Murmure et pénombre du destin - Delphin Albath-Sadiki - E-Book

Murmure et pénombre du destin E-Book

Delphin Albath-Sadiki

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Beschreibung

"Murmure et pénombre du destin" plonge au cœur de la fascinante énigme du destin, cette force invisible qui façonne les vies individuelles et bouleverse le cours des nations. À travers des figures historiques emblématiques telles que Jésus, Mahomet, Martin Luther King, Lumumba, Gandhi, Winnie Mandela et Miriam Makeba, l'auteur a éclairé les multiples visages du destin et comprend celui qui marque sa propre existence. Ce récit vous invite à une introspection profonde, mettant en avant l'impact de l'expérience personnelle dans la compréhension de cette force mystérieuse. Ces personnalités hors normes, bien que parfois éloignées des standards classiques de beauté, possèdent une aura magnétique qui transcende les limites, élévant leurs projets et leurs ambitions à des sommets inattendus. Un voyage captivant au croisement de l'histoire, de la spiritualité et de la réflexion personnelle.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Delphin Albath-Sadiki a cultivé un amour indéfectible pour la littérature, imprégné des œuvres des grands auteurs antiques et classiques. Sur les bancs de son prestigieux collège, il a trouvé l'inspiration auprès de la louve romaine, voyagé avec les aèdes grecs à travers l'Odyssée et suivi chaque pas d'Énée sous la plume magistrale de Virgile dans l'Énéide. Auteur prolifique, il a enrichi le monde littéraire de nombreux ouvrages remarqués, témoins d'un esprit profondément nourri par les lettres et d'une réflexion lucide sur les réalités humaines et sociales.

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Seitenzahl: 948

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Delphin Albath-Sadiki

Murmure et pénombre du destin

Essai

© Lys Bleu Éditions – Delphin Albath-Sadiki

ISBN : 979-10-422-6261-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Sous le ciel ténébreux et palpitant, la savane retient une fois son lent souffle saccadé. L’ombre colossale du baobab s’allonge, vénérable sentinelle figée dans l’attente d’un destin qu’elle devine inexorable. Le vent coulis, pleinement chargé d’un lot de promesses funestes, emporte avec lui les murmures ancestraux vers les lointaines étoiles indifférentes, tandis que le sol craquelé palpite sous la clameur d’une armée invisible, enracinée dans l’éternité. Tout est prêt pour l’assaut final. Dans l’éclat carnassier du brasier, les visages s’illuminent un instant, avant de s’effacer totalement dans le mystère de la nuit noire. Les tambours résonnent dans les cœurs comme un chœur d’outre-monde, martelant l’hymne sourd de la fierté. Chaque battement est un cri, chaque cri une prière. Les guerriers avancent, drapés dans l’ombre du baobab séculaire, leur sang vibrant d’une rage antique. Leur souffle s’accorde à la pulsation de la terre, ivre du sacrifice promis, suspendu au seuil d’une offrande que seule la mort pourra consacrer. À l’appel du cor, les esprits surgissent des racines profondes, traversent le tronc comme un flux d’étoiles ardentes, puis se répandent en volutes invisibles, escortant les vivants vers leur glorieux trépas. Le feu danse à la cime des herbes sèches, éclaire un instant la termitière ocre, lui conférant les allures d’un sanctuaire païen. Et là, dans ce théâtre incandescent, le grand arbre soupire. Est-ce le vent qui le fait frémir, ou la mémoire d’un âge où son écorce portait les griffures des anciens combattants, les serments gravés par des mains tremblantes, les noms disparus que seuls les ancêtres savent encore prononcer ? Les premiers pas du combat se fondent dans le silence du cosmos. Chaque goutte de sang versée sur la terre aride est un poème gravé à même l’étoffe du monde. Le temps se plie, la nuit s’ouvre comme une gueule affamée, mais l’espoir persiste, tenace, dans l’éclat d’un regard, dans la flamme tremblante d’une torche levée vers le ciel. Et le baobab, spectateur éternel, pleure en secret des larmes de sève amère.

Je regarde une fourmi et je me vois une Sud-Africaine, dotée par la nature d’une force bien supérieure à ma taille pour pouvoir faire face au poids d’un racisme qui écrase mon esprit. Je regarde un oiseau et je me vois une Sud-Africaine, survolant les injustices de l’apartheid sur des ailes de fierté, la fierté d’un beau peuple.

Miriam Makeba

Dans la supposition (sans doute gratuite) que Dieu eût créée deux espèces d’hommes, l’une blanche et l’autre noire, ce que nous ne croyons pas contradictoire à sa toute-puissance qui est sans bornes, ne pouvait-il pas avoir doué l’une et l’autre espèce de ce souffle divin que nous appelons âme, et que nous regardons avec raison comme immortelle ? Mais paradoxalement quelqu’un, et c’est bien Montesquieu a pu douter nous disant : on ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir.

L’Interlude

Méli-mélo, la vicissitude et l’assurance

Se mêlent dans l’obscurité du silence !

Elles s’en vont déposer promptement

Un flux de fiel noir rameutant le vent.

Chacun son tour fini et l’horloge tinte :

De sa morne complainte le glas geint,

Et la nuit, la lune feint sa morne moue,

L’aube éveillée rendort l’astre du jour.

Il crachine dans mon cœur de l’amertume

Ensanglantée tel un rouge or crépuscule.

Qu’ai-je donc fait de mon sombre destin ?

L’ai-je maculé au gré de mes faux festins ?

Soudainement, je l’ai retrouvée, ma route

Aux gros écueils et aux piquantes ronces

Qui m’écorchent le cœur et s’y enfoncent.

En pleine fange où s’engluent tous mes rêves,

Je prierai mon destin de garder bien vif encore

Son très bel habit de fortune et sa fantaisie d’or

où, écarlates, mes nuits se confondent un peu

Avec l’astre diurne si rayonnant dans mes yeux !

Laisse-moi encore entendre ce silence profond

Qui, pusillanime comme un singe, hurle au loin

Les stridulations des insectes mêlant leur fond

Aux frissonnements doux des feuilles en pleurs

De mourir si hâtivement au début de la saison.

Méli-mélo, la vicissitude et l’assurance

Se lovent au creux des songes en errance,

Écheveau d’ombres, fil d’écume et de vent,

Où le silence étreint son propre tourment.

Tour à tour s’effacent et renaissent les heures,

L’horloge halète, le glas égrène ses pleurs.

La lune, spectre blafard aux paupières closes,

Se détourne du jour, amante morose.

Il crachine dans mon cœur des larmes de fiel,

Un sang couleur d’ambre aux reflets cruels.

Ai-je souillé mon destin d’ivresses vaines,

Éparpillé mes jours en festins de peine ?

Mais voici qu’au détour d’une aube inespérée,

J’ai retrouvé mon sentier, âpre et lacéré,

Où la ronce, perverse, de ses crocs de velours

Se plaît à taillader mes songes en retour.

En pleine fange où s’engloutissent mes fièvres,

Je supplie le destin d’un fil d’or en trêve,

Un haillon d’espoir, un éclat survivant,

Où mes nuits rubescentes s’embrasent au levant.

Laisse-moi ouïr encore ce silence profond,

Ce souffle incertain qui vacille et résonne,

Telle une plainte ailée sur l’échine de l’automne,

Quand la feuille, frémissante, se donne à l’abîme,

Meurtrie par le temps et son baiser sublime.

Du même auteur

Je ne saurais commencer ce livre dont le titre est bien compliqué sans dire que plus de ces trente dernières années, j’ai pris plaisir à écrire à la fois :

• Prise en charge des catastrophes au Zaïre (RD. Congo), Presse universitaire, Paris IV ;
• L’Ode à la Savane ou les Chants des Manguiers, Edilivre ;
• Les Métamorphoses de Fatuma, une Eve Immaculée, Edilivre ;
• La Métempsychose de Kadogo, l’enfant sacré de la guerre, Edilivre ;
• De l’Aurore au Crépuscule de l’Aube, Edilivre ;
• L’Harmonieuse Symphonie des Destins croisés, Tome I et Tome II, Edilivre ;
• Illusions Désillusionnées, Edilivre ;
• L’Ebène Crucifiée, Éditions le Lys Bleu.

Dans la plupart de ces beaux ouvrages, sinon dans tous ces ouvrages, l’humour et la fantaisie se déploient dans des styles parfois colorés de douleurs étranges et de passions virulentes, parfois amers et nostalgiques. Cela fait de chacun d’eux un miroir fidèle de mon vécu plein de simplicité et d’humilité, en fait un pertinent jouet ardent qui incite à dire, à réfléchir, à pleurer certaines fois et quelquefois à méditer et finalement à rire. Je peux alors me permettre de dire que toutes ces belles œuvres sous formes diverses de chantefleurs ou chantefables seraient des textes de référence importante, aux yeux de la postérité, c’est-à-dire aux yeux de chaque lecteur, des œuvres donc à garder sur le chevet de chacun. Alors, lisez et relisez ces histoires en y prenant plaisir. Peut-être contiennent-elles un sourire, un souvenir, un renseignement, une âme qui semble à la vôtre.

Préface

Dans l’ombre féconde où germe sa pensée si brillante, érétisée par ses nombreuses muses, un génie soudain a pris son envol, portant en ses serres d’aigle l’héritage des siècles et l’éclat des renaissances. Ce livre que vous tenez entre vos mains n’est pas une simple œuvre ; il est l’écho d’un feu sacré, une parole gravée dans la chair de l’Histoire, un mélodieux chant qui défie le silence. Chaque ligne palpite d’une énergie ancestrale, d’une cadence souveraine, d’une résonance qui traverse le temps.

Car ici, dans cet écrin de mots ciselés avec une précision d’orfèvre, se déploie l’âme d’un artiste dont la plume est un sceptre, dont l’encre dorée est un sang royal. Écoutez ! Écoutez le murmure des ancêtres, la rumeur des batailles, le frémissement du destin qui se tisse sous vos yeux. L’auteur, héritier des songes et des orages, des rêves les plus palpitants et des souvenirs ineffaçables, a su capturer l’indicible et le livrer dans sa plus pure essence.

Il est de ces livres qui ne se contentent pas de raconter, mais qui invoquent, convoquent, ressuscitent. Il est de ces rares auteurs qui n’écrivent pas seulement des phrases, mais forgent des mythes, colorent les mots. Chaque page est un temple, chaque phrase un pilier où résonne la vérité des siècles.

Que celui qui lit s’apprête à être chaviré. Que celui qui ouvre ce livre se prépare à une traversée où chaque mot est une étoile, où chaque paragraphe est une constellation éclairant l’infini du verbe. Car ici, dans cet espace purement sacré, la littérature n’est plus une simple discipline : elle est un sacrement. Ainsi se dresse ce chef-d’œuvre, dans la splendeur de sa propre nécessité. À vous maintenant d’en ouvrir les portes et d’y laisser pénétrer votre âme.

Dans l’antre sacrée des lettres, où se tissent les fils d’or de la mémoire et du verbe, surgit en effet une œuvre qui défie le temps, une fresque où chaque mot résonne comme une incantation, où chaque phrase porte en elle l’empreinte de l’éternité.

Cet ouvrage, tel un astre déchirant les ténèbres, s’impose non seulement comme une quête de vérité, mais aussi comme un souffle d’âme, une mélodie envoûtante, une odyssée où l’homme se mire dans les reflets de sa propre destinée. Et derrière ce chef-d’œuvre se dresse une plume ardente, un esprit d’une rare acuité, un alchimiste du verbe dont la sensibilité transfigure l’ordinaire en miracle.

Dès les premières lignes, l’évidence s’impose : nous sommes face à un livre qui ne se contente pas de raconter, mais qui transcende, qui exalte, qui grave dans le cœur des lecteurs une empreinte indélébile. Loin des artifices creux, ce livre est une offrande, un chant sacré où l’amour et la douleur, la splendeur et l’abîme s’entrelacent dans une danse hypnotique.

Je me suis laissé emporter par la force de cette écriture, par l’écho des âmes qui y vibrent, par le frisson d’une parole qui sait dire et interpréter l’indicible. J’y ai vu l’ombre et la lumière, j’y ai entendu la clameur des espérances brisées et le murmure des âmes qui s’élèvent. Alors, lecteur, ouvre ce livre comme on entrouvre les portes d’un temple. Laisse-toi happer par son souffle. Entends la voix qui s’élève, celle d’un auteur qui, par son art magistral, nous rappelle que la littérature est ce lieu où l’homme touche à l’immortel.

Et moi, totalement en émoi et dans l’humilité et la fierté mêlées, je rends hommage à cette œuvre qui n’est pas seulement un livre, mais un legs, un phare dans la brume du temps. Que celui qui le lit, le ressente. Que celui qui l’écoute, s’en souvienne. C’est avec une émotion profonde que je vous présente ce livre sublime, consacré à un thème qui a marqué de manière indélébile l’histoire de l’homme et même de l’Univers : le Destin. Écrit par l’incomparable docteur Albath-Sadiki, mon oncle, cet ouvrage n’est pas simplement un essai de réflexion – bien que celle-ci ne se veuille ni exhaustive ni définitive – mais plutôt une série de pensées vibrantes, de raisonnements percutants, et de suggestions enchevêtrées autour de ce sujet qui, depuis l’ère du bronze, a ébranlé les consciences.

L’ouvrage, tout en restant loin de toute prétention à l’exhaustivité, s’articule à travers des approches successives, souvent fondées sur les expériences vécues ou des perspectives forgées dans le quotidien. La question de l’impact réel du destin sur la vie humaine est l’une des plus anciennes et fascinantes, oscillant entre philosophie, religion et physique. Comme le souligne l’auteur dans ce livre palpitant, il n’y a pas de réponse simple, car celle-ci se dessine à travers des perspectives multiples, des méandres houleux et parfois contradictoires. Dans cette dynamique, la vision quotidienne du destin devient une réalité tangible : pour beaucoup d’entre nous, il est omniprésent, palpable, et essentiel à l’organisation même de notre existence.

Cet ouvrage, riche de réfractions brillantes et de multiples facettes, tente d’approcher, ne serait-ce que par effleurement, le murmure discret et la pénombre qui entourent ce concept insaisissable. Loin de vouloir dispenser des leçons ou de tracer une histoire linéaire de ce que pourrait être le destin, l’auteur nous invite à une réflexion sérieuse, un parcours à travers les divers registres que ce mot engendre : la divinité (ou Dieu confondu avec la Providence), les religions, le spiritisme, la philosophie, et les deux mondes apparemment opposés – mais si proches – de l’Afrique et de l’Europe.

Comprendre le destin, c’est d’abord se confronter à une notion infiniment complexe. En ce sens, l’auteur n’hésite pas à citer l’adage : « beaucoup sont appelés, peu sont choisis », rappelant ainsi que l’homme, depuis l’Antiquité, a toujours cherché à approcher ce concept par approximation. Car le destin n’est pas une science exacte, et pourtant, chaque être humain, consciemment ou non, entretient son propre avis sur cette question vertigineuse. Il existe, en effet, une forme de connaissance qui reste hors de portée, semblable à une étoile fugitive dont la lueur fine éclaire le ciel grisé par nos préoccupations existentielles.

Les philosophes ont longtemps débattu de la nature du Destin. Certains le considèrent comme une simple illusion, d’autres comme une construction mentale, et d’autres encore comme une réalité fondamentale de l’univers. Pourquoi une telle complexité ? Parce que la nature du destin est intrinsèquement subjective et varie selon notre état émotionnel, nos actions et notre environnement immédiat.

Dans cette préface, qui introduit l’un des essais les plus stimulants de la création contemporaine, j’ai l’opportunité de vous faire découvrir non seulement l’essence de ce grand ouvrage, mais aussi un pan de la littérature congolaise dans toute sa diversité. Murmure et Pénombre du Destin s’adresse à tous, jeunes et moins jeunes, et pousse chacun de nous à questionner notre propre compréhension du destin. Le dialogue final entre l’auteur et ses ancêtres résume parfaitement cet ouvrage : « Et si j’eusse entièrement perdu celle de gagner le beau Nirvana, l’Eden ou le Paradis, j’aurais mieux aimé faire une tentative du côté de mes bonnes étoiles allumées par mes ancêtres et les aligner à mes faveurs. »

L’essai est ainsi une défense argumentée, à la fois drôle et sérieusement documentée, d’une thèse remplie de clarté et qui, bien qu’apparaissant simple et lumineuse, nous confronte aussi à des vérités plus profondes et quelque peu terrifiantes. La lecture nous transforme ; elle nous bouscule. L’auteur nous prend à partie, nous apostrophe, et nous plonge dans un univers d’images et de références riches, où le murmure et la pénombre, symboles de l’invisible et de l’indicible, hantent son esprit.

Le docteur Albath-Sadiki, en sa qualité de médecin, se montre dans cet ouvrage plus mesuré, plus rassurant. À travers le destin de personnages comme le gladiateur ou le toréador, il nous aide à comprendre que, bien souvent, c’est l’humain qui décide, mais que les circonstances, la chance, la malchance et le hasard peuvent changer le cours des choses. L’homme propose, et la Nature dispose. C’est ainsi que, dans une forme de sérénité, nous nous laissons entraîner par le murmure du destin, qui, bien que difficile à appréhender, s’inscrit dans nos vies quotidiennes. Quant à moi, moralement emporté par le saisissement dégagé par ce bel ouvrage, j’ai essayé de maintenir la chaleur et cette émotion tout en renforçant la cohérence du contenu de ce beau livre et en affinant les images pour qu’elles soient encore plus puissantes.

Les exemples concrets de l’Afrique, notamment les luttes pour la liberté, servent de puissants révélateurs. L’auteur, avec une clarté déconcertante, montre que le destin de tout un peuple peut parfois être entre les mains d’un individu. À travers des figures emblématiques comme Winnie Mandela, l’auteur nous dévoile, avec une émotion palpable, la richesse de leur lutte et de leurs sacrifices. Mais il ne se contente pas de glorifier leurs exploits ; il met également en lumière les failles humaines, les doutes, les blessures qui ont jalonné leur parcours.

L’Afrique n’est pas qu’un décor ; elle est le cœur battant de ce livre. Winnie, Makeba, Zauditu… l’auteur, avec une sensibilité rare, montre que ces héroïnes étaient non seulement des figures de résistance, mais aussi des femmes humaines, pleines de doutes et de vulnérabilités, qui ont su transcender leurs peines pour incarner un idéal. C’est donc avec une immense fierté que je préface cet ouvrage, véritable témoignage vibrant de l’impact de ces figures africaines dans l’histoire. Je ne peux que vous encourager à lire ce livre, à vous laisser emporter par cette plume rare et profonde.

En somme, Murmure et Pénombre du Destin est une quête à travers les ténèbres, une exploration de ce que ce mot « destin » signifie pour chacun de nous, à travers des exemples marquants et des réflexions lumineuses. L’auteur nous invite à poser un regard sincère et neuf sur le destin, tout en nous laissant libres d’y trouver notre propre réponse.

Prof. Mbambi Eustache, ancien Directeur d’écoles, ancien Maire-Adjoint d’Apnée-sous-Bellême (61 Orne).

Prologue

Majestueux et souverain, le Lualaba jaillit de l’ombre minérale du mont Musofi, comme un antique secret mystérieux enfin révélé. Issu des entrailles chtoniennes où le temps dépose ses mystères, il éclot, divin, en un geyser brûlant, ciselant le roc de sa fureur première. Dès lors, entame-t-il son errance fabuleuse, son exode torrentiel à travers les épines de la brousse, où l’acacia étire ses bras suppliciés et où les flamboyants, en une orgie de pourpre, dansent sous l’embrasement du ciel empourprée par le soleil levant.

Encore une simple rivière, impétueuse et souveraine, elle cascade, impalpable chevelure d’onyx liquéfié, sertie d’éclats d’ambre et d’ors éphémères. Ses vagues s’écharpent et se fondent en linceuls d’argent, frissonnant sous le baiser du crépuscule. En s’unissant à l’horizon vert des forêts galeries à qui elle distribue des couleurs vert-merveille, elle s’abandonne aux prairies constellées de violettes et de myosotis célestes, aux caprices des rivières enlacées de joncs et d’iris d’or. Sa caresse translucide fait chanter la mousse soyeuse sous les pas, et son murmure berce les esprits fatigués du poids du monde.

Elle serpente et se meut, nourricière et vénéneuse tout à la fois. Son fluide immémorial fertilise la terre rebelle et, bien amicalement, invite l’éveil des manguiers millénaires, gardiens ombragés des villages, et des avocatiers, des palmiers aux feuillages langoureux. Mais sous cette bienveillance ruisselle une tentation fatale : le sol de ses rives, gorgé de richesses insondables, attise les convoitises. Alors, elle devient théâtre de sang et de trahisons, initiatrice de querelles où se reflètent, écarlates, les larmes des enfants du pays.

Dans sa course effrénée vers le nord, elle dévoile l’écrin caché de Kabokwa arrosant de bienfaisance liquide la bourgade de Karomo, ce village de savane suspendu aux lèvres de cette rivière capricieuse. Là, parmi les parfums fauves de la terre et l’effervescence du vivant, se dressent les manguiers antiques, témoins des âges. Là, sous le regard éthéré du soleil, valsent hirondelles et sauterelles en un hymne perpétuel. Les torrents qui mugissent au creux des rocs déchiquetés semblent chanter la mémoire des siècles, tandis que la savane, fauve et brûlante, respire au rythme des ombres furtives et des échos d’antan.

Mais ici, l’oubli n’est point permis. Car dans les ombres des clairières dorées, sous les frondaisons des grands arbres, rôdent encore les spectres de ceux qui, naguère, marchaient en soldats perdus, drapés dans le mensonge de la « mission civilisatrice ». Sous les étendards de croix et de croissants, ils foulaient la terre sacrée, semant dogmes et chaînes, croyant offrir la lumière et n’apportant que le fer et le feu. L’histoire les a dispersés, mais l’eau de Lualaba, elle, n’oublie rien.

C’est là, en cette terre d’échos et de réminiscences, que je suis né. Enfant de la savane, tisserand de songes et de mémoires, je porte en mon regard les reflets changeants du fleuve. Rien ne m’échappe : ni le secret le plus enfoui des âmes, ni la voix du vent qui fredonne aux myrtes, ni la prière muette des asphodèles. Mon existence s’est tissée, fidèle et simple, autour des principes immémoriaux qui, tels les étoiles d’une ancienne constellation, illuminent la nuit obscure du destin. Ainsi, à travers les vapeurs d’or qui flottent sur ma mémoire, j’entends en moi le chant feutré de la terre natale, murmure et pénombre mêlés, promesse et mystère entrelacés.

Alors parfois, dans la solitude des nuits africaines chaudes, lorsque mes paupières se ferment, il me semble voir des mains invisibles, parsemant l’air de pétales comme au cours d’une procession sacrée. Des fragrances d’encens et de myrrhe montent de la savane, se mêlant à la chaleur soyeuse du vent. Il me semble alors marcher dans un Eden oublié, où la lumière s’habille d’ombre et où l’ombre comme un vrai sémaphore maritime palpite de lumière. L’existence devient un songe en suspens, une brise où résonne l’écho d’un ailleurs.

Car n’est-ce pas ainsi que s’écrit toute destinée ? Entre clarté et obscurité, entre murmure et pénombre, nous avançons, titubant sous le poids du mystère. Le fleuve nous devance, déroulant l’épopée d’un monde en équilibre précaire. Le destin ne se livre jamais tout entier, il se laisse deviner dans le miroitement fugace d’une cascade, dans la douceur amère d’un parfum perdu. Et tandis que nos pas s’égarent dans les méandres du temps, nous cherchons une lumière si éclatante qu’elle en devient invisible.

Lualaba, toi qui recueilles les espoirs et les larmes, qui portes en ton sein le poids des siècles et des âmes errantes, chante encore pour nous la litanie des destins entrecroisés. Épanche sur nous ton onde séculaire, lave nos blessures et nos illusions. Que dans le miroir de tes eaux, se reflète non pas ce que nous fûmes, mais ce que nous serons. Ainsi, sur le seuil du crépuscule, nous ne craindrons plus d’avancer, même à tâtons, même à l’aveugle, car nous aurons appris à voir dans la pénombre, et à écouter dans le silence.

Le mérite, ce sel invisible qui donne saveur à l’existence, n’est pas une route pavée d’or menant inéluctablement à une récompense prévisible et sûre. Non, il est en fait cette alchimie fiévreuse entre la persévérance et le hasard, cette transe délirante où le sage avance, titubant parfois, mais habillé d’une foi indomptable. On se bat, on s’écorche les mains sur le roc de l’effort, on fixe l’horizon brumeux, l’âme haletante, en quête d’une justice impalpable. Mais le mérite ne se fait pas douanier des récompenses ; il ne distribue pas des tickets d’accès au palais du triomphe. Il est une errance, une tension, une promesse qui parfois s’accomplit là où on ne l’attendait pas. Parfois, le prix est ailleurs, caché dans l’ombre d’un chemin secondaire, moins flamboyant, mais d’une richesse insoupçonnée.

Et puis, il y a la chance, cette comédienne capricieuse, qui décide qui boira à la coupe de l’excellence et qui restera assoiffé au seuil du banquet. La bonne rencontre, la santé, la brèche inespérée dans le mur du destin : autant de clés qui ouvrent des portes que le mérite seul ne saurait forcer. Sur cette terrasse battue par les vents des dogmes et des empires, sous un ciel où tournoient des rapaces idéologiques, la loi du plus fort griffe la pierre et saigne la vérité. À l’ombre des litiges de croyances et de foi, des joutes de nations, s’érige une scène presque mythologique, un décor de néogothisme déchiré, voisine d’un enfer qui se cache sous un masque de féerie.

L’Homme, fragile grain de poussière, n’a cessé de s’interroger : le destin est-il un fleuve aux rives déjà tracées, ou une mer houleuse dont nous sommes les capitaines hasardeux ? Le temps grince sous le poids des questions millénaires, balancées entre le rationnel et le mystique. D’un côté, la science décortique, refuse l’invisible, n’accorde aucun sésame au royaume du spirituel ; de l’autre, la mémoire des peuples chante encore les oracles, les desseins impalpables gravés dans les entrailles du cosmos.

Le christianisme parle d’un ciel promis, l’hindouisme rêve d’une roue cosmique, et le bouddhisme murmure l’illusion du tangible. Pendant ce temps, la science, armée de ses microscopes et équations, dissèque le réel et s’irrite des mystères qu’elle n’a pas encore domptés. Et nous, pauvres être fébriles, où nous plaçons-nous dans cette bataille entre le mesurable et l’insaisissable ? Alors, faut-il choisir un camp, ou simplement danser sur la crête de cette interrogation infinie ? Peut-être que la vérité ne se tient pas dans une tour d’ivoire, mais au croisement des voix, là où le rationnel et le mystique se frôlent sans jamais se dominer.

J’écris, et soudain une question foudroie ma plume : mes mots portent-ils une empreinte occidentale, une trace des scribes nourris au lait de la louve romaine ? Mais non, je n’emprunte la parole à personne. Je suis un enfant d’Afrique, né sous le regard immense du fleuve Congo, et mes mots chantent une vérité qui m’est propre. Une vérité forgée dans la terre rouge de mes ancêtres, sous le souffle des dieux que l’Occident ne connaît pas. Une vérité qui danse entre le mérite et le hasard, entre la brume du destin et le feu du libre arbitre.

Dans la vie, oser se mouiller

Pieds faussement plantés au sol

Tout être vivant, comme tout organisme vivant, du plus petit au plus grand, se trouvera à un moment de sa vie la cible d’un ou plusieurs ennemis, c’est la loi de la Nature. Cela peut mettre en jeu sa survie en tant qu’individu, population ou espèce. D’une manière générale et un peu étonnante, cette lutte pour sa propre protection ou celle de son semblable peut être considérée comme une manière biaisée d’utiliser les ennemis des espèces considérées comme nuisibles, pour en réguler la population en dessous d’un seuil acceptable ou pour la supprimer totalement de la surface terrestre. C’est ce qu’on a pu voir dans les Amériques où le peuple indien a presque été exterminé, c’est ce qu’on a pu voir pendant le génocide rwandais et c’est ce qu’on continue de voir à Gaza et sur les collines du Kivu, en République Démocratique du Congo. Dans la pratique cette lutte entre espèces ou entre les races humaines a été de fait depuis le balbutiement des intérêts individuels, claniques et plus tard nationaux et c’est ce qui se passe en Ukraine où la guerre des intérêts entre la Russie et l’Occident fait rage et cela au désavantage et au mépris du peuple ukrainien dont le sang est répandu chaque minute. Il faut bien se rappeler que toute civilisation, par peur de l’autre partie en face ou par pur instinct de conservation, n’aime pas la cohabitation pacifique avec une autre civilisation qu’elle jugera ennemie. Alors dès la première rencontre ou le simple chevauchement de deux civilisations différentes mitoyennes, celle qui est la plus outillée technologiquement ou pour quelque peu physiquement essaiera, quoi qu’il lui en coûte, d’exterminer l’autre. Cela prouve que c’est le fanatisme ou le complexe de supériorité de certains qui sont la pomme de discorde. Si chacun pouvait vivre d’égal à égal avec l’autre, il n’y aurait même pas besoin de fumer le calumet de la paix : il n’y aurait alors pas ces guerres absurdes et ces massacres sanguinolents. Mais paradoxalement, chacun se méfie de l’autre qu’il ne veut même pas connaître et l’honneur sera à qui tirera le premier coup.

Partant de cette austérité répandue généreusement de façon naturelle dans la Nature, loin de moi l’idée fixe et déterministe de considérer l’aléa hasardeux comme normal et ce qui se déroule conformément aux prévisions heureuses ou aux mille et un souhaits charmants comme exceptionnel. On dirait que dans la vie, tout est tantôt accidentel, miraculeux, mystique, tantôt décidé, on ne sait comment, à la fois pour toutes en jetant dans nos sourdes oreilles un sanglant alea jacta est, les dés sont joués, vous pouvez circule : il n’y a plus rien à voir ! Mais l’entière œuvre de l’homme ne fait que commencer, commencer comme un miracle et sûrement elle commence malheureusement sans lui : l’homme n’est jamais seul sur la scène palpitante de la vie pour jouer son propre rôle de la vie dans ce théâtre permanent bouillonnant dont il ignore complètement les personnages principaux, les coulisses et les rideaux à tirer ou à fermer. On vit là, semble-t-il, pieds faussement bien plantés dans le sol ou béatement assis sur un siège éjectable ; on essaie d’agir, de réagir ou de résister croyant connaître par cœur son rôle, mais on se découvre en train de baragouiner alors que sur la scène on n’a pas de souffleur. En fait, il semble qu’on n’est que des marionnettes articulées par une puissance qui totalement nous échappe et tyranniquement nous gouverne en nous bernant à sa guise !

Et puis contrairement à ce qu’on espérait ou croyait espérer, la tête flotte quelque part ou par un hasard inattendu émerge à fleur d’air ; et l’on se sent étouffé sans savoir pourquoi ; on rêve du matin au soir à l’impossible : on perd son temps, ce temps précieux qui nous échappe ! Maintes fois, on ne récolte pas ce que l’on a planté et pour cause ! C’est l’épopée de la troupe qui nous fait choir dans l’illusion, car nous ne savons même pas jouer notre propre rôle et pourtant malgré nos failles la scène doit continuer à se dérouler : la Nature est impatiente à nous jeter hors de sa vue ! Mais cette épée de Damoclès toujours menaçante sur nos têtes, ce spectacle de deuil forcé tombant au milieu de nos pensées ardentes et de nos souhaits impatients en arrêtent brusquement le cours pour y jeter dans nos yeux une ombre pleine de deuil et de tristesse. Il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée, à suivre le chemin déjà jalonné de deuil et d’obscurité, mais que dès le départ il ne peut apercevoir que comme flouté, pour parvenir à être présent au rendez-vous de la conquête finale qui puisse le conduire vers un hypothétique happy end. Et pourtant il ne s’agirait que de trouver deux premières lignes, les lignes fatidiques du départ le saisissant dans l’à-propos de son plus intime souhait du moment, chose que l’habitude des cours, la science du monde, l’observation, l’expérience, etc., ne facilitent pas beaucoup dans un certain rang social.

Je ne suis pas cet homme qui attend son métro et qui ne voit passer que les métros en sens inverse ni celui qui voit son verre à moitié-vide : je me débrouille toujours pour l’avoir à moitié-plein. Je ne prétends pas non plus utiliser dans ma vie la politique de la chaise vide ni la technique de chaise, c’est-à-dire celle qui consiste à sauter de l’avion, donc du destin avec une chaise et au dernier moment, juste avant de s’écraser au sol, sauter de la chaise, le destin ne me le permettrait point : je tomberais écrasé par la pesanteur, car tous les temps la nature humaine part à vau-l’eau. C’est pourquoi je préfère hurler avec les loups en suivant l’opinion commune. Par ailleurs, je ne tire jamais le plan sur la comète, préférant m’adapter au coup par coup et me disant confidentiellement : advienne qui pourra ! Autrement dit, j’ose et je me mouille retroussant toujours mes manches. En effet, on est d’autant plus apte, plus disposé à s’ouvrir à l’inattendu que l’on dispose au fond de soi d’une certaine capacité à agir, à faire contre mauvaise fortune bon cœur et à chercher à se mettre sous les bonnes étoiles en évitant de passer sous les fameuses fourches caudines s’efforçant de vous chasser de vos neiges, de rapine et de carnage, vous qui voulez jouir du travail, du sol, et du soleil d’autrui, étant donné le vol et le massacre !

Accepter de se laisser déconcerter par la vie même lorsqu’elle nous malmène serait le meilleur moyen de faire de jolies découvertes y compris et surtout sur nous-mêmes. Ne jamais baisser facilement les épaules ni se réfugier sous l’ombrelle d’une quelconque procrastination lâche et risquée. Si, par inadvertance dans une scène où l’on joue un rôle fatidique, l’on a oublié son texte, en regardant les lèvres du bon souffleur, on saura la bonne phrase, le mot juste, le geste oublié. Se laisser alors coûte que coûte se surprendre, c’est aussi accepter le choc que l’émotion déclenche devant l’inconnu ou le vide, autrement dit une prise de conscience, un rebond positif de l’esprit. Le vide n’est pas aussi vide qu’on peut le croire, il est rempli de surprises. En cédant la place à l’abattement, au désespoir ou à la joie, nous remarquerons vite que la surprise de ce vide nous questionnera sur nos vrais désirs, nos ambitions, nos peurs, nos rêves ou nos inévitables chocs. Elle nous met du sel et du répondant sur notre courage.

Qu’on soit mage, shaman, sorcier ou d’autres éminents primats, nul ne peut savoir quand une surprise, un imprévu, un accroc frappera lourdement à sa porte : un oiseau qui va mourir n’a pu savoir comment promptement utiliser ses ailes pour échapper à la mort par une vipère ! Pourtant l’on est toujours libre d’avoir préparé la table, la guillotine et le lieu même de sa propre exécution ou de sa propre tombe ou d’être complice de sa propre mort… Cela se produit comme sous l’effet d’un coup de baguette magique, une de ces baguettes merveilleuses ou maléfiques, de ces bagues surprenantes, de ces talismans, de ces poudres, et mille autres curiosités pareilles, qui opèrent tant d’effets prodigieux, parce que nous n’avons pas dans ce pays-ci la véritable matière dont elles doivent être composées : la vie aussitôt reprend ses droits malgré tout et émerge du milieu de la tragédie comme sous l’effet d’une baguette magique, d’un talisman ou d’un gri-gri. Il faut toujours y penser. La vie est comme un pantalon sans fond soutenu par les fines bretelles de l’inconnu que nous-mêmes nous ne pouvons attacher : il faut parfois des entrailles solides de fer inoxydable pour supporter ses nombreux caprices et soubresauts, il faut toujours y croire ; çà et là, une étoile luira sur son ciel ! Un bon atterrissage se fera sur la lune ou éventuellement sur un autre astre, sans doute le meilleur astre pour notre destinée.

La vie une nébuleuse valse

D’autre part depuis mon adolescence, j’ai toujours eu devant mes yeux cette idée me talonnant éternellement la cervelle, à savoir que l’existence est une valse inharmonieuse dansée à trois temps. Ainsi l’adolescent que naguère je fus à ce moment-là rêvait amplement sa vie valsant ses pas à trois temps. Mais devenu adulte, je ne cesse de m’interroger sur le changement de vie auquel tous temps, chaque minute je suis énergiquement confronté. Plus tard, me disais-je pour me consoler, on s’y fera : donc pour tout accepter, restons philosophes, me disais-je chaque fois que j’y pensais ! On la repensera, la regrettera peut-être, on essaiera même de la recréer si elle est complètement fichue, mais très en vain ! À un certain moment de la vie, désillusions et regrets avec un grain d’amertume complètement nous assaillent. C’est que brutalement cette valse classique connaîtra rapidement un violent changement de rythme et même de tempo devenant ainsi une danse existentielle, une danse pyrrhique bien plus animée qui devait dès l’enfance être apprise par cœur pour s’incruster profondément la cadence du rythme de la vie et de tous ses silences, ses tacets et ses bémols. S’il faut les prendre pour autre chose qu’un thème, qu’un canevas où la broderie n’est qu’indiquée, si, alors, ils étaient, dans mon esprit, définitifs, ils marquent le premier pas d’une évolution d’un homme à la recherche de vérité vers l’apaisement de l’esprit, ou vers un certain soulagement, celui qui, conservant les allures de l’espoir, se libère néanmoins de la tyrannie de la pensée despotique émise par les autres et de la superstition du nombre constant.

Il n’y a, semble-t-il, pas de réflexion à faire pour se dérober de cette première danse de la vie tant nous n’avons jamais été consultés pour son brutal début, tant son passage éphémère paraît impétueux, obligatoire et impérieux. En effet, c’est elle qui nous initie à tomber et ensuite à nous relever, toujours nous relever avant qu’il ne soit trop tard. Elle nous reconnecte avec nous-mêmes, éveille nos émotions et nos sens de façon naturelle et désinhibée. Ainsi phare de la côte aux mille écueils de notre vie basse, sémaphore fidèle placé comme par hasard devant nous, à gauche, à droite, derrière nous, il brillera sur les côtes projetant pour nos yeux ses lumières de toutes les couleurs blanches, jaunes, rouges, tournantes, pareils à des yeux énormes, à des yeux de géant qui nous regardent, nous guettent, attendant avidement que nous eussions disparu avant même que la pluie nous fouette la figure ou que nous perdions les pales de l’hélico qui fait planer notre vie sans pilote visible. Croyez-moi, la nature s’en fout des vivants et des morts : elle est toutefois prête à faire place à ceux qui vont naître.

Tels des marins naufragés dans une lagune austère, nous irons lentement chercher asile vers ce phare lumineux dressé devant nous comme une tour fantôme qui malheureusement va tout à l’heure s’effacer si on ne prend pas garde, rentrant dans la nappe de brume d’où elle vient de surgir. Jusqu’aux limites de notre hiver, un rude hiver que nous n’ayons jamais eu au paravent, cette brume envahissante poursuivra notre vie de ses reflets sarcastiques. Dans cette danse fantastique, mais dansée à pas hésitants et trébuchants, ses feux follets des maremmes, simples vapeurs en combustion violente, feront étonnamment frissonner brusquement les poils de nos pores et ardemment verdir davantage l’iris de nos yeux : expérimentés par ce tempo envoûtant, nos doigts se laisseront délicatement promener avec légèreté sur des cordes d’or, et nos bras arrondis en duo et en cavalcade s’entrelaceront dans cette éternelle danse fatale, pourtant voluptueuse, mais souvent, très souvent illusoire, sinon évanescente.

Cependant, soyons toujours vigilants pour que cette danse devenue déchaînée ne se tourne en fiasco et ne devienne un pêle-mêle de contorsions véhémentes avec des mouvements endiablés, de coups de pied toujours adressés au même endroit, de cris stridents, de gestes inadaptés, de sons de cloches, de vibrations métalliques, de chansons iréniques, de pétards et de fanfares, au final une danse frénétique et macabre, prélude de la fameuse ronde oubliée du sabbat, qui, de tous ces couples démontés, emportés dans un tourbillon forcené, faisait un élément, une force aveugle d’éclatement de rires de désespoir ! Ces danses, vives, violentes, étaient bien un signe prémonitoire à notre noyade, qui, de tout être humain, fera une victime de plus dissoute dans cette force aveugle qui nous gouverne et peut-être même nous dicte son diktat. Le risque est que prenant le pas n’éclate finalement une danse épileptique, furibonde, cette danse épuisante qui verrait se succéder en elle en revue le film de notre vie chaotique n’aboutissant sans doute pas à un happy end. L’on peut amèrement regretter d’avoir toute une vie tenté le diable !

Le hasard ombreux

Ne dit-on pas « qui ne risque rien n’a rien » ? Mais attention, une tension coexiste dans cet adage ! Sous prétexte que « qui ne risque rien n’a rien », on dénonce le rôle stérile du bon sens, que l’on représenterait comme l’ennemi du risque : c’est comme si l’on prétendait que l’ennemi du danseur de corde, c’est son balancier, celui du poisson, l’eau dans laquelle il nage. C’est bien le cas de ce beau jeune homme voyageur déposé par hasard dans un carrefour inconnu et loin de tout habitat par une voiture qui l’a pris en autostop. Deux heures d’attente d’un autre véhicule hypothétique et déjà il fulmine d’être posé là dans un désert où rien ne circule. Il finit par se rendormir, tête appuyée sur un rocher. Il eut un rêve obscur : il nous raconte ce qu’il a vu, les mers qui ont passé sous lui avec les poissons et les navires, les grands déserts vides qu’il a contemplés du haut des cieux, et toutes les moissons qui se courbaient dans la campagne comme pour lui faire un vibrant salamalec, et les plantes qui poussaient sur les branches des peupliers. Voici un nouveau livre de l’auteur de l’Homme qui tue, qui, lui, ne nous présente pas un quidam de convention parcourant sur son légendaire coursier un désert brûlant décrit par le romancier, les pieds sur les chenets. Et puis enfin, quelque chose que je ne saurais vous dire et qui est sans doute ridicule, c’est que la campagne sous la pluie lui paraît, à cause de son impatience, être un désert lointain, lointain. Tout ce qui lui restait de force et d’énergie ne vivait plus que dans l’espoir du matin blême qui bientôt monterait à l’horizon, ramenant avec lui l’éveil des choses et des gens, faisant surgir d’autres visages d’êtres humains, repeuplant ce désert sombre qui l’épouvantait. Tout à coup, la végétation cessa, et il se trouvait au milieu d’un désert silencieux et sombre, où l’on n’entendait que le frémissement mesuré du vent, où l’on ne distinguait, à la lueur de la lune, que les flancs pelés et les rudes arêtes de la montagne. C’était bien un affreux désert que dès sa naissance sa vie a rencontré quand la Providence ni la Nature ne l’égayaient pas de leurs mirages, un désert morne et plat où tout se perdait, se nivelait sous la même intensité monotone, amour naïf d’un enfant de vingt ans, caprice d’un ado passionné, où tout se recouvrait d’un sable aride soufflé par les destins brûlants.

Réveillé par le crissement d’une hirondelle qui a crotté sur sa tête, il prend conscience qu’il ne se trouve nulle part, dans un no man’s land effroyable. Au hasard de l’aventure, il prend avec peur panique, à pied, une petite route sinueuse qui finalement le mène directement dans une maison complètement isolée, un endroit à premier abord divin et enchanteur, au bord d’une cascatelle dont l’eau chantonne comme une fée des contes. Les propriétaires de la maison enfumée étaient des gens adorables et accueillants. Ils lui donnent une fourchette pour dîner et un lit moelleux pour dormir. Il décide donc de tout gracieusement accepter, de tout céder à une générosité de cœur aussi palpable, qu’inattendue. Le dîner délicieux et copieux lui permet de faire connaissance avec cette fille pulpeuse qui lui souriait à table. Imaginez-vous, c’est avec elle que, miracle de la vie, il partagera la vie et la parenté d’une pouponnière bien fournie. Cet incident a été pour lui une révélation exceptionnelle, inattendue, une prodigieuse surprise de son existence. Voilà où parfois les arrêts intempestifs et les sorties de route peuvent avec les aléas qu’ils impliquent nous amener ! Voilà donc un signal pour ouvrir la porte à l’inattendu à condition, bien entendu, de rester ouvert à toutes les surprises et à leurs surprenants corollaires.

Un autre cas aussi intéressant, un trio de généraux prennent le pouvoir en renversant le gouvernement tyrannique en place. Pourquoi nommeront-ils un tel comme chef du futur pouvoir et non un tel autre alors que chacun d’eux jouait sans s’arrêter, avec une effroyable chance, une de ces chances de condamnés qui font peur au joueur heureux lui-même, lorsqu’il rentre le soir, bourré de billets de banque, stupide et perclus ? Quelle divinité, quelle force jouent-elles le rôle de leur indiquer vers quel parti pencher ? Le charisme, diriez-vous bien, un don conféré par la grâce divine peut-être, ou sans doute tout simplement la chance, qui est, comme on le comprend facilement une manière favorable ou défavorable dont un événement se produit en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes en œuvre, en réalité et à vrai dire, qui n’est qu’un coup audacieux du meneur révolutionnaire pour réunir et étaler ses forces dans une circonstance favorable et avec des chances imprévues ! Le jeu subtil a cela de bon qu’il n’exige pas un talent particulier pour y réussir à bien mener l’orchestre. Le soin de former des rois n’est plus nécessairement confié au sacerdoce de la cure romaine ni aux mollahs de la mosquée d’en face, et la nature y supplée soit par l’hérédité qui livre le trône aux chances inégales de la naissance chez les bien racés, soit par l’élection populaire, qui laisse en dehors l’influence religieuse pour constituer la monarchie suivant des principes démocratiques.

Le jeu, avouons-le, a cela de bon qu’il n’exige pas au préalable un talent particulier pour y réussir avec flair et ardeur, à moins que n’intervienne un long apprentissage de manigance, de manipulation, parfois de tricherie ; au moins dans le baccara, le gain comme la perte est affaire de hasard, de chance personnelle, mais chance versée dans notre escarcelle par quelle bonne fée ! Il y a des gens bien nés qui ont cette bonne chance, et à coup sûr, souvent ils gagnent. Le soin de former des rois, soulignons-le encore, n’est plus confié aux cathédrales ni aux basiliques, et l’on y supplée soit par l’hérédité qui livre le trône aux chances inégales de la naissance, soit par l’élection populaire basée sur le mérite et la bravoure et qui, pour constituer la monarchie suivant des principes du destin, laisse au-dehors l’influence religieuse. Mais en Afrique mystérieuse, les esprits ancestraux seuls font les chefs et les monarques qui de ce fait sont le symbole vivant des esprits ancestraux. Cependant, l’incapacité des sciences actuelles à donner une explication ultime claire à ces entités autorise, malgré tout, diverses croyances, nouvelles convictions frappantes, mais pour autant ne leur confère jusqu’à présent aucune validité concluante. Ce que l’on peut dire, c’est que nous sommes vivement condamnés à accepter une forme d’incomplétude de notre compréhension du destin nous obligeant bellement à n’accepter à l’aveuglette aucune prétendue explication sur la création.

Les silencieux tombeaux de la Méditerranée

Grandir dans la misère

Pas si simple, on dirait, de grandir, puis de quitter son cocon familial douillet, ses amis, cette savane herbeuse dont on a tant foulé le sol, humé l’arôme du brûlis pendant la saison sèche, cette rivière capricieuse qui t’a permis de faire des plongeons et des brasses inoubliables. Je me souviens des adieux déchirants, de mon adorable mère tout en pleurs, de mon père angoissé, de ma sœur me lançant timidement, les yeux tout humides de pleurs : tu t’en vas loin de nous, mon frérot adoré ; souviens-toi, tu es devenu un homme désormais, agis comme tel. Mais je ne sais pourquoi tout à coup, je me vois assailli d’une aussi grande peur mêlée au doute, mais un doute qui me pince à l’estomac comme un clou. C’est pour moi comme un remords incessant, plus que cela, c’est un doute continuel, une inapaisable incertitude qui, parfois, me torture horriblement. En me promenant, tantôt au grand soleil, le long de la rivière, tantôt en pleine savane, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j’en avais jusqu’ici, mais des doutes précis, corrosifs, absolus, des doutes mélancoliques qui gagnent souvent ceux qui ont la responsabilité des événements et des hommes. J’envisage alors sérieusement, comme mes copains d’antan, de jeter tout simplement l’éponge, mais malheureusement non pas sur mes doutes, mais bien sur mes rêves inopportuns.

Mais heureusement, la même voix de ma sœur résonne encore en moi en un tintement incessible : si tu peux encore faire un pas, quatre pas alors n’abandonne pas. Brûlé de courage par cette voix et par je ne sais quel dieu, tête haute, je suis entré dans l’engrenage, un dangereux engrenage que celui d’un imprédictible procès criminel d’un cruel tueur en série, cette sorte d’engrenages mobiles, opposant une résistance dans un sens et s’annulant dans l’autre, prenant leur fonction de dent par suite de la position de la roue, ces engrenages difficilement contrôlables sont très fréquents dans les machines grinçantes du moyen âge. Puis avec hâte, je sautai dans le vide comme d’un parachute troué, pourtant je ne disposais que d’infimes fragments d’un plan apparemment tracé de l’au-delà. C’est que me collait de partout un challenge. Ainsi m’en allant j’entendais sa voix en boucle, cette voix répétitive de ma sœur. Dans la cheminée de mon esprit, j’écoutais les coups saccadés qu’elle frappait contre la trappe de mon âme avec autant d’émotion que si, pareils aux fameux coups d’archet par lesquels débute harmonieusement la Symphonie en ut mineur, ils avaient été les appels irrésistibles d’un mystérieux destin lointain. Je l’ai encore en tête, cette voix dans mes oreilles, dans mon cerveau.

À ce stade, cela pourrait donc m’aider à tisser et à garder intact le moral dans mon cœur. En attendant peut-être l’arrivé dans ma cheminée d’un hypothétique père Noël, j’écoutais les coups que cette voix continuait à frapper contre mes tympans à tel point que les marteaux et les étriers de mes oreilles vibraient harmonieusement dans ma tête. Par la porte entr’ouverte de mon âme, tournicoté par l’angoisse de l’inconnu, j’écoutais, d’une oreille tendue, la respiration anarchique de mon esprit, les cris stridents qu’il faisait comme dans un rêve, tous les bruits de cette petite existence endormie dans mon moi. Sémillant, mon regard qui marquait son sceau sur le soleil, mes pas qui, s’élevant hautement, voyaient les monts et les mots descendre et déjà se confondre avec mes mers tantôt houleuses, tantôt calmes et s’apprêtaient volontairement à subir ce destin singulier et singulièrement pareil. Puis je sombre encore dans des cogitations ombreuses et mélancoliques : au lieu de vivre dédaigneux et sombre, les yeux fixés sur un avenir menteur, si tu avais pris ta part des joies saines de la famille, si tu n’avais pas étranglé tes émotions et fermé ton cœur, tu ne serais pas harcelé par tous ces doutes impitoyables et creux, ou tu pourrais du moins trouver une consolation dans la tranquillité de tes souvenirs et la sérénité de tes espoirs ! Ainsi cogitai-je par moment.

Mais brusquement, j’ai vu, à ma très grande surprise, voleter la malheureuse Perséphone et en silence dans ce vaste univers plein de forces effrayantes porter à mon petit destin solitaire un rameau d’or. Mais déjà l’heure du destin, mon destin sonne ou plutôt, ici à ce moment le destin change de nom et devient la Providence terrestre omnipotente, réglant tout, gérant tout : les affaires matérielles aussi bien que les affaires spirituelles. Ainsi donc, il y a des jours, des mois, des années dans la vie des individus, comme dans celle des nations, où la destinée semble endormie et la Providence insensible à nos maux et à nos erreurs. Nous nous demandons alors pourquoi la Providence intima aux larmes d’avoir le goût salé plutôt que tout autre goût. Je me devais de réunir l’Afrique et l’Occident dans une main puissante qui contraigne le monde de parler une seule langue, d’obéir à une seule loi, de chanter un seul air pour une seule ronde afin que l’homme humain en naissant ait un grain de chance et de liberté. Voilà, ces mers houleuses et écumeuses, ces combats gigantesques, où un destin rare, mon destin est caché, entrechoqueront les nations aveugles, et auront pour moi une grandeur mythique.

Quittant ces gens chers, ces lieux envoûtants, je n’avais pas eu du tout à fuir la misère comme c’est le cas maintenant chez tant de jeunes africains qui traversent la Méditerranée dans des radeaux ou des zodiacs précaires pour une aventure parfois fatale. J’avais tout simplement à confirmer mes dons et mes capacités à apprendre. Avec sarcasme, vous vous demanderez peut-être : quelle aberration les pousse ainsi à quitter de si douces terres que sont les terres africaines fertiles et pleines d’autres richesses ? Dans un souvenir lactescent de leur savane natale, croyez-moi, ils n’oublieront jamais, tout comme moi, les battements d’ailes orageux des grands oiseaux de la savane se poursuivant avec des cris rauques en effleurant la crête de longues lames que la marée montante de l’herbe fraîche poussait sur l’orée de la forêt, où elles se brisaient avec un clapotis monotone d’une triste cascatelle serpentant des coteaux verdoyants de la savane qui semblaient flotter constamment devant leur mémoire rêveuse. Vers la gauche, d’autres grands oiseaux de la savane continuaient tristement à pousser des cris stridents en caressant la crête de longues lames où elles se brisaient avec un friselis rogue comme s’ils étaient en deuil. La décision de toutes ces femmes, de tous ces hommes et de tous ces enfants africains de fuir leurs beaux pays pour sauver leur peau et leur intégrité mentale et physique se prend en quelques jours parfois en quelques heures, voire en quelques secondes. Devant les bombes qui vous tombent sur la tête, les kalaches qui déciment toute votre famille, les roquettes vous tombant dessus comme des grêles, resterez-vous longtemps les fesses clouées au sol sans chercher où vous terrer ?

À côté de ces moments fulgurants d’une décision cruelle aussi hâtive et aussi irréversible et surtout d’une croisée de chemin, une croisée étroite, aux pavés fêlés et couverts de toiles d’araignée et d’embuscades insurmontables, croisée aussi bouleversante, combien d’hésitations flottant dans leur âme innocente et pure, combien de vacillements amenant à l’inévitable doute douloureux, combien de sueurs humectées d’angoisse devant l’inconnu ! Cependant quel espoir du bonheur dans leur cœur : pour eux le seul fait d’embarquer dans un zodiaque clandestin, la réussite même de la traversée de la mer paraît être la seule réalisation d’un véritable changement radical de leur vie même si la nouvelle trajectoire tombée dans leur main comporte bien plus d’embûches que la précédente vie passée sous les bombes, les roquettes, la famine, la misère, l’injustice, en bref les différentes dictatures physiques et morales… S’être affranchis de tous ces poids et d’autres mille liens invisibles qui solidement ligotaient leurs cous avec de lourdes chaînes en attendant que la sanglante guillotine leur tombe dessus, ces pesantes chaînes qui paralysaient leur courage, peut être perçu pour eux comme une belle victoire qui les pousse à d’autres victoires plus éclatantes.

Mais, hélas, mille fois hélas, sous la forme symbolique de petits pigeons déplumés ou ces tourterelles grisâtres charmantes, ces gros marabouts d’un beau plumage bleu de roi et d’un très bon goût, et ces perruches fort petites, mais fort singulières par le mélange de bleu et de rouge qui colorie leurs plumes qui n’ont pu voler pour ne pas succomber à l’attaque d’un vautour, ils se voient déjà, malgré eux, violemment périr dans un lamentable sort, noyés dans les flots d’une mer tempétueuse et houleuse où aucun secours, même celui des dieux romains qui d’ordinaire écument cette mer ne peut arriver. Et, dans la stupeur de leur félicité morte, dans ce brusque anéantissement du bonheur qui devait durer toujours, ils continuaient de jeter leur grand cri, le hurlement douloureux où passait toute l’effroyable souffrance de leurs âmes. Martyrs agonisant de leurs misères, ils croient que la mort dans la Méditerranée leur sera peut-être un beau sort supportable face au monde qui les a plongés dans l’injustice et la misère toute crue. Ils affrontent si vaillamment cette mort que celle-ci leur semble si belle et si douce. Dans leur courte vie passée dans la merde, l’âme déchirée d’une souffrance intolérable, hantés par le souvenir douloureux, par le sourire sans rire, par la voix qui pleure, par tout le charme de la mort, ils avaient déjà vécu injustice, deuil, pétage de plombs, bref, nombreuses descentes aux enfers : ainsi donc quitter l’Afrique sans retour, sans un au revoir leur importe peu, mais ils préféraient cela à la frustration de tout ! Mais le téméraire et courageux Horace, troublé par la fièvre de sa vanité blessée, n’est-il pas allé, comme malgré lui et sans aucun plan arrêté, chercher un soulagement quelconque à Athènes, ne fût-ce qu’un regard et un mot, à cette souffrance insupportable qui le rogna après la mort de son père ?

Ils allaient donc, je ne sais où, emportant leurs hardes humides, pensifs, silencieux, sans un murmure, le ventre creux, l’estomac vide, courbés sous leur destin maudit. Ni le désert aride, ni la soif dans un soleil caniculaire, ni l’esclavage que parfois ils subissaient en plein désert ne les auraient découragés pour autant. Permettez que je vous fasse une réflexion, une méditation : songer à votre destin morose, penser qu’après avoir vécu la misère pareille, vous ne serez plus rien… Croyez-vous donc être encore quelque chose ? Eux n’y pensent même pas ! Mais rappelons-nous : le vaillant Hector se battait pour garder sa maison, et Ulysse bravait les tempêtes pour rentrer dans la sienne dont il voyait, de la mer, la fumée vaciller à la moindre bise. Eux entrevoient un destin individuel où ils ne dépendraient plus de rien ni de personne : ils sont inconnus de la nature et des hommes. En voulant fuir la guerre civile teintée de la guerre de minerais de sang ou appelez-la comme vous voulez, ils se trouvent malgré eux au centre des hostilités, hostilités qu’ils voulaient fuir, hostilités dans lesquelles ils se plongeaient sans le vouloir, comme s’ils avaient bien voulu prendre rendez-vous avec leur tragique destin pour un parcours qui est nettement une immersion dans les drames les plus horribles, les plus inattendus. Sans prendre ce bruit de guerre au tragique, il faut bien reconnaître que toutes ces aspirations, toutes ces associations, toutes ces manifestations nationales ou internationales ont pour but, et pour effet, d’éveiller et d’entretenir une hostilité fâcheuse entre les deux races qui composent la famille humaine. C’est que, tout bien considéré, son essence consiste en ce qu’il impose à l’humanité une organisation unique, au sein de laquelle les individus venus du sud, dans une hostilité souvent féroce et pourtant solidaires les uns des autres, ne puissent plus assurer leur vie et leur avenir dans l’espace européen.

Pouvons-nous jeter un petit regard en arrière : que dirions-nous voyant ces Amérindiens se battre farouchement pour défendre leurs terres, ces esclaves noirs fuir les razzias dans leurs propres savanes, se défendant avec des armes grégaires qu’ils peuvent avoir pour affronter les mousquets et les colts. Pour nous, tous en voyant leurs douleurs, leurs conditions de vie nous mettraient à la vue vite la différence entre le réel et l’imaginaire, le possible et l’impossible, le songe et le plus profond de sommeil : l’état de veille au fait se réduirait vite à un fil. Souvenez-vous-en : un destin, implacable, infaillible et inexorable destin, qu’on pourrait appeler la force opérante de la nature, régit leur destinée ascendante ou descendante, suivant le mérite ou le démérite de la série de leurs minables existences passées. Il faut convenir que ces braves hommes aussi équivoquement disposés que les matelots de l’expédition historique de Christoph Colomb durent être effrayés par ce spectacle inattendu devant une mer inhospitalière.

C’est bien lors des déchaînements houleux des éléments naturels qu’ils purent penser être transportés dans cette mer horrible que, bien peu avant leur départ, on leur avait dit pleine d’espérance, qu’ils allaient affronter pour finalement devenir leur cimetière ! La mer, cet implacable nostrum mare, et l’équipage aux abois devenu grossier par l’angoisse, cannibale par la faim, assassin par instinct de conservation, agressif par la peur, cette peur qui leur servait de compagnon ordinaire, tout avait contribué à rendre terrible la situation précaire où ils ont chu, et du reste, bonne chance et alea jacta est pour eux ! Peut-être, au flair du désespoir et du désarroi devant le profond et horrible abîme sans fond, criaient-ils : ave, Caesar, morituri te salutant (bonjour, César, ceux qui vont mourir te saluent) ! En entrant ainsi en mer, ils creusaient leurs tombeaux aquatiques, ils en avaient encore la force. Ils foulaient comme des colosses cet étroit univers aventureux, où nous autres petits bonshommes nous circulons entre ses jambes énormes, cherchant de tous côtés où nous pourrons trouver, pour à la fin ne pas nous brûler dans un enfer, d’ignominieux tombeaux plus froids que le marbre, plus impénétrables que l’airain, plus cachés que le diamant dans la pierre…