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Guérassime, sourd-muet de stature colossale, sauve un jour une petite chienne de la noyade : celle-ci lui voue un attachement éternel et devient le centre de son existence. Mais Guérassime est un serf, et la maîtresse du domaine auquel il appartient, vieille dame autoritaire et capricieuse, n’apprécie pas ce petit animal qui a osé lui montrer les dents et dont les aboiements la réveillent...
Écrit en prison en 1852, alors que Tourgueniev était incarcéré pour des propos que contenait son article sur Gogol qui venait de mourir,
Moumou, dont la figure de la dame-propriétaire tyrannique est inspirée de la mère de l’auteur lui-même, était après les
Mémoires d’un chasseur un nouveau réquisitoire terrible contre le servage, qui allait finir par être bientôt aboli, et est devenu un des textes les plus célèbres et populaires de la littérature russe.
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Seitenzahl: 68
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Petite Bibliothèque slave
— Collection dirigée par Xavier Mottez —
Chez le même éditeur — Littérature russe
1. GOGOLLes Âmes mortes. Traduction d’Henri Mongault
2. TOURGUENIEVMémoires d’un chasseur. Traduction d’Henri Mongault
3. TOLSTOÏLes Récits de Sébastopol. Traduction de Louis Jousserandot
4. DOSTOÏEVSKIUn joueur. Traduction d’Henri Mongault
5. TOLSTOÏAnna Karénine. Traduction d’Henri Mongault
6. MEREJKOVSKILa Mort des dieux. Julien l’Apostat. Traduction d’Henri Mongault
7. BABELCavalerie rouge. Traduction de Maurice Parijanine
8. KOROLENKOLe Musicien aveugle. Traduction de Zinovy Lvovsky
9. KOUPRINELe Duel. Traduction d’Henri Mongault
10. GOGOLLe Révizor — Le Mariage. Traduction de Marc Semenoff
11. DOSTOÏEVSKIStépantchikovo et ses habitants. Traduction d’Henri Mongault
12. Les Bylines russes — La Geste du Prince Igor. Traductions de Louis Jousserandot et d’Henri Grégoire
13. PISSEMSKIMille âmes. Traduction de Victor Derély
14. RECHETNIKOVCeux de Podlipnaïa. Traduction de Charles Neyroud
15. TOURGUENIEVPoèmes en prose. Traduction de Charles Salomon
16. GONTCHAROVOblomov. Traduction de Jean Leclère
17. GOGOLVeillées d’Ukraine. Traduction d’Eugénie Tchernosvitow
18. DOSTOÏEVSKIMémoires écrits dans un souterrain. Traduction d’Henri Mongault
19. KOUPRINELe Bracelet de grenats — Olessia. Traduction d’Henri Mongault
20. GOGOLTarass Boulba. Traduction de Marc Semenoff
21. LESKOVGens d’Église. Traduction d’Henri Mongault
22. POUCHKINELa Fille du capitaine. Traduction d’Eugène Séménoff
23. LOUGOVOÏPollice Verso. Traduction d’Ely Halpérine-Kaminsky
24. CHMELIOVLe Soleil des morts. Traduction de Denis Roche
25. CHMELIOVGarçon !Traduction d’Henri Mongault
26. GOGOLNouvelles de Pétersbourg. Traductions de Michel-Rostislav Hofmann et Tatiana Rouvenne
27. ILF ET PETROVLes Douze Chaises. Traduction d’Alain Préchac
28. POUCHKINERécits de Belkine. Traduction de Pierre Skorov
29. LESKOVLady Macbeth du district de Mzensk et autres nouvelles. Traductions de Jean Leclère et d’Irène Tateossov
30. TOURGUENIEVPères et fils. Traduction de Marc Semenoff
31. ILF ET PETROVLe Veau d’or. Traduction d’Alain Préchac
32. PILNIAKRiazan-la-pomme. Traduction de Maurice Parijanine, révisée par Michel Niqueux
33. PILNIAKL’Année nue. Traduction de L. Desormonts et L. Bernstein, révisée par Dany Savelli
34. TOLSTOÏLe Faux Coupon. Traduction de Pierre Skorov
35. DOSTOÏEVSKISouvenirs de la maison des morts. Traduction d’Henri Mongault
36. POUCHKINELa Dame de pique — Le Nègre de Pierre le Grand. Traduction de Michel Niqueux
37. LESKOVLe Pèlerin enchanté — Aux confins du monde. Traductions d’Alice Orane et d’Hélène Iswolsky
38. ARSENIEVDersou Ouzala. Traduction de Pierre P. Wolkonsky
39. BOUNINELe Village. Traduction de Maurice Parijanine
40. BOUNINESoukhodol et autres nouvelles. Traduction de Maurice Parijanine
41. ILF ET PETROVKolokolamsk et autres nouvelles fantastiques. Traduction d’Alain Préchac
42. TOURGUENIEVFumée. Traduction de Génia Pavloutzky
43. BOUNINELe Monsieur de San Francisco et autres nouvelles. Traduction de Maurice Parijanine
44. BOULGAKOVCœur de chien. Traduction d’Alexandre Karvovski (Petite Bibliothèque slave)
45. LESKOVLe Gaucher. Traduction de Paul Lequesne (Petite Bibliothèque slave)
46. TOURGUENIEVMoumou. Traduction d’Henri Mongault. Préface de Dominique Fernandez (Petite Bibliothèque slave)
47. BOUNINETrois roubles. Traduction d’Anne Flipo Masurel. Préface d’Andreï Makine (Petite Bibliothèque slave)
Ivan Tourgueniev
Тургенев Иван Сергеевич
1818-1883
MOUMOU
Муму
Traduction d’Henri Mongault, 1938.Préface de Dominique Fernandez
© Henri Mongault, 1938 (in Le Monde slave, XVe année), 1941 (Scènes de la vie rustique, Paris, Gallimard)
© 2019, Ginkgo éditeur. Traduction revue par Xavier Mottez
© 2019, Dominique Fernandez, pour la préface
Couverture : Peinture de Karl UCHERMANN (1855-1940).
Des trois grands Russes de la génération de 1820, Tourgueniev (1818), Dostoïevski (1821) et Tolstoï (1828), le premier n’a pas conquis en France la gloire des deux autres : non pas qu’il leur soit inférieur, mais parce qu’il est suspect de n’être pas assez russe. Il a beaucoup voyagé à l’étranger, c’est vrai, il a longuement séjourné en France, rue de Douai à Paris et dans la datcha qu’il s’était fait construire à Bougival, amant (ou sigisbée) de la cantatrice Pauline Viardot, sœur de la Malibran. Proche ami de Flaubert, de Maupassant, de George Sand, de Mérimée — lequel a été le premier à traduire certains de ses contes —, il serait donc moins purement “russe” que les deux autres, il aurait dilué dans les influences européennes le génie slave qui a besoin de la terre natale pour s’épanouir.
Déraciné, quelle disgrâce ! Occidentalisé, quelle trahison ! Parisien, quelle tare ! On sait que le même reproche a longtemps plombé la renommée de Tchaïkovski, taxé de “cosmopolitisme” parce qu’il admirait Mozart, Schumann et Bizet et dirigeait ses symphonies à l’étranger. Stravinski a fait une fois pour toutes justice de ce jugement stupide, en proclamant « Tchaïkovski le plus russe d’entre nous tous ». On pourrait dire de même que Tourgueniev est, avec Tchekhov, le plus russe de tous les écrivains russes. Les auberges en rondins, les bals de district, les lièvres tapis dans l’avoine, les haltes dans une clairière de bouleaux, les levers de soleil sur les moissons, qui les a décrits aussi bien que ce gentilhomme ? L’éloignement l’a servi, en le forçant à fixer dans les mots les détails qui le frappaient peut-être moins quand il les avait eus sous les yeux.
Ses paysages, ses évocations de la nature sont célèbres en Russie. Nul n’a su rendre avec autant d’énergie poétique la réalité odorante d’un sous-bois à midi, l’envol de perdrix au-dessus d’un champ de blé, les teintes rosées d’un nuage traversé par un rayon de soleil, une charrette qui s’embourbe dans les fondrières du dégel, un froissement de sarcelles dans les roseaux, la montée des étoiles dans le ciel. Il peint avec le même bonheur l’intimité baroque d’une demeure seigneuriale ou la simplicité d’une isba de paysan. Nous humons la buée qui flotte sur le flanc des coteaux, nous respirons l’odeur du seigle fauché, nous voyons la fumée du samovar s’élever en spirales vers les poutres, le cuir des harnais briller dans l’écurie. C’est d’abord cela, Tourgueniev, la présence physique, évidente et sensuelle, de la campagne et des maisons russes, la discrétion d’un lyrisme rustique déroulé sans emphase, avec la justesse d’un homme qui a longtemps chassé dans les bois et marché à grandes enjambées en notant les variations de la lumière, du crépuscule du matin au crépuscule du soir. Mémoires d’un chasseur est son titre le plus connu. Ce n’est pas un chroniqueur des villes, c’est un poète de la nature.
Son art du portrait n’est pas moins admirable. Tout l’intéresse, tout l’amuse chez les humains : la coquette à la recherche d’un mari, le jeune homme timide qui se laisse rafler sa fiancée par son père, l’officier de garnison épris de la boulangère, les enfants qui se racontent des histoires de fantômes, les rivaux en amour qui se battent en duel, les rêveurs qui se couchent sous un arbre en épiant le mouvement des feuilles. « Ce n’était ni le frémissement joyeux et rieur du printemps, ni le lent et doux murmure de l’été, ni le chuchotement timide et frais de l’arrière-automne, mais une sorte de babil ensommeillé. »
Tourgueniev a créé le modèle de “l’homme de trop”, celui qui rate toutes les occasions de s’imposer et laisse filer sa vie en regrets inutiles. On le trouve à l’aise aussi bien pour faire parler un paysan qu’un hobereau ; il donne au cocher, au meunier, au domestique leur langage propre, avec un naturel auquel George Sand, malgré tous ses efforts, n’a jamais atteint, ni Proust, malgré Françoise, ni en général aucun écrivain français, son origine sociale, aristocratique ou bourgeoise, étant un obstacle fatal pour peindre en traits justes les hommes et les femmes du peuple.