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Journaliste et homme politique,
Jean-François Robinet retrace son parcours à travers un siècle d’histoire en pleine mutation. Témoignant des bouleversements de mai 68 aux coulisses du pouvoir, il livre un récit personnel et engagé. Son regard vif et critique éclaire les combats et les enjeux d’une époque charnière. Entre souvenirs intimes et événements majeurs, il révèle l’envers du décor d’une vie au service de l’information et de l’action publique. Une mémoire vive, portée par une plume libre et sincère.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-François Robinet est profondément convaincu que la véritable valeur de notre existence réside dans son utilité pour les autres. C’est cette certitude, ancrée au cœur de ses convictions, qui le motive à entreprendre la rédaction de l’histoire de sa vie. Pour lui, partager son parcours et ses expériences ne se limite pas à un simple témoignage personnel, mais devient une manière de contribuer au bien commun et d’inspirer autrui.
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Seitenzahl: 368
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean-François Robinet
Mon siècle aura été trop court
Chronique d’un journaliste
et homme politique
© Lys Bleu Éditions – Jean-François Robinet
ISBN : 979-10-422-5893-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– Libérer l’ORTF, Éditions du Seuil-Combats, 1968
– L’Europe cette inconnue, Éditions de La Tourelle, 3e trimestre, 1972
– Mon premier parcours : Marcel Rozier (Cavalier olympique), Éditions Robert Laffont, 1980
– Les chevaux du Royaume – Maroc, Éditions Daniel Briand, 1990, (avec Philippe Barbié de Préaudau, Contrôleur général des Haras nationaux – Photos : Philippe Ploquin et Françoise Peuriot)
– Gens et Produits du Terroir – Seine-et-Marne, un département nature, 1993
– Reflets de Seine-et-Marne, Éditions Daniel Briand, 4e trimestre, 1996, (avec l’équipe du Comité du Tourisme 77)
– Paris-Ile-de-France. Un autre regard (Français et Anglais), Éditions Daniel Briand, 2003-2004, (avec l’équipe du Comité du tourisme 77 et le Conseil Régional Paris-Ile de France et leur crédit photo)
– Ma Passion : le sud 77 (Seine-et-Marne), « L’atout vert du Grand Paris », 2012
– 50 ans d’hommage à Django Reinhardt : Moments choisis d’un festival mythique à Samois-sur-Seine et Fontainebleau, Éditions AKFG, 2018
La vie n’a pas d’âge
La vraie jeunesse ne s’use pas
On a beau l’appeler souvenir,
On a beau dire qu’elle disparaît,
On a beau dire et vouloir dire que tout s’en va,
Tout ce qui est vrai reste là
*
Moi non plus je n’ai rien compris à ma vie
Mais, malgré tout, malgré elle, malgré moi,
Elle a tout de même été un peu vivante
Cette vie-là
Jacques Prévert
À peine fermée, la porte de l’ascenseur du 15 de la rue Cognacq Jay, siège de la télévision publique, se rouvre. Son entrée précipitée me surprend et me jette dans l’embarras ! Il s’agit du directeur de l’actualité télévisée, mon patron. Je me sens un peu comme un coupable, ne sachant comment réagir dans la mesure où le contact n’est jamais vraiment passé entre nous. Je ne lui fais qu’un petit signe de tête, au lieu de lui dire bonjour et, éventuellement, de lui tendre la main.
Mon éducation bourgeoise m’a enseigné que c’est à la personne la plus importante de saluer son interlocuteur. Je reste donc coi tout en remarquant l’air rébarbatif (assez habituel !) et impassible de Jean-Louis Guillaud. Mes principes m’ont trahi ! Quelques jours après, j’apprends que le directeur a fait remarquer à un de ses proches que j’ai été impoli en ne l’ayant pas salué. Depuis, nos rapports sont devenus encore plus tendus, d’autant qu’il me sait « rebelle » aux règles du moment à l’ORTF sous la coupe totale du gouvernement. Et puis, ce n’est pas lui qui m’a engagé, mais son prédécesseur, Edouard Sablier. Nous sommes alors en pleine agitation sociale, économique et sociétale. Les mouvements de grèves et de manifestations qui marquèrent mai 68 avaient démarré. Cette période de 68 et de la grève de l’ORTF, comme un témoignage vécu au plus près de cette page de notre histoire du 20e siècle, est une référence cruciale de l’évolution de notre société et d’un grand tournant de l’information.
Quelques jours après notre rencontre impromptue, je me retrouve en présence du DG de la rédaction dans des circonstances particulièrement sensibles, à l’heure du montage des sujets du JT de 20 h. Je suis très fier de ce que j’ai obtenu des syndicats de chez Renault qui interdisent toute entrée dans l’île Seguin à Boulogne-Billancourt. C’est l’état de siège et, comme tous mes collègues réunis sur place, je voulais franchir la passerelle et filmer l’usine occupée ! Ce qui me permettrait de réaliser un joli « scoop » : filmer l’usine Renault de Billancourt en grève et interdite à tous les journalistes (sauf peut-être à ceux de la presse de Gauche).
Lorsque, avec une équipe de tournage, je me présente, une première fois, place Jules Guesde, à Boulogne-Billancourt, devant l’accès de l’île Seguin, toutes portes closes, nous sommes accueillis par des huées. La DS de service malmenée, j’ai beaucoup de mal à m’en extraire et, debout sur le bord de la porte avant droite, avec une certaine inconscience j’ose demander la parole. Surpris, les ouvriers qui se concertent en groupe et interdisent l’entrée de l’usine (aujourd’hui démolie) font soudain un grand silence.
M’adressant à eux, je prends l’engagement de passer le soir à 20 heures un sujet comprenant une déclaration d’une minute quinze de chacun des représentants des trois principaux syndicats. C’est un véritable coup de poker ! Ils me prennent au mot et je repars à Cognacq Jay avec mes trois interviews. Je sais bien qu’il me sera très difficile de tenir ma parole. En effet, avant le journal, Jean-Louis Guillaud vient visionner les films et me demande des coupes sombres dans le montage. Je les lui refuse, lui expliquant ma promesse auprès des syndicats.
Ce qu’il n’apprécie pas du tout, mais grâce à quelques petites coupes, que j’avais déjà prévues, il finit par autoriser la diffusion, sans doute pour éviter des réactions de la rédaction et de créer un incident qui aurait des échos extérieurs.
Résultat : le lendemain, je me présente de nouveau à la porte de l’île Seguin et je suis autorisé à pénétrer avec cameraman, preneur de son et éclairagiste. Mon équipe et moi sommes surpris par l’ambiance particulièrement calme et par l’état des lieux, impeccables, les allées balayées, les machines recouvertes ou non de protections, mais rutilantes, comme si nous étions un jour de fermeture pour entretien du matériel. Ici et là des petits groupes s’affairent, certains jouent aux cartes sur de petites tables ou se restaurent, car il est aux alentours de midi. Tous semblent, en tout cas, veiller à la netteté des lieux et protéger l’outil de travail comme s’il était à eux. C’est le seul tournage qui ait pu être effectué dans l’usine occupée et diffusé dans le journal de 20 h.
Malheureusement, malgré la diffusion de ce reportage, quelques jours plus tard je ne peux faire autrement que rejoindre les grévistes, sous la pression de mes camarades d’antenne et des menaces de l’extérieur qui se traduisent notamment par des inscriptions sur le mur de mon immeuble, du style : « Robinet tu es un jaune » et autres injures, et menaces. Je ne veux pas mettre ma famille en difficulté et finalement j’abandonne à mon tour le navire, poussé par d’autres motifs sur lesquels je reviendrai et qui touchent le fond du problème : l’inobjectivité flagrante et la soumission totale de l’équipe restée en place avec des renforts envoyés, qui plus est, par Matignon.
Cet épisode de ma vie de journaliste fut le plus important, car il influa sur la suite de ma carrière et il est à l’image de ma ligne d’action tout au long de ma vie active, influencée par une certaine éducation et des principes qui n’ont fait que se renforcer et dicter mes décisions. Peut-être pas toujours dans le bon sens, surtout pour saisir des opportunités que je n’aurais peut-être pas dû laisser passer… Mais, je ne regrette rien.
Ma vie a été, en effet, très décousue et mes impulsions plus basées sur ce que je pensais être la morale, mais qui m’ont amené à prendre parfois des chemins peu raisonnés. C’est sans doute pour faire un bilan que je reviens ainsi en arrière jusqu’au fond de mes souvenirs les plus réels.
Sur la plage des Marais salés, à la pointe des Sapins, la mer est basse et les criques, où la température de l’eau est la plus douce, nombreuses. Les pêcheurs d’occasion, armés d’une épuisette, à la recherche de crevettes, s’amusent comme des petits fous.
Jamais le temps de prendre le temps d’écrire ! Ce mois d’août, depuis la petite île vendéenne d’Yeu, enfin je ramasse les quelques notes souvent remémorées pour, un jour, en faire quelque chose ; ou, tout simplement, pour se souvenir des moments qui, bout à bout, font le fil de la vie et dont on ne sait plus, avec précision, dans quel ordre il faut les classer.
Quelques centaines de mètres avec l’eau à mi-cuisse, entre sable fin tassé par l’eau salée, algues et rochers, préparent le corps à affronter les 16 à 18 degrés de l’Océan. Des moments propices à la réflexion, au retour sur une vie particulièrement riche, parcourue à la faveur d’un métier passionnant, celui de journaliste, complété par des fonctions d’élu local et précédé bien entendu par ces années d’enfance, d’adolescence et d’études qui préparent à ce que l’on appelle la Vie Active !
Aussi loin que je parvienne à remonter dans la mémoire de ma jeunesse, les premiers souvenirs sont toujours les mêmes. Nous sommes, ma mère, ma première sœur et moi, assis sur les marches de l’escalier de la cave de l’Institution Notre-Dame-de Sion, rue Notre-Dame des Champs où nous habitons alors, à Paris, dans le quartier Montparnasse. L’alerte a été donnée ce 26 août 1944, vers 23 h, par les sirènes que l’on espérait ne plus entendre depuis la veille.
En effet, le 25 août, l’État-major allemand a été fait prisonnier par les Français et le Général von Choltitz, dernier gouverneur militaire de Paris occupé, a signé à la Préfecture de Paris, avec le Général Leclerc, le cessez-le-feu dans la capitale.
Puis, à la Gare Montparnasse, le même général a signé la capitulation des troupes nazies. Mais von Choltitz n’avait pas l’aval des unités SS qui menacent de le fusiller avec les autres officiers qui ont suivi son initiative.
Des attaques sporadiques allemandes se poursuivent alors même que le Général de Gaulle vient d’arriver à Paris. Aussitôt après la signature de l’acte de capitulation de la Wermacht, le chef de la France Libre a pris la tête d’un immense défilé sur les Champs-Élysées avant de s’imposer comme chef du gouvernement provisoire. Les bâtiments officiels ont pratiquement tous été évacués par les Allemands et tout semble à peu près calme. Mais, la Luftwaffe revient se venger de la perte de Paris sans risquer de toucher ses soldats qui avaient pratiquement tous quitté la ville !
Une nouvelle fois les tirs de la DCA franco-alliés se mêlent aux bruits sourds des bombes allemandes qui tombent sur le périphérique de Paris et sur certains points stratégiques du cœur de la capitale ; le 3e et le 4e arrondissement sont particulièrement touchés, mais aussi l’hôpital Bichat où 13 personnes sont tuées, la caserne de la Garde républicaine (Boulevard Gourdon) et la Halle aux Vins (actuellement la Faculté de Jussieu) qui brûlera toute la nuit.
Je ne me souviens réellement, outre le bruit des bombes, que de la panique dans la cave de Notre-Dame de Sion et des attentions de ma mère, qui nous serrait contre elle, pour calmer notre peur. Je suis en petite classe, chez les « bonnes sœurs » alors que je viens d’avoir 5 ans. Notre appartement est situé juste en face et j’ai aussi des souvenirs, très limités, de ce quatre pièces, au trois ou quatrième étage. Outre la disposition des pièces, assez sombres, je ne retrouve qu’une image : je suis assis sur une chaise, les mains liées dans le dos et l’on m’opère des ganglions, sans anesthésie, avec juste le tamponnage d’un produit calmant dans le fond de la gorge. Puis, aussitôt après, de la glace dans la bouche et autour du cou. Trente ans plus tard, on faisait subir la même opération à mon fils aîné. Depuis, les pratiques sont plus sophistiquées !
Après les « bonnes sœurs », je me retrouve chez les curés, au Collège Stanislas qui prend alors les petites classes. J’y suis pensionnaire, à l’angle de la rue Notre-Dame des Champs et du boulevard Raspail, dans le quartier de Montparnasse. Mon père est sous les drapeaux, ma mère vient d’avoir son troisième enfant, une autre fille.
À Stanislas, la vie de pensionnaire est rigoureuse : lever à l’aube pour se laver, sommairement, à l’eau froide, dans les longs bacs, genre auges à chevaux, avec des robinets tous les mètres environ. La douche, c’est une fois par semaine. Une fois lavés, on a droit au petit déjeuner et à une messe assez brève, je ne sais plus dans quel ordre, puis à une heure d’étude pour finir nos devoirs ou réviser. Une brève récréation, le temps que les externes arrivent et c’est la classe, austère, où nous sommes une quarantaine.
Là aussi, j’ai très peu de souvenirs, sinon du samedi matin, après la sonnerie de midi, où j’attends que vienne me chercher un oncle qui va me ramener chez moi sur son cadre à vélo. Lui-même, directeur chez Panhard, n’a plus de voiture ! Les Allemands la lui ont réquisitionnée.
Autre souvenir, pittoresque, d’un jour où je suis pris, en classe, d’une terrible envie de me soulager. Je demande l’autorisation de sortir qui m’est refusée, car nous ne sommes qu’au début du cours. Que faire ? Par chance, j’ai dans mon pupitre un pot de confiture vide, que je prends discrètement et réussi à utiliser. Mais… il n’est pas suffisant et déborde, attirant ainsi l’attention de mes voisins qui ne peuvent s’empêcher de rire, et du prof qui vient constater le drame… Je dois, évidemment, tout nettoyer et, surtout, je reçois une colle pour le samedi suivant.
La nourriture est difficile à trouver ; il faut faire la queue parfois une à deux heures devant les magasins où ma mère paie en partie avec les tickets alimentaires découpés dans sa carte de rationnement. Le ticket J1 est pour les enfants de 3 à 6 ans, le J2, pour ceux de 7 à 13 ans et le J3 pour adolescents de 14 à 21 ans. Je suis donc un J1 puis un J2.
C’est encore un flash que j’ai de cette époque : la longue queue, les pourparlers pour avoir tel ou tel produit, le plus important pour moi étant le ketchup ! Je suis toujours étonné de constater que son goût n’ait pas changé depuis cette époque où je l’ai connu et, sans doute, depuis l’authentique recette élaborée en 1876 par Henry J. Heinz à partir d’une sauce importée de Chine par les Anglais. Très souvent, quand j’en consomme, mes souvenirs reviennent !
Le rationnement des produits de première nécessité (pommes de terre, lait, fromage, pain, viande en très petite quantité) a été institué à la demande des autorités d’occupation, dès septembre 1940.
Les rations deviennent de plus en plus réduites, à peine 1230 calories en moyenne par jour dans les grandes villes en 1941 et seulement 1110 calories en 1942. Une carte de rationnement, délivrée par les mairies et nominative, comprend des feuilles de dix coupons numérotés selon les produits échangés.
Mais, les portions sont minces et, à Paris, tous les jardins privés et certains jardins publics sont cultivés ; l’on voit même des lapins élevés sur les balcons !
Par chance, mes grands-parents habitent dans la campagne Seine-et-Marnaise au Vaudoué, tout petit village de la forêt de Fontainebleau, où ils cultivent des légumes, élèvent lapins et poules et même une ou deux vaches qui nous permettent d’avoir un peu de lait et du beurre assez régulièrement, lorsqu’il est possible de faire le trajet (65 km) par le car. On l’appelle : « La Gâtinaise », car il mène dans ce qu’on appelle le Gâtinais français. On le prend à la Porte d’Orléans et il passe par Anthony, Etampes, Maisse, la Chapelle-la-Reine… avant d’arriver, enfin, au Vaudoué au bout de deux heures.
Plus tôt, j’ai d’autres souvenirs, du moins je crois les avoir pour certains ! Ainsi, en juin 1940, j’ai bientôt un an ; je suis chez mes grands-parents qui habitent donc au Vaudoué. L’armée allemande progresse, les soldats français continuent de tomber par milliers, chaque jour. Après les bombardements sur Varsovie puis Rotterdam, la France s’attend à voir ses villes subir le même sort. C’est le début de la débandade, l’exode avec l’afflux de véhicules de toutes sortes sur les routes, les populations en motocyclettes, à vélo et à pied en direction du Sud, pour retrouver des familles, des amis ou simplement au hasard, vers n’importe où, en zone non encore occupée.
Avec mes grands-parents, qui m’ont gardé avec eux, nous nous dirigeons vers la patrie d’origine de mon grand-père, dans la Loire, à une dizaine de kilomètres de Roanne, à « La Bénisson-Dieu » chez la tante Marie. Entre le Vaudoué et La Bénisson-Dieu, j’imagine aussi les hordes sur les routes, la voiture familiale avec des bagages jusque sur le toit… Je vois, comme dans un rêve, les vélos, motos, charrettes tirés par des tracteurs, des vaches ou des chevaux, peut-être aussi par des hommes, des femmes et des enfants.
Je n’ai évidemment pas de souvenirs de cet exode, sinon de ce que l’on m’en a raconté ensuite, les livres, les films ou les archives à la télévision, dont je crois me rappeler !
Mais, quelques années plus tard, après la guerre, nous retournons régulièrement dans la famille de mon grand-père au bord de la Teyssonne, petite rivière poissonneuse où mon grand-père m’emmène pêcher le goujon. J’ai alors l’âge d’imprimer réellement mon cerveau. Je me souviens surtout du « crau » (marre, en patois) où j’accroche avec un simple hameçon des grenouilles que nous entendons croasser en fin de journée et dont j’ai encore les sons gravés dans mes souvenirs.
J’ai donc fait l’amalgame avec ce que l’on m’avait raconté sur la période de l’exode à La Bénisson-Dieu et dont je ne devrais normalement pas me souvenir.
Ce doit être en été 1943 ; j’ai alors cinq ans. C’est l’époque de la moisson. Nous avons des cousins, avec qui je vais « à la batteuse », machine impressionnante qui sépare le grain de la paille avec un bruit d’enfer et d’énormes nuages de poussière.
La moissonneuse-batteuse est reliée à une locomotive à vapeur par une longue et épaisse courroie de cuir croisée. Surmontée d’une haute cheminée ronde en fonte, elle est alimentée au charbon de bois grossier.
Il y a beaucoup d’ouvriers agricoles, la plupart âgés, puisque les autres sont au front, et bon nombre de femmes et des gamins qui veulent rendre service. À la fourche, ils jettent la paille dans la gueule de la machine depuis les chars qui ont transporté la moisson. Les pauses déjeuners et dîners sont pour moi des moments fabuleux où règne, malgré le dur labeur déjà effectué et à venir, une ambiance de gaieté autour des grandes tables faites de planches posées sur des tréteaux.
Nous nous trouvons dans une petite maison que mon grand-père avait achetée entre-temps, à deux pas de la ferme où il était né et, juste à côté, la petite maison de la sœur de mon grand-père telle qu’on me l’avait décrite, avec à ses pieds la Teyssonne et le « crau » dans lesquels j’ai plus tard imaginé avoir déjà péché. Tout ce que j’avais vécu quatre ans avant et qu’on m’avait raconté se mélange alors avec ce que je ne fais que découvrir. On finit, ainsi, par imaginer avoir vécu des évènements que l’on nous a racontés ; la vraie mémoire, elle, ne serait fiable qu’à partir d’environ quatre ans.
De la ferme où a été élevé mon aïeul, nous apercevons, sur les hauteurs, la terrasse du château de Montcorbier où se prélassent, ou travaillent à leur ouvrage de couture, sur la vaste pelouse, les femmes et les jeunes filles de famille.
On voit aussi le clocher de l’église, partie ancienne de l’abbaye cistercienne dévastée par les guerres au 17e siècle. Contre ce vestige a été construite une chapelle baroque où nous allons à la messe le dimanche. Elle a été accolée à l’ancienne nef centrale, restaurée depuis avec ses fresques et ses vitraux anciens fabriqués à l’identique par des artisans vitrailleurs. Plus tard, c’est l’église tout entière qui sera totalement restaurée avec les mêmes matériaux locaux qu’autrefois ; de la pierre, des briques et des tuiles vernissées.
Cette église est l’un des joyaux du département de la Loire, entre Roanne et Charlieu. Je l’ai revisitée depuis et me suis intéressé à l’histoire du village. L’origine de son nom remonte très loin. Selon la légende, c’est Saint-Bernard, revenant de visiter le Pape qui, au 12e siècle, s’était exclamé en parvenant sur le site futur de l’abbaye construite par l’un de ses disciples dénommé Albéric : « Là, mes frères, bénissons Dieu ». Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux, était un moine réformateur, directeur de conscience des cisterciens et adepte de la mortification par amour pour le Christ.
Il fut canonisé sous le nom de Saint-Bernard, en 1174, ayant quitté ce monde le 20 août 1153. En déclarant « Là Bénissons Dieu », il avait ainsi baptisé le site qui se nomme désormais « La Bénisson-Dieu ».
L’été 1940, nous n’avons séjourné que peu de temps dans la Loire. Peu après la capitulation de la France décidée par le Maréchal Pétain, en juin 1940, ma grand-mère veut retourner très vite chez elle, au Vaudoué, en lisière de la forêt de Fontainebleau qu’elle apprécie particulièrement.
Au retour, la maison bourgeoise est occupée par des officiers allemands et il faut cohabiter. Il est frappant, et là j’en ai quelques souvenirs réels, après ce que l’on a vu en traversant la France, de voir le respect et les attentions que les occupants apportent à mes grands-parents et au soin qu’ils prennent de la maison, s’efforçant de déranger le moins possible et de ne pas marquer le parquet avec leurs bottes qu’ils astiquent (ou font astiquer) avant de pénétrer dans l’entrée de la maison. Il y a des choses qu’il faut bien reconnaître !
De ces années 43 à 45, les meilleurs souvenirs sont bien entendu tous ces moments que je passe au Vaudoué. Mes grands-parents, « Grand-Père » et « Amée », et mon oncle y ont leur atelier de fabrication de vêtements pour enfants, qu’ils avaient transférés de Montreuil. Ils adorent nous avoir avec eux et nous laissent courir dans les bois alentour et dans la petite ferme où Roland, le « charretier », comme on nomme alors les ouvriers de ferme, nous initie aux pratiques de la culture et de l’élevage.
De l’autre côté de la route, mes grands-parents possèdent un parc avec plein de gros rochers (appréciés des randonneurs) et certains sont creux comme des grottes, en forme de haricots. Lorsque, plus tard, passent les convois allemands ou les premiers Américains, qui s’affrontent, nous nous réfugions dans ces sortes de bunkers naturels. Seuls mon père et ma mère, lorsqu’ils sont là, restent dans la maison, faisant mine de ne pas avoir peur.
Puis, un jour de la fin août, les chars américains arrivent en libérateurs. C’est la division du Général Patton. Le village est en liesse ; lorsque les soldats passent devant notre demeure nous courons au jardin cueillir des fruits, des tomates et des fleurs que nous offrons à nos sauveurs. En échange, ils nous distribuent moult bonbons, chocolats et chewing-gums.
Ma vraie vie, celle dont j’ai le souvenir permanent, commence à vrai dire en 1945. Mes parents étant sur le point de se séparer, j’habite quelque temps au Vaudoué, chez mes grands-parents puis à Fontainebleau avec ma mère. Le divorce a été prononcé.
Très vite, elle se remarie avec un ami d’enfance qui n’a jamais cessé de l’aimer et ne s’est pas marié. Avec son nouveau mari, ils ont quatre enfants, trois filles et un garçon, mes demi-frères et sœurs avec qui mes deux « vrais » sœurs et moi nous ne ferons jamais la différence. Nous étions et nous sommes toujours restés frères et sœurs à part entière, comme nous avons considéré notre beau-père comme un père. Une chance rare, surtout à cette époque, dans les familles séparées. Les deux couples (mon père s’était également remarié) se rencontraient même pour déjeuner ou dîner afin de parler de nous, les premiers enfants de ma mère.
C’est, sans doute, ce qui a permis à la suite de se dérouler dans l’harmonie, à distance, certes, puisque ma mère et mon beau-père sont partis s’installer en Afrique, au Cameroun, emmenant seulement avec eux notre frère cadet, tandis que ma sœur aînée, ma sœur cadette et moi étions « recueillis » par nos grands-parents pendant notre adolescence, en Saône-et-Loire où ils avaient déménagé.
En quittant Montreuil, où est née ma mère en 1910, pour la forêt de Fontainebleau, mes grands-parents ont acquis une jument, Bichette, ancien cheval de fiacre dont les sabots avaient frappé le pavé parisien. Ce qui fut bien utile lorsque les Allemands ont réquisitionné tous les véhicules automobiles.
C’est dans un tilbury, attelé de Bichette, que nous allons au marché à Fontainebleau, distant d’une quinzaine de kilomètres, ou rendre visite à des fermiers, devenus des amis, du côté de Tousson, sur la commune de Noisy-sur-École, à environ dix kilomètres. À Poisereau, le nom de la ferme, il y a au moins une trentaine de chevaux de trait dans la cour au départ ou au retour de la moisson, de la récolte des betteraves ou des labours. Dans les chaumes, après la récolte du blé, s’égaient des centaines de moutons qui broutent la paille encore fraîche et surtout les herbes vertes qui commencent à pousser avant d’être ensevelies sous les charrues tirées par des percherons ou boulonnais aux membres solides et à la fière allure.
Cette agriculture complémentaire a disparu aujourd’hui dans les régions de grande culture. Et si l’on y revenait ? À condition de trouver une main-d’œuvre qui veuille bien faire de longues journées et s’occuper des animaux et que le prix des produits agricoles à la production permet de les payer décemment.
Mais, tout cela semble bien dépassé !
En arrivant à Poisereau, en fin de matinée, nous nous attablons à l’une des grandes tables de cuisine où, peu à peu, les maîtres charretiers arrivent pour se restaurer. Au-dehors, ils sont nombreux à dételer les tombereaux, enlever les harnais et laver à grande eau les chevaux pleins de sueur avant de les mettre aux boxes séparés par de bas flans en chêne et assemblés par des barres en cuivre.
Sans doute, ces derniers ont-ils fini dans les résidences secondaires de Parisiens, par l’intermédiaire de brocanteurs qui, depuis, ont pillé les fermes et les fermiers, eux-mêmes heureux, moyennant quelque argent, de se débarrasser de leurs vieilles choses tout en faisant de l’espace pour ranger leurs tracteurs et autres machines agricoles ! Ils ont souvent fait la même chose avec leurs meubles de cuisine, bahuts et armoires en chêne, vite remplacés par des meubles en formica plus faciles à entretenir ! Mes grands-parents maternels se sont connus à Vichy, pendant la Première Guerre mondiale. Originaires, l’une, Louise, de Montluçon où elle est née en avril 1895 (et décédée en 1977, à Mâcon) et Claude, benjamin de quatre petits paysans, né dans la ferme familiale, en septembre 1887 à « La Bénissons-Dieu », près de Roanne (et décédé en 1984, chez lui, à Vérizet au lieu-dit Poiseuil). Ils s’étaient rencontrés dans un hôpital militaire à Vichy. Claude, qui n’avait pas voulu rester à la terre et était toujours premier en classe, était employé de banque dans le civil et fut nommé à l’intendance. Celle qui allait devenir son épouse était infirmière bénévole, comme beaucoup de jeunes filles de « bonne famille », soucieuses de servir elles aussi la Patrie en danger. Sa sœur, ma grande tante, s’était engagée dans la résistance comme conductrice d’ambulance et on lui prêtait des actions courageuses et périlleuses qui lui ont valu de nombreuses décorations militaires et civiles.
Après la Première Guerre mondiale, faisant des projets d’avenir, mes grands-parents imaginent de commercialiser l’art dans lequel excellait Louise : la couture et, singulièrement, la broderie. L’idée leur est venue de monter une petite affaire de vêtements pour enfants. Grâce à un prêt effectué par un camarade de guerre de mon grand-père, dont la famille vendait des meubles et des tissus à Paris sur les grands boulevards, ils s’installent à Montreuil dans une maison dont ils transforment une partie en atelier. Ma grand-mère dessine les modèles, les coupe et fait assembler ensuite robes à smocks, corsages, culottes courtes ou petits manteaux par des ouvrières à domicile.
Les affaires sont vite assez prospères ; de Montreuil, les petits industriels (mon grand-père aimait bien se nommer ainsi) déménagent alors pour ce village de la forêt de Fontainebleau où ils ont pu s’offrir une maison relativement cossue, assortie d’une petite ferme, avec un peu de terre et des bois. Au Vaudoué, ils développent leur entreprise avec leur fils, plus jeune que sa sœur, ma mère, devenu, après la guerre, coupeur de tissus, à partir des patrons (modèles en carton de chaque pièce à assembler) élaborés par ma Grand-Mère.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale est déclarée, ils habitent depuis une quinzaine d’années cette petite commune du sud Seine-et-Marne, dans le « Vrai Gâtinais français », région agricole qui fait la liaison entre la Brie et la Beauce.
Ma mère s’installe chez ses parents, avec ma sœur aînée et moi, quelques jours après la déclaration de guerre à l’Allemagne (3 septembre 1939) alors que mon père, mon oncle et mon futur parrain, ami de collège de mon père, sont déjà engagés. Je suis né peu avant, le 4 juillet 1939, dans une clinique de Fontainebleau. Ma mère, soucieuse de respecter les rites de la religion catholique et pour préserver mon âme, dut m’ondoyer elle-même avant que mon baptême ne se déroule quelques mois plus tard. Les hommes se sont alors arrangés pour être en permission en même temps afin de se retrouver autour du baptistère de la petite, mais très belle, église romane du Vaudoué, tous en uniforme.
L’épisode du Vaudoué restera toujours un peu flou pour moi. Malgré la guerre, j’y ai passé une petite enfance heureuse, les dimanches et toutes les vacances scolaires alors que nous habitions Paris. J’ai même fréquenté quelques mois l’école communale ainsi que les animations locales. Je me retrouve d’ailleurs dans le livre historique de la commune, en photo avec ma sœur aînée et un groupe d’enfants. Nous sommes habillés en Bretons pour danser la Gavotte !
Née à Montreuil, le 2 octobre 1917, adolescente au Vaudoué, ma mère aime y séjourner le plus souvent possible et, en pleine guerre, elle y trouve de quoi améliorer l’ordinaire. Mes grands-parents, enfants de paysans, pour l’un, et de hobereaux, pour l’autre, ont gardé le goût de la terre et, en plus de leur travail de couturiers, exploitent avec l’aide d’un ouvrier agricole, que l’on nommait alors un charretier, nommé Roland, la petite ferme qui fait partie de la propriété.
Ils élèvent de la volaille, des lapins ont quelques vaches pour le lait, un cheval de trait pour le labour, notre fameuse « Bichette », pour le tilbury, et ils cultivent de quoi les nourrir. Mon grand-père a un potager et un verger bien fournis où ma grand-mère récolte chaque jour, selon la saison, fruits et légumes de toutes sortes. Même des rutabagas, des salsifis, des blettes (que j’adore avec une sauce béchamel) ou autres légumes oubliés qui sont alors des plats recherchés ! Je n’oublie pas non plus (il y a prescription !) la culture de plants de tabac cachés au milieu d’un champ d’avoine ou de blé. Ces plants sèchent dans le grenier et compensent la pénurie de cigarettes…
Il y a aussi une grande volière avec des perdreaux et des faisans pour approvisionner une chasse en co-location en petite Sologne, à Nogent-sur-Vernisson chez des petits paysans besogneux dont la fille devait, après la guerre, épouser un Allemand, ancien prisonnier ; il avait été affecté chez eux par les autorités militaires. Otto était un grand gaillard, un peu roux, qui avait su se faire apprécier de tous et à qui jamais un habitant de la région n’a osé reprocher, pas plus qu’à ses futurs beaux-parents, son « flirt » avec la fille de la ferme, Huguette. Ils ont eu trois beaux enfants, sans doute tous blonds, et ont repris la ferme. C’était, avant l’heure, le rapprochement franco-allemand !
Mon grand-père est appelé à remplacer le Maire du Vaudoué en tant que Président du Conseil municipal, par délégation de pouvoirs du Préfet. Le maire, dénommé d’ailleurs André Lemaire, avait été engagé par le STO, service du travail obligatoire, imposé au gouvernement de Vichy par l’Allemagne nazie, et transféré en Allemagne comme des centaines de milliers d’autres travailleurs français. Il aurait lui-même choisi le STO pour éviter d’être prisonnier et pour percevoir un salaire.
« Grand-père » fait alors tout ce qui lui est possible pour aider les familles à circuler en leur procurant des laissez-passer, en les aidant à retrouver les traces des leurs, prisonniers en Allemagne, déportés, ou hospitalisés quelque part du côté du front. Il lui faut aussi porter bien des fois la triste nouvelle du non-retour d’enfants du pays à des parents encore baignés par l’espoir d’un retour rapide.
Ma grand-mère, elle, s’occupe des femmes seules, des enfants, du catéchisme. Mais, elle a un grand défaut pour certains habitants du pays ; elle a appris l’Allemand au lycée, à une époque où les filles étaient peu nombreuses sur les bancs de l’école secondaire et à passer le bac.
L’entendant employer leur langue avec les occupants et mon grand-père devant discuter avec eux pour les affaires de la municipalité, certains habitants, dont bon nombre étaient alors communistes, les assimilent plus ou moins à des « collabos ». Un jour un petit cercueil est même déposé chez eux dans un paquet. Il y a aussi cette histoire d’un pilote allemand dont l’avion s’est écrasé près de chez nous dans la forêt et que mon oncle a conduit au cimetière avec la voiture à cheval tirée par « Bichette ». Cela a provoqué un vrai scandale dans le village, une partie de la population ne comprenant pas que l’on puisse offrir une sépulture dans leur cimetière, à un Allemand qui, pourtant, était un combattant comme les nôtres.
Certes, mon grand-père, ancien soldat de la guerre 1914-1918, avait été un admirateur du Maréchal Pétain ; au début du gouvernement de Vichy, il ne savait, pas plus que la plupart des Français, ce que le chef de l’État « sous tutelle » acceptait de l’occupant allemand. Pour lui, comme pour beaucoup, même si les historiens sont divisés sur le sujet, le Maréchal était le vrai vainqueur de Verdun, en 1916 et donc un héros.
Après la capitulation du 24 juin 1940, mon aïeul a réalisé ce qui se passait et, malgré sa faiblesse pour Pétain, a finalement changé sa façon de penser. D’autant que ma grand-mère était alliée à la famille du Général Georges, natif de Montluçon comme elle.
Ancien adjoint du Général Gamelin, commandant l’armée française au moment de l’attaque allemande en mai 1940, Alphonse Georges, qui aurait pourtant souhaité rester loyal au Maréchal Pétain, s’était retiré en zone sud après la signature de l’armistice, puis avait gagné l’Algérie en mai 1943. Il devait se joindre au Général Henri Giraud qui avait succédé à François Darlan (mystérieusement assassiné à Alger le 24 décembre 1942) au « Haut-commissariat de France en Afrique » devenu le Commandement civil et militaire d’Alger.
Giraud mettait en place, avec le Général de Gaulle, le Comité français de Libération nationale. Le CFLN fut, en effet, constitué à Alger le 3 juin 1943 à la suite de la libération d’une partie des territoires français d’Afrique du Nord début novembre 1942. Il exerçait son autorité sur l’Algérie française, le Protectorat français au Maroc, le Protectorat français de Tunisie et l’Afrique-Occidentale française.
Mais il lui était reproché de s’être rallié à l’Amiral Darlan qui était favorable à une négociation avec les Américains dans laquelle la France ne retrouvait pas son compte. Il s’est vu rapidement écarté par les gaullistes et marginalisé.
Le Général de corps d’Armée Alphonse Georges, qui était un fervent partisan de Giraud, meurtri et atteint par la limite d’âge depuis août 1940, se retire alors de toute activité politique ou militaire.
De ce grand soldat, l’histoire n’a pas tout dit de ses faits de guerre entre 1914 et 1940. Ils ont été éclipsés par le rôle qu’il avait joué, le 9 octobre 1934 à Marseille, lorsque fut assassiné, sur la Canebière, le roi Alexandre 1er de Yougoslavie. Déjà proche de la France, le roi de Yougoslavie avait répondu à son invitation officielle avec l’intention de renforcer l’amitié entre la France et son Royaume face à la montée en puissance de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie mussolinienne.
Louis Barthou, qui était alors ministre des Affaires étrangères, avait favorisé ce voyage en espérant empêcher le rapprochement de l’Allemagne et de l’Italie.
Avant de se rendre à Paris, Alexandre de Yougoslavie, qui aimait naviguer et faisait son voyage à bord du yacht de la famille royale, devait faire escale à Marseille. Il y débarqua le 6 octobre 1934, sans son épouse qui craignait le mal de mer. La Reine Marie de Roumanie avait gagné Paris directement par le train.
À son départ de Zelenica, port du Monténégro, le chargé d’affaires français avait souhaité au souverain un bon voyage en l’assurant qu’en France, il trouverait quarante millions d’amis. Ce à quoi, le roi, déjà inquiet, avait répondu : « Et peut-être aussi quelques-uns de mes ennemis les plus acharnés ». De fait, malgré des dispositions importantes mises en place pour assurer la sécurité du visiteur ami, un terroriste, nationaliste bulgare, membre de l’organisation révolutionnaire macédonienne Ostachi, l’attend.
L’homme s’élance sur le marchepied de la Delage royale, décapotée, et se met à tirer plusieurs coups de pistolet sur le roi qui s’affaisse, grièvement blessé à la poitrine. Agonisant, il est aussitôt transporté à l’hôpital où il décède à son arrivée.
Face à lui, sur un strapontin, se tient le Général Georges qui veut s’interposer et est touché de deux balles. Tandis que des militaires cherchent à s’emparer de l’agresseur et avant qu’ils ne réussissent à le « sabrer », celui-ci parvint encore à tirer et à abattre l’un d’eux tout en blessant plusieurs spectateurs… Les policiers, pris de panique, tirent un peu au hasard ; la troisième personne qui est dans la voiture de l’escorte, Louis Barthou, venu accueillir Alexandre 1er, reçoit une balle perdue. Vidé de son sang, il s’éteint à l’Hôtel Dieu avant de pouvoir être soigné. Avocat, journaliste, écrivain, trente ans élu de la République (député « Républicain modéré » à 27 ans, puis sénateur), Louis Barthou avait occupé de nombreux postes ministériels et la Présidence du Conseil (en 1913). Il était membre de l’Académie française, élu le 2 mai 1978 par 20 voix sur 27 au fauteuil d’Henri Roujon.
Cette période de l’histoire est très bien racontée dans la biographie du Général Georges réalisée par le lieutenant-colonel Max Schiavon, docteur en histoire, avec l’aide d’une petite fille du Général Georges, détentrice d’impressionnantes archives.
Au lendemain de l’exode, mon père rentre de Saumur où il était en garnison. Ma mère, ma sœur aînée et moi, qui sommes alors hébergés au Vaudoué chez mes grands-parents, le rejoignons à Paris où après l’appel du Général de Gaulle et l’entrée en résistance de la France, nous allons vivre les bombardements de la capitale. Régulièrement, les sirènes retentissent. Nous nous précipitons dans les caves de l’école religieuse Notre-Dame de Sion, juste en face de chez nous, rue Notre-Dame-des-Champs. Je me vois encore assis dans l’escalier d’une cave bondée de monde, sur les genoux de ma mère, tandis que nous entendons l’aviation ennemie survoler la capitale. Dans la journée, jusqu’au couvre-feu, nous pouvons circuler.
Dès 1945, je suis pensionnaire à deux pas de l’appartement, au Collège Stanislas. La vie en pension, à l’époque, n’a rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui ! Nous sommes une bonne cinquantaine par dortoir et nous n’