Miserere mei Deus et Rouman de Charite - Le Reclus de Molliens - E-Book

Miserere mei Deus et Rouman de Charite E-Book

Le Reclus de Molliens

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Beschreibung

C'est un électuaire (voir page 107) qu'élabore le Reclus , une guérison spirituelle qu'il propose par ses textes à ses contemporains. "Portez les charges les uns des autres, et accomplissez ainsi la Loi du Christ (Galates 6,2). Mais c'est un remède qui a la douceur du miel qu'il propose. C'est un homme de paix, sa méthode est toute de modération et de compréhension. Saint Paul parle fort bien de cette façon d'être: "Recherchons donc les choses qui vont à la paix, et qui sont d'une édification mutuelle" (Romains, 14,19). "..le fruit de l'Esprit est la charité, la joie, la paix, un esprit patient, la bonté, la bénéficence, la fidélité, la douceur, la tempérance." (Galates 5,22) "Hom crestiens de Crist meesme es nommez et enoins de cresme. Desfent l'onnour de ton parage. Filz Dieu devenis en baptesme, roials es roialment t'acesme. Filz Dieu frans es, fui le servage del monde et le charnel usage. Trop as este en lonc charnage, des ore mais refai quaresme du remanant de ton aage. Geunne mais, de ton outrage onques mais ne te desquaresme" (voir page 109)

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Seitenzahl: 235

Veröffentlichungsjahr: 2021

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Photographie de couverture:

Cathédrale Notre Dame, Laon,

Les vitraux du Choeur, vers 1215

Photo © Berger 2019

"Kayns offri s'offri Abel"

Reclus de Molliens ( Miserere )

Sommaire du Miserere

Prologue strophe I à VII

Devoir du clerc: satisfaire la faim des créatures quant à la Bonne Nouvelle du Salut. Se taire c'est être complice du Péché.

Première séquence strophe VIII à LXXVII

L'expulsion de l'Eden plonge la création sous la domination de la Mort et du Péché: la créature comme la société est divisée en elle-même, ce qu'illustre le conflit de l'âme et du corps et les luttes entre les individus. Les différences s'organisent en hiérarchies sociales par la dynamique de l'Orgueil et de l'Envie: l'âme est soumise au corps, le pauvre au riche, l'invisible au visible. L'élite: clercs et puissants, fille de ce chaos, manque à sa vocation d'être un frein à la propagation du Péché en ne prêchant pas d'exemples ni de paroles.

Deuxième séquence strophe LXXVIII à CXXIX

La relation de la créature à Dieu comme celle des créatures entre elles, est régie par la dynamique de l'Orgueil : volonté d'être comme un dieu pour soi et pour les autres, en faisant du Visible, le critère de l'échelle des valeurs. Elle est également régie par la dynamique de l'Envie: le "Suis-je le gardien de mon frère ?" de Caïn devient la cantilène auto-destructice de la haine des autres. Orgueil et Envie singent la "Parole créatrice", organisant un chaos social au "Fiat" de la Médisance et de la Flatterie. Enfin la dynamique de la Convoitise enferme la relation au désir mimétique, où la créature s'abandonne à la volonté d'usurper la vocation d'un autre.

Troisième séquence strophe CXXX à CLXIX

La créature alimente son entendement puis sa volonté soit à partir de ses cinq sens, soit à partir de la Grâce de la Foi reçue au baptême. Les informations transmisent par les sens, dessinent une représentation du monde organisée par le Manque et son corollaire la Convoitise. Les informations transmisent par la lumière de la Foi dessinent une représentation du monde organisée par la Plénitude et son corollaire l'Anéantissement volontaire de soi.

Quatrième séquence strophe CLXX à CCXII

Les Vierges martyres nous enseignent que la virginité c'est le règne de l'Esprit sur la chair. Briser le sceau de virginité c'est inscrire le Manque dans la chair; mais le mariage circonscrit cette blessure dans les deux êtres qui s'unissent en les affranchissant du joug de la chair. Le veuvage c'est l'ombre du mariage, comme une image de la virginité retrouvée. L'adultère c'est la victoire du Manque, et la servitude pour les âmes; et sa tolérance et sa promotion par les élites religieuses ou politiques minent l'efficace du baume du mariage sur les chairs meurtries.

Cinquième séquence strophe CCXIII à CCXXXV

J'ai fait un électuaire dit le Reclus, que l'écoute de mon texte vous soit retour à la Vie. Depuis l'Incarnation du Verbe de Dieu et sa victoire sur la mort, l'union avec Christ de la créature transforme la nature de la mort. La mort est une charnière qui replie l'espace et le temps, et nous enfante à la Vie du Royaume. La vie présente est un temps de carême, de préparation pour s'unir au Christ , et l'amour du Père comme un gué insubmersible à la rivière du péché, attend jusqu'à la dernière seconde de la vie de chaque créature son retour et sa repentance au bain de la Confession.

Sixième séquence strophe CCXXXVI à CCLVII

La Sainte Vierge Marie, pleine de Grâce, est le soutien des pécheurs repentants, sa prière est l'aide et le soutien de ceux qui espèrent en la miséricorde de Dieu. Exemple de Théophile. Miracle du moine où la solennité de l'Assomption de la Vierge Marie est exaltée. Exhortations aux créatures à faire pénitence, à revenir à Dieu tant qu'il est temps.

huitième séquence strophe CCLVIII à CCLXXIII

Louanges et prières à la Sainte et Immaculée Vierge Marie, fille et Mère de Dieu.

Sommaire du Roumans de charite

Prologue strophe I à VI

Le temps présent est un vaste désordre car il nous manque la Charité, c'est-à-dire Dieu aimant et aimé dans nos volontés. Il convient de partir à sa recherche dans l'Humanité où le Verbe s'est fait chair et demeure.

Première séquence strophe VII à LIV

Recherche de la Charité dans l'espace politique du monde féodal. Elle n'est plus chez le Pape, ni à Rome, ni à la curie, ni chez les Cardinaux, ni dans les états Pontificaux. Parcours du Saint Empire Romain Germanique, parcours de la Méditerranée, parcours de l'Empire Plantagenêt, parcours des Principautés de France, parcours de la France (le domaine royal). Ni le Roi de France, ni ses barons, ni ses chevaliers n'ont la Charité. Réflexion sur l'exercice de la Justice par le Roi , ses représentants et les institutions. Analogie de l'épée dont est ceint tout justicier. La vie du monde politique n'est pas animée par la Charité, à quelques niveaux que ce soit, il y a altération, déformation du droit, la Convoitise règle la marche du monde.

Deuxième séquence strophe LV à CXLIX

Recherche de la Charité dans l'espace de la spiritualité médiévale. Le prêtre est la pierre angulaire de tout l'édifice religieux. Il est la présence de l'amour de Dieu dans le monde.

Développement de la symbolique du vêtement sacerdotal qui expose à tout prêtre quelle doit être sa conduite ici-bas. Prier, pleurer, écouter, aimer, et être un crucifix vivant d'où sourd la miséricorde de Dieu.

L'abbé et l'Evêque sont les images de la douceur et de la bonté du Père du Ciel. Ils sont l'humilité du Christ lavant les pieds des apôtres. Symbolique du bâton pastoral et de la mître.

Les moines sont la part du Seigneur, ils se sont donnés au Seigneur. Le cloître est le coeur du moine, et la règle est la liberté du moine, le silence est toute sa parole, la prière toute son action. Dans le monde spirituel, la recherche des profits, des rentes, du prestige et des plaisirs réglent davantage la marche des hommes de Dieu que la Charité.

Troisième séquence strophe CL à CLVII

Recherche de la Charité dans le monde économique et social de la vie quotidienne médiévale. La vie mondaine semble une course frénétique à accumuler des choses qui périssent et cela dans l'oubli des vrais biens du Royaume du Ciel. Le mondain vend son âme pour du vent. Dans le monde quotidien du travail, le nécessaire est rarement atteint, et s'il l'est, il n'est jamais suffisant pour joindre l' horizon de la convoitise.

Quatrième séquence strophe CLVIII àCLXIX

Histoire des liens qui unissent la Charité et la Jérusalem céleste. Des liens de la Charité avec la pauvreté.

Cinquième séquence strophe CLXX à CCXXX

A l'école de la Vierge Marie. L'étoile d'humilité qui ouvre le Ciel pour que le Verbe de Dieu demeure au coeur de l'Humanité.

Sixième séquence strophe CCXXXI à CLXXXIII

A l'école de Marie-Madeleine. L'étoile de pénitance qui accueille le Christ ressuscité.

Septième séquence strophe CLXXXIV à CXCVIII

A l'école des Apôtres de la Charité dont les actes fondent la tradition de l'Eglise.

Huittième séquence strophe CXCIX à CCXIV

A l'école de Job.

Neuvième séquence strophe CCXV à CCXXVIII

A l'école de Sainte Agnès.

Conclusion strophe CCXXIX à CCXLI

La charité n'est sur terre que dans les coeurs qui vivent dans l'attente de la Jérusalem Céleste. Evocation de la Cité Sainte.

Préface

Qu'est-ce qu'un Reclus ?

C'est un pauvre, un aveugle et un sourd, un infirme sans bras ni jambe, qui ne mange ni ne boit, et tel un ange n'est pas sexué. C'est un enfant nouveau-né au berceau. Il vit dans la seule lumière de la Foi en l'espérance de la Jérusalem céleste. C'est un mystique retiré dans la cellule (le reclus) de son coeur qui sert Dieu incarné à son humanité. Dans le roman de la "Queste du Saint Graal", les forêts et les solitudes sont peuplées d'ermites, de reclus ou de recluses. Ils sont accueillants pour tous les visiteurs, ils les nourrissent de pain, leur partagent la Parole et les communient. Le Reclus est une vigie sur la mer du monde où se déchaîne la tempête de convoitise; il vit de la paix de son Seigneur qui repose près de lui dans sa barque (son reclus). Il n' a pas de temporel d'où il tire son revenu, il vit du pain des anges: de la Charité. Mais ce n'est pas un mendiant, il ne vagabonde pas. C'est un point immobile qui attire à lui sa subsistance. Il n'est ni un isolé, ni un enmuré vivant, ce n'est pas un misanthrope. Il a le "voir dire", le langage de la vérité qui met à nu tous les faux semblants (voir pages 212 et 213) . Il invite ses nombreux visiteurs à vivre dans la lumière de la Foi, il pacifie et console les coeurs, il encourage et réoriente les volontés, il soigne les blessures des corps et des âmes.

Que savons-nous du Reclus de Molliens ?

C'est un électuaire (voir page 107) qu'il élabore, une guérison spirituelle qu'il propose par ses textes à ses contemporains. "Portez les charges les uns des autres, et accomplissez ainsi la Loi du Christ (Galates 6,2). Mais c'est un remède qui a la douceur du miel qu'il propose. C'est un homme de paix, sa méthode est toute de modération et de compréhension. Saint Paul parle fort bien de cette façon d'être: "Recherchons donc les choses qui vont à la paix, et qui sont d'une édification mutuelle" (Romains, 14,19). "..le fruit de l'Esprit est la charité, la joie, la paix, un esprit patient, la bonté, la bénéficence, la fidélité, la douceur, la tempérance." (Galates 5,22)

Une "âme vivante" c'est "de la poudre de terre" et "une respiration de vie"(génèse 2,7) ; il convient de respecter tant le corps que le Souffle lorsque l'on veut aider une créature: "Homme tu ne doiz mie soustraire a tes sens leur office de droit mais donques les met a destroit" (voir page 82 ). Il s' agit de rétablir une harmonie dans l'union qu'est une âme vivante, sans maltraiter l'une des parties. Les sens du corps sont dans une relation de complète altérité avec le Souffle de Dieu. Mais "La parole a été faite chair , elle a habité parmi nous " (Jean 1,14) et "Ne savez-vous pas que vous êtes le Temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?" (I Corinthiens 3,16) Et la présence du tiers qu'est le Christ dans chaque âme vivante peut modifier l'ensemble relationnel qu'elle est en inscrivant un principe d'identité entre les deux éléments qui la composent, si toutefois cette âme vivante le permet et le veut.

"Et cil et cele sanz le tiers c'est une paire da-mageuse" (voir page 250). Pour éviter le danger de la discorde intérieure, il convient de suggérer à toute âme vivante de renoncer elle-même sa liberté pour laisser vivre en elle le tiers: "Je suis crucifié avec Christ, et je vis, non pas maintenant moi, mais Christ vit en moi; et ce que je vis maintenant en la chair, je le vis en la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé, et qui s'est donné lui-même pour moi" (Galates, 2,20)

L'écrivain mystique passe insensiblement et incessamment d'un ordre de réalités à un autre, les éclairant les uns des autres. Ainsi la notion de noces, de mariage nous parle simultanément de l'union d'un homme et d'une femme, de l'union du corps et de l'âme, et de l'union de la divinité et de l'humanité en la personne du Christ. La réalité ontologique qu'est le mariage est à la base de toute la Révélation: "Il n'est pas bon que l'Homme soit seul, je veux lui faire une Aide semblable à lui". (génèse 2,18) "et ils seront une même chair" (génèse 2, 24).

Avant l'Incarnation, le mariage est de Dieu donné pour permettre à "l'Homme et à l'Hom-messe" de partager une relation avec un "autre soi-même"; puisque avant cela l'âme vivante est dans une relation de complète altérité avec Dieu, et elle est elle-même le fruit d'une relation de complète altérité entre la poudre de la terre et le Souffle de Dieu.

Mais de cette relation à un autre soi-même qui leur fut offerte pour fructifier et s'épanouir, ils feront un modèle de relation à Dieu , afin qu'il devienne "un autre comme eux" et qu'ils soient "comme des Dieux".

La conséquence fut l'expulsion de l'Eden, et le commencement du règne du Péché qui fit de toute relation une relation de complète altérité même au sein du mariage. Sous le masque du Péché d'origine, c'est le visage de l'autre en tant qu'il est semblable qui disparaît. Il n'est plus une "Aide" mais un ennemi, une concurrence, un adversaire, un obstacle, une proie, un simple objet.

Le Reclus de Molliens, insiste de façon remarquable : "Droite voie est de mariage, ce est chaastez sanz rage" (voir page 99) . "Sanz rage" c'est-à-dire sans violence.

La chasteté c'est l'ensemble des relations médiatisées en Christ.

Dans son "De contemptu mundi", Lothaire, le futur Innocent III, écrit vers 1191 que le mariage est la pire situation que peut choisir un homme ici-bas, et la relation avec la femme le mal absolu. Ironie de l'histoire il deviendra le champion de la défense de l'institution du mariage !

C'est d'ailleurs l'actualité de la fin du douzième siècle confrontée à la lecture des textes du Reclus qui invitent à en situer la rédaction entre 1196 et 1203.

Dans sa recherche de la Charité, le Reclus parcourt l'espace politique médiéval, et nous en livre sa conception. Tout en haut le Pape, à noter qu'il est ici pris comme le premier des seigneurs féodaux dans la pyramide des dépendances; il est le seul qui ne tienne pas sa légitimité de la possession d'un royaume. Car c'est le Pape qui fait Rome et non l'inverse, la Rome de Saint Pierre est là où est le Pape, et il n'est pas souvent dans la ville de Rome à cette période.

L'apostrophe au roi de France est sans appel: "Rois ...... Par tout le monde tes nons vole, Honnors d'oume n'est tant nommee, ne tant loing ne va renommee com de toi, apres l' apostole, mais cil a la premiere estole ...." (voir page 157)

Le Reclus termine son périple par la France, c' est-à-dire par le domaine du Roi de France, car c'est la terre qui fait le Roi et non l'inverse.

A noter que le comté d'Amiens dont est originaire le Reclus, est uni à la couronne en 1185, ce qui fait de lui à partir de cette date un sujet de Philippe II.

Van Hamel en éditant les textes du Reclus en 1885, et essayant de les dater, évoquait l'absence de mention de la croisade. Nous pensons que si croisade et guerre ne sont pas nommées ce n'est pas parce qu'elles sont lointaines, mais parce qu'elles sont des faits dus à l'absence de la charité aux coeurs des hommes. Rien n'est plus "anti mystique" que la croisade. Le croisé véritable pour le Reclus c'est le prêtre qui en croisant l'étole sur sa poitrine rejoint son Seigneur sur la croix pour offrir le seul sacrifice qui re-concilie les hommes à Dieu et les hommes entre eux.

Lors de son pèlerinage le Reclus évoque la sphère d'influence de la monnaie du Roi Henri II Plantagenêt: "Aussi ont tuit esterlinois,Yrois escot et li danois, Frison et tuit cil de hourlan-de, Thiois brabant et avalois Tienent des esterlins les lois, Et flament et la gent normende" (voir page 151). Ce passage nous invite à situer la rédaction avant la proclamation de la commise (la confiscation) sur la Normandie en 1202 et sa saisie par Philippe II en 1204.

La crise évoquée en demi teinte par le Reclus entre le Pape, tout d'abord Célestin III, puis Innocent III et le Roi de France (Philippe II) couvre la période 1193-1202; et c'est essentiellement l'affaire du mariage de Philippe II avec Ingeburge de Danemark célébré le 14 août 1193 qui en est le coeur.

Le mariage dont nous avons rappelé la haute valeur spirituelle pour la mystique, sera par le comportement de Philippe II traîné dans la fange. En effet, effrayé au lendemain de sa nuit de noces par la princesse Ingeburge, Philippe II cherche incontinent tout moyen pour annuler cette union.

L'Archevêque de Reims, l'oncle du Roi, entouré de quelques évêques complaisants, annule le mariage le 4 novembre 1193 pour cause de parenté. Pensons à ce passage du Reclus: "

Concernant notre édition

Nous suivons page à page le manuscrit BNF Fr 1763, il est de la fin du XIII siècle et écrit dans le dialecte de l'Isle de France; et nous utilisons le Bnf Fr 25 462 en cas de difficulté de lecture, de manque ou de meilleure leçon. Plus rarement le Bnf Fr 1109.

Concernant l'étude des manuscrits nous renvoyons le lecteur à l'édition critique des textes du Reclus de A.G.Hamel en deux volumes publiée en 1885. Elle est consultable en ligne.

Pour le lexique en bas de page nous avons utilisé le Dictionnaire du français médiéval de Takeshi Matsumura (Les Belles Lettres, 2015)

Les citations de la Bible sont prises de la version de 1744 de David Martin.

Miserere mei deus et Rouman de charite

Manuscrit BNF Fr 1763 (Passages en italique donnés à partir du Manuscrit BNF Fr 25 462)

F 2

Miserere mei deus

Trop longuement me sui teus

Que je deusse avoir bien dit

Assez ai lieus et tans eus

Des maus blasmer que j'ai veus

Diex par le prophete maudit

Qui repont et qui escondit

Le fourment au pueple mendit

Dont il doit estre repeus

Pour ce qu'ainsi le truis escrit

Dou ble de mon grenier petit

Ai des meilleurs grains esleus

I

En un autre lieu truis lisant

Diex par le prophete disant

Contre les enfruns panetiers

Li petit vont leur pain querant

Mais n'est qui fraigne au fameillant

Le pain dont il est granz mestiers

Jamais n'iert li miens pains entiers

As povres comme leur rentiers

II

F 2 v

Fraindrai mon pain d'ore en avant

Car j'en voi tant par ces sentiers

S'il en menjoient voulentiers

Il m'en feroient moult joiant

III

Moult aimme pain hom qui est sains

Al enferm est wapes et vains

Et mieulz aimme une pomme sure

Ensement touz en sui certains

Je ne sai riens que fols aint mains

Que chastoier il n'en a cure

Tant est fols de pesme nature

Que plus li est doctrine dure

Que ne soit al enferm li pains

Car li hons qui est en ordure

Ne puet amer parole pure

Tant est pechiez ors et vilains

IV

Tel y a qui tant est rebours

Que moult li samble granz labours

De bien oir tant que prester

N'i veult l'oreille ainz fet ses tours

Et quiert achoisons et destours

Quant il voit aucun aprester

Qui li veult bien amonester

Ne ne veult en lieu arrester

F 3

Ou l'en parolt de bonnes mours

Mais avoec ceuls s'en va ester

Cui il voit soi deshonnester

A ceuls atorne ses amours

V

Moult est en enfermete grande

Hons qui abosme sa viande

Car c'est signes si com j'espoire

Que la mors son ostel li mande

Et li prestre en aront offrande

Ensement par samblance voire

Mors est qui conseill ne veult croire

Mors est li hons qui n'a memoire

De dieu ne crient ce qu'il commande

Fauscons qui ne revient a loire

De sa privete me despoire

Et cil qui conseill ne demande

VI

Je ne puis pas touz mauz deffendre

Ne puis au ciel ma main estendre

Ne puis a touz periex secorre

Mais se plus chier ne m'i puis vendre

Je en vueill miex de mil un prendre

Que taisir et tout laissier corre

Pour ce seult on au feu acorre

Que miex vaut un pou arescorre

teus=taisir=taire tans= temps diex=Dieu repont=repondre=cacher escondit=escondire=refuser mendit=pauvre truis=trover=trouver enfruns=avides li=les querant=querir=chercher fraigne=fraindre=rompre, partager fameillant=affamé estre granz mestier=être nécessaire n'iert=ne sera rentiers=débiteur

fraindrai=romprai enferm=malade wapes= insipide ensement=ainsi sure=acide aint=aime mains=moins chastoier=exhortations granz labours=chose pénible ainz=mais au contraire pesme=très mauvais ors=sale vilains=ignoble rebours=revêche quiert=cherche achoions=occasions aprester=apprêter amonester=avertir

F 3 v

Que tout laissier ardoir en cendre

Quant l'en fait son mantel escorre

Ne s'en va pas toute la porre

Mais de tant est l'ordure mendre

VII

Se ceste oevre a fin metre puis

Bien en porra naistre bons fruis

Et maus venir se je la lais

Se dieu plaist qui est mes refuis

Aucuns hons en sera estruis

Li bons mieudres en sera fais

Et li maus bons ou mains mauvais

Car d'aucun mal sera retrais

El taisir grant damage truis

Car je consent se je me tais

Que port d'autrui pechie le fais

Et pour seul taisir sui destruis

VIII

Hom or entent et me respont

De trois choses se tu sez dont

Tu venis ou es ou iras

Et apres repense en parfont

Trois autres qui a savoir font

Que fus que es et que seras

Or sai je bien s'entendu m'as

De paour et de honte es mas

F 4

Honte et paours ensamble i sont

Sages hom nes oublie pas

Ainz en souspire et dit ha las

Et cest souspir souvent rafont

IX

Merveille est comment hom repose

Se il entent com j'ai enclose

Grande matere en ces bries mos

Mais mains hons ot la bonne chose

Et l'entent qui faire ne l'ose

Fors tant qu'il li porte bon los

Hom entent a ce que tu os

Jusqu'a la moele des os

T'en toucherai anqui la glose

Quant le sens t'en avrai desclos

Se bien l'as en ton cuer enclos

Jamais ta vie n'iert desclose

X

Hom entent dont tu es venus

S'adans se fust bien contenus

Ainsi com diex le garni bien

Se fust d'un seul arbre abstenus

Et as autres se fust tenus

De cel paradis terrien

Fust montez au celestien

S'il n'eust rompu son liien

F 4 v

Ja ne nous fust maus avenus

Hom qui tant ot sens et engien

Las pour quoi fist pour pou de rien

Plorer les granz et les menuz

XI

Merveille fu en cel perill

D'ome tant fort et tant soustill

Qui si perdi sens et proece

Par le pere sont serf li fill

Qui tuit fussent franc et gentill

La peri nostre gentillece

Il mist nostre joie en tristece

Vie en mort clarte en nublece

Pour une pomme povre et vill

Perdi son sens et sa noblece

Il couvoita par grant foiblece

La poiour pomme dou courtill

XII

Il n'ouvra pas de sa science

Quant le loien d'obedience

Rompi pour chose tant petite

Las pour quoi n'ot il abstinence

Diex li avoit par providence

En la pomme la mort escrite

D'amere sausse fu confite

Quant en paine de mort fu frite

F 5

Qui des autres avoit licence

Bien deust celui clamer quite

Las quel pomme si mal pourfite

Qui fu de tous nos maus semence

XIII

Hom entent moult portes grant somme

Tu ne puez prendre en pais un somme

Pour le pechie d'adan d'evain

Las autrui pechie nous assomme

Nous ne goustames de la pomme

Il doi seul i mistrent la main

Et nous et au soir et au main

Le comparons hui et demain

Nostre fais apoise et applomme

A douleur usons nostre pain

Dyables i mist trop levain

Qui pestrir fist le premier homme

XIV

Es menbres espandi li chies

Le levain dont fu entochies

Li cors qui dedenz nous se gaste

A l'esperit est la char gries

Pour le venin dou levain vies

Bien renature a la viez paste

La char qui ne veult estre chaste

De tout veult avoir par tout taste

F 5 v

La lecherresse de pechies

La dont vint la tent la se haste

Qui sa char rostiroit en haste

N'en seroit il pas bien vengies

XV

Hom tu feis saut de mal tour

Quant saillis de la haute tour

Des beles mansions celestes

Del mont de joie el val de plour

De la compaingnie angelour

En ceste fosse avoec les bestes

En la mer plaine de tempestes

De fain de soif d'autres molestes

Et nuit et jour es en doulour

Pour pain et pour ce que tu vestes

Mais s'autre chose n'i conquestes

Moult mal emploies ton labour

XVI

Hom dont venis si com dit ai

Ou iras tu voir je ne sai

Se tu gaaingnes ou tu pers

Garde toi tu es a l'essai

Si com tu veuls bien ou mal fai

Tu avras ce que tu dessers

Tu voiz dois chemins aouvers

Ca paradis la est enfers

F 6

Au quel que tu veuls si te trai

Mais ce sont doi lieu plus divers

Que ne soit estez ne yvers

Se tu mesprens ne te plaindrai

XVII

Qui abat bons est mais qui chaut

Car cil qui relieve miex vaut

Hom qui saillis de haut en bas

Saill arriere de bas en haut

Aincois que tes saus plus ravaut

Ta perte recouvrer porras

Ore i parra que tu feras

Se tu cest saut tornes a gas

Enquor feras un plus bas saut

De cest bas en plus bas saudras

Si bas que ja rien rassaudras

Car de si bas hons ne rassaut

XVIII

Hom enten met a ton cuer pres

Ces autres trois choses apres

La premeraine est que tu fus

Que tu fus las je m'en confes

Tant y a de honte grant fes

Que del penser sui touz confus

Hom pense ne t'en dirai plus

De quele ondee tu fus pleus

F 6 v

A ceste pluie pense ades

Cis moz soit en ton cuer repus

J'en lairai seur toi le sourplus

N'en vueill plus dire a tant m'en tes

XIX

Hom or enten tu doiz oir

Qui tu es ne t'en doiz joir

Qui es tu dont sas plains de fiens

Tu te veuls chascun jour emplir

Et puis wuidier et puis remplir

Quant tu es vuis mal te contiens

Et quant tu es trop plains si giens

Moult as d'ordure en tes loiiens

Ja ne te savras tant polir

Tu enordis quanque tu tiens

Car n'atouche tant nete riens

A toi que ne faces salir

XX

Hom or enten ci en avant

Ce que il est bien aparant

Que feras tu tu qui tant sers

A ta char que tu aimmes tant

Que tu norris en delitant

Com plus i mez et plus i pers

Tes damages est trop apers

Tu norris un cors flestre et pers

F 7

Un ort oisel i vas couvant

Tu seras viande de vers

Quant en terre seras couvers

Qui mengeront ta char puant

XXI

Hom se tu as ore entendu

Ce que j'ai dit or ses tu

Que d'adan te vient male estraine

Et d'evain qui sa fame fu

Recuevre ce qu'il t'ont tolu

S'il t'ont navre si te resaine

Diex a refaite ferme et saine

D'obedience la chaaine

Que cil doi avoient rompu

Se nous i voulons metre paine

Obedience nous ramaine

La dont estions descendu

XXII

Nous ne perdon fors par perece

Car il n'a pas trop grant destrece

Qui el servise dieu se met

Diex son homme en sa voie adrece

Et met dedenz son cuer leece

Car li commandement sont net

S'en sont plus plaisant plus doucet

Et diex si grant bien i promet

F 7 v

Qu'il radoucist toute surece

Qui de dieu servir s'entremet

Se il chiet diex sa main souz met

Et le soustient qu'il ne se blece

XXIII

Qui est en tribulacion

Se par bonne devocion

Se veult du tout a dieu offrir

Diex i met consolation

Et tempre la temptation

Tant qu'il la puet moult bien souffrir

Ce nous tesmoingnent li martir

Qui porent comme homme morir

Nequedent onques nes pot on

De vraie foi faire flechir

Nis pour mort ne vorrent guerpir

De la foi le crestien non

XXIV

Qui est a dieu amis certains

Ne porroit estre pas estains

En lui le feu de charite

Viengne poverte soif ou fains

Ou autres maus s'amis n'est fains

Diex est compains en sa griete

Il le promist par piete

Donques est miex par povrete

F 8

Quant diex i daingne estre compains