Semaine de canicule à Tours - Gilles Martin - E-Book

Semaine de canicule à Tours E-Book

Gilles Martin

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Beschreibung

Alors qu'un notable de Tours est retrouvé mort, Josselin Maroni est nommé directeur de l'enquête par la capitaine Bertaut, ce qui n'est pas au goût du commissaire Albert Dumont...

Un chaud dimanche après-midi de juin, un notable tourangeau est retrouvé assassiné dans sa cuisine. La capitaine Émilienne Bertaut, chef de groupe de la brigade départementale de police judiciaire du commissariat de Tours, nomme le brigadier major Josselin Maroni, dit Joss, directeur de l’enquête. Le commissaire Albert Dumont n’apprécie pas ce choix, il trouve Joss trop marginal : « Vous avez vu sa dégaine !... Pour infiltrer les quartiers chauds de Marseille c’était certainement parfait, mais pour aller enquêter dans la bourgeoisie tourangelle c’est complètement déplacé !... En plus c’est un solitaire ! » La capitaine, qui connaît les valeurs de Joss, parvient à l’imposer au boss. Au cours de cette enquête, elle va assister à la métamorphose de son protégé.

Dévorez les pages de ce polar tourangeau pleines de la chaleur étouffante d'un mois de juin et suivez l'évolution du brigadier Joss, tant dans ses recherches autour du meurtre que dans son intégration au sein de la brigade départementale du commissariat.

EXTRAIT

— Il ne répond pas !… Ce n’est pas normal, il a dû lui arriver quelque chose !
La panique avait remplacé l’anxiété. Arlette se retourna vers son mari avec un regard suppliant, elle espérait qu’il se remue et prenne une initiative. Raymond leva les yeux et s’aperçut de la détresse de son épouse. Il posa sa revue, regarda sa montre et constata qu’Arlette avait raison : Henri aurait dû être là depuis un bon moment. L’inquiétude de sa femme le gagna brusquement. Il se leva.
— On va aller au-devant de lui !… Il n’y a pas trente-six façons pour venir de chez lui à chez nous. On va forcément le croiser en chemin !
Henri Moustier habitait rue Jehan-Fouquet, dans le quartier résidentiel des Prébendes au centre de Tours. Le couple Fréon demeurait rue Georges-Delpérier, une rue excentrée du secteur commercial des Halles. Les deux artères débouchaient de chaque côté du boulevard Béranger, traversant du levant au couchant le centre ouest de la ville. L’itinéraire le plus court et le plus direct, pour aller de l’une à l’autre, empruntait le boulevard sur la moitié de sa longueur.
Avant de suivre son mari, Arlette prit soin de récupérer, dans un tiroir fourre-tout d’un des meubles de sa cuisine, le double des clefs de la maison d’Henri. Elle les glissa dans sa poche.
Dès qu’ils posèrent le pied sur le trottoir, la chaleur lourde et suffocante accabla le couple de retraités. La rue croulait sous un soleil brûlant. Après une centaine de mètres de marche, ils furent moites de transpiration. Ils durent s’éponger le visage en arrivant sur le boulevard Béranger et regrettèrent de ne pas avoir pris de chapeau. Il y avait peu de monde dans les rues, à cette heure-ci les gens devaient déjeuner.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gilles Martin est né à Paris en 1952, mais vit en Touraine depuis une quarantaine d’années. Parfait autodidacte, après dix ans passés dans un bureau d’études spécialisé dans la protection incendie, il fait carrière dans l’industrie du bois. Il devient le responsable en approvisionnement de grumes de peuplier des différentes usines d’un important groupe leader dans l’emballage fromager, avant de terminer sa vie professionnelle comme diagnostiqueur immobilier. À la retraite, il se lance dans l’écriture de romans policiers. En 2015, il est le lauréat du concours Mon premier manuscrit du Chapiteau du Livre de Saint-Cyr-sur-Loire.

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Semaine de canicule

à tours

Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2018 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Gilles MARTIN

semaine de canicule

à tours

Chapitre 1Dimanche 28 juin

Par cette chaude matinée, la demeure d’Henri Moustier baignait dans un profond silence, aucune activité ne venait en perturber la sérénité. Il n’y avait pas plus de mouvement dans le petit jardin d’agrément situé à l’arrière, à l’abri des regards de la rue. Bzzzzzzzz !… Dix heures venaient de sonner à la pendule du salon, quand la première Calliphora Vicina avec sa barbe noire, son corps velu et son abdomen aux reflets bleu métallique apparut. Elle survola le jardinet en tous sens, passant au-dessus des arbustes les plus hauts. Elle se rapprocha du mur de la bâtisse, effleurant les pierres de tuffeau blanc. Elle scruta les ouvertures du premier étage, semblant chercher un passage. Toutes les fenêtres étant closes, elle descendit vers le sol et recommença son inspection. Le soleil brillait de tous ses éclats, il envahissait le jardin et inondait la façade arrière de la demeure bourgeoise. Sur la petite terrasse dominant les divers massifs d’arbrisseaux, une porte-fenêtre était grande ouverte. Les rayons du soleil y pénétraient inondant la moitié de la cuisine. Sans aucune hésitation la grosse mouche pénétra à l’intérieur de la maison, elle fit le tour de la pièce et trouva sans difficulté ce qui l’avait attirée. Elle venait de faire un vol de plusieurs centaines de mètres uniquement guidée par son système olfactif. Elle fût rapidement rejointe par d’autres congénères ; après quelques minutes, elles étaient une dizaine à virevolter et à se poser sur leur objectif, sans jamais se toucher. L’air était sec, brûlant et étouffant. Toutes les meilleures conditions étaient réunies pour celles d’entre-elles qui étaient gravides ; elles purent sans attendre commencer à pondre. Quelques Musca Domestiqua les rejoignirent mais elles gardèrent leurs distances. Elles respectaient leurs cousines beaucoup plus grosses et leur laissaient les meilleures places. Bzzzzzzzz !…

Depuis une dizaine de jours, le soleil et la chaleur régnaient en maître sur toute l’Europe. L’été tant attendu était subitement apparu, surprenant les hommes et la nature. Toutes les cartes météorologiques flamboyaient de jaune, aucun nuage ne les souillait. Partout le mercure dépassait allégrement les trente degrés, des records de température étaient battus aux quatre coins de la France.

Débordant au nord sur le coteau de Saint Symphorien et au sud, sur celui du quartier de Montjoyeux et du parc Grandmont, s’étalant sur la plaine alluviale entre le Cher et la Loire, non loin de la confluence des deux fleuves, la ville de Tours n’échappait pas à cette règle. Sous le pont Wilson, aussi nommé « Pont de Pierre » par les Tourangeaux de souche, le lit de la Loire avait fondu comme neige au soleil. Il laissait apparaître des bancs de sable entièrement remodelés par le tumultueux courant hivernal du fleuve. Les flots qui pendant tous ces derniers mois en éclaboussaient les quatorze piles, n’en baignaient plus que les pieds de cinq d’entre elles. Le Cher, cernant la capitale de la Touraine par le sud, était dans le même état. Un air chaud et étouffant régnait sur toutes les artères de la ville. Les trottoirs et les chaussées, chauffés pendant la journée par les brûlants rayons du soleil, n’avaient pas le temps de refroidir durant les courtes nuits.

Comme pratiquement tous les dimanches midi, Raymond et Arlette Fréon, nouveaux octogénaires, attendaient leur beau-frère Henri Moustier pour déjeuner. Cela faisait quatre ans que ce repas dominical était devenu une tradition, depuis le décès de la femme d’Henri, sœur cadette d’Arlette. Cet intime instant était aussi sacré pour le vieux couple que pour le pauvre Henri. Leurs enfants ayant migré vers d’autres lieux, ils formaient à eux trois, le seul noyau familial demeurant à Tours.

Les volets clos des fenêtres exposées au sud et le bon fonctionnement de la climatisation, installée l’automne précédent, permettaient à l’appartement des Fréon de baigner dans une température agréable. La préparation du repas était terminée depuis un bon moment. Arlette, petite femme encore très active malgré son âge, était toujours en mouvement. Elle venait d’achever de mettre la table et ne savait plus quoi entreprendre. Elle regarda sa montre, son geste trahissait son impatience et une certaine anxiété se lisait sur son visage.

— Il est plus de treize heures ! D’habitude il est toujours là avant midi. Que fait-il ?… Avec cette chaleur, pourvu qu’il n’ait pas fait un malaise !

— Hier il devait aller passer la journée à la Pinsonnière. Il doit faire plus frais au bord de la Loire, à l’ombre des saules, qu’en ville ! Il a peut-être dormi là-bas ?… Tu sais bien que quand il est avec ses vieux copains Pierre et Charles le temps ne compte plus !

Raymond, blasé par l’agitation permanente de son épouse, avait répondu sans lever les yeux du magazine qu’il était en train de lire. Confortablement installé dans un fauteuil, il n’avait pas bougé le petit doigt. Voyant qu’elle n’attirerait pas l’attention de son mari, Arlette se dirigea vers le téléphone, elle allait prendre les choses en main.

— Je vais l’appeler !

Elle composa le numéro du domicile de son beau-frère, elle le connaissait par cœur. Elle laissa défiler les sonneries jusqu’à ce que l’annonce du répondeur, l’invitant à laisser un message, se mette en marche. Énervée de ne pas avoir obtenu Henri, elle raccrocha rageusement. Son attitude laissait apparaître son anxiété grandissante. Elle rechercha dans son agenda le numéro du portable de son beau-frère, qu’elle avait plus de mal à mémoriser. Elle le composa d’une main tremblante. Son appel n’eut pas plus de succès que le précédent.

— Il ne répond pas !… Ce n’est pas normal, il a dû lui arriver quelque chose !

La panique avait remplacé l’anxiété. Arlette se retourna vers son mari avec un regard suppliant, elle espérait qu’il se remue et prenne une initiative. Raymond leva les yeux et s’aperçut de la détresse de son épouse. Il posa sa revue, regarda sa montre et constata qu’Arlette avait raison : Henri aurait dû être là depuis un bon moment. L’inquiétude de sa femme le gagna brusquement. Il se leva.

— On va aller au-devant de lui !… Il n’y a pas trente-six façons pour venir de chez lui à chez nous. On va forcément le croiser en chemin !

Henri Moustier habitait rue Jehan-Fouquet, dans le quartier résidentiel des Prébendes au centre de Tours. Le couple Fréon demeurait rue Georges-Delpérier, une rue excentrée du secteur commercial des Halles. Les deux artères débouchaient de chaque côté du boulevard Béranger, traversant du levant au couchant le centre ouest de la ville. L’itinéraire le plus court et le plus direct, pour aller de l’une à l’autre, empruntait le boulevard sur la moitié de sa longueur.

Avant de suivre son mari, Arlette prit soin de récupérer, dans un tiroir fourre-tout d’un des meubles de sa cuisine, le double des clefs de la maison d’Henri. Elle les glissa dans sa poche.

Dès qu’ils posèrent le pied sur le trottoir, la chaleur lourde et suffocante accabla le couple de retraités. La rue croulait sous un soleil brûlant. Après une centaine de mètres de marche, ils furent moites de transpiration. Ils durent s’éponger le visage en arrivant sur le boulevard Béranger et regrettèrent de ne pas avoir pris de chapeau. Il y avait peu de monde dans les rues, à cette heure-ci les gens devaient déjeuner. Afin de ne pas manquer Henri, ils décidèrent de se séparer. Arlette continuerait sur la partie centrale du boulevard, protégée du soleil par l’abondant feuillage des deux rangées de platanes, plantés de chaque côté du terre-plein, tandis que Raymond emprunterait le trottoir ombragé. Le trottoir ensoleillé était un véritable four, personne n’y circulait. Ni l’un, ni l’autre ne croisa Henri, c’est tous les deux qu’ils s’engagèrent rue Jehan-Fouquet. L’étroitesse de la rue rendait l’air encore beaucoup plus lourd. Ils avancèrent sur le trottoir à l’ombre des immeubles. Leurs visages exprimaient leur angoisse, ils restaient silencieux, ne voulant pas envisager un scénario catastrophe. Leur marche les amena devant la maison de leur beau-frère, ils ne l’avaient pas croisé !

— Tu vois il est là, les volets sont ouverts !… Il a dû rentrer ce matin de la Pinsonnière et il devait être sous la douche quand tu l’as appelé.

Par ces paroles Raymond cherchait, sans conviction, autant à se rassurer lui-même qu’à tranquilliser son épouse.

— Je ne vois pas sa voiture !

Arlette connaissait bien la voiture d’Henri. Elle inspectait les véhicules en stationnement le long du trottoir, des deux côtés de la rue.

— Il a dû la rentrer sous le porche parce qu’il n’y avait pas de place. De toute façon il ne serait pas venu en voiture chez nous, on ne peut pas se garer non plus ! argumenta Raymond de plus en plus inquiet.

Délaissant le porche dont l’ouverture était motorisée, Arlette se précipita sur la première des trois marches du petit escalier, protégeant la porte d’entrée de la maison. Elle appuya de manière rageuse, plusieurs fois, sur le bouton de la sonnette. Le carillon retentit à toutes ses sollicitudes, mais rien ne se produisit, aucun bruit, aucune parole ne raisonna derrière le battant de la porte, qui resta close. Le résultat fut identique lors de sa deuxième tentative. La peur finit d’envahir le couple et des traits de frayeur apparurent sur leurs visages. Arlette sortit le double des clefs qu’elle avait pris soin de mettre dans sa poche. Après en avoir sélectionné une, elle l’introduisit dans la serrure principale et la tourna de la droite vers la gauche. Elle fit seulement un quart de tour et la porte s’entrebâilla.

— Il est là, ce n’est pas verrouillé !

Arlette se retourna vers son mari, les traits décomposés, son pouce et son index droit enserrant toujours la clef introduite dans la serrure et retenant le battant de la porte.

Raymond prit son courage à deux mains. Il attrapa la taille d’Arlette et la tira délicatement, afin de lui faire lâcher prise. Elle redescendit de la marche qu’elle avait escaladée. Le couple se trouvait face à face. Ils se regardèrent dans les yeux un court instant.

— Ne bouge pas ! ordonna Raymond.

Il se hasarda à pousser entièrement le battant de la porte, monta les trois marches et pénétra dans la maison. Il cria d’une voix angoissée :

— Henri !… Tu es là ?… C’est nous !

N’ayant obtenu aucune réponse, il traversa le vestibule, jeta un œil dans le séjour où tout paraissait en ordre. Il renouvela son appel au pied de l’escalier sans plus de résultat et entra dans la cuisine. La porte-fenêtre donnant sur le jardin était grande ouverte. Le corps d’Henri gisait, le dos sur le sol, entre la cuisine et la terrasse. Raymond se précipita mais recula aussitôt, l’odeur, les mouches et l’état du visage de son beau-frère ne lui laissèrent aucun doute sur son état. Il ressortit dans le vestibule, blanc comme un linge, le souffle coupé. Il s’appuya le dos contre le mur, ses jambes ne le portaient plus. Son cœur s’emballait, il avait du mal à reprendre son souffle.

Trouvant le temps long et après avoir hésité un instant sur le trottoir, Arlette pénétra à son tour dans la maison. Réagissant promptement, Raymond trouva suffisamment d’énergie pour tendre le bras afin de l’empêcher d’aller plus loin. Il parvint à lui dire entre deux respirations :

— Appelle la police, fais le 17 !… Il est mort, il a été assassiné !… Sortons d’ici !

Raymond tendit son portable à Arlette et réussit à l’entraîner jusque dans la rue. Tandis qu’il récupérait appuyé sur le capot d’une voiture en stationnement, Arlette appelait la police. Elle avait du mal à expliquer la raison de son appel ; elle dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de donner au policier qu’elle avait en ligne, l’adresse exacte de son beau-frère. Le standardiste du commissariat lui posa des questions jusqu’au moment où un fourgon de Police Secours, sirène hurlante et gyrophare allumé, s’arrêtât au milieu de la rue, juste devant la maison, occupant l’unique voie réservée à la circulation. Le commissariat de Tours se trouvant en bout de la rue Marceau, de l’autre côté du boulevard, à une volée de moineaux de la rue Jehan-Fouquet, les policiers ne mirent que quelques minutes pour arriver sur les lieux.

— Mes collègues viennent d’arriver sur place, je les entends ! … Je vous confie à eux. Bon courage madame !

L’agent de permanence au standard, qui avait pris l’appel, avait mis fin à la conversation.

Trois policiers en tenue, deux hommes et une femme, descendirent du véhicule. Raymond avait retrouvé une partie de ses moyens, il leur expliqua sa découverte. Le plus âgé des trois, semblant être le chef, entra dans la maison ordonnant à son collègue de le suivre. La jeune gardienne de la paix stagiaire resta sur le trottoir avec Arlette et Raymond. Les deux hommes ressortirent quelques minutes plus tard.

— Effectivement ce n’est pas beau à voir ! Apparemment il n’y a personne d’autre à l’intérieur.

Le ton du brigadier était affirmatif et autoritaire. Il s’adressa à ses deux jeunes collègues :

— Martine occupe-toi de ces Messieurs Dames, tu avances le fourgon à l’ombre, tu les fais asseoir et tu restes avec eux. Yves va dévier la circulation au coin de la rue en attendant les renforts, on en a pour un bout de temps.

Après avoir donné ses ordres le brigadier appela par radio le CIC (Centre Information et Commandement).

— On a du lourd rue Jehan-Fouquet ! Le corps d’un certain Henri Moustier vient d’être découvert par son beau-frère. Vu la blessure que j’ai pu constater sur le crâne du défunt, je pense que nous avons affaire à un homicide !

La procédure était lancée. Les officiers de police judiciaire de quart, les techniciens de service de l’Identité Judiciaire étaient en route ainsi que le médecin légiste de permanence.

Le cadre d’astreinte était la capitaine Émilienne Bertaut, chef de groupe de la Brigade départementale de Police Judiciaire du commissariat de Tours. Le brigadier du CIC l’appela :

— Capitaine, nous avons un homicide rue Jehan-Fouquet, un certain Henri Moustier.

Ce nom ne semblait pas inconnu à la capitaine, mais elle ne pouvait pas l’associer à quelqu’un de précis.

— J’arrive ! N’oubliez pas de prévenir le procureur Nourricier c’est lui qui est de permanence.

Émilienne Bertaut était chez elle. Elle habitait le quartier Saint Symphorien au nord-est de Tours, près de l’aéroport. Elle se reposait en compagnie de son mari, sur une chaise longue dans son jardin, à l’ombre d’un tilleul. Elle se changea rapidement et gagna le centre ville à bord de sa voiture de service.

Un quart d’heure plus tard la rue Jehan-Fouquet était obstruée par plusieurs véhicules de police. Les curieux étaient parqués aux extrémités de la rue ; seuls les voisins proches pouvaient observer de leurs fenêtres les allées et venues des policiers.

Dés son arrivée et après avoir enfilé des gants en latex, la capitaine Émilienne Bertaut prit la direction des opérations. Agée de cinquante et un ans, elle avait plus de vingt ans de service comme Officier de Police Judiciaire, elle était habituée aux scènes de crimes. La chaleur et le soleil avaient accéléré la décomposition du corps de la victime, la vue et l’odeur n’étaient pas des plus agréables. Elle ne recula pas, mit son mouchoir sous son nez et se pencha auprès du docteur Armand Perron, le médecin légiste de permanence de l’institut médico-légal de Tours. La capitaine et le médecin se connaissaient bien, ils s’étaient souvent retrouvés dans de pareilles circonstances.

— Alors doc, qu’est-ce-que vous me racontez ?

— Grosse perte pour la ville, Henri Moustier était très investi dans le domaine médico-social. Malheureusement, aujourd’hui l’heure de son destin a sonné pour la dernière fois !… « Le destin est ce qui nous arrive au moment où on ne s’y attend pas » a écrit l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun. Il a malheureusement raison !… Ce pauvre Henri ne devait pas s’attendre à croiser l’ignoble salopard qui lui a infligé ce coup mortel !

Le docteur montrait du doigt une plaie sur le front de la victime.

— Vous connaissiez ce monsieur Moustier ?

— Bien sûr, j’ai souvent travaillé avec lui !… Il était stomatologue et opérait à l’hôpital. C’était un brave homme et un bon praticien.

— Alors expliquez-moi ce qui lui est arrivé.

— Voltaire écrivait à madame du Deffant : « Nous sommes des victimes condamnées toutes à la mort ; nous ressemblons aux moutons qui bêlent, qui jouent, qui bondissent, en attendant qu’on les égorge »… Ce pauvre Moustier profitait jusqu’à hier des bonheurs de la vie, en attendant la mort qu’il devait penser lointaine. La faucheuse l’a rattrapé plus tôt que prévu !… Il n’a pas été égorgé mais c’est tout comme. Vous voyez ce coup sur le haut de l’os frontal, il a été assez violent pour provoquer un enfoncement de la boîte crânienne, il lui a été fatal !… Il est mort instantanément !… Ce n’est pas le genre de coup que l’on se donne tout seul pour le plaisir de se faire mal. Le brigadier, arrivé le premier sur les lieux, a analysé la situation avec clairvoyance, nous avons affaire à un homicide !

— Avec quoi a-t-il été porté ?

— Certainement avec le marteau que les techniciens de la scientifique viennent de découvrir dans le jardin, ma chère Émilienne ! Une sorte de marteau de charpentier, le fer est maculé de sang !… Je vous préciserai tout cela avec certitude dans mon rapport après avoir pratiqué l’autopsie, mais je suis à peu près certain que c’est bien l’arme du crime !

— Quelle est l’heure de la mort ?

— Je la situerai hier soir entre dix-huit heures et vingt-trois heures. Avec cette chaleur je ne peux pas être plus précis pour l’instant. Je pourrai l’affiner après un examen plus approfondi, quand ce pauvre Moustier sera allongé sur mon établi, dans l’intimité et la fraîcheur de mon atelier, il pourra alors me livrer tous ses secrets !… Comme a dit mon éminent confrère Maurice Ferrand : « L’autopsie permet aux autres de découvrir ce qu’on n’a jamais pu voir en soi-même ».

Le docteur avait un faux air de Louis Jouvet et surtout la même voix nasillarde. Il adoptait une attitude toujours très théâtrale, surtout sur les scènes de crime où il n’était pas avare de citations. Dans la famille Perron, on était médecin de père en fils. « Nous, les Perron, avons vocation à sauver des vies » criait haut et fort son aïeul chirurgien militaire. Quand au jeune Armand, il aurait préféré être ébéniste mais son père, grand ponte de la chirurgie cardiaque, ne lui en donna pas le choix et le poussa vers la faculté de médecine. C’était par rébellion qu’il était devenu légiste, et par nostalgie qu’il nommait l’institut médico-légal : son atelier et sa table d’autopsie : son établi.

— Il avait quelque chose dans ses poches ?

— Non ! Rien à part un mouchoir, comme le commun des mortels !… répondit le légiste sur un ton très cornélien.

La capitaine Bertaut se releva en souriant, amusée par les déclarations du docteur Perron, « il n’a pas perdu son humour, on ne le refera pas ! », pensa-t-elle.

Plus d’une heure s’était écoulée depuis l’arrivée des premiers agents. Raymond et Arlette Fréon étaient installés à l’arrière du fourgon de police secours, il avait était stationné à l’ombre et les portes étaient grandes ouvertes. Un des OPJ avait relevé leurs identités et leurs déclarations. Après en avoir pris connaissance, la capitaine s’approcha d’eux. Les deux octogénaires semblaient anéantis. Elle leur posa quelques questions et leur proposa de les faire accompagner à l’hôpital, afin qu’ils puissent y passer un examen médical. Ils avaient subi un choc et leur posture montrait qu’ils étaient encore très secoués. Ils refusèrent, préférant rentrer chez eux. Elle les fit donc raccompagner à leur domicile, leur conseillant toutefois de voir un médecin.

Dans sa déclaration, le couple Fréon avait révélé être étonné de ne pas voir la voiture de leur beau-frère. La capitaine appela l’OPJ qui s’était occupé d’eux, elle le connaissait bien.

— Tu as retrouvé la voiture ?

— Non ! Elle n’est pas sous le porche, pas dans la rue et pas dans les rues voisines ! J’ai trouvé l’immatriculation et j’ai lancé un avis de recherche !… C’est une Golf grise, un modèle récent, assez courant, qui se revend bien !

L’OPJ ne semblait pas très optimiste sur le fait que la voiture soit retrouvée.

Le procureur Hubert Nourricier avait, à l’annonce du nom de la victime, décidé de se rendre sur place et de prendre en charge personnellement l’affaire. Il habitait de l’autre côté du jardin des Prébendes d’Oé, le plus grand jardin du centre ville. Jardin à l’anglaise, il fut réalisé entre 1872 et 1874 par Eugène Büler. Le procureur emprunta, pour se rendre à pied sur place, les allées du parc serpentant au milieu des pelouses, à l’abri des futaies de cèdres, de platanes, de séquoias géants et de tilleuls. Arrivé sur place, il reconnut la capitaine et s’approcha d’elle. Le procureur était un Tourangeau de naissance, il avait passé une grande partie de sa carrière à Tours, il connaissait bien la ville et ses habitants.

— Bonjour Capitaine ! Ce pauvre Moustier a été assassiné !…

— Bonjour Monsieur le Procureur ! Vous connaissiez aussi la victime ?

— Bien sûr, comme beaucoup de Tourangeaux ! Il a été mon dentiste pendant plusieurs années !… Quel âge avait-il ?

— Soixante et onze ans ! Il a cessé son activité il y a six ans d’après son beau-frère et sa belle-sœur, ce sont eux qui ont découvert le corps.

— Cela ne me rajeunit pas !… déplora le procureur. Racontez-moi ce que vous avez appris.

La capitaine fit un rapide mais complet rapport des faits, après quoi elle visita la maison en compagnie du représentant du ministère public. Le corps avait été enlevé et transporté à l’IML, afin de procéder à son autopsie. Une silhouette, dessinée à la craie, matérialisait l’apparence d’Henri Moustier allongé au milieu de la porte-fenêtre donnant sur la terrasse, surplombant un petit jardin clos par quatre murs. Le responsable de l’équipe de la Police Technique et Scientifique leur expliqua qu’il avait relevé des traces de bousculade dans la cuisine, ainsi que des traces de sang et des cheveux sur un des coins de la table.

— On a également trouvé une boîte à outils rudimentaire sur la table de la cuisine et un escabeau sur la terrasse. Nous avons découvert un marteau de charpentier dans un massif du jardin, dont le fer porte des traces de sang, il est parti au labo pour examen !… Nous supposons, d’après l’emplacement de l’escabeau, que quelqu’un était en train de refixer le globe de la lampe extérieure. Les empreintes papillaires fraîches que nous avons trouvées sur l’escabeau et le globe ne sont pas celles de la victime.

Le technicien se déplaça vers la terrasse, invitant le procureur et la capitaine à le suivre.

— Dans ce massif de rosiers grimpants, juste à côté de la porte-fenêtre de la cuisine, nous avons relevé en bordure de la terre, un fragment d’empreinte récente de chaussure, dont la pointure serait au minimum du quarante-six. Cette empreinte ne peut pas appartenir à la victime, il chausse du quarante-trois d’après son stock de chaussures !… D’autre part les tiroirs du bureau ont été fouillés, ainsi que ceux des commodes des chambres et toutes les armoires. Nous n’avons trouvé ni argent, ni bijoux. Nous continuons les relevés d’empreintes !

— Avez-vous trouvé les papiers, carte de crédit, carnet de chèques et téléphone portable de la victime ? demanda la capitaine.

— Seulement un téléphone portable posé sur le meuble du vestibule. Il avait été mis en charge quelques heures avant. La charge était terminée mais le chargeur était encore branché dessus.

— Pas de clefs de voiture ?

— Non capitaine. Ni clef de voiture, ni clef de maison. Le portail du porche est motorisé, nous avons trouvé une télécommande, dans le fond du tiroir du meuble du vestibule, apparemment ayant peu servi, certainement le double, émit le technicien.

Le procureur et la capitaine firent une rapide visite du logement. C’était une maison de ville, cossue, s’élevant sur trois niveaux. Tous les meubles étaient en merisier massif et de bonne facture, ils paraissaient avoir été faits sur mesure, ils étaient tous dans le même style. Ils constatèrent que le bureau, se trouvant dans une alcôve du séjour, ainsi que les chambres du premier étage avaient été effectivement fouillés.

De retour sur le trottoir, l’OPJ de quart le plus gradé s’approcha. Il salua le procureur et la capitaine. Il leur fit une brève synthèse de l’enquête de voisinage, qu’il venait de terminer avec ses collègues.

— Nous avons interrogé tous les voisins présents ce jour, dont les logements se trouvent de chaque côté de la rue. Le couple, habitant l’immeuble d’en face au rez-de-chaussée, a entendu le portail du porche de monsieur Moustier s’ouvrir vers vingt-trois heures hier soir. Ils venaient de se coucher, ils ont entendu la voiture sortir et le portail se refermer. Ils ont pensé que leur voisin sortait, ils ont été surpris car ce n’était pas dans ses habitudes de sortir si tard !… La dame logeant au-dessus a vu la voiture de monsieur Moustier rentrer sous le porche hier vers vingt heures. Il y avait deux personnes à bord mais elle ne peut pas les décrire, elle pense que monsieur Moustier était assis à la place du passager, mais ne peut pas l’affirmer !… Le monsieur demeurant dans la maison d’à côté a vu la victime partir en voiture hier matin à huit heures trente, il était seul !… Les autres personnes présentes et interrogées ce jour n’ont rien entendu de suspect et n’ont pas vu monsieur Moustier depuis plusieurs jours, à l’exception de son voisin de gauche qui l’a croisé vendredi en fin d’après-midi boulevard Béranger.

— Merci Brigadier ! conclut le procureur, libérant l’homme en uniforme.

Il se retourna vers la capitaine.

— Je vais aller parler aux journalistes, je les vois impatients. Henri Moustier a été un élu de la ville et du département, il s’était même présenté aux sénatoriales il y a quelques années.

— C’est pour cela que ce nom me disait quelque chose.

— Cela fait combien de temps que vous êtes tourangelle Capitaine ?

— Quinze ans Monsieur le Procureur !…

— Il a dû terminer sa carrière politique vers cette époque !… Après son échec aux sénatoriales !… Il s’est consacré ensuite aux œuvres médico-sociales de la ville. Henri Moustier était un notable tourangeau très apprécié, il avait beaucoup d’amis dans le milieu politique local, dans la majorité comme dans l’opposition, il servait souvent de médiateur entre les deux camps. Beaucoup de gens vont essayer de faire pression pour que l’enquête progresse vite et ceci n’est jamais bon !… J’appellerai votre patron demain matin, je souhaiterai que ce soit à votre groupe qu’il confie cette affaire, je vais moi-même la suivre personnellement !… Ce n’est pas la peine de faire venir un groupe du SRPJ d’Orléans, restons en famille ce sera plus efficace. À Tours aussi, il y a de très bons enquêteurs, je pense que vous serez d’accord avec moi !… Bonne soirée Capitaine.

La capitaine serra la main du procureur et le regarda s’éloigner vers le coin de la rue où la presse régionale était regroupée. Elle aimait bien ce bonhomme, il avait la réputation d’un magistrat strict, voire coriace, mais il savait reconnaître les valeurs humaines.

Son portable sonna. On la prévenait qu’un vol important s’était produit à Saint-Cyr-sur-Loire, chez un particulier collectionneur de tableaux. Elle donna ses dernières consignes aux OPJ encore sur place et se dirigea vers Saint-Cyr.

Chapitre 2Lundi 29 juin