Paradise Hill - Jill Thiel - E-Book

Paradise Hill E-Book

Jill Thiel

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Beschreibung

Une jeune trentenaire déménage près de la Nouvelle-Orléans pour retrouver sa mère, disparue mystérieusement il y a plus de deux ans...

Rylee, jeune trentenaire pétillante et brillante, décide de quitter le Dakota du Sud pour s'installer près de la Nouvelle-Orléans. Son but ? Retrouver sa mère disparue depuis plus de deux ans. Lors de son jogging, elle fait la connaissance de Matthews, un jeune homme travaillant au ranch familial et avec qui elle noue des liens rapidement. Mais elle est loin de se douter que sa venue n'est pas vue d'un très bon œil par tout le monde et certains habitants auraient préféré qu'elle ne déterre jamais de troublantes histoires.
Ces secrets auraient-ils un rapport avec la disparition de sa mère ? Peut-être bien...
Laissez-vous entraîner dans cette enquête aux frontières du paranormal.

Pourquoi la venue de Rylee est-elle si mal vue par certains habitants ? Immergez-vous dans ce polar tissé de sombres secrets qui fleurte avec le paranormal !

EXTRAIT

― Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous comptez me faire ? demanda-t-elle en sanglotant.
Mais la drogue devait encore couler dans ses veines. Sa propre voix semblait lointaine, comme plongée dans les tréfonds d'un rêve.
L'homme ne prit même pas la peine de répondre. Il lui planta l'aiguille dans le bras et attendit que la seringue ne se vide complètement. Sous le coup de la douleur, elle se mit à penser à son fiancé qui devait probablement la chercher partout, à ses parents qui devaient s'inquiéter. A vrai dire, elle ne savait pas depuis combien de temps elle avait disparu. Elle ne se souvenait pas de grand chose, juste qu'elle se trouvait à l'hôpital, son hôpital, son lieu de travail, puis ce fut le trou noir.
― Je viens de t'injecter une dose de curare dépolarisant. Tu ne pourras plus bouger du tout mais tu pourras voir tout ce qui va se passer. Enfin je ne t'apprends rien.
Elle sentit ses muscles se relâcher à ne plus pouvoir s'en servir. Elle était consciente mais ses muscles semblaient morts. Elle était prisonnière de son corps. Cette fois c'était vraiment la même sensation que la paralysie du sommeil. Et elle espérait vraiment être en train de rêver. Mais la douleur dans son bras avait paru trop réelle pour être imaginée par son subconscient.

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PARADISE HILL

Jill Thiel

Prologue

Karen se réveilla dans une pièce plongée dans la semi-obscurité. La seule lumière qui éclairait une partie de la pièce était une bougie sur le point de s'éteindre.

Elle se sentait barbouillée, vaseuse, limite droguée ou comme si elle se réveillait d'un lendemain de soirée après avoir ingurgité à l’entonnoir de la vodka à ne plus en sentir le goût amer de l'alcool.

Le temps que ses yeux ne s'adaptent à la pénombre et finissent par discerner quelques masses, elle s’aperçut que ses yeux voyaient trouble et voyaient double.

La tête lui tournait. Elle essaya de bouger les mains pour se frotter les yeux mais elle constata qu'elle ne pouvait pas.

Elle était attachée.

Elle entendit un bruit derrière elle, une porte s'ouvrit.

― Inutile d'essayer de bouger.

C'était la voix d'un homme. La voix se voulait rassurante, mais le timbre avait l'air de dire le contraire. Elle crut la reconnaître.

Il alluma une ampoule au-dessus d'elle, elle fit la grimace en clignant des yeux plusieurs fois avant de s'habituer à la lumière. Quand elle les ouvrit, elle put observer la pièce qui l'entourait. C'était un mélange de laboratoire et de salle d'opération. Salle qu'elle connaissait bien, puisqu'elle était infirmière anesthésiste.

La pièce était lugubre et ne devait pas dépasser les vingt mètres carrés. Les murs n'étaient pas habillés, juste de la pierre apparente, mais pas celle décorative au-dessus d'une cheminée, juste de la pierre qu'on n'a pas pris la peine de recouvrir. Elle constata aussi qu'il n'y avait aucune fenêtre, pas même une petite lucarne.

Autour d'elle, il y avait un long plan de travail qui faisait un mur complet. Dessus y étaient soigneusement disposés des serviettes, des tubes à essais, des béchers, des cristallisoirs, un microscope dernière génération et beaucoup d'instruments chirurgicaux. Au fond de la pièce, en face d'elle, plusieurs étagères où étaient entreposés des Erlenmeyers remplis de liquide de toutes les couleurs ainsi que des fioles étiquetées qu'elle n'arrivait pas à lire.

A sa droite, elle vit dans des bocaux des organes comme un cœur, un cerveau, un rein, qu'elle reconnut ; ceux d'êtres humains, ils étaient conservés dans du formol.

Elle croyait vivre un mauvais rêve.

Elle essaya de se tourner pour essayer d’apercevoir l'homme qui se trouvait dos à elle mais sa nuque lui tirait une douleur. Elle s'attendait à voir un type bossu avec des cicatrices sur le visage et des boulons qui lui sortiraient du cou. Mais rien de tout cela, l'homme qui portait une blouse blanche se retourna, il avait un masque blanc qui lui recouvrait la moitié du visage. Celui que portent typiquement les chirurgiens dans les blocs opératoires.

Karen fronça les yeux en essayant de reconnaître ceux qui venaient de se pencher sur elle. Mais il l'aveugla avec une petite lumière pour lui scruter les pupilles. Il écrivit des notes sur son calepin et se retourna sur la table à roulettes pour y prendre une seringue graduée. Avec ses doigts gantés, il tapota dessus et un liquide en jaillit.

― Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous comptez me faire ? demanda-t-elle en sanglotant.

Mais la drogue devait encore couler dans ses veines. Sa propre voix semblait lointaine, comme plongée dans les tréfonds d'un rêve.

L'homme ne prit même pas la peine de répondre. Il lui planta l'aiguille dans le bras et attendit que la seringue ne se vide complètement. Sous le coup de la douleur, elle se mit à penser à son fiancé qui devait probablement la chercher partout, à ses parents qui devaient s'inquiéter. A vrai dire, elle ne savait pas depuis combien de temps elle avait disparu. Elle ne se souvenait pas de grand chose, juste qu'elle se trouvait à l'hôpital, son hôpital, son lieu de travail, puis ce fut le trou noir.

― Je viens de t'injecter une dose de curare dépolarisant. Tu ne pourras plus bouger du tout mais tu pourras voir tout ce qui va se passer. Enfin je ne t'apprends rien.

Elle sentit ses muscles se relâcher à ne plus pouvoir s'en servir. Elle était consciente mais ses muscles semblaient morts. Elle était prisonnière de son corps. Cette fois c'était vraiment la même sensation que la paralysie du sommeil. Et elle espérait vraiment être en train de rêver. Mais la douleur dans son bras avait paru trop réelle pour être imaginée par son subconscient.

Une jeune femme entra. Elle aussi portait une blouse et un masque, elle devait avoir une dizaine d'années de plus que Karen.

― Est-ce que tout va bien ? demanda le type.

― Numéro 4 n'est pas en grande forme Docteur. Je pense qu'il ne passera pas la nuit.

Il remua la tête en se tournant de nouveau vers sa table à roulette, il y prit un scalpel et le scruta pour jauger le tranchant.

― Puisque tu es là, prépare-moi la sonde d'intubation.

La jeune fille exécuta l'ordre tel un assistant ou une infirmière.

Il jeta un œil à sa patiente, et posa la pointe sur le côté droit de son ventre rond. Rond de huit mois et demi. Il y fit glisser son instrument aiguisé, la peau se mit à saigner laissant entrevoir une coupure nette et profonde faisant tout le bas du ventre. Karen ne sentit rien, ne pouvant bouger la tête, elle n'avait aucune idée de ce qu'il était en train de lui faire.

L'ouverture béante de la césarienne faite, il y plongea ses mains pour en sortir un bébé. Il paraissait en bonne santé mais ne pleurait pas. Il coupa le cordon ombilical sous l’œil impuissant de sa mère qui hurlait probablement dans sa tête. Il lui mit une tape sur les fesses et le petit être se mit à gémir. Aussitôt l'homme le mit dans un lange propre et le posa délicatement dans les bras de la jeune femme qui quitta la pièce.

― Il va bien ne t'en fais pas, nous allons en prendre soin. Mais maintenant je vais m'occuper de toi.

Il se tourna vers sa table et prit une scie chirurgicale. Il se déplaça sur sa chaise à roulettes pour se positionner derrière la tête de la nouvelle mère puis lui posa la scie sur le front.

Si effectivement il allait prendre soin aussi bien de son bébé que d'elle, alors pour sûr qu'il allait mourir.

Chapitre I

30 ans plus tard.

― Êtes-vous sûrede vouloir acheter cette maison Madame Weston ? demanda Odile Rappemont de Rappemont Immobilier.

― Aussi sûre que je viens du Dakota du Sud, répondit Rylee tout sourire en se tournant vers sa nouvelle demeure.

L'agent immobilier boudinée dans son tailleur mauve haussa les épaules.

― Bien comme vous voudrez. Vous savez dans votre budget j'en ai des beaucoup mieux. Enfin je dis ça, c'est votre problème après tout si vous voulez vivre avec des fantômes, ça vous regarde.

― Avec des fantômes ? répéta Rylee.

La grosse dame haussa de nouveau les épaules en retirant la pancarte « à vendre » qui était plantée depuis des années dans la motte de terre à côté du portail en bois. Portail pour le moins inutile étant donné qu'il n'y avait plus de clôture depuis bien longtemps.

― Des gens disent qu'ils ont vu et entendu des choses pour le moins mystérieux, comme des cris, des pleurs, enfin ce genre de choses quoi. Mais ce n'est que des on-dit, si on se met à écouter tous les ragots du village, alors dans ce cas mon mari me tromperait avec cette débauchée de Sophie, la patronne du salon de coiffure en ville.

En voyant le physique de son agent immobilier, Rylee n'en aurait pas été étonnée si ç’avait été le cas.

Courage monsieur.

― Nous signerons le compromis demain, reprit Odile en secouant la tête. (Elle marqua une pause). Bon sang je n'en reviens pas qu'elle soit vendue, c'est Tony, mon associé qui ne va pas me croire. Paradise Hill est en vente depuis au moins trois décennies. Elle a beaucoup de potentiel, avec un bon coup de peinture, quelques travaux d'isolation, elle sera comme neuve.

Odile ne savait pas si elle essayait de se convaincre elle-même en disant cela.

― A ce propos, qui viendra céder la vente ?

― Ce sera nous. La maison n'ayant aucun légataire, c'est la ville qui nous a donné procuration.

Rylee secoua la tête en signe d’acquiescement.

La grosse dame au chignon en banane, entra dans sa Chrysler non sans mal. Si Rylee avait eu du beurre, elle n'aurait pas hésité à l'utiliser pour l'aider à la faire glisser à l'intérieur.

― Vous venez du Dakota vous dites. Mais qu'êtes-vous venue faire jusqu'à la Nouvelle-Orléans, le Mont Rushmore ne vous plaisait plus ?

Bien sûr, tous les habitants restaient plantés bêtement devant le mémorial des sculptures monumentales des quatre Présidents. Quel cliché. Elle venait d'un village bien au-dessus et très modeste : Pine Ridge. Autant dire que lorsqu'elle quitta sa ville natale, pour partir faire ses études au Dakota State University à Madison au dessus de Sioux Fall, ce fut comme un second souffle pour elle. L'université était presque plus grande que sa propre ville.

La jeune femme s'approcha de la berline grise, Odile avait baissé sa vitre.

― L'instinct je crois. J'avais envie de changer d'air, mentit-elle.

La grosse guimauve se pinça les lèvres.

― Un petit conseil, ne soyez pas trop exigeante avec les gens d'ici.

Rylee fronça les sourcils et croisa les bras.

― Je ne comprends pas.

― Ici, ils sont... Comment dirais-je ? Plutôt bourrus. Ils n'aiment pas trop les étrangers et encore moins les gens de la Ville.

― Je viens d'une petite ville aussi.

Odile alluma le contact, le moteur se mit à rugir. Question écologie, elle devait savoir ce que signifiait ce mot uniquement dans le dictionnaire.

― Tout ce qui dépasse 5000 habitants est pour eux une métropole. Vous verrez tout le monde se connaît ici, elle jeta un coup d’œil à sa montre. Bon je dois y aller, Tony me doit 100 dollars pour la perte de son pari, on se voit demain au bureau. Plus tôt se sera signé, plus tôt vous emménagerez.

La Chrysler vrombissante, laissa des traces sur le gravier puis s'éloigna au loin, laissant la jeune femme devant sa majestueuse demeure qui laissa un instant sa nouvelle propriétaire dubitative. Elle ne savait pas si elle avait bien fait de céder à son instinct, celui qui lui avait ordonné d'acheter Paradise Hill.

La semaine suivante, le camion de déménagement arriva. Rylee la main en visière observa les gros bonhommes sortir cartons, canapé et lit pour les rentrer dans la maison. Sous un soleil d'été indien de fin septembre, elle se dit qu'elle avait bien choisi son jour pour aménager sa maison.

Elle se tourna vers son nouveau chez elle, en considérant la maison avec toujours le même sentiment en elle ; avait-elle bien fait ? L'immense bâtisse datait des années 60. Comme toute bonne maison de Louisiane, elle était recouverte de planches en bois peintes en blanc, qui avait sérieusement besoin d'un bon coup de peinture (ou d'être détruites !). Le toit, les poutres ainsi que les rambardes du balcon de la chambre familiale et du porche qui étaient gris, contrastaient avec le reste. Le jour de la visite, Rylee ne s'était pas montrée très emballée par l'union des deux couleurs. Mais à force de la regarder et de la comparer aux maisons bleues, roses ou gris anthracite de son village, elle avait fini par la trouver typiquement sobre et indémodable.

Elle possédait un étage et un grenier aménageable, ce qui la rendait massive de l'extérieur. Son jardin tout autour avait besoin d'un bon coup de tondeuse et de cisaille. La végétation avait comme qui dirait reprit ses droits.

Rylee donna une caresse à son chien Iden qui venait de se coller à sa jambe. Un chien japonais de race kaiken. Chien docile, pot de colle, mais bon chien de garde dans l'ensemble. Elle n'avait jamais entendu parler de cette race, jusqu'à deux ans auparavant quand elle avait décidé de combler son vide affectif par la présence d'un chien. Après des mois de recherche, elle avait fini par tomber sur un élevage. Deux mois plus tard elle se retrouvait avec un carton dans sa voiture contenant une magnifique boule de poil bringé.

Rylee tapota la tête de son chien puis s'avança vers les déménageurs à la carrure de rugbymen à la pré-retraite, qui étaient en sueur. L'un des trois s'assit sur le porche, prit sa casquette noire de crasse et s'essuya le front dégoulinant de sueur avec.

― Vous avez terminé ? demanda-t-elle.

― Non, il reste deux trois trucs, mais on avait bien besoin d'une petite pause. Bon Dieu qu'il fait sacrément chaud aujourd'hui.

Elle se mit à sourire.

― Ne vous en faites pas, je ne suis pas pressée. J'ai préparé de la citronnade si vous voulez.

― M'en voulez pas m'amzelle mais je serais plus partant pour une bonne petite bière.

Les deux autres hommes renchérirent derrière. Évidemment que les hommes préféraient la bière, et heureusement qu'elle en avait prévu.

― Vous auriez dû faire les travaux avant d’emménager si vous voulez mon avis.

Elle haussa les épaules avant de se diriger dans la cuisine, où le frigo était déjà installé. Elle en sortit une cruche de citronnade et s'en servit un verre. Le déménageur n'avait pas tort, mais le temps de tout rénover elle n'aurait pas mis les pieds ici avant l'année prochaine. Au moins en étant sur place, elle serait obligée de tout rénover si elle voulait vivre confortablement.

Le verre à la main, elle s’appuya contre le chambranle de la porte de la cuisine et observa son salon qui juxtaposait sa cuisine. Contre le mur, trônait une magnifique cheminée en brique ― dont elle remarqua qu'il en manquait une ― qui devait être ramonée avant cet hiver.

Elle poussa un long soupir ; oui c'était vrai, l'intérieur avait besoin d'un bon rafraîchissement. Le parquet devait être ciré et le papier peint à rayures vertes devait absolument être enlevé. Elle ne pouvait même pas parler de mauvais goût, juste de mode dépassée.

Elle but son verre d'une traite puis ouvrit le tiroir de son frigo pour y prendre trois bières à peine fraîches. Elle retourna dehors, sous le porche où les déménageurs attendaient avec impatience leur récompense si bien méritée.

― On n’aurait pas oublié votre table de salle à manger ? demanda en se grattant le crâne chauve, l'un des trois gros bonhommes.

― Non ne vous en faites pas. Je n'en ai pas.

Rylee n'avait jamais aimé les salles à manger, bien trop conventionnelles à son goût. Au final personne ne venait assez souvent pour justifier que tout ce mobilier imposant devait prendre de la place dans une pièce.

Et puis, ici, qui viendrait la voir ?

Après avoir échangé quelques banalités avec les trois bonhommes pendant qu'ils sifflaient leur bière, Rylee retourna dans le salon où elle jaugea l'emplacement des meubles. Elle en était satisfaite. Elle retira les plastiques de son canapé et ses fauteuils, laissant apparaître un grand canapé en demi-lune à coussins en peau de pêche. Hors de question d'avoir du cuir dans sa maison. Outre le fait que cela venait d'un animal, elle avait toujours détesté cette matière si froide l'hiver et trop chaude l'été.

― Le piano on vous le met où ? demanda l'homme à la casquette sale, en tenant à bout de bras l'énorme instrument avec son binôme.

Elle désigna l'emplacement derrière le canapé, là où normalement serait une table de salle à manger. Aussitôt ils le déposèrent.

Elle n'avait jamais vraiment eu l'oreille musicale, mais sa mère voulait à tout prix qu'elle sache jouer d'un instrument de musique. Mais son père l'avait déjà inscrite à son premier cour de Taekwondo et au vu de ses prouesses sur un tatami comparées à celles devant un cahier de partitions, elle avait choisi son camp. Elle effleura les touches du piano du bout des doigts tout en imaginant sa mère pianoter en fermant les yeux, se concentrant uniquement sur la mélodie.

Elle aurait donné n'importe quoi pour la revoir jouer.

Le gros déménageur répondant au nom de Zed se cala le long de la porte d'entrée. Il sortit une cigarette et la coinça dans le coin de sa bouche.

― C'est bon mam'zelle, on a tout déchargé.

Quand les déménageurs quittèrent le terrain, Rylee entreprit de vider tous les cartons. Pas question de laisser tout en branle et de se croire dans un appartement d'étudiant mal rangé. Elle voulait se sentir chez elle le plus tôt possible...Et surtout cela l'occuperait.

Elle monta à l'étage où le couloir menait sur cinq pièces. La salle de bain et une chambre (sa future) et deux autres chambres à droites, dont une qu’elle condamnerait pour faire un dressing digne de ce nom.

Elle se dirigea dans la salle de bain où elle y installa le miroir au-dessus du lavabo blanc poussiéreux. Elle en profita pour prendre deux minutes pour recoiffer sa longue tignasse châtain foncé, presque noire. Rylee était une beauté descendant des Sioux, plus précisément de la réserve indienne de Sioux Fall exilée à Pine Ridge depuis plusieurs générations. Sa peau était hâlée comme ses ancêtres paternels, sa silhouette était athlétique de part ses origines et le sport de combat. Sa mère venait du Wyoming, elle en avait hérité les traits fins, typiques des visages pâles. Un nez aristocratique et une bouche bien dessinée sublimaient son visage tout en lui donnant un air supérieur voire hautain.

Elle sortit dans le couloir pour descendre les escaliers quand elle entendit des bruits de pas venir du grenier. Elle s'arrêta quelques secondes pensant que c'était son chien, mais celui-ci était en bas en train de jouer avec son jouet en caoutchouc couineur. Elle s'avança doucement vers les cinq marches et attrapa la poignée. De l'autre côté de la porte elle entendit de plus en plus les pas. Comme si quelqu'un courait. Elle tourna la poignée mais la porte resta bloquée. Elle mit quelques coups d'épaule mais celle-ci aussi vieille qu'elle était, ne s'ouvrit pas.

Soudain, les bruits de pas s'arrêtèrent.

Elle descendit les escaliers pour aller chercher son téléphone portable, Odile avait probablement oublié de lui laisser la clé. Elle composa le numéro mais fut forcée de constater que le réseau ne passait pas. Elle se souvint alors que la grosse dame lui avait dit de sortir derrière au milieu du jardin, le seul endroit où les portables captaient.

Elle sortit avec son téléphone à l'oreille et finit par trouver du réseau, d'où elle était, elle pouvait voir la fenêtre du grenier. Là, où elle avait entendu les pas.

― Allô ?

― Bonjour Odile c'est Mademoiselle Weston.

― Quelque chose ne va pas ? demanda aussitôt l'agent immobilier.

Rylee se racla la gorge.

― Ne vous en faites pas, tout va bien, mais vous avez oublié de me donner la clé du grenier.

A l'autre bout du fil, Odile semblait réfléchir.

Puis elle répondit :

― Non pas du tout ma chère. Elles sont sur votre trousseau, celui où il y a toutes les autres clés. C'est marrant que vous m’appeliez, justement je parlais de vous avec Tony, figurez-vous que ….

Pendant qu'Odile continuait son monologue, Rylee observait la fenêtre du grenier où elle vit une silhouette. C'était une femme vêtue d'une robe avec de longs cheveux. Rylee en laissa retomber son bras qui tenait son téléphone. Sans tenir compte de ce que son interlocutrice était en train de lui dire, Rylee raccrocha et rejoignit les escaliers en passant par la porte-fenêtre de la cuisine. Quand elle arriva en haut, la porte du grenier était ouverte.

C'est quoi ce cirque ?

Prudemment elle avança dans le long couloir, les cinq marches grincèrent sous le poids pourtant léger de la jeune femme. Elle passa la tête dans l'encadrement de la porte.

La pièce était vide.

Seule une malle qui était là le jour de la première visite, avait été oubliée par les anciens propriétaires (30 ans avant). Rylee se pencha sur le vieux coffre fait de bois et recouvert de cuir vert foncé. Elle voulut l'ouvrir mais il était fermé par un important verrou. Elle regarda sur son trousseau s’il y avait une grosse clé mais rien ne correspondait. Elle souffla et se résigna à l'ouvrir dans l'immédiat. De toute manière, la malle ne bougerait pas d'elle-même. Elle trouverait bien un moyen de l'ouvrir dans les jours à venir. Calmement elle redescendit les escaliers pour se servir une tasse de thé. Elle était venue ici dans un but bien précis et peu importe le temps que cela prendrait.

Elle avait quitté son Dakota natal pour retrouver sa mère qui avait disparu deux ans auparavant. Personne ne savait pourquoi sa mère avait décidé de disparaître ici, à Little Wood à la Nouvelle-Orléans, en laissant juste un mot.

Posée sur la table de sa cuisine à attendre que sa tasse de thé ne refroidisse, Rylee réfléchissait à ce qu'elle avait entendu. Touchant ses gros bracelets en cuir qu'elle portait à ses deux poignets elle tenta de se convaincre à voix haute :

― C'était réel, la porte était fermée... La porte était vraiment fermée. Il y avait des pas, ce n'était pas dans ta tête cette fois-ci. Tu n'es pas folle. Tu ne l'es plus.

Tu ne l'es plus.

Chapitre II

Quelques jours après l'emménagement, tous les meubles avaient trouvé leur place et tous les cartons étaient vidés. Rylee se leva de son lit qui était installé dans la plus grande des chambres. Son nouveau matelas qu'elle adorait avait tendance à la retenir plus qu'à son habitude dans les bras de Morphée. Elle ouvrit le volet et fut ravie de sentir l'air chaud sur ses joues et de constater que le mois d'octobre continuait d'être agréablement doux.

L'été indien. Qu’elle détestait dire ça.

Les feuilles rouges et jaunes des arbres qui entouraient la propriété, se mêlaient merveilleusement bien au ciel bleu parsemé de cirrus qui formaient des filaments blancs, qu'on comparait bien souvent à des cheveux d'anges.

Elle descendit dans la cuisine et avala un verre de citron tiède. Son rituel du matin depuis plusieurs années. Idéal pour purifier le foie, drainer les reins et préparer l'estomac à la digestion. Elle jeta un œil à l'horloge qui affichait huit heures trente. Une heure et un temps idéal pour aller courir.

Elle terminait de lacer ses baskets quand elle vit par la fenêtre son chien, Iden, en train de jouer avec un autre chien, un border-collie. Son terrain ne possédant pas de grillage il fallait s'habituer à ce genre de surprise. Elle s'apprêta à sortir quand l'autre chien se mit à courir. Bien évidemment, Iden suivit derrière. Elle pesta et sans réfléchir se mit à les suivre, du moins elle tenta de le faire. Les deux chiens se mirent à suivre la route, sans toutefois s'aventurer sur le bitume. Ils bifurquèrent dans un jardin, sautèrent par-dessus des vélos et ressortirent dans le jardin d'à côté. Ils reprirent la route pour finir leur coure dans une ferme.

A bout de souffle, elle arriva plusieurs minutes après eux, le visage rougit par l'effort et les poumons brûlés au second degré. Elle avait le goût du fer qu'a le sang dans la bouche, ce goût que l'on peut avoir quand on a sollicité le corps trop rapidement. Elle se pencha en tenant ses genoux pour reprendre son souffle. Ok, il était clair qu'il fallait vraiment qu'elle reprenne le sport. Son cardio avait salement régressé et ses poumons autrefois performants devaient avoir désormais la taille de ceux d'un fœtus.

Elle se redressa et les mains sur les hanches, se mit à arpenter la cour. Tout autour d'elle se trouvaient des enclos enfermant chevaux, poneys et quelques chèvres. L'odeur du cuir de la sellerie et du crottin lui rappela des souvenirs. Elle s'appuya sur une barrière en bois pour caresser un des Mustangs qui n'était pas effarouché de la présence de cette étrangère. Elle lui gratta le front et lui tapota l'encolure. Elle le trouvait magnifique, son poil était brillant, marbré, signe de bon traitement et sa crinière avait l'air d'avoir été fraîchement brossée.

― Je peux vous aider ?

Elle se retourna et fit les gros yeux quand elle découvrit un jeune homme en train de remplir une bétonnière de graviers. Ce n'est pas le fait qu'il sache manier une pelle à la perfection qui la surprenait, mais le fait qu'il soit torse nu et magnifiquement bien bâti.

Elle resta bloquée quelques secondes.

Dis quelque chose, reste pas plantée là !

― Je suis vraiment désolée de m'introduire comme ça, mais mon chien vient de rentrer chez vous alors que...

Il sourit.

― C'est un chien roux qui ressemble à un renard ?

― Oui c'est ça.

Il pointa son doigt en direction d'une grange en bois.

― Il vient de rentrer là. Il a suivi ma chienne.

Il prit une pelleté de graviers qu'il balança dans la bétonnière, puis reprit :

― Si vous ne voulez pas être grand-mère dans les deux mois à venir je vous conseille d'aller le chercher.

Il se mit à sourire.

Mais elle ne bougea pas pour autant, fixant ses muscles qui se contractaient à chaque mouvement de pelle, scintillants sous une fine pellicule de sueur. Son sourire la décontenançait et ses yeux verts la faisaient fondre. Ses cheveux noirs ébouriffés lui donnaient un air de Superman des temps modernes. Il devait avoir son âge ou quelques années de plus.

Dites-moi que je rêve.

Jamais elle ne se serait attendue à trouver un Apollon pareil dans un bled aussi paumé. Toutes les filles devaient creuser des tranchées à force de faire les cent pas devant chez lui. A moins qu'il existât d'autres spécimens dans son genre dans le coin. Sait-on jamais, peut-être y avait-il un élevage ?

― Vous n'êtes pas d'ici ? il marqua une pause. En vacances ?

Elle balaya une mèche de cheveux devant ses yeux, en sentant ses joues chaudes qui devaient être encore rouges. Elle se rappela qu'elle n'était ni coiffée, ni maquillée.

Quand Superman rencontre Supermoche. La honte.

― Non je suis du Dakota et je viens d'acheter une maison ici.

― Une maison ? Laquelle ?

― Paradise Hill.

Il haussa les sourcils.

― Ah oui, vraiment ? Je croyais qu'elle était invivable ? C'est une ruine.

― Oh il y a bien quelques petits travaux à faire, mais ça se fera.

Il s'appuya sur sa pelle.

― Quels genres de travaux ?

― Rien de faramineux, de la peinture, des lames de bois à retaper, le papier peint à changer entièrement, la cuisine à rénover, le perron à refaire et les fenêtres à remplacer. Ah et je crois que l'isolation est à refaire aussi.

― Oui effectivement. Rien de faramineux, ironisa-t-il.

Il se mit à rire en prenant sa bouteille d'eau et lorsqu'il la porta à sa bouche, Rylee ne put s'empêcher de penser à l'une de ces pubs pour les sodas.

― La mairie aurait mieux fait de la détruire. Si vous voulez mon avis vous perdez votre temps à vouloir la retaper.

― Ça tombe bien je ne souhaite pas votre avis.

Le pique le surprit, elle avait sortit ça sans réfléchir. Une impulsivité incontrôlable par moment, probablement son côté paternel qui ressortait.

Il se contenta de hausser les épaules et de reprendre sa pelle pour la planter dans les graviers.

― Je vais y aller, lança-t-elle avant de se raviser aussitôt. Oh, je suis désolée je ne me suis même pas présentée, je m'appelle Rylee Weston.

Elle lui tendit la main qu'il serra après s'être essuyé sur son jean troué.

― Moi c'est Matthews. Matthews Anderson.

Il garda sa main dans la sienne et fixa ses gros bracelets marrons en cuir qu'elle avait autour de ses poignets bien trop frêles pour ce genre de bijoux. Quand elle vit qu'il les fixait, elle retira sa main de la sienne.

― Je suis désolée de vous avoir dérangé, votre patron risque de ne pas être content.

Il se remit à sourire.

― Non ça va le patron est plutôt cool. Il marqua une pause. En fait je suis son fils.

― Ah je suis désolée, je vous ai pris pour un maçon.

Il secoua la tête en souriant.

― Je tiens une pelle et je remplis une bétonnière pour faire du ciment. Je vous le concède, c'est à s'y méprendre.

Un blanc s'installa.

― Je peux vous faire visiter si vous voulez, lança-t-il.

Elle en aurait bien eu envie, mais si elle se retrouvait dans un box avec lui elle n'était pas sûre de résister à la tentation de l'enfermer.

Dis oui idiote.

L'écurie était bien réputée, se rappela-t-elle. Elle avait vu plusieurs panneaux indiquant l'entrée de la ferme et Odile en avait vaguement parlé lors de la première visite, affirmant que tous les gosses de la ville prenaient des cour d'équitation ici. C'était comme devenu l’emblème de la ville. Dès qu'ils avaient l'âge de pouvoir donner leur avis, ils exprimaient avec entrain vouloir faire du poney. Non pas du foot, ni du judo, non. Du poney. Si Rylee avait été mère, probablement que le sien aurait fait aussi de l'équitation. Comme de mère en fille. Une hérédité exogène.

La voix de ce dernier la tira de sa rêverie.

― Alors ?

Elle leva une main.

― C'est gentil mais je dois y aller.

― C'est ce que vous n'arrêtez pas de dire mais vous êtes toujours là.

La remarque était judicieuse et pour sûr que son physique y était pour quelque chose. Sans attendre, elle se dirigea vers la grange, où elle y trouva son chien en train de jouer avec la chienne. Elle remercia le ciel de ne pas l'avoir retrouvé collé à sa nouvelle copine. Elle l'appela et repassa devant Matthews qu'elle salua, salut qu'il rendit entre deux coups de pelles.

Un peu farouche mais un caractère bien trempé, se dit-il.

Quand elle traversa le village, elle jeta un coup d’œil aux maisons colorées de son village ; typiques de la Nouvelle-Orléans même. Elles n'avaient rien à voir avec celles du Dakota. Ici, elles étaient plutôt plates et semblaient pouvoir s'envoler au premier coup de vent. Quelques voisins profitaient du beau temps pour tondre leur pelouse ou nettoyer leur gros 4x4 à coup de jet d'eau et d'éponge savonneuse. Un groupe d'amis qui préparaient un barbecue la fixa puis finit par la saluer, elle leva une main timidement et se rappela qu'elle n'était même pas maquillée et qu'elle portait un simple jogging avec un débardeur.

Elle rentra dans la maison et se posa un instant sur le canapé, si elle avait eu une télé elle ne savait même pas si elle l'aurait allumée. Elle repensait à sa vie d'avant, ses erreurs, ses peurs et les aléas de la vie qui l'avaient séparée de deux personnes (presque trois) qu'elle aimait le plus au monde. Son fiancé et sa mère. Tout cela avait fini par ruiner sa vie. Elle avait tenté de se suicider et avait atterri quelques mois dans un hôpital psychiatrique. Cette maison était un second souffle. Une nouvelle vie.

Elle se leva du canapé pour se diriger vers les cadres qu'elle n'avait pas encore accrochés. C'étaient des photos de lieux abandonnés qu'elle avait pris elle-même lors de promenades diverses. Il y avait un vieux Volkswagen combi perdu dans la forêt à moitié recouvert de verdure, des auto-tamponneuses dans un parc d'attraction abandonné ou encore une vieille cabane en bois abandonnée au bord d'un lac plongé dans la brume un matin d'hiver. Tout ce qui était ancien ou recouvert par la nature qui avait repris ses droits l'émerveillait.

Elle s'était prise de cette passion quand elle s'était mise à ressentir des choses en les regardant, comme si elle arrivait à percevoir ce qui s'était passé dans ces lieux. Si elle n'avait pas découvert cela, elle ne savait pas si elle aurait trouvé un quelconque intérêt à photographier des moments de vies oubliées.

Ces lieux qui arrivaient à compter leur histoire. Leur véritable histoire.

Ses yeux se mirent à se remplir de larmes quand elle prit le cadre du portrait en noir et blanc de sa mère. Du bout des doigts elle suivit les contours du visage, du nez, de sa bouche, elle était si belle avec ses grands yeux en amandes et ses longs cheveux noirs qui se voulaient châtain si elle avait été en couleurs. Le cœur de Rylee se gonfla de tristesse et sa poitrine finit presque par être trop étroite pour qu'il continue de battre.

Son téléphone bipa, c'était une notification de son répondeur, elle pesta, si elle manquait à chaque fois des appels, il faudrait qu'elle songe soit à poser un téléphone fixe, soit à mettre internet pour connecter son portable dessus.

Sans attendre, elle sortit dans le jardin et rappela son interlocuteur.

― Allô ?

― Mama. C'est moi.

― Rylee. La voix était tremblante. Je m'inquiétais, tu ne m'as pas appelée depuis une semaine.

― Je sais mais je n'ai pas eu une seule seconde à moi et ici le réseau ne passe pas.

― Raconte moi. Comment c'est là-bas ?

Elle fit glisser son regard le long des murs et tourna sur elle-même pour regarder les arbres qui valsaient au gré du vent. Le saule pleureur balançait ses branches tombantes pendant qu'un cardinal rouge se posait dans un sapin.

― C'est plutôt calme... Je me demande si j'ai bien fait de venir.

― Ma chérie, ça fait une année que tu me parles de venir ici. Fais comme bon te semble, mais si tu ne la retrouves pas d'ici un an promets-moi de revenir chez nous. Tu veux?

― Je te le promets. (Pause). Comment va papa ?

― Fidèle à lui-même tu sais, il s'occupe des chevaux et de l'entreprise.

L'entreprise dont elle parlait était un garage automobile, l'un des plus fréquentés dans son comté. Son père en était le patron. Ça plus le Ranch, il s'usait la santé pour continuer à tout faire marcher sans grain de sable dans les rouages. Heureusement qu'il pouvait compter sur son associé pour l'aider à garder la tête hors de l'eau.

― Rylee, promets-moi d'être prudente.

Le ton de sa voix avait changé.

― Tu sais bien que oui.

― Je ne m'inquiète pas pour ta santé, mais de ce que tu peux trouver là bas.

― Ne t'en fais pas.

― Appelle-moi dès que tu en as l'occasion, sinon c'est moi qui viendrais te voir en personne. Je t'embrasse.

― Moi aussi.

Elle raccrocha. Ces quelques minutes de conversation lui avaient à la fois remonté le moral et d'un autre côté, conforté dans le fait qu'elle aimerait rentrer auprès de ses proches. Même si depuis deux ans, elle s'était renfermée sur elle-même et qu'elle avait fini par s'habituer à la solitude, Rylee sentait tout de même qu'elle avait parfois besoin de ses proches, à l'instar de sa grand-mère. Car à la mort de son grand-père il y a plus de vingt ans, Mama était venue s'installer au ranch afin de combler le vide que la perte de son mari avait laissé. Elle avait trouvé en quelque sorte un sens à sa vie quand elle s'était mise à s'occuper des chevaux et de sa petite-fille. Quand Sandhya (la mère de Rylee) tomba malade, celle-ci, s'était souvent reposée sur sa belle-mère pour s’occuper de la petite. Et à la disparition de sa mère, Rylee fut encore plus proche que jamais de sa grand-mère.

Elle jeta un œil à son horloge. Outre le fait qu'il était l'heure du thé si elle s'était trouvée en Angleterre, elle se dit qu'elle devait à tout prix se trouver une activité avant de finir par mourir d’ennui. Et comme elle se l'était dit lors de l'emménagement, quelques travaux de rénovation occuperaient volontiers son temps mais surtout son esprit.

Elle se rendit à une quinzaine de kilomètres de son village pour y trouver un magasin de jardinage et de bricolage. Enfin, un magasin, le seul. C'était une petite zone commerciale, perdue au centre de tous les villages alentours.

Elle sortit de la voiture et se rendit compte que la chaleur humide de la Louisiane lui faisait transpirer le front. Elle était habituée à la chaleur, mais dans le Dakota du sud ce n'était pas le même ressenti. Mais bon, il fallait voir le bon côté de la chose, ce début de mois était agréable et il fallait en profiter, car d'ici quelques semaines, voire quelques jours, les températures dégringoleraient.

Elle se dirigea vers le magasin pour en ressortir deux heures plus tard, avec des outils de bricolage comme un marteau, des clous, une perceuse ainsi que de la peinture et des pinceaux. Elle n'avait aucune idée de comment elle s'en servirait, mais elle n'était pas plus bête qu'une autre. Elle réussirait bien.

En route pour rentrer chez elle, elle se souvint que son frigo était vide. Elle fit demi-tour et se gara sur le parking du seul supermarché du coin. Il venait de fermer. Elle pesta puis se souvint que le centre-ville était doté d'une petite épicerie. Elle haussa les épaules et se dit que cela ferait l'affaire, après tout il fallait bien qu'elle mange ces prochains jours.

Le centre-ville était désert, si un virevoltant avait traversé la route à ce moment-là, elle n'en aurait pas été étonnée. Elle descendit de sa voiture et ne fut pas mécontente de constater que l'épicerie était toujours ouverte. Elle monta les trois petites marches du perron et salua le vieil homme assis sur son rocking-chair portant un chapeau de paille et fumant une pipe.

Il lui fit un signe de tête.

― Z'êtes la nouvelle pô vrai ? lança-t-il brûle-pourpoint.

― Je vous demande pardon ?

― C'est vous qu'avez acheté Paradise Hill ?

Dubitative, elle répondit tout de même.

― Oui c'est bien moi.

Le vieil homme leva son chapeau.

― Enchanté, moi c'est Scruggs.

Elle s'adoucit un peu plus et se força à sourire.

― Rylee. Rylee Weston.

― Je sais.

Elle ne savait pas si sa réponse devait l'inquiéter ou si elle trouvait ça normal que dans un petit village tout le monde se connaisse et connaisse les dernières rumeurs rurales. En l’occurrence, une nouvelle venue était la nouvelle du moment. S’il y avait eu une gazette du village, elle aurait probablement vu sa tête en première page. Mais ce Scruggs devait être comme l'ancêtre du village, le vieux sage ou le type qui devait connaître à peu près tout le monde et avait probablement vu les dinosaures disparaître et verrait certainement les robots réduire la race humaine au néant.

Quand elle ressortit de l'épicerie avec ses sacs en papier remplis de conserves et d’œufs frais, Scruggs l'interpella :

― Si vous avez besoin d'un coup de main, je suis disponible pour faire des petits travaux, sans aucune contrepartie. J'habite la petite maison à la sortie du village.

Elle secoua la tête en guise d'entente puis répondit qu'elle y songerait.

Il se redressa sur sa chaise.

― Faites attention à vous mam'zelle Weston.

Elle se tourna un peu plus vers lui.

― Pourquoi dites-vous cela ?

Il tira sur sa pipe joliment gravée et laissa échapper un nuage de fumée.

― Vous savez bien. Il regarda autour de lui. On achète pô une maison comme Pardise Hill sans en connaître les raisons.

Il commençait à la mettre mal à l'aise. Qu'est-ce que voulait dire ce vieux fou ? Paradise Hill était une maison tout ce qu'il y a de plus normal. Ou alors, connaissait-il la raison qui avait poussé Rylee à acheter ici ? Non, impossible.

― Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je vous souhaite une bonne soirée.

Elle entra dans sa voiture et sortit du centre-ville. Crispée à son volant, elle se demandait ce qu'avait bien voulu dire ce centenaire au chapeau de paille. Car pour le moment tout ce qu'elle savait de Paradise Hill, c'était que la maison était abandonnée depuis plus de vingt ans (ou était-ce trente ?) et que Odile n'avait pas vu l'intérêt de lui parler de ses anciens propriétaires.

Mais visiblement, lui il savait quelque chose.

Quand elle arriva sur les premières marches de son porche elle vit un oiseau mort accompagné d'un mot écrit à la main : « PARTEZ VITE ». Le cœur de la jeune femme tressauta, comme s’il venait de recevoir un coup de jus. Elle regarda autour d'elle et finit par penser que cela devait être un des habitants qui, comme l'avait avertie Odile, n'aimait pas la présence de nouveaux voisins, surtout quand ils venaient de la ville.

Elle chiffonna le mot en se disant qu'il lui en faudrait plus pour l'effrayer.

Chapitre III

Les mains enfoncées dans le terreau frais, Rylee plantait les bulbes de fleurs sur le côté de la maison. Elle n'avait jamais eu la main verte. En vérité elle n'aimait pas du tout le jardinage, tondre la pelouse, tailler les arbres, arroser les plantes c'était le rôle d'un homme et son père ne lui avait jamais appris tout ça. De surcroît dans son ancien chez elle, c'était un jardinier qui s'occupait de tout ça.

Tapant aussi fort que possible pour enfoncer le clou dans la planche du perron, Rylee essaya de rafistoler le plancher du porche comme elle le pouvait. Pas d'hommes, pas d'ouvriers pour faire le travail à sa place, elle n'avait pas d'autres choix que de s'occuper elle-même du bricolage. Après tout il ne fallait pas être diplômé d'Harvard pour planter un clou ou repeindre un volet.

Elle jeta un œil à son chien qui entreprenait de nouer des relations amicales avec les oiseaux en leur courant après. Évidemment c'était un échec. Elle posa son marteau et descendit les marches pour le caresser alors qu'il s'allongeait sur le flan, résigné à se faire des copains.

― Bah alors mon gros, tu t'éclates à courir après les oiseaux ! Tu vas t'ennuyer cet hiver.

Il lui rendit sa tendresse en relevant le museau pour lui lécher le menton. En riant, elle se releva pour chercher un bâton qu'elle lui jeta à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il en ait assez et ne finisse par se coucher de nouveau.

Alors qu'elle s'apprêtait à reprendre son bricolage, une bourrasque de vent lui fit envoler ses cheveux. Le ciel s'était assombri d'un seul coup, menaçant la Nouvelle-Orléans d'un orage violent. Oui car elle le savait bien qu'ici les orages étaient plutôt tumultueux. Elle se réjouissait de ne pas avoir décidé en se levant le matin même de repeindre les volets.

Elle attacha ses chaises les unes aux autres contre le saule pleureur. Le vent commençait à devenir de plus en plus fort et avant qu'elle n'eût fini de protéger sa voiture à l'aide d'une bâche, des éventuels grêlons, le tonnerre retentit apeurant son chien qui se mit à couiner et à courir dans la cour. Elle l’appela plusieurs fois, mais celui-ci ne l'écouta pas. Elle n’eut pas le temps de l'attraper qu'il s'échappa et prit la fuite sur la route.

Manquait plus que ça !

Elle grommela alors que la pluie se mit à tomber comme des hallebardes. Elle courut chercher les clés de sa voiture et se précipita à l'intérieur. Elle recula en trombe, et prit la même direction que son chien. Par chance il continuait de courir au bord de la route, avant de s’engouffrer de nouveau dans la ferme des Anderson. Elle freina d'un coup sec sur le gravier mouillé et sortit de sa voiture où elle l'appela en espérant qu'il revienne. La pluie formait un épais rideau d'eau, elle ne voyait pas à plus de dix mètres devant elle et plongea les deux pieds dans une flaque d'eau.

Et puis quoi encore ?

― Rylee ! entendit-elle derrière elle. Elle se retourna et vit à l'entrée du hangar à boxes, Matthews qui lui faisait signe de la rejoindre. Elle ne perdit pas une minute avant de venir à lui.

― Iden a eu peur du tonnerre, il est encore venu chez vous, expliqua-t-elle.

 La pluie faisant beaucoup de bruit quand elle touchait le sol, ils devaient presque crier pour s'entendre.

― Ma mère l'a récupéré. On l’a enfermé dans un box, suivez-moi.

Elle suivit son hôte en enfonçant sa tête dans les épaules pour se protéger de la pluie qui fouettait ses oreilles et son visage ; dans le couloir il lui désigna le box en question.

― Vous pouvez attendre que la pluie se calme un peu avant de repartir si vous voulez.

Il s'éloigna en direction du fond du couloir.

― Où allez-vous ? demanda-t-elle.

― Je dois vous laisser, nous avons une jument qui est en train de mettre bas et le vétérinaire ne peut pas se déplacer.

― Laissez-moi jeter un œil.

Il s'arrêta net puis se tourna vers elle en haussant les épaules.

― Ne m'en voulez pas mais je ne pense pas que vous nous serez d'une très grande aide.

Il la planta dans le couloir et disparut dans le box sous un éclat de tonnerre. Elle fronça les sourcils et prit son chien pour le monter dans la voiture. Arrivée chez elle, elle monta les escaliers et fouilla dans un carton qui était resté dans la dernière chambre qui servait de stockage. Elle en sortit une mallette noire qui n'avait pas servi depuis deux ans. Sans perdre une minute, elle redescendit.

― Reste là mon chien, je reviens tout de suite.

Elle se mit au volant, alluma le contact et enfonça la pédale d'accélérateur. Elle se dirigea de nouveau vers le ranch. Sous la pluie battante, elle courut jusqu'au box où la jument, une magnifique appaloosa, allongée sur la paille, paraissait souffrir.

― Mais qu'est-ce que vous faites ici ? lança Matthews en voyant la jeune femme retirer sa veste.

― C'est qui ça Matt ? demanda le quinquagénaire grisonnant qui se trouvait près de la tête de la jument.

Rylee ne répondit pas. Elle ouvrit sa mallette qui regorgeait d'objets chirurgicaux, laissant le jeune homme dubitatif en en voyant le contenu. Elle enfila une paire de gants en latex préalablement stériles et prit un stéthoscope qu'elle posa sur le ventre de la jument.

― Il vous fallait un vétérinaire ? Et bien me voilà.

Matthews se passa une main sur le visage. Il n'en revenait pas. Un instant il aurait presque failli ne pas la croire, jusqu'à ce qu'il voie tout le matériel qu'elle avait ramené.

― Le poulain est toujours vivant, en revanche la mère est trop stressée, est-ce qu'elle a tous ses vaccins à jour ? Tétanos et influenza ?

― Bien sûr ! répondit le père.

Elle retira l'instrument d'écoute de ses oreilles.

― Matthews il me faudrait des serviettes, un seau avec du savon et si vous avez des bandages ce serait très bien. Vous, désigna-t-elle en regardant le père de famille. Tenez-moi la lampe.

Le travail commença. L'animal se mit à perdre cinq litres de liquide amniotique sur la paille. Matthews revint avec un seau, des serviettes et même des bandages.

― Bandez-lui la queue, ordonna-t-elle au jeune homme.

La jeune femme, reprit son stéthoscope pour jauger les mouvements du petit poulain. Elle prit une serviette et la plongea dans le seau d'eau savonneuse et se mit à nettoyer l'entrecuisse de la jument.

― Vous croyez qu'elle va s'en sortir ? demanda inquiet, Matthews.

― Elle oui, en revanche lui je ne sais pas. Écartez-vous il arrive.

Comme l'avait prévenu Matthews, tout n'allait pas se passer comme prévu. Une membrane rouge velouté sortit de la jument.

― Qu'est-ce que c'est ? s'inquiéta le père du jeune homme.

― C'est le placenta qui s'est rompu.

Elle prit rapidement un ciseau rond et coupa la matière visqueuse puis demanda à Matthews de venir à ses côtés.

Le ciel lui, continuait de gronder en harmonie avec la pluie torrentielle qui s'abattait sur les tuiles du toit, résonnant dans tout le hangar.

― Il faut que vous la rassuriez.

La jument qui fatiguait de plus en plus, respirait fort tout en hennissant de douleur. Rylee se leva en retirant un gant puis fouilla dans sa mallette pour en sortir un autre en latex mais cette fois plus long, puisqu'il montait jusqu'à l'avant bras. Elle l'aspergea de lubrifiant.

― Parlez-lui, essayez de la distraire, ça risque de ne pas lui plaire.

Le jeune homme s'exécuta, il caressa la jument tout en lui murmurant des paroles que Rylee n'était pas en mesure d'entendre étant donné sa concentration.

― Allez ma belle pousse ! Je vais l'avoir !

Jack, le père du jeune homme, resta les bras croisés à l'entrée du box. Sa femme l'avait rejoint pour leur apporter du café. Mais étant donné la complexité de la situation, le café eut le temps de refroidir.

― Ça y est je l'ai, dit-elle en tirant à la fois de toutes ses forces mais avec délicatesse sur le petit sabot.

Après plusieurs minutes à tenter l'impossible pour le sortir, dans un claquement de foudre, le poulain apparut enfin sur la paille.

― Il est vivant ? s'enquit Jack.

Rylee regarda un instant le nouveau né et vit qu'il respirait.

Elle sourit en repoussant une mèche de son front avec son poignet.

― Oui il l'est.

Tous éclatèrent de joie, instinctivement Matthews serra la jeune femme dans ses bras. Elle jeta un œil au petit poulain et lorsqu'elle vit qu'il allait bien, elle sortit du box avec son matériel pour laisser la maman s'occuper elle-même du reste.

― C'est un miracle que vous soyez venue ! s'exclama le patriarche.

Rylee qui relâchait la pression s'assit sur une botte de foin. Elle s'essuya le front et accepta volontiers le café, bien que froid, que lui tendait la mère de famille.

― Il faudra vérifier que la mère évacue bien le reste du placenta. Si quelque chose ne va pas vous savez où me trouver.

― Ah bon et où ça ? demanda Jack avec un large sourire.

― A Paradise Hill, répondit-elle en remettant sa veste sans s’apercevoir que sa réponse venait de faire évanouir le sourire à son interlocuteur.

― Qu'est-ce que vous dites ?

Elle sortit ses cheveux du col de sa veste et se pencha sur sa mallette avant de lui répondre de nouveau la même chose.

― On vous remercie pour ce que vous avez fait. Mais ça ira maintenant.

Le ton de Jack était devenu froid et cela n'avait échappé à personne.

― Bon très bien... J'y vais.

Elle fit un signe de tête et se faufila entre tous pour se rendre à sa voiture. Matthews fit les gros yeux à son père. La pluie continuait de tomber mais le tonnerre et les éclairs avaient cessé. Elle sentit une pression sur son bras alors qu'elle venait de jeter sa mallette sur le siège côté passager. C'était Matthews.

― Vous n'allez pas partir comme ça ?

― Votre père visiblement n'a plus besoin de moi. C'est une drôle de façon de dire merci chez vous.

Il secoua la tête.

― Il ne faut pas lui en vouloir, mon père est un peu rustre. Il a du mal avec les étrangers mais je suis sûr qu'il vous est très reconnaissant.

Matthews se passa une main derrière la tête. La pluie ne le dérangeait même pas.

― Écoutez Monsieur Anderson, je suis fatiguée et toute trempée, je vais rentrer et prendre une bonne douche.

Elle entra dans sa voiture. Le jeune homme posa les mains de chaque côté de la vitre qu'elle ouvrit.

― Au fait il va lui falloir un prénom à ce poulain.

Elle souffla.

― Quelle lettre sommes-nous ?

― F.

― Alors je crois que vous avez déjà trouvé.

Il fronça les sourcils avant de comprendre l'allusion puis sans plus attendre, elle quitta la cour du ranch.

Le soir, Rylee passa une excellente nuit. Elle s'était effondrée dans son lit après une bonne douche brûlante, satisfaite d'elle-même, de ce qu'elle avait réussi à faire.

Elle n'avait pas exercé depuis plus de deux ans. Depuis la disparition de sa mère. Elle avait revendu son cabinet ce qui lui avait attiré les foudres de son père. Il avait bien tenté de la faire changer d'avis, lui expliquant que ce qu'elle entreprenait était perdu d'avance et que cela ne mènerait à rien.

Mais elle ne l'avait pas écouté.

Car si son père ne l'avait pas supporté, sa grand-mère, elle, l'avait confortée dans son aventure. Il savait que sa fille avait toujours été têtue mais au point de tout quitter pour partir à des milliers de kilomètres de chez elle, jamais il ne l'aurait pensé capable de faire cela.

Elle avait pris toutes ses économies et celles de sa grand-mère pour investir une grosse partie dans la maison.

Dans cette maison.

Pendant plus de deux mois, la maison qui était alors en vente n'avait cessé d'apparaître de manière intempestive sur son écran, tel un spam. En cliquant dessus elle avait eu un sentiment bizarre, un sentiment de possession. Comme si la maison était déjà à elle.

Ce n'était pas elle qui avait trouvé Paradise Hill. C'était Paradise Hill qui l'avait trouvée.

Chapitre IV

Le lendemain, le soleil s'était invité dans la chambre de Rylee qui s'éveillait paisiblement. Évidemment, après la pluie le beau temps, se dit la jeune femme. Ce n'était pas un proverbe Indien mais ça aurait pu l'être. Elle trouva la force de se lever et de rejoindre la cuisine pour y prendre son petit déjeuner.

Elle enfila un vieux jogging et un débardeur puis sortit pour décrocher les chaises de jardin qui s'étaient un peu cassées à force de cogner les unes contre les autres. Une fois terminée, elle alla chercher son pot de peinture et ses pinceaux. Elle décrocha ses volets et les posa sur deux tréteaux, elle passa tout l'après-midi à les repeindre. Entre les allers-retours à la cuisine, aux toilettes et à jouer avec son chien, elle avait fini par en peindre seulement deux. Tant pis, au moins cela avait eu le mérite de l'occuper.

Un bruit de moteur attira son attention, elle releva la tête, plissa les yeux et vit un pick-up bleu faisant de la poussière quand il se gara dans sa cour.

Matthews en sortit avec un paquet à la main.

― Salut ! lança-t-il en la rejoignant.

― Bonjour.

― Je passais par là et je vous ai vue. Il lui tendit le paquet. Tenez c'est pour vous. Pour vous remercier de ce que vous avez fait.

― C'est gentil, mais je n'ai fait que mon travail.

Il sourit.

― Quelle fausse modestie. Allez prenez ça, ce n'est pas grand chose mais comme je ne vous connais pas, je ne savais pas ce qui vous ferait plaisir.

Elle ouvrit le paquet cartonné et y découvrit une luxueuse boîte de chocolats.

― Et comme je suis une femme, vous vous êtes dit que je devais forcément aimer le chocolat.

Il grimaça.

― Ok je vois. Je me suis trompé ?

― Ce qui est fou avec les préjugés c'est que parfois il donne raison. Elle sourit. Et vous avez raison, j'adore le chocolat.

― Ouf, vous m'avez fait peur.

Il enfonça les mains dans ses poches et regarda autour de lui.

― Je vois que vous n'avez pas chômé ici. Volets, porche, petit salon de jardin.

― Il faut bien s'occuper quand on n’a ni télé, ni téléphone et ni emploi.

Et ni famille, ni amis, finit-elle dans sa tête.

― Vous avez l'eau chaude et l'électricité ? Sinon je peux vous montrer ce que c'est, c'est une super invention.

Elle leva le menton pour le défier, mais se mit à rire.

― Vous voulez boire quelque chose ?

― Et bien je n'ai pas spécialement soif, mais je vais quand même dire oui, juste parce que je suis curieux de voir ce que vous avez bien pu faire à l'intérieur.

― Ah c'est gênant car je n'avais pas l'intention de vous faire entrer, le puits est derrière la maison.

Ses yeux pétillaient de bonne humeur, elle le faisait rire.

― Bon c'est bien parce que je dois rentrer mes chocolats avant qu'ils ne fondent. Suivez-moi.

Il entra dans la maison et fut agréablement surpris par une odeur de gâteau qui cuisait au four.

― Ça sent super bon.

― Ah oui le four !

Elle se précipita dans la cuisine pour en sortir la pâtisserie qui avait manqué de peu de griller. Matthews se cala le long du chambranle profitant du spectacle. Malgré ses cheveux attachés en chignon ébouriffé et son vieux jogging qu'elle avait dû voler au secours populaire, il la trouva sublime ; par respect, il évita de s'attarder davantage sur le débardeur qui mettait en valeur sa généreuse poitrine.

― Ça a l'air bon.

― Ça l'est, répondit-elle comme si elle ne comprenait pas l'allusion de vouloir y goûter. C'est un brownie.

Elle arrivait à garder la ligne en s’empiffrant de gâteau à 800% de matière grasse. Génial.

― Allégé, ajouta-elle.

― Ah.

Comment un brownie pouvait être allégé ? Le but de ce gâteau est d'être foncièrement gras et riche en sucre.

Elle lui servit un verre d'eau et l'invita à sortir de l'autre côté de la maison par la cuisine.

― Vous avez encore du boulot mais vous avez pas mal avancé.

― Je n'ai que ça à faire ici. Il me faut faire des activités chronophages, sinon je m'ennuie mortellement.

Il but une gorgée de son verre.

― En même temps, il n'y a pas grand chose à faire dans le coin. Au fait, je tenais à m'excuser pour l'attitude d'ours mal léché de mon père.

Elle balaya de la main.

― Ce n'est pas grave, c'est déjà oublié. Mais s’il est mal léché vous devriez vous en prendre à votre mère.

La réplique était osée mais il éclata de rire. Elle avait de l'humour il aimait ça.

― Alors vous êtes une vraie vétérinaire ?

― Bien sûr j'ai toujours vécu entouré d'animaux et avec mon père nous possédons quelques chevaux. Ça me semblait logique de me spécialiser dans les pathologies équines.

Il acquiesça de la tête.

― Vous comptez ouvrir un cabinet ici ?

Elle haussa les épaules.

― Je ne sais pas, j'hésite. Mais rien ne me dit que je resterais ici.

En fait, elle ne savait pas combien de temps cela allait prendre pour découvrir ce qu'elle était venue chercher. Mais il fallait bien trouver un moyen de faire rentrer de l'argent. Elle n'allait pas vivre ad vitam æternam sur ses réserves.

― Le vétérinaire le plus proche est à vingt-cinq kilomètres au sud. Celui que nous avions en ville a fermé il y a plus de trois ans. Les gens seraient ravis de voir quelqu'un de nouveau s'installer. Surtout qu'aux alentours ce n'est pas les chevaux qui manquent.

C'est pas faux, se dit-elle.

― J'aurais bien aimé faire des études, mais j'ai dû aider mon père à la ferme, je me dis que ce n'est peut-être pas plus mal. Je ne suis pas doué pour grand chose à part pour m'occuper des chevaux, des vaches et accessoirement monter des murs.

― C'est déjà pas mal.

Ils s’avancèrent dans le jardin.

― Comment va votre poulain ?

― Foudre ? Il va bien.

― Vous l'avez vraiment appelé Foudre ?

Il fronça les sourcils.

― Pourquoi ce n'est pas comme ça que vous espériez qu'on l'appelle ?

Elle rit.

― Si je vous taquine.

― On avait le choix avec Petit Tonnerre mais ce n'est pas la bonne lettre et puis c'est déjà pris.

Elle s'arrêta et lança sur un ton narquois :

― Vous vous moquez de mes origines ?

― Non, mais puisque vous en parlez, si ça ne vous dérange pas, j'aimerais bien faire un selfie avec vous pour montrer aux copains que je connais Pocahontas.

Elle le regarda bizarrement.

― Un selfie qu'est-ce que c'est ?

Il écarquilla les yeux mais avant qu'il ne dise quoi que se soit, ajouta :

― Ça va, je plaisante. Vous me prenez pour quoi ? Vous croyez que j'ai appris la médecine en lançant du sable dans du feu en invoquant les esprits du dieu des poneys tout en dansant sous la pluie ?

― Ah c'est donc ça que vous faisiez dans ma cour hier soir, répondit-il en faisant mine de se souvenir.