Nostradamus - Michel Zévaco - E-Book

Nostradamus E-Book

Michel Zévaco

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Beschreibung

Le nom de Michel Zévaco s’associe tout naturellement au roman d’aventures et à celui du roman historique. 
Paru en 1907, "Nostradamus" occupe une place singulière dans le parcours de l’écrivain car il est présenté comme une biographie imaginaire. À la fois qu’il révèle le goût de l’auteur pour les faits parapsychiques et sa curiosité pour la science, ce roman parachève une tendance inaugurée dans des ouvrages antérieurs où, afin de recréer une situation de mystère, Zévaco avait recours à des personnages tels que le sorcier ou l’alchimiste. Telle confluence mène à considérer par quel biais vont converger l’aspect biographique –donc ancré dans la réalité- et le fantastique, exigé par la condition du personnage éponyme.

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table des matières

NOSTRADAMUS

Chapitre 1 - LA SORCIÈRE.

I – LES AMOUREUX

II – LA DÉNONCIATION

III – DEUX PROFILS DE DÉMONS

IV – LE BÛCHER DE LA GRÈVE

V – L’ÉMEUTE

VI – LES CENDRES DU BÛCHER

VII – LE CIMETIÈRE DES INNOCENTS

Chapitre 2 - LE MARIAGE.

I – LE ROI FRANÇOIS Ier

II – LES DEUX FILS DU ROI

III – LE MARIAGE SE FERA-T-IL ?

IV – LA LETTRE

Chapitre 3 - LE FILS DE NOSTRADAMUS.

I – LES FRÈRES RIVAUX

II – RONCHEROLLES MONTE EN GRADE

III – LES CACHOTS DU TEMPLE

IV – LA CONDAMNÉE

V – GEÔLIER ET GEÔLIÈRE

Chapitre 4 - LE BRAVO.

I – L’ENFANT GRANDIT

II – UNE IDÉE PRINCIÈRE

III – LE TOMBEAU DE MARIE

IV – BRABANT-LE-BRABANÇON

Chapitre 5 - LE GUÉRISSEUR.

I – LE MIRACLE DE LA PARALYTIQUE

II – IGNACE DE LOYOLA

III – LE PREMIER PAS DE CATHERINE DE MÉDICIS

IV – CAÏN

V – LE SAUVEUR

Chapitre 6 - LA MARCHE AU MYSTÈRE.

I – MARIE EST APPELÉE

II – LA CONFESSION

III – LES QUATRE GARDES

IV – LA VOLONTÉ DU MORT

V – AU SEIN DU MYSTÈRE

Chapitre 7 - LE ROYAL DE BEAUREVERS.

I – POURQUOI ROYAL ET POURQUOI DE BEAUREVERS

II – DEUX CAVALIERS ONT ATTAQUÉ UN VOYAGEUR INCONNU.

III – L’AUBERGE DES TROIS GRUES

IV – LE VOYAGEUR INCONNU.

V – LA FILLE DU GRAND PRÉVÔT.

Chapitre 8 - LE MAGE.

I – CATHERINE DE MÉDICIS.

II – L’HÔTEL DE LA RUE FROIDMANTEL.

III – LOYOLA.

IV – LE CERCLE MAGIQUE

V – LE SERMENT DE NOSTRADAMUS

VI – LE FANTÔME DE FRANÇOIS

Chapitre 9 - LES TRUANDS.

I – LAGARDE ET MONTGOMERY

II – LES CAVES DE LA GRANDE-PRÉVÔTÉ

III – BOURACAN

IV – UNE FEMME INCONNUE PARLE À BEAUREVERS

V – L’ANGUILLE-SOUS-ROCHE

Chapitre 10 - LA COUR DU ROI HENRI.

I – CATHERINE SENTAIT LA MORT

II – UNE VISION DE LA COUR ROYALE

III – LE SORCIER

IV – FLORISE FIANCÉE

V – PRÉDICTION

Chapitre 11 - FLORISE.

I – LES LOUPS HORS DU BOIS

II – LA PASSION DE RONCHEROLLES

III – L’AUTRE PASSION DE RONCHEROLLES

IV – LA VISION

V – L’ESCADRON DE FER

VI – L’ÉCHELLE DE CORDE

VII – FACE À FACE

Chapitre 12 - LA GRANDE CHASSE.

I – LA BAUGE DU SANGLIER

II – LE SANGLIER SE MONTRE

III – L’ANIMAL RELANCÉ

IV – CHASSEURS AU REPOS

V – DÉTOUR DU SANGLIER

VI – LE SANGLIER FORCÉ

Chapitre 13 - LA DAME SANS NOM.

I – MYRTA

II – LA MAISON DE LA RUE DE LA TISSERANDERIE

III – DEUX VIEUX AMIS

IV – LE SPECTRE

V – MARIE DE CROIXMART

VI – LE NOM MAUDIT

Chapitre 14 - RECRUES À L’ESCADRON.

I – GARDES DU CORPS

II – LE CONSEILLER INVISIBLE

III – AU RAPPORT

IV – L’ESCADRON VOLANT

Chapitre 15 - PREMIER COUP DE FOUDRE.

I – LE DOMPTEUR.

II – LE GRAND-PRÉVÔT.

III – LA PORTE SAINT-DENIS.

IV – LE PARADIS.

V – DEUX ASPECTS DE L’AMOUR.

Chapitre 16 - LES JEUX DU DESTIN.

I – TRAVAUX MONDAINS.

II – LA VIE ET LA MORT.

III – APPARITION

IV – RONCHEROLLES

Chapitre 17 - PIERREFONDS.

I – EN CAMPAGNE

II – UTILITÉ DE L’ADULTÈRE ET DU BRACONNAGE

III – BRACONNIER À L’AFFÛT

IV – OÙ ÉTAIT BEAUREVERS

V – APRÈS LA BATAILLE

Chapitre 18 - LA PASSE D’ARMES.

I – UN LOGIS POUR FLORISE

II – LA VENGEANCE DE NOSTRADAMUS

III – LE 29 JUIN

IV – LE ROYAL DE BEAUREVERS

Chapitre 19 - Le tombeau de Marie.

I – RÉGICIDE ?…

II – JACQUES D’ALBON DE SAINT-ANDRÉ

III – LES GENTILSHOMMES DE LA REINE

IV – LA MÈRE

V – LE PENDANT DE LA SCÈNE DE TOURNON

VI – DEVANT LA TOMBE

Chapitre 20 - L’ÉCHAFAUD.

I – LA VEILLE DE L’EXÉCUTION

II – LA FIANCÉE DU CONDAMNÉ

III – SAINT-GERMAIN-L’AUXERROIS

IV – LES GARDES DU JEUNE HENRI

V – LA PREMIÈRE SIGNATURE ROYALE DE FRANÇOIS II

ÉPILOGUE

Notes de bas de page

NOSTRADAMUS

Michel Zévaco

Chapitre 1 - LA SORCIÈRE.

I – LES AMOUREUX

Une claire et tiède matinée d’automne en l’an 1536. Sous un ciel d’un léger bleu satiné, le vieux Paris de François I er respire la joie de vivre. Place de Grève, c’est toute la pétillante gaieté d’un joli dimanche, c’est Paris qui s’étire au soleil, et rit… et pourtant, là, sur cette place, dans cette lumière, entre deux gibets, se dresse une chose hideuse : un bûcher.

Pour qui ce bûcher ? Pour qui ces gibets ? La foule insoucieuse va le savoir peut-être, car voici sur son destrier, le héraut royal qui déplie un parchemin, et, d’une voix forte, proclame :

« – De par le Roi !… Nous, Jérôme Gerlaine, héraut royal juré, mandaté par monseigneur de Croixmart, grand juge prévôtal, faisons savoir à tous ici présents :

« Par la volonté royale, ledit baron Gerbaut, seigneur de Croixmart, devra rechercher, saisir et exécuter sommairement, tous sorciers, sorcières, devins, démoniaques et agents de Satan qui infestent la capitale du royaume.

« Tout loyal habitant de cette ville est tenu, à peine d’être condamné à ramer sur les galères du roi, de dénoncer lesdits suppôts d’enfer, et, afin d’exécuter la volonté royale, Monseigneur de Croixmart a fait dresser les bûchers nécessaires. »

Le héraut s’en va plus loin répéter sa proclamation. Et, de bouche en bouche, parmi de sourdes imprécations, court le nom de Croixmart.

Au bout de la place de Grève, passent un jeune homme et une jeune fille.

Elle, frêle dans sa robe à longs plis ; une de ces vierges à tresses blondes, comme les Primitifs les rêvaient pour leurs madones de vitraux.

Lui, un de ces êtres d’inoubliable aspect, qui semblent porter le sceau visible des invisibles fatalités. Une étrange physionomie, d’une beauté tourmentée. Un front où flamboie le génie. Des yeux noirs, tantôt d’une ineffable douceur, tantôt d’un éclat extra-naturel.

Sur un banc de pierre, devant le fleuve, ils se sont assis, les mains unies. Une sorte de duègne, qui les suit pas à pas, s’approche alors, et, avec une révérence :

– Marie, la messe est finie ; il est temps de rentrer.

– Dame Bertrande, une minute, soupire la jeune fille.

– Déjà nous quitter ! murmure le jeune homme. Marie, Marie adorée, il me faudra donc m’éloigner de Paris pour toujours, peut-être, sans même savoir qui tu es ? Tu m’as ordonné de respecter le mystère dont tu t’entoures, et je t’ai obéi… Et pourtant, je dois rejoindre mon père… mon dieu sur la terre. Tu le sais, mon père a dû se réfugier à Montpellier. Accusé de sorcellerie, traqué par Croixmart…

– Croixmart ! balbutie la jeune fille toute pâlie.

Le jeune homme a eu un geste violent… puis il continue :

– Ma mère, me presse de partir et s’étonne de mon hésitation. C’est qu’elle ignore que je t’ai rencontrée !…

– Mon bien-aimé Renaud ! palpite Marie. Demain, tu sauras tout ce que tu dois savoir de moi. Car aujourd’hui, je consulterai une femme qui, sûrement, me guidera, me consolera dans mes angoisses…

– Une femme ? songe Renaud. Sa mère, sans doute.

– Allons, demoiselle, insiste la duègne, il est temps…

Mais Marie lève ses grands yeux sur le jeune homme :

– Mon Renaud, je t’aime pour ta soumission. Tu as bien voulu que je reste pour toi l’inconnue. Mais demain, ici, tu sauras pourquoi j’ai tremblé à te dire qui je suis. Et d’ailleurs, mon nom est Marie, et tu m’aimes. Ton nom est Renaud, et je t’adore. Que nous faut-il de plus ? Et quand je songe à cette force irrésistible qui a mis en mon cœur cet amour, il me semble qu’un vertige me saisit. Ce fut étrange. J’étais dans la rue. J’ai senti tout à coup, un de ces frémissements que jamais on n’oublie. Je me suis retournée. Et j’ai compris que tu exerçais sur moi un pouvoir magique…

– Magique ? tressaille le jeune homme.

– Alors tu m’as dit : « Rassurez-vous. Je ne veux vous tenir que de votre volonté à vous. Je m’interdis même de vous suivre. Dans un instant, je ne saurai plus où vous êtes. Je ne sais pas qui vous êtes. Mais si vous m’aimez, venez demain sous les peupliers de la Grève. » Et tu es parti. Et quand je suis rentrée, je me suis jetée à genoux pour prier. Mais alors j’ai compris que c’était à toi, inconnu de moi une heure avant, que je parlais, croyant parler à Dieu.

– Chère adorée ! frissonne Renaud.

– Et, le lendemain, je suis sortie pour aller à la messe, résolue à t’oublier. Mais c’est vers la Seine que je suis venue et je me suis retrouvée sous les peupliers, devant toi. Et depuis, le matin, à l’heure de la messe, c’est ici mon église.

Renaud, pensif, a baissé sa noble tête sur sa large poitrine.

– Je ne veux te tenir que de ta volonté. J’attendrai…

– Demain, tu sauras à qui tu dois demander notre union !

Et un souffle de joie monte aux lèvres du jeune homme. Ils se sont levés. Leurs mains s’enlacent. Leurs bouches balbutient :

– Demain, oh ! que sera demain !…

Sur la place de Grève, des malédictions… Au milieu d’archers, passe un seigneur de formidable aspect.

– Place à monseigneur de Croixmart ! crie rudement le chevalier des archers.

Marie est devenue blanche comme les lys. Les poings de Renaud sont crispés. Et déjà, s’efface la silhouette du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart, grand juge prévôtal.

II – LA DÉNONCIATION

Renaud s’éloigne. Marie traverse la place, tourne le dos à son logis que lui désigne la duègne. Et elle demande :

– Où demeure cette femme qui connaît l’avenir et le passé ?

– Seigneur ! Voulez-vous donc entrer chez une sorcière ?

– À qui me confier ? soupire Marie. Je n’ai pas de mère. Et je ne sais si demain j’oserai dire à Renaud… Ah ! ces cris de malédiction ! Et quel flamboyant regard de haine il avait, lui ! Ne m’as-tu pas dit que cette femme donne de précieux avis ?

– Ses conseils ont rendu service à mainte bourgeoise, et elle est si charitable aux pauvres qu’on la surnomme la bonne Providence.

– Comment dis-tu qu’elle s’appelle, Bertrande ?

– On la connaît sous le nom de la Dame, et nul ne sait qui elle est. Quant à sa demeure, c’est ici, juste face à l’hôtel de…

– Silence ! interrompit Marie avec effroi. Attends-moi.

Déjà elle a heurté la porte qui s’ouvre.

La jeune fille est entrée. Elle pénètre dans une salle ornée de beaux meubles sculptés. La maîtresse de cette demeure s’avance. Elle peut avoir cinquante ans. Sous ses cheveux d’argent, son visage est resté jeune. Sa physionomie est empreinte d’une indicible dignité. Dans ses attitudes se révèle la sérénité des âmes intrépides. Elle a fait asseoir Marie, et, d’une voix douce :

– Dites-moi quelle peine vous oppresse. Si je puis vous aider ou vous consoler, je le ferai de grand cœur.

– Oui, murmure Marie, déjà votre voix me calme et me berce. Voici donc le sujet de mes alarmes…

La jeune fille s’arrête. Et la dame, avec un sourire :

– Vous aimez, n’est-ce pas, et vous êtes venue demander à la devineresse de vous dire s’il vous aime, lui ?…

– Non ! répond Marie dans un cri. Je sais qu’il m’aime. Je sais que je serai heureuse lorsque je serai à lui. Ce n’est pas cela. C’est terrible, voyez-vous. Le nom que je porte est maudit de tous. Celui que j’aime hait ce nom d’une haine implacable. Et moi, si j’adore mon fiancé, j’aime mon père de tout mon cœur. Et voici ma douleur. Si je dis à celui que j’aime, demain, selon ma promesse, le nom de mon père, ne va-t-il pas s’écarter de moi ?… Voilà ce que je veux savoir.

La dame considère avec pitié la jeune fille :

– Vous aimez votre père ? demande-t-elle.

– Plus on lui témoigne d’horreur, et plus je tâche de lui faire oublier cette exécration qui l’enveloppe d’une atmosphère mortelle…

– Avant tout, il faut me dire le nom de votre père.

Marie rougit, hésite, puis, enfin, dans un souffle, balbutie le nom – le nom maudit. Vivement la dame s’est reculée. Elle a pâli. Mais peu à peu ses traits reprennent leur expression de mélancolie.

– Non, murmure-t-elle. Il est impossible que cette pure enfant soit une espionne envoyée pour me perdre. Mon enfant, ajoute-t-elle, j’ai eu à souffrir de celui dont vous êtes la fille. Un jour… je lui ai crié la malédiction qui montait de mon cœur… Oui, c’est une chose affreuse que d’être sa fille. La mort escorte cet homme. Mais Dieu vous envoie à moi, et, puisque vous aimez votre père ; peut-être sera-t-il sauvé…

– Sauvé ? balbutie la jeune fille.

– Oui, mon enfant. Mais, maintenant, il faut que je sache le nom de celui que vous aimez.

– Tout à l’heure. Quel danger menace mon père ?… Vous avez lu quelque chose d’effroyable dans son avenir !…

– Eh bien ! oui, effroyable…

– Sauvez-le, râle Marie, subjuguée.

La dame demeure un moment pensive.

– Le sauver ? dit-elle enfin. Soit. Dites-lui qu’il ne sorte pas de trois jours. Sinon il mourra. Dites-lui, que, pendant ces trois jours, il faut qu’il se démette de ses fonctions… Surtout qu’il ne se montre pas… il serait déchiré, dépecé, mis en pièces…

Marie n’en entend pas davantage. Elle s’élance. Oh ! tout de suite prévenir son père ! Elle reviendra plus tard pour savoir ce qu’elle doit dire à Renaud ! La dame n’a pas eu le temps de faire un geste pour la retenir.

– Ce départ précipité… murmure la dame. Cette fuite, plutôt… Une espionne ?… Qui sait ! Cet homme est capable de ruse comme de violence. Oh ! il faut que demain nous soyons partis !…

Marie a traversé la place de Grève. Elle pénètre dans un magnifique hôtel. Elle s’avance, tremblante, vers un cavalier de haute stature, de rude figure, qui met pied à terre dans la cour.

– Ma fille ! gronde cet homme. Pourquoi rentrez-vous si tard ? Pourquoi ce visage bouleversé ?

– Mon père, bégaie la jeune fille, il faut que je vous parle à l’instant ; il y va de votre vie !

– Ma vie, ricana le seigneur. Elle est bien défendue. Mais soit ; allez m’attendre en ma chambre.

Et il hausse les épaules, tandis que Marie s’éloigne.

– Ma vie, reprend-il alors sourdement. Oui. Tout ce peuple m’exècre… Mais je serai le plus fort.

Il fait quelques pas, s’arrête, et, avec un frisson :

– Cette femme m’a maudit. Elle m’a prédit que je serais déchiré, dépecé comme le cerf de la meute… Oh ! retrouver cette femme !… Gardes ! qu’on double les sentinelles !…

Et le seigneur se dirige vers sa chambre.

Ce seigneur, c’est l’homme au nom maudit ; Marie, c’est la fille du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart !…

En entrant dans sa chambre, Gerfaut a vu sa fille agenouillée sur un prie-Dieu. Une minute, il la contemple, et murmure :

– Que deviendrait-elle, si j’étais tué ?… Cette femme m’a crié que je serais maudit jusque dans ma postérité…

Il touche à l’épaule Marie qui se relève, toute pâle.

– Mon père, supplie la jeune fille, les mains jointes, promettez-moi de ne pas sortir de trois jours !

– Caprice. Vous fûtes trop choyée par votre père, Marie… Il est vrai que je n’ai que toi au monde, mon enfant. Toute ma tendresse, c’est toi. Toute mon aversion, c’est la sorcellerie…

– Mon père, reprend Marie, avec terreur, il faut vous démettre aujourd’hui de votre mission de grand juge.

– Aujourd’hui ! s’esclaffe le baron. Me démettre. Vous devenez folle. Dans une heure, je vais aller saisir en leurs repaires, quatre truands et les faire pendre : Bouracan à la Croix du Trahoir, Trinquemaille en Grève, Strapafar à la Halle et Corpodibale à la porte d’Enfer.

Marie tremble. Elle voit son père déchiré, dépecé, mis en pièces comme l’a prédit la sorcière. Sa pensée s’affole. Et tout à coup, elle croit avoir trouvé la parole capable de convaincre son père :

– Si vous sortez en ce jour, vous serez déchiré, dépecé !…

Dépecé… déchiré !… Les paroles de la femme qui l’a maudit !

– Père, père ! j’en suis sûre ! sanglote Marie. La femme qui me l’a dit sait tout ! Jamais elle ne s’est trompée !…

Le baron sent la peur se glisser en lui. Mais brusquement une rage froide le saisit. Son regard pétille de malice.

– Ah ! ah ! fait-il en adoucissant sa voix, si la femme qui t’a dit cela sait tout… Je réfléchirai à me démettre. Et, pour aujourd’hui, je ne bouge pas de l’hôtel.

Marie se relève avec joie, et enlace le cou de son père.

– Voyons, reprend-il avec bonhomie, il faut que j’interroge cette femme, qui mérite une récompense. Je veux l’envoyer chercher. Où loge-t-elle ?

– Là ! dit Marie en étendant le bras.

– Là ?… Ce logis à l’angle de la place ?

– Oui. Oh ! récompensez-la, puisqu’elle vous sauve la vie !

D’un geste violent, le redoutable baron repousse sa fille. Il va à la porte, qu’il ouvre, et sa voix tonne :

– Holà, officier, vingt gardes pour aller arrêter une sorcière !… Qu’on prévienne le bourreau juré qu’il ait à venir sur l’heure allumer le bûcher de la Grève… Je la tiens ! gronde-t-il… Nous verrons si je serai déchiré comme le cerf par la meute…

Marie a frissonné. Pourtant, elle marche à son père :

– Monsieur, vous ne ferez pas cela ! Moi dénonciatrice !… Grâce pour l’honneur de votre enfant !… Pauvre femme ! Oh ! c’est affreux, cela ! Vous n’allez pas…

– Assez ! gronde le seigneur.

Et il s’élance au dehors. Marie se jette sur la porte, et la trouve fermée à clef !… Alors, un désespoir de honte s’abat sur elle…

– Qu’ai-je dit ! bégaie-t-elle. Que va penser Renaud quand il saura que j’ai envoyé au bûcher une pauvre vieille innocente ! Fille de Croixmart ! Dénonciatrice ! Moi !…

Alors, dans l’âme de cette enfant qui, jusqu’à ce jour, a adoré son père, se lève l’aube d’un sentiment inconnu… Ce père, elle le hait ! Ce nom qu’elle porte, elle le maudit… elle ne le portera plus !…

III – DEUX PROFILS DE DÉMONS

Renaud s’est éloigné de la place de Grève en résistant à la tentation de se retourner pour adresser un dernier signe à Marie. Ivre de joie, il oublie tout au monde, et, le pas léger, s’avance vers deux jeunes gens qui semblent l’attendre au débouché du pont Notre-Dame : deux jeunes seigneurs ; l’un blond, l’œil gris, vêtu avec recherche, c’est le comte Jacques d’Albon de Saint-André ; l’autre, brun, le visage sombre, habillé plus pauvrement, c’est le baron Gaëtan de Roncherolles ; leurs figures portent le stigmate de l’Envie. Chez le premier, c’est l’envie doucereuse ; chez le second, c’est l’envie brutale.

– Voilà, mon cher, les dernières nouvelles de la cour, dit Albon de Saint-André, poursuivant son entretien commencé.

– Tu es heureux d’être admis dans l’intimité des princes, gronde Roncherolles. Ainsi les fils du roi sont amoureux ?…

– Le prince François et le prince Henri vont se faire la guerre pour une donzelle qui les dédaigne, car la noble demoiselle s’en va roucouler tous les matins sous les peupliers de la Grève avec un… Mais voici notre cher ami Renaud qui vient à nous !

Roncherolles a tressailli. Ses poings se sont crispés. Quant à Saint-André, son œil a lancé un éclair. La haine vient d’éployer ses ailes sur ces deux hommes.

– Oui, grince Roncherolles. Renaud ! Or çà, d’où tient-il son or ?… Et a-t-il le droit de porter l’épée ?… Qui est-il ?

– Tais-toi. J’ai d’étranges soupçons, vois-tu !… La manière dont il t’a guéri en deux jours de cette fièvre qui te minait…

– Et ce coup de poignard à la poitrine que tu reçus d’un truand et qu’il ferma, cicatrisa, effaça en quelques heures !…

– Et cette femme qu’il endormit, rien qu’en étendant le bras ! D’où lui vient cet exorbitant pouvoir ?

– À quoi pense donc Croixmart que le roi a chargé de détruire les suppôts d’enfer ?

– Tu le hais, reprend Saint-André.

– Oui. Je le hais parce qu’il est plus riche, plus beau que moi, parce qu’il possède une puissance qui m’épouvante, parce que j’ai peur devant lui !…

– Silence ! Le voici !…

Renaud vient à eux, les bras ouverts. Il rit, il serre les mains de ses deux amis, sa joie déborde :

– Jour de Dieu ! Le gai dimanche ! Bons amis, aujourd’hui, je régale ! Un dîner dans la plus noble auberge de Paris, chez Landry Grégoire, à l’illustre enseigne de la Devinière !

– Comme tu chantes la joie ! s’écrie Saint-André, – et il frémit.

– Tu embaumes le bonheur ! sourit Roncherolles – et il est livide.

– Demain, ce sera bien autre chose !… Allons, en route !

Les trois jeunes gens, causant, riant, gagnent la rue Saint-Denis, où se trouve la très fameuse auberge de la Devinière.

*

* *

Deux heures plus tard. Dans la rue, Renaud, Saint-André, Roncherolles se donnent rendez-vous pour le lendemain.

– Ah çà ! fait Saint-André, ton dîner fut une merveille. Tu nous as dit la beauté de ton amante, et que, demain, elle va te conduire à son logis pour que tu la demandes à sa mère ; – mais tu as oublié de nous révéler son nom…

– Oui ! Le nom de ta fiancée ! demande Roncherolles.

– Je le saurai demain, répond simplement Renaud. Elle m’a défendu de le savoir… et tout ce que j’ai voulu savoir d’elle, c’est que son âme est blanche, c’est que je l’adore, c’est que tous les matins, depuis un mois, sous les peupliers de la Grève, elle daigne venir à moi.

Une même secousse fait frémir les deux amis de Renaud. « Sous les peupliers de la Grève », a dit Renaud. Alors, cette jeune fille serait donc la même que les deux fils du roi veulent voler à l’inconnu avec qui elle se promène, le matin ! Et cet inconnu, ce serait donc Renaud !… Ah ! ils le tiennent ! En hâte, ils ont pris congé de lui. Saint-André s’élance vers le Louvre.

– Où vas-tu ? halète Roncherolles.

– Demander audience à Monseigneur François et à Monseigneur Henri ! répond Albon de Saint-André.

– Partageons l’aubaine.

– Soit. Ce ne sera pas de trop de nos deux haines !…

IV – LE BÛCHER DE LA GRÈVE

Renaud arrive place de Grève, entre dans ce logis à l’angle de la place, où, tout à l’heure, est entrée Marie !… Et, comme elle, il s’avance vers la dame aux cheveux d’argent ! Vers la malheureuse que Marie vient de dénoncer à son père ! Et contre laquelle Croixmart s’apprête à marcher !… Elle sourit de joie… et il dépose un baiser sur les cheveux d’argent, et le mot qu’il murmure tendrement, c’est un mot que les fatalités de l’heure présente font tragique, c’est :

– MA MÈRE !…

L’amant de Marie de Croixmart, c’est le fils de la Sorcière…

*

* *

– Je t’attendais, mon fils, a prononcé la dame.

– Chère mère, répond le jeune homme. Je sais quels reproches j’ai mérités. Voici trois jours que je ne vous ai vue. Voici un mois que nous devrions avoir quitté Paris, et, à travers l’espace, mon père nous appelle… Sous peu de jours, nous prendrons le chemin de Montpellier. Et peut-être me pardonnerez-vous, quand vous saurez que la force qui m’a emprisonné dans Paris s’appelle l’amour !

– C’est ce soir qu’il faut partir. C’est tout de suite !…

– Ma mère ! D’ailleurs sommes-nous si pressés ? Ma mère, je ne vous demande que deux jours… Si vous saviez…

– La fille de Croixmart est venue ici il y a deux heures !

– La fille de Croixmart ! gronde Renaud. Et vous l’avez reçue ! Et vous lui avez parlé ! Quelle terrible imprudence !

– J’ai fait mieux, prononce la dame. Je lui ai parlé de son père. Ce que les truands ont résolu d’exécuter, je le lui ai annoncé. Je lui ai prédit la mort du grand juge… Enfin, je me suis révélée à elle comme capable de lire l’avenir… oui, c’est là une terrible imprudence… mais un je ne sais quoi m’a poussé à lui parler comme si j’eusse été sa mère…

– Malheur et malédiction !…

– Oui ! Car à peine fut-elle partie que je compris !

– Elle vous a été envoyée, n’est-ce pas ?

– Qui sait !… Quoi qu’il en soit, cette jeune fille possède maintenant une preuve contre moi. Mon fils, s’il m’arrive malheur, souviens-toi que c’est la fille de Croixmart qui me tue !

– Ma mère, crie Renaud, éperdu, vous m’épouvantez !…

– Oh ! continue la dame… si je pouvais voir…

Et, à ce moment, sa physionomie devient étrange ! ses yeux se convulsent… Renaud la contemple. Elle continue :

– Il est possible que la pure jeune fille soit une vile espionne… silence… écoute… je vois… j’entends…

– Ma mère ! hurle Renaud en traçant un geste étrange.

– Oh ! Qu’as-tu fait ? Tu m’as empêchée d’écouter !…

Son visage est redevenu serein. Mais alors, elle saisit les deux mains de son fils, et, les yeux dans les yeux :

– Si je suis dénoncée par cette fille, tu n’auras ni paix ni trêve que tu n’aies vengé ton père et ta mère à la fois…

– Je vous le jure, ma mère ! répond Renaud.

– Tu as juré, mon fils. Et tu ne peux t’en dédire. Tu es d’une famille où les morts parlent aux vivants. Tu portes un nom qui est le symbole des connaissances extra-terrestres…

– Partons ! rugit le jeune homme. Je reviendrai lorsque je vous aurai mise en sûreté !

À ce moment, sous les fenêtres, un cliquetis d’armes. À la porte, de grands coups sourds, une voix menaçante :

– De par le roi !…

– Trop tard ! prononce la sorcière.

Et, tournée vers son fils anéanti, elle ajoute :

– N’oublie jamais que ton nom, c’est NOSTRADAMUS !…

La porte s’ouvre violemment. L’escalier apparaît plein d’archers. Un homme s’avance, couvert d’acier. Il gronde :

– Qu’on entraîne cette femme ! Moi Gerfaut, seigneur de Croixmart, déclare que j’ai contre elle une preuve suffisante de sorcellerie. Car elle m’a été dénoncée par ma propre fille ! En conséquence, je juge et ordonne que cette femme soit conduite au bûcher de la Grève, où elle subira le châtiment des démoniaques !

– Souviens-toi de ton serment ! crie la sorcière à son fils.

– Adieu, père, mère, adieu la vie ! murmure Renaud. Adieu l’amour ! Adieu, Marie adorée !

Et, il tire la pesante épée qu’il porte au côté. Des dix gardes qui s’avançaient, un tombe mort, un autre recule avec un hurlement. Aussitôt la salle s’emplit. Un tourbillon furieux. Des cuirasses qui s’entrechoquent. Des vociférations. Des blasphèmes. Des coups assénés. Et, un être hors nature, la face flamboyante, sanglant, déchiré, frappant, reculant, effroyable et sublime. C’est Renaud qui défend sa mère ! La sorcière, peu à peu, est entraînée. La lutte se continue dans l’escalier. Et nul ne peut saisir l’homme ! Nul n’arrive à lui porter le coup mortel… Dix cadavres, çà et là ! Lui est rouge des pieds à la tête ! Et sur la place !… l’infernale bataille se poursuit… Une foule immense accourt. De toutes les rues dévalent des torrents humains… Le groupe atroce marche sur le bûcher ! Au milieu, la sorcière, calme et terrible !… Autour, lui, Renaud qui attaque, ici, là, partout !…

Et soudain, la poigne du bourreau s’abat sur la sorcière ! Elle est portée sur le bûcher ! Une torche luit !… Une énorme clameur, un cri lugubre, épouvantable ; la clameur du fils !

– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !…

Dans cet instant, une fenêtre s’ouvre à l’hôtel de Croixmart… À cette fenêtre, une forme blanche… une vierge aux yeux hagards, à la figure pétrifiée… C’est Marie qui se penche sur cette scène d’horreur. Elle regarde… elle écoute… Et dans ce tumulte, elle n’entend que le cri terrible de Renaud…

Et dans cette foule furieuse, c’est sur deux figures seules que s’accroche son regard. La sorcière ! La sorcière dénoncée par elle au milieu des flammes qui se tordent… Et ce jeune homme, là, sanglant, qu’elle reconnaît, son fiancé dont l’effrayante clameur hurle encore :

– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !

– Sa mère ?… Que dit-il ?… Sa mère ?… je rêve !…

Les archers se ruent sur Renaud… Marie bégaie :

– Celle que j’ai livrée au bûcher… c’est… sa… mère ?…

Les hommes montrent le poing aux archers. Les femmes sanglotent. Croixmart comprend que quelque chose de terrible se prépare. Les archers, en vain, tentent d’arriver jusqu’à Renaud…

– Ma mère ! Ma mère ! Ma mère !

– Sa mère ! C’est sa mère ! râle Marie Vacillante.

V – L’ÉMEUTE

Sur la place, une rafale de rumeurs, soudain. Une ruée d’êtres déguenillés, surgis on ne sait d’où. Et au moment où les archers de Croixmart vont enfin saisir Renaud, qui s’écroule, à demi-mort, le jeune homme se sent emporté par des gens qui lui crient :

– Courage ! Nous allons venger la bonne Providence !

– Maudite ! murmure Renaud, maudite soit la dénonciatrice ! Malheur à la fille de Croixmart !…

Pourtant, c’est en murmurant le nom de Marie que Renaud s’évanouit.

On l’emporte, tandis que le bûcher crépite, tandis que des vociférations éclatent, tandis qu’une tempête de fureur soulève l’océan humain qui déferle. Insensée, Marie regarde et balbutie :

– Cette femme… là… au bûcher… c’est sa mère !…

Où est Renaud ?… Elle ne le voit plus ! Mais son père est là, tout raide sur son cheval, l’estramaçon au poing, criant des ordres, protégeant le bûcher ! De toutes ses forces, il veut ! Brûle, sorcière ! Brûle, toi qui m’as menacé ! Brûle, jusqu’au bout ! En avant, mes gens d’armes ! Balayez-moi ces truands !…

– Petite-Flambe ! En avant, la Cour des Miracles !

– Trinquemaille et Saint-Pancrace ! Trinquemaille !

– Strapafar, milo dious ! Strapafar !

– Corpodibale, porco dio, Corpodibale !

– Bouracan, sacrament, Bouracan !…

Quatre jeunes truands d’une vingtaine d’années, frénétiques, en lambeaux, conduisent l’attaque…

Marie regarde le bûcher. Et, tout à coup, un immense cri d’horreur : le poteau vient de s’abattre ! Le corps de la sorcière disparaît… L’horrible supplice est consommé !…

Morte. La dame, la bonne Providence est morte. Il n’y a plus dans la fournaise qu’un cadavre sans apparence humaine qui achève de se réduire en cendres… Alors, Marie se détourne.

– C’est fini, prononce-t-elle tout bas.

Qu’est-ce qui est fini ? Elle ne sait pas. Le supplice ? Ou bien son amour ? Oui, tout est fini pour elle au monde, puisqu’entre elle et Renaud il y a maintenant une malédiction et un cadavre. Fuir ! Il n’y a plus que cette volonté en elle. S’en aller n’importe où, et mourir sans avoir revu Renaud !… Agenouillée dans un angle de la chambre, terrorisée, une femme…

– Bertrande, je vais partir d’ici. Veux-tu me suivre ?

– Oui, oui. C’est affreux. Partons, demoiselle.

– Allons-nous-en, dit Marie en claquant des dents.

– Votre père ! Et votre père !…

– Je n’ai pas de père. Veux-tu que je m’en aille seule ?

– Je vous suis ! Seigneur, on se massacre sur la place !…

Prudente, dame Bertrande rafle de l’or, des bijoux, diamants, perles, une fortune… Et, par un escalier dérobé, les deux femmes descendent. Quelques instants plus tard, Marie s’éloigne de l’hôtel de Croixmart…

Sur la place, l’émeute bat des ailes. Deux cents cadavres autour du bûcher ; des centaines de blessés ; des cris ; des malédictions ; des mêlées furieuses ; des groupes, où l’on s’égorge… et là, au pied de l’hôtel Croixmart, une masse plus hérissée, de tout ce qui tue… Là, entouré encore d’une vingtaine d’archers, sombre, livide, l’estramaçon rouge, le seigneur de Croixmart se défend…

– Pas de quartier ! Tue ! Tue !…

– Strapafar, vivadiou ! Corpodibale, madonna ladra !

– Bouracan ! Trinquemaille !

Une prodigieuse ruée d’êtres déguenillés qui s’entraînent. Le halètement monstrueux d’une foule en délire… et, soudain, un corps tombe !… Un corps sur lequel s’abattent des bras !… Dix minutes s’écoulent… et alors, un tonnerre de vivats, un ouragan de rires ! Et ce qu’on voit alors, c’est l’horreur d’une curée où les chiens sont des hommes, où la bête est un homme… c’est un corps déchiré, lacéré, dépecé, mis en pièces… C’EST TOUTE LA PRÉDICTION DE LA SORCIÈRE QUI S’ACCOMPLIT !…

Et cette tête livide, cette tête qu’on promène au bout d’une pique, c’est celle du baron Gerfaut, seigneur de Croixmart, grand juge prévôtal !… Justice est faite !…

VI – LES CENDRES DU BÛCHER

Le soir tomba. Sur cette place, où l’émeute avait agité ses mille bras sanglants, la solitude paraissait plus effrayante. Sur le bûcher refroidi brillait la lueur d’un falot. Un homme, en effet, penché sur les cendres du bûcher, les fouillait de ses mains tremblantes.

De temps à autre, il ramassait d’un geste empreint d’une piété tragique un ossement blanchi et, doucement, le déposait dans une caisse en chêne… Tout à coup, il tomba à genoux : il venait de découvrir la tête de la suppliciée, une tête que les flammes avaient à peine atteinte. Un sanglot secoua les épaules du travailleur nocturne ; il murmura :

– Ma mère !…

Dans cette minute, Marie de Croixmart apparut au coin de la place de Grève et se dirigea vers ce qui avait été le bûcher. Elle était en grand deuil… Et ce deuil qu’elle portait, c’était celui de la mère de Renaud… Quant à son père, elle ignorait sa terrible fin. Dame Bertrande lui avait, par un mensonge, conté la fuite du grand juge rendu responsable par le roi de la révolte des truands ; il s’était, disait-elle, réfugié dans son château de Croixmart en Île-de-France…

Marie de Croixmart atteignit le bûcher et vit l’homme.

– Renaud ! balbutia-t-elle, pantelante. Seigneur ! Vous avez donc voulu que la fille de Croixmart s’entendît maudire par le fils de la suppliciée !…

Alors, Marie de Croixmart, secouée d’un mortel frisson, voulut fuir !… À ce moment, Renaud la vit et d’une voix d’étrange douceur, prononça :

– Je vous ai appelée, Marie, et vous voici venue à mon aide. Ô Marie, ma chère fiancée, je vous bénis !…

L’âme emplie d’une surnaturelle horreur, Marie bégaya :

– Appelée !… Vous dites que vous m’avez appelée !…

– Oui, Marie, dit le jeune homme en allant à elle. Et tu m’as entendu, puisque te voici. Tout à l’heure, lorsque j’ai commencé à fouiller ces cendres pour y trouver les restes de ma mère, j’ai eu peur de ne pouvoir aller jusqu’au bout… Alors, j’ai songé que ton amour me rendrait plus fort contre la douleur… et je t’ai appelée…

Un cri de joie retentit dans l’esprit de Marie. Dans son esprit, et non sur ses lèvres, qu’elle mordit jusqu’au sang…

– Puissances du ciel ! hurla l’esprit de Marie silencieuse. Renaud ne me maudit pas ! C’est que Renaud ignore que je suis la fille de Croixmart !… Renaud, aujourd’hui, ne m’a pas vue à la fenêtre !… Oh ! qu’il ignore toujours !…

Pas une seconde, la pensée ne lui vint d’avouer qui elle était, de tenter d’expliquer le fatal événement, que cette dénonciation avait été involontaire. Marie se fit le serment de vivre toute sa vie près de Renaud, sans lui dire qui elle était. Mensonge ? Hypocrisie ? Le crime, le mensonge, l’hypocrisie de Marie eût été de détruire son amour, de blesser à mort l’homme aimé, en proclamant qu’elle était la fille de l’assassin.

En quelques secondes, Marie organisa sa vie de fille sans nom, échafauda une existence bâtie sur le mensonge, et de ce mensonge, fit une vérité sublime.

– Renaud, dit-elle d’une voix calme qui vibrait seulement de son pur amour, mon bien aimé, je suis à toi, toute. Veux-tu que je t’aide ?

– Tu m’aides de ta présence, murmura Renaud, enivré par cette ineffable musique. C’est fini, tiens, regarde…

Et prenant le falot, il éclaira l’intérieur de la caisse. Marie se pencha sur ces pauvres ossements, quelques-uns tout blancs, d’autres noirs, et murmura une prière. Puis enlaçant Renaud :

– Mon fiancé, mon époux, ta douleur, c’est toute ma douleur. Cette souffrance, n’est-ce pas l’union de nos deux êtres ?…

– L’union, oui, dit-il. Rien ne peut nous séparer…

– Rien ? fit-elle dans un souffle haletant.

– Rien, Marie. Rien. Pas même la mort, crois-moi !

Renaud, alors, se pencha sur la tête qu’il venait d’exhumer. Doucement, il l’essuya. Marie se sentait défaillir. Renaud tremblait. Il s’y prit à deux fois avant de se sentir assez fort pour soulever ce faible poids, et déposer la tête dans le cercueil. Et, lorsqu’il l’eut prise, enfin, il la garda un instant dans ses mains.

Marie, à genoux, crut qu’elle allait mourir. Et si elle ne s’évanouit pas, c’est qu’elle se disait : « Si je succombe à la faiblesse, il pourra m’échapper un mot qui apprenne à Renaud la vérité qui nous tuerait tous deux !… » Renaud pleurait. Et Marie entendait sa voix brisée.

– Ô ma pauvre vieille mère, pardon ! Pardon pour moi, et pardon pour cet ange qui assiste à vos funérailles. N’est-ce pas, que vous lui pardonnez ? Ce n’est pas sa faute si je suis resté à Paris, et si vous y avez attendu. Si elle avait su que la fille de Croixmart vous guettait, elle m’eût crié de fuir et de vous sauver… n’est-ce pas, ma fiancée ?…

– Oui ! répondit Marie en incrustant ses ongles dans ses mains pour que la douleur l’empêchât de s’évanouir.

– Pardonnez-lui donc, mère ! poursuivait Renaud.

À ce moment, la tête… la tête morte… la tête exsangue… la tête ouvrit les yeux… [1]. Marie jeta un cri d’angoisse. Renaud vacilla et devint aussi pâle que cette tête qu’il tenait. Mais presque aussitôt il se remit et prononça :

–Les morts entendent…

Le silence était profond. Marie grelottait. Elle était hors le réel, hors la vie.

– Tu vois, dit Renaud avec exaltation, elle nous a pardonné. Marie ! Ma mère a béni notre amour…

Marie eut un soupir atroce…

– Ma mère, dormez en paix. Le serment que je vous ai fait, je le renouvelle : tu seras vengée… la fille de Croixmart mourra comme tu es morte : par le feu !…

Marie demeura écrasée, serrant sa langue entre ses dents pour ne pas crier : Grâce pour moi ! Grâce pour mon amour !…

Le bruit du marteau frappant sur les clous la ranima. Elle se leva… Renaud avait déposé la tête dans le petit cercueil, et il clouait le couvercle. Il dit :

– Marie, soyez brave jusqu’au bout. Éclairez-moi…

La jeune fille à demi-folle, prit le falot, s’approcha de Renaud à genoux, et se tint près de lui, tandis qu’il frappait du marteau. En cet instant, le pas sourd d’hommes en marche fit retentir les échos endormis de la place de Grève.

C’était une patrouille d’archers du guet commandée par un officier. Près de l’officier marchaient deux gentilshommes. Tous s’arrêtèrent brusquement. Cet inconnu à genoux dans les cendres du bûcher et achevant de clouer le couvercle d’un cercueil, cette femme drapée de noir, cette scène éclairée par les lueurs du falot, ce dut être pour eux une vision créatrice d’effroi… Ils reculèrent. L’un des gentilshommes s’avança, au contraire, examina les deux apparitions, étouffa un juron de joie haineuse, et revint à ses compagnons.

– Que font ces deux envoyés de Satan ? gronda l’officier.

Le gentilhomme lui saisit le bras et murmura à son oreille :

– Silence, monsieur !… Rentrez au Louvre, sans bruit. Et faites savoir aux fils du roi qu’ils aient à ne plus s’inquiéter…

L’officier obéit. La patrouille s’éloigna. Mais les deux gentilshommes étaient restés cachés dans l’ombre. Ces deux hommes étaient : l’un, le comte Jacques d’Albon de Saint-André ; l’autre, le baron Gaétan de Roncherolles.

VII – LE CIMETIÈRE DES INNOCENTS

Ni Marie, ni Renaud, n’avaient rien vu, emportés qu’ils étaient bien loin des choses de ce monde. Lorsque le dernier clou fut enfoncé, Renaud se releva, le petit cercueil dans ses bras. Puis il fit signe à Marie de le suivre. Silencieusement, ils se mirent en route, lui, portant la caisse de chêne, elle, portant le falot. Bientôt, ils parvinrent à un enclos dont Renaud ouvrit la porte à claire-voie. Ils entrèrent. Et Marie vit alors qu’ils étaient dans le cimetière des Innocents.

Renaud pénétra dans une cabane qui contenait les outils du fossoyeur, et en ressortit avec une bêche. Il se mit à creuser. Quand il eut fini, il vit Marie si pâle, si pétrifiée que, pour toujours, cette vision se grava dans son esprit.

Il lui prit la main et la garda un instant dans la sienne, puis, il combla la fosse au fond de laquelle il avait déposé le cercueil.

– Dormez en paix, ma mère. Adieu. Je vais me mettre à l’œuvre. Je retrouverai la fille de Croixmart…

Un sanglot l’interrompit. Marie pantelait :

– Pourquoi ne parle-t-il pas de mon père ?… Pourquoi parle-t-il seulement de la fille de Croixmart… DE MOI !…

– Je retrouverai la dénonciatrice, continuait Renaud. Ma fiancée m’y aidera… n’est-ce pas Marie ?…

– Oui, dit-elle, je t’aiderai !…

– Vous entendez, mère ! Nous serons deux : votre fils et votre fille !… Je ne reviendrai ici que le jour où je pourrai vous appeler de votre tombe et vous dire que justice est faite !…

Les paroles de ce jeune homme qui parlait de réveiller les morts n’étonnèrent pas Marie, tant elles avaient un accent de conviction. Renaud s’approcha d’elle, lui prit la main, et, de sa voix au timbre harmonieux :

– Chère Marie, vous m’aimez ?… dit-il.

– Ah ! fit-elle dans un cri, pouvez-vous le demander !

– Eh bien, ma bien-aimée, ce que vous avez promis de me dire enfin, dites-le ici, devant cette tombe.

– Quoi ? bégaya la jeune fille, prise de vertige.

– Oh ! dites-le tout de suite, implora ardemment Renaud, afin que demain, je puisse aller vous demander… dites !

– Quoi ? répéta Marie, ivre d’épouvante et d’horreur.

– Le nom de votre mère et de votre père, dit Renaud.

Marie se raidit dans un suprême effort pour ne pas tomber. Cette question, elle s’y était préparée. Elle avait échafaudé jusque dans ses détails le mensonge… le mensonge qui les sauvait tous deux du désespoir, lui surtout !

– Le nom de mon père ?… balbutia-t-elle.

– Ne faut-il pas que je le sache ? fit le jeune homme.

Lentement elle appuya sa tête sur son épaule, et murmura :

– Renaud, il faut que je te fasse le sacrifice de ma fierté, puisque je veux être à toi tout entière… La honte n’est qu’un mot !

– La honte ? Que dis-tu, Marie !…

– La triste vérité. Écoute, Renaud… Je n’ai ni père ni mère, je suis… une fille sans nom.

Renaud tressaillit. De ses bras, il enlaça sa fiancée…

– Et c’est là ce que tu avais honte de me dire ? Oui, je sais de quels dédains féroces on poursuit les enfants sans nom !… Mais je suis, moi, toute ta famille.

– Oui, oui ! gémit-elle en l’étreignant convulsivement.

– Et quant au nom, tu vas en avoir un : le mien !

– Oui, oui ! répéta-t-elle. Ainsi tu ne me rejettes pas ?

Les lèvres de Renaud sur les lèvres de Marie répondirent. Une minute, ils demeurèrent enlacés. Alors vinrent les questions, et ce fut terrible. À chaque question, il y eut une réponse précise, comme si de longue date, Marie eût inventé les moindres détails.

Elle avait été exposée, à sa naissance, sur le parvis Notre-Dame. Une femme du peuple l’avait recueillie. C’était Bertrande. Le lendemain, Bertrande avait reçu mystérieusement une très grosse somme et des papiers constituant la propriété pour Marie d’une maison rue de la Tisseranderie. Bertrande, veuve, avait élevé l’abandonnée. Elle avait supposé que ses parents étaient de noblesse ; elle s’était habituée à l’appeler demoiselle, et à se comporter en dévouée servante. Marie avait vécu dans cette maison de la rue de Tisseranderie jusqu’au jour où elle avait rencontré Renaud.

Ce fut une série de réponses concises, faites sans hésitation.

– Ainsi, tu ne me rejettes pas ? répéta Marie.

Renaud la prit dans ses bras, l’étreignit.

– Ma mère, dit-il, Soyez témoin. Je jure de consacrer ma vie au bonheur de cet ange comme j’ai juré de n’avoir ni paix ni trêve que je n’aie atteint la fille de Croixmart.

Et il sortit du cimetière, emmenant sa fiancée, d’un pas ferme, vers la rue de la Tisseranderie, l’âme noyée d’orgueil. Comme ils approchaient de la maison que lui désignait Marie, Renaud murmura :

– Puisque tu es seule au monde, puisque tu es ma fiancée…

– Je suis ta femme, dit la jeune fille exaltée.

– Dès demain, j’irai trouver à Saint-Germain-L’auxerrois un vieux prêtre, mon ami, et nous ferons célébrer notre mariage.

Marie frissonna de terreur. Car le mariage, c’était :

Ou la signature légitime ! L’aveu de son vrai nom !…

Ou le mensonge cette fois sur les livres de Dieu !…

Ou la catastrophe !

Ou le sacrilège !

Des deux côtés, c’était la mort [2].

Chapitre 2 - LE MARIAGE.

I – LE ROI FRANÇOIS Ier

Nous prierons nos lecteurs de nous suivre au château du Louvre. Nous passerons à travers la cohue des courtisans, et nous nous arrêterons un instant dans un salon écarté.

Là, quatre personnages étaient réunis. C’étaient, d’une part, François et Henri, les deux fils du roi, et, d’autre part, Roncherolles et Saint-André, qui venaient d’arriver. Les deux frères, enchaînés l’un à l’autre par la haine, ne se quittaient pas.

C’est que les deux frères adoraient la même femme. Ensemble, ils l’avaient vue pour la première fois sous les peupliers de la Seine et chez tous deux, la passion s’était déchaînée.

À l’entrée de Roncherolles et Saint-André, les deux princes eurent le même mouvement d’interrogation angoissée.

– Nous connaissons le bien-aimé ! s’écria Saint-André.

– Nous savons qui est la fille, dit Roncherolles.

– Qui est-elle ? interrompirent les deux princes.

– La fille du seigneur de Croixmart.

– Tué hier en place de Grève ! ajouta Saint-André.

Aucun des deux frères ne songea que la mort tragique du père pouvait les faire renoncer à leurs projets.

– Seule, maintenant ! dit François avec un soupir.

– Et sans défense ! dit Henri avec un sourire.

– Et l’homme qu’elle aime ?… grondèrent-ils tous deux.

– Il s’appelait Renaud, dit Roncherolles.

– Cette nuit, ajouta Saint-André, nous lui avons vu faire quelque chose d’étrange… Prenez garde, messeigneurs. Qui sait quelles protections couvrent les agents de l’enfer ?…

– Qu’avez-vous donc vu ? murmurèrent les princes.

– Quelque chose, dit Roncherolles, qui a fait reculer de terreur la ronde que nous conduisions…

– Et quelque chose, se hâta d’ajouter Saint-André, qui vous débarrassera de cet homme, s’il est d’essence humaine…

– Comment cela ? firent avidement les deux frères.

– Voici, messeigneurs. Passant sur la place de Grève, nous avons vu ce Renaud, agenouillé sur les cendres du bûcher où a été brûlée la sorcière. Un spectre noir l’accompagnait. Il enlevait les ossements de la sorcière !…

Les deux princes frémirent. Roncherolles acheva le récit :

– Ossements destinés sûrement à un maléfice. Renaud est criminel : il n’y a plus qu’à le faire brûler !

– C’est vrai ! rugit Henri. Je cours chez le roi.

– Non ! grinça François. C’est à moi, l’aîné, d’y aller !

Les deux frères se mesurèrent du regard. Des paroles confuses s’échangèrent, les grondements de deux tigres face à face. À ce moment, une tenture se souleva, et Saint-André cria :

– Le Roi !…

C’était en effet François I er, le roi batailleur et galant, qu’il nous faut ici présenter en quelques mots. Pour cela, nous entrerons dans une magnifique salle où le roi François I er et le connétable de Montmorency pénètrent ensemble. François I er est rentré à Paris depuis quelques jours après une trêve signée avec Charles-Quint, et Paris lui a fait une splendide réception.

François I er venait d’avoir son tour de triomphe. Il avait jeté sa griffe sur les Savoies, et Charles avait demandé une trêve…

Le roi de France, donc, pénétrait avec Anne de Montmorency dans son cabinet de travail. Le connétable regarda le roi qui se mit à rire.

– Eh bien ! Parle. Mais d’abord, laisse-moi te féliciter. Quel appétit ! Je voudrais avoir tous les jours des convives tels que toi à ma table ! Moi, je n’ai pas mangé.

– Sire, dit Montmorency, Sa Majesté Charles-Quint rassemble soixante à quatre-vingt mille combattants, et dans trois mois…

François I er se mit à arpenter son cabinet. Il avait conservé cette élégance qui faisait de lui le plus beau gentilhomme de son royaume.

– Quelle entrée ! s’écria-t-il. As-tu vu comme les femmes agitaient leurs écharpes et comme elles étaient jolies ? Dieu me damne, elles sont toutes amoureuses de moi !

Anne de Montmorency redressa sa taille de géant.

– Sire, dit-il, lorsque l’empereur aura sous sa main l’armée qu’il rassemble, il rompra la trêve. Alors, sire, le vautour impérial fondra sur vos provinces, et…

– Et nous lui opposerons ta rude épée, mon connétable, cariatide de mon trône ! Ah ! par tous les diables, laisse-moi m’enivrer de vie, après m’être tant enivré de mort sur les champs de bataille !… Oui, je sais ! J’aurais dû achever le sanglier !… Que veux-tu ! Tu ne peux comprendre, toi, géant d’acier, qu’un cœur d’homme batte dans ma poitrine…

– Toujours l’amour ! Maudites soient les femmes !

– Amen ! dit François I er en éclatant de rire. Allons, rassure-toi. Il y aura encore de beaux carnages par le monde. Prends ton temps. Et prépare-nous une expédition qui écrase pour toujours le sanglier. En chasse. Et en attendant, vive l’amour !

Le connétable s’inclina jusqu’à terre, admirant que le roi pût parler si bellement de l’amour tout en donnant de ce ton léger un ordre de guerre qui devait mettre le feu à l’Europe.

– Sire, dit-il, ces paroles de roi me suffisent.

– Bon. Maintenant, va-t’en. Moi je m’en vais dire bonjour à mes gentilshommes qui, paraît-il, sont férus de me voir.

C’était vrai. Assemblés au Louvre, mille gentilshommes attendaient François I er pour le féliciter de son triomphe et de son retour. Le roi se dirigea vers la réception, épanoui, saluant ses officiers avec grâce, pinçant l’oreille à ses suisses en riant, adressant aux dames qu’il rencontrait de merveilleux et lestes compliments et chacun s’apprêta à recevoir quelque étincelle de cette gerbe éblouissante qui allait retomber en faveurs.

François I er parvint à ce salon isolé où nous avons vu réunis quatre personnages. Devant la lourde tapisserie tendue sur la porte ouverte, le roi s’arrêta : deux voix échangeaient là des paroles où rampait l’envie, où sifflait la haine. Et ces voix, le roi les reconnut. C’étaient celles de ses deux fils : François, dauphin de France, et Henri, le jeune mari de cette adorable créature dont raffolait toute la cour, à l’exception de l’époux… Catherine de Médicis !

– Ils se haïssent ! gronda-t-il. Ah ! Devrai-je quitter ce monde avec cette pensée que je laisse derrière moi deux frères jaloux jusqu’à s’entre-tuer et à déchirer mon royaume !

Il écouta quelques minutes. Et alors, un sourire détendit ses lèvres : une flamme pétilla dans ses yeux :

– Dieu soit loué : il ne s’agit que d’une femme !…

II – LES DEUX FILS DU ROI

François, héritier de la couronne, était un jeune homme d’environ vingt-quatre ans. Henri, Duc d’Orléans, deuxième fils du roi, époux de Catherine de Médicis, n’avait pas atteint son vingtième printemps. Ils avaient tous deux cette élégance native de la race des Valois à son apogée. Ils étaient également beaux. On eût cependant observé chez François plus d’orgueil violent, et chez Henri plus de douceur cauteleuse.

C’étaient deux insatiables chercheurs d’aventures amoureuses, s’aidant quelquefois, cherchant le plus souvent à se voler l’un à l’autre leurs conquêtes, sceptiques, insoucieux des déshonneurs qui naissaient sous leurs pas.

– Écoutons encore ! murmura le roi souriant.

– Mon frère, disait Henri, vous êtes le premier du royaume après le roi. Aujourd’hui, je ne suis que le fils du roi. Quand vous régnerez, je ne serai que le frère du roi. Ah ! comment pouvez-vous me disputer le pauvre bonheur d’aimer cette fille ?

– En amour, Henri, chacun pour soi et le Diable pour tous ! N’avez-vous pas cette fleur magique venue d’Italie ? Vous aimez cette petite Marie ? Mais je l’aime aussi, moi ! Mort-diable, je la disputerai à quiconque, l’épée au poing, s’il le faut !

– Enfer ! murmura Henri, plutôt que de vous céder Marie…

– Eh bien ! que ferez-vous ? gronda François.

Les deux frères se jetèrent un regard de haine.

– Le roi ! cria Albon de Saint-André.

– Le roi ! murmurèrent les deux frères en se retournant.

– Jour de Dieu ! fit joyeusement François I er en s’avançant. Voici qu’on se dispute à propos d’un jupon ? Silence ! Allons, qu’on s’embrasse à l’instant et qu’on fasse la paix !

François et Henri se jetèrent dans les bras l’un de l’autre. Mais sans doute le baiser qu’ils échangèrent ressemblait à une morsure de haine, car le père pâlit.

– Enfants, dit-il. Deux frères qui se veulent le mal de mort pour une fille ? Eh ! morbleu, tirez-la au sort ! Est-elle jolie, au moins ?

– Ah ! sire. Figurez-vous une admirable chevelure de madone blonde, des lèvres vermeilles comme une grenade…

– Des yeux bleus, ajouta François, si bleus que, près de ces yeux-là, l’azur du ciel semble moins pur…

– Holà ! cria le roi en riant. Je connais cette antienne. Assez, ou vous allez me forcer à me mettre sur les rangs !

Les deux princes frémirent. Car il était arrivé que François I er les avait mis d’accord en jouant le troisième larron. Roncherolles gronda à l’oreille du dauphin :

– Et l’arrestation, monseigneur ! Si vous n’arrêtez pas l’homme, la belle vous échappe !

Albon de Saint-André pâlit de s’être laissé devancer.

– Sire, dit le dauphin, deux serviteurs de Votre Majesté, le comte de Saint-André et le baron de Roncherolles, après la bagarre d’hier, ont fait bonne garde. Menant une ronde place de Grève, ils ont vu un certain Renaud, se livrer à une besogne peut-être démoniaque et à coup sûr criminelle. Il faut que cet homme soit arrêté, jugé, condamné. Sire, un ordre de vous, et cet homme meurt !…

– Encore des histoires de sorcellerie ! grommela le roi. Elles nous réussissent bien !… Croixmart en sait quelque chose.

– Sire ! s’écria Henri. Cet homme a été vu enlevant les ossements de la sorcière brûlée hier.

– Eh bien ? fit le roi d’un ton bourru.

– Sire, il faut arrêter ce Renaud, et lui faire son procès.

– Non pas, par la mort-dieu ! Assez de procès en sorcellerie. Hier, nous avons eu une émotion qui a failli tourner à la sédition. Mes enfants, apprenez à sourire au lion, afin de le mieux dompter. Paris nous a dit hier qu’il ne veut pas qu’on lui brûle ses sorciers et ses sorcières.

François et Henri se regardèrent. Roncherolles et Saint-André soupiraient de rage. Le roi se dirigea vers la porte. La main sur le bouton de cette porte, il se retourna, la figure soudain assombrie :

– Amusez-vous, enfants, amusez-vous comme s’est amusé votre père. Croyez-en votre roi ! Prenez garde de mettre un remords dans votre vie ! On voit une fille, on la trouve jolie, elle succombe… et on l’oublie ; alors, on croit que c’est fini ! Dix ans, vingt ans plus tard, un spectre éploré s’en vient rôder autour de vous. Alors, on s’aperçoit que ce spectre, c’est celui de la fille qu’on a cru oublier ! Alors, en entend des imprécations monter de quelque tombe solitaire, et on se dit : Je suis maudit !…

Saisis d’une sorte d’effroi, pâles, les deux princes écoutaient…

– Tout est perdu ! dit Henri. La fille nous échappe !

– Rien n’est perdu, dit tranquillement Roncherolles.

– Sans aucun doute ! se hâta d’ajouter Saint-André. Puisque le roi refuse de faire arrêter l’homme…

– Eh bien ! cria Roncherolles, nous le ferons disparaître !

– Vous vous en chargez ? haletèrent les deux princes.

– Nous nous en chargeons !

Les deux royaux sacripants furent rassurés. Et, la jalousie se déchaîna en eux. Ils se rapprochèrent l’un de l’autre.

– Suivons-nous le conseil du roi ? haleta François.

– Lequel ? grinça Henri. Celui de craindre le remords ?

– Non, rugit François, celui de la tirer au sort !

– J’allais vous le proposer ! gronda Henri furieusement.

– Des dés ! hurla François.

– En voici ! dit Saint-André.

Albon tira de dessous son manteau un cornet de cuir comme en portaient toujours les joueurs. Au moment où il allait y ajouter les dés, Roncherolles en jeta sur la table et dit :

– Tu fournis le cornet, moi les dés ; chacun son apport.

– Et chacun sa part. C’est juste, dit Saint-André.

– Qui commence ? fit Henri dans un grondement de fauve.

– Moi ! râla François. Par droit d’aînesse !

– Soit ! rugit Henri dont le regard flamboya d’envie.

François saisit les dés, les jeta dans le cornet, les agita.

– Convenons d’un règlement d’honneur, reprit Henri.

– C’est vrai ! grinça François. Soyons gens d’honneur.

– Celui qui aura perdu devra prêter ce soir aide et assistance loyales à l’autre. Cela vous convient-il ? Jurez !

– Je jure !…

Les deux frères, un instant, gardèrent le silence. François secoua les dés. Mais Henri l’arrêta :

– Celui qui aura perdu devra renoncer à jamais à la fille et ne jamais entreprendre contre elle. Jurez !

– Je jure, gronda François. Jurez aussi, vous !

Henri répéta le serment.

François agita le cornet, les dés roulèrent sur la table.

– Trois ! cria Saint-André.

François eut un rugissement de rage ; il avait amené unet deux, c’est-à-dire qu’il avait toutes les chances possibles de perdre, chaque dé portant six numéros, de un à six.

– C’est bien, dit François ; je crois que j’ai perdu.

Henri, à son tour, jeta les dés sans regarder, avec un sourire de triomphe. Dans cet instant même, Roncherolles disait :

– Deux !… Ah ! monseigneur, voilà un triste coup de dés.

François jeta un hurlement de joie ; Henri, hagard, mordit la main qui avait agité le cornet et râla :

– Malédiction !

III – LE MARIAGE SE FERA-T-IL ?

La maison de la rue de la Tisseranderie où s’était réfugiée Marie de Croixmart était petite, d’extérieur modeste, mais bien pourvue à l’intérieur. L’art imaginatif de la Renaissance triomphait là. Cette maison, Marie la tenait en propriété de sa mère, avec deux autres, dont l’une rue Saint-Martin, et l’autre, rue des Lavandières, en face du cabaret de l’Anguille-sous-Roche.

Au rez-de-chaussée, en cette après-midi, huit jours après les scènes que nous avons fait revivre, Bertrande s’occupait des soins du ménage. À l’étage supérieur, dans la chambre de Marie, Renaud est là, comme tous les jours.

Les deux fiancés, assis, se tenaient par la main. La sérénité des traits de Marie reposait sur le frénétique effort d’une volonté tendue à se briser. Tandis qu’elle souriait, d’effroyables tumultes se déchaînaient dans son esprit.

– Voici la catastrophe ! Rien ne peut l’empêcher ! Rien !

– Marie, continuait Renaud, voici écoulés les huit jours d’attente que tu m’as demandés. Notre mariage au lendemain du malheur eût été accompli sous de tristes auspices. Ces huit jours ont remis un peu de calme dans mon cœur… le souvenir s’estompe… l’épouvantable vision s’efface…

– Cher bien-aimé, dit Marie, attendons encore un peu. N’es-tu pas sûr de mon amour ? Et tiens, sais-tu à quoi j’ai pensé ?… Nous partirions tous deux, nous irions à Montpellier, et là, sous le regard et la bénédiction de ton vénérable père, notre union s’accomplirait…

Renaud secoua la tête.

– La catastrophe ! songea Marie. Rien ne l’empêchera !…

– Tu oublies ce que j’ai pu oublier pendant ces huit jours ; il faut que la fille de Croixmart expie son double crime… le crime d’avoir envoyé ma mère au bûcher… et le crime d’être fille d’un tel père. Ma mère a maudit cet homme jusque dans sa postérité. Je dois réaliser la malédiction.

– Comme tu la hais ! murmura Marie.

Un flamboyant éclair avait jailli des yeux noirs de Renaud.

– Quant à mon père, reprit-il, tu as raison de m’en parler. Il attend le philtre que je dois lui apporter…

– Le philtre ? interrogea Marie en tressaillant.

– Un philtre, que pour lui, j’ai été chercher à Leipzig, et que lui a fabriqué un mage. Un philtre qui peut prolonger sa vie, ou tout au moins lui rendre la force nécessaire à ses travaux… Je vois que cela t’étonne. Bientôt tu sauras la vérité sur mon père, sur ma mère et sur moi.

– Oh ! fit Marie avec curiosité, quand sera-ce ?…

– Quand tu seras ma femme…

– Oh ! râla Marie. Rien n’empêchera la catastrophe !

– Et ce sera demain ! acheva Renaud. Le prêtre est prévenu. Deux de mes amis, Roncherolles et Saint-André, seront témoins. Ah ! je ne veux pas courir à Montpellier avant de t’avoir donné mon nom… et surtout, avant d’avoir échangé avec toi le baiser suprême qui te fera mienne pour toujours…

– Voici la catastrophe sur moi ! hurla l’âme de Marie. Oh ! cette pensée !… Seigneur tout-puissant, c’est vous qui me l’envoyez ! Je serai sa femme avant le mariage, et le mariage sera inutile !… INUTILE, PUISQUE JE SERAI SIENNE SANS MARIAGE !…

D’un coup d’ailes, cet ange de pureté s’éleva aux régions d’éternelle vérité où il n’y a plus ni pureté ni impureté. Renaud s’était levé, en disant :

– Roncherolles et Saint-André m’attendent. À demain…

– Reste, balbutia Marie, ne t’en va pas encore…

– Que je reste ? bégaya Renaud enivré, ébloui.

– Oh ! tu ne vois donc pas que je me meurs d’amour !…

– Que je reste ? répéta le jeune homme, qui frémit et sentit ses veines charrier des torrents d’amour.

Elle ne répondit plus. Ses bras se nouèrent sur lui. Ses yeux se fermèrent. Ses lèvres cherchèrent les lèvres de Renaud… Marie s’évanouit à demi. Et lorsqu’elle se réveilla, l’holocauste était accompli, Marie était la femme de Renaud.

– Maintenant, se dit-elle lorsque chancelante, éperdue, elle se vit seule, oh ! maintenant, le mariage est inutile.

À ce moment, Renaud qui, le paradis au cœur, courait rejoindre ses deux amis, Renaud se répétait ardemment :

– Maintenant, oh ! maintenant plus que jamais, il faut que le mariage s’accomplisse dès demain, ou je serais infâme.

Il était environ 9 heures du soir lorsque Renaud atteignit son logis, où Saint-André et Roncherolles l’attendaient.

– Chers bons amis ! s’écria Renaud. Toujours fidèles…

– Nous eussions attendu jusqu’à demain… sans reproche.

– Oh ! pardon, pardon, mes braves amis !… Si vous saviez… Mais convenons de la grande journée de demain.

– Nous ne sommes pas les seuls à t’avoir attendu, dit Roncherolles. Il y a ici, dans la cuisine, un homme qui se restaure et t’attend depuis 2 heures de l’après-midi.

– Un homme ? fit Renaud avec une vague inquiétude.

– Un courrier de Montpellier, dit Saint-André attentif.

Renaud deux secondes après, disait au courrier :

– Vous arrivez de Montpellier ?

– En onze jours, seigneur. J’ai fait environ dix-huit lieues par jour et me voici à Paris depuis midi.