Morts à Venise - Louise Van Sponkerverkrofchtenberg - E-Book

Morts à Venise E-Book

Louise van Sponkerverkrofchtenberg

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Beschreibung

Les enquêtes ornithologiques de Louise Van Sponkerverkrofchtenberg, fille putative du commissaire San-Antonio.
–  Tu ne vas pas être déçue par ton autrice préférée pour ce nouvel opus délit. De l'action presque gratuite (toujours 14 euros, malgré l'inflation galopante), des bons mots et des beaux maux, des moins bons aussi, qui permettent aux bons d'être encore meilleurs, quelques contrepets foireux comme les fientes de pigeons de cette fable moderne.  De l'espionnage qui ferait passer John Le Carré pour une bille, du romantisme qui pourrait faire passer Chateaubriand pour un steak, et encore et toujours du stupre et de la fornication qui pourraient faire passer Brigitte Lahaie pour Mère Teresa…   Direction Venise, cette fois ; l'inoubliable Venise et ses canaux, ses gondoles, son carnaval, sa place Saint-Marc et… ses pigeons qui meurent par centaines. 

À PROPOS DE L'AUTEURE

Louise Van Sponkerverkrofchtenberg est le nom d'emprunt d'une célèbre diplomate d'Alabanie orientale en poste à Paris. Elle publie sa deuxième aventure, après Quand trépassent les autruches ! chez le même éditeur.

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Couverture

Page de titre

Les enquêtes ornithologiques de

Louise van Sponkerverkrofchtenberg,

Fille pute hâtive du commissaire San-Antonio

Aventures érotico-policières traduites du batave par Pierre Decoulle

Interdit aux moins de dix-huit ans, aux pisse-froid,aux mous du gland, aux ralentis du bulbe, aux puritains de la fesse, aux bitoflancs, aux brise-burnes, aux fornico-puristes, aux bienséants du céans, aux crottés des méninges, aux islamo-gaucho-fascistes, aux bourses-molles, aux jean-foutre pas une, aux empaffés, aux mange-merde, aux bien-pensant, aux mal-baisant,aux niqueurs de merde, aux putois pourris de leur race, aux sacsà chiures, aux socio-traitres, aux cafards de bénitiers, aux grip pemina uds, aux pu terel les de sa lon, a ux am phigou rés de trou, aux hypolibidineux, aux livides du nœud, aux anémiquesde la tige, aux rétrécies du fion, aux tartuffes de la touffe, aux poupées béni-oui-oui qui disent non, aux branleurs de goupillons, aux intégristes du langage, aux ayatollahs du coït planifié, aux grammairiensde rien, aux académiciens de l’Académie, aux faux-culs du culs, aux hypocrites du pantalon, aux artificieux de la fesse, aux cabotins, aux casuistes, aux fallacieux, aux faux jetons du con, aux jésuites, aux pharisiens dubassin, aux sainte-nitouche, aux simulatrices, aux sycophantes de la fente, aux casuistes vertueux, aux peine-à-jouir,aux enculeurs de mouches à merde, aux porteuses de collants, aux lectrices du Figaro Madame, aux empaffés du PAF, aux critiques de Télérama,, à tous ceux qui n’arrivent pas à lire cette dernière phrase écrite en tout petit et qui témoigne d’une presbytie aggravée incompatible avec la lecture de ce chef-d’œuvre de la littérature…

À Frédéric Dard, l’un des trois plus grands écrivains français duXXesiècle

(Choix libre pour les deux autres)

ON LESSIVE SAINT-MARC

Que je te rapporte cette seconde aventure que tu attends avec une fébrile mais justifiée impatience. Je le sais de source sûre puisque je te poursuis sur les réseaux sociaux (Fesse-bouc, copains de derrière, snap chatte, Instagram pique et pique des kilogrammes…).

Tu ne vas pas être déçu(e) par ton autrice préférée pour ce nouvel opus délit. De la violence presque gratuite (toujours à peine 14 euros, malgré l’inflation galopante), du sexe hard-dur comme le preux chevalier, des bons mots et des beaux maux, des moins bons aussi, qui permettent aux bons d’être encore meilleurs (vieille technique marketing), quelques contrepets foireux comme les fientes des pigeons de cette fable moderne1, de l’espionnage qui ferait passer John le Carré pour une bille, du romantisme qui pourrait faire passer Chateaubriand pour un steak, et encore et toujours du stupre et de la fornication qui pourraient faire passer Brigitte Lahaie pour Mère Teresa…

Quatre mois à peine se sont écoulés depuis l’épisode sud-africain qui t’a tenu en haleine sur le dos deux heures durant, voire plus si tu as pris des notes pour ton comité de lecture, ou si tu as posé ton livre pour te dorloter l’entre-cuissot lors de certains passages coquins que mon éditeur a bienencontreusement laissé malgré la censure, qui ne s’use que si l’on s’en sert.

Direction Venise, cette fois. L’inoubliable Venise et ses canaux, ses gondoles, son carnaval, sa place Saint-Marc et… ses pigeons, qui y meurent par centaines.

De la pièce voisine de celle où je me trouve en ce froid matin de février, au premier étage du bâtiment des nouvelles Procuries, trois paires et demie d’yeux plongent sur ladite place devenue un immense charnier de plumes et de sang. Sagement caché derrière la porte entrouverte, mon voisin me désigne les quatre hommes d’un doigt majestueusement dédaigneux.

– Le vieux con borgne avec le nez de travers, c’est Quirino Plasti, le responsable des services sanitaires. À côté, le grand con, c’est Aldo Remifasol, le chef de la police. Méfiez-vous de lui. Il n’est pas que con, il est aussi méchant. Le con qui se gratte les fesses, c’est Ildefonso Laidebrebi, son adjoint. Lui, il n’est que con, mais un con comme on n’en fait plus. Un con d’apothéose. Sa Majesté Godefroy de Couillon, sa Sainteté Benêt Ier ! Derrière eux, Silla Remifasol, notre maire, partisan des luttes de classe, et frère d’Aldo. Pas encore con, mais ça viendra.

J’ai envie de lui dire que la connerie, ça ne s’attrape pas. C’est comme les poils sur les orteils, les sourcils en guidon de vélo ou le menton en galoche. C’est génétique. On naît avec. On meurt avec. Mais je me tais d’oreiller. Je préfère détailler d’un œil inquisiteur le quarteron d’édiles. Il est toujours bon de savoir à qui on a affaire avant de commencer une enquête de cette importance. Sans doute l’affaire politico-policière la plus marquante de ces soixante dernières années. Hier l’assassinat de Kennedy, aujourd’hui l’affaire des pigeons de Saint-Marc. Entre les deux, rien, nib, peau de zébi, calme plat, total néant.

Quirino Plasti, qui observe la place de son œil unique, semble le plus accablé du groupe. J’écarte le rideau crassouille de la fenêtre et me penche vers la source de son désespoir. Des centaines de pigeons gisent sur le sol humide. Les uns traînent lamentablement leurs ailes devenues trop lourdes, mazoutées par une invisible marée noire. Les autres, les plus nombreux, la tête couchée sur le côté, le cou tordu, leur minuscule langue pendante, évoquent une image apocalyptique de fin du monde.

Le port de la piazzetta a été bloqué par les services de la ville. De hauts panneaux de bois ont été placés par les carabiniers autour de la place transformée en charnier. Une douzaine d’hommes pellettent les pauvres corps inertes et les jettent dans de larges carrioles grillagées. D’autres lessivent les dalles grises à grands jets d’eau savonneuse. On devine la moiteur humide et froide du vent venu du grand canal à la fumée blanche qui monte du sol et s’échappe de leurs bouches enchifonnées. Saint Théodore et le lion de Saint-Marc disparaissent dans cette brume épaisse comme une polenta pas cuite qui enveloppe aussi le campanile et les cinq coupoles de la basilique, coule en larmes géantes sur la façade de marbre puis glisse à quelques centimètres du sol sous la lumière blafarde des lampadaires des ders. Les traînées vaporeuses s’infiltrent entre les arcades des cafés et les boutiques de souvenir encore fermées, tel un serpent de mer à mille têtes venu tout dévorer sur son passage, une gorgone plus zélée que Zola, une hydre aux gènes sulfureux (H2S). Manque plus que l’apparition du Nosferatu de Murnau ou de Sarkozy de Nagy-Bocsa.

Le chef des services sanitaires essuie la buée sur la vitre avec la manche élimée de son uniforme gris. Je vais vite apprendre de mon voisin que la vie entière de Quirino Plasti a été grise et élimée. Depuis sa naissance dans les ruines de Monte Cassino en 1950, le pauvre homme a accumulé les emmerdements comme d’autres les vieux timbres. En philatéliste passionné, il donne d’ailleurs l’impression depuis quelques années de chercher les plus rares, les plus inattendus… Son phimosis ayant nécessité douze interventions, dont la dernière pour nécrose s’est terminée par une amputation de la verge, épisode tragique suivi par le départ de sa femme volage avec son chirurgien maladroit, son œil crevé par un abruti avec sa carabine alors qu’il bronzait sur sa terrasse, son cancer des hémorroïdes (deux cas décrits dans le monde), ses faillites successives… Cette nouvelle épreuve que le destin lui impose à quelques mois de la retraite semble bien être son penny black.

Son œil unique circumducte la place. Il se prend la tête entre les mains, gémit, geint, pleurniche, couine, larmoie. Quirino, c’est le ponte des soupirs.

– Mama mia. Quel désespoir ! Qu’allons-nous devenir ? Venise sans pigeons ! Autant imaginer New York sans ses tours… marmonne-t-il avec le ton définitivement las d’un paysan malien après le cinquième passage d’un nuage de sauterelles sur ses trois mètres carrés de sorgho.

Le colonel Remifasol, le chef des carabiniers, lui jette un regard mollet, c’est-à-dire pas tout à fait dur, mais pas non plus à gober.

– Quirino ! Je ne pense pas que la comparaison soit judicieuse depuis l’attentat du Ouord traide santteur. Disons plutôt Paris sans Bigbaine.

– Sans vous offenser…, je crois que Big Ben se trouve à Berlin, corrige son fidèle adjoint qui a terminé de se gratter les fesses pour se lancer dans une chasse éperdue d’étrons au fond de son nez trop fin pour ses doigts trop gros.

Malgré ses deux mètres et des poings comme des masses d’armes, Laidebrebi parle avec une voix de fausset quand il s’adresse à son supérieur. En poste depuis trois ans, son sens inné de la hiérarchie en fait le plus grand lèche-cul de la Sérénissime, voire de l’ensemble de la péninsule italienne. Sans pousser trop loin la physiognomonie, il est d’ailleurs étonnant de noter le faciès immuable du lèche-cul à travers les époques et les continents : petits yeux en trou de pine, bouche fine, nez pointu, petite barbiche taillée en pointe… Modèle du genre, Laidebrebi peut être considéré comme la mesure étalon de la flagornerie, le modèle du fayot, le prince incontesté de la lèche. Et « lèche-bottes » en Italie n’est pas un vain mot.

– Justement… C’est encore plus facile à imaginer comme ça ! insiste le chef de la police, l’index tournoyant sur sa tempe grisonnante, dessinant la logique impénétrable de sa réflexion. Et puis je ne vois pas en quoi la mort de ces bestioles pose un problème ! Ce n’est pas la première fois que ces saloperies qui chient partout viennent à crever par centaines. Il en revient toujours plus, et des plus gros, qui dégueulassent ma terrasse de cent mètres carrés qui surplombe le grand canal.

Mon voisin me montre discrètement une photo encadrée sur le bureau du maire dans lequel nous nous trouvons. Il m’explique à voix basse que le colonel Aldo Remifasol, à droite sur la photo, doit sa place enviée de chef de la police à un vague lien familial avec la mère du maire, au milieu du portrait, dont il est le fils, ce qui en fait du même coup le frère du premier magistrat de la ville, à gauche sur la photo. Cette parenté lui permet habituellement de bénéficier d’une grande indulgence de la part de son cadet, mais, cette fois, il semble avoir dépassé les bornes.

– Arrête de dire n’importe quoi, Aldo, hurle le frère maire. Pas un problème ! Le pigeon est l’âme, l’emblème, le symbole, la personnification de notre ville. Venise sans pigeons n’est plus Venise !

La génétique a eu davantage d’égards pour le maire, même si ce n’est pas encore le maire à boire, que pour son frère aîné en ce qui concerne le contenu, mais guère pour le contenant de la boîte crânienne. Si Aldo, le militaire, a hérité de la sauvage arrogance de condottière de son père, en arrière-plan sur le cliché, ancienne chemise noire reconvertie dans le textile, Silla, le politique, est le portrait craché de sa mère, la barbe et l’opulente poitrine en moins. S’il en a hérité l’intelligence sagace, la finesse d’esprit, le jugement tranchant, il en a aussi le gros nez boursouflé, les joues pendantes qui lui donnent de faux airs de Pluto, les hamacs sous les yeux et des oreilles de satellite en perdition.

– Venise sans pigeons, à deux jours du Carnaval, c’est pire que tout. C’est la fin du monde…, se lamente-t-il, s’affaissant dans un large fauteuil club aux accoudoirs râpés, glissant un doigt fébrile entre son cou suant et le col déboutonné de sa chemise.

– C’est la raison pour laquelle je vous ai tous réunis ici de si bon matin, lâche alors mon voisin en entrant dans la pièce avec Perte et Fracas, ses deux fidèles chihuahuas. Plus de pigeons, plus de touristes, et plus de touristes, plus de pigeons à plumer…

En le voyant s’éloigner d’un si bon pas, je n’avais pas remarqué qu’il était aussi petit et disgracieux quand il était venu me chercher dans le hall quelques minutes plus tôt. L’homme, légèrement bossu, mesure à tout casser un mètre cinquante, mais des talonnettes et des semelles expansées le rehaussent de dix bons centimètres. Cette asymétrie entre son buste et ses jambes lui donne l’allure de l’échassier de la fable, d’autant que son cou est emmanché d’un long nez.

– L’heure est effectivement dramatique, fait le héron au sourire si doux. Notre bien-aimé président du conseil est d’ailleurs tenu au courant de ces évènements minute par minute, je dirais même pigeon par pigeon. L’honneur de notre pays repose sur nos frêles épaules, m’a même déclaré le ministre de l’Intérieur en me serrant la main, il y a quelques heures à peine.

Puis, après un court mais profond silence, bombant son torse torve, la main encore moite de la sueur du ministre dirigée vers l’asphalte de la place :

– Messieurs, César, Garibaldi et *****2 nous regardent. Ne les décevons pas…

Léandro Ginoli, surnommé « Mais pas que » dans les couloirs de son ministère, notamment ceux des toilettes, a toujours eu le sens de la formule oratoire. Il enveloppe son envolée lyrique de sa cape rouge comme il s’est maintes fois entraîné à le faire lors d’un passage éclair à l’école de théâtre de La Fenice où son amant de l’époque, devenu ministre, est venu le chercher pour le mettre à la tête des services culturels de la région de Vénétie.

– C’est la raison pour laquelle Bruxelles nous envoie un de ses meilleurs agents, afin de démasquer les coupables de cette infamante infamie… continue-t-il sur le même ton emphatique.

Il vrille sur ses talonnettes comme un danseur sur glace et me fait signe d’avancer. Je traverse la pièce pompeusement décorée, stuc au plafond, lambris aux murs, parquet ouvragé, lustres de cristal, peintures croûteuses. Le maire se lève poliment de son fauteuil et s’incline du chef. Les trois autres se retournent avec un synchronisme digne d’une chorégraphie de Jerome Robbins.

– Une spécialiste en ornithologie policière… ajoute Léandro.

Je m’avance vers eux, sûre de mon petit effet. L’air chaud gonfle ma chevelure, les pans de ma jupe volent à chacun de mes déhanchements, mes talons aiguilles claquent sur le plancher, mes bas crissent sur mes cuisses, ma poitrine 90 C se soulève au rythme de ma respiration. Je m’attends aux habituelles réactions que provoque en général une telle arrivée digne d’une montée de marche cannette (logique pour une enquêtrice du Pipo) dans une assemblée masculine… Yeux exorbités, langues pendantes, mains moites, fourmis dans le pantalon, bafouillages, érections incontrôlées… Mais, à ma grande surprise, rien de tout cela ne survient. Au contraire !

– Une ! s’offusque le macho chef de la police au regard carnassier, prêt à manger la cannette toute crue.

– Ornitho quoi ? crie son adjoint.

– Policière ? s’étonne le maire.

– Louise van Sponkerverkrofchtenberg. Mais appelez-moi Louise, fais-je d’une voix que j’essaie charmeuse. Je travaille pour le Pipo, un programme international de protection des oiseaux qui dépend de la Commission européenne3.

Pendant que tu lisais la note de bas de page, le regard de Léandro est passé de l’un à l’autre des hauts dignitaires de la ville, s’attendant à une chauvine levée de bouclier, qui ne vient pas… Pas plus que l’autre levée escomptée ! Les quatre hommes sont en fait trop abattus. Le maire, affalé dans son fauteuil (Louis XV, pour les amoureux du détail), contemple béatement le plancher (en point de Hongrie, pour les mêmes), tandis que Quirino Plasti continue d’observer de son œil unique, néanmoins critique, les hommes de ses services chargés du nettoyage de la place. Quant à Laidebrebi, toujours le doigt dans le nez, il attend une réaction de son supérieur pour pouvoir l’approuver.

Léandro, qui a parfois du mal à calmer les élus de son camp, plonge alors ses yeux bleus d’azur dans ceux du colonel de la police. Il m’avait prévenu que les ennuis viendraient de cet homme irascible et ombrageux, irritable comme tout colon qui se respecte.

– Je compte sur vous pour tout mettre en œuvre afin de collaborer avec madame Louise.

Le colonel, qui a laissé sa civilité au vestiaire avec son chapeau, se tourne vers moi, la prunelle haineuse, un mortier de 75 dans chacune d’icelles :

– Nous n’avons pas besoin des limiers de Bruxelles, et encore moins des limières, fussent-elles éclairantes.

Éclats de rire de Laidebrebi.

– Certes, certes…, mais le temps presse, se désole le responsable culturel en baissant d’un ton pour ne pas se mettre le chef de la police sur le dos, bien que cette position ne lui aurait sans doute pas déplu.

Il reprend son coup d’œil circulaire, vaguement imité du Napoléon d’Abel Gance haranguant ses généraux avant la bataille d’Austerlitz. Une mouche vole. On n’entend rapidement plus qu’elle et les borborygmes and blues du colon du colonel.

– Dites à madame Louise où en est votre enquête, demande-t-il en posant cette fois ses yeux langoureux sur l’adjoint Laidebrebi.

– Nous avons arrêté trois gamins avec des lance-pierres pris en flagrant délit la nuit dernière, mais l’étendue de l’hécatombe laisse penser qu’ils ont des complices, voire des armes plus sophistiquées. Nous…

Plasti coupe la parole du policier pour préciser que des analyses sur les premiers pigeons retrouvés morts sont en cours et orientent vers une maladie épizootique.

– Épisodique… Je l’espère bien ! grogne Remifasol.

– Une épizootie est une maladie épidémique animale, éventuellement transmissible à l’homme, j’interviens.

– Genre Covid I9 ! s’exclame Laidebrebi qui se souvient encore du confinement qu’il avait dû passer avec sa belle-mère qui l’appelait pour l’occasion le con sombre masqué.

– Ou grippe aviaire ? s’inquiète soudain Plasti auquel reviennent en mémoire les images télévisées des élevages de canards en Dordogne qui ont beaucoup ému les bouffeurs de foies gras dont il est.

– Cela se pourrait…

Cette sourde menace fait reculer les quatre hommes du bord de la fenêtre, tandis que Laidebrebi porte machinalement son mouchoir maculé d’étrons séchés à sa bouche en cul-de-poule.

Le colonel Remifasol se tourne vers Léandro, m’ignorant goujatement.

– Vous dites que le suspect s’appelle Infamantinfami. Un nom sicilien ! Nos fichiers vont facilement le retrouver…

Une phrase des Institutione oratoria de Quintilien me revient soudain en mémoire. « Le raisonnement est aussi naturel à l’homme que le vol aux oiseaux »… On ne peut trouver plus approprié à la situation présente.

– Bien, bien… fait Léandro, lui-même peu rassuré par cette allusion au fléau. Continuez à chercher dans ce sens. J’informerai moi-même le Président et le ministre de vos éclatants progrès. En attendant, ramassez-moi toutes ces bestioles avant que les touristes ne s’aperçoivent de quoi que ce soit… Bien sûr, pas un mot à la presse tant que nous n’avons pas trouvé les coupables.

– Avec le carnaval qui commence, ça ne va pas être facile de les « démasquer », ose à voix basse l’adjoint Laidebrebi.

Le regard sombre de Léandro montre qu’il n’apprécie pas le bon mot. Un ange passe. À moins que ce soit un pigeon furtif.

– Faites pour le mieux. Réunion demain à quatorze heures à mon bureau pour un premier briefing (que les puristes m’excusent pour cet anglicisme), lance-t-il en sortant, Fracas et Perte sur ses talonnettes.

1. Là réside toute la difficulté pour mon traducteur Pierre de Coulles que je salue au passage !

2. Entre l’heure où nous écrivons ces pages incomparables et leur publication, le président du conseil italien aura changé douze fois, aussi l’éditeur préfère-t-il laisser en blanc.

3. Pour tout savoir sur cette vénérable institution, je te renvoie à l’inoubliable Quand trépassent les autruches ! premier opus des enquêtes ornithologiques de Louise van Sponkerverkrofchtenberg, fille pute hâtive du commissaire San-Antonio. Roman érotico-policier traduit du flamand par Pierre Decoulle, en vente à 14 euros TTC dans toutes les bonnes librairies (consultable aussi à la BNF, couloir de droite, troisième porte à gauche, à côté des WC).

PUTAINS DE RATS DU CIEL

Je me retrouve seule au milieu des quatre hommes qui me dévisagent comme une bête curieuse. Pensez donc ! Une belle enquêtrice comme moi en chair et en os. Surtout en chair, qu’ils regardent, enfin, avec moult désirance. Comme si le départ de Léandro avait libéré leur lubricité de mâle. Et qui plus est la fille du célèbre commissaire San-Antonio. Du moins selon la rumeur sur laquelle je ne m’étendrais pas vu le succès planétaire de mon premier recueil qui a fait sortir du bois de nombreux amants oubliés de ma génitrice…

– C’est votre premier séjour dans notre bellissima ville ? questionne Plasti d’une voix devenue mielleuse.

J’acquiesce par politesse. En fait je n’ai encore rien vu de Venise où je n’étais jamais venue. Et ce que j’en ai aperçu n’est pas folichon ! J’ai d’abord emprunté le pont route-fer jusqu’à la piazzale Roma. À l’heure matinale à laquelle je suis arrivée, la fumée des usines du port de Marghera enveloppait la lagune d’un épais voile gris et je ne l’ai découvert qu’après avoir complètement traversé un bras de mer houleuse qui sentait la vase funéraire. Là, des embouteillages formés à l’entrée des Autorimesses par des autocars bondés venus vomir les habitants des environs m’ont bouché la vue ! Tout un petit peuple de marchands, de serveurs, de gardiens de musées, de facchino, de gondoliers, de personnels de maison venus gagner de quoi survivre auprès des milliers de touristes qui formaient le reste du troupeau avait parachevé le tableau. Le froid figeait leurs corps emmitouflés. Qui tapait du pied, qui se frottait les mains, qui se mouchait dans ses doigts, qui les essuyait sur son voisin… Chacun se pressait et s’entassait dans les vaporetti bondés pour ne pas arriver en retard au travail.

– Vous ne semblez guère enthousiaste, s’inquiète soudain le maire, lisant dans mes pensées.

– Nous parlons pourtant de La Sérénissime, ajoute Plasti avec triple emphase, comme dit mon électricien.

– C’est que mon premier contact n’a pas été, comment dirais-je, des plus chaleureux.

– Comment ça ?

– Un larron glacé a profité de cette cohue pour me voler mon bagage dans la foule…

Au mot « vol », le chef de la police lève ses yeux plutoïques et déplie ses oreilles dumboesques. Il demande des explications, pour la forme, car je sens bien qu’il s’en fout comme de son second préservatif (le premier ayant crevé, il s’en souvient que trop bien sous la forme d’une pension alimentaire). Je balaie l’incident de la main. À quoi bon. Le maire insiste. Alors, je relate : J’avais laissé mon Aronde dans un garage payant et je m’étais dirigée vers la berge du canal pour acheter mon billet. Le petit guide touristique acheté dans une station-service sur l’autoroute préconisait de prendre le vaporetto pour rejoindre San Marco par le Grand Canal, notamment la ligne n° 1 accelerato, mais le guichetier, un petit malingre aux joues tellement creusées qu’elles se touchaient à l’intérieur, m’avait certifié que la ligne n° 2, le motoscafo, qui empruntait le raccourci du Rio Nuovo, était deux fois plus rapide.

– Il a raison, coupe Laidebrebi, montrant ainsi à son supérieur qu’il suit la conversation.

(Je conçois cette interruption inutile puisqu’on se fout pas mal de ce que pense l’adjoint du chef de la police qui n’a qu’un rôle subalterne dans cette histoire, mais dont les réflexions me permettent d’assurer le minimum de 40 000 mots réclamés par mon éditeur pour justifier les 14 euros TTC).

– Tandis que je payais mon ticket, un individu est passé derrière moi en me frôlant à peine, je reprends donc.

– Oh, oh ! fait Laidebrebi, toujours pour les mêmes raisons qu’énoncées ci-dessus.

– N’interrompez pas tout le temps cette demoiselle avec vos remarques inutiles, grogne à son tour Remifasol, puisqu’on se fout pas mal de ce que vous pensez, vous n’êtes que l’adjoint du chef de la police et n’avez qu’un rôle subalterne dans cette histoire… À se demander d’ailleurs si vos réflexions ne servent pas qu’à vous assurer les bonnes grâces de l’éditeur de Mademoiselle Louise pour justifier les 14 euros TTC…

– J’ai eu à peine le temps de le voir disparaître dans la foule grouillante avec ma valise sous le bras. « Welcome in Italy, jolie poupée » m’a alors lancé un policier avec un sourire baveux d’épileptique.

Trois « oh, oh ! » retentissent cette fois. Seul Laidebrebi, vexé par la remarque de son chef, ne participe pas à l’indignation générale.

– Cet abruti avait suivi la scène avec amusement, sans même essayer d’empêcher le forfait !

– Qu’avez-vous fait ? demande Plasti, qui n’a pas non plus son œil unique dans sa poche et qui me dévore avec, mais moitié moins que les autres.

– Rien…

Parlant couramment sept langues et en baragouinant six autres, je lui ai en fait lancé une bordée d’insultes dans celle de Peppe Grillo, variante télévisée de celle de Dante.

Ildefonso hausse les épaules, l’air de dire « Ainsi sont les Italiens ». Le maire, lui, s’offusque sincèrement. Il en va de la réputation de sa ville, donc de la sienne ! Il se tourne vers son frère qui s’en tamponne le coquillard, qu’il a d’ailleurs flasque. Il réclame une sanction exemplaire contre cette brebis galleuse de la grande confrérie des carabiniers.