Pierre Loti - Jean Mariel - E-Book

Pierre Loti E-Book

Jean Mariel

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Beschreibung

Extrait : "Rochefort, cité sans vie et sans gaîté, n'est pourtant point sans caractère. Avec la ceinture de ses remparts, que bordent de larges promenades aux ormeaux centenaires, avec son hôpital maritime couronné de toits à la Mansard et précédé d'une avenue aux arbres savamment disciplinés, il réalise un type non sans charme de la ville de province d'autrefois. Et, s'il est vrai que la mer y demeure invisible, tout y évoque cependant, avec son image, celle des pays exotiques."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 61

Veröffentlichungsjahr: 2016

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PIERRE LOTI
Pierre loti

De tous les ports de guerre de la France, Rochefort est assurément le moins vivant. Pour y apercevoir la mer, distante de près de cinq lieues, il faut, du faîte de quelque édifice, interroger l’horizon par-delà les marécages des plaines. La Charente elle-même n’égaie point la ville. Coulant loin de son centre, elle passe presque inaperçue et le voyageur s’étonne de voir en de rares bassins sommeiller sur une eau, dont il s’explique mal la provenance, quelques modèles surannés de notre marine de combat.

Rochefort, cité sans vie et sans gaîté, n’est pourtant point sans caractère. Avec la ceinture de ses remparts, que bordent de larges promenades aux ormeaux centenaires, avec son hôpital maritime couronné de toits à la Mansard et précédé d’une avenue aux arbres savamment disciplinés, il réalise un type non sans charme de ville de province d’autrefois. Et, s’il est vrai que la mer y demeure invisible, tout y évoque cependant, avec son image, celle des pays exotiques. C’est le porche de l’arsenal s’ouvrant au bout de la rue principale ; ce sont tenant le haut du pavé, les marins en cols bleus et les soldats de l’infanterie coloniale ; ce sont les innombrables magasins où se vendent tous les objets d’équipement nécessaires aux gens de mer.

Et si, lassé d’errer sous le soleil brûlant d’un après-midi d’été par les rues blanches et d’une propreté peu habituelle dans les ports, on entre au musée municipal, ce sont encore les voyages et les colonies lointaines qu’en ses petites salles silencieuses évoquent les curiosités qu’il contient.

Des plantes, des coquillages, des madrépores, font songer aux îlots perdus du Pacifique ; des idoles de bois sculpté, des parures sauvages, rapportées d’Océanie ou d’Afrique par des marins qui ne sont plus, font vivre un instant le visiteur de la vie étrange ou charmeuse des peuples primitifs.

C’est à Rochefort que naquit le 14 janvier 1850 Julien Viaud (Pierre Loti) ; dans ce cadre que nous venons d’évoquer, s’écoula toute entière l’enfance heureuse et méditative du futur écrivain. Il appartenait à une vieille famille protestante, qui, au moment de la révocation de l’édit de Nantes, avait en partie émigré en Hollande et s’était en partie installée dans l’île d’Oléron, d’où elle était revenue sur le continent. Dernier né de trois enfants, Loti avait un frère qui, devenu médecin de marine, mourut en rentrant de Cochinchine, et une sœur qui joua un grand rôle dans le développement de ses facultés artistiques et littéraires et dans la formation de son esprit.

Ce fut dans la maison qu’habite encore rue Chanzy (l’ancienne rue Saint-Pierre) Pierre Loti, que le jeune Julien Viaud passa toute son enfance. Ce n’est point ici le lieu de décrire les merveilles du Palais de féerie qu’est devenu, agrandi par l’achat d’immeubles voisins et enrichi de trésors artistiques rapportés de tous les coins du monde, le logis familial de Loti. De nombreux visiteurs ont décrit la mosquée, le salon turc, le salon chinois, la salle Moyen Âge, dans lesquelles la fantaisie de Loti s’est complue à faire revivre toutes les époques et tous les pays. Si le prodigieux décor du logis de Loti témoigne de l’affinement de son goût artistique, il a malheureusement donné lieu à d’absurdes légendes. Pour nombre de critiques peu renseignés, les fêtes et les travestissements auxquels Loti s’est amusé en passant, tiendraient une grande place dans son existence. Quelle que soit l’habileté de metteur en scène dont il ait fait preuve dans sa fête Louis XI ou sa fête villageoise, Loti s’indigne de voir présenter comme une perpétuelle mascarade sa vie qui est celle d’un écrivain laborieux. La chambre qu’occupe Loti dans son logis de Rochefort est une vraie chambre d’anachorète et Loti n’y revêt guère d’autre costume que son uniforme de marin, gardant pour Stamboul le costume turc plus commode et plus esthétique que les vêtements des Occidentaux.

Il est dans la maison familiale de Loti un coin que ce dernier a voulu garder intact. C’est l’étroit jardin avec son bassin, son berceau de lierre et de chèvrefeuille, son vieux banc sous les jasmins et son grenadier presque centenaire qui se couvre en été de fleurs d’écarlate.

Loti a décrit ce coin avec amour dans un petit livre précieux pour tous ceux qui ont le désir de connaître les détails de son enfance.

Elle fut, cette enfance, extrêmement pauvre en évènements et seulement riche de rêves, rêves d’ailleurs terrestres, rêves d’ailleurs mystiques, premiers rêves d’amour à peine ébauchés. Tout le Loti futur est déjà dans ce gamin très choyé par son père, sa mère, ses tantes, sa sœur aînée et son frère le marin qui, à de rares intervalles, reparaît au logis paternel qu’il encombre de souvenirs exotiques. Les premières années de Loti s’écoulent uniformes dans un milieu grave où les maîtres et les serviteurs font le soir la prière en commun. L’une des tantes seule est une catholique ardente.

Pour distraction, l’enfant a les promenades. Il accompagne son père et sa sœur tantôt dans le jardin de la marine, tantôt hors des remparts dans la campagne monotone où parfois la petite ligne bleuâtre de la mer se dessine à l’horizon. En outre, tous les jeudis il se rend à la campagne et s’initie aux charmes de la vraie nature dans les bois de chênes de « La Limoise ».

Le premier évènement qui fasse époque dans son existence, c’est le départ du frère aîné pour la campagne du Pacifique. Et Loti suit par la pensée l’absent vers les îles lointaines qu’il tâche d’évoquer en s’aidant de ce qu’un gros livre à images a pu lui apprendre sur l’Océanie. Pourtant à cette époque, l’enfant ne songe pas encore à se faire marin. Choyé par tous les siens, il porte à ceux-ci, à sa mère en premier lieu, un culte que les ans n’affaibliront point et qui l’empêche encore de songer à quitter pour toujours sa maison familiale. Sa sensibilité cependant s’exalte dans ce milieu de serre chaude. La religion exerce sur lui une influence capitale et séduit par le côté grandiose de la poésie biblique, il rêve d’être un jour pasteur. Mais en même temps le côté sévère de la religion trouble ses joies d’enfant, et sa conscience est si timorée que la crainte du péché suffit à assombrir ses journées. Après avoir songé à le mettre en pension, ses parents lui font donner des maîtres. Mais le travail imposé lui est odieux.

Les livres et les cahiers lui apparaissent désespérément maussade. Ses joies sont alors la musique, déjà sentie avec intensité, ses collections de papillons ou de coquillages et le cabinet d’histoire naturelle d’un grand-oncle médecin qui lui parle du Sénégal et de la Guinée et lui prédit qu’il sera un savant naturaliste. Pour Loti, pourtant, tous ces échantillons des flores ou des faunes lointaines ne résument pas seulement de sèches notions scientifiques ; ils sont avant tout pour lui des symboles évocateurs entraînant sa pensée vers les terres exotiques.

L’enfant de plus en plus ambitionne un autre sort que celui de pasteur ; il est tenté par la vocation plus aventureuse de missionnaire. Mais ces rêves d’avenir à leur tour se transforment. Les prédications monotones dans des temples qui suent l’ennui éloignent peu à peu Loti de la religion. Autour de lui, à cause de son aptitude aux mathématiques, on parle de l’école polytechnique. Mais l’idée de vivre et de vieillir en un coin borné du monde, de faire chaque jour une besogne fixée d’avance, emplit l’enfant d’une sombre tristesse.