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Extrait : "A la fin de la session de 1839, une discussion plus brillante qu'utile avait eu lieu dans les Chambres sur la question d'Orient. L'attention du gouvernement et du public était éveillée : l'intérêt de la France était-il de marcher avec le sultan ou de soutenir les ambitieuses tentatives du pacha d'Egypte ? La lumière manquait, et nous verrons que jusqu'au dénouement violent de juillet 1840, la vérité ne nous est pas parvenue."
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Seitenzahl: 391
Veröffentlichungsjahr: 2015
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À la fin de la session de 1839, une discussion plus brillante qu’utile avait eu lieu dans les Chambres sur la question d’Orient. L’attention du gouvernement et du public était éveillée : l’intérêt politique de la France était-il de marcher avec le sultan ou de soutenir les ambitieuses tentatives du pacha d’Égypte ? La lumière manquait, et nous verrons que jusqu’au dénouement violent de juillet 1840, la vérité ne nous est pas parvenue. Ce n’est pas tout, deux des grandes puissances, exceptionnellement intéressées dans la solution de la question d’Orient, la Russie et l’Angleterre, étendaient leurs conquêtes en Asie jusqu’à la Perse, devenue le théâtre de leurs intrigues et destinée à devenir plus tard leur champ de bataille.
À cause du siège d’Hérat, entre le shah et le résident anglais avait éclaté un différend, à la suite duquel celui-ci avait quitté le pays ; excellente occasion pour entrer en rapport avec Méhémet-Shah, auprès duquel on n’aurait plus à lutter que contre la malveillance éventuelle de la Russie. Enfin, à la même époque était arrivé à Paris Hussein-Khan, envoyé par Méhémet pour renouer avec le roi des Français des rapports interrompus depuis la mission du général Gardanne en 1807, sous le premier empire, et demander à Louis-Philippe l’envoi d’officiers français pour l’instruction de ses troupes. Tous ces motifs réunis décidèrent, en octobre, la formation d’une mission extraordinaire en Perse.
Le comte de Sercey, fils aîné de l’amiral, d’une famille aimée par la maison d’Orléans, fut choisi comme ministre plénipotentiaire ; après lui, le marquis de la Valette, secrétaire de légation, MM. d’Archiac, Gérard, de Chazelles ; deux officiers, MM. de Beaufort, capitaine d’état-major, et Daru, capitaine de cavalerie, pour l’étude des questions militaires ; MM. Desgranges, ancien drogman à Constantinople, et Kazimirski, interprètes ; MM. Coste, architecte, et Flandin, peintre, pour la partie artistique ; enfin le docteur Lachèze.
Après un pénible voyage d’hiver dont l’intéressante relation a été publiée dans un remarquable ouvrage de M. Flandin sur la Perse, l’ambassade arriva à Téhéran. Le shah était allé comprimer un soulèvement à Ispahan. Malgré la splendide réception du Beglier-bey, M. de Sercey se hâta de le rejoindre dans son ancienne capitale. L’accueil fut magnifique, de grands honneurs furent rendus au représentant du monarque français ; mais c’était seulement auprès du premier ministre Hadji-Mirza-Agassi qu’on pouvait obtenir des avantages sérieux.
L’incapacité de M. de Sercey, sa parcimonie, regrettable dans un pays où l’influence ne s’acquiert que par les présents, son impatience de revenir en France, nuisirent au succès politique de l’ambassade : des traités de commerce ont été ébauchés, des jalons posés, rien n’a été conclu.
À Téhéran, les personnes composant l’ambassade se séparèrent : sur l’ordre de M. de Sercey, le marquis de la Valette, MM. d’Archiac, Gérard et Desgranges prirent la route du Caucase et de la Russie, étudiant toute la partie septentrionale de la Perse.
MM. de Beaufort et Daru passèrent par Shiraz, l’île de Karak, sur le golfe Persique, Bassora, Bagdad, le grand désert, la Syrie et l’Égypte, examinant, outre la situation militaire de la Perse, celle des autres pays qu’ils parcouraient.
Enfin l’ambassadeur retourna sur ses pas par Trébizonde et Constantinople, accompagné de M. de Chazelles, du docteur Lackèze et de l’aumônier Scafi.
Seuls, les deux artistes, MM. Coste et Flandin, restèrent en Perse jusqu’à l’année suivante, visitant les ruines de Persépolis, Ninive, Babylone, et rapportant en France une riche moisson de dessins, d’inscriptions antiques et d’observations sur les mœurs du pays.
On a plaisir à rendre justice aux travaux de M. Flandin, et quoiqu’ils aient obtenu des résultats moins importants, MM. de la Valette et Daru avaient fait preuve d’énergie en quittant pour cette laborieuse expédition le Jockey-Club et l’Opéra.
Le marquis Félix de la Valette avait été d’abord employé dans la maison de banque de MM. Goupy et Busoni ; puis, sous le ministère Polignac, secrétaire de M. de Montbel. Marié à une Anglaise et resté veuf, il était entré, en 1836, dans la diplomatie comme attaché à la légation de Suède auprès du comte Charles de Mornay, le brillant ami de mademoiselle Mars. La mission de Perse fut le second échelon de sa carrière diplomatique.
En 1841, le retour du vicomte Paul Daru fut un sujet de joie pour ses nombreux amis ; de là, tenue, du tact, sa libéralité, sa droiture en faisaient le plus populaire parmi les hommes de notre génération.
Le jeune Cyrus Gérard, fils du maréchal, et dont la correspondance pendant le voyage rappelait pour l’esprit et le naturel celle de Victor Jacquemont, revint aussi, mais pour mourir quelque temps après d’une simple fièvre miliaire, victime de l’ignorance d’un médecin.
Aux approches de la session nouvelle, le comte Walewski, qui tenait par plus d’un lien au Théâtre-Français, me surprit en me proposant d’entendre la lecture d’une comédie dont il était l’auteur. La pièce, lue devant MM. Rabou, Achille Brindeau, Edouard Thierry et moi, ne rencontra que l’approbation de M. Thierry, qui y avait bien un peu travaillé. J’avais donné l’exemple de la franchise ; Walewski ne m’en sut pas mauvais gré, mais la soumit à un autre auditoire. Cette fois, l’École du grand monde, interprétée par mademoiselle Anaïs, devant MM. Thiers, de Rémusat, Mignet, etc., etc., eut un succès plus grand que sincère. Walewski m’en ayant fait part, je conçus l’espoir de m’être trompé, et j’assistai à la première représentation avec l’émotion d’un ami. Hélas ! de cette salle, en majorité bienveillante, il n’y eut plus, après un certain temps, que le vicomte d’Albon et moi pour applaudir. À la fin, d’affreux sifflets se firent entendre. Mademoiselle Anaïs avait rempli le rôle principal avec autant de cœur que de talent ; je l’allai voir dans sa loge, les Essler la consolaient. L’auteur semblait abattu ; le général Michielski, son compatriote, me prit à part :
– Je viens de lui dire en polonais, pour ne pas l’humilier, combien sa pièce est mauvaise : je vous en prie, obtenez qu’il la retire.
Je parlai en ce sens, et je fus écouté ; mais le lendemain Walewski me montra une carte de Victor Hugo sur laquelle on lisait : « Courage ! vous avez des ennemis, c’est encore un succès. » L’École du grand monde eut une douzaine de représentations.
Vers le même temps, Morny venait assez fréquemment au Messager. Outre sa liaison déjà ancienne avec Walewski, il y était attiré par le désir de donner de la publicité à une brochure, claire et précise, qu’il avait composée sur les sucres. Je le connaissais dès 1831 ; mais je le vis là sous un aspect plus sérieux qu’au club ou dans nos parties de plaisir. Il y eut même entre nous un projet de travail commun : Walewski ayant eu l’idée d’une sorte de courrier hebdomadaire, j’offris de le rédiger par moitié avec Morny. Chacun de nous, en rendant compte des débats parlementaires, aurait suivi son penchant : lui dans le sens du progrès conservateur, moi avec le ton d’une opposition plus avancée ; le plan lui plut, et j’écrivis un premier feuilleton ; mais ses occupations mondaines ou industrielles l’ayant détourné de la collaboration, je refusai de me laisser imprimer. Non seulement nous avons vécu intimement ensemble, mais au 2 décembre il en a gardé la mémoire : relevant alors d’une longue maladie, n’étant ni représentant ni membre d’aucun comité, je ne figurais sur aucune liste de proscription ; néanmoins je fus dénoncé dans la journée du 4, et le 5, une discussion assez vive eut lieu entre le général Saint-Arnaud, qui tenait à me faire fusiller ou tout au moins transporter, et Morny, qui contestait l’utilité de la mesure. L’insistance de celui-ci l’emporta, et, mis au courant de tout par un ami commun, six semaines plus tard, quand il eut donné sa démission de ministre de l’intérieur, je lui adressai la lettre suivante :
« 24 janvier 1852.
Mon cher Morny,
Je dois à ton ancienne amitié de n’avoir encore été ni arrêté, ni exilé, ni transporté. J’ai accepté sans peine un service que j’aurais trouvé tout naturel de te rendre si les rôles eussent été intervertis : et à présent que tu n’es plus au pouvoir, de bon cœur je te remercie.
E. D’ALTON. »
Cela dit, je le peindrai tel qu’il s’annonçait en 1839.
Charles-Auguste, comte de Morny, né à Paris, le 21 octobre 1811, a été élevé par la comtesse de Flahaut, mère du général et connue dans le monde littéraire sous le nom de madame de Souza. Il fit ses études au collège Bourbon et eut pour précepteur M. Casimir Bonjour. Entré à l’école d’état-major, il en sortait sous-lieutenant au 1er lanciers le 19 décembre 1830. Ses états de service sont courts et brillants : après avoir fait la campagne de Mascara sous les ordres du général Changarnier, et plus tard, l’expédition de Constantine, dans laquelle il sauva la vie au général Trézel, en 1838, il quitta l’armée pour l’industrie. Il établit à Clermont-Ferrand une fabrique de sucre : dans la lutte soutenue par les fabricants de sucre de betterave contre le sucre des colonies, il fut élu président du comité par quatre cents d’entre eux. La brochure dont j’ai déjà parlé consolida sa position industrielle, et en même temps sa rapide intelligence, applicable à divers sujets, se tournait vers la politique ; mais son âge ne lui permit de devenir député qu’en 1842.
Sans être véritablement beau, il avait la physionomie fine et bienveillante, de l’élégance, de la distinction : il était admirablement proportionné, fort adroit à tous les exercices, un de nos meilleurs gentlemen riders ; ami, parfois rival heureux du duc d’Orléans, il avait obtenu près des femmes de nombreux et éclatants succès ; instruit pour un mondain, ayant le goût de la paresse et la faculté du travail, une foi absolue en lui-même, de l’audace, de l’intrépidité, du sang-froid, un jugement sain, de l’esprit, de la gaieté, plus capable de camaraderie que d’amitié, de protection que de dévouement ; amoureux du plaisir, décidé au luxe, prodigue et avide, plus joueur qu’ambitieux ; fidèle à un engagement personnel, mais n’obéissant à aucun principe supérieur de politique ou d’humanité, rien ne gênait la liberté de ses évolutions ; certaines qualités princières, la dissimulation, l’inconscience, le mépris des hommes et pourtant le besoin de leur plaire ; il pratiquait la souveraineté du but, non au profit d’une religion, d’un système ou d’une idée, mais dans son propre intérêt.
Les craintes habilement exagérées du complot du 12 mai avaient permis au ministère de naître et de gagner la fin de la session ; mais la présentation de quelqu’une des grandes mesures formant le programme de la coalition aurait pu seule le maintenir au pouvoir. Le roi, dont il n’avait pas su gagner la confiance, s’y refusa : le 21 décembre 1839, le discours de la couronne n’annonçait aucun changement dans la politique extérieure et passait sous silence la réforme électorale et la conversion des rentes.
Dès le lendemain, 24, au sujet d’une nomination de vingt-sept nouveaux collègues, j’attaquai le ministère à la Chambre des pairs.
« Messieurs, il y a huit mois à peine que mon noble ami, le comte de Montalembert, et M. Villemain, alors défenseur éloquent et jaloux de la dignité de cette Chambre, blâmaient avec une juste amertume le peu de convenance qui avait inspiré la première promotion du 15 avril ; deux résultats ont été obtenus par les débats : 1° la reconnaissance du droit acquis à tous les membres de cette Chambre d’attaquer, non, à coup sûr, la prérogative royale dans sa liberté de créer de nouveaux pairs, mais le ministère, quel qu’il soit, dans la convenance avec laquelle il use de cette prérogative. Une autre opinion généralement exprimée, c’est qu’il y avait faute, de la part d’un ministre, à choisir de préférence des députés non réélus pour les élever à là pairie, ou, comme on le disait alors, à ramasser les blessés sur le champ de bataille électoral pour les faire siéger parmi nous, ce qui tendrait à nous constituer en hôtel des invalides. C’est par suite de ce droit incontestable de contrôle que je viens reprocher à l’administration du 12 mai de n’avoir tenu aucun compte des avertissements donnés au ministère du 15 avril. En effet, malgré le souvenir si récent de ces débats, malgré les énergiques remontrances qu’a dû faire à ses collègues M. le ministre de l’instruction publique, pour peu qu’il ait tenu à demeurer conséquent avec lui-même, l’administration du 12 mai a, dans les promotions actuelles, commis les mêmes fautes, auxquelles, pour être juste, elle en a ajouté quelques autres qui lui appartiennent en propre. Ainsi le ministère, non content de puiser, plus largement encore que ses prédécesseurs, dans cette catégorie des députés non réélus, a pris une autre part de ses candidats dans d’autres catégories également défectueuses, également sujettes à abaisser la pairie. L’une de ces catégories, par exemple, est celle des députés impossibles, c’est-à-dire des candidats qui ont échoué successivement (M. le ministre de l’instruction publique demande la parole) dans toutes leurs tentatives pour arriver à l’autre Chambre. Sans doute, rien de plus simple, de plus naturel que de succomber dans la lutte électorale, je dirai même, en certains cas, de plus honorable ; peut-être même n’est-ce qu’à des susceptibilités trop rares, à une délicatesse vraiment puritaine qu’il faut parfois attribuer la défaite ; mais il n’en est pas moins vrai que le ministère qui choisit le candidat toujours malheureux pour l’élever à la pairie, porte un tort réel à la considération politique de la Chambre des pairs.
« Enfin, quand un député, las de la vie politique, est parvenu, par un privilège que la révolution de Juillet n’a pu supprimer, à assurer l’hérédité à son fils dans une autre enceinte, alors il se retire parmi nous, et le ministère se trouve heureux de lui procurer dans la Chambre des pairs une retraite décente et paisible à la fois. Ainsi, députés non ; réélus, députés impossibles, députés retirés, telles sont les trois catégories dont ce ministère progressif et réparateur a fait choix pour rendre force et indépendance à notre institution. Toutefois, en présence des noms honorables que contient la nouvelle promotion, j’eusse renoncé peut-être à cette énumération des fautes de l’administration du 12 mai ; mais elles ne s’arrêtent pas là, un reproche, bien plus grave pèse sur le ministère, pour peu qu’on réfléchisse à la malencontreuse précipitation, à l’inconcevable légèreté avec laquelle ont été lancées les nominations : l’un de nos collègues apprend, par son portier, qu’il a été fait pair ; alors il se recueille, il calcule, il hésite… et il accepte. Bientôt, dans une lettre pleine de verve comique, il publie et la manière dont la dignité lui a été conférée et les raisons qui lui ont permis de l’accepter.
« Le ministère n’a pas toujours été aussi heureux. Un autre élu du 12 mai, en apprenant la faveur dont il était l’objet, a refusé positivement. Quinze jours d’efforts et de prières, de négociations ont été consacrés par nos imprudents ministres à obtenir l’assentiment, à vaincre les répugnances et l’antipathie d’un homme honorable pour une position qu’on lui avait faite à son insu. Enfin, touché sans doute du tort qu’il apportait, bien malgré lui, par son refus à la considération d’un des grands pouvoirs de l’État, le pair involontaire s’est résigné.
« Messieurs, que penser d’un ministère dont l’impérieux devoir était de fortifier un pouvoir déjà trop affaibli, et qui ne trouve rien de mieux pour arriver à un pareil résultat que d’attirer sur la Chambre des pairs une succession de dédains et d’humiliations qui nous fait passer successivement du consentement motivé de M. Viennet à la résignation tardive de M. Bérenger ?
« Songez-y bien, messieurs ; que la crainte de cette accusation banale, d’agir dans votre propre cause, d’être dirigés par un sentiment mesquin et personnel, ne vous retienne pas ; car avec vous s’écroulerait l’édifice entier du gouvernement représentatif, et notre mort politique une fois consommée, vous verriez bientôt l’application de ces paroles d’un publiciste bien connu :
« Quand il y a deux pouvoirs dans l’État, il y en a un de moins ou un de trop. »
« Ici, messieurs, s’arrête la tâche pénible de blâme que j’avais entreprise, et, sous un certain point de vue, je devrais des remerciements à l’administration du 12 mai, car ce ministère a du moins ce mérite à mes yeux d’avoir rendu évident pour tous ce qui était encore obscur pour quelques-uns ; d’avoir fait toucher du doigt au plus incrédule le mal qui atteint la pairie… (M. le marquis de Brézé : Très bien !). et d’avoir, par l’excès même de ce mal, ému les plus indifférents et les plus stationnaires. Non, messieurs, il n’est plus de partisan sincère du gouvernement représentatif qui, voyant les conséquences déplorables de l’article 23 de la Charte, doive hésiter à en demander le changement ; il n’est pas de véritable constitutionnel qui puisse assister en silence et sans protestation à l’anéantissement graduel d’un des trois pouvoirs de l’État. »
Malgré la vivacité de mes paroles, la majorité, blessée comme moi de la légèreté dont le ministère avait fait preuve dans ses choix, osa m’applaudir, et le ministre de l’instruction publique, M. Villemain, dans sa réponse, ne retrouva pas la bienveillance habituelle de rassemblée. Le soir, je reçus les félicitations de M. Thiers, qui engageait les principaux journalistes présents, MM. Léon Faucher, Chambolle et autres, à faire valoir la justesse de mes critiques.
La discussion sur l’adresse s’étant ouverte le 6 janvier, je prononçai un discours dont voici le résumé :
« Monsieur le baron Dupin a félicité le ministère de l’affaissement des partis… Si ce calme provenait d’un accord entre des hommes d’une même opinion triomphante, je serais le premier à m’en féliciter ; s’il ne provient, au contraire, que de la confusion des partis, je m’en effraie.
« Non seulement Insignifiance du discours de la couronne est telle qu’il pourrait être également l’œuvre du précédent ministère, mais le comte Molé et ses amis, en majorité dans notre commission, ont rédigé le projet d’adresse que les ministres du 12 mai acceptent et s’apprêtent à défendre contre nous.
« Ministres du 12 mai, vous reprochiez au 15 avril de n’avoir pas une origine parlementaire, de s’être formé des débris d’un ministère déchu, repoussé par le vote des Chambres ; vous aviez parfaitement raison : du moins ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire. Mais que pensez-vous de votre origine ? Croyez-vous être l’expression de la majorité dans les Chambres ? Vous ne pouvez pas le supposer. Enfantés par l’émeute (murmures), d’après vos propres paroles vous n’avez été qu’un ministère de dévouement : opposés d’opinions et de principes, il vous tardait de vous séparer.
« Qui vous a retenus au pouvoir quand la France était calme ? Par quels sacrifices avez-vous cimenté votre union ? Au profit de quelle opinion êtes-vous devenus ministère homogène ?
« Depuis tantôt huit mois que ces questions passent de bouche en bouche et vous sont adressées, nous n’avons pu obtenir de réponse de votre part. Si vous éprouvez quelque embarras à la faire, je la ferai donc à votre place. Il est certain, il est maintenant évident, pour tous, que l’élément politique représenté dans le ministère par M. Cimin-Gridaine a absorbé tous les autres. (On rit.) Successeurs des ministres du 15 avrils vous avez pris leurs places et adopté leurs principes, c’est trop de moitié ; il fallait opter. »
Le ministre de l’intérieur, M. Dufaure, me répondit ; son talent supérieur était embarrassé par la difficulté de sa position. Pour la première fois depuis mon entrée à la Chambre, j’essayai de répliquer ; mais, quoique le début fût heureux, ma réplique était incomplète et insuffisante : Berryer y assistait, et j’eus le regret de ne pas le satisfaire entièrement.
Si la discussion fut courte à la Chambre des pairs, il n’en fut pas de même à la Chambre des députés : elle se prolongea sans autre résultat que de rendre plus évident l’avortement de la coalition. MM. Desmousseaux de Givré, Duvergien de Hauranne et Garnier-Pagès firent entendre d’utiles vérités. L’intérêt grandit quand on toucha la question d’Orient.
Dans un langage souvent sublime, M. de Lamartine, doué de prophétie, devina les dangers de la politique faible et cauteleuse suivie par le roi sous la responsabilité de ses ministres ; nous montra notre isolement en Europe, l’hostilité de l’Angleterre et de la Russie comme l’issue fatale de cette politique, et indiqua nettement deux solutions désirables : ou le maintien de l’intégrité de l’empire ottoman, d’accord avec l’Angleterre, mais alors la soumission du pacha d’Égypte révolté et l’influence des deux puissances alliées balançant à Constantinople celle de la Russie ; ou le partage du cadavre turc entre les trois puissances et une magnifique occasion pour la France de briser les traités de 1815 en reprenant ses frontières naturelles : il penchait évidemment pour le dernier système. Il reprochait au gouvernement d’oser parler encore de « l’intégrité d’un tout coupé en deux ».
« Oui, nous jetons le masque, nous croyons à une nationalité arabe, et nous allons d’abord favoriser timidement, puis à visage découvert, l’établissement d’un second empire des khalifes sous la protection des chrétiens et sous le sabre d’un vieillard qui n’est ni Arabe, ni Égyptien, ni chrétien, ni musulman, mais qui est un grand homme ou au moins un aventurier heureux. Oui, voilà votre pensée, ministres du roi ; voilà la pensée d’une partie de la Chambre, qui en cela répond à la vôtre ; voilà la pensée fomentée par les organes de l’opinion, sous les influences et sous les préjugés anti-russes et anti-anglais.
« Si aujourd’hui, à l’égard de l’Orient, sans plan arrêté, sans volonté claire et dite tout haut (la première des habiletés diplomatiques), elle inquiète, elle complique, elle menace tantôt la Russie sur ses intérêts vitaux de la mer Noire, tantôt l’Autriche sur ses intérêts commerciaux de l’Adriatique, tantôt l’Angleterre sur son immense intérêt de commerce avec ses soixante millions de sujets dans l’Inde ; si ces puissances vous voient tour à tour demander avec elles l’intégrité de l’empire et le statu quo, et pousser au démembrement ; menacées chacune dans ses intérêts spéciaux et toutes dans leur orgueil, ne finiront-elles pas par voir en vous des agitateurs et des ennemis partout, et par concevoir contre la France les défiances qu’elles ne doivent qu’aux tergiversations de son cabinet ? »
Au sujet du développement de la France :
« …. Est-il besoin d’insister ? Ceci, pour la France, est bien autre chose qu’un système : c’est une passion nationale, c’est un préjugé de la grandeur. Parlez du Rhin et des Alpes, et vous êtes compris avant d’avoir achevé. La gloire y est restée, son esprit y est encore, son drapeau y reviendra une fois.
« Heureuse, dit-il en terminant (et ici la pensée politique de M. de Lamartine se révèle tout entière), heureuse, l’heure où l’Orient s’écroulera plus complètement encore et laissera place à tant de populations opprimées, mais fortes et actives, que le poids du cadavre turc écrase à la honte de la civilisation, et où la France, leur tendant une main secourable entre les ambitions de la Russie et les susceptibilités de l’Angleterre, se placera entre ces deux puissances au centre même de l’Asie Mineure, les contrepèsera l’une par l’autre, laissera les Russes protéger les populations qui leur sont sympathiques ; laissera les Anglais communiquer avec leurs Indes pour le bénéfice du monde ; laissera l’Autriche dominer dans l’Adriatique, sa nouvelle mer, et au lieu de faire obstacle et empêchement à tous, trouvera son propre intérêt, sa propre influence, sa propre richesse dans une nouvelle balance de l’Orient, dont elle sera la tige en Europe et dont elle tiendra le contrepoids en Orient.
Les lecteurs me pardonneront de leur remettre en mémoire, par ces courtes citations, un admirable discours où la beauté des images est sans cesse au service de la vérité.
La défense de M. Villemain, malgré l’éclat d’une éloquence rhétoricienne, était pauvre d’arguments.
M. Thiers, se plaçant à un point de vue moins élevé que M. de Lamartine, insista en faveur, de la seconde solution, celle de l’alliance anglaise. Il accusa avec raison le ministère d’avoir refusé l’envoi dans le Bosphore d’une escadre anglo-française ; mais son engouement pour le pacha d’Égypte, fondé sur des renseignements inexacts, venait annuler ses efforts pour le-maintien de l’union avec l’Angleterre.
Le ministère, qui avait adopté si complaisamment la politique royale en Orient, compromit les bons effets de sa soumission par un acte d’indépendance : le maréchal Sébastiani, ambassadeur à Londres, correspondait directement avec Louis-Philippe, sans s’astreindre à l’intermédiaire du ministre des affaires étrangères ; le maréchal Soult, blessé, exigea et obtint sa révocation, et le remplaça dans ce poste diplomatique par M. Guizot, le 9 février.
Dès lors, la chute du cabinet ne fut plus qu’une question d’opportunité.
Dans Paris des manifestations sérieuses eurent lieu en faveur de la réforme électorale. Il s’agissait non seulement de l’adjonction des capacités, mais de l’extension du vote à la garde nationale. Plus de trois cents gardes nationaux, parmi lesquels un assez grand nombre d’officiers, se réunirent en uniforme pour porter leurs vœux et leurs remerciements à MM. : Jacques Laffitte, Arago, Dupont (de l’Eure), Martin (de Strasbourg), députés de l’opposition.
M. Laffitte, répondant au capitaine Vallée, de la 4e légion, disait :
« Il m’est doux de vous revoir dans cette maison, qui fut le quartier général de la révolution de Juillet. Faite par le peuple et pour le peuple, cette révolution n’a pas encore porté ses fruits ; elle imposait des devoirs, elle proclamait des droits ; ces devoirs vous les avez loyalement remplis ; ces droits, ils ne sont pas encore reconnus. »
La condamnation des officiers qui y avaient pris part augmenta l’irritation des esprits.
Dans la Chambre élective, la proposition Gauguier, relative aux fonctions incompatibles avec le mandat de député, avait été prise en considération pendant la session précédente, lorsqu’il y avait accord entre les diverses fractions de la coalition. Cette fois l’accord n’existait plus, et la discussion du rapport de la commission se perdit en paroles stériles. Toutefois, il est curieux de remarquer, parmi ceux qui contribuaient à annuler la proposition, M. Résumât, le futur ministre de l’intérieur du 1er mars.
Au contraire, M. Barrot résumait ainsi le débat :
Si par le rejet de la proposition vous entendez qu’il n’y a rien à faire, ayez le courage de le décider ; que les positions soient tranchées ; que la Chambre s’élève à la hauteur d’un vote politique… Si au contraire vous décidez, qu’il y a quelque chose à faire, quelques modifications à apporter, il faut le décider avec une égale netteté, avec une égale franchise. »
M. de Tocqueville formulait en vain cet amendement sage et immédiatement praticable :
« À l’avenir aucun député ne pourra être promu à des fonctions salariées, obtenir de l’avancement, à moins qu’il ne s’agisse ou d’un fait de guerre ou d’un fait d’ancienneté. Seraient exclus de cette disposition les ministres, sous-secrétaires d’État, etc. »
Non seulement il était repoussé par la majorité ministérielle, mais les chefs du centre gauche, avec l’instinct de leur prochain avènement, cherchant surtout, à se concilier cette majorité, ne se montraient pas plus favorables à un mode quelconque de réforme électorale.
Bientôt une loi de dotation du duc de Nemours, qui n’avait pas reparu depuis l’agonie du ministère du 6 septembre, fut, avec l’annonce du mariage du prince, présentée de nouveau à l’approbation de la Chambre des députés. L’adoption était chanceuse ; car une partie des membres de la majorité, en dépit de leurs principes monarchiques, étaient hostiles à l’accroissement des dotations princières ; elle soulevait la dangereuse question de la séparation accordée à Louis-Philippe en 1830 du domaine privé et des biens attenant à la couronne. Un nouveau pamphlet de M. Cormenin : Questions scandaleuses d’un jacobin au sujet d’une dotation, avait surexcité l’opinion publique. Les calculs probables du ministère, assuré sur ce point de l’appui du roi et de ses amis, ne furent pas justifiés ; la commission, dans un rapport, favorable en principe, concluait cependant à des réductions et faisait de réserves.
Le 20 février, au jour de la discussion, par une convention arrêtée d’avance, tous les orateurs de l’opposition, à l’exception d’un seul, M. Couturier, renoncèrent à la parole. On avait hâte de voter : 226 boules noires contre 200 blanches renversèrent le cabinet du 12 mai.
Formée par une défection des chefs secondaires de la coalition, à la faveur d’une émeute, tolérée, puis abandonnée par le roi, se sacrifiant à la dotation du duc de Nemours, la dernière administration semblait avoir voulu mériter enfin le nom qu’elle s’était donné de ministère de dévouement. Combien sa sortie du pouvoir eût été différente si, lorsque lord Palmerston proposait au maréchal Soult d’unir les deux escadres et de forcer en commun les Dardanelles, celui-ci et ses collègues avaient respectueusement exigé de Louis-Philippe cet acte d’énergie, et, sur son refus, avaient donné leur démission. Cette faute capitale de leur politique en Orient, a eu de désastreuses conséquences pour leurs successeurs, pour la dynastie elle-même, et, ce qui est plus grave, pour la France. À peine un petit nombre d’esprits supérieurs s’en préoccupaient alors ; la grande question était l’enfantement du nouveau cabinet. Louis-Philippe s’étant résigné à aller chercher dans l’opposition le véritable chef de la ligue parlementaire, les négociations furent courtes, et M. Thiers eut bientôt choisi ses collègues. Pendant ces dix jours, j’allais souvent de Berryer au futur président du conseil, chargé d’exposer à quelles conditions la droite légitimiste pouvait lui accorder un vote de confiance, et de le pousser à prendre plus nettement la situation de ministre imposé. Ce qui n’est pas moins singulier que mon intermédiaire, c’est que ce n’était pas dans un journal légitimiste que Berryer déposait sa pensée politique ; une feuille napoléonienne, le Capitole, recevait ses confidences, et j’ai encore un numéro du Capitole, avec des notes de l’orateur royaliste, signalées à M. Thiers et commentant les endroits importants d’un premier-Paris.
Journal le Capitole, numéro du 13 mars 1840, avec une note manuscrite de l’orateur royaliste, signalant à M. Thiers le sort qui l’attendait s’il fléchissait devant la royauté.
Ce remarquable article et la note prophétique de Berryer méritent d’être cités.
« MONSIEUR THIERS.
La situation de M. Thiers, quoi qu’on en ait pensé, tient moins au Château qu’à la Chambre. Partout on se demande si les 221 se rallieront à lui, et selon que la réponse est favorable ou contraire, on augure son succès ou sa défaite. En cela on fait trop d’honneur à cette masse des 221, qui ne fut jamais aussi compacte qu’on veut bien le dire, et qui, assurément, ne resterait pas intacte et entière le jour où un ministère essayerait de s’en passer.
Le côté gauche, en se ralliant au ministère et en prêtant à M. Thiers un appui qui ne fut jamais offert à aucun autre ministre, a sans doute eu en vue de combattre le centre pur et tous les serviles appuis de la cour ; il se sera dit que si M. Thiers abordait la position avec franchise, avec énergie, prenant la gauche pour noyau de son parti, il verrait se grouper autour de lui non seulement la gauche et la partie du centre qui l’avoisine, mais même l’opposition de droite. Il ne faudrait pour cela que quelques déclarations patriotiques et fermes, quelques-uns de ces exposés de principes qui rallient ensemble les oppositions et l’opinion publique elle-même, tels que M. Thiers pourrait les faire s’il voulait. Alors la droite et la gauche réunies soutiendraient le ministre, le reconnaissant comme l’expression d’une opinion nationale, et à ces deux extrémités de la Chambre se joindraient sans doute, pour former une majorité, les hommes qui, dans les 221 eux-mêmes, occupant ou désirant des emplois, ne sont jamais, malgré leur belle attitude, disposés à se brouiller définitivement avec un ministre.
Si ce plan réussissait, M. Thiers, fortifié par une réunion des partis d’autant plus avouable qu’elle se ferait sur le terrain de la nationalité, dominerait d’autant mieux la Chambre, que la cour même ne pourrait l’en empêcher. Dans le cas où ses démarches éclatantes, énergiques, en faveur des opinions patriotiques invoquées contre les ignobles traditions du passé, ne seraient pas couronnées d’un succès que nous croyons possible, alors du moins M. Thiers tomberait avec honneur, avec gloire ; organe de toutes les opinions consciencieuses, dont il se serait constitué le chef, il prendrait à témoin la nation, que ces opinions représentent, du triomphe de ses adversaires, qui ne représentent que des places, des honneurs et des intérêts privés. Son caractère politique s’ennoblirait par sa chute, et jamais rôle n’aurait été plus grand et plus noble depuis Mirabeau.
M. Thiers est-il à cette hauteur politique ? A-t-il dans le caractère assez d’énergie pour formuler patriotiquement un programme adressé à la gauche et auquel toutes les nuances de l’opposition pourraient se réunir ? Est-il capable d’une assez grande abnégation pour risquer de se mesurer, avec les hommes indépendants, contre tous ceux qui ne le sont pas, et à se préparer ainsi la plus noble des chutes ou la plus belle des victoires ? Hélas ! cette énergie, cette abnégation, nous voudrions y croire, et nous n’y croyons pas. Au lieu de déployer du caractère, M. Thiers va faire de la ruse et de l’esprit ; au lieu de planter un drapeau d’indépendance qui l’honore aux yeux de la France, il déploiera comme tant d’autres un étendard ministériel pâle et sans couleur. Les députés de la gauche se repentiront de lui avoir prêté leur appui ; la droite restera indifférente et immobile : IL TOMBERA MOQUÉ PAR LES CENTRES, ABANDONNÉ PAR LA GAUCHE. »
Ces derniers, mots écrits en marge par la main de Berryer.
J’ai déjà eu occasion de montrer la sympathie réciproque de ces deux hommes éminents. L’entreprise de Berryer de prêter appui à celui qu’il supposait capable d’arracher le gouvernement aux mains du roi pour le faire passer dans le parlement, était logique, habile, mais hasardeuse ; elle avait besoin, pour être justifiée, d’une fermeté inébranlable du chef du centre gauche, tandis que sa faiblesse amoindrissait ceux qui lui avaient donné leur concours. En ce sens, on peut dire que l’influence de M. Thiers a été funeste à Berryer ; sous la République, le contraire a eu lieu. Je serais tenté d’attribuer pour une large part au chef légitimiste, ami des Jésuites, la conversion de M. Thiers au catholicisme politique, et son adoption de la candidature présidentielle de Louis-Napoléon. Mais c’est là un point à traiter en 1848.
Évidemment, avant l’arrivée de M. Thiers et de ses collègues aux affaires, il y avait eu des ministères parlementaires : celui de Casimir Périer et celui qui, à deux reprises, avait eu pour président le duc de Broglie. Mais ces choix étaient dictés au roi par la majorité conservatrice ; c’était la première fois qu’il était forcé de prendre uniquement ses ministres dans les diverses nuances de l’opposition. Si MM. de Jaubert et de Rémusat avaient été autrefois d’ardents conservateurs, depuis deux ans ils ne s’étaient pas montrés moins fermes et moins résolus défenseurs de la prérogative parlementaire. La coalition avait donc obtenu, quant aux personnes, un résultat de sa victoire. La gauche dynastique croyait sage de consolider par son appui ce premier pas vers le progrès, et elle attendait de l’avenir une satisfaction sur les choses.
Moins confiant dans les personnes, Garnier-Pagès, au nom de la gauche radicale, demandait comme gage d’alliance une mesure libérale, si modérée qu’elle fut : à défaut de la réforme électorale, une extension des incompatibilités, l’amendement de M. de Tocqueville, enfin quelque chose.
Berryer mettait à l’appoint de ses trente voix légitimistes la condition que M. Thiers se déclarât hardiment ministre imposé.
Tels étaient les auxiliaires que le président du 1er mars devait se concilier, tout en attirant à lui la grande masse flottante des centres. Il posa d’abord la question de cabinet sur le vote des fonds secrets, et, le 24 mars, ouvrant la discussion, M. Thiers exposa avec une remarquable habileté la cause de son arrivée au pouvoir, du choix de ses collègues, sa signification politique, et ; se qualifia lui-même de ministère de transaction.
Attaqué par MM. Desmousseaux de Givré et Lamartine, qui voulaient voir plutôt en lui un ministère de transition vers une opposition plus avancée, défendu par Odilon Barrot, sommé par Garnier-Pagès de donner caution, adjuré, par Berryer de tenir plus haut son drapeau, M. Thiers fit un pas de plus.
« La question de principe, disait-il, s’est trouvée résolue le jour où la couronne est venue me chercher au sein de l’opposition pour constituer un cabinet : alors il est apparu que la révolution de Juillet n’était pas une déception, et qu’il n’existait pas entre le gouvernement et l’opposition d’abîme infranchissable.
« … Je vous dirai une chose : si je fléchis, ce ne sera pas mon cœur, ce ne sera pas l’énergie de ma volonté ; si je fléchis, ce sera mon esprit ; ce sera parce que les circonstances seront plus grandes que lui ; mais jamais je ne fléchirai devant cette volonté de résister aux obstacles. Je serai à la fois ministre de la couronne et ministre indépendant, et capable de lui dire avec franchise ce que je pense. »
246 voix contre 160 accordèrent un vote de confiance ou d’espoir aux ministres du 1er mars.
Jamais la spirituelle ironie de Garnier-Pagès n’avait été mieux inspirée qu’en motivant sa défiance des hommes qui composaient la nouvelle administration ; néanmoins lui et ses amis se résignèrent à voter les fonds secrets.
Sans être à beaucoup près aussi soupçonneux, aussi découragé sur le libéralisme de M. Thiers, je résolus, quand la loi des fonds secrets fut portée à la Chambre des pairs, de prendre mes précautions et de faire mes réserves. J’étais amicalement accueilli au ministère des affaires étrangères ; ayant communiqué à M. Thiers le plan de mon prochain discours, il se récria sur les embarras que j’allais lui causer, et insista avec vivacité pour me détourner de prendre la parole ; je ne me laissai pas gagner à sa proposition de reporter mon éloquence sur la question des sucres. Les embarras, d’ailleurs, n’existaient que dans son imagination ; deux années d’une triste expérience m’avaient convaincu de l’obéissance de la pairie à tout ministère, si antipathique qu’il fût à sa majorité.
« Membre de la gauche, ministériel rallié par une transaction, je ne viens pas apporter ici au ministère le faible appui de ma parole. Il n’en a nul besoin, et il y aurait quelque puérilité de ma part à l’entreprendre, quand M. le président du conseil a déjà soutenu et expliqué sa politique avec autant de talent, et je dirai (car je lui en sais gré encore) avec une noble franchise, dont, pour ma part, je le remercie.
« Je ne viens pas non plus lui porter le tribut de mon vote, car je ne vote pas encore ; mais à cela je trouve une heureuse compensation, en songeant que ses adversaires les plus déclarés, les hommes qui manifestent avoir le moins de confiance dans l’avenir de sa politique, tombent cependant d’accord sur la nécessité de voter en sa faveur.
« Une transaction a eu lieu au grand jour, publique, honorable ; elle a été conclue sur les paroles échangées du haut de la tribune ; je viens en maintenir les bases, je viens empêcher qu’on ne les change et qu’on ne fasse d’une transaction contractée avec honneur, dans l’intérêt du pays, une conversion impossible.
« Je vais donc rétablir dans leur vérité les motifs de notre confiance dans la politique extérieure et intérieure du cabinet…
« Quels sont nos motifs de confiance, sur la politique du cabinet à l’extérieur ?… Certes, j’en suis convaincu, celui qui a combattu pour assurer par l’intervention la prépondérance de notre influence en Espagne, celui qui a combattu pour empêcher le morcellement de la Belgique, celui qui a combattu afin d’empêcher l’évacuation d’Ancône, celui-là voudra, à la tête du cabinet actuel, agir dans l’intérêt de notre dignité vis-à-vis des puissances étrangères, et conserver une active surveillance sur nos intérêts nationaux…
« Quels sont nos motifs de confiance à l’intérieur ?… C’est que le ministère actuel sort de l’opposition de gauche, au moins du centre, gauche, et que de plus il est arrivé avec les principes de cette opposition, et qu’il les conserve au pouvoir…
« Le ministère du 12 mai avait lui aussi la prétention d’être parlementaire ; il faut donc que j’établisse en quoi les ministres du 1er mars différent de leurs prédécesseurs. Ils diffèrent, quant à l’origine, en ce qu’il ne leur a pas fallu, comme le disait M. Villemain, une circonstance impérieuse pour justifier leur entrée au pouvoir ; ils diffèrent en ce qu’ils ne subsistent pas au pouvoir dans l’incertitude et dans le doute, par l’absence des principes et la confusion des nuancés politiques. Enfin, messieurs, si le cabinet actuel devait sortir du pouvoir, sa chiite ne serait pas pareille ; il n’en sortirait pas, comme le ministère du 12 mai, sur le rejet d’une loi dont, après bien des hésitations, ce dernier n’avait pas même osé faire une question de cabinet. Il diffère dans sa composition, en ce qu’il est formé dans son entier, sans mélange, sans alliage, des légitimes enfants de la coalition. (Mouvement.) Il diffère enfin en ce qu’il s’appuie déjà, dans une autre Chambre, sur une majorité forte, compacte, réunie par des principes communs, connus de tous, adoptés par tous ; car avant le vote de confiance ils avaient été proclamés à la tribune par M. le président du conseil.
« Nous devons attendre de l’administration actuelle qu’elle se montrera l’agent éclairé à l’intérieur des principes conservateurs, non de ces conservateurs quand même du statu quo quel qu’il soit, qui, dans la crainte de toucher à l’édifice, consentiraient à ne conserver que des ruines, mais possédant à un haut degré l’intelligence de notre Constitution. Je crois les ministres disposés à y apporter des améliorations là où elles sont possibles, et des réparations là où elles sont indispensables.
« Le ministère a dit : Nous ne vous apportons pas la réforme électorale ; c’est une question d’avenir, et l’avenir, nous ne voulons pas l’engager. Il a donc rectifié, ou, si l’on veut, expliqué cet ajournement indéfini, mentionné dans le rapport de votre commission, et il y aurait une bien grande imprudence, de la part du ministère actuel, à prendre des engagements sur cette question, lorsque déjà, dans une autre enceinte, une commission s’occupe de porter toutes ses investigations sur la masse des pétitions concernant la réforme électorale, et que la majorité de cette commission a prononcé le renvoi au ministère.
« Enfin, à côte et en avant, selon moi, de cette réforme électorale, il est une autre question dont je suis décidé, pour ma part, à poursuivre la solution toutes les fois que l’occasion s’en présentera : c’est la réforme de la pairie, réforme nécessaire, indispensable à la réalité du gouvernement représentatif. Eh bien, c’est surtout de ces hommes qui ont combattu depuis deux ans pour la réalité du pouvoir parlementaire, c’est de ceux qui défendent cette opinion que nous devons attendre qu’ils songeront à rendre, par tous les moyens et tous les efforts, les conditions d’indépendance politique nécessaires à la moitié du parlement ; c’est surtout de la présence au pouvoir de M. le président du conseil, qui a si noblement lutté, en 1831, pour maintenir les garanties de cette indépendance. »
On se rappelle les paroles de M. Thiers répondant à mes instances d’inscrire sur son drapeau : Réforme de la pairie :
« Mon programme est déjà trop chargé ; mais, contre le rétablissement de l’hérédité, je donnerais le suffrage universel. »
Je ne les avais pas oubliées, et je poursuivais en toute occasion, avec une égale ardeur, la réforme de la pairie et la réforme électorale, espérant rallier à cette dualité les hommes intelligents, conservateurs ou libéraux, mais voulant la réalité du gouvernement des trois pouvoirs.
Le fonds secrets ayant été votés au Luxembourg à une majorité de 90 voix, le président du conseil me pardonna mon indiscipline.
Les débats à peine terminés, un député de l’ancienne majorité, M. de Remilly, reprenait dans une intention où, malgré ses dénégations, il était impossible de ne pas voir une tactique d’opposition, la proposition Gauguier et l’amendement Tocqueville sur les incompatibilités. Selon moi, le tort de M. Thiers et de ses collègues ne fut pas d’invoquer l’inopportunité, mais d’opposer la finesse, au lieu d’une ferme franchise, aux petites perfidies de leurs adversaires. Une lettre du comte de Jaubert à ses anciens amis conservateurs pour les engager à venir dans les bureaux enterrer la proposition Remilly, lue à la tribune, produisit un effet fâcheux sur les nouveaux alliés de la gauche. L’opinion publique crut voir là un symptôme d’abandon pour les plus modestes réformes voulues en commun par la coalition.
Toutefois le ministère déployait une grande activité ; outre une masse de projets, quelques-uns très importants, à soutenir devant les Chambres, M. Thiers avait encore à satisfaire ceux qui, dans le parlement, dans la presse, avaient couru sa fortune.
Le Messager avait été un instrument utile, son rédacteur, le comte Walewski, un ami dévoilé ; MM. de la Redorte et Roger le lui remirent en mémoire. Le comte Walewski, indemnisé de la valeur de son journal, fut chargé d’une mission extraordinaire en Égypte, auprès de Méhémet-Ali, afin de le déterminer aux concessions que les grandes puissances exigeaient de lui.
À quelque temps de là, le président du conseil eut la bonne grâce de me demander de lui-même s’il ne pouvait rien pour moi.
– Rien, lui dis-je ; et, après réflexion, à moins que vous ne consentiez à demander pour moi la main de mademoiselle X ***.
Il se mit à rire de bon cœur.
– Et pourquoi pas ? ajouta-il ; j’aime assez, le rôle de M. Willamme.