Bois, où le roi et la reine les accueillirent toutes avec une gracieuse affabilité, et une touchante bonté.

Lorsqu’un gouvernement est renversé, quelles que puissent avoir été les causes du renversement, on est porté à croire que le chef de l’État, qui succède à celui qui n’est plus, mettra tous ses soins à protéger les personnes et les propriétés ; mais il faut des garanties à une nation républicaine, à qui la force impose un roi, et un roi étranger. Aussi Louis, à travers les exaltations populaires, aperçut bien que ceux qui raisonnent leurs affections ne semblaient que conditionnellement s’engager avec lui, et attendre que sa conduite déterminât celle qu’ils tiendraient avec lui.

Quand Louis et Hortense eurent passé quelques jours à la maison du Bois, où le roi s’était beaucoup entretenu avec ses ministres et ses secrétaires d’État, ils firent leur entrée à la Haye, le 23 juin ; mais Louis, soit par modestie, soit qu’il eût préféré être escorté par des légions nationales, refusa l’assistance d’un corps de troupes françaises, qui, d’après l’ordre de l’empereur, devait accompagner le nouveau souverain.

Le roi les congédia immédiatement ; et, quoiqu’il se fût empressé de bien accueillir ces troupes, qu’il combla d’éloges, ce refus déplut fort à Napoléon, qui crut y voir le présage d’une opposition formelle, le premier degré d’une volonté absolue. Les Hollandais, au contraire, applaudirent à cette résolution, en pensant, avec raison, que dans la circonstance l’escorte du souverain devait être confiée aux habitants sur lesquels il venait régner.

Bientôt à la cour les vanités se trouvèrent excitées sur tous les points, et les Hollandais virent avec beaucoup de mécontentement les charges de grands officiers de la couronne données à des Français.

Ce mécontentement donna naissance à de fâcheuses mésintelligences, et amena successivement à la cour des changements, qui en troublèrent la bonne harmonie. Cependant toutes les ambitions auraient dû être satisfaites ; car si ces premières dignités de la couronne étaient le partage des Français, tous les ministres et ambassadeurs étaient choisis parmi les Hollandais ; et, sous beaucoup de rapports, il eût été fort inconvenant que cela fût autrement. Mais cette jalousie fit de tous côtés de rapides progrès ; et quoique les Hollandais reconnussent bien la supériorité de la nouvelle administration publique, établie en grande partie à l’instar de celle de France, ils regrettaient leurs vieilles pratiques, tout en aspirant aux emplois, et surtout à ceux qui rapprochaient davantage de la personne du roi.

Des fêtes, des bals et des concerts rassemblaient à la cour le corps diplomatique, et un nombre considérable de personnes de distinction. À ces réunions nombreuses, où étaient invitées beaucoup de personnes des départements, on en remarquait dont le costume et les manières contrastaient plaisamment avec l’aisance de ceux qui étaient habitués au grand monde ; et la toilette des dames de la Nord-Hollande et de la Zélande parut aux étrangers d’une très piquante originalité : cette variété d’habillements et de prétentions offrait un coup-d’œil fort amusant. La reine embellissait ces réunions par les agréments de son esprit et par la gracieuse bienveillance avec laquelle elle accueillait indistinctement tout le monde.

Le roi qui savait bien que la cour était déjà divisée en deux partis, cherchait sans cesse à les concilier ; et, sans le vouloir, peut-être, il favorisa les Hollandais qui, en lui en témoignant leur vive reconnaissance, firent naître dans le cœur de Louis le germe de cette prédilection nationale, très louable sans doute, mais qui le plaçait dans une fausse position vis-à-vis de la France et de Napoléon. La reine semblait, au contraire, accorder plutôt sa protection aux Français qui, par cette raison, s’occupaient constamment à se rendre dignes de ses bontés ; et il résultait de cette rivalité un schisme très apparent, qui bannissait toute idée de bonne intelligence.

Placé entre ses devoirs comme roi de Hollande, et sa conscience comme mandataire de l’empereur, il était bien difficile à Louis de concilier ce que la France attendait de lui, et ce qu’exigeaient les intérêts de la nation, qui l’avait appelé à régner sur elle. Ce fut sans doute pour se livrer sans restriction à ce dernier sentiment que Louis, en acceptant la couronne de Hollande, avait voulu renoncer au titre de connétable de France ; mais Napoléon le devina, et l’obligea à garder cette haute dignité militaire, qui, en lui retraçant, disait-il, ses devoirs envers l’empereur des Français, lui rappellerait sans cesse qu’il ne régnait que sous ses auspices et par sa protection.

C’est de cette position qu’il faut toujours envisager le roi, pour apprécier sa conduite politique pendant qu’il fut à la tête du gouvernement hollandais, et pour le laver en quelque sorte de l’accusation d’ingratitude envers son frère. Dès lors on cessera d’attribuer exclusivement à la mobilité du caractère de Louis les décisions, sans cesse renouvelées pendant la courte durée de son règne. Il faut l’observer luttant avec l’empereur, dont il tient sa puissance, et auquel il résista pourtant, parce qu’il voulait remplir ses obligations envers sa nouvelle patrie. Le prince Louis qui d’abord ne se souciait pas de ceindre le bandeau royal, dès qu’il se sentit la couronne sur la tête, voulut user et jouir d’un pouvoir indépendant ; mais il n’était pas assez fort pour lutter avec succès contre la France, à qui rien alors ne résistait ; et il devait infailliblement succomber.

Le roi voulait franchement le bien de ses sujets : cette pensée l’occupait constamment ; mais ce qu’il voulait faire pour atteindre son but n’entrait pas dans les vues de Napoléon, et presque toutes celles de Louis, à cet égard, étaient autant de protestations contre le grand système continental.

Pour arriver à cette fin salutaire, objet de sa sollicitude, le roi s’entoura d’hommes, pour lesquels il avait beaucoup d’estime, et les prit exclusivement parmi des Hollandais : MM. Molerus, Gogel, Twent et Roëll avaient tous donné des preuves d’une grande capacité, et leur délicatesse garantissait leur dévouement, leur fidélité. Le premier fut appelé au ministère de l’intérieur, le second eut le portefeuille des finances, le troisième fut chargé de l’administration des digues, et le dernier prit le titre de ministre d’État. M. Mander Goes qui, sous les états-généraux de Hollande, avait rempli des missions diplomatiques dans les principales cours de l’Europe, fut appelé au ministère des affaires étrangères : M. Van der Goes réunissait toutes les qualités sociales et politiques qui font les bons ministres et les citoyens précieux : Statdhoudérien, ou républicain, il n’importe.

M. Van der Goes, quoiqu’il se fût ostensiblement et franchement opposé au régime monarchique, donna au roi des marques d’un dévouement sur lequel il pouvait compter : habile et vrai, telle était sa devise. Le général Bonhomme passa au ministère de la guerre, M. Vander Heim à celui des colonies, et à la justice et la police M. Van Hof, qui eut pour successeurs M. Van Maanen, un des plus ardents républicains du pays, et M. Hugenpoth, catholique distingué.

Le roi ayant reconnu que la constitution qu’il avait d’abord adoptée offrait quelques points assez obscurs, lui fit subir des changements assez importants, et cette réforme avait pour but de donner à son peuple plutôt l’application des principes, selon les circonstances et les temps, qu’une nouvelle constitution. Il s’occupa ensuite à connaître la situation des affaires du pays, et quand il vit l’appauvrissement du trésor, il en fut vivement alarmé. L’administration des digues était dans un désordre épouvantable, et pourtant, malgré l’exiguïté des ressources, il fit continuer les importantes écluses de Catwyk, commencées sous l’ancien gouvernement. Louis trouva la jurisprudence soumise à des lois incohérentes. L’armée de terre ne présentait rien de tranquillisant, et le corps d’artillerie ne donnait pas plus de sécurité ; la marine était dans une meilleure situation : elle avait deux flottilles ; l’une destinée à la garde des côtes et des ports, et l’autre en station à Boulogne sur mer. Le Helder, Amsterdam et Rotterdam possédaient un assez grand nombre de vaisseaux, et les officiers qui commandaient alors ce service étaient MM. Verhuell, Dewinter, Kikkert, Blogs Van Frèslong, Lemmers et Hartzinck.

L’exercice des cultes était libre, et l’État salariait seulement les ministres de la religion réformée (religion dominante de la nation) : toutes les autres communautés supportaient elles-mêmes les frais de leur culte et de leurs écoles. L’église catholique végétait dans une profonde misère, et ceux qui la professaient n’étaient admis à aucun emploi public ; les juifs surtout, les juifs allemands, étaient comme autrefois, en France, partout rebutés, et presque tous méprisés.

Le commerce était languissant ; les manufactures et les fabriques presque réduites à rien, par la supériorité des établissements du même genre chez les autres nations. Cultivés avec beaucoup moins de succès qu’ailleurs, les sciences et les arts n’étaient point appliqués au développement de l’industrie ; mais l’institution publique se montrait sous un jour plus favorable, grâce à un assez grand nombre d’universités, dans lesquelles se trouvaient des hommes d’un vrai mérite.

Il ne suffisait point encore au souverain d’acquérir la connaissance de toutes les branches de l’administration, il voulut aussi apprendre la langue du peuple ; il s’en occupa sérieusement. Mais soit que ses occupations ne lui en laissassent pas le temps, ou qu’il éprouvât trop de difficultés pour se familiariser avec une langue aussi rocailleuse que le hollandais, le roi n’y fit pas de grands progrès ; et il pouvait, sans inconvénient, se dispenser de parler le hollandais chez une nation où toutes les personnes bien élevées connaissent et parlent bien la langue française, devenue presque européenne, et l’organe des nations et des traités étrangers.

Chapitre III

Le roi demande le renvoi de Hollande des troupes françaises. – L’empereur y consent. – Augmentation de l’armée hollandaise. – Mouvement des troupes prussiennes. – Le roi à l’armée. – Craintes du roi sur le rôle qu’il y jouera. – Ordre de Napoléon à Louis de s’emparer du Hanovre. – Le roi refuse et quitte l’armée.

Le roi, affecté de la situation déplorable des finances et voulant réduire les dépenses de l’État, sollicita de la France le renvoi de ses troupes, ainsi que la diminution des armements maritimes ; sa sollicitude à cet égard était si vive, si pressante, qu’en écrivant directement à l’empereur, il lui déclara avec énergie « qu’il abdiquerait sur-le-champ, si le gouvernement français ne s’acquittait point vis-à-vis de la Hollande, et si les troupes françaises restaient davantage à la solde du pays. »

Napoléon, quoiqu’il dût être étonné de cette dignité énergique, accorda néanmoins ce que lui demandait son frère ; mais cette condescendance, qu’il n’eût pas eue dans une autre circonstance, ne fut due qu’à la nécessité où il était d’augmenter l’armée française en Allemagne, pour s’opposer aux dispositions hostiles du roi de Prusse.

Après ce succès, Louis s’occupa du soin important d’augmenter son armée de terre : ce qu’il venait d’exiger de la France, et ce qu’il n’avait obtenu que contre le gré de l’empereur, l’obligeait à se mettre sur ses gardes ; car la Hollande avait, pour ainsi dire, rompu en visière avec la France ; et, dans cet état de choses, Louis sentit la nécessité d’ajouter à ses forces militaires, afin de pouvoir, dans toute hypothèse, se suffire à lui-même.

Les troupes prussiennes, s’agitant sur les frontières de la Hollande, et la France gardant le silence sur ces mouvements, le roi prit de promptes mesures pour se mettre sur une défensive imposante ; car, dans sa position avec la France, il n’avait point de secours à en attendre.

Le roi divisa son armée en deux corps : l’un de quinze mille hommes, dont il se réserva le commandement, et qui dut être dirigé sur Wesel ; l’autre, commandé par le général Michaud, devait se mettre en station au camp de Zeist. Louis se disposait à partir, lorsqu’il reçut des dépêches de l’empereur qui le confirmèrent dans la crainte que ses troupes ne fussent point réunies en corps d’armée particulière. Cette disposition l’affligea beaucoup, et porta une sorte de découragement dans le corps de ses officiers.

Quoi qu’il en soit, le roi, accompagné du général Michaud, se rendit à Wesel, et de là à Cassel, où tout lui prouva que l’intention de l’empereur était qu’à l’armée le roi de Hollande ne fût considéré que comme prince français.

À dater de ce moment, le système d’oppression de Napoléon, à l’égard de la Hollande, se déroula complètement aux yeux du roi, et c’est dès-lors que Louis, abjurant toute condescendance envers son frère, prit la ferme résolution de ne plus agir désormais que comme roi de Hollande, et dans toute la plénitude des devoirs que lui imposait ce titre. En revenant, il bloqua les places fortes de Hameln et Nieubourg, où étaient les troupes prussiennes ; Rintelm fut occupé par le général Dandels. Un officier d’ordonnance apporta au roi un ordre de l’empereur lui enjoignant d’aller prendre possession du Hanôvre. Le roi, offensé de cet ordre, répondit à l’empereur qu’il retournait à sa résidence, donna ensuite le commandement de toutes ses troupes au général Dumonceau, et rentra dans sa capitale avec la conviction que Napoléon ne l’avait placé sur le trône de Hollande que comme un préfet français.

Chapitre IV

Retour de Louis à La Haye. – Blocus des Îles britanniques. – Décret du roi sur l’exécution de ce blocus. – Codes et contributions. – Institution des grands officiers du royaume. – Détails sur la maison du roi, et désastre de Leyde. – Désir du roi d’habiter Amsterdam. – Création de l’ordre de l’Union. – Nouveaux impôts et création d’une direction des beaux-arts. – Séquestre des marchandises anglaises. – Députation hollandaise à Napoléon en Allemagne.

En rentrant à la résidence royale, Louis, apprenant le système du blocus des Îles britanniques, en ressentit un vif chagrin ; car cette mesure pouvait amener la ruine de ses états. Il chercha à éluder l’exécution du fatal décret de Napoléon ; mais, quels que fussent ses efforts et sa prudence, l’empereur apprit qu’il le trompait sur ce point important. Napoléon, indigné d’être abusé de la sorte, redoubla de sévérité, et éleva la voix plus despotiquement encore.

Cédant à la force d’un pouvoir aussi absolu, le roi, par un décret du 15 décembre 1806, s’était résigné à ne plus s’opposer à l’exécution du blocus, et pourtant l’empereur n’était pas satisfait. Ses agents lui persuadaient qu’il existait toujours des relations commerciales entre la Hollande et l’Angleterre ; et ces rapports, sans doute exagérés, mais basés sur un fond de vérité, furent sur le point de provoquer des visites domiciliaires dans toute la Hollande.

Malgré tant de contrariétés, Louis s’occupa encore des institutions qui pouvaient être utiles à son gouvernement. Un code civil et un code criminel furent rédigés par des jurisconsultes dont les mœurs et les connaissances garantissaient la bonté d’un travail si important. On compléta aussi le nouveau système des contributions, système qui établissait une égalité parfaite entre tous les habitants, et il parut de sages règlements sur les corporations et les maîtrises. À l’imitation de la France, le roi Louis institua les grands officiers du royaume, maréchaux et colonels-généraux, et proposa au corps législatif une loi portant création de l’ordre de l’Union et de l’ordre du Mérite.

Quoique l’administration de la maison du roi fût placée sous la surveillance immédiate des grands officiers de la couronne, Louis s’arrachait à des travaux de la plus haute importance pour descendre à de minutieux détails, qui, s’ils prouvent l’ordre chez un particulier, semblent au-dessous de la dignité souveraine. Il fallait que chaque grand officier soumît au roi l’organisation de son service, lui présentât sur chaque individu des renseignements spéciaux. Cette inquiétude du roi, causée par la crainte que l’empereur ne le fît constamment observer, s’étendait sur le grand officier de la couronne, comme sur le dernier valet de pied. S’agissait-il d’un Français ? ses informations étaient bien plus sévères, et il n’était guère admis que si on n’avait pas trouvé un Hollandais capable de remplir les fonctions de la place. Cette préférence accordée aux Hollandais entretenait dans la maison du roi un élément de jalousie qui s’accroissait chaque jour d’une manière sensible.

En janvier 1807, la ville de Leyde éprouva un épouvantable désastre causé par l’explosion d’un bateau de poudre ; le bateau sauta au milieu de la ville. Le roi se rendit sur-le-champ à Leyde, et déploya dans cette horrible catastrophe un noble caractère d’humanité, une bienveillance vraiment royale ; il prodigua des secours et des consolations aux infortunés que ce malheur venait d’atteindre. Indépendamment des nombreux actes de générosité que le roi fit en faveur des malheureux habitants de la ville de Leyde, il étendit plus loin encore sa bienveillante sollicitude, car il les dispensa pendant dix années de toute contribution, et fit la remise aux débiteurs des arrérages des impôts non acquittés au moment du désastre.

Partout ces grands accidents sont diversement envisagés, et il est rare qu’on ne les attribue pas à la malveillance : on prétendait en Hollande que ce fatal évènement devait arriver à La Haye, et l’explosion avoir lieu de manière à ce que l’habitation du roi en fût atteinte. Pour ajouter foi à cette version, il aurait fallu que le conducteur du bateau, qui à coup sûr eût été dans la confidence, se fût sauvé, et le malheureux a été une des premières victimes de l’explosion.

Quoi qu’il en soit, peu de temps après, le roi fit pressentir qu’il avait le désir de faire sa résidence à Amsterdam, et cette nouvelle se serait promptement accréditée, sans l’installation qui eut lieu à La Haye des chevaliers de l’ordre de l’Union, dont la devise était : Fais ce que doys, advienne que pourra. (Doc wel en zie ni et om.) La décoration était une croix en or à rayons émaillés, et des abeilles d’or entre les rayons : d’un côté on voyait, au milieu de la croix, les Faisceaux d’union des Provinces-Unies, et on lisait ces mots : L’union fait la force (lendragtmaakt magt) ; de l’autre côté était figuré le lion de la Zélande, à la nage, avec l’exergue de la devise. La croix était suspendue à un ruban de couleur bleu clair.

La France avait tellement exigé de sacrifices de la part de la Hollande, que le roi se vit, à regret, obligé d’établir de nouveaux impôts, ce qui n’eut point lieu sans blesser l’esprit national et sans contrarier d’antiques usages ; mais comme les circonstances étaient impérieuses, il fallut bien se soumettre. On adopta un système présenté par le ministre Gogel, chargé des finances. Après cette grande opération, le roi proposa un nouveau cadastre, créa une direction des beaux-arts, dont le savant Halman eut la direction ; l’instruction publique fut réunie aux beaux-arts ; comme en France, il y eut une grande exposition de toutes les productions de l’industrie nationale, et la bibliothèque publique reçut de nombreuses augmentations.

On attendait en vain la fin du blocus qui avait presque anéanti le commerce de la Hollande, car l’empereur Napoléon, par un nouveau décret, y avait ajouté le séquestre de toutes les marchandises anglaises.

Cherchant toujours à obtenir la bienveillance de l’empereur, la Hollande lui adressa une députation qui le rejoignit en Allemagne ; il la reçut au château de Finkenstein, et l’accueil qu’il lui fit fut assez gracieux, quoiqu’il ne dissimulât pas qu’il était convaincu que son frère se plaisait à favoriser le commerce de la Hollande avec l’Angleterre ; il ne déguisa point à la députation qu’à la paix générale il serait obligé de rappeler à la Hollande qu’elle avait continuellement contrarié ses vues, bien qu’elle les connût positivement.

Chapitre V

Mésintelligence entre le roi et la reine. – Réflexions sur leur mariage. – Voyage du roi dans ses états. – Mort du prince royal et absence du roi et de la reine. – Réflexions des Hollandais sur l’absence du roi. – Retour du roi sans la reine. – Arrestations faites pendant l’absence du roi. – La résidence royale transférée à Utrecht. – Réunions au palais. – Traité entre la France et la Hollande. – Le roi veut habiter Amsterdam. – Encouragements accordés par le roi à une actrice.

La reine exerçait un grand empire de bienveillance ; mais elle ne partageait pas le bonheur qu’elle répandait autour de sa personne : il existait entre elle et le roi une désunion fâcheuse, et dont l’évidence affligeait toute la nation. Ceux qui étaient dans le secret des antécédents, assuraient que cet éloignement de Louis pour sa femme existait même avant l’époque de leur mariage, qui fut décidé entre Napoléon et Joséphine, sans que ni Louis ni Hortense aient été consultés.

Toujours animé du désir de connaître ses états, Louis entreprit un voyage vers le mois d’avril ; dans les lieux qu’il visitait, il donnait à tout la plus grande attention, et ses encouragements amenèrent des améliorations sensibles dans beaucoup d’établissements publics ; mais aussi, de tous côtés, il trouva la récompense de sa sollicitude dans les félicitations les plus franches comme les plus touchantes.

À son retour, un évènement cruel lui causa la plus vive douleur. Son fils, le jeune prince royal, attaqué du croup, fut tout à coup dangereusement malade et succomba en quelques jours. La désolation du roi et de la reine fut à son comble ; ils s’éloignèrent non seulement des lieux témoins de cette perte affreuse, mais encore de la Hollande ; l’un et l’autre allèrent en France prendre les eaux dans les Pyrénées.

Le comte d’Arjuzon accompagna à Paris la dépouille mortelle du jeune prince, mais jamais ce grand dignitaire de la couronne ne reparut à la cour de Hollande. Sa disgrâce qu’on expliquait difficilement, tant on était loin de la soupçonner, alarma tous les Français qui étaient au palais, et qui à chaque instant pouvaient éprouver le même sort.

Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et le besoin qu’il pouvait avoir de prendre les eaux, s’étonnèrent de le voir s’éloigner de ses états dans un moment aussi critique. Leurs réflexions à cet égard étaient pleines de sens et de justesse ; car ce fut précisément pendant l’absence de Louis qu’eut lieu le traité de Tilsitt, où il s’agissait de puissants intérêts pour la Hollande. On pensait que des chagrins domestiques, quelques légitimes qu’ils fussent, ne justifiaient pas aux yeux de la politique l’éloignement du souverain, surtout dans les circonstances où se trouvait son royaume. Ce fut aussi pendant l’absence de Louis que les troupes hollandaises se distinguèrent à l’armée, et que leur roi fut le dernier de ses états à apprendre leurs victorieux succès.

En revenant des Pyrénées et passant par Paris, Louis apprit de l’empereur même que le gouvernement français avait cru devoir user de rigueur contre des contrebandiers hollandais dont la hardiesse allait toujours croissant, et dont il fallait enfin empêcher le commerce clandestin. Beaucoup d’arrestations furent faites au nom du gouvernement français, et dès que Louis en fut informé il ne put plus se faire d’illusion sur le but de Napoléon. Le roi dut attribuer encore à son absence ces arrestations, et il fut très longtemps à pouvoir obtenir la mise en liberté des personnes détenues.

À son retour en Hollande, où la reine ne l’accompagna pas, Louis, soit qu’il revît avec trop de peine les lieux qui lui rappelaient sans cesse la perte de son fils, soit qu’il ne se crût pas convenablement placé à La Haye pour l’exécution de tous ses desseins, se dégoûta de l’ancienne résidence des stathouders, et voulut habiter la ville d’Utrecht. Pendant son absence il avait fait faire l’acquisition de plusieurs maisons qui prirent le titre de palais. Louis partit donc pour Utrecht au mois d’octobre 1807, accompagné de toute la cour, qui se logea difficilement et très incommodément dans une espèce de palais, dans une ville silencieuse et distribuée depuis longtemps pour un tout autre usage qu’une résidence royale. Le langage, les manières, les habitudes, les mœurs, l’esprit, rien ne ressemblait à ce que l’on trouvait dans la jolie ville de La Haye, depuis des siècles en possession de la cour. Les habitants d’Utrecht furent d’abord enchantés de la résidence du roi, parce que tout ce qui est nouveau a le don de plaire à la multitude ; mais on se lasse de tout, et les citadins d’Utrecht le prouvèrent bientôt.

Malgré son déplacement et les travaux importants dont il s’occupait, le roi semblait porter partout un air ennuyé qui n’échappait à personne, et le secours des comédiens français, qui venaient donner des représentations dans la nouvelle résidence, ne contribuait que faiblement à égayer Louis et la cour. Indépendamment du spectacle, il y avait au palais des réunions familières et des bals où la meilleure société de la province assistait ; mais l’absence de la reine frappait toutes ces assemblées consacrées au plaisir, d’une langueur, d’une monotonie très apparente ; on se rappelait comment à La Haye sa spirituelle vivacité savait animer les cercles où elle brillait par ce charme qui accompagne toujours une souveraine jeune et aimable.

Après beaucoup d’instances, Louis obtint enfin un traité entre la France et la Hollande ; mais ce traité sembla tellement onéreux à la Hollande, que le roi fit beaucoup de difficulté pour le ratifier. La France par ce traité s’appropriait le port de Flessingue, ville importante de la Zélande, et en consentant péniblement à cet abandon, Louis se flattait de pouvoir éviter des sacrifices encore plus pénibles.

Le roi s’étant promptement lassé de tenir sa cour dans la ville d’Utrecht, allégua des raisons de politique pour justifier le désir de porter la résidence royale dans Amsterdam, et d’en faire désormais la capitale du royaume. Les habitants de cette grande cité, quoi qu’en ait dit obligeamment la députation de la ville au roi, se trouvèrent peu flattés, à cause de leurs relations commerciales, de se voir auprès de la cour, dont la dissipation pouvait amener une influence contraire à leurs intérêts.

En attendant la réalisation de ce changement de résidence, l’année 1807 s’acheva assez tristement au palais d’Utrecht, où les réunions d’agrément étaient bien moins fréquentes, et où le roi, pour combattre les soucis dont il paraissait de plus en plus obsédé, faisait souvent de la musique avec le directeur de sa chapelle.

Les rois ont aussi leurs faiblesses, et Louis, en allant souvent au spectacle, s’était, dit-on, doucement habitué à encourager particulièrement le talent fort distingué d’une jeune actrice, digne émule de la célèbre Mars, et dont les attraits brillants et la conduite réservée avaient bien pu fixer l’attention d’un souverain encore jeune.

Chapitre VI

Mauvaise santé du roi. – Ambassadeur de France à la cour de Hollande. – La cour habite Amsterdam, déclarée capitale. – Exposition à Utrecht des produits de l’industrie, et création d’un institut des sciences et arts. – Louis refuse la couronne d’Espagne. – Police française en Hollande, et voyage du roi dans les départements. – Hollandais qui regrettent le passé. – Désunion entre Napoléon et Louis. – Le code Napoléon pris pour base de celui de Hollande. – Le blocus ruine le commerce. – Inondations. – Dévouement du roi. – Loi sur la noblesse. – Le grand-duché de Berg donné au prince royal. Voyage du roi dans ses états. – Trait d’humanité. – Changement dans le ministère. – Mécontentement de l’empereur à cause de la contrebande en Hollande. – Pressentiment sur de grands évènements – Descente des Anglais dans l’île de Walkeren. – Troupes hollandaises envoyées contre cette expédition. Trahison du général Bruce, et prise du fort de Batz par les Anglais. – Voyage du roi à Anvers. – Le roi commande les troupes, et le prince de Ponte-Corvo lui succède. – Prise de Flessingue, et trahison du général Monnet. – Fête du roi. – Reprise du Fort de Batz par les Hollandais. – Les Anglais abandonnent l’île de Walkeren.

Le roi était habituellement d’une mauvaise santé, et cette disposition, qui augmentait sans cesse, donnait à son caractère quelque chose de triste et de morose qui affligeait les officiers de sa maison. Le malaise presque continuel qu’il éprouvait ne l’empêchait pourtant pas de travailler avec ses ministres ; et, néanmoins, malgré ses efforts, il ne put détourner le gouvernement français du blocus contre l’Angleterre, dont l’effet devenait de plus en plus désastreux pour la Hollande.

Napoléon avait longtemps dédaigné d’avoir un ambassadeur en Hollande ; enfin il y envoya M. de La Rochefoucauld, dont tous les efforts, si l’on en croit quelques diplomates hollandais, tendirent à préparer la réunion du pays à la France.

Peu de temps après l’arrivée du nouvel ambassadeur en Hollande, le bruit de la cession du Brabant et de la Zélande, en échange des villes Anséatiques, commença à se répandre. Louis, offensé de cette nouvelle, que la diplomatie française accréditait dans l’ombre, s’en expliqua sévèrement avec l’empereur, qui lui répondit d’une manière aussi ironique qu’évasive

Louis serait peut-être parvenu à assurer la prospérité de l’État, si son frère, dans ses vastes desseins, ne l’eût pas paralysé dans les siens. Il semblait permis de croire à cette prospérité, car il résulta des mesures de finances, prises jusqu’alors, un succès qu’on n’avait pas osé espérer, et qui dut être attribué en grande partie au ministre des finances, M. Gogel.

Quand le superbe hôtel-de-ville d’Amsterdam fut transformé, à ce que l’on crut, en palais royal, lorsqu’à grands frais on l’eût disposé et meublé somptueusement, le roi reçut à Utrecht une députation des habitants d’Amsterdam chargée de l’engager à prendre leur hôtel-de-ville pour sa demeure, et à déclarer Amsterdam la capitale du royaume. Le roi, acceptant une offre pour ainsi dire demandée, fit son entrée à Amsterdam le 20 avril 1808 ; le peuple alla au-devant de lui, et lui donna, par ses acclamations, de touchantes marques de son affection et de sa joie.

Le roi ayant choisi Utrecht pour le lieu de l’exposition des produits de l’industrie nationale, s’y rendit avec toute la cour pour y distribuer des médailles d’encouragement. De retour dans la capitale, Louis y fonda l’institut général des sciences et des arts, divisé en quatre classes : les noms de deux Français figuraient dans celle des beaux-arts, et tous les autres membres des autres classes étaient choisis parmi des Hollandais.

Joseph Bonaparte, l’aîné des frères de Napoléon, n’était point encore sur le trône d’Espagne, que l’empereur avait fait proposer à Louis de quitter les Hollandais pour venir régner sur les Espagnols. Louis refusa sans hésiter ; et ce refus, auquel toute l’Europe applaudit plus tard, augmenta puissamment l’attachement et le dévouement des Hollandais en faveur de leur roi, qui leur accordait une si éclatante préférence.

La France, voulant avoir en Hollande une police secrète bien organisée, chargea un nommé Gateau de venir sonder le terrain ; et ce lévrier d’espionnage intrigua tellement, que, sous un prétexte d’apparence honnête, il arriva jusqu’au roi, qui, le devinant, ne voulut point d’abord le déconcerter en le démasquant ; mais Louis s’arrangea de telle façon, que cette police ne fut point organisée, quoique l’envoyé de Paris eût déjà beaucoup de gens qui lui étaient dévoués, et même jusque dans les services subalternes de la maison du roi.

Tous les ans le roi avait le bon esprit de vouloir faire une visite dans quelque partie de ses états ; ces excursions dans les départements ajoutaient à toutes les connaissances qu’il avait besoin d’acquérir sur un pays neuf pour lui : et d’ailleurs les souverains doivent bien se persuader que les peuples aiment toujours à voir ceux dont ils attendent leur félicité. Le roi qui visite souvent ses sujets obtiendra d’eux plus facilement les sacrifices qu’il en exigera.

Le peuple hollandais, essentiellement religieux, aima beaucoup à voir le roi s’occuper des affaires concernant les cultes ; il sut concilier toutes les croyances, ce que la diversité des dogmes en Hollande rendait très difficile ; mais que ne peut la patience réunie à la volonté de faire le bien ! Néanmoins, malgré cette constance à vouloir assurer la prospérité de tous, quelques-uns doutaient encore de ses intentions, c’était de ces Hollandais de vieille roche, fidèles partisans des Stathoudériens des Orangistes qui regrettaient toujours le passé. Eh ! qui pourrait les blâmer, si la reconnaissance était le mobile de leur éloignement pour le présent ? À ceux que le nouveau régime n’accommodait pas, se réunissaient tous ceux que la perte de leur hôtel-de-ville affligeait réellement. Le palais était exclusivement au roi, tandis que l’hôtel-de-ville appartenait à tous les habitants.

Deux ans s’étaient à peine écoulés depuis l’avènement de Louis au trône de Hollande, que tous ses rapports avec Napoléon étaient empreints d’aigreur ; ces deux frères étaient en guerre ouverte. Pour plaire à l’empereur, il aurait fallu que Louis ne régnât en Hollande que d’après le système du gouvernement français. Le devait-il ? Non ! s’il voulait se dévouer tout à la nation. Mais qui l’avait fait roi ? il faut bien distinguer ici l’homme du souverain. C’est à Louis Bonaparte, c’est au connétable de France à répondre à cette question, et non point à Louis Napoléon, roi de Hollande. On l’a toujours pensé, et maintenant on peut le dire sans déguisement, les frères de Napoléon, tout rois qu’ils fussent, n’étaient réellement que ses lieutenants ; leur élévation était toujours subordonnée à sa puissance : c’était au nom de l’empereur des Français qu’ils régnaient en Espagne, en Italie, en Wesphalie et en Hollande. Sans juger ici du mérite de la politique de Napoléon, cette politique exigeait que, maître des puissances vaincues, il plaçât à leur tête des hommes agissant dans toute la plénitude de son système. Il avait son but : qu’il fût sage ou non de l’atteindre, ce n’était point à ses lieutenants, souverains il est vrai, mais toujours ses subordonnés, à gêner sa marche par des entraves.

Louis cédant donc au désir de gouverner d’après ses propres vues, contrariait tellement celles de l’empereur, qu’il devait bien s’attendre à tous les évènements qui furent la conséquence de son opposition au système du chef de l’empire français.

Si la politique de l’empereur n’avait pas l’assentiment de Louis, en revanche le Code-Napoléon lui plaisait beaucoup, car il demanda au Corps-Législatif d’en adopter les bases pour la rédaction du Code de la Hollande, qui fut approuvé en 1809.

Le désastreux blocus et par mer et par terre existait toujours, et quoique le commerce fût dans une position désespérée, il se faisait encore quelques affaires avec l’Angleterre : quelques bâtiments échappaient à la surveillance des douaniers ; mais ce n’était que quelques gouttes d’eau pour étancher une soif ardente.

Il n’est pas rare en Hollande que de terribles inondations portent sur quelques points le deuil et l’épouvante. Le roi n’avait encore rien vu d’aussi effroyable que l’inondation de la Gueldre : quoique malade, il accourut avec les principaux officiers de sa maison. Ses souffrances, devenues plus vives, ne l’empêchèrent pas de s’occuper des maux de ses sujets ; il voulut voir par lui-même le théâtre des ravages causés par les eaux, auxquelles les digues rompues n’opposaient plus de frein, et pour soulager des malheureux que l’inondation menaçait d’engloutir, Louis s’exposa plusieurs fois à d’imminents dangers. Son exemple, sa patience et son courage excitaient les travailleurs à l’imiter ; il récompensait généreusement ceux qui s’exposaient le plus : la ville de Gorcum eût été submergée si le roi ne s’y fût pas rendu, et n’eût ordonné des travaux qui la ravirent à l’inondation complète dont elle était menacée. Louis, quoique harassé, exténué de fatigues, prit très peu de repos en revenant à Utrecht, et repartit le lendemain pour se rendre sur un autre point, où son active sollicitude pouvait être aussi utile qu’à Gorcum, entièrement rassurée par les secours qu’on lui avait prodigués.

Depuis longtemps le roi était sollicité de s’occuper d’un projet de loi sur la noblesse ; et ce fut le baron de Pallandt, premier chambellan, qui le lui présenta. Le roi, avec quelques modifications, voulut bien approuver la loi, à la grande satisfaction de ceux dont elle flattait l’ambition. L’enchantement ne fut pas de longue durée, car Napoléon obligea bientôt Louis à rapporter cette loi de faveur, et à annuler aussi le titre de maréchal de Hollande, qui avait été conféré à quelques officiers-généraux, titre que Napoléon, dans sa correspondance, désigne sous le nom de caricature dans un État secondaire.

Rien ne pouvait mieux tempérer la mortification que le retrait de la loi sur la noblesse faisait éprouver au roi, que l’investiture du grand-duché de Berg en faveur du jeune prince royal de Hollande, bienveillance affectueuse de Napoléon, qui pourtant n’aveugla pas Louis au point de ne pas y reconnaître quelque dessein caché de l’empereur. Celui-ci n’avait pas même daigné informer le père d’une donation faite à son fils, encore sous la puissance paternelle. Ce n’était plus un problème ; et il était bien évident que depuis quelque temps Napoléon voulait s’attribuer un empire despotique sur tous les membres de sa famille et sa politique l’avait amené à faire peut-être à cet égard ce que son cœur n’autorisait pas.