Sombres Apparences - Jill Thiel - E-Book

Sombres Apparences E-Book

Jill Thiel

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  • Herausgeber: Tourments
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Le soleil se lève sur New York. Allongée dans un buisson sur le port de plaisance, une célèbre influenceuse est retrouvée assassinée de plusieurs coups de couteau dans la poitrine; ses pieds ont également été découpés. Deux policiers sont dépêchés sur l’enquête. Jo Parker, jeune bleue brillante, sortie tout juste de la Police Academy, devra faire équipe avec Conrad McCain un policier proche de la retraite mais qui tarde à rendre sa plaque tant il a encore des comptes à rendre. Après plusieurs semaines de traque acharnée, quand le Boucher de New York signe son troisième crime, la jeune policière est loin de se douter que le traqueur devient rapidement la proie.

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Jill Thiel

Sombres

Prologue

La journée est magnifique aujourd'hui. Le soleil réchauffe l’atmosphère élevant la jauge invisible de la bonne humeur chez les New-yorkais qui profitent de cet été indien. D’ici quelques jours, les arbres vont commencer à rougir et les journées à se raccourcir au rythme des températures qui commenceront à s’adoucir pour laisser place à un peu de vent et de pluie.

Donc oui aujourd'hui est une magnifique journée et les gens ont raison de profiter de ces rayons de soleil.

Tous les gens, dont elle.

Elle, elle est là tranquillement assise à sa table avec ses deux copines maquillées comme des bagnoles volées à faire des selfies lèvres en cul de poule ou à prendre leurs cocktails en photo pour ensuite les poster sur les réseaux sociaux afin de faire croire aux envieux que leur vie est mieux que toutes les autres.

Vies virtuelles. Rires synthétiques. Quelle bande de connasses.

Si elles savaient. Si elle se doutaient.

Surtout Elle.

Angela.

Ses cheveux blonds brillants reflètent les rayons du soleil à en aveugler les oiseaux qui volent.

Cette fille, c’est la plus belle de toutes. Enfin si on ne tient pas compte de la couche de maquillage qu'elle se fout sur la tronche évidemment. Comment elles appellent ça déjà ? Ah oui, le conturing. Moi je dirais que c’est plus l’art de faire transparaître la personnalité vide et insipide de ces filles au même titre que leur visage de poupée figée et impersonnelle.

C’est vrai qu’Angela n’est pas comme ses deux copines.

Elle est pire.

Camouflé dans ce décor, je fais comme les gens autour de moi ; je lézarde tout en l’attendant. La terrasse est bondée, beaucoup de personnes profitent de cette douce fin d’après-midi en buvant un verre entre amis. Elle l’ignore, mais je suis assis à deux tables plus loin qu’elles. J’entends des gens s’agacer de leurs nicassements de mouettes, moi je les observe ou je les guette, peu-importe le nom qu’on peut donner à cela. Elle m’agacerait peut-être aussi si j’étais là juste pour consommer un verre.

Je sors mon portable et lui envoie un pauvre message pseudo-romantique pour lui dire combien j'avais hâte de la rencontrer, combien j’avais envie de me perdre dans ses yeux, dans son rire… Tu parles, juste combien j’avais envie de la baiser et de lécher ses gros seins, et dieu sait qu’elle n’a pas lésiné sur les photos. Tiens, rien qu'en y repensant j'en banderais presque encore.

Voilà qu'elle ricane de plus belle, si je me perds dans son rire de crécelle, c’est clair que je n’en ressortirai jamais.

Elle montre son écran de téléphone à Connasse 1 et Connasse 2. Je pense qu’elle leur parle de moi. Probablement qu’elle l’a déjà fait d’ailleurs. Je me suis assez donné de mal pour qu’elle le fasse en tout cas. Je lui ai envoyé plein de photos de mon torse nu et plus encore. Elle a adoré. Évidemment qu'elle a aimé, je suis bâti comme un dieu.

En même temps, c’est normal avec mon métier, je ne peux pas me laisser aller. Quelle facilité quand on est pompier d’emballer des petites connes, ça l’a rendue encore plus chaude, moins farouche et j’ai reçu plein de photos de ses nibards. Pff ça fait genre les saintes-nitouches sur les réseaux sociaux et ça n'hésite pas à allumer en messages privés.

C’est pas grave, moi ça me va. Je ne cherche pas la femme de ma vie de toute manière, et puis ça tombe bien comme il n'y a que des putes en plus.

Je regarde ma montre : 18 heures. Elle se lève, elle fait la bise à ses mongoles de copines et elle quitte la terrasse du bar. Je sais où elle va. Il va être l'heure de notre rendez-vous. Enfin dans une bonne heure. Bye bye Angela, elle monte dans un taxi et disparaît dans le trafic routier.

Mon téléphone vibre, un message d'elle :

Je me prépare chou, j'ai trop hâte ! <3

Je lui ai répondu que moi aussi j'avais hâte.

Oh que oui j'ai hâte. Depuis le premier message que je lui ai envoyé et qui m'a valu une réponse immédiate, il y a de ça une semaine je crois et depuis je ne pense qu’à ça. On n'a pas arrêté de s'écrire et de s'envoyer des photos. On aurait pu se voir avant mais je n'étais pas prêt. Je voulais d'abord que tout soit au point dans ma tête et préparé dans les moindres détails. C'est la première fois pour moi mais ça elle ne le sait pas. Je ne peux rien laisser au hasard, c'est important la première fois. C'est celle qui marque le plus. Celle où on voit nos erreurs et où on se doit de faire mieux par la suite. Plus rapide, moins rapide, plus fort, moins fort, plus brute, moins brute, enfin bref, je n'ai pas envie de rater quoi que ce soit.

Je rentre dans ma voiture direction chez moi. Elle sera là bientôt. J'ai tout préparé, le champagne sur la table, les pétales de rose, le canapé gris en velours, les bougies et même la bouffe que j'ai fait livrer, même si je sais qu'on ne va pas y toucher. Ce n’est pas vraiment le but de bouffer.

Voilà je regarde ma montre. Plus que quelques minutes avant son arrivé. « Dring », l’interphone. Pile à l’heure. Je décroche et lui indique le numéro de mon appartement.

J'éteins les lumières pour laisser juste les bougies éclairer la pièce. C'est romantique pas vrai ? Ou ringard ? Non les salopes comme elle, aiment le romantisme, jusqu'à ce qu'elles se fassent baiser dans un lit comme des chiennes.

Elle frappe à la porte. J'ouvre. Elle entre. Jusqu’ici tout va bien.

― Kyle, tu es là ? (elle marque une pause) Ouah c'est magnifique ! dit-elle en voyant le beau décor que je lui avais dressé.

Je ferme la porte et avant qu'elle ne se retourne, je lui bande les yeux.

― Mais qu'est-ce que tu fais ? Je rêve où tu me la joues à la Christian Grey ?

― Tu m'as dit que tu aimais ça, non ?

Je me rapproche de son oreille pour qu'elle sente mon souffle, ses bras nus laissent entrevoir sa chair de poule. Elle porte une robe rouge, rouge pute, qui lui moule les seins et le cul. Un délice. Je me mets face à elle et guide ses mains sur mon torse mais pas assez pour qu'elle s'attarde mais assez pour l'exciter.

― Suis moi.

Je la prends par la main pour l’emmener dans ma chambre, elle marque une résistance, comme si elle avait deviné.

― Tu ne crois pas que c'est un peu prématuré ?

Elle me fait quoi ? Elle a un regain de pudeur soudainement ?

― Tu n'en as pas envie ? lui dis-je en rapprochant mes lèvres pour effleurer les siennes. Pourtant ce n’est pas ce qu’il m’a semblé.

Elle pousse un gémissement, j'attise son envie en passant ma langue sur ses lèvres entre-ouvertes, puis je finis par l'attirer jusque dans la chambre. Je la plante devant le lit, elle sourit. Elle est si belle. Si naïve. Elle me donne envie de la prendre là, tout de suite, mais il ne faut pas. Je fais glisser mes lèvres sur son cou, sa joue, elle gémit un peu. Ses mains viennent glisser dans mon dos, je vois que sa bouche cherche la mienne, alors je lui en donne possession. Notre baiser est fougueux, excitant. Mais je la repousse légèrement.

― Viens là, me dit-elle en essayant de m'agripper.

― Attends, j'ai quelque chose pour toi.

Elle sourit. Je sors un ruban et lui attache les mains devant.

― Ah mais je vois que tu joues le jeu à fond.

― Tu m'as dit que tu voulais de l'action romantique.

― Tu te souviens de tout ce que j'ai dit...

Je me rapproche de son oreille.

― De chaque mot...

J'allume la caméra, mais ça elle ne le sait pas. Je veux filmer cette première fois pour me rappeler de ce jour et la regarder encore et encore pour apprivoiser mes erreurs et ne pas recommencer. Je retourne vers elle, je la prends par la taille et l'embrasse.

Je déboutonne sa robe dans son dos et fais glisser le fin tissu sur ses épaules. Merde il bloque sur ses mains attachées, première erreur, je suis obligé de la détacher pour la rattacher. Je souffle un coup, hors de question que de me laisser déstabiliser. Allez c’est pas grave, elle rit, ça ne la dérange pas. Elle porte un soutien à gorge noir et rouge en dentelle et un string immonde mais ça on s'en fout.

Elle est bonne. Oh que oui elle est bonne.

Je lui dégrafe son soutif et ses gros seins perdent en gravité, moins bandant tout d'un coup. Tant pis, je les englobe de ma bouche l'un après l'autre, joue avec ma langue sur ses tétons. Elle pousse des gémissements, elle aime ça. Je la fais reculer jusqu'à la renverser sur mon lit.

Elle se laisse faire, elle est à moi. Tout à moi.

Je lui retire son string, épilée comme une gamine. Putain je bande comme un dingue. Je ne peux pas attendre plus, je me déshabille et défais la capote de l'emballage et sans attendre, lui fourre ma queue entre les jambes. Elle jouit comme la chienne qu’elle est. Elle crie qu’elle l’a longtemps voulu, longtemps attendu. Toutes les mêmes. Pendant que je lui mets des coups de hanches, mes mains glissent sous l'oreiller, je sors un nouveau ruban et lui bâillonne la bouche avec. Au début elle avait l'air réticente que je lui mette, mais elle était tellement excitée que j'aurais pu la baiser devant une équipe de foot qu'elle aurait été consentante.

Une fois que ses mains sont attachées, je continue de la faire jouir, d'ailleurs je fais de mon mieux pour essayer de me retenir...

Et merde trop tard...

J'essaie de faire comme si de rien était, mais évidemment elle s’en rend compte.

Je me dépêche, je tâte une nouvelle fois sous l'oreiller ; je le cherche, il était là putain !

Ah ça y est je l'ai.

Mon couteau.

Qu'est-ce qu'elle fout ? Elle essaie de retirer son ruban sur les yeux. Et merde elle l'a retiré. Je vois ses yeux s'écarquiller et la peur qui s'en dégage. Elle aurait aimé crier, mais le bâillon sur sa bouche l'en empêche.

Je transpire à grosses gouttes. Que faire ?

Reprends-toi mon vieux. Tu as pensé à cet instant durant tant d’années. Ne le gâche pas. Ne le gâche surtout pas.

Il ne faut pas que je perde le contrôle.

J'assène mon premier coup de couteau. La lame qui rentre dans sa poitrine me procure bien plus de jouissance que ma bite en elle. Je lève de nouveau mon bras et lui enfonce de nouveau la lame au milieu du ventre. C'est mou, c'est gélatineux, on dirait que je coupe un pudding dégueulasse. J'adore ça. Elle pousse des cris étouffés sous son ruban, elle me regarde, des larmes coulent sur ses joues et humidifient le tissu sur sa bouche. Son mascara et son liner noir dégoulinent au coin de ses yeux de biche qui me supplient d’arrêter. Mais le sang qui coule sur les draps me donne envie de recommencer. Si elle savait comme j'en ai pas fini avec elle.

Je jette un œil à la caméra.

Oui aujourd'hui est une magnifique journée pour moi.

Aujourd'hui c'est ma première fois.

La première fois que je tue quelqu'un.

Chapitre I

Le nez devant son miroir de la salle de bain, Jo n'arrêtait pas d'essayer de trouver une coiffure adéquate en ce jour si spécial, celui de sa rentrée. Il fallait que cela aille avec son pull vert à rayures et son pantalon grenat à pince, que cela ne fasse pas fille coincée ou encore fille autoritaire avec un chignon de vieille bibliothécaire. Alors à l'aide d'un chouchou elle attacha ses longs cheveux châtain clair en une simple queue de cheval. Pas de mascara (elle avait déjà de longs cils), pas de rimmel, ni de rouge à lèvres, rien. Elle restait fidèle à elle-même.

Simple.

Jamais de superflu.

Et puis elle n'était pas là pour séduire qui que ce soit. Aujourd'hui était son premier jour, celui qu’elle attendait tant, au commissariat de New-York, après plusieurs mois de formation à la New York City Police Training, appelé la Police Academy. Formation qu'elle avait adorée tant son rêve était d'intégrer la police depuis son plus jeune âge. Mais ses parents n'avaient jamais voulu. D'abord à cause de sa malformation cardiaque, puis du fait qu'ils voulaient qu'elle fasse de longues études pour aspirer à une carrière plus glorieuse, moins risquée comme médecin (comme eux) ou au pire, avocate. Mais n'ayant que l'idée de résoudre des enquêtes et de coffrer des criminels, Jo s'était entêtée à suivre des études de criminologie et avait finalement décidé de passer son concours de Police à l'âge de 25 ans.

Un an plus tard elle en était là. Son excitation d'aujourd'hui ne pouvait donc être que décuplée étant donné le nombre d'années qu'elle avait dû attendre.

Elle descendit au rez-de-chaussée de sa grande maison où elle vivait seule pour se forcer à prendre son petit-déjeuner. Forcer, car oui elle avait tellement l'estomac noué d'anxiété qu'elle avait du mal à avaler quoi que ce soit. Mais hors de question de faire un malaise ou quelque chose dans le genre, car la première impression y faisait beaucoup. Si elle tombait dans les pommes dès le premier jour, elle aurait le droit à un pauvre surnom pourri qui la poursuivrait jusqu'à sa retraite. Et dieu sait qu'elle se voyait mal finir sa carrière avec un surnom commeVomito ou Miss Galette.

Elle prépara un bol de granola maison avant de s’attaquer à la fabrication de ses œufs brouillés. Maigre petit-déjeuner qui toutefois la maintiendrait debout jusqu'à la fin de la journée au moins. Elle se pencha quand elle sentit un coup de langue sur sa jambe. C'était Buddy, un labrador à trois pattes.

― Hey salut toi. Je t'ai réveillé je suppose, tu veux ta gamelle ?

Le jeune chien trépigna en jappant. Elle lui servit son petit-déjeuner à lui aussi, ainsi qu'aux trois autres qui vinrent gagner la cuisine. Elle les salua tous avec le même amour sans distinction. Lucky, le dalmatien, Baxter un berger-allemand noir de 5 ans et Pink Floyd (oui oui il y a vraiment des gens bizarres qui appellent leur chien avec des noms bizarres...) un pitbull femelle ancienne reine du ring de combats de chiens, qui avait du mal à reprendre du poids.

Avant de finir de se préparer, elle leur ouvrit la porte-fenêtre qui menait dans un immense jardin afin que tous puissent jouer et se dégourdir les pattes le temps de son absence. Hors de question de les laisser enfermer à l'intérieur les journées entières. Elle avait tenté l’expérience une fois, et s’était retrouvée la journée entière à ramasser déjections et ordures de poubelles sur le sol.

Elle vérifia une dernière fois son allure dans le miroir à côté de la porte d'entrée, conclut par un petit sourire avant de se diriger dans son garage pour y sortir sa voiture.

Et quelle voiture ! Une Audi TT noire mate de 2016. Un véritable petit bijou. Bijou qu'elle n'aurait nullement conscience d'avoir si Camille n'avait pas cessé de lui répéter que c'était la huitième merveille du monde. Mais comme Jo n'était pas quelqu’un de matérialiste, elle avait d'abord pensé à la revendre puis n'y connaissant pas grand chose et faisant confiance à son père pour son goût des bonnes choses, elle s'était contentée de prendre les clés et de rouler d'un point A à un point B avec.

Les mains sur le volant, le cœur battant, elle enclencha la première et fit vrombir le moteur quand elle sortit du garage. Sans perdre une seconde elle se dirigea vers son nouveau lieu de travail : le Commissariat.

Jo observa le grand bâtiment vitré qui se dressait devant elle, imposant telles les grandes portes d’un temple mystérieux qu’elle avait étudié de près comme de loin sans jamais savoir ce qu’il pouvait bien pouvoir se cacher derrière. Après plusieurs minutes à rester plantée sur le trottoir, elle finit par entrer en profitant d’un groupe de policiers en civil. Elles les avaient reconnus avec leur air d’habitué des lieux et leur gobelet de café à emporter. Elle se présenta à l’accueil, attendit qu’on lui donne un badge temporaire pour pouvoir accéder aux étages supérieurs et se dirigea vers l’ascenseur. Ses jambes trépignaient d’impatience et trahissaient son anxiété imputable à la nouveauté.

― Salut.

Elle tourna la tête, répondit un timide « salut » à l’apollon à la tête d’acteur à sa droite. Il arborait un sourire hollywoodien qui faisait sans doute fondre n’importe quelles femmes normalement constituées sur cette planète. Il avait un air de Chris Evan mais avec les cheveux plus clair. Le genre d’homme que toutes les femmes rêveraient d’avoir. Enfin toutes... sauf Jo.

― Tu es nouvelle non ?

― C’est ça.

Les portes s’ouvrirent et les deux policiers entrèrent à l’intérieur. Déjà qu’il la mettait mal à l’aise alors enfermés dans 3m2, cela n’allait pas arranger les choses.

― Je m’appelle Bruce, dit-il avec un air charmeur.

― Moi c’est Jo. Jo Parker.

Elle vit sa tête se figer. Ou se décomposer serait plus correct.

― Ah. La nièce de Teri.

Son ton était plus las qu’enjoué.

Elle acquiesça mais vu son air, soit sa tante avait mauvaise réputation, soit c’était elle-même. Vraiment bizarre. L’ascenseur s’arrêta, Bruce sortit en la regardant à peine. A en juger par l’endroit où il se dirigeait elle en conclut qu’ils allaient côtoyer le même service.

Super.

― Bonjour ma chérie, entre vite, fit Teri en se levant de son fauteuil de Lieutenant. Comment vas-tu ? Pas trop stressée pour ton premier jour ?

― Un peu mais bon, je crois que c'est normal pas vrai ?

Teri passa son bras maigre un brin squelettique autour de l'épaule de sa nièce pour la guider jusqu'au fauteuil en face de son bureau. Son regard fût attiré par l’article d’un journal accroché au mur que sa tante avait fait encadrer.

― Oh super, si avec ça personne ne sait que tu es ma tante, grâce à cette magnifique photo de classe tout le monde le sait.

Teri la regarda à son tour.

― Ne sois pas aussi dure avec tes gênes. Et puis l’uniforme te va tellement bien. Sois en fière. Pas comme ta mère. (Silence) Bon assois-toi, j’ai une tonne de papiers à te faire signer.

Bien sûr, la paperasse inévitable lors d'une affectation, comme qui héritera de votre immense fortune de flic si vous vous faites buter en service ou accessoirement que vous n'engagerez jamais de poursuite contre votre Administration pour quoi qu'il puisse vous arriver, enfin ce genre de chose quoi. Après lui avoir donné son insigne, son badge et sa carte professionnelle en main propre, sa tante l'invita à la suivre à travers les bureaux de son service : la Criminelle.

Quand la jeune femme arpenta aux côtés de son officier de tante les bureaux pour rencontrer ses nouveaux collègues, elle remarqua que les regards qui étaient tournés vers elle n'avaient rien de sympathique. Elle fut confortée dans son idée quand elle salua un groupe de policiers en civil, pistolet à la ceinture qui ne prit même pas la peine de lui répondre.

― C'est moi ou on dirait que je ne suis pas la bienvenue ?

Teri souffla et s'arrêta en plein milieu d’une allée, elle la regarda avec un air désolé.

― Effectivement on peut dire ça comme ça.

Donc cela venait d’elle, pas d’une supposée réputation imputée à sa tante.

― Vois-tu, les fonctionnaires qui se trouvent ici ont durement mérité leur place après avoir mangé leur pain noir comme on dit, dans d'autres services moins passionnant, toi tu es...

― ...Une pistonnée, finit-elle.

― C’est un terme que je n’apprécie guère employer ; toutefois, je crois qu’on peut dire ça comme ça.

― C’est n’importe quoi ! Je suis pas une pistonnée ! J'ai mérité ma place, j'ai fini Major de promo.

Teri lui fit signe de baisser d'un ton.

― Écoute, je ne me fais aucun souci pour toi ma chérie, je sais que lorsque tous ces gens apprendront à te connaître et dès que tu auras fait tes preuves ils verront qu’ils ont eu tord de te juger et comprendront que tu as mérité ta place au même titre que n’importe lequel d’entre eux. Allez suis-moi, je vais te présenter à ton nouveau coéquipier.

Elles traversèrent l'immense salle qui empestait le café et résonnait au rythme des sonneries de téléphones et des bruits que faisaient les touches de claviers. Arrivées à quelques mètres d'un bureau où un policier en civil se tenait nonchalamment jambes posées sur son bureau, Teri stoppa sa nièce avant de se tourner vers elle.

― Bon, je te préviens tout de suite, ton nouveau coéquipier est comme qui dirait quelqu'un de plutôt atypique.

― Comment ça ?

― Disons, qu'il est acariâtre, calculateur, égoïste, aigri, irascible, colérique et un tantinet misogyne, enfin bref, c'est un gros con.

― Super, merci du cadeau. C’est ma punition pour avoir été « pistonnée » ?

Elle fit les guillemets avec ses doigts.

― Bien sûr que non voyons. En fait, il y a quelques mois, il a perdu son binôme ou son meilleur ami pour être plus exact, avec qui il était cul et chemise durant plus de 25 ou 30 ans, un truc dans le genre. Depuis il erre comme un vieux slip abandonné dans le commissariat sans résoudre une seule affaire. On a bien essayé de le motiver mais rien à faire. Je me suis dis qu'un peu de jeunesse à former lui ferait du bien. Vous collerez bien ensemble, j'en suis sûre.

Teri tendit son bras pour faire avancer Jo jusqu'au corps allongé sur le fauteuil qui lisait le journal.

― Jo, je te présente Conrad, ton nouveau coéquipier.

Ledit coéquipier ne prit même pas la peine de se tourner. Teri, agacée par ce comportement poussa ses santiags du bureau ce qui le fit le tourner vers elles.

― Conrad, voici ma nièce, Jo.

La jeune bleue découvrit un quinquagénaire à l'allure de biker arborant une moustache grisonnante en forme de fer à cheval et un bandana noir sur la tête d’où ses cheveux gris semblaient vouloir s’échapper. Étonnant qu'il n'ait pas une veste en cuir avec une tête de mort.

― Et alors ? Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ?

Teri poussa un soupir d'irritation et posa ses mains sur le bureau pour se pencher à sa hauteur.

― C’est ta nouvelle coéquipière !

― J’ai besoin de personne.

― Écoute moi bien vieux croûton, cette fille c'est ta dernière chance pour toi d'être dans ce service, soit tu la saisis soit je fais en sorte qu'on oublie très vite tes trente années de bons et loyaux services. A toi de voir.

― Pourquoi tu la refiles pas à Marcks ? Il adore les petites filles, rétorqua-t-il en saluant de sa main le flic au loin.

― Conrad je ne te le demande pas, je te l'impose. Je ne me répéterai pas, c'est ta dernière chance de rester ici.

― Bien, comme tu voudras LIEU-TE-NANT.

Elle se redressa fière comme un paon. A croire que convaincre ce vieil asocial était une victoire.

― Bien, dans ce cas je vous laisse entre heureux nouveaux acolytes, elle posa une main sur l'épaule frêle de Jo, s'il y a quoi que se soit, tu m'appelles.

Elle jeta un regard noir à Conrad avant de les laisser (ou plantée sa nièce au beau milieu de ce silence inconfortable serait plus correct).

― Bon et bien je vais commencer, moi c'est Jo.

― Je sais ta tante l'a répété deux fois. Et idiote en plus d'être moche, marmonna-t-il derrière son journal.

― Écoute, on va être amenés à travailler ensemble, je pense qu'on peut au moins essayer de faire un effort, tu ne crois pas ?

Il posa son journal et se tourna vers elle.

― Alors déjà pour commencer, toi tu ne me tutoies pas, d'accord ?

― M’enfin, on est collègues ! Tous les flics se tutoient entre eux. Enfin tous sauf les officiers bien entendu.

― J'en ai rien à carrer, j'veux pas que tu me tutoies. J'suis pas ton pote et je ne le deviendrai jamais, ça te va comme réponse ?

Les larmes lui montèrent aux yeux. Elle était vexée. Mais à l'instar de faire un malaise, il était hors de question de pleurer devant lui. Elle se leva et s'éloigna sans rien dire pour se réfugier dans les vestiaires où elle laisserait sa colère se déverser sur ses joues. Quand elle ouvrit la porte, elle se figea un instant. Devant elle, un collègue, enfin deux collègues plutôt, dans une situation embarrassante. Jo ne s'attarda pas à essayer de deviner qui était la jeune femme à quatre pattes sur le banc (banc qu'elle se résignerait à ne jamais utiliser), alors elle referma aussitôt la porte et courut dans les toilettes. Elle vérifia qu'aucun autre couple clandestin n'était en train de soulager une envie urgente de repeupler la planète.

Debout devant le miroir elle évacua sa tristesse entremêlée d'amertume.

― Tu n'es pas une idiote ! Tu vaux aussi bien qu'eux, tu mérites cette place, se dit-elle en agrippant les bords du lavabo. Prouve-lui qu'il a tord, montre-lui qui tu es, personne ne doit te rabaisser !

Elle continua de se laisser aller à sa frustration et à sa colère quand elle entendit la chasse d'eau d'un des blocs. La porte s'ouvrit et une jeune femme aux cheveux roux presque rouges flamboyant en sortie pour se diriger vers un lavabo. Elle ouvrit le robinet et fixa Jo dans le miroir.

― Tu me rappelles moi il y a des années, dit-elle. Tu dois être la nièce de Teri, pas vrai ?

Jo acquiesça de la tête. Super, elle venait de passer pour une faible qui avait besoin de se rassurer en chouinant devant son miroir. La grande rousse s'essuya les mains et se tourna vers Jo.

― Enchantée, moi c'est Kate. Kate Carter.

Jo prit le mouchoir qu'elle lui tendit et tenta de se remémorer quelques articles de presse qu'elle avait pu lire sur le commissariat avant de débarquer. Elle se souvenait avoir déjà entendu parler de cette magnifique femme aux courbes parfaites.

― Tu sais, on est tous pareils le premier jour; on sort de l'école, on atterrit dans un service qu'on avait pas demandé et on se retrouve à devoir bosser avec un équipier qui est à l'opposé de nos idéaux. Oui je dois avouer que c’est un peu le passage obligé.

― Sauf que moi je suis contente d'être ici, articula Jo en reniflant. Enfin même si ce n’était pas mon réel souhait, mais plutôt celui de ma tante.

― Ah je vois alors, c’est une question de feeling. Tu sais, mon premier coéquipier était une vraie plaie. Un énorme mec avec qui je n'avais aucun point commun. Il ne faisait que s’empiffrer de poulet frit et son IMC conséquente donnait raison de lui sur les interventions.

― Qu'est-ce que vous avez fait ?

― J'ai demandé à changer et j'ai eu presque pire, répondit-elle en riant.

― Hmm et c'est sensé me rassurer ?

― Viens, suis-moi.

Elles sortirent des toilettes et restèrent à l'entrée de l'étage de la Criminelle ; Kate lui montra un homme vêtu d'une chemise froissée aux cheveux grisonnants, assis sur son fauteuil.

― Tu vois le type qui joue à faire tourner son ciseau autour d'un crayon ?

― Oui je le vois, ça n'a pas l'air d'être une flèche effectivement.

Malgré la remarque, Kate regardait Jo avec tolérance.

― C'est mon meilleur ami. Jerry.

Comprenant sa boulette, la stagiaire essaya de se justifier comme elle pouvait, mais Kate passa une main réconfortante autour de ses épaules et répondit :

― Je le détestais presque la première fois que je l'ai vu. Ses blagues étaient vaseuses, il ne faisait rire que lui, son comportement d'ado attardé me fatiguait et je pensais que c'était un incapable.

― Qu'est-ce qui a changé ?

― Moi. Je me suis rendue compte que j'attendais trop de lui, que je voulais à tout prix qu'il me ressemble, qu'il pense comme moi. C'était idiot de ma part. Alors j'ai commencé à rire à ses blagues et à l'observer. En vérité ce flic bedonnant est l'un des meilleurs équipiers que je n'aurais pu imaginer. Si tu laisses une chance au tien, peut-être qu'il en sera ainsi.(Elle marqua une pause) Alors de qui Teri t'a-t-elle lesté ?

― Conrad.

Kate fit les gros yeux.

― Conrad McCaine ? Ah OK je comprends mieux... Non en fait, tu as raison, pleure sur ton sort.

Jo poussa un long soupir.

― Un conseil, ne le laisse surtout pas te persuader que tu vaux moins que lui. Fais tes preuves, montre-lui que tu es efficace, et qui sait, si ça se trouve, c'est lui qui te regrettera.

― Ça j'en doute, marmonna-t-elle.

Au fond de la salle, Jerry fit signe à sa collègue de lui ramener un café. Kate en guise de réponse, lui fit un doigt d'honneur, ce qui surprit Jo, tant la femme devant elle paraissait si distinguée. Cette dernière sortit de son blaser un papier et un stylo pour y inscrire son numéro.

― Je sais que la jungle qu'est le commissariat peut-être sans pitié, alors n'hésite pas à m’appeler si ça ne va pas et ah oui autre chose, tutoie-moi, on est collègues bon sang !

Sur ces mots, elle laissa la jeune fille et se dirigea tout de même à la cafétéria afin d’aller chercher un café serré comme Hawkins les aimait. Elle rangea le numéro dans sa poche et prit son courage à deux mains pour retrouver Conrad sous les regards acerbes de ses collègues.

N'ayant pas quitté sa place, le vieux misanthrope avait repris sa lecture. Elle pinça ses lèvres, croisa les bras, les décroisa, souffla, toucha ses cheveux, souffla de nouveau et décida tout de même de lui demander en désignant le bureau vide :

― C'est celui-ci le mien ?

Conrad baissa le coin de son journal.

― Je me suis trompé, elle est super futée en fait.

Quoi que tu dises, il essaiera de te briser, pensa-t-elle.

― Les Barbies sont dans le premier tiroir et les Légo dans le deuxième, si tu as besoin de quoi que ce soit, surtout tu me demandes pas.

Enfoiré.

Elle esquissa un sourire furtif.

― Demain j'apporterai mes affaires.

Elle parlait comme si ça pouvait l’intéresser. Elle regarda autour d’elle et vit que l’attention était centrée sur elle. Tel un primate enfermé dans une cage aux lions, ils attendaient de voir ce qui allait bien se passer entre elle et lui.

― Il est hors de question de leur filer cette enquête tu m'entends ? vociféra une voix d'un des bureaux fermés jusqu'à ce qu'une porte ne s'ouvre avec fracas en laissant sortir un homme ressemblant étrangement à Joe Dalton en costard-cravate.

― Sam, elle a fait des études en criminologie, je t'assure que tu ne le regretteras pas, brigua Teri en le suivant au milieu de l'allée.

― Elle aurait pu étudier des trous de balles de terroristes que j’en aurais rien eu à foutre aussi !

Il se tourna vers la salle :

― A tous ceux qui n'ont rien de mieux à faire que se toucher sur le calendrier des pompiers, suivez-moi de toute urgence dans mon bureau ! cria Sam Hornak, le Capitaine.

Teri ne le lâcha pas d'une semelle, elle se mit à le suivre jusqu'à son bureau.

― Sam écoute-moi, je...

― Joue les tatas gâteaux comme tu voudras ce n’est pas mon problème mais ne viens pas fourrer ton nez refait dans mes effectifs. McCaine est devenu une loque et ta nièce est une gamine qui sort tout juste de la...

Teri leva l'index.

― Attention à ce que tu vas dire Sam, tu parles de ma sœur.

Il resta muet mais son regard demeurait noir.

Une vingtaine de policiers dont Conrad et Jo entrèrent dans le bureau du Capitaine. Jugeant qu'il en avait fini avec son adjointe, Sam entra dans son bureau à son tour et claqua la porte derrière lui. Évidemment Teri n'avait pas dit son dernier mot.

― Bon, je ne vous ai pas convoqués ici pour savoir comment s'est passée la rentrée de vos gosses, qu'on se le dise, j'en ai strictement rien à carrer, mais...

Un policier tout essoufflé et rouge d'efforts entra dans la pièce.

― Putain Hudson qu'est-ce que vous foutiez bordel ? Encore en train de culbuter une stagiaire ou quoi ?

Jo jeta un œil au policier qui se calait dans un coin. Elle reconnut cette chemise bleue glacier qu'elle avait vu de dos dans les vestiaires quelques minutes avant.

― Bon je reprends, on vient de nous envoyer la photo d'un cadavre qui a été postée sur un compte Instagram. Et le compte Instagram d’où a été publiée la photo n'est autre que celui du cadavre lui-même. Si vous n'êtes pas trop cons et que vous me suivez, un mort ne peut décemment pas poster une photo de son propre cadavre sur son compte avec qui plus est son propre téléphone.

― Qu'est-ce qui nous dit que ce n'est pas une mise en scène tordue ? exposa un des policiers assis au premier rang. Les « pseudos-influenceurs » sont prêt à tout pour gagner des abonnés et des likes.

― J'allais y venir, pas la peine de me couper lèche-cul. Donc, nous savons que ce n'est pas une mise en scène, car les parents ont signalé la disparition de leur fille de 22 ans il y a deux jours. Et la photo a été postée hier soir à 21 heures. Évidemment Instagram a supprimé le compte de la jeune fille et nous avons demandé une procuration pour géolocaliser le téléphone. Et la dernière fois qu'il a émis c'était à l'endroit exact où le corps a été déposé. Par contre plus de téléphone. Je ne vous montrerai pas la photo à vous tous mais seulement aux deux lauréats qui se verront remettre l’enquête.

Il plissa les yeux pour scruter sa micro-assemblée. Il s'apprêta à en désigner deux quand un colosse afro-américain fit irruption dans le bureau. Tous se levèrent, même Hornak.

― Bonjour à tous, comme vient de vous en faire part mon bras-droit, il nous faut deux personnes pour résoudre cette affaire et j'ai décidé de mettre sur le coup McCaine et Parker pour la former à sa première enquête, lança la montagne sans ménager ses propos.

Bruce qui n'avait pas l'air ravi de la nouvelle, se leva.

― Vous êtes sérieux ? Faut être pistonné ou dépressif pour se voir remettre une enquête dans ce commico ou quoi ?

― Kent, fermez-la, c'est moi le grand patron ici et je doute que je doive justifier mes choix à qui que se soit. Pour votre arrogance vous irez faire deux jours de contraventions, ça vous fera du bien. Quelqu'un d'autre à une requête ?

Tous se regardèrent, mais personne ne moufta, sauf Conrad.

― Perso je préférerais aller coller des PV aux mémés plutôt que me taper l'enquête avec une pauvre gamine.

La remarque n’eut pas l’effet escompté.

― Conrad dans mon bureau immédiatement ! s'exclama le colosse.

Il suivit le grand Chef dans son bureau passant devant Teri qui attendait à la porte d’entrée d'Hornak. Elle passa sa tête par le chambranle et articula sans son un : « J'ai gagné » accompagné d’un doigt d’honneur à l'attention du Capitaine qui devint rouge de colère. Le restant des policiers se leva pour regagner leur place respective en n'hésitant pas à bousculer Jo au passage ou en balançant des piques à voix hautes la visant directement.

Conrad lui, resta debout devant le bureau en chêne massif de son supérieur qui se pinçait l'arrête du nez, signe que son fonctionnaire l'exténuait. Il savait quelle était la souche du réel problème.

― McCaine, vous savez que je n'ai aucun grief envers vous, mais là ça ne va pas. Vous ne pouvez pas vous comporter ainsi avec cette jeune fille, elle n'est pas responsable de la mort de Roger.

― Ça n’a rien à voir avec ça ! Et tiens, puisqu’on en parle, Roger s'est fait abattre comme un chien et personne ne bouge son cul pour retrouver qui a fait ça !

― Calmez-vous ! Quand est-ce que vous allez vous mettre dans le crâne que Roger s’est suicidé ? Que vous le vouliez ou non c’est lui qui a décidé de partir !

Conrad voulut rétorquer, Wilson leva une main autoritaire puis ajouta :

― Ôtez-vous vos idées tordues de la tête McCaine et concentrez-vous sur l’essentiel. Le but étant de former cette petite du mieux que vous pouvez. Et je sais que vous en êtes capable, je vous connais depuis plus de 15 ans.

― J'ai autre chose à foutre que de jouer les baby-sitters. Je n'ai pas envie d'avoir quelqu'un avec moi, encore moins une gamine qui a eu une place grâce à sa suceuse de tante !

Le Chef de service leva une main.

― McCaine, dernier avertissement avant que je ne vous colle une insubordination ! (Pause) Vous savez quoi ? Occupez-vous de cette affaire, trouvez le malade mental qui a fait ça et on avisera de la suite. Cette gamine a besoin de faire ses preuves et vous aussi par la même occasion.

En disant cela, Wilson ne savait pas si c'était pour l'aider elle ou lui qu'il le forçait à être sur l'affaire.

― Sortez de mon bureau et filez dans la voiture avec mademoiselle Parker pour vous rendre sur le lieu du crime. Vous verrez, un jour vous me remercierez.

Conrad lança un « Pff » avant de quitter le bureau et de se rendre dans le parking souterrain où Jo l'avait suivi.

― Tu vas conduire, fit le quinquagénaire en lui lançant les clés.

Sans protester elle se mit au volant de la Ford Fusion banalisée.

― J'imagine que tu n'as pas l'habitude de conduire ce genre d'engin, alors fais gaffe dans les virages tu veux ? Cette bagnole est la fierté du Département.

Elle acquiesça sans rien dire.

― Bon, deux secondes je vais passer un coup de fil... Et merde ça ne capte pas ici bordel.

― Ne vous en faites pas, j'ai déjà entré l'adresse dans le GPS.

Il marmonna quelque chose qu'elle ne comprit pas avant de remonter dans la voiture.

― Ce n'était pas ça, je voulais appeler mon… dentiste, mentit-il.

Elle secoua la tête en pinçant les lèvres, puis elle enclencha la première et eut presque un frisson en entendant le V8 rugir sous le capot.

Pas mal.

Elle sortit du parking et s'engagea sur la route. Elle s'attendait à un silence religieux mais Conrad débuta sa pléiade anti-stagiaire plus tôt que prévu.

― J'espère que tu as l'estomac bien accroché gamine, car je te préviens que je ne veux pas de simagrées pour éviter de voir le corps. Tu as voulu venir à la Criminelle alors tu assumes.

― Ça ne me dérange pas.

― Oui oui, c'est ce que vous dites toutes, puis après une fois devant le corps, ça va vomir par là. Avec moi je te préviens, je veux du professionnalisme.

― D'accord, pas de problème. J’ai déjà assisté à plusieurs autopsies durant mon cursus.

― Ouais bah là c’est la vraie vie. Les cadavres ne seront pas toujours allongés sur une table proprement découpés.

― J’en ai vu des sacrément bien amochés vous savez.

Il souffla en se frottant le front.

― Je sens que la journée va être longue, maugréa-t-il dans sa moustache grisonnante.

La jeune fille bifurqua dans une rue puis une autre et pila devant un piéton qui avait décidé de s'engager sur le passage malgré le bonhomme rouge du feu. Conrad ouvrit son carreau et se mit à hurler sur le piéton d'origine mexicaine.

― Hey Pépito tu t'es cru dans ta favela ?

Si Jo n'avait pas redémarré elle aurait bien cru que Conrad serait sorti de la voiture.

― Les favelas c'est au Brésil, corrigea-t-elle.

― Chez les transes ou chez les bandits c'est pareil.

Et raciste en plus de ça.

― Vous vous imaginez toutes les nationalités que vous venez de bafouer en l'espace d'une seule phrase ?

― Qu'est-ce qu'elle a Hilary Clinton ? Elle est pas contente ?

― Je disais juste que...

― Estime-toi heureuse d'être née dans notre merveilleux pays, ça pourrait-être pire, tu pourrais être française !

Jo haussa les sourcils.

― La France est un beau pays.

Il se mit à éclater de rire. Un rire forcé bien évidemment.

― Oh je t’en prie on voit que tu ne sors pas de grosse pomme !

         Elle lui jeta un regard en coin.

         ―  Vous avez l’air de vous y connaître.

― J'étais marié à une française... Enfin bref, je vais pas te raconter ma vie, d’une ça ne te regarde pas et de deux j’ai pas envie de te la raconter.

Une femme avait donc eu le courage de se marier avec lui ? Au moins, il n'est pas si désespérant que ça.

Malgré le GPS, il ne put s'empêcher de lui rappeler de prendre la prochaine rue à gauche. Elle l'écouta sans dire un mot, prit une nouvelle avenue où elle se stationna devant le Classic Harbor Line, non loin du parc canin où les amoureux des bêtes promenaient leur animal de compagnie.

A quelques mètres d'eux, plusieurs voitures de police sérigraphiées ainsi que la scientifique et le médecin légiste clignotaient à plein régime. Sous un soleil accablant, ils franchirent le barriérage pour s’adresser à un policier en uniforme.

― Bonjour, je suis Jo Parker, la nouvelle.

Le policier s’apprêta à répondre quand il se souvint qu’aujourd’hui était justement le jour de l’arrivée de la bleue. La pistonnée.

Il détourna le regard pour finir par se tourner complètement. Elle baissa la tête et talonna son équipier qui salua le légiste. A son tour elle se présenta en serrant le poignet du jeune médecin.

― Bon maintenant que tout le monde se connaît, dites-nous ce qu’on a. avança le quinquagénaire à l'attention du spécialiste aux gants de latex.

― Angela Rosman, 22 ans, étudiante en première année de commerce, la mort remonte à deux jours, aux alentours de 20 heures. Vraisemblablement elle serait morte des suites des blessures causées par des coups portés à la poitrine et à l’abdomen. Sûrement un couteau vu la forme des plaie.

Conrad remuait la tête. Jo qui se tenait à ses côtés observait le corps nu avec attention. Elle n'avait que quelques années de plus et ne pouvait donc s'empêcher de faire un transfert. S'imaginer à la place de la jeune fille qui avait été abandonnée comme une canette de soda au bord du port, à proximité de quelques yachts.

La peau autrefois mate de la victime était devenue cireuse et jaunâtre, tel un mannequin en résine qu’on entrepose dans les musées. Ses yeux bleus aux longs cils fixaient le néant et ses bras qui présentaient des traces de liens au niveau des poignets étaient marqués par plusieurs ecchymoses. Ses seins semblaient figés dans la chair au même titre que ses cheveux qui lui barraient le front. Son abdomen et sa poitrine étaient perforés de fentes, signe de plaies au couteau mais sans la moindre tâche de sang. Quand Jo repoussa avec précaution la bâche noire qui recouvrait le bas du corps, elle constata qu'en plus d’être nue il manquait quelque chose.

― Les pieds ont été découpés post mortem, expliqua le jeune légiste. Des policiers fouillent la zone, mais ils n'ont encore rien retrouvé.

Conrad s'exclama :

― Ah ! Encore un coup de Yannick de la compta ça ! Fétichiste comme c'est pas permis de l'être !

Le coroner ne savait pas s'il devait rire ou pleurer de l'humour noir du vieux flic. Il regarda discrètement sa jeune collègue qui remuait la tête en lui conseillant de ne pas faire attention. Il ponctua sa blague d'un : «  je me casse, à deux pieds (comprendre à demain) » et il s'éloigna du duo.

― Des signes de luttes ? demanda-t-elle comme pour dissiper le malaise.

Il s'accroupit (elle l’imita) pour pointer les ecchymoses.

― Les mains ont dû être ligotées de son vivant, au vu de ses faux ongles, si elle avait cherché à se débattre, elle s'en serait cassé un, alors qu'ici ils sont tous intacts. On aurait dit qu'elle était totalement consentante.

― Ou droguée, supposa-t-elle.

Il acquiesça de la tête avant de se relever.

― Il n'y a aucune trace de sang sur son corps ou même sur les lieux, remarqua-t-elle.

― Oui c'est exact. Je dirai d'une part qu'elle n'a pas été tuée ici, et qui plus est, qu'elle a été nettoyée.

― Nettoyée ? Vous voulez dire que quelqu'un l'aurait lavée après l'avoir tuée ?

― C'est ça.

― C’est ce qui explique cette odeur de javel.

― Il ne voulait laisser aucune trace. Il sait très bien ce qu’il fait. Une méticulosité bien orchestrée. Un crime passionnel vous pensez ?

― Non, je ne crois pas. Les crimes passionnels sont à 80 % poussés par une pulsion de colère passagère et s'ils ont été prémédités, il n’y a pas autant de précautions de prises. En revanche, il n’est pas rare que ce genre de comportement ambivalent évoque un respect envers la victime. Le fait de la nettoyer peut aussi dire qu’il a regretté son geste et ne supportait pas de voir la victime dans cet état. A tête reposée, ce sera plus facile à déterminer.

Stevenson rangea son matériel médical dans sa mallette, de loin, il fit signe à un groupe de policiers de la mettre dans le sac mortuaire afin de la ramener au labo.

― Certains psychopathes aiment qu'on observe leur travail. Qu'on parle d'eux, expliqua Jo qui se mit à regarder autour d’eux, comme si elle cherchait à trouver quelqu'un parmi les badauds qui s'étaient attroupés autour de la scène de crime.

― Il se pourrait même que ce tordu fasse parti d'un de ces curieux, ajouta-t-elle. Histoire d’admirer son œuvre macabre et de se séguer de fierté.

Garrett se tourna, mit sa main en visière et scruta à son tour les civils quémandeurs de détails tels des vautours autour d’une carcasse. Plusieurs policiers soulevèrent le corps pour l’emmener jusqu'à la voiture réfrigérée sous l’œil expert du légiste. Puis il se tourna de nouveau vers elle.

― Alors comme ça vous êtes sa nouvelle équipière ? demanda-t-il.

Elle souffla en regardant Conrad au loin s'allumer une Marlboro.

― La nouvelle punie je dirais.

― Vous êtes dure. Je pense qu'il faut bien le connaître.

― Faut-il en avoir envie.

Il se mit à sourire.

― Vous vous y ferez, vous verrez.

― J'espère. Sinon c'est lui que vous verrez dans un de ces sacs.

Il se mit à rire en rangeant sa mallette dans sa voiture.

― On se reverra à l'autopsie, en attendant gardez patience, il paraît que c’est une vertu conseilla-t-il en se mettant au volant.

Il démarra la voiture et quitta le secteur ; derrière lui, elle le salua de la main avant de rejoindre Conrad qui admirait les yachts. Complètement détaché de l'enquête, il lui donnait vraiment l'impression de ne se soucier que de sa petite personne. Comment arriverait-elle à faire ses preuves si elle n'était pas aidée ? Elle repensait à ce que lui avait dit Kate dans les toilettes. Qu'elle devait prendre sur elle blablabla ; l'accepter blablabla, bref, finalement elle ne devrait compter que sur elle-même. Elle prit une profonde inspiration quand elle passa devant Conrad pour rejoindre la voiture, il ne manqua pas de lui lancer un pique.

― Ça y est vous avez fini de minauder tous les deux ?

― Je vous demande pardon ?

Il se mit à battre des cils.

― Comme si tu n'avais rien remarqué. Moi qui croyais qu'il était gay, maintenant je sais qu'à défaut il a juste des goûts de chiottes.

Elle se mordit la langue pour éviter de rétorquer quelque chose qu'elle pourrait regretter. Elle n'était pas de nature méchante, toutefois il ne fallait pas la titiller trop longtemps. Elle se contenta de hocher la tête avec un regard noir puis se dirigea vers la voiture, talonnée par son agréable coéquipier. Quand elle ouvrit la portière prête à s'engouffrer à l'intérieur, une voix qui la hélait la tint en suspens.

― Je vous reconnais vous !

Elle regarda autour d'elle avant de voir que le clochard poisseux au cheveux sec en bataille la pointait du doigt. Elle lui demanda si c'était bien à elle qu'il s'adressait.

― Oui vous ! Je vous reconnais ! J'vous ai vu la nuit dernière, vous avez...

― Vous vous trompez de personne ! coupa-t-elle sèchement.

Conrad qui toisait le SDF, malgré son sourire en coin, lui somma de s'éloigner sinon quoi il lui ferait une coloscopie avec sa santiag. Mais le clochard continuait de s’avancer dans leur direction d’un pas boitant.

― Barre-toi on t'a dit, reprends ton bolide de caddie et va picoler dans un caniveau plus loin.

Le sans-abri fixa la jeune femme à travers le pare-brise. Conrad monta à son tour et aussitôt elle démarra. A peine quelques mètres passés que son collègue éclata de rire.

― Décidément c'est ton jour gamine, entre un médecin puceau et un clodo, tu es une vraie tombeuse sous cette allure de vieille coincée.

― Oh ça va. Ce vieux fou a dû me prendre pour quelqu'un d'autre.

A vrai dire, si cet homme crasseux n'avait plus toutes ses dents, en revanche il avait bien toute sa mémoire. Il fallait juste espérer qu’il ne se déplace pas au commissariat pour la dénoncer.

Chapitre II

Le réveil de Jo sonna à la même heure que la veille. Elle tâtonna la table de chevet jusqu'à aplatir le bouton du réveil qui interrompit la sonnerie. D'un geste brusque, elle se recouvra le visage de son oreiller en ronchonnant dedans. Il était clair qu'elle n'avait pas envie d'y retourner. Pourtant, une partie d'elle trépignait de sauter dans ses vêtements et de se rendre immédiatement au commissariat pour reprendre le fil de son enquête. Mais rien que de repenser à ses nouveaux collègues et à son équipier qui la jugeaient en permanence, son envie resta comme son corps, figée sous la couette.

C'était sans compter sur Lucky, son dalmatien qui entendit du rez-de-chaussée le réveil et qui vint lui lécher la main qui pendait sur le côté du lit. Elle lui frictionna la tête mais avant qu'elle ne put dire quoi que ce soit, l'animal se retrouva sur elle en essayant de soulever l'oreiller avec sa truffe. Comme toujours, elle finissait par rire et lui rendre son bonjour.

Au bout de quelques minutes, elle descendit pour entamer son rituel du matin, celui qui consistait à dire bonjour aux trois autres chiens à coups de léchouilles et de remuage de queues, de les nourrir et de les sortir pour qu'ils se détendent les pattes pour la journée. Seulement après, elle pouvait prendre son petit-déjeuner et commencer à se préparer.

Enfin elle arrangea sa tresse pour la énième fois dans le miroir et finit par prendre les clés de sa voiture pour se rendre au commissariat.

Quand elle franchit les portes automatiques du grand bâtiment, carton à bout de bras, Jo ne fut pas surprise de ne trouver aucune réponse à ses multiples bonjours. En passant devant un groupe de jeunes femmes en tenue, elle entendit même quelques murmures insinuant que c'était grâce à son statut de « nièce de » qu'elle s'était vue remettre une enquête pour meurtre. Bien qu'au fond cela était vraie, Jo essayait de se persuadée du contraire.

Garde ton calme, ce n'est qu'une question de temps. Le temps qu'ils apprennent à te connaître.

― Hey ma chérie, comment vas-tu ? lança Teri en sortant de son bureau.

Gênée par les regards que lui lançaient les policiers qui buvaient leur café, Jo se contenta de hausser les épaules et de continuer son chemin, mais Teri la suivit en réitérant sa question.

― Écoute tante Teri, je t'appelle ce soir tu veux ? Je dois y aller.

La grande brune se tut un instant avant de comprendre que sa nièce était mal à l'aise.

― Bien, comme tu voudras. Je te laisse à tes occupations, répondit-elle en ponctuant sa phrase d'un clin d’œil.

Elle traversa l'allée centrale en saluant au passage Kate, qui lui rendit son salut. Arrivée à son bureau, elle y déposa son carton pour commencer à entreposer ses effets personnels, histoire de se sentir un peu comme chez elle dans ce monde de brutes où elle était rejetée. Oui, un simple pot à stylos, un cadre photo d'elle et ses 4 chiens et un autre de ses parents suffisaient à ce qu'elle se sente mieux.

Elle alluma l'ordinateur qui était déjà là pour rentrer ses codes d'identification afin de formater son compte et consulter ses mails professionnels. Quand elle eut terminé, elle se rendit compte qu'une heure était déjà passée et que son collègue n'était toujours pas arrivé. Elle salua un homme qui s'avançait avec un chariot jusqu'à elle.

― Vous êtes la nouvelle ? fit-il en regardant dans le tas d'enveloppes qui se trouvaient sur le chariot.

― C'est bien ça.

― Je n'ai pas de courrier pour vous désolé.

Rien de surprenant.

Il s'apprêta à repartir quand Jo lui saisit le New York Times. En gros titre, rien d'alarmant. Mais les dernières pages qu'elle scruta la mirent en émoi. Ses yeux s'écarquillèrent, son sang ne fit qu'un tour. Pourquoi avait-il fallu que quelqu'un édite cette photo ?

Son chien. Lucky.

― Jo ?

Elle sursauta.

― Je viens d'avoir le légiste Stevenson au téléphone, déclara Teri, une autopsie a été annulée, du coup il l'a remplacée par votre victime. Il t'attend au sous-sol pour commencer, tu peux t’y rendre ?

― L'auto… l'autopsie...

― Oui, tu en as déjà vu à l'école, n'est-ce pas ?

― Oui bien sûr, disons que je ne l'attendais pas avant la fin de la semaine.

― Ce n'est pas un problème. Après ça, tu passeras à mon bureau récupérer le dossier sur la victime ou McCaine peu importe, vous vous rendrez chez ses parents. J'ai demandé à Stanley de l'informatique de disséquer ses mails et d'essayer de se procurer les codes de son compte Instagram, enfin si le réseau veut bien répondre à nos appels.

― Bien, je le ferai.

Teri lui communiqua l'endroit de la salle et s'apprêta à repartir quand elle s'immobilisa.

― McCaine n'est toujours pas là ?

Jo remua la tête.

― Non il n'est pas encore arrivé.

Bon sang, ce type me fatigue.

Jo longea le long couloir lumineux du laboratoire. Contrairement à ce qu'elle avait pu voir dans les films avant son intégration à l'école de Police, les labos n'étaient pas tous aussi sombres et aussi lugubres qu'on laissait penser. La chose qui l'avait frappée en premier était l'odeur des gaz corporels entremêlés à celle du détergent au citron senteur chimique et synthétique qui étaient incrustés dans les murs et les sols. Elle poussa la porte de la salle d'autopsie et vit le visage de Stevenson s'illuminer quand il leva la tête de sa table d'outils chirurgicaux.

― Bonjour Mademoiselle Parker.

― Bonjour...

― Garrett, compléta-t-il. Appelez-moi Garrett.

― Dans ce cas, appelez-moi Jo.

Il hocha la tête en rougissant légèrement. Il termina d'aligner ses instruments d’un geste robotique avant de retirer le drap qui recouvrait le corps nu d'Angela. De la poche de sa blouse il sortit un dictaphone.

― Ça va aller ? demanda le jeune homme en ajustant ses lunettes de vue.

Elle hocha la tête en esquissant un sourire. Stevenson prit le dictaphone et débuta son discours en détaillant l'identité de la victime ainsi que ses caractéristiques : poids, taille, âge, signes particuliers comme les tatouages ou les cicatrices, la date de sa mort, ainsi que l'étendue des blessures visibles. Il palpa les cervicales, rien à signaler, palpa la cage thoracique qui ne présentait aucune déformation notable à l’œil nu (la radio dévoilerait le reste). Il prit son bras qui avait perdu sa rigidité pour observer des traces d’éventuelles piqûres, étant donné qu'il soupçonnait la victime d'avoir été droguée au moment de son agression. Sa peau laiteuse ne présentait aucune forme de plaie ou d'abrasion quelconque à part les marques des liens à ses poignets et les ecchymoses sur les avant bras. Comme si le tueur lui avait maintenu les bras au-dessus de la tête.

Tout au long de son examen, Garrett parlait à voix haute pour les notes vocales. Jo restait silencieuse, studieuse et avide d'en apprendre davantage sur les circonstances de cette mort.

Quand il eut terminé d'examiner l'extérieur, il descendit vers les jambes pour les lui écarter. Il examina l'orifice génital et anal à l'aide d'un spéculum pour vérifier si la victime avait subit un viol. Ensuite, à l'aide d'un écouvillon, il racla les parois dans l'espoir que cela révélerait des traces de sperme.

― Alors ? sonda Jo.

― Alors je pense qu’ il y a bien eu un rapport sexuel.

― Un viol vous voulez dire.

Il pinça ses lèvres sur le côté.

― Non justement. Il n'y a aucune lésion vulvaire dû à un rapport non consenti. Cette fille était consentante lors de l'acte.

― Donc elle était droguée.

― L'examen toxicologique nous en dira plus sur ce plan-là. D'un point de vue physiologique rien ne m'indique qu'elle était sous l'influence d'une drogue ou d’un poison. Mais des médicaments anesthésiants à inhaler, il y en a des tas.

Jo croisa les bras en poussant un soupir. L’idée qu’elle connaisse son agresseur n’était pas exclue, ce qui expliquerait qu’elle ait eu un rapport sexuel consenti. Un petit ami ou un ex éconduit était tout à fait plausible. La visite chez ses parents lui en apprendrait plus.

Garrett saisit un scalpel qu'il fit glisser sur la peau pâle et froide du corps. Une longue entaille appelée « crevée » partait des clavicules jusqu'à la ceinture pelvienne. Il écarta la peau et à l'aide de sa lampe frontale scruta l'intérieur de l'abdomen en quête de lésions ou d'ecchymoses sous-cutanées. Il écarta plus franchement la peau et se mit à gratter le muscle pectoral pour avoir accès au sternum. Il aurait pu couper directement les côtes mais pour le coup Garrett voulait impressionner la jeune femme, lui montrer qu'il était très professionnel. Et pourquoi pas gagner un peu de temps avec elle. Il aimait bien l’idée qu’elle était là pour lui autant que pour le cadavre.

Il se tourna vers sa table chirurgicale pour se saisir d'une pince coupe-os Liston qui ressemblait plus à un gros coupe ongle qu'autre chose. Difficile d'imaginer que ce petit instrument était assez puissant pour couper des os comme du papier. Quand Jo entendit les côtes craquer sous les lames de la pince, elle tenta de ne laisser transparaître aucune émotion. Garrett ôta le dessus de la cage thoracique et se mit à examiner les organes qui furent toucher par les coups de couteau. Pas évident de compter tant les organes étaient en compote. Mais à l'aide de tige il numérota les coups dans les organes. Au total il en répertoria quinze. Un des coups à la poitrine avait provoqué la rupture de l'artère aorte, provoquant une hémorragie interne qui avait entraîné la mort en quelques minutes. La perforation des autres organes comme les poumons et la rate n'avait fait qu'accélérer le processus.

― Un bel acharnement. J'ai vu pire aussi, commenta-t-il.