Onirigami - Christine GOUX - E-Book

Onirigami E-Book

Christine GOUX

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Beschreibung

Ne pensez vous être qu’ici et maintenant ? Vous imaginez peut-être que les blessures que vous infligez autour de vous ne laissent aucune trace ?  

Elles sont des cicatrices inscrites comme une empreinte sur votre âme à travers le temps…il vous faudra un jour les regarder en face et les réparer. 

L’histoire d’Adèle nous embarque dans un voyage intérieur, au travers d’une histoire d’amour hors-norme. Un amour qui défie les lois de la temporalité et de l’espace. D’ailleurs est-il bien réel et qu’est ce que la réalité ? Adèle nous ouvre les portes de sa double vie, celle de son quotidien de femme, ses amours, ses questionnements, ses blessures et puis ses voyages oniriques, ses dialogues avec son guide spirituel qui virevoltent et s’entremêlent comme une danse dans sa vie. 

Que se passerait-il si ces deux mondes se télescopaient ? 


À PROPOS DE L'AUTEURE

Christine GOUX est une femme au parcours atypique. Pilote - Instructeur, puis chef à domicile, elle relève aujourd’hui un nouveau défi qui lui tenait à cœur ; poser des mots sur cette histoire, qu’elle portait en elle depuis 25 ans. 

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ChristineGOUX

ONIRIGAMI

la danse d’unevie

« J’ai pris une gorgée et j’ai vu le vaste océan. Vague après vague, il a caressé mon âme. »

« Les amoureux ne se rencontrent pas, ils sont l’un dans l’autre depuis le début… »

–Rûmi

À mon père qui a ouvert les portes de l’impossible…

Chapitre 1 Les entretiens d’Aïkiram

–Est-ce qu’il y a un Dieu ?

–Ta vision ma Douce, de ce qu’est un Dieu, n’est pas la nôtre, mais je peux répondre oui à ta question. Il est l’air que tu respires, la lumière de l’univers et celle qui brille en toi, en vous. Il est invisible à tes yeux et pourtant dans tout ce que tes yeux veulent voir. Il est dans chaque être vivant et dans toute chose que tu penses, non vivante.

–S’il est en nous et dans toute chose, pourquoi doit-on vivre ? Reconnais que l’existence n’est pas toujours une partie de plaisir…

–La vie est un terrain de jeu où tu rentres sans connaître les règles, mais tu as fait ce choix. Tu es là pour vivre des expériences et rééquilibrer celles vécues ailleurs. Le jeu s’arrête quand tu deviens maître de ton propre jeu.

–Tu veux dire qu’ensuite nous mourrons ?

–La mort est une naissance où tu te retrouves toi. La vie et la mort ne sont qu’un cycle sans fin face à toi-même.

–Tu parles de réincarnation, alors ?

–La réincarnation est une vision linéaire et temporelle de l’existence. Je parle de plans différents et d’instant présent.

–Tu me donneras un jour le décodeur de ce que tudis ?

–Ma Douce, tes questions seront toujours une source de rire pour moi. Ta réalité tangible n’est là que pour t’apprendre tout ce que tu as oublié, la réalité. Bien évidemment pas celle du jeu, mais celle vers laquelle tu retourneras. Tu es ton propre décodeur, tu as déjà tout entoi.

Chapitre 22 août 2022 à Montmartre

Le destin est ironique. Adèle sentit la lame s’enfoncer dans ses entrailles. Elle fut surprise avec quelle fluidité celle-ci transperça sa chair. Aucune résistance, son chemin avait été comme tracé. 

L’homme recula d’un pas, comme pour admirer son œuvre, un rictus s’affichait sur ses lèvres. Il savourait ce moment délicieux, l’accomplissement d’un acte qu’il avait attendu si longtemps. Vivre le pouvoir de l’instant où l’on arrache la vie à un être, et peu importait qui elle était. Il avait tant de fois eu le désir profond de ressentir ce frisson, tel un appel qui le tenaillait. Puis d’un coup, il lâcha le couteau et, pareil à un fantôme, s’évanouit dans l’ombre d’une rue transverse.

Le son clair du métal résonna sur le pavé et fit écho dans la ruelle. Une douleur fulgurante traversa son corps. Elle posa sa main sur son ventre et sentit la chaleur du sang chaud qui s’en échappait dans un flot continu. Elle cria ! C’était un cri de stupeur. Durant un instant, le silence envahit les lieux, même les oiseaux retinrent leur respiration. Elle l’appela. Le son qui sortait de sa gorge n’était déjà plus qu’un gémissement, un murmure. Ses jambes plièrent sous la douleur et lentement, sans lutte, elle s’écroula sur le sol. Ses longs cheveux aux reflets dorés entremêlés de fils d’argent s’éparpillèrent négligemment sur le granit. Le goût poisseux et ferreux du sang monta à sa bouche. 

Hayden accourut. Il n’avait rien vu juste une ombre s’évanouir dans une ruelle adjacente. Quelques instants plus tôt, il savourait la fraîcheur et la beauté des lieux. Il admirait cette église qu’Adèle voulait leur faire visiter. Il restait maintenant là, consterné, horrifié, ses mains maladroites cherchaient à stopper le sang qui jaillissait. L’impuissance le paralysait. Il n’avait jamais été confronté de sa vie à une réelle violence. Il finit par tomber à genoux et la prendre dans ses bras. Comment cela avait-il pu se produire ? Lui et ses compagnons n’étaient qu’à quelques pas devant et ils n’avaient rien vu. Et surtout, pourquoi ? 

Les badauds accoururent de toute part. La ruelle, quelques minutes plus tôt, déserte accueillait maintenant une petite troupe qui encerclait la scène et Hayden pétrifié. Ses amis s’époumonaient dans un anglais pur new-yorkais, qui offrait un spectacle supplémentaire aux curieux. 

Il serra le corps d’Adèle contre lui. Il ne comprenait pas, elle le regardait et elle souriait. Hier encore, il ne la connaissait pas. Lors de son arrivée à la station de radio, Il l’avait immédiatement remarquée. Son attaché de presse avait programmé une série d’interviews dans les médias français pour la promotion de sa tournée en Europe. Elle était simple, mais elle dégageait quelque chose, une forme de douceur, de pudeur et en même temps une force, une aura charismatique l’entourait, une lumière. Elle n’avait pas besoin de le montrer, cela émanait d’elle. Quand sa main s’était levée pour se proposer comme guide parisien, pour lui et ses compagnons, parmi tous les volontaires, il n’avait pas hésité une minute. C’était un élan impulsif. Elle l’intriguait.

Adèle souriait. C’était l’ultime cadeau que la vie lui offrait. Aucune de ses questions n’aurait de réponse, mais il la tenait dans ses bras. 

L’univers était joueur. Le froid envahissait son corps, les sensations et la douleur s’en éloignaient.

Elle saisissait ces derniers instants, pour lui insuffler tout l’amour qu’elle avait nourri durant toutes ces années. Elle tenta de formuler quelques mots, mais les sons émis ne prenaient plus forme. Ces minutes étaient ses dernières. Elle jeta un coup d’œil désespéré à son sac qui gisait sur le sol. Elle aurait voulu l’attraper et en sortir la lettre, qui lui était destinée. Comme un talisman, elle ne quittait jamais son sac. Elle était le cerbère de son secret et porteuse de la confiance qu’un jour la vie l’amènerait jusqu’à lui. Pliée avec soin et usée par les années, elle y avait déposé les mots soufflés par son âme, elle était la gardienne de tant de questions sans réponse, sa foi dans leur destin. 

Depuis leur rencontre, elle ne cessait de chercher le bon moment, le signe, l’impulsion qui lui donnerait le courage. Mais existait-il de bon moment, lorsque l’on sait qu’il est impérieux d’agir ? Leur rencontre était le seul signe qu’elle aurait dû écouter. Elle avait attendu vingt-cinq ans cette opportunité et d’ailleurs elle ne l’attendait plus vraiment. À présent, cette porte allait se refermer à jamais et la porte de son cœuravec.

L’air commençait à lui manquer et elle aurait donné n’importe quoi pour quelques souffles de plus, pour qu’il puisse entendre ces mots, pour qu’il comprenne, pour sentir la chaleur de ses bras qui l’enlaçaient. Adèle aimait rire de tout et savait jouer de toute situation. La vie lui offrait une curieuse farce pour son départ. Elle avait imaginé et rêvé maintes fois ce moment, mais l’univers avait conçu un scénario des plus ubuesques. Pourtant il n’avait jamais cessé de la surprendre, mais pour le bouquet final il était allé au-delà de ses espérances. Une fois de l’autre côté du voile, elle en rirait probablement, mais à cet instant l’ironie avait un goût amer. Son regard lui renvoyait toute l’impuissance qu’il ressentait, sa stupeur et sa colère. Cela la chagrinait de partir en lui laissant ce poids. Elle avait tellement plus à lui transmettre. L’espoir, la certitude que toutes ses questions auraient un jour une réponse et qu’elle serait là pour l’accueillir.

C’était une rencontre avec son destin. Ce sont des rendez-vous que l’on n’attend pas vraiment. Cet inconnu n’était qu’un instrument divin qui avait rempli son rôle et s’était envolé. C’était un peu brutal comme rendez-vous, mais il faut bien partir de quelque chose. Elle avait souvent secrètement demandé à Aïkiram, son fidèle guide, de lui épargner une longue agonie. Sur ce coup-là, elle avait été entendue !

En s’engageant dans la ruelle, elle avait immédiatement ressenti sa présence. Une énergie sombre, ténébreuse. Elle avait reconnu cette vague glaciale, angoissante, qui vous traverse le corps et vous engloutit. Elle connaissait bien cette alarme interne et elle aurait dû peut-être l’écouter. Il y avait danger et tous ses sens lui hurlaient. Elle avait volontairement laissé un peu d’espace entre elle et ses compagnons. Peut-être que son instinct avait espéré les protéger, ou bien, voulait-elle confirmer son ressenti. Ce besoin insatiable de preuve, qui lui avait toujours pourri la vie et qui ne l’avait jamais abandonnée.

Puis leurs regards se croisèrent, juste une fraction de seconde. La noirceur et la folie l’avaient submergée. Elle n’avait été qu’une occasion pour lui. Sa rage devait s’exprimer, exulter. La folie était imprévisible. Un rayon de soleil fit miroiter la lame qu’il tenait fermement dans sa main. Elle tenta d’accélérer le pas, mais il était déjà trop tard. Il avait bondi sur elle, en un éclair et plongé la lame dans ses entrailles.

Elle était maintenant là, étendue sur le sol de cette ruelle, au cœur de Montmartre. Elle espérait que durant les quelques heures, que la vie leur avait données, elle avait pu réaliser son rêve et lui faire découvrir les curiosités et les charmes de Montmartre. Elle regarda derrière Hayden cette église en briques rouges, ornée de magnifiques ouvertures néo-gothiques. Elle l’avait choisie parce qu’elle était unique et c’est ce qui lui avait plu dans cet ouvrage. Elle fut construite à mi-pente entre l’église de Saint-Pierre de Montmartre et l’église de la Trinité. Elle était le mi-chemin. Elle pensait elle aussi être à mi-chemin. Leur providentielle rencontre, peu importe ce qu’elle offrirait, était le premier jour de quelque chose. Le premier pas d’une histoire, le premier mot d’une réponse ou une porte qui se fermerait à jamais. Cette journée devait être le premier jour du reste de sa vie. Jamais elle ne l’aurait imaginée si courte !

Il ne lui restait que ses yeux pour lui dire tout ça. Elle aurait tellement aimé partir sans ce doute, si intime, si présent, familier comme un ami fidèle qui l’avait accompagné sa vie durant. Elle cherchait une lueur, une réponse dans son regard. Savait-il seulement qui elle était ?

Au loin, on entendait le chant des sirènes, le froid avait disparu et elle sentait une vague douce et chaleureuse prendre place. Les pompiers bousculèrent Hayden pour prendre le relais et elle réalisa à cet instant qu’elle flottait à quelques mètres de son corps. Ce n’était d’ailleurs plus son corps, ce n’était qu’une enveloppe vide, un costume percé, qui ne pouvait plus contenir son Être. Elle observa cette agitation avec un certain détachement et s’approcha d’Hayden. Un dernier cadeau de départ. Elle pouvait ressentir tout son être, chacune de ses émotions et la force de son cœur. Elle remercia Dieu pour ce présent. Elle n’avait plus de doute…

Elle s’approcha du pompier qui déployait toute son ardeur pour réanimer son corps inerte et lui posa délicatement la main sur l’épaule : « Ce n’est pas grave, si tu n’y arrives pas. Je vais bien », lui souffla-t-elle.

Un élan, une force, une énergie la happa vers le haut et elle vit la lumière. Tant de gens en parlaient et elle comprenait la difficulté qu’ils pouvaient avoir à la décrire. Elle était à la fois douce et intense, vivante et vibrante. Elle était comme de l’eau qui glisse entre les doigts. Elle l’appelait et l’attirait. La lumière était l’amour, la substance qui composait toute chose, un amour infini. Elle était cet amour, libérée de son enveloppe trop exiguë. Tout était clair, limpide, plus de place pour les questions, les doutes. Plus de souffrance, d’inquiétude. Le temps, l’espace, plus rien n’existait. Merci, mon Dieu, elle emportait avec elle tout son amour…

Chapitre 3 1997 en région parisienne

Adèle était assise en face de Pierre, son médecin de famille et ami. Aucun mot ne venait, car aucun mot ne pouvait être juste. Son visage figé, ses yeux étaient rivés aux siens. Tout espoir était perdu, son père allait mourir. Pierre, avec une compassion infinie, avait posé les mots fatals et il n’y avait plus de recours à cette sentence.

Il attendait l’appel d’Adèle depuis des mois, depuis ce jour où il avait reçu son père en consultation et que leur vie à tous avait basculé. 

Il savait qu’elle le ferait quand ce serait le bon moment, pour elle, pour eux et il était prêt. Prêt à lui annoncer, ce qu’aucun autre médecin n’avait voulu leur dire. Prêt à briser tous les espoirs et prêt à les accompagner jusqu’au dernier souffle. Il ne pouvait pas le sauver, lui, mais il pouvait les aider, elles.

Adèle et sa mère avaient pris cette décision, ensemble. Les doutes, au fil des mois, avaient occupé tout l’espace, elles exigeaient de savoir. Des gestes, des attitudes qui ne lui ressemblaient pas. Son père restait des heures devant le poste de télé éteint. Il était ailleurs. Il était souvent ailleurs, dans un univers bien à lui, mais là, il était vraiment ailleurs ! Cette chose sournoise et déloyale était revenue ! Elle reprenait insidieusement possession des lieux et envahissait peu à peu son cerveau et leurs esprits à elles. Elles avaient pu pour un temps se voiler la face, mais l’évidence crevait leurs cœurs !

Il n’y avait pas de mot pour décrire le désarroi d’Adèle. Elle était effondrée et en même temps pleine de reconnaissance, devant cet homme, qui faisait honneur à son serment d’Hippocrate. Pierre s’était lancé dans une longue explication, qui meublait le silence, après le verdict. Il lui relatait ses recherches, la nature de cette chose meurtrière et tentait de la préparer à ce que seraient les mois qui allaient suivre. Bien sûr, il serait là et ferait ce qu’il pourrait pour les aider.

Elle écoutait les mots, n’en comprenait pas le contenu. Elle devait se préparer. C’est ce que Pierre lui disait. Mais comment à vingt-cinq ans pouvait-on se préparer àça ?

Tout avait commencé il y avait presque huit mois. Adèle terminait sa journée de travail et elle finissait de parquer les avions dans le hangar. Son dernier élève venait de partir. C’était un splendide lundi printanier. La météo leur avait offert une magnifique journée de vol et elle savourait ces derniers instants, quand les moteurs s’étaient enfin tus et que le silence et les pépiements des oiseaux reprenaient possession des lieux. Adèle aimait cet aérodrome, il lui était si familier, si intime. Elle y passait le plus clair de son temps depuis tellement d’années. Il fut le témoin de ses premiers vols, ses premières ailes, ses premiers amours et désamours. C’était un peu sa maison, sa famille. 

Quand le téléphone du bureau sonna, elle pesta contre celui qui l’obligeait à se contorsionner entre les ailes des avions, pour traverser le hangar. Elle décrocha, haletante, et à des années-lumière d’imaginer le message qui allait lui être délivré. 

–Adèle, bonsoir, c’est Pierre. Je viens juste d’ausculter ton père. Je voulais te prévenir.

J’ai appelé une ambulance, ils vont le conduire à l’hôpital, à Melun.

–Mais tu ne devais pas le voir dans la matinée ? répondit Adèle un peu confuse.

–Si, nous avions rendez-vous à 11 h. Il est arrivé avec 6 h de retard. Il m’a dit s’être perdu sur le chemin. Il s’est garé et a dormi tout l’après-midi. Il est désorienté Adèle et j’ai constaté une hémiplégie sur la partie gauche du visage…

Dès les premiers examens, son père fut transféré sur Paris pour aller plus loin dans leurs investigations. Les spécialistes prenaient le relais.

Seule Éliane, la mère d’Adèle, avait pu l’accompagner. Les deux femmes s’étaient entendues et Adèle l’appellerait dès le lendemain en fin de matinée, pour avoir les résultats.

Les mots tombèrent, comme une météorite dans leur existence, c’était un samedi, boulevard Haussmann, dans la cabine téléphonique, en face de Marks & Spencer. La vie grouillait tout autour de ce bocal et tout à coup, pour elle, tout s’arrêta : « Il a une tumeur de la taille d’une orange qui a envahi son cerveau. »

Le brouhaha environnant se mit en un instant sur pause et seuls les mots de sa mère résonnaient à son oreille. Elle était restée là figée, de longues minutes, le combiné du téléphone public collé à son oreille.

Tout s’enchaîna très vite ensuite, l’opération, les mois de séances de rayons. Après l’angoisse de l’annonce des premières semaines… la vie reprenait peu à peu sa place. Une promesse d’avenir insidieusement s’était installée, et aucun médecin ne l’avait désavouée. Alors naturellement tout ça ne devenait qu’un mauvais souvenir.

Leurs cœurs s’étaient remplis d’espoirs, leurrés par les discours bien huilés et dépersonnalisés de spécialistes, gonflés d’orgueil et de certitudes. 

Prises dans le mouvement continu des rouages de cette immense machinerie médicale, où chaque élément s’emboîtait dans le suivant, où le traitement était une finalité, la guérison, un incongru. On arrêtait de poser des questions. La peur avait délié les dernières résistances face à ce macrocosme qui vous digérait peu à peu. Plus de questions, plus de discernement, elles avaient donné leur pouvoir à cette machine et elles avaient été broyées…

Et comment ne pas les croire ? Elles ne demandaient que ça de croire…

Seule au volant de sa voiture, Adèle cédait à sa rage, cette colère refoulée depuis des mois, car elle sentait que quelque part au fond d’elle, elle savait. Elle ne pouvait pas expliquer ce sentiment, mais elle savait. Sa colère était tournée vers elle, de s’être laissé berner, de s’être laissé endormir par les discours de ces dégonflés. Ces médecins qui tranchaient dans la chair des malades et en même temps fuyaient leur regard. Ils flirtaient avec la mort chaque jour, mais la nommer restait tabou.

Les larmes coulaient sur ses joues dans un débit constant, telle une rivière calme et paisible, qui déversait en continu une eau libératrice. Sa mère l’attendait et elle devenait le messager de la sentence. Comment trouver les mots, comment réconforter celle qui allait perdre l’homme de sa vie ? Comment tenir debout, quand on va perdre son père ?

Elle vomissait son impuissance, son monde s’écroulait, son père allait mourir. 

Elle réalisait à quel point ces deux êtres étaient son élément d’ancrage, sa stabilité, son cocon inébranlable.

Adèle était une jeune fille qui virevoltait dans la vie, comme une feuille suivait le mouvement du vent. Elle entreprenait, tentait, essayait, mais sans jamais être vraiment satisfaite. Elle se sentait médiocre et s’extasiait toujours devant le talent des autres. Elle ne les enviait pas, non, elle les admirait. Elle aimait voir le beau chez autrui, mais n’arrivait pas à le voir enelle.

Elle naviguait, sans boussole, sans destination. Une dérive qui pouvait sembler maîtrisée pour le monde extérieur, mais elle n’était pas dupe de l’illusion. Elle était très forte pour donner « l’illusion de », mais elle n’avait pas trouvé d’autre subterfuge pour ne plus être transparente.  

Ses parents lui avaient offert la liberté, de tout. Pour beaucoup, ce cadeau aurait été inestimable, mais Adèle ne savait qu’en faire. Elle aurait voulu un plan de vol, pour la guider, suivre un mouvement déterminé, alors que son esprit rebelle ne l’aurait certainement pas suivi, d’ailleurs. Elle regardait le monde, son petit monde et elle n’en comprenait pas les règles. Elle n’y trouvait pas sa place. Elle pensait que le regard des autres, celui que les hommes posaient sur elle, était une issue, une clé. Être aimée, désirée, comblait son vide intérieur. Cela l’avait amenée plusieurs fois dans des vides encore plus profonds. Comment pouvait-on aimer quelqu’un qui ne s’aimait pas soi-même ? La vie avait semé sur son chemin, la violence, la manipulation, qu’elle avait tues, par honte. 

Mais, quoiqu’il arrive, ses parents étaient un soutien indéfectible, un garde-corps, un garde-fou, sans un mot, sans un reproche. Ils étaient le chêne qui nourrissait cette feuille fragile, qui l’empêchait de s’envoler trop loin, qui la gardait amarrée au tout, sans contrainte, sans force. Ils ne la voyaient pas comme une feuille chancelante, car ils voyaient le chêne en elle. Tout était une question de temps, de maturité. Adèle ne pouvait pas imaginer que la faux trancherait ce chêne en deux. Elle n’était pas prête à perdre la moitié de ses racines, de sa sève, de sa force. Elle n’était pas prête à s’envoler seule…

Elle n’avait jamais pensé à la mort, avant tout ça. Elle avait vu partir son grand-père, il y a quelques années, mais même si la tristesse était là, c’était l’ordre des choses. Elle ne savait pas pourquoi, mais c’était une de ces vérités que l’on validait comme ça, sans question. Ce n’était pas un sujet tabou chez eux, mais ils n’en parlaient tout simplement pas. Cela ne les concernaitpas. 

Armée d’une éducation cartésienne, la famille d’Adèle affichait une étiquette d’athée. Les sciences à la maison étaient la seule source acceptable de vérité et ces deux scientifiques exprimaient même une certaine ironie envers l’éducation catholique qu’ils avaient pu recevoir. Éliane revendiquait le non-baptême d’Adèle comme un acte de rébellion face aux deux grands-mères pugnaces. 

Alors tout d’un coup, la mort prenait une image terrifiante ! Était-ce la fin ? La fin de tout ? 

Au fond, leur religion à tous les deux était l’amour, la vie. Ils n’étaient pas de ces êtres qui remettaient à plus tard leurs rêves. Ils vivaient leurs envies. Leur histoire était pleine de voyages, de musique, de spectacles, d’art, sous toutes ses formes. Tout cela sans artifice dans une forme de simplicité.

Elle admirait beaucoup leur amour, la bienveillance qu’ils avaient l’un pour l’autre. Ces petits gestes magiques, comme une fleur cueillie dans le jardin, une caresse, un regard complice, un bisou volé, des déclarations d’amour du quotidien, qui sonnaient comme une promesse d’éternité. 

Elle savait que c’était un merveilleux cadeau qu’elle avait reçu. Cette image d’un amour vrai, un amour qui porte, un amour qui donne le courage d’être, un amour qui respecte sa moitié dans son entièreté. Elle ne le vivait pas, mais c’était comme une vérité inscrite en elle, un but, un objectif à atteindre. Elle savait grâce à eux que cela était possible.

Elle était le fruit de cet amour et comme tous les enfants, elle avait une montagne de reproches à leur faire. À vingt-cinq ans, il faut trouver un responsable à ce que l’on est. Les parents sont la cible première et la plus aisée à viser. 

Ils étaient des superhéros, un modèle que l’on veut vivre et fuir à la fois. Elle les imaginait parfaits et cette perfection était irritante, car inatteignable. Et dans ce paradoxe, si elle détectait la moindre faille, dans cette excellence, elle aurait été incapable de la pardonner.

Adèle s’engageait sur l’allée qui menait à la maison. Cette maison qui avait abrité toute leur vie, comme une forteresse. La pluie commençait à tomber. L’été serait bientôt là. La fenêtre entrouverte lui renvoyait les effluves de terre mouillée, empreinte de souvenirs heureux qui lui offraient un spasme de réconfort et de douceur, hors du temps, loin de ce lourd instant. 

Elle cherchait les mots, qui pourraient être justes, qui pourraient être doux, en montant le perron. La porte s’ouvrit, au même moment où sa clé glissait dans la serrure. Sa mère était là. Ses yeux apeurés croisèrent ceux embués d’Adèle. Tout étaitdit.

Chapitre 4 1998 Leurs irréelles retrouvailles

Aérienne et légère, j’avançais dans une douce béatitude. Mes pieds nus ressentaient la fraîcheur d’un tapis de mousse, humide et moelleux. Ils s’y enfonçaient à peine, comme si l’apesanteur avait, en ce lieu, des lois propres. Je me sentais telle une plume qui effleurait les éléments, qui en réponse à mes mouvements m’entouraient avec bienveillance. J’ignorais où j’étais, où j’allais, ni d’où je venais, mais cela n’avait aucune importance.

Les arbres majestueux s’élançaient et s’enlaçaient jusqu’au ciel. La subtile lumière du soleil transparaissait à travers les hauts feuillages et caressait mon visage avec délicatesse. Le mouvement ondulatoire des branchages, telle une danse, sous la brise légère, faisait scintiller la lumière et me nimbait d’une douce fraîcheur. Toutes mes perceptions semblaient décuplées, aiguisées. L’odeur de l’humus, comme après une ondée, emplissait mes narines et m’enivrait. Je me sentais en délicieuse communion avec la forêt. Le silence des lieux, peu à peu, révélait mille présences que je commençais à percevoir, comme si la nature m’accueillait et se dévoilait à moi. Le pépiement des oiseaux, le bruissement de chaque feuille, de chaque plante, la mousse qui dégorgeait sous mes pas, m’entouraient et m’immergeaient dans un chant mélodieux. Une biche m’observait et ne semblait nullement offusquée par ma présence. Je n’aurais pas été plus surprise à cet instant de découvrir une licorne dans ce lieu enchanteur. Je me sentais invitée, attendue par ce lieu. Une instinctive confiance m’incitait à y pénétrer plus profondément. Le tapis de mousse d’un vert éclatant me traçait le chemin et la caresse bienfaisante de la brise, un message de la forêt qui me conviait à rejoindre leur symbiose. Tout ce qui m’environnait vibrait à mon propre rythme, dans une parfaite harmonie. Les battements de mon cœur pulsaient en phase avec ce qui m’entourait. La sève circulait à travers les arbres, en écho à mon propre sang à travers chacun de mes organes. J’éprouvais viscéralement notre communication, notre communion. Chaque élément du lieu était une composante qui nous unifiait au tout. J’étais portée par cette forêt, elle m’accompagnait. Je ne distinguais pas si elle avançait à travers moi ou si elle avançait en moi. Nous formions une unité.

Le chemin déboucha sur un lac. C’était une immense étendue d’eau, d’un bleu intense qui dégageait une profonde quiétude. Les reflets du soleil faisaient miroiter sa surface de mille éclats bleutés. Ce qui la rendait vivante. 

Des séquoias à perte de vue, encerclaient avec grâce chacune de ses rives.

La magie, le magnétisme du lieu m’envoûtaient. La lumière semblait émaner de toute chose, de la nature elle-même. Elle était vibrante, palpable, telle que Van Gogh savait l’exprimer à travers son œuvre. J’avais toujours été touchée par sa manière de représenter la lumière. Elle était de la matière qui emplissait tout l’espace.

Hypnotisée par la contemplation, je ne perçus pas cette autre présence. Un jeune homme était là, assis et souriait. Il m’attendait. Je fus surprise quand il m’interpella : « Hey, te voilà enfin ! » me dit-il avec un large sourire.

Cela me fit immédiatement sortir de ma torpeur. Je me tournai alors vers lui. J’étais troublée. Son ton était familier, comme de vieux amis qui se retrouvent. Je ne savais pas si mon malaise naissait de cette présence importune ou au contraire, attractive. Figée dans cette interrogation, je restai muette. Ma gêne devenait certainement visible, car il s’en amusa et l’exprima d’un rire discret et complice à lafois.

Il m’invita d’un geste, à venir m’asseoir auprès de lui. Une grande étole était étendue sur le sol et je m’exécutai.

Nos yeux se cherchaient, s’auscultaient, se sondaient, se comprenaient. Oui, nous nous connaissions, c’était une certitude. Je sentais comme une profonde complicité, intimité inexplicable, mais évidente. 

Le jeune homme entama la discussion comme si nous reprenions un échange laissé en suspens, une partie d’échecs qui se jouait à travers le temps. Il me chahuta un brin, me taquina et avec un geste doux et des plus simple, me dégagea une mèche de cheveux, que le vent avait ramenée sur ma joue. 

J’observais discrètement son visage. Il avait des yeux bruns, un peu rapprochés, avec de longs cils d’enfant qui dévoilaient un regard vif, pétillant et profond. Son nez était fin et très discrètement asymétrique. Ses lèvres plutôt délicates arboraient un sourire entier, plein d’innocence, de fraîcheur. Son teint était clair et ses joues imberbes révélaient sa candeur. D’infimes imperfections, qui une fois fusionnées, offraient une harmonie angélique. Je le trouvais si jeune et pourtant derrière cette juvénilité, on percevait, pressentait une authenticité touchante, une prestance, un charisme en devenir.

Brusquement, je me découvrais intimidée devant ce jeune homme, fragile, à nue. Je cherchais à rester sur ma réserve naturelle, mais en même temps, cette pudeur n’avait aucun sens. Il était évident qu’il savait déjà tout. Je ne me l’expliquais pas, mais cela me frappait dans toute ma vérité, car moi aussi je ressentais tout de lui. J’éprouvais au plus profond de mon être ses fêlures, ses failles, sa tristesse, sa force et sa sensibilité. Tout son être faisait écho au mien. Les mots n’étaient qu’un jeu, nous percevions intimement que la vraie communication était toute autre. Nous étions semblables, sans mode d’emploi. Nous observions ce monde, à travers un prisme qui nous était propre, sans en comprendre vraiment les règles. Nous décelions le jeu, parfois cruel et absurde, parfois magnifique, mais souvent terrifiant et nous ignorions comment plonger dedans. Nous étions imprégnés tous les deux de cette mélancolie profonde, qui accompagnait nos existences en sourdine et qui refaisait surface sans prévenir, à chaque souffrance, chaque heurt de nos vies. C’était une lutte, un combat sans fin dont nous avions appris à savourer chaque trêve. Il était doux de rencontrer son double, de rencontrer son allié. La vibration de sa voix résonnait et me pénétrait comme une vague chaude et pétillante, à la fois. Je reconnaissais cette sensation, cela éveillait quelque chose d’immergé en moi, une petite flamme en veille depuis toujours, mais qui reprenait naturellement sa place, sa radiance. J’aurais aimé glisser mes doigts à travers ses boucles brunes, lui dire qu’il n’était plus seul et que je le comprenais. Mais, dans toute ma retenue, je ne pus l’exprimer que d’un simple sourire. Cela avait suffi. 

Tout à coup, son visage devint sombre, troublé :

–Tu ne me laisseras plus, n’est-ce pas ?

Je ressentais toute la tristesse viscérale que ces quelques mots portaient.

J’hésitai un instant et acquiesçai silencieusement. Puis avec tendresse, j’ajoutai : 

–Quand je ne suis plus présente, dans mon corps, avec toi… je suis partout où tu es et je suis toujourslà.

J’accompagnai mes mots de ma main que je posai sur soncœur.

La pluie se mit à tomber soudainement. Cela nous amusa. Il m’attrapa la main et m’entraîna à travers la forêt. Nous courûmes comme des enfants en riant. Ma main glissa de la sienne et tout s’effaça.

Dans son lit, elle était parfaitement réveillée. Elle jeta un œil instinctivement sur le réveil, il était 3 h du matin. Elle resta allongée là, avec cette empreinte forte en elle. Chaque détail, chaque odeur, le regard de ce jeune homme, tout résidait inscrit en elle. Elle ne connaissait même pas son nom, mais pouvait encore sentir ses doigts glisser des siens. Toutes les interrogations apparaissaient les unes après les autres. Elle retournait, ressassait leurs derniers mots, le pourquoi de ce « plus », « Tu ne me laisseras plus ». L’avait-elle déjà laissé ? Cela n’avait pas de sens et pourquoi lui avait-elle réponduça ? 

Adèle était parfaitement consciente que ce n’était pas un rêve. C’était plus que ça. Un rêve devenait confus, trouble, dès que la raison reprenait sa place. Il était absurde, incohérent. Il n’était que sensation fugace. Là, c’était tout autre chose. Elle était comme spectatrice et consciente de tout ce qui se déroulait et en même temps actrice et omnisciente. Sans filtre, sans frein, elle était entière, vraie. C’était une autre version d’elle-même, une version complète, aboutie, qu’elle ne connaissait pas. Elle la pressentait, mais ce n’était pas vraiment elle. Celle qui lui était familière, au réveil, était beaucoup plus trouble. Elle n’osait pas, ne disait pas, fuyait parfois. Ses joies étaient teintées de souffrances plus profondes, qu’elle n’était pas encore prête à voir émerger et regarder en face. Elle semblait heureuse et elle essayait de s’en convaincre, mais il y avait comme un voile sur sa vie qui éteignait sa lumière.

Ces rêves avaient débuté à la mort de son père, il y avait de cela presque unan. 

Pas de suite, la douleur, la colère, la frustration léguées par l’impuissance ne laissaient aucune place aux sensations autres. Adèle restait enfermée dans son désarroi, ce sentiment d’injustice l’emprisonnait. Elle regardait le monde autour d’elle et ne comprenait pas que la vie pouvait continuer sans lui. Elle ne comprenait pas l’indifférence. Comment ce monde pouvait-il perpétuer sa ronde, comme si rien ne s’était passé ? Son père avait été rayé de la liste des vivants et toute trace de lui avait disparu. Adèle, victime de sa douleur, en voulait au monde entier, mais en premier lieu, à elle-même. Certes, cette pensée était irraisonnée, mais chargée de regrets essentiellement. Pourquoi n’avait-elle pas profité de chaque instant ? Pourquoi n’avait-elle pas pu lui dire combien elle l’aimait ? 

Puis une nuit, il était là. Cette même sensation d’être parfaitement réveillée et consciente de tout. Il ne lui avait pas dit grand-chose, d’ailleurs son père n’usait pas beaucoup des mots. Mais toute sa présence était d’une telle bienveillance, d’une telle douceur, qu’elle l’accueillit comme un cadeau. Pouvoir panser les blessures et poser des mots sur ce qu’ils n’avaient pas su se dire. C’était, pour elle, de précieux instants, volés au temps qui les avait séparés. 

Mais, il n’était pas envisageable d’y mettre une signification autre que la logique aurait pu admettre. Elle en avait déduit qu’il s’agissait de l’adéquate réaction chimique de son cerveau pour accepter l’inacceptable. Une manière d’avancer dans son deuil et de faire un pas vers la guérison. Sa profonde rationalité la poussait encore aujourd’hui à privilégier l’hypothèse plus scientifique que chimérique. Mais quelque part au fond d’elle, une porte nouvelle s’était entrouverte. Adèle la regardait encore avec précaution, voire méfiance, mais derrière elle, elle percevait et entendait poindre de nouveaux questionnements. Ces rêves pouvaient-ils être une autre forme de réalité ? Était-ce la vie, après la vie ? Avons-nous vraiment toutes ces réponses ? Cela semblait si réel à Adèle. Si son cerveau était à lui seul capable de susciter de telles réalités, alors qu’est-ce que l’on nommait la réalité ?

Allongée dans son lit et parfaitement réveillée, elle s’interrogeait plus qu’à l’accoutumée. Si son cerveau était la source de cette expérience étrange, alors d’où venait ce jeune homme ? Il lui était si familier et pourtant elle n’en trouvait aucune trace, aucune réminiscence dans sa mémoire. Cela n’avait aucun sens. Était-il une donnée stockée dans son inconscient ? L’avait-elle déjà croisé et cette rencontre s’était consignée en elle ?

Elle saisit son cahier où elle avait pris l’habitude de noter ces épisodes nocturnes et y inscrivit quelques mots pour retenir celui-ci. Ses yeux se posèrent sur les derniers mots de son père, qui l’avaient profondément émue : « L’amour ne connaît pas l’espace, la distance et le temps. Il est comme l’air que tu respires, omniprésent et invisible. » Il avait juste ajouté qu’il reviendrait quand ce serait le bon moment et qu’elle ne serait plus jamais seule. 

Adèle toucha son ventre et perçut quelques soubresauts. Bébé était réveillé, lui aussi. Dans quelques mois le petit Raphaël serait là. Elle allait être maman. C’était terrifiant, déroutant et en même temps exaltant. Elle caressait avec douceur son abdomen rebondi. Elle était tellement heureuse quand elle sentait ce petit être bouger en elle, quand elle voyait ses petits pieds pousser les murs de sa maison, comme pour se faire un peu plus d’espace et lui signifier toute sa présence. Il était arrivé là, dans un désir inavoué, un désir de vie, un désir d’amour. Sa vie était submergée de doutes, de peurs. Elle ne savait pas où était sa place, mais sa toute première certitude, c’était cette vie qui palpitait en elle, cette vérité qui vibrait en elle, ce petit être, son bébé. 

Ces derniers mois avaient défilé si vite. Comme un enchaînement de notes, évidentes et justes, qui se jouaient, au fil des émotions, sans se préoccuper du mouvement suivant. Sa rencontre avec Franck était la plus belle réponse à cet appel à la vie, à la survie, au besoin d’exister.

C’était sur la toile que leurs chemins s’étaient croisés. Deux êtres dans le désarroi qui avaient besoin de partager leurs souffrances respectives. Franck était enfermé dans un mariage stérile de tout, sans vie, sans amour et elle, impuissante, regardait la mort gagner du terrain, un peu plus chaque jour. Il avait été à ses côtés pour affronter les derniers instants de vie de son père. Il avait été cette force invisible qui vous permet de rester debout dans le chaos. Silencieux et présent, une épaule, des bras qui enlacent, un cœur qui battait pour elle. Adèle avait été pour lui un espoir. L’espoir que la vie pouvait être une promesse. Ils avaient uni leurs rêves et le destin leur avait offert Raphaël. 

Pour Adèle, peu importait si leur histoire était conforme aux préceptes moraux dans lesquels évoluait sa famille. Cela résonnait juste en elle. Elle avait souvent essuyé les critiques familiales au sujet de la manière peu « conventionnelle » de mener son existence. Elle ne rentrait pas dans les cases de l’échiquier étroit de leur conception de la vie. Adèle avait des ailes et aspirait à toujours plus de ce que la vie prodiguait, même si ce plus, ne répondait à aucun de leurs critères. 

Bien évidemment elle excluait ses parents de ce schéma. Ses parents s’étaient allégés de ce poids familial, il y a bien longtemps et ils ne lui avaient jamais transmis ce fardeau. Ils lui avaient offert la liberté de déployer toutes ses plumes. Ils vivaient en accord avec eux-mêmes, que cela plaise ounon. 

C’était un cadeau qu’elle avait reçu. Elle ne savait toujours pas vraiment quoi en faire, mais la liberté était le meilleur des enseignements. Elle en était convaincue. 

Elle fut une fois encore à la hauteur de leurs espérances et ne faillit pas à sa réputation. Elle avait sauté toutes les étapes et suivi son instinct. 

Franck et Adèle s’étaient aimés, de suite, et cet amour ne pouvait qu’être la pierre de quelque chose à fonder. Ils voulaient un enfant l’un et l’autre. Il y avait quelque chose d’urgent dans cette attente, d’impérieux. Ils avaient été entendus et Raphaël étaitlà.

Chapitre 5 2000 dans le sud-ouest de la France

Je peux sentir ta présence autour demoi

Au plus profond du silence, je peux t’entendre

Fais-moi voler jusqu’à toi, là où tues

Un simple soupir nous sépare

Dors-tu doucement, au loin dans mon rêve ?

Avoir la foi n’est-ce pas de croire que tout ne doit pas êtrevu ?

Alors que mon cœur te serre fort, un seul battement nous sépare 

L’amour ne cessera de vivre et ne nous quittera jamais

Je sais que tu es là, un simple soupir me sépare detoi

Où que tusois…

Adèle, son stylo en suspension au-dessus de la feuille, restait déconcertée. C’était inédit pour elle. Les mots défilaient dans sa tête en boucle. Impossible de fuir dans le sommeil, elle devait les poser quelque part, comme une urgence, comme un appel dont il fallait prendre note du message. Sans réfléchir, elle avait saisi son cahier à rêves et laissé sa main prendre le relais. 

C’était la première fois qu’elle ressentait cette sensation d’empressement, ce désir impatient. Son esprit restait brumeux et le sommeil n’était pas loin. Pourtant elle luttait contre elle-même et tentait de rassembler les images avec plus de clarté. Comme un film que l’on cherche à remonter pour appréhender la toute première scène, l’origine. Elle voulait connaître la source des mots. Plus son esprit sondait, plus la brume se dissipait et plus les mots s’évaporaient. Parfaitement réveillée, maintenant, elle était encore plus troublée. Ses yeux, dans la pénombre, relisaient avec attention, distinctement chaque mot. Elle s’efforçait à décrypter le code, un message entre les lignes, un indice qui lui révèlerait la racine. Comme une douce musique, les mots valsaient dans sa tête. Un léger frisson, subtil, plaisant, parcourut son corps. Pas l’ombre d’un indice, mais une tendre béatitude. 

Au fond, ce n’était pas vraiment un indice qu’elle attendait, mais une preuve, car qui cela pouvait-il être, si ce n’était pas lui. Son père ? Non, elle ne ressentait pas son père à travers ces mots. Depuis qu’il était apparu dans sa vie, ou plutôt dans ses rêves, elle observait, comme une petite étincelle en elle, quelque chose de nouveau, de doux, une présence bienveillante, réconfortante, qui restait-là tapie dans l’ombre. Elle réalisait que cette présence n’était pas si nouvelle, il avait certainement toujours fait partie de sa vie, mais il était nouveau pour elle de l’observer. Il était réconfortant pour elle de la ressentir, de la faire sienne.

Leurs échanges, leur complicité, tout lui semblait tellement réel. Le réel n’était peut-être pas si objectif, si tangible. Elle se disait que les enfants avaient parfois leur ami imaginaire. Elle, elle l’avait lui ! Qu’il soit une création de son cerveau ou une inexplicable vérité, peu lui importait en fait. Il était là quand elle en ressentait le besoin. Cela la nourrissait, la rassurait, la sécurisait également. Jamais, bien évidemment, elle n’en aurait parlé à qui que ce soit, mais ce secret ne nuisait à personne.

Adèle approchait tout doucement de la trentaine. Elle était belle, intelligente et vive, d’une grande sensibilité, mais elle n’en avait aucune conscience. Elle filtrait le regard des autres sur elle et ne retenait que le médiocre qui cultivait sa propre vision d’elle-même. Elle pensait n’être qu’une illusion, un imposteur. Elle se sentait invisible. Elle se fondait dans le paysage, comme transparente, une figurante de la vie. Enfermée dans son système de croyances, elle avait posé le masque d’une fausse assurance, d’un aplomb factice et surjoué. Elle devenait alors la force tranquille, la désinvolte, la solide et courageuse pour survivre, pour inscrire sa place. Pas pour cacher ce qu’elle était, car pour le moment elle l’ignorait, mais pour se donner une identité, pour entrer dans le jeu. Elle avait choisi son personnage. Il n’était ni bon, ni mauvais, mais essentiel pour être, pour exister. Elle voulait une place, même si elle ne pensait pas la mériter. Il y avait, pour sûr, une part juste dans ce masque qu’elle portait, mais elle savait aussi que ce n’était pas son vrai visage. Cette illusion lui convenait bien et elle y trouvait de plus un certain équilibre. Elle savait rentrer dans son rôle à la perfection et elle était devenue une artiste de l’illusionnisme. Elle était crédible au point de se duper elle-même parfois et se fondre dans son personnage. Mais une alarme au fond d’elle maintenait la veille et elle était consciente de la supercherie. Son ami imaginaire était également son tocsin. Elle ignorait pourquoi, mais elle savait que son regard sur elle était une vérité. Il la voyait vraiment. Pas comme les yeux qui effleurent la surface, mais comme l’âme peut le ressentir. Alors, elle affrontait ses journées, en arborant son plus beau sourire, par instinct, avec un réflexe mécanique et elle tentait tel un équilibriste d’avancer sur son câble tendu. 

Il n’y avait qu’avec un seul être sur cette terre où elle oubliait le masque, le rôle, l’image. Son fils, Raphaël, avait presque trois ans maintenant. Il était son rayon de soleil. Il y avait tellement de vie en lui, de joie, de lumière. Il était une source d’inspiration, une force. Avant de le tenir dans ses bras, elle ne savait pas qu’il était possible d’aimer à ce point. 

Ils avaient déménagé dans le sud-ouest de la France, lorsqu’Adèle avait obtenu un poste de chef pilote. Elle était instructrice et Franck avait repris ses études d’informatique, comme il le souhaitait. 

Dès que ses vols le lui permettaient, elle les embarquait tous les deux. Raphaël aimait traîner sur le tarmac au milieu des avions et il grimpait en douce dans les cockpits pour jouer au pilote. Il était une mascotte pour les élèves d’Adèle et il faisait partie du paysage local. Tous les enfants qu’elle avait pu emmener en vol sombraient dans les bras de Morphée dans les cinq premières minutes. Cela n’avait jamais été le cas de Raphaël. Il s’extasiait de tout et sa curiosité n’avait aucune limite. Il était insatiable et avide d’apprendre tout et n’importe quoi !

Là-haut, Adèle se sentait bien. C’était sa bulle d’oxygène, son espace à elle. Sa perspective de la vie, de sa vie, était tout autre. Comme une enfant, à chaque vol, elle s’émerveillait à nouveau devant ce spectacle. Elle réapprenait la liberté, la légèreté. Sa fascination depuis son enfance pour l’aéropostale et la puissance des mots de Saint Exupéry, qui l’avaient bercée, avait semé les graines de la vocation. Alors quand son père lui avait proposé pour ses quinze ans d’apprendre à voler, elle n’avait pas hésité une seconde. L’évidence était là et la poursuite du chemin, une logique implacable.

Là-haut, la vie se déclinait au rythme des saisons, mère nature dictait son propre rythme. Elle aimait cette humilité imposée. Quand le temps était clair, on apercevait au décollage les sommets blanchâtres des Pyrénées qui pointaient au-dessus de la ligne d’horizon. Elle ne doutait pas à ces instants qu’elle avait le plus beau bureau du monde.

Quand le ciel se colorait d’un gris profond et arrosait abondamment la terre, la vigne, les vergers, les avions se soumettaient devant cette implacable force et se terraient à l’abri dans les hangars. C’était un moment parfait pour Adèle. Ses élèves devaient rester au sol, et elle pouvait s’accorder cet instant de grâce. Ces jours-là, elle allait à la rencontre de la magie, de l’extraordinaire. Ces moments uniques où le souffle se suspend quelques secondes et l’on s’arrête dans la contemplation.

Elle décollait, seule à bord, à l’écoute des instruments qui seuls la guidaient. Elle pénétrait cette masse sombre et imposante avec crainte et respect. Il y avait toujours cette légère appréhension qui lui serrait les entrailles. C’était juste les quelques secondes précédant l’immersion. Ce minuscule espace-temps où il était encore possible de renoncer. Puis on plongeait et l’attention était de nouveau focalisée sur les instruments. La carlingue chahutait sous les turbulences des cumulus effleurés de trop près. Le stratus, plus calme, était comme un coton vaporeux et duveteux qui ne semblait avoir aucune emprise sur le métal robuste de l’appareil. Le nimbostratus, lui, plus sombre, allait perler la verrière de ses mille gouttelettes. Adèle les connaissait bien et savait la chance qu’elle avait de les fréquenter si intimement. Elle les redoutait parfois quand les éclairs, la grêle la rendaient si vulnérable. Elle imaginait aussi ces pionniers qui avaient affronté ces éléments sans l’équipement dont elle bénéficiait aujourd’hui : Les Mermoz, Les Guillaumet, qui avaient eu la foi et la témérité des héros d’une autre époque. Ceux dont personne ne parlait, mais qui pour les pilotes représentaient toute leur histoire.

Puis il y avait cet instant de grâce, l’avion pointait son nez au-dessus de la masse, au-dessus de tout. La lumière éblouissait brutalement et elle se retrouvait seule au monde. Seule face au soleil qui ne brillait que pour elle et en dessous une mer d’une blancheur immaculée et étincelante formée par les sommets de ces camarades de jeu qui venaient de lui ouvrir le chemin. Depuis qu’il était entré dans sa vie, il y avait toujours une seconde où ses pensées se tournaient vers lui. Elle aurait tellement aimé partager avec lui cette seconde d’éternité. Quelque part, elle le partageait à sa manière. Tout ce qui était magique, enchanteur ne le ramenait qu’à lui. Ce spectacle était le reflet de leurs instants éphémères. Il n’y avait plus de questions sur le réel ou l’irréel, c’était juste un spasme, un éclat de magie.

Adèle avait grandi au milieu des plaines céréalières et elle ne se lassait pas de ces douces collines aux couleurs tendres, de ces montagnes aux pointes blanchâtres qu’elle semblait pouvoir toucher du doigt en quelques battements d’ailes. Il y avait une telle humilité, une forme de simplicité dans le vol. Dans cette dimension, tout le monde était sur un plan d’égalité. Les hommes d’abord, qui étaient confrontés à eux-mêmes, à ce qu’ils étaient vraiment. Les masques tombaient en ces instants, l’authenticité reprenait sa place. Il n’y avait pas d’échappatoire, on ne pouvait être que soi, là-haut. 

Elle avait maintes fois observé cette réalité au fil des années qu’elle avait partagé avec ses élèves. Quelles que soient leurs différences de personnalité, leur confiance, leurs peurs, le rôle qu’ils aimaient endosser, une fois en vol, tout disparaissait. Ils dévoilaient alors leur vraie nature, leurs faiblesses, leur sensibilité. Le retour au sol était tout autre. Être une femme, dans ce milieu d’hommes, c’était prouver chaque jour que l’on était plus capable, plus forte, plus conciliante et que notre sens de l’humour était surtout à toute épreuve !

Elle s’était fait une place dans cet univers. Elle y était d’une certaine manière respectée, mais il y avait un prix. Le prix du masque, qui se devait d’être dur, fort et à l’image de tout ce qui par principe était de caractère masculin.