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« C’est donc avec trois enfants en bas âge, maman, que tu vas quitter l’Algérie en juin 1962, après quinze jours d’attente dans des conditions épouvantables à l’aéroport d’Oran. Tu débarques à Marseille avec tes petits et pas grand-chose d’autre. Comme disent les “pieds-noirs” : “Une main devant, une main derrière”. »
P'tit Louis retrace ainsi tous les aspects de la vie de J.M Lenoir, porté par un amour maternel sans faille.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans
P’tit Louis,
J.M Lenoir rend hommage à sa mère et lègue ainsi à la postérité le patrimoine culturel dont il a été le témoin.
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Seitenzahl: 191
Veröffentlichungsjahr: 2022
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J.M Lenoir
P’tit Louis
Roman
© Lys Bleu Éditions – J.M Lenoir
ISBN : 979-10-377-6074-6
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J’ai eu besoin d’écrire ce livre pour parler de ma maman admirable, des femmes de ma vie et aussi pour raconter mon histoire à mes enfants et petits-enfants.
J’ai voulu redonner vie à mon passé, à mon enfance, aux moments forts de mon existence. Parler des hommes et des femmes que j’ai aimés et qui ont cheminé à mes côtés pour faire de moi l’homme que je suis.
Sans doute une forme de thérapie, mais aussi pour permettre à mes proches de découvrir des facettes de ma personnalité qu’ils ne connaissent pas.
J’ai essayé aussi de « photographier » les lieux que j’ai traversés et où j’ai vécu durant mon parcours.
Les « pieds-noirs », les Lyonnais, et aussi les parents et les couples en général pourraient s’y retrouver ou se rappeler leur expérience.
J.M Lenoir
Mon prénom est Louis, mais enfant on m’a toujours appelé P’tit Louis, surnom que j’ai gardé, même si en grandissant j’ai atteint la taille respectable de 1,87 m.
Sidi Bel Abbes, au Sud et pas très loin d’Oran, c’est dans cette petite ville que cette histoire commence un 2 février 1935. Cette année-là, et jusqu’en 1962, cette commune faisait partie de ces lointains départements français d’Algérie, et tu naissais.
Seule fille d’une famille de quatre enfants, ta mère était couturière et ton père adjudant dans la Légion étrangère, les différents conflits qui agitent perpétuellement la planète l’avaient conduit dans le nord de l’Afrique depuis plusieurs années.
Je sais peu de choses de ton enfance et adolescence, maman, sinon qu’elle n’a pas été rose d’après ce que tu m’as raconté. L’autorité naturelle de l’adjudant, chef de famille, ne s’exerçait pas que sur les terrains de manœuvre et le cocon familial avait souvent des airs de caserne. Tu étais la seule fille au milieu de tes trois frères, Ernest, Gérard, René et tu vivais mal cette éducation « à la dure ».
Dans les années 1938/1939, mémé tenait une épicerie boulevard Hippolyte Giraud et vous logiez au numéro 7. En 1939, vous êtes partis rejoindre pépé à la frontière allemande où la Légion avait été appelée et vous y resterez jusqu’à la fin de la guerre.
Temps très difficiles de ce périple, vous êtes restés bloqués trois mois, enfermés dans un camp à St-Germain en Laye, qui était sous occupation allemande.
Puis retour à Oran en 1945, rue de la Bastille ou mémé tient une conciergerie, pépé travaille à l’hôtel Galiani comme veilleur de nuit et toi maman tu vas à l’école Laurent Fouque. Cette période scolaire sera courte, jusqu’à tes 13 ans, quand la jeune Arlette entre en apprentissage rue Rino pour apprendre la couture. Pour Pâques, il était de coutume d’aller au cabanon de tata Marinette au Cap Falcon pour se retrouver entre cousins et cousines et profiter de la plage autour d’un déjeuner. De l’apéritif au café, rien ne manquait, chacun apportait ce qu’il avait préparé pour se régaler. Tes meilleurs moments…
Vous quitterez ensuite la rue de la Bastille pour la propriété de madame Bl., comtesse de Pr., mémé fait la cuisine et pépé s’occupe du jardin ; toi tu fais le service à table et tu es la femme de chambre. Vous y demeurez trois ans. Tu travailles ensuite boulevard Lescure au service de madame La. jusqu’en 1957, quand le 27 avril pépé te conduira à l’autel de la cathédrale Saint-Louis pour ton mariage.
Tu avais peut-être choisi de te marier avec ce garçon plus âgé que toi de dix ans, plus parce que tu y voyais une « issue de secours » à une jeunesse médiocre que par véritable amour ?
Le jeune couple loge alors rue Béranger et votre magasin « La matelasserie moderne » se trouve rue Alfred de Musset.
Tu as gardé la nostalgie de cette Algérie française comme beaucoup de « pieds-noirs ». Il est vrai que la description que vous en faites dépeint un endroit agréable à vivre où les relations entre Français et Algériens ne laissaient pas entrevoir l’issue guerrière et meurtrière pudiquement appelée les « évènements ». La plupart des habitants des villes, Alger, Oran ou Constantine et bien d’autres n’étaient pas des colons.
Les « vrais » colons, il y en avait environ 12 000 dont 300 étaient très riches et une dizaine, excessivement riches (plus riches que tous les autres réunis). Avec leurs familles, ces 12 000 colons constituaient une population d’environ 45 000 personnes sur 1 042 000 (recensés à l’époque), les autres, près d’un million, étaient des ouvriers, des infirmières, des enseignants, artisans ou commerçants qui partageaient avec les Algériens des lieux de vie et des activités dans un climat d’entente, d’amitié, de sérénité et n’étaient pas des « conquérants » asservissant les autochtones sous leur joug.
Extrait « Les Français d’Algérie » de J. Verdès-Leroux
J’ai vu beaucoup de photos sur les albums de famille ou chez des amis ; les vues d’Alger ou d’Oran montraient de belles avenues, comme on peut en voir à Lyon ou Paris, des perspectives d’immeubles et magasins, de grandes places entourées de belles façades, des jardins, tout ça sur fond de palmiers et inondé de soleil. Les Français sont à Oran depuis les années 1840.
Comme la plupart des villes d’Algérie, Oran est peu connue en métropole et l’idée qu’on s’en fait n’est pas la réalité et très éloignée de la carte postale exotique, avec des marchés arabes et des chameaux, qui pouvait laisser croire que les Français habitaient dans des huttes et se nourrissaient de figues.
On peut discuter ce fait, mais les Français avaient transformé les grandes villes algériennes en cités européennes, enseignes de marchands, restaurants et cafés remplis de femmes, de soldats, de gamins comme on pouvait en voir à Paris.
Oran était une grande et belle cité ouverte sur un littoral bleu azur entre le village de Canastel, agréable station climatique, et le cap Falcon avec son phare et ses dunes.
Entre mer et montagne se succédaient les plages de sable de Bouisseville, Deauville, Albert plage et Claire fontaine. En empruntant le sentier de Caminico, on accède au fort de Santa Cruz où le jeudi de l’ascension se déroulait le traditionnel pèlerinage de la vierge qui reste dans le souvenir de tous les Oranais.
Après la cérémonie, on pique-nique en famille et on peut jouir du magnifique panorama sur la ville et le port.
Autour de la place Foch, la mairie et son large escalier décoré de deux lions de bronze, le théâtre municipal et les grands boulevards Maréchal Joffre, Clemenceau, la rue des Jardins qui descend vers la vieille ville et la rue Philippe en forte pente. La rampe Capitaine Vales qui mène au port et qui longe les murs de la forteresse du Châteauneuf, construction militaire qui fut la résidence des gouverneurs espagnols puis celle des beys d’Oran avant de recevoir le siège de la division d’Oran et divers services de l’armée.
Cette forteresse était entourée d’un parc, la promenade de l’étang, planté de ficus, de pins et de platanes qui embaumaient toutes les senteurs méditerranéennes.
Ces grandes artères, le boulevard Gallieni bordé de palmiers et d’immeubles cossus, de grands hôtels, de banques où le boulevard Clemenceau avec ses cafés et ses grands magasins étaient le cœur de la ville.
Mais aussi les rues commerçantes, grouillantes de vie comme la rue Alsace-Lorraine avec la brasserie de Provence ou le cinéma Empire ou encore la rue d’Arzeu bordée en partie d’arcades restaient des lieux incontournables des Oranais. Au niveau de la cathédrale on trouvait le square Gardel et le palais de justice et la rue de Mostaganem qui conduisait au quartier Saint-Eugène ; le boulevard Marceau lui débouchait sur la gare Centrale d’où convoyaient des agrumes, des céréales et du vin et qui desservait Alger, Sidi Bel Abbes, Tlemcen ou Colomb-Béchar.
On ne peut pas parler d’Oran sans évoquer le boulevard Front de mer, qui n’est pas sans rappeler la baie des Anges ou la Croisette, des endroits où les « pieds-noirs » se sont retrouvés après la guerre, d’où on pouvait contempler les couleurs changeantes du massif du Murdjadjo et de Santa Cruz au coucher du soleil.
La ville comptait sur le plan intellectuel et artistique grâce à son université et ses établissements scolaires comme les lycées Lamoricière, Ardaillon ou l’école Normale de garçons et de filles.
On y trouvait aussi le palais des beaux-arts qui abritait le musée Demaeght et la bibliothèque municipale.
Curieux hasard de l’histoire et de ma vie, les deux villes d’Oran et de Lyon, importantes pour moi, ont failli être jumelées. En novembre 1956, quelques mois avant sa mort, Édouard Herriot, le maire de Lyon envisagea le jumelage de ces deux villes ; ses parents reposaient au cimetière d’Oran et M. Fouques Duparc, alors maire d’Oran, avait lui des origines lyonnaises.
Malheureusement, les « évènements » ne permirent pas à ce projet de voir le jour.
Aujourd’hui encore, plus de cinquante après l’indépendance de ce pays, certaines blessures ne sont pas cicatrisées et beaucoup de français d’Algérie ne l’ont pas oublié.
L’atmosphère orientale et méditerranéenne, un climat particulier, une ambiance et les bruits, la lumière, les parfums, les senteurs, le souvenir revient par les odeurs, de miel, d’épices, de fruits bien mûrs ; la douceur de vivre. Un monde disparu…
À onze ans passés, Fatima était devenue une femme et plus jamais elle ne se montrerait à un garçon à visage découvert. À elle le voile, la retenue, la réclusion à la maison. Je regardais les petites filles de mon quartier qui jouaient et qui un beau jour disparaissaient. Je ne voyais plus que des silhouettes enveloppées d’un « drap » et le voile, cachant le nez et la bouche, ne laissant apparaître que des yeux noirs qui avaient, à jamais, perdu leur malice.
Comment oublier 132 ans de présence française et ce conflit de huit ans, qu’on n’a pas osé appeler une guerre, qui a pourtant duré presque deux fois plus longtemps que la Deuxième Guerre mondiale ?
Dans une guerre, les adversaires se situent de part et d’autre d’une ligne de front ; on reconnaît l’ami et l’ennemi, on sait qui tue qui.1
En Algérie les deux peuples, européen et algérien, avaient noué des relations affectives, subtiles, quelquefois tourmentées mais fortes ; au pire une coexistence sans hostilité mais plus souvent des liens d’amitié.
La complexité de la situation n’a pas été prise en compte et tous les courants n’ont pas eu la parole pour les négociations de l’indépendance : Français qui voulaient rester en Algérie, musulmans voulant rester français, Algériens modérés souhaitant que les communautés européennes et juives restent dans le pays.
Comment oublier ces évènements qui ont fait chuter la quatrième république ?
La déclaration de guerre officielle du 1er novembre 1954 à laquelle le professeur de lettres Mohamed El Bachir al Ibrahimi, de la célèbre université Al Azahr du Caire, s’était joint et disait qu’il fallait mener le combat pour le triomphe de l’arabisme et de l’islam et la suprématie de la conception du monde arabo-islamiste fondamentaliste nous ramène hélas à des réalités d’aujourd’hui et à ces attentats pour des motifs ethnicoreligieux.
Comment oublier ce « je vous ai compris » du général de Gaulle, mais qui et qu’avait-il compris ?
Ce « je vous ai compris » qui était une duperie est la plus grande escroquerie, le coup le plus génial qu’un homme politique ait pu faire ; plus fort que s’il avait dit : « Je suis avec vous », il avait touché la corde sensible.
« Je lui jette des mots apparemment spontanés dans la forme, mais au fond bien calculés, dont je veux qu’ils enthousiasment sans qu’ils m’emportent plus loin que je n’ai résolu d’aller. »2
La colère des métropolitains qui voyaient leurs fils partir faire la guerre dans cette contée lointaine.
La souffrance des Français en Algérie au milieu de ces attentats et de cette guérilla urbaine au quotidien.
La quête d’indépendance des Algériens et du FLN.
Même si ma mémoire n’en conserve aucune image, je n’oublie pas que j’ai fait mes premiers pas sur le sol et sous le soleil algérien.
Tous ces noms, Colomb-Béchar, Constantine, Tlemcen qui reviennent dans vos récits de cette Algérie résonnent toujours à mes oreilles.
Ça a toujours été difficile pour moi de me situer en France ; partagé entre le regret de ne pas avoir connu cette « France » d’Algérie que tous mes proches décrivent comme le paradis sur terre, était-ce la réalité ou la nostalgie ? A-t-elle embelli leurs souvenirs ? Et ne pas être vu comme un Français de souche par les métropolitains.
Il m’est arrivé d’envier ces gens qui naissent dans un endroit comme leur père, leur grand-père et qui y passent toute leur vie ; ils font partie intégrante de leur environnement.
C’est dur de ne pas avoir ses racines. La France dans le cœur et n’avoir pas connu la terre de ses ancêtres, partagé entre deux cultures. Je ressens le besoin de parler de mes origines « pied noir », que j’ai enfant porté comme un fardeau me sentant différent des autres Français, et que je revendique aujourd’hui comme une particularité régionale.
C’est donc à Oran que tu as épousé celui qui allait devenir mon père.
Il est des actes qui marquent une vie ; celui-ci marquera douloureusement la tienne mais aussi la mienne et celle de mes frères et sœurs.
En effet, les épreuves ont commencé seulement une ou deux années plus tard. L’adultère dans ce qu’il a de pire avec son cortège de mensonges et d’hypocrisie est devenu ton quotidien dans votre magasin de tapisserie et matelas, à côté de la place des Victoires, que tu gérais quasiment seule car ton mari faisait surtout le joli cœur avec les employées.
Cet époux infidèle t’a rendu la vie difficile dans cette époque déjà troublée puisque dans les années 1960, 1961 avaient commencé ces attentats terribles qui avaient convaincu certains de ces Français de quitter l’Algérie pour la métropole.
C’est aussi à partir de là que j’ai partagé ton destin, je suis né en septembre 1958 à la clinique Fieschi, suivi de quelques mois par Yvette et Marie-Line, un an plus tard, qui est née à la maison car tu avais fait trop d’efforts ce jour-là et ton mari, déjà absent comme ce sera toujours le cas quand tu avais besoin de lui, n’a pas pu te conduire à la clinique.
Je me souviens de peu de choses de ma petite enfance, des images furtives, des flashs peut être liés aux photos que tu m’as montrées, et dont tu es si fière, de moi bébé.
C’est donc avec trois enfants en bas âge que tu vas quitter l’Algérie en juin 1962 après quinze jours d’attente dans des conditions épouvantables à l’aéroport d’Oran.
Ce départ est compliqué car ce n’est pas l’État français qui se charge du retour de tous ses ressortissants, pressés par les attentats, pour rejoindre la métropole. Tu travailles dur en faisant le ménage dans le terminal pour nous nourrir et enfin, grâce aussi à ton labeur, un Constellation va nous emporter vers Montpellier, puis un train vers Marseille.
L’exode de tous ces rapatriés fut une épreuve terrible et particulièrement pour toi. Seule, car notre « père », dans sa grande lâcheté, a déjà prudemment quitté les lieux, tu vas organiser le départ avec les quelques « bricoles » que tu pourras rassembler.
Même si tu en as peu parlé, tellement ces moments sont douloureux quand tu les évoques, je sais que tu as accompli des actes dont sans doute peu de femmes et même d’hommes sont capables. Outre ton cas, ou devrais-je dire notre cas personnel, c’est une période peu glorieuse pour la France et plus particulièrement pour les hommes en charge du pays dans ces années-là.
Les conditions d’accueil de ces centaines de milliers de gens, le plus grand transfert de population que la France a connu, complètement déracinés, et foulant le sol de la France métropolitaine pour la première fois, ont été lamentables. Des structures mises en place à l’emporte-pièce ; ces Français reçus comme des indésirables, près d’un million de personnes de retour dans la mère patrie contraintes et forcées par la violence. Et pour la plupart d’entre eux en ayant laissé beaucoup de biens et de liens en Algérie.
Qui plus est, cet hiver 1962 fut l’un des plus froids que la France ait connu et pour ces arrivants d’une contrée subsaharienne c’était terrible. On peut voir encore aujourd’hui certains de ces horribles ensembles HLM, énormes barres ou immenses tours destinées à loger ces nouveaux arrivants. Même si quelques-unes de ces « résidences » ont subi le verdict de la dynamite, il en reste encore aujourd’hui de nombreuses accueillant d’autres immigrés.
Ces erreurs architecturales et sociales alimentent régulièrement l’actualité. Tu débarques à Marseille avec tes trois petits et pas grand-chose d’autre. Comme disent les « pieds-noirs » : « Une main devant, une main derrière » ; toute une vie à reconstruire.
Quelques jours de repos chez la belle-sœur de ta compagne de voyage, une ancienne voisine, Mme R., et tu retrouves ton « époux » dans un des centres d’accueil mis en place pour les rapatriés.
Puis nous partons pour un hameau proche de Forcalquier. Un ami d’Oran M. Depi. qui s’y était établi vous avait trouvé un logement. Je sais que tu n’as pas ménagé tes efforts pour trouver des petits boulots afin que nous puissions simplement nous loger et manger pendant plusieurs mois. Nous habitions près du presbytère, nous sommes en décembre et il fait très froid. Je n’en ai que quelques images fugitives, des images de neige et de givre, et les récits de mes grands-parents qui t’avaient suivie dans ton exode.
C’est véritablement à Digne-les-Bains, préfecture des Basses-Alpes devenues aujourd’hui les Alpes-de-Haute-Provence, que commencent mes souvenirs.
Tout d’abord aux Ferréols, un ensemble d’immeubles situés à la limite de la ville. Nous habitions à six dans cet appartement puisque notre père, accompagné de sa mère, nous avait rejoints ainsi qu’une nouvelle petite sœur née à Manosque, Élisabeth.
Née prématurément, elle pesait seulement neuf cents grammes à la naissance et les médecins n’étaient pas optimistes. En 1963, la médecine des prématurés n’était pas aussi avancée qu’aujourd’hui et un bébé aussi petit risquait de ne pas survivre. Grâce à tes soins quotidiens et ta surveillance, elle est toujours parmi nous et elle est devenue une belle jeune fille.
Même si c’est vague je me souviens de disputes avec ta belle-mère, vous parliez en espagnol puisqu’elle ne parlait pas français, qui te rendait la vie impossible.
Je fréquentais l’école publique avenue Paul Martin ; une rue en forte pente qui passait devant le musée et débouchait sur le square Frédéric Mistral y menait. Sur le chemin se trouvait la petite épicerie dans laquelle mes copains et moi achetions, et chapardions quelques fois aussi, les « car en sac » ou les « malabars » qui remplissaient nos poches.
Je garde du début de ma scolarité une agréable impression ; peut-être parce que ces heures passées au calme, hors de l’univers familial, déjà pesant, me faisaient du bien.
La bonhomie de notre instituteur en CP qui nous faisait aligner par deux pour entrer en classe après avoir sonné la cloche.
L’apprentissage de l’écriture, les pleins et les déliés tracés avec application avec nos plumes Sergent Major et les buvards maculés de taches comme nos blouses grises.
La salle de classe est claire avec ses grandes fenêtres à travers lesquelles on aperçoit les platanes plantés dans la cour et mes pensées se perdent souvent dans leur feuillage ; sur les murs des dessins, œuvres éphémères qui disparaissent à chaque rentrée, et derrière l’estrade du maître, le tableau que l’on essuie et replie chacun notre tour et une grande carte de France en couleurs.
Je n’ai guère plus de six ans pour la naissance du petit dernier ; Jean-Michel est né en novembre 1964. Bien que nous n’en ayons jamais parlé, il est des sujets difficiles à aborder entre un fils et sa mère, je ne m’explique pas comment tu as pu concevoir cinq enfants avec cet homme alors que vos relations étaient pour le moins troublées après le premier. Ça restera une des grandes questions de ma vie restée sans réponse à ce jour.
Il est vrai que la contraception n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui mais quand même… Ou plutôt j’ose à peine imaginer qu’il te violentait et que chaque fois, malgré les fausses couches répétées et peut-être provoquées, le calvaire recommençait.
Nous avons quitté Les Ferréols pour emménager dans un immense ensemble HLM complètement au nord et éloigné du centre-ville. Je ne sais pas si le nom de « Pigeonnier » donné à ces bâtiments avait une connotation poétique ou péjorative, nous habitons le bloc G au quatrième étage. C’est curieux mais après presque cinquante ans, je me rappelle les noms des occupants de chaque étage ; il y avait les familles Rum., Di Benne., nos voisins M. et Mme Kahlo., des Algériens et leurs nombreux enfants, cinq garçons et la petite dernière. Leur porte était toujours ouverte et le palier embaumait les épices ; la mère de famille passait beaucoup de temps à ses fourneaux et nous proposait souvent ses délicieuses pâtisseries orientales.
Beaucoup de rapatriés avaient échoué ici mais aussi des Italiens, Portugais et autres tunisiens ou marocains. On appellerait ça de nos jours une cité et même une cité sensible. Et pourtant la cohabitation de toutes ces nationalités, confrontées aux mêmes difficultés financières et d’intégration, se faisait sans heurts. Beaucoup de ces familles se connaissaient et il régnait une vraie solidarité.
Pour Pâques, maman et ma tante préparaient les traditionnelles mounas, une brioche dont la recette presque secrète avait été rapportée d’Algérie. J’ai partagé mes jeux et mes bêtises avec les Rocco, Nouredine et Ali et les problèmes de violence ou d’insécurité n’existaient pas. Tout au plus quelques menus larcins.