Meurtres en Charente-Maritime - Thierry Decas - E-Book

Meurtres en Charente-Maritime E-Book

Thierry Decas

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Beschreibung

Un terrain vague proche du port de La Pallice. Un cadavre passé sous un rouleau compresseur et presque entièrement caché sous une planche de contreplaqué est découvert. Ce mort a les yeux vairons. Les principaux suspects travaillent dans l’entreprise La Rochelle Bois déroulé et Transport de grumes (la LGBT). La juge s’étonne ! L’enquête cherche qui est ce mort aplati aux yeux vairons et découvre un trafic de bois précieux qui cache un trafic de diamants plus ou moins gérés par des employés de l’ambassade de Pologne à Paris avec la complicité de la LGBT, de deux cousines prétendument de grande famille et de quelques secrétaires pas timides. Les morts tombent jusqu’à ce qu’on découvre qu’on ne risquait pas de trouver le nom du mort aux yeux vairons : Ils n’étaient pas vairons !




À PROPOS DE L'AUTEUR




Thierry Decas, né en 1943 à Paris, grandi à Montparnasse. Diplômé chirurgien-dentiste. Il s’installe à La Rochelle en 1974. Il a tenu différentes fonctions au sein de l’Ordre des CD et de l’Union des Jeunes Chirurgiens-Dentistes. Rédacteur en chef de diverses revues spécialisées (Dentaire hebdo, Le défi républicain auprès de Dominique Bussereau). Formation de cadres auprès de responsables associatifs, syndicaux, politiques. Il est passionné par la navigation en mer et fluviale, les voyages et le piano jazz.

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Couverture

Page de titre

Thierry Decas

meurtres en CHARENTE-MARITIME

Une enquête du lieutenant Marcel

© – 2024 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Le Charentais aux yeux vairons

La circulation sur la rocade de La Rochelle est de plus en plus dense. Piotr maintient son trente-huit tonnes sur la file de droite à quatre-vingts kilomètres à l’heure. Devant lui un C8 roule à la même vitesse. Il le suit depuis l’entrée sur la rocade, en provenance de l’usine de bois déroulé. Soudain le C8 ralentit brutalement, sans même que ses feux-stop ne s’allument. Piotr écrase la pédale du milieu en même temps qu’il actionne son frein électrique. Mais rien n’y fait, la décélération du trente-huit tonnes est insuffisante. Il va percuter la voiture légère. Pour l’éviter, il tente de prendre la voie de gauche, mais la densité de la circulation ne permet pas de se déporter suffisamment. Il ne peut éviter la collision. Le choc soulève le véhicule qui le précède et l’envoie se retourner dans le bas-côté. La remorque du semi glisse sur sa droite, emportée par l’énorme masse des rouleaux de bois sanglés sur son plateau. Ses roues se plantent dans la terre du bas-côté, il verse et entraîne avec lui le tracteur du poids lourd. Piotr, baroudeur aguerri, coupe aussitôt le contact, actionne le coupe-circuit et se retrouve en vrac, effondré sur la portière droite. Il ne semble pas être blessé. Les vitres ont résisté. Il se relève et constate que déjà s’affairent autour de l’accident des automobilistes, extincteurs à la main, quelques badauds et même deux ambulanciers… Il ne comprend pas. Serait-il tombé un moment dans les pommes ? Il est un peu sonné certes, mais pas à ce point. Il ne réalise pourtant pas qu’il est prisonnier de sa carlingue. Sans électricité, les vitres ne s’ouvrent pas. La porte de droite est coincée sur le sol et celle de gauche trop lourde pour être ouverte de l’intérieur. Enfin, après quelques minutes, il entend la sirène de la police, à moins que ce ne soient les pompiers… Piotr est debout dans sa cabine, les pieds sur la vitre de la porte droite. Il n’a dans son champ de vision, à travers le pare-brise, que la partie gauche de la chaussée et la double voie en sens inverse. Les véhicules roulent au ralenti et dépassent son poids lourd à peine au pas. On espère voir le conducteur en sang dans sa cabine. Les voyeurs sont déçus. Un gendarme se plante devant le pare-brise du camion couché sur le flanc droit. Il voit Piotr debout et lui demande par signe si tout va bien. Piotr le rassure et réclame qu’on ouvre la porte. Deux autres gendarmes sont déjà grimpés sur l’engin et tirent comme des forcenés sur la lourde portière. Enfin Piotr peut se libérer. Il est emmené dans la camionnette de la gendarmerie pour raconter l’accident. Des sirènes d’ambulances mugissent avant de disparaître dans le lointain. Le véhicule qu’il a percuté est en bien mauvais état. Il est sur le toit dans le fossé, toutes les vitres ont explosé. Il semble abandonné. Piotr, dans un mauvais français demande s’il y a des blessés graves dans la voiture. Des blessés, oui, graves, il ne semble pas. On a emmené tout le monde à l’hôpital pour des examens. Les gendarmes appellent une grue-dépanneuse pour redresser le poids lourd, dégager la voie et embarquer la Citroën. Puis ils emmènent Piotr à la gendarmerie.

Le colonel Papa croisant dans les couloirs le lieutenant Marcel en compagnie de Piotr l’interroge du regard. Le lieutenant lui répond laconiquement : « Accident de la route, étrange, mais pas de dégâts humains ».

Le camion est remorqué et rangé dans l’entrepôt de la gendarmerie. Le lieutenant est intrigué par les curieuses circonstances de cet accident. Il est également impressionné par cet énorme engin et décide d’aller lui rendre visite. Il tourne autour de ce mastodonte, tâte les pneus, se glisse sous la plate-forme à ridelles, inspecte le système de remorquage, fouille toute la cabine. Ce n’est pas un technicien de la chose et, si tout lui semble parfaitement étranger, rien ne lui paraît suspect. La scientifique précisera l’état des freins et les services confirmeront la régularité des papiers. Si le chauffeur était polonais, le camion est immatriculé en France et pour le moment tout semble parfaitement en règle. La seule chose qui interpelle le lieutenant est le coffre situé sous la plate-forme et dans lequel sont généralement rangés quelques outils et autres sangles à cliquet. Il est fermé à l’aide d’un énorme cadenas. Le pandore note cela sur son carnet et continue son inspection, plus par curiosité qu’autre chose. Les rouleaux de bois ne sont plus là, l’entreprise ayant obtenu l’autorisation de les charger sur un autre camion afin de les livrer à leur destinataire. Par contre, le véhicule de tourisme, le C8 Citroën, a été déposé un peu plus loin et bien malin qui saurait reconnaître la marque de la voiture. Elle est toute disloquée, écrasée, les vitres éclatées. On se demande comment les occupants n’ont pu subir que des blessures légères, liées essentiellement aux éclats de verre. Il sera sans doute difficile d’en tirer quelque chose qui expliquerait son ralentissement brutal. Mais les services techniques ont des moyens et des compétences bien efficaces. Lorsque le lieutenant revient à son bureau il croise le colonel Papa à qui il fait un compte rendu succinct de la situation. Le colonel lui dit de passer le dossier au brigadier Mercier qui attendra les résultats des services techniques et classera le dossier. Une affaire sans grand intérêt : pas de blessés, rien de louche, le dossier concerne maintenant les assurances.

*

* *

Trois semaines plus tard, le brigadier Mercier frappe à la porte du bureau du lieutenant Marcel et entre sans même attendre la réponse.

— Paul, on vient de recevoir un appel nous signalant un cadavre découvert sur un terre-plein à La Pallice. Il est écrasé, à moitié caché sous une plaque de contreplaqué.

— Encore !

— Quoi encore ?

— Encore du contreplaqué ?… Tu sais où ça se situe ? Bon, on y va. 

— Pourquoi encore du contreplaqué ? Ce n’est pas rare le contreplaqué. Il y en a partout du contreplaqué.

— Laisse tomber !

La voiture des deux gendarmes fonce sur la rocade, gyrophare allumé et toute sirène hurlante. Ils arrivent au milieu d’un petit attroupement, immédiatement suivis par la voiture des pompiers. L’attroupement est situé effectivement au milieu d’un terre-plein en friche et on se demande comment un individu a pu venir se faire écraser à cet endroit. Il n’a pas plu depuis un moment et la terre et l’herbe sont sèches. Les deux gendarmes commencent à écarter la foule en demandant si quelqu’un a vu quelque chose. Ils établissent une scène de crime à l’aide d’un ruban rouge et blanc. Effectivement, sous la plaque de contreplaqué, il y a quelque chose qui ressemble à un homme. On n’en voit que les pieds, les mains et la tête. Les jambes, le tronc et les bras sont totalement cachés par la planche de bois. Pourtant, curieusement la tête semble avoir été elle-même écrasée. Les gendarmes prennent de nombreuses photos, réalisent des prélèvements de terre qu’ils rangent précautionneusement dans des petits tubes et finissent par enlever la planche de contreplaqué qui est soigneusement emballée d’une feuille de plastique et rangée dans une camionnette. L’homme est maintenant étendu sur le dos, les bras en croix. à première vue, d’après les vêtements, il ne s’agit pas d’un cadre supérieur. L’homme est totalement plat, à part les pieds et les mains. Curieusement les yeux ont résisté et forment deux petites boules au milieu d’un amas d’os, de cervelle, de chairs et de terre. Tout ça est un peu répugnant et bien malin qui pourrait reconnaître un proche ou un collaborateur dans cette feuille humaine. Les pompiers, devant ce débris d’être humain, déclarent qu’ils ne peuvent plus faire grand-chose, le mort ressemblant plus à un mouchoir bien repassé qu’à un blessé. Ils remontent dans leur voiture et partent regagner leur caserne.

Le lieutenant Marcel décide de passer quelques coups de fil. Il commence par appeler la juge Hugues qui le reçoit aussi fraîchement qu’à son habitude et lui dit que non, elle n’a de nouvelles ni du président ni du procureur à propos de cet accident et qu’il lui casse les pieds. Il attendra qu’elle ait des nouvelles sur ce dossier, si c’est elle qui en est chargée, et on verra à ce moment de quoi il retourne.

Il appelle alors le colonel Papa. Il lui faut une ambulance et sans doute une camionnette de dépannage pour mettre le cadavre en situation d’être ramassé avec une pelle à tarte. Tout autour du cadavre, un jus étrange, mélange de sang, d’urine et de terre a commencé à sécher et dessine un curieux tableau abstrait. Après avoir tout noté, photographié, mesuré, il faut charger le cadavre sur un brancard. Mais pas facile de le soulever. En voulant lui remettre les bras le long du corps, ils se tordent comme les manches d’une chemise que l’on voudrait plier après l’avoir repassée. L’homme est totalement mou. Il faudrait une spatule XXL ! Et personne n’a songé à en apporter une. On trouve une tôle qui traîne par-là, et, avec d’infinies précautions, on la glisse sous le bonhomme que l’on charge sur le brancard. Pour la reconnaissance du corps, ça allait être coton. Cependant, pour le transport, avec une grande enveloppe on pourrait le glisser dans une boîte à lettres ! Le médecin légiste, appelé lui aussi en renfort, se demande pourquoi on l’a dérangé, attendu qu’il n’y connaît rien en art abstrait. Il regarde le tableau avec étonnement :

— Eh ! Marcel, au juste, pourquoi tu m’as demandé de venir ?

— C’est pas à moi de t’apprendre ton métier : heure et cause de la mort, alcool, drogue, ADN et si en plus tu peux me dire le nom de l’individu, son âge, sa nationalité, son adresse et qui l’a poussé sous cette planche, ça me prouvera que t’es vraiment un bon légiste. Pour le sexe j’ai quand même l’impression que c’est plutôt un homme, mais tu confirmeras.

— C’est tout ? Ça devrait pas poser de problème ! Rendez-vous à la morgue. Par contre vu la surface occupée par le bonhomme, faudra sans doute me faire livrer une deuxième table à poser à côté de la mienne, sinon il va pendre comme un drap à deux places sur un lit d’enfant.

— C’est pas moi qui m’occupe de l’intendance.

Le cadavre embarqué, le lieutenant et son équipe se mettent à relever tout ce qui est possible pour faire parler la scène : traces de pneus, de pas, débris divers. Encore des prélèvements et des photos et retour au bercail.

Le légiste n’est pas sorti de la berge (comme dit le brigadier Mercier) pour trouver la cause de la mort. à moins que le mort plat n’ait été empoisonné avec trois litres de mort-aux-rats, la seule chose qu’il pourra affirmer dans ce domaine c’est que le monsieur a été totalement aplati par une charge bien lourde, de la tête jusqu’aux pieds puis recouvert par une planche. Mais ça, on le sait déjà. Par contre, ce qu’on ne sait pas c’est à qui appartient cette planche de bois ni d’où elle vient. S’il est fréquent de voir des grumes traîner un peu partout sur le port de La Pallice, il est plus rare d’y voir des planches. Une usine déroule bien le bois dans le coin, mais aucune entreprise ne fabrique du contreplaqué aux abords du port. Le lieutenant Marcel doit faire analyser la planche, dresser une liste des entreprises concernées dans le département et envoyer sur place ses plus fins limiers pour tenter de voir qui aurait pu fabriquer cette planche et à qui elle aurait pu être livrée. Et attendre le résultat. Mais, des planches, on en trouve dans tous les supermarchés de bricolage, et il n’y aura sans doute pas grand-chose à attendre de ces démarches.

De retour à la caserne de gendarmerie de Lagord, le lieutenant Marcel est appelé par le colonel Papa pour un premier bilan. En découvrant les photos, le colonel fait des yeux ronds. Il n’avait encore jamais vu un gugusse dans cet état. à croire qu’un mec l’avait aplati avec un fer à repasser géant. Mais, à y regarder de plus près, une première conclusion lui paraît évidente : le bonhomme n’a pas pu se retrouver dans cet état en tombant de son balcon. Il faudra examiner la planche plus en détail, mais il ne semble pas qu’elle ait été l’outil utilisé pour obtenir ce résultat. Et comment aurait-on appuyé dessus ? Y avait-il des traces de roues sur la planche ? Il faudra demander au légiste de regarder avec précision si la brisure des os au-dessus du pied était en forme de biseau et si celle des poignets était identique ou plus franche. Parce que le personnage avait surement été écrasé sur place, les traces semblent le démontrer, en commençant par la tête et en s’arrêtant avant les pieds, par un rouleau un peu moins large que l’envergure du bonhomme puisque les mains avaient été épargnées. Et il avait sans doute encore été tué bien avant d’être écrasé.

— Mais mon colonel, dans ce cas il devrait y avoir des traces de rouleau compresseur et je n’en ai pas vu.

— Et des traces de camion, vous en avez vu ?

— Ça, il y en a partout

— Eh bien le camion a descendu le rouleau, ou la dameuse, ou je ne sais quoi, juste à la tête de notre client. Il faudra voir les conclusions du légiste. En attendant, je vous offre un apéritif bien mérité au bar du mess.

Le bar du mess est vide, comme d’habitude à cette heure. à part les brigadiers de service, chacun est rentré chez soi ou sorti faire une virée en ville.

— Cette histoire ne va pas être simple. J’avoue que je n’ai jamais vu un cadavre écrasé comme une crêpe laissé sous une planche dans un terrain vague. Avez-vous eu des nouvelles du TGI ?

— J’ai passé bêtement un coup de fil à madame la juge Hugues. Elle m’a reçu avec sa rogne habituelle et m’a dit qu’elle n’était au courant de rien. Dès que nous saurons qui est en charge de ce dossier, on essaiera de mettre en place la procédure à suivre. Je pense qu’elle doit prendre contact avec le procureur.

— Oui, mais il ne faut pas attendre pour commencer l’enquête. Avez-vous déjà une idée de comment démarrer les recherches ?

— Pour le moment on fait dans le classique. Sur le cadavre, empreintes digitales, ADN, âge et taille approximatifs puis recherche d’une correspondance dans nos fichiers. Sur le site, recherche d’éventuels indices, mais surtout je voudrais trouver le moyen de faire parler la planche, en espérant qu’elle n’a pas été ramassée dans une décharge. Mais je n’y crois pas trop, car elle avait l’air presque neuf. Je pense qu’un fabricant doit être capable de reconnaître ses produits.

— Espérons… Pas simple… Bon courage, lieutenant. Et à part ça, ça va bien chez vous ?

— Tout va bien, je vous remercie.

— à la vôtre.

Après avoir choqué leurs verres de jus de tomates, le colonel Papa et le lieutenant Marcel regagnent chacun leur logement pour une soirée heureuse et familiale devant un feuilleton américain à la télévision.

*

* *

Martine Hugues, juge d’instruction près le Tribunal de Grande Instance de La Rochelle était assise derrière son bureau, toujours coiffée à la garçonne et vêtue de son classique costume gris avec cravate bleue et chaussures plates, noires à trou-trou. Son fidèle greffier n’avait pas reçu la moindre information sur le mort dégotté par le lieutenant Marcel. Elle ne voulait pas mourir idiote et décida de lui passer un fil.

— Alors lieutenant, qu’est-ce que c’est que cette histoire de mort à La Pallice ?

— Bonjour, madame la Juge, mes respects madame la Juge…

— Oui, arrêtez vos salamalecs, lieutenant, répondez plutôt à ma question !

— Oui, madame la juge. Eh bien on a été informé de la découverte d’un cadavre sur un terrain vague dans le quartier de La Pallice. Nous nous sommes donc transportés sur place pour découvrir effectivement un homme mort, tout aplati sous une planche.

— Comment ça tout aplati ?

— Oui, madame la juge, tout aplati. Sauf les pieds et les mains qui dépassaient de la planche, il était tout aplati. Il fait environ deux à trois centimètres d’épaisseur. Sauf les yeux qui se sont enfoncés dans le sol.

— Des indices ? Une identité ?

— Non, madame la juge. Il n’avait pas de papiers sur lui. On va voir si nous avons des correspondances ADN ou autres, analyser la planche pour tenter de trouver son origine et attendre un peu pour voir si on nous signale une personne disparue. Mais on ne sait même pas si c’est quelqu’un de la région. Nous pensons qu’il a dû être tué puis amené sur place ici, posé sous la planche et qu’un rouleau compresseur a dû lui passer dessus. Ce qui est curieux c’est que la planche est en bon état, or, si elle était passée sous le rouleau, elle devrait être abîmée. Sinon, elle a été posée sur le corps après qu’un rouleau l’a écrasé. Mais alors, elle serait exactement de la taille du rouleau. On va donc rechercher qui a un rouleau de cette dimension. En espérant qu’il n’y en ait pas trop en circulation dans le coin.

— Bon, tenez-moi au courant.

— Bien sûr, madame la Juge, mes respects madame la Juge, au revoir madame la… ? Elle a raccroché.

Les choses ne s’emmanchaient vraiment pas bien ! Un cadavre impossible à identifier, pratiquement aucun indice, aucune disparition signalée. On ne pouvait compter que sur les services techniques et la chance. Il allait en falloir. L’ADN et les empreintes digitales n’étaient pas répertoriés. Par contre, on savait que la largeur du rouleau compresseur était de 150 centimètres. Et par ailleurs, il devait s’agir soit d’un rouleau agricole soit d’un rouleau de chantier, mais relativement léger. Autrement dit un engin plus que standard. Environ cinq loueurs susceptibles de proposer ce genre d’engins plus sept ou huit entreprises de travaux publics. Donc une douzaine d’entreprises à visiter, mais pour leur demander quoi ? Il fallait pouvoir reconnaître le bon rouleau. Et, pour cela, faire des prélèvements pour tenter d’y trouver des traces d’ADN et les comparer à celles du mort.

Le lieutenant Marcel fait part au colonel Papa de sa décision d’envoyer le plus rapidement possible une brochette de collègues faire les prélèvements avant que toute trace ait disparu.

Dès quatorze heures une douzaine de brigadiers sont réunis pour le briefing.

— Messieurs, un cadavre a été trouvé, comme vous le savez, à La Pallice. Il a été écrasé par un rouleau compresseur de 150 cm de large et d’un poids compris entre 600 kilos et une tonne deux cents. Objectif : retrouver tous les rouleaux de ce type existants dans la région de La Rochelle et faire de larges prélèvements sur la plus grande surface possible des rouleaux. Il faut que tout soit terminé dans 48 heures. Le brigadier Mercier et moi-même avons établi la liste de toutes les entreprises susceptibles d’avoir ce genre d’engin, soit à titre privé, soit en location. Nous avons attribué deux entreprises à chaque groupe de deux. Vous partez immédiatement, vous retrouvez tous les rouleaux, vous vous transportez sur place pour faire les prélèvements, vous rapportez les prélèvements aux services techniques pour analyse. L’opération doit être terminée demain à midi au plus tard. Rompez.

— Mais, Lieutenant si les rouleaux sont sur un chantier ?

— Eh bien vous vous transportez sur place, je viens de vous le dire !

Dès le lendemain en fin de matinée une dizaine de prélèvements sont revenus à la gendarmerie. Ils correspondent tous à des engins qui auraient pu être utilisés pour écraser le bonhomme. La chance est au rendez-vous et un ADN identique a été trouvé sur un engin de location. Ne reste plus qu’à espérer que le bonhomme a été écrasé le jour de sa découverte ou la veille. Et à demander à qui le rouleau avait été loué à ces dates.

— Bingo, mon colonel. Le rouleau est retrouvé. Il a été loué par la société « La Rochelle Grumes et Bois déroulés Transport ». Une grosse boîte installée à La Pallice.

— Nickel, Marcel. Et en quoi une société qui transporte des grumes a besoin d’un rouleau compresseur ? Ils ont fait un nouveau parking dans leur entreprise ? Vous allez leur rendre une petite visite amicale pour savoir qui utilisait cet engin. Embarquez le brigadier Mercier.

La société LGBT possède des terre-pleins à La Pallice pour y entreposer les grumes qu’elle reçoit d’Afrique. Elle possède également des hangars pour y entreposer les rouleaux de bois déroulé qu’elle livre à des usines qui fabriquent du contreplaqué, et bien entendu elle possède toute une flotte de camions avec lesquels elle réalise les transports. Elle possède en outre deux engins de chargement, sortes de grues à pinces et à roues avec lesquelles elle charge tout ce bois. Les camions eux-mêmes sont équipés de grues pour les grumes et de sortes de portiques basculants pour les rouleaux de bois déroulé. Tout cela représente d’importantes surfaces, couvertes ou non, proches à la fois du port de commerce et du départ du périphérique. Il faut compter en plus un petit immeuble qui abrite les bâtiments administratifs, une petite cuisine, et deux pièces de repos pour les chauffeurs qui souhaitent se reposer sur place, à l’occasion de livraisons lointaines. Lorsque le lieutenant Marcel et le brigadier Mercier arrivent dans l’entreprise avec leur camionnette Renault, un énorme poids lourd est en train de manœuvrer. Ils s’écartent prudemment pour gagner le bâtiment administratif. En voyant le camion manœuvrer, le brigadier Mercier s’esclaffe :

— Mais dis-moi, tu ne le reconnais pas ce camion ?

— Je n’y connais rien en camion moi ! Pourquoi voudrais-tu que je le reconnaisse ?

— Mais c’est le même que celui qui a fait un accident sur la rocade il y a environ un mois !

— Ah ! Tu as raison. C’est pour ça que la société « La Rochelle Grumes, Bois déroulés et Transports » ça me disait quelque chose. On va poser quelques questions à monsieur Champion, le brave PDG de la boîte. C’est là.

Le petit bâtiment qui abrite les services administratifs est un machin sans âge, avec des fenêtres à petits carreaux et auquel on accède par une double porte en bois, vitrée, précédée d’un mini perron surélevé de trois marches en béton. à l’intérieur une banque en bois autrefois vernie abrite un pool de deux secrétaires occupées à taper sur le clavier de leurs ordinateurs. En voyant entrer les gendarmes, elles lèvent la tête, les saluent et leur demandent ce qu’ils désirent.

— Bonjour, mesdames, nous voudrions voir votre PDG, monsieur Hugues Champion.

— Vous avez rendez-vous ?

— Oui, mais il ne le sait pas encore.

— C’est pour quoi ?

— Ne vous inquiétez pas, nous le lui dirons nous-mêmes.

Les secrétaires ne semblant pas goûter l’humour des pandores se regardent d’un air étonné puis l’une d’elles décroche son téléphone.

— Monsieur Champion, il y a ici deux gendarmes qui désirent vous voir. Ils disent avoir rendez-vous avec vous, mais que vous ne le savez pas encore. Bien monsieur… Il descend. Si vous voulez vous asseoir…

Trois chaises en bois traînent dans un coin de la pièce, mais les gendarmes préfèrent rester debout. Après quelques minutes un homme se présente dans la pièce. Il est habillé sobrement d’un pantalon de flanelle et d’un blouson beige.

— Bonjour, messieurs, en quoi puis-je vous être utile ?

— Bonjour. Monsieur Champion ? Ne souhaitez-vous pas que nous parlions dans un endroit plus tranquille ?

— Suivez-moi.

Après avoir emprunté un modeste escalier carrelé, ils entrent dans un modeste bureau également carrelé. La pièce aurait besoin d’un petit rafraîchissement, mais est en ordre et dispose de tout le matériel qu’on imagine utile au PDG d’une petite entreprise.

— Monsieur Champion, nous savons que votre entreprise a loué récemment un rouleau compresseur à l’entreprise « Louez-moi », ici, à La Rochelle. Pouvez-vous me dire à quelle fin vous avez loué ce rouleau compresseur.

— Un rouleau compresseur ? Il doit y avoir erreur, je ne vois pas pourquoi nous aurions loué un rouleau compresseur. C’était quand ?

— Le 21 de ce mois.

— Et vous êtes sûr que c’est nous qui l’avons loué ?

— Certain.

Le PDG décroche son téléphone :

— Françoise, êtes-vous au courant d’une location de rouleau compresseur le 21 de ce mois ?

— …………….

— Merci, Françoise. Non, elle n’est pas au courant et elle pense que c’est peut-être Adrian qui aurait rendu service à un client.

— Et qui est cet Adrian ?

— Adrian Alexander. Notre directeur commercial.

— Et où peut-on le trouver ?

— Il est souvent en déplacement, mais je peux lui demander de vous joindre pour que vous en parliez avec lui.

— Non, monsieur, vous êtes en contact régulièrement avec lui, je suppose, et vous pourrez certainement lui parler d’ici demain soir ? Donc vous allez avoir la gentillesse de lui demander de se présenter après-demain à la gendarmerie de Lagord à 15 heures précises. Je compte sur vous ?

— Je lui transmettrai, mais je ne suis pas sûr qu’il…

— Il n’a pas le choix, c’est une convocation pour un dossier de la plus grande importance. Vendredi à 15 heures, il demande le lieutenant Marcel.

De retour dans la Renault le lieutenant Marcel est énervé.

— Mercier, ce mec nous enfume. Ou c’est un con ou il nous prend pour des grumes.

— Ben c’est normal, il en transporte tous les jours.

— C’est pas le moment de dire des conneries ! Si son Adrien ne se présente pas après-demain à 15 heures, c’est lui que je convoque, officiellement.

— Adrian, pas Adrien.

— On s’en fout. D’ailleurs d’où ça sort un nom pareil ? Adrian Alexander ! C’est un Russe ou quoi ?

— Tu le lui demanderas.

Le dossier de l’affaire du mort aplati est bien vide. Un mort inconnu, une entreprise qui a loué une arme étonnante, ça ne démarre pas sur les chapeaux de roues. Heureusement les services techniques ont donné quelques résultats. Il semble bien qu’un camion, sans doute attelé à une remorque, a manœuvré devant le cadavre, vraisemblablement pour livrer le rouleau compresseur, et ils confirment que le bonhomme a bien été écrasé sur place. Quant au légiste, il précise quelques détails sans grand intérêt : il s’agit bien d’un homme d’environ 178 centimètres, cheveux châtain clair, autour d’une quarantaine d’années, à dix ans près. Empreintes digitales et ADN inconnus dans les fichiers. Heterochromia iridis. ??? Le lieutenant Marcel s’agace toujours des expressions incompréhensibles utilisées par les techniciens et autres scientifiques. Il s’empresse de téléphoner au légiste.

— Oui, c’est moi ! Qu’est-ce que tu veux dire avec ton Heterochromia iridis ? Tu peux pas t’exprimer en langage compréhensible par un citoyen normal ?

— T’énerves pas Étienne…

— Je m’appelle pas Étienne !

— Oh ! s’cuse moi ! Heterochromia iridis ça veut dire que ton client il a les yeux vairons. Et ça, c’est vachement important pour la reconnaissance de l’individu.

— Les yeux vairons ? Tu te fous de moi, c’est quoi des yeux vairons.

— Ah ben quand même, ça, tout le monde connaît, ça veut dire qu’il n’avait pas les deux yeux de la même couleur. Et des gens comme ça, ce n’est pas rare, mais ça ne court quand même pas les rues. Si t’entends parler d’un mec avec les deux yeux pas pareils, tu dresses l’oreille.

— Ton rapport, il dit : pas de drogue, pas d’alcool, pas de poison. Il est vraiment mort écrasé l’individu ?

— Pas facile à dire vu son état. Je n’ai pas trouvé de trace qui pourrait laisser penser qu’on l’aurait saigné, mais il a pu être étranglé, ou étouffé ou noyé ou assommé. Moi, je pense qu’il était mort quand on l’a écrasé, car je n’imagine pas qu’il ait gentiment attendu, allongé sur le dos les bras en croix, que les autres lui roulent dessus. Et on n’a pas retrouvé sur les bras ni sur les pieds des traces de liens ou de quoi que ce soit pour l’immobiliser. Mais je ne peux pas te le confirmer stricto sensu.

— Sangsue, sangsue, d’accord, tu ne changeras pas. Donc amené mort, posé par terre les bras en croix, on lui roule dessus avec un rouleau déchargé juste devant sa tête, puis le rouleau remonte sur sa remorque, on pose la planche par-dessus le bonhomme et on s’en va. Mais pourquoi une planche ?

— Peux pas te dire, ça, c’est ton boulot, pas le mien. Bon courage. Salut.

Les yeux vairons ! On ne peut pas lancer un avis de recherche sur le critère « Yeux vairons » ! D’accord, si un jour on a un suspect avec les yeux vairons ça peut aider à confirmer. On pédale toujours dans la semoule.

Le lendemain à 15 heures, le lieutenant Marcel attend le sieur Adrian Alexander. Viendra, viendra pas ? Le lieutenant Marcel n’aime pas attendre. Il réfléchit à son affaire et n’a pas l’esprit libre pour autre chose. Il ne veut pas attaquer un autre dossier et être coupé dans son élan. Il décide d’aller faire un tour quand son interphone lance son bip-bip inhabituel. C’est le portier qui annonce qu’un certain Alexander prétend avoir rendez-vous avec lui. Le lieutenant confirme et demande qu’on accompagne ce monsieur jusqu’à son bureau. Il prévient le brigadier Mercier et lui demande de rappliquer vite fait. Ce dernier arrive au moment où un collègue frappe à la porte du lieutenant, accompagné d’un civil inconnu. Ils entrent ensemble.

— Monsieur Alexander ? Asseyez-vous. Vous avez vos papiers sur vous ? Merci de me les montrer.

— Vous êtes donc directeur commercial de la LGBT ?

— Oui, et je ne vois pas ce que je viens faire ici.

— Vous êtes là pour répondre à quelques questions. Tout d’abord, vous avez loué le 21 de ce mois un rouleau compresseur à la société « Louez-moi ». Dans quel but ?

— Un rouleau compresseur ? Je ne sais pas, il faudrait demander à Françoise.

— Monsieur Alexander, votre société n’a en aucun cas besoin d’un rouleau compresseur pour exercer son activité. D’autre part la location est avérée et elle n’est pourtant pas mentionnée dans les bordereaux de Françoise. La société « Louez-moi » ne vous a pas encore envoyé la facture qui n’est donc pas encore passée dans le service comptable. Et nous n’avons pas le temps d’attendre, je veux une réponse rapide. Alors je vous repose la question, monsieur Alexander, pour quoi faire avez-vous loué un rouleau compresseur le 21 de ce mois à la société « Louez-moi » ?

— Ah, je crois que je vois… Un chargement mal arrimé a provoqué la chute d’une grume sur le parking derrière les bureaux. Cela avait provoqué la formation d’un trou qui pouvait être dangereux et nous avons fait réparer la surface par nos employés. Ça doit être ça.

— Et c’est vous qui avez donné l’ordre de faire faire ces travaux et l’autorisation de louer cet engin ?

— Il n’y a pas vraiment eu d’ordre. Un employé m’a dit qu’il y avait un trou dans le sol à la suite de la chute de cette grume. Comme il m’a dit qu’il pouvait s’occuper de le réparer, je lui ai donné carte blanche.

— Et il est apte à signer les bons de commande, cet employé ? Son nom ?

— Euh, je ne sais plus qui c’était. Un cariste ou un chauffeur. Je ne sais plus.

— Il va falloir savoir monsieur Alexander. Je passerai demain dans votre entreprise pour le rencontrer.

— Mais, euh…

— C’est compris, demain à 13 heures. Je compte sur vous. Je vous remercie. Au revoir, monsieur.

Pendant que le brigadier montre le chemin de la sortie à Alexander, le lieutenant Marcel finit d’entrer dans son ordinateur les notes qu’il veut conserver. Même pas besoin d’écouter l’enregistrement de l’interrogatoire qui a été assez court pour bien s’en souvenir. Ce qui est clair est que ce monsieur est au courant de la location, mais ne veut pas le dire. Il faut en avoir confirmation et tenter de comprendre à la fois qui a donné les ordres, qui les a exécutés, qui est l’homme qui ressemble à une tranche de jambon pas fraîche et pourquoi on l’a ainsi aplati.

— Il est pas clair ce mec, qu’est-ce t’en penses ?

— Pour le moment je n’en pense rien. Si ce n’est que ce type et son patron ne sont pas de connivence. L’un pensait rendre service à un client et l’autre prétend avoir rebouché un trou dans le parking. La vérité est surement ailleurs et celui qui ment est sans doute Alexander. Certes, il nous a raconté n’importe quoi et en sait plus qu’il ne veut bien le dire. Mais je ne le vois pas conduire ce rouleau compresseur avec son costard trois-pièces et ses pompes de chez « Jordan ». Il faudrait voir aussi sa feuille de paie à ce monsieur. Il me paraît plus fringué comme un PDG que comme un directeur commercial. Cherche-moi tout ce que tu peux sur ce bonhomme : origine, formation, statut social, mariages, enfants, patrimoine, etc… Vois auprès de l’URSSAF si elle peut te fournir la liste du personnel et les salaires correspondants. Tu demandes gentiment en précisant que tu as des doutes sur un travail au noir dans l’entreprise et que tu les tiens au courant des résultats de l’enquête. Ça avait marché dans l’enquête sur les entreprises de poissons.1 Arrange-toi pour que ça marche cette fois aussi.

Le lendemain à 13 heures le duo de gendarmes était à nouveau chez LGBT. Alexander était sur le pied de guerre et présentait aux forces de l’ordre un employé, cariste de son métier, c’est-à-dire diplômé pour piloter des engins de levage et de déplacement.

— Voilà, je vous présente Kevin qui a réalisé les travaux de réparation du parking.

— Bonjour, monsieur, vous avez sans doute un nom de famille ?

— Bertrand. Kevin Bertrand.

— Vous pouvez nous emmener voir les travaux de réparation que vous avez faits sur le parking ?

Une fois sur place, il fallait bien admettre que les travaux avaient été magnifiquement réalisés. On ne voyait rien du tout.

— Vous travaillez très très bien cher monsieur, le trou était ici ? On ne voit vraiment pas la moindre trace. Et à part ça, vous n’avez pas profité de la présence du rouleau pour faire autre chose ?

— Ben, euh, non.

— Vous ne l’avez prêté à personne ?

— Ben, non.

— C’est vous qui êtes allé chercher le rouleau chez « Louez-moi » ?

— Oui, avec une remorque.

— Une remorque à « Louez-moi » ou une remorque à la société ?

Curieusement le sieur Bertrand regardait à chaque fois son supérieur avant de répondre. Le lieutenant insista pour le mettre mal à l’aise.

— Et vous avez ramené le rouleau directement de chez « Louez-moi » à ici, vous avez fait les travaux de réparation aussitôt, sans attendre, puis vous avez à nouveau chargé le rouleau et vous l’avez rapporté immédiatement chez « Louez-moi ».

— Euh… Oui,

— Il n’y a pas eu de temps mort ? Le rouleau n’a pas été abandonné pendant une petite heure ? Personne n’a pu s’en servir avant ou après vous et vous-même n’avez pas utilisé le rouleau à autre chose sur le chemin entre ici et la société de location ?

— Ben, euh, non.

— Vous êtes d’accord pour venir signer votre déclaration à la gendarmerie si je vous le demande ?

— Euh, ben, euh, si y faut, oui.

— Je vous remercie, monsieur Bertrand. Vous pouvez retourner travailler. Nous vous convoquerons si nécessaire. Au revoir, monsieur.

— Au revoir… C’est tout ?

— C’est tout Kevin. Tu peux y aller.

Aussitôt le cariste disparu, le lieutenant Marcel interroge Adrian Alexander.

— Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Qu’est-ce que je pense de quoi ?

— Des réponses de votre employé ?

— Elles me semblent claires.

— Oui, très claires. Il est évident qu’il ment comme il respire. Je vais même vous dire, monsieur Alexander. Il ne ment même pas, il récite. Qui lui a écrit son texte, ça je ne sais pas. Vous, vous n’avez pas une petite idée ?

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— Il va vous falloir améliorer votre vue, monsieur Alexander. Je me permets de vous conseiller de faire votre petite enquête personnelle dans l’entreprise, car il y a surement des choses à éclaircir. à propos, et sans rapport avec tout cela, vous vous souvenez qu’il y a un mois environ un de vos camions a eu un accident sur la rocade ? Il est où ce camion à l’heure actuelle ?

— Il est chez FPL à La Pallice. France Poids-Lourds. Il fallait vérifier toute la mécanique en particulier les freins et le système d’attelage, plus pas mal de carrosserie. Et comme vous l’avez conservé assez longtemps, les réparations ne devraient être terminées que la semaine prochaine, si tout va bien. Cela nous a beaucoup handicapés et a provoqué des retards bien préjudiciables pour l’entreprise. C’est vraiment pas de chance. Un blocage mécanique dans la transmission du Citroën a été la cause de l’accident, comme vous devez le savoir, et les expertises des assurances ont aussi participé au retard. Surtout que l’accident n’est dû à personne. Les pauvres propriétaires de la Citroën sont, semble-t-il, victimes d’une intervention malencontreuse due à un mécanicien incompétent.

— France Poids Lourd, à La Pallice vous dites. Je vous remercie. On se revoit surement très vite, monsieur Alexander. Soyez gentil de nous prévenir de tout déplacement hors de la ville.

Il était encore temps de faire un saut à l’atelier poids lourds. Le lieutenant se souvenait d’un détail qui l’avait frappé lors de l’examen du poids lourd et il voulait savoir ce que contenait le coffre fermé avec un gros cadenas. Ils furent accueillis chez France Poids Lourd par une secrétaire fort aimable que le lieutenant connaissait comme étant la fille d’un de ses collègues. Après lui avoir expliqué le but de sa visite, la secrétaire appela un de ses collègues en lui demandant d’avoir la gentillesse de conduire les gendarmes auprès du poids lourd de la société LGBT. Le camion commençait à reprendre figure camionneuse. Il lui manquait cependant encore une bonne peinture. Le lieutenant Marcel fit le tour pour regarder le coffre qui l’intéressait. Plus de gros cadenas.

— Dites-moi, ce coffre, ici, il est destiné à quoi ?

— à ce qu’on veut. En général les chauffeurs y mettent des outils, des sangles, des leviers, ce genre de choses.

— Il était fermé ce coffre quand vous avez reçu le camion ?

— Fermé ? Oui bien entendu.

— Avec un gros cadenas ?

— S’il y avait un cadenas, il doit être dans le coffre. Non, voyez, le coffre est vide.

Retour à la gendarmerie et rédaction du rapport. Il était plus que temps de retourner à l’appartement pour regarder la télé en attendant le retour de ses femme et enfant.

*

* *

La juge Hugues avait décidé de convoquer le lieutenant Marcel pour faire le point sur cette affaire. Arrivée à quatorze heures, elle le fait entrer après l’avoir laissé poireauter vingt minutes dans le couloir du tribunal. En fait elle vient d’arriver et finit de se rincer les dents dans le petit cabinet de toilette planqué dans un placard de son bureau. Elle est habillée en femme, presque belle. Hormis sa coiffure à la garçonne. Elle porte un pantalon de femme un peu large bleu clair, un chemisier col ouvert beige et une veste pratiquement de la même couleur. Pourquoi un tel changement ? Elle a peut-être trouvé une nouvelle copine blonde à forte poitrine. Par contre rien n’a changé dans son comportement.

— Alors lieutenant, j’aimerais avoir des détails sur votre affaire de mort aplati. Je n’ai pour le moment pas eu droit au moindre rapport. Que se passe-t-il ? Grève sur le tas ?

— Bonjour, madame la Juge. Non, madame la Juge, simplement pour le moment nous n’avons pas grand-chose pour avancer dans l’enquête. Nous avons trouvé qu’une entreprise de transport, la LGBT, avait loué, le jour de la mise en place du cadavre, le rouleau compresseur avec lequel on a aplati l’individu.

— Vous dites l’entreprise LGBT ? C’est un gag ? Il y a une entreprise qui s’appelle « LGBT » à la Pallice ?

— Non, ce n’est pas un gag. En quoi ça pourrait être un gag ?

— Vous ne savez pas ce que veut dire LGBT, lieutenant ?