Meurtre au pays de Rabelais - Gilles Martin - E-Book

Meurtre au pays de Rabelais E-Book

Gilles Martin

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Beschreibung

Un polar au cœur de la Touraine !

A Panzoult, le corps d’une vieille dame vient d’être découvert dans son jardin. La capitaine de gendarmerie Clara Verbach est envoyée sur place pour assister ses collègues de la brigade de recherches de la compagnie de gendarmerie de Chinon. Nouvellement mutée à la section de recherches d’Orléans, la jeune femme va découvrir la « Rabelaisie » ce pays imaginaire contesté par certains et vénéré par d’autres. Tout au long de son enquête la capitaine Verbach va croiser François Rabelais qui hante toujours au XXIème siècle le territoire chinonais. Elle finira par s’identifier, de manière effrontée et avec beaucoup d’hardiesse, à une véritable « rabelaisienne ».


À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilles Martin est né à Paris en 1952, mais vit en Touraine depuis une quarantaine d’années. Parfait autodidacte, après dix ans passés dans un bureau d’études spécialisé dans la protection incendie, il fait carrière dans l’industrie du bois. Il devient le responsable en approvisionnement de grumes de peuplier des différentes usines d’un important groupe leader dans l’emballage fromager, avant de terminer sa vie professionnelle comme diagnostiqueur immobilier. À la retraite, il se lance dans l’écriture de romans policiers. En 2015, il est le lauréat du concours « Mon premier manuscrit » du Chapiteau du Livre de Saint-Cyr-sur-Loire. Il vit à L’ile Bouchard (37).

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Ce roman est une œuvre de fiction. Les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnes réelles serait pure coïncidence.

© – 2023 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Gilles Martin

Meurtre au pays de Rabelais

Pantagruel dit à Panurge :

On m’a dit qu’à Panzoult, près du Croulay,

il y a une Sibylle très réputée ;

prenez avec vous Epistémon,

présentez-vous devant elle et

écoutez ce qu’elle vous dira…

Panurge répondit :

… Ce lieu a acquis la réputation détestable

d’abonder en sorcières plus que ne le fit la Thessalie.

Je n’irai pas de mon plein gré…

Pantagruel rassura Panurge :

… On lui attribue plus de science et de faculté

de compréhension qu’on ne le fait d’habitude

pour les gens de sa contrée et de son sexe…

Extrait de Tiers livre, de François Rabelais

Préambule

Les jours se succédaient et se ressemblaient, affirmait la maxime populaire, ce n’était malheureusement plus tout à fait vrai. Si les dix-huit années passées dans ce havre de paix avaient été un bonheur immense, ces dernières semaines, ce paradis où il faisait si bon vivre s’était transmué en un véritable enfer. La quiétude à laquelle la vieille dame s’était habituée, au fil des années qu’elle avait passées dans ce coin de Touraine, avait disparu. Le calme et le silence de son jardin, son refuge arboré, cet éden de verdure où les oiseaux aimaient bâtir leurs nids, étaient, depuis quelques semaines, régulièrement troublés la nuit comme le jour par les va-et-vient de ses nouveaux voisins. Le ronflement des moteurs, le claquement des portières de leurs voitures et de celles de leurs visiteurs, ainsi que les cris et les rires de cette bande d’insouciants, perturbaient et faisaient fuir les petits pensionnaires des abris qu’elle avait confectionnés pour eux et accrochés, çà et là, dans sa propriété. La vieille dame aimait les oiseaux et passait le plus clair de son temps à les observer.

Cette dernière semaine avait été effroyable. Tout avait commencé quand elle s’était fait incendier sur la place du village par cette furie éhontée et bonimenteuse, dépourvue de tout scrupule. Elle s’était fait ensuite cette satanée entorse qui la faisait toujours souffrir. Pour couronner le tout, ce matin même, elle avait reçu la visite de cette espèce d’énergumène égocentrique qui avait réussi, en quelques minutes, à l’énerver pour le reste de la journée. Elle, qui avait déjà les nerfs à fleur de peau depuis quelques jours, n’avait pas pu supporter son discours bien longtemps. Elle lui avait balancé ses quatre vérités et l’avait jeté sans ménagement hors de chez elle. Il ne reviendrait plus lui casser les pieds avant un bon moment. Elle serait tranquille quelque temps de ce côté-là. Elle espérait que le quartier allait rapidement retrouver une certaine quiétude comme le colosse baratineur le lui avait promis ce matin ; il avait été charmant. Elle pensait pouvoir lui faire confiance, elle l’avait mal jugé, mais depuis qu’elle avait discuté avec lui, elle avait changé d’avis. Elle l’avait trouvé sincère et l’avait classé dans la catégorie des colosses au grand cœur. Il était rare qu’elle se trompe sur une personne. C’était tout de même un sacré baratineur, si elle avait eu vingt ans de moins… Peut-être que ? Une fois, comme ça, pour le plaisir, elle se serait laissée aller et aurait succombé aux charmes du colosse… La promesse qu’il lui avait faite, comme quoi tout allait rentrer dans l’ordre, aurait pu faire retomber sa colère. Mais l’énergumène était arrivé et plus tard, son déjeuner avait été perturbé par ce coup de téléphone auquel elle n’avait rien compris. Une folle qui avait omis de se présenter et qui hurlait dans le combiné. La vieille dame n’avait rien saisi aux propos tenus par cette femme mal embouchée, elle avait fini par lui raccrocher au nez. Deux minutes plus tard, le téléphone avait de nouveau sonné, c’était le même numéro inconnu, elle n’avait pas répondu.

Tous ces événements l’avaient fatiguée, sa cheville la faisait souffrir et l’avait empêchée de dormir la nuit précédente, elle avait donc passé une partie de l’après-midi à somnoler dans sa chaise longue sur le perron de la maison. Elle n’avait même pas vu, ni entendu Charly arriver. Ce fut le bruit de la tondeuse qui lui fit ouvrir les yeux. Elle reconnut Charly, lui fit un signe de la main et s’assoupit de nouveau. Au bout d’un moment, n’entendant plus le ronronnement du moteur électrique de la tondeuse, elle avait fini par se lever et était allée voir ce que son jardinier occasionnel fabriquait. C’est à cet instant qu’elle constata ce qu’il avait fait. En temps normal, elle ne lui en aurait pas tenu rigueur et se serait contentée de hausser les épaules pour annihiler sa contrariété. Les bruyantes extravagances de ses jeunes voisins, l’accumulation des événements irritants qu’elle avait vécus dernièrement et sa cheville qui lui faisait mal, ont fait qu’elle avait carrément pété un câble. Ce fut le pauvre Charly qui en avait subi les conséquences. Il était parti vexé et fâché.

Charly était le fils de Marie, sa femme de ménage, la vieille dame l’avait connu tout môme. Vu l’état de sa cheville, Marie, qui passait régulièrement voir la vieille dame, lui avait envoyé Charly pour tondre la pelouse. En voulant ranger les outils que le pauvre garçon, dans sa précipitation, avait laissés traîner, la vieille dame venait de s’apercevoir que ce grand nigaud, qu’elle appréciait tant, avait aussi réparé la porte de l’abri de jardin. Il avait vraiment bien travaillé, la porte fermait parfaitement. La vieille dame sourit. Ce Charly était vraiment un bon garçon. Elle saisit la scie qui était restée sur la table, à l’extérieur du cabanon, pour aller l’accrocher à sa place.

La vieille dame était particulièrement énervée depuis quelques jours et ce vendredi, c’était le summum, elle devait rapidement se calmer, sa tension allait monter et sa doctoresse n’allait pas être contente. Elle s’arrêta, s’assit sur le vieux fauteuil qui était là depuis des lustres et se mit à penser à l’escapade qu’elle allait entreprendre avec son vieil ami Hervé, l’amour de sa vie.

La pression commença à retomber et ses idées à s’éclaircir. Ce pauvre bougre de Charly était venu spontanément et avec une grande joie pour l’aider, il avait été victime de son emportement, lui qui n’y était pour rien. La vieille dame culpabilisait, elle n’aurait jamais dû lui dire ce qu’elle lui avait proféré sous l’effet de la colère. Bien sûr que ce n’était pas un bon à rien, bien au contraire, c’était un garçon astucieux, intelligent et travailleur. Ce que le pauvre garçon avait vécu dans son enfance l’avait traumatisé et il s’était refermé sur lui-même. Durant toute son adolescence, il avait eu du mal à s’ouvrir aux autres et sa scolarité en avait pâti. Maintenant que c’était un homme, il était encore très introverti et avait toujours beaucoup de difficultés pour s’exprimer sans bégayer, mais il faisait des progrès. Il avait vraiment eu raison de planter des perches pour soutenir les branches du pommier, elles auraient fini par casser sous le poids des fruits, comme c’était déjà arrivé, il y a quelques années. Il aurait dû lui en parler avant de prendre l’initiative de couper des tiges de bambou, mais elle dormait. Il n’avait pas voulu la réveiller, c’était gentil de sa part. La vieille dame regrettait vraiment de s’être endormie, si elle avait été éveillée rien de tout cela ne serait arrivé. Le pauvre garçon avait coupé les plus hautes tiges de bambou, croyant bien faire. Il ne pouvait pas savoir qu’un couple de traquets-tariers avait pris l’habitude de se tenir à leurs cimes, c’était leur poste d’observation. Dès qu’ils apercevaient un papillon, une mouche ou tout autre insecte qui pullulaient dans le jardin, ils s’élançaient et attrapaient leur proie à la vitesse de l’éclair. La vieille dame aimait les regarder faire.

Non, elle n’aurait pas dû brandir sa canne, comme elle l’avait fait. Elle n’aurait pas dû crier non plus. Les tiges de bambou allaient repousser, il y en avait assez dans la bouillée, les traquets-tariers n’auraient que l’embarras du choix. Elle avait vexé ce pauvre garçon et elle le regrettait vraiment. Il l’avait bousculée et pratiquement mise par terre en se retournant, ce n’était pas dans ses usages, lui d’habitude si prévenant. Il avait crié en partant qu’il ne reviendrait jamais, elle savait que ce n’était pas vrai. Il allait revenir, elle en était certaine. Elle voulait surtout s’en persuader car, à vrai dire, elle appréhendait la réaction que pouvait avoir le pauvre garçon. Elle s’excusera, le serrera dans ses bras comme elle le faisait quand il était gamin. Le vexera-t-elle une nouvelle fois ou lui fera-t-elle plaisir si elle lui donnait une bonne pièce pour se faire pardonner ?

La vieille dame était plongée dans ses pensées. Elle s’était remise debout et avait fait quelques pas. Elle était entrée dans le cabanon et tournait le dos à la porte. Elle était en train d’accrocher au-dessus de l’établi, dans le fond de l’abri de jardin, la scie que son fougueux jardinier avait laissée en plan. Elle entendit un bruit derrière elle, quelqu’un venait d’entrer dans le cabanon. Elle ne put retenir un sourire, Charly n’avait pas mis longtemps pour changer d’avis. Il était déjà revenu, il n’y avait pas une heure qu’il était parti. Elle fit un pas de côté et se retourna. Elle aperçut, à la hauteur de ses yeux, le fer du marteau. Son marteau, un marteau de vitrier tout en métal et fait d’un seul bloc, le fer et le manche. Le marteau dont elle se servait pour clouer les éléments des abris de ses petits compagnons à plumes. Celui qu’elle avait remarqué sur la table, à l’extérieur, devant l’entrée du cabanon, là où son bricoleur occasionnel l’avait laissé en plan avec la scie, un tournevis et quelques vis. En moins d’une seconde, les deux pics de la panne du marteau heurtèrent avec violence son visage, juste entre les deux yeux, au-dessus de son nez, à la base de son front. L’arrière du crâne de la vieille dame heurta la planche servant de mur au cabanon. Elle n’eut pas le temps d’esquiver, l’aurait-elle pu ? Elle n’avait plus vingt ans et elle était handicapée par cette maudite entorse à la cheville. La panne du marteau continua sa course, poussée par un bras animé par la rage. Les deux pics formant la panne ripèrent sur le bord de la glabelle de la boîte crânienne de la vieille dame, éclatant un morceau d’os au passage. Rien ne put empêcher la panne du marteau de pénétrer dans le gracieux visage de la vieille dame, entre ses deux magnifiques yeux bleus. Ce fut son nez qui arrêta le manche de l’outil. Les deux pics en métal formant la panne du fer du marteau étaient enfoncés dans son cortex préfrontal.

La vieille dame ressentit une courte, mais très violente douleur et perçut, au même instant, un éclair blanc qui lui brouilla la vue. Ses jambes devinrent molles et plièrent sous son poids. Le buste de la vieille dame glissa le long du mur du cabanon. Elle était morte quand ses fesses touchèrent le sol. Elle resta ainsi recroquevillée, la tête appuyée sur le montant de l’établi se trouvant à côté d’elle.

Chapitre 1

Dimanche 30 août en fin d’après-midi.

La circulation était dense sur l’autoroute A10 entre Orléans et Tours, en ce dernier jour des vacances d’été, surtout dans le sens province-Paris. Une Dacia de type Duster roulait bon train en direction de Bordeaux sans trop se soucier des cent-trente kilomètres-heure en vigueur. Le pare-soleil côté passager était baissé, on pouvait lire GENDARMERIE inscrit dessus. Quand cela était nécessaire, la conductrice appuyait sur le bouton-contact commandant un avertisseur deux tons et un petit gyrophare bleu posé en permanence sur le milieu de la planche de bord.

À la barrière de péage de la sortie 25, à Noyant-de-Touraine, le Duster avançait au pas, respectant la vitesse maximale autorisée. Juste avant que la barrière ne se lève, sa conductrice regarda machinalement la pendule du tableau de bord. Elle indiquait 17 h 10. La conductrice parut satisfaite, elle avait quitté son appartement au centre d’Orléans à 15 h 15. Elle avait bien roulé, légèrement au-dessus de la limite autorisée, mais pas trop. Le GPS indiquait qu’il lui restait 14,5 km à parcourir avant d’arriver à la destination qu’elle avait programmée et qu’elle y serait dans environ 16 minutes.

Au rond-point suivant, le GPS recommanda à la conductrice d’emprunter la troisième sortie, celle en direction de Chinon. Quelques kilomètres plus loin, le Duster traversa la petite commune de Trogues, puis passa devant les anciens fours à chaux de Pavier, reconvertis en usine de fabrication d’enduits pour le bâtiment. Le SUV roumain venait, sans que sa conductrice en soit consciente, de pénétrer en « Rabelaisie » dont la frontière fictive était matérialisée par la pancarte : Bienvenue dans l’aire d’appellation Chinon AOC. À Crouzilles, les recommandations du GPS conseillèrent à son utilisatrice de quitter la D760 et de tourner à droite. Après avoir suivi les ordres de la machine et louvoyé dans le bourg, la chauffeuse engagea son véhicule sur une petite route communale ondulant entre les vignes. Elle rejoignit la route départementale quatre kilomètres plus loin à la hauteur du pigeonnier du château de Roncé, sur la commune de Panzoult, évitant ainsi la traversée de l’agglomération bouchardaise. La conductrice n’avait pas le temps d’aller admirer le dôme à lanternon et les deux mille quatre cents boulins du pigeonnier. Elle ne jeta qu’un regard furtif à l’édifice nouvellement restauré et continua son chemin. Le Global Positioning System (GPS), installé sur le véhicule qui analysait en permanence les informations que lui fournissaient les satellites, ne s’était pas trompé dans ses calculs. Il était 17 h 26 quand elle arriva à la destination qu’elle avait programmée en montant dans son véhicule, 2 h 15 plus tôt.

La jeune femme arrêta son Duster de service, de couleur blanche et unie, derrière un fourgon bleu. Deux autres véhicules de la même couleur que le fourgon et arborant les mêmes ornementations sérigraphiques, indiquant à quelle administration ils appartenaient, étaient stationnés devant l’entrée d’un jardin arboré. Au fond de ce jardin, on pouvait apercevoir une jolie maison adossée à la paroi du coteau de tuffeau. La jeune femme descendit de voiture. Son jean bleu, sa saharienne grise flottant au vent, enfilée sur un tee-shirt blanc au col échancré et ses sneakers bleu marine, lui donnaient l’air d’une journaliste baroudeuse. Quand il la vit jaillir entre deux fourgons, le gendarme en faction devant la grille de la propriété la fixa d’un œil soupçonneux. À six mois de la retraite, il pensait avoir depuis toujours un don lui permettant de reconnaître et d’identifier les individus. Il avait rêvé durant toute sa carrière de devenir le « profiler » de la gendarmerie nationale, mais ses supérieurs n’avaient pas su apprécier ses talents. Il classa directement la jeune femme dans la catégorie des reporters obnubilés par la traque du scoop de l’année. Il imagina immédiatement la jolie pigiste en train de faire du charme au rédacteur en chef du quotidien pour lequel elle travaillait, afin qu’il lui accorde le gros titre de la une de la prochaine édition du journal. La dynamique quadragénaire sembla ignorer le gendarme. Elle se dirigea d’un pas décidé vers le portail grand ouvert donnant accès au jardin de la maison dont on lui avait communiqué l’adresse en début d’après-midi. L’homme en uniforme, qui se targuait de repérer les journalistes à cent mètres, se précipita vers elle. Il avait le bras tendu devant lui et présentait la paume de sa main à l’arrivante afin de lui signifier de s’arrêter, prêt à la repousser si elle continuait à avancer.

— On n’entre pas ! aboya le gendarme.

L’ordre était clair et sans appel. La jeune femme, surprise par le ton sec et plutôt menaçant de son collègue, marqua un court arrêt et continua son chemin tout en portant sa main droite vers la poche intérieure de sa saharienne. Quand elle croisa le regard de l’homme en uniforme, elle comprit que son attitude irritait le vieux brigadier-chef, sa patience semblait très limitée.

— Faites demi-tour, pas de journaliste ici ! C’est une scène de crime, on vous tiendra informé plus tard.

L’officier qu’elle était avait tout de suite identifié le type de collègue auquel elle avait affaire, l’ancien gendarme bougon, grincheux et aigri qui a terni durant toute sa carrière l’image de la gendarmerie, le genre de collègue qu’elle détestait. Tout en continuant son chemin, elle sortit un porte-cartes de la poche intérieure sa saharienne. Elle l’ouvrit d’un tour de main et le brandit devant les yeux ahuris du brigadier-chef.

— Capitaine Clara Verbach de la section de recherches d’Orléans.

— Mon Capitaine ! répondit, stupéfait, l’homme en uniforme, avant de rectifier sa posture et de porter sa main droite à la visière de sa casquette.

— Où ça se trouve ? demanda la capitaine d’un ton sec.

— Au fond du jardin, à droite de la maison. Le capitaine Chaumont vous attend, répondit le brigadier-chef tout abasourdi de s’être trompé sur l’identité de la nouvelle arrivante.

Quatre personnes se trouvaient à côté d’un cabanon de jardin. Clara Verbach reconnut tout de suite, bien qu’il fût de dos, son vieux copain David. Quand il se retourna, elle constata tout de suite qu’il était moins svelte que par le passé. Cela faisait huit ans qu’elle ne l’avait pas vu. Elle s’arrêta à quelques mètres du groupe. Une jeune femme emmaillotée dans une combinaison blanche, tranchant avec le bleu des uniformes des deux hommes et de l’autre jeune femme qui se trouvaient en sa compagnie, l’aperçut. Elle signala sa présence à ses compagnons. Celui qui portait trois galons se retourna et ne put refréner la joie que lui procurait la présence de sa vieille copine.

— Salut Clara, comment vas-tu ?

Il se précipita vers la jeune femme. Ils hésitèrent l’un et l’autre.

— On s’embrasse, finit par déclarer le capitaine en uniforme.

L’attitude peu militaire des deux capitaines ne choqua pas les trois autres gendarmes. Leur chef, le capitaine David Chaumont, les avait informés que la section de recherches d’Orléans leur envoyait la capitaine Clara Verbach pour superviser l’enquête. Il leur avait également confié que Clara Verbach était son binôme à l’EOGN (École des officiers de la Gendarmerie nationale) et qu’il l’appréciait beaucoup. Les deux futurs officiers étaient devenus amis durant cette période, mais s’étaient malheureusement perdus de vue depuis plusieurs années.

— Quand ton commandant m’a annoncé qu’il m’envoyait la capitaine Verbach, je me suis dit des Verbach il n’y en a pas trente-six dans la gendarmerie, de surcroît des femmes capitaines il ne peut y en avoir qu’une seule, donc ce ne peut être que Clara.

— Je me suis posé la même question, sauf que des Chaumont, il y en a plusieurs. J’en connais un autre. Il est capitaine à Villefranche-sur-Saône, mais lui, c’est Gérard son prénom et c’est un con.

— Je te croyais à Lyon ?

— J’y étais, mais j’ai largué mon mec en début d’année.

— C’était un collègue, si je me rappelle bien.

— Oui, c’en était un ! Au mois de février, je me suis aperçue que je n’en avais pas l’exclusivité. Monsieur était devenu accro aux charmes d’une petite pétasse de pharmacienne qui habitait à côté de chez nous. J’ai fait mes valises et j’ai demandé le divorce en même temps que ma mutation. J’ai atterri à Orléans le 1er juillet, étant la dernière arrivée et n’ayant ni mari, ni enfant, on m’a demandé si je pouvais être d’astreinte 24 h / 24 pendant le mois d’août. Mon astreinte se termine demain matin à 8 heures. Heureusement, le corps a été découvert aujourd’hui, s’il avait été découvert demain ce n’était pas moi qui débarquais ici et on ne se serait pas aussi vite revus. On parle boulot ?

— Ce matin, vers 11 heures, le corps de madame Anne-Claire Guiteau, la propriétaire des lieux, a été découvert par une de ses voisines. Madame Guiteau gisait à l’intérieur de ce cabanon. La voisine, bouleversée, est allée chercher son mari. Il est accouru, a constaté le décès et a appelé le 17. Ce sont les collègues de la brigade de l’Île-Bouchard qui étaient de permanence sur le secteur. Ils sont arrivés les premiers sur place. Ils ont sécurisé la scène de crime et nous avons pris le relais jusqu’à l’arrivée du procureur-adjoint. Comme d’habitude dans de telles circonstances, il a confié l’enquête à la SR d’Orléans et nous a co-saisis.

— Tu es de permanence ?

— Non, c’est Sandrine, mon adjointe qui est d’astreinte. Mais notre commandant ne doit rentrer de vacances que ce soir et comme j’étais chez moi elle m’a appelé.

— Tu as enfilé ton uniforme et tu es venu la rejoindre.

— On ne peut rien te cacher. C’est elle qui est en combinaison blanche, c’est notre TIC (technicien en identification criminelle).

Les deux officiers s’avancèrent vers les trois gendarmes qui attendaient à l’ombre d’une bouillée de bambous.

— Voici mon équipe au complet. La lieutenante Sandrine Rouselle, le major Damien Verrier et la brigadière-chef Céline Orbec.

— Nous sommes dimanche ! Vous étiez tous d’astreinte ? s’étonna la nouvelle arrivée.

— Non ! Mais un crime dans la région, c’est rare. Le dernier remonte à quatre ans. Un mari trompé avait étranglé sa femme parce qu’elle le faisait cocu avec son propre frère. Ce fut le mari lui-même qui nous appela pour nous avouer ce qu’il venait de faire. Nous habitons dans le même immeuble avec la lieutenante, je l’ai croisée dans l’escalier en rentrant des courses. Quand elle m’a informé de l’appel qu’elle venait de recevoir, je n’ai pas pu résister, je lui ai demandé de m’attendre le temps de me changer et je l’ai accompagnée. En chemin, j’ai prévenu la brigadière-chef. Elle a appelé le capitaine, elle a eu de la chance, il était sur le point de partir pour venir ici. Ils sont arrivés ensemble.

Le major avait résumé et clarifié la raison de la présence, au grand complet, des OPJ (officiers de police judiciaire) de la brigade de recherches de la compagnie départementale de gendarmerie de Chinon, sur une scène de crime, un dimanche après-midi.

La nouvelle venue se tourna vers la lieutenante.

— Bien ! Sandrine, je vois que tu es en tenue, je suppose que c’est toi qui as fait les premières constatations.

— Oui mon capitaine !

— Appelle-moi Clara.

La capitaine ajouta en s’adressant à ses nouveaux collègues :

— Nous allons être amenés à travailler ensemble dans les jours à venir, quand nous sommes entre nous, nous pouvons nous appeler par nos prénoms et nous tutoyer.

La capitaine venait de briser la glace qui aurait pu retarder et compliquer la bonne relation qu’elle voulait instaurer entre elle et l’équipe. Équipe sur laquelle elle allait devoir s’appuyer pour résoudre l’enquête qui lui avait été confiée.

La lieutenante se lança dans l’exposé des premières constations.

— La victime s’appelle Anne-Claire Guiteau, c’est la propriétaire des lieux. Elle est née ici même à Panzoult, le 15 avril 1937. Apparemment, elle était célibataire, selon ses papiers d’identité que nous avons trouvés à l’intérieur de la maison. Elle reposait sur le sol, devant l’établi, au pied du mur en planches, au fond de ce cabanon. Son corps était en position semi-assise, ses jambes étaient repliées sous elle. Ce cabanon sert de remise pour divers outils de jardinage ou de bricolage. La victime était vêtue d’une blouse et de sous-vêtements, on peut supposer qu’elle devait bricoler, nous avons découvert un tournevis et des vis sur la table qui se trouve devant le cabanon, ainsi qu’une scie égoïne sur l’établi. Tout étant impeccablement rangé, je pense que son agresseur l’a surprise au moment où elle décrochait cette scie ou au moment où elle l’accrochait à sa place, au clou se trouvant au-dessus de l’établi et certainement prévu à cet usage. La pauvre femme avait une plaie profonde d’une largeur de deux centimètres, juste entre les deux yeux. L’examen superficiel de la victime n’a pas révélé d’autre trace de coup ni de marque de défense. Elle portait une attelle à la cheville droite et il y avait une canne anglaise appuyée sur le bord de l’établi.

La lieutenante saisit un ordinateur portable se trouvant sur une table de camping qu’elle avait elle-même apportée sur les lieux. L’ordinateur était posé à côté d’un appareil photo numérique et de divers autres objets. Sandrine ouvrit l’écran du portable, elle pianota sur le clavier et le tourna vers Clara.

— Voici les photos que j’ai prises de la victime.

Le premier cliché avait été pris de la porte du cabanon. On y voyait très bien une femme vêtue d’une longue blouse sans manches en tissu, certainement une sorte de coton imprimé de petits carreaux bleu ciel et bleu marine ou noir. Elle semblait assise au pied du mur, ses jambes étaient repliées sous elle et sa tête était appuyée sur le montant de l’établi se trouvant à sa droite. Elle avait les cheveux gris très clairs et coupés très courts, à la garçonne. Tout le bas de son visage était ensanglanté. Du sang avait abondamment coulé de la blessure qu’elle avait entre les deux yeux, recouvrant une grande partie de sa blouse et finissant par faire une tache sur le sol, à côté de son genou gauche. Les autres clichés montraient plus en détail son visage, sa blessure, ses bras, ses mains, ses jambes et ses pieds.

— J’ai trouvé un marteau au fond du bidon se trouvant sous la gouttière du cabanon et servant à récupérer l’eau de pluie. Nous avons eu de violents orages cette semaine, le bidon est plein d’eau.

Sandrine posa l’ordinateur sur la table de camping et saisit un sac à scellés contenant un marteau de vitrier tout en acier. Son manche était aplati en son bout afin de pouvoir être utilisé comme grattoir. Une entaille servant d’arrache-clou transformait sa panne en deux pics.

— Comme vous pouvez le constater, la panne de ce marteau est longue, fine et pointue. Elle mesure deux centimètres de large. Il y a de grandes chances que ce soit avec ce marteau que notre victime ait été frappée, le légiste nous le confirmera… Ce marteau a séjourné dans l’eau un certain temps, ce sera difficile de relever des empreintes dessus. Je vais le porter au labo de la scientifique à Tours, on essaiera de le passer au « Oil Red O »1, ça peut marcher.

— On a une idée de l’heure de la mort ?

— Le médecin légiste qui s’est déplacé sur place la situe vendredi en soirée, entre 16 heures et 22 heures. Il réduira cette plage horaire après avoir procédé à l’autopsie du corps. Il prévoit d’opérer demain matin à 10 heures. Je me rendrai à l’IML après avoir déposé le marteau au labo. Quelqu’un veut m’accompagner ?

Sandrine savait qu’elle n’obtiendrait pas un empressement spontané de ses collègues pour faire partie du voyage. Elle regarda tour à tour les trois gendarmes en uniforme. La lieutenante constata qu’ils avaient le regard fuyant. La capitaine de la SR d’Orléans s’en aperçut et proposa à sa collègue chinonaise de l’accompagner. La lieutenante lui répondit avec un peu de malice dans la voix :

— Si tu y tiens vraiment ce sera avec plaisir, mais ça ne me gêne pas d’y aller seule, ce ne sera pas ma première autopsie. Je ne suis pas sensible comme certaines personnes ici présentes.

— Dans ce cas, je préfère rester et prendre mes marques. Tu as quelque chose d’autre à nous apprendre ? demanda la capitaine Clara Verbach.

Voyant que son adjointe n’avait rien à ajouter, le capitaine David Chaumont prit la parole.

— Avec Céline, nous nous sommes occupés de fouiller la maison. Nous avons découvert une maison impeccablement rangée, visiblement personne ne l’avait visitée avant nous. Nous avons trouvé, dans un des tiroirs du buffet de la cuisine, un porte-monnaie avec à l’intérieur cent-vingt euros en billets et une dizaine d’euros en monnaie. Il y avait également un carnet de chèques et un porte-cartes contenant, entre autres : une carte d’identité, un permis de conduire, une carte vitale, tous au nom d’Anne-Claire Guiteau. Nous avons comparé, ce sont bien les papiers de la victime. Il y avait également une carte bancaire au même nom. Céline a trouvé un coffret contenant des bijoux en or dans un tiroir, situé sous le socle d’une armoire dans la chambre, que l’on suppose être celle de madame Guiteau. Nous avons tout mis sous scellé. Il y a, dans la grande salle, deux tableaux accrochés aux murs, ils représentent des oiseaux. Ce sont apparemment des originaux signés Hautman. Nous nous sommes renseignés, les frères Hautman sont des peintres animaliers américains assez bien cotés. Dans la cave, nous avons découvert dix coffrets contenant chacun une bouteille de champagne cuvéeCristal de chez Roederer, de tels coffrets valent dans les deux cents euros pièce ! Pour ma part, je me suis plus particulièrement intéressé à la pièce servant de bureau. Je devrais plutôt dire de poste d’observation. Comme tu peux le constater, il y a des nichoirs partout dans le jardin. Madame Guiteau était une ornithologue amateure. Trois des quatre murs de cette pièce sont aménagés en bibliothèque. À l’exception de deux rayons sur lesquels reposent des revues juridiques et à la collection complète des codes Dalloz2, les autres rayons sont remplis de livres et de publications consacrés à l’ornithologie, il y en a en français, en anglais et en espagnol. J’ai également trouvé une mallette contenant un boîtier d’appareil photo Canon EOS Mark III et trois objectifs et téléobjectifs, du matériel de pro ! Rien qu’avec la collection Dalloz et le contenu de la mallette, je pense qu’il y en a pour une petite fortune. Nous avons saisi le téléphone portable, un vieux modèle datant d’au moins dix ans et la colonne d’ordinateur qui, elle, est neuve. J’ai également trouvé des relevés de banque dans le tiroir du bureau, je peux t’affirmer que madame Guiteau n’était pas dans le besoin. J’ai découvert dans une armoire des cahiers d’observation concernant les oiseaux qui fréquentent le jardin. J’ai également trouvé, dans un tiroir du bureau, un cahier différent des autres, il est plus épais et plus grand. C’est une sorte de registre où elle notait des faits incohérents, à première vue qui n’ont rien à voir avec les oiseaux. Elle y a, entre autres, consigné la date et l’heure des allées et venues de ses voisins ainsi que les visites qu’ils ont reçues. Il y est détaillé le bruit qu’ils ont fait. Il y a même le numéro d’immatriculation des voitures des personnes qui leur ont rendu visite. Visiblement, ces gens reçoivent beaucoup de visiteurs, même en pleine nuit. Il y a également plein d’autres notes qui n’ont rien à voir avec ses voisins. J’ai saisi ce cahier. C’est tout pour moi, Céline tu veux ajouter quelque chose ?