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En mars 2020, lors du confinement mondial, l’auteure envisage des changements personnels radicaux. Cependant, cette période marquera le début de sa chute vertigineuse dans la maladie, la conduisant aux portes de la mort quelques mois plus tard. Elle perd beaucoup de poids et tout intérêt pour la vie. Après deux ans d’hospitalisation, de remises en question, de conflits familiaux et de découvertes personnelles, elle s’engage dans une quête afin de retrouver sa joie de vivre.
À PROPOS DE L'AUTRICE
À la fleur de l’âge,
Amélia Lauran entame un voyage troublant vers les abîmes de la souffrance mentale et de l’anorexie. Ce premier ouvrage autobiographique dévoile son parcours émouvant. Elle offre au lecteur un récit authentique enrichi d’une analyse approfondie qui retrace sa descente aux enfers, ainsi que sa longue quête vers la guérison.
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Seitenzahl: 292
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Amélia Lauran
Pleure, mon soleil
© Lys Bleu Éditions – Amélia Lauran
ISBN : 979-10-422-1020-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mes proches qui me soutiennent depuis le début de ce combat, à ma Maman et mon Papa qui ont essayé de m’aider comme ils le pouvaient, à ma marraine et mon parrain qui m’ont redonné la vie, à mes soignants à qui je dois le fait d’être sur le chemin de la guérison et de la vie, et notamment à mes trois psychiatres, ma psychologue, ma psychomotricienne, mes deux diététiciens et tous les infirmiers de l’horloge. À mes copines de combat, mes soleils qui m’impressionnent chaque jour un peu plus et qui me montrent la voie de la guérison.
Merci à tous d’être vous, de me soutenir dans les hauts comme les bas.
Mon esprit, mon corps et moi vivons tous au même endroit, mais c’est comme si nous étions trois personnes complètement différentes.
Rupi Kaur
Bonne nuit mon amour. Je t’aime ma fille.
Chaque soir, lorsque cela m’est possible, je t’envoie ce message dans l’espoir que tu puisses le découvrir le lendemain matin à ton réveil et que cela te témoigne de mon amour inconditionnel à la fin de chaque nouvelle journée surmontée, te donne un élan de vie pour débuter la suivante. Mais à chaque fois, la peur et le doute m’envahissent… Et s’il était trop tard, et si un jour tu décidais de mettre fin à tes jours pour stopper ton calvaire ressenti, seule dans la nuit, sans m’appeler au secours… et si tu ne lisais pas mon message et ne recevais pas mon soutien et mon amour.
Découvrir ton livre si bien écrit, d’une précision et d’une sincérité redoutables m’a profondément chamboulée et meurtrie, mais cela me donne de l’espoir tant je ressens que tu commences, à travers ton travail sur toi et l’écriture, à prendre de la distance et à te libérer de tes démons intérieurs. Découvrir tant de mal être, tant de désespoir et de tristesse est difficile et totalement insupportable, mais cela me permet de mieux te comprendre, de mieux intégrer ce que j’ai pu faire ou ne pas faire, mais également ce qui ne dépend que de toi. C’est une bible que chacun d’entre nous, parents d’enfants devenant jeunes adultes, devraient avoir entre les mains pour mieux vous accompagner dans cette transition de vie.
Partager tes maux avec tes mots, ton expérience douloureuse et l’apprentissage difficile de la vie est une preuve de grand courage et un cadeau que tu fais à la vie, mais également à autrui, à tes soleils et leur famille, à toute personne confrontée à cette maladie. J’aurais tant aimé lire ton livre il y a quelques années pour mieux comprendre ta maladie et mieux l’appréhender pour t’accompagner et te soutenir.
Je te le répète souvent et les mots sont faibles pour le dire, ton livre est puissant et je suis extrêmement fière de toi et de ton combat.
Ta Maman.
La route des enfers est facile à suivre, on y va les yeux fermés.
Théognis de Mégare
Jeudi 12 mars 2020 -20 h
« Dès lundi et jusqu’à nouvel ordre, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées et les universités seront fermés », annonce le président Emmanuel Macron. Cette élocution était attendue par tous, non sans crainte. Cela faisait déjà quelques mois que le terme Coronavirus était passé dans notre langage courant et dans nos discussions quotidiennes. Ce virus terrorisait tout le monde, on ne parlait plus que de cela aux informations. On entendait que les gens en mouraient, que les hôpitaux étaient surchargés et qu’il se propageait à toute allure dans le monde entier. Nous vivions sa propagation mondiale, impuissants. Ce jeudi 12 mars, tout mon cours de cirque suivait les nouvelles sur un petit écran. L’annonce a provoqué des réactions hétérogènes. Les cris de joie, d’incertitude et de déception fusaient. La perspective de trois semaines de vacances nous réjouissait tous plus ou moins. Trois semaines, c’était ce qui était à l’époque estimé, mais en réalité personne ne savait exactement ce vers quoi nous nous dirigions. Ce soir-là, je suis rentrée avec mon amie Oriane et c’était la seule chose à laquelle nous pensions. Ce scénario tout droit sorti d’un film de science-fiction nous semblait irréaliste, impossible. Le lendemain, c’était le chaos général au lycée. Les professeurs défilaient dans les salles pour nous distribuer des polycopiés par centaines en essayant de tenir la classe qui s’éparpillait dans tous les sens avec cette annonce impensable. Nous allions vers un futur incertain et cela nous chamboulait grandement au moment où nous devions nous projeter dans l’avenir. Après tout, il y avait le bac à préparer et ce confinement n’était absolument pas une raison valable pour relâcher notre travail et nous reposer. Les professeurs tentaient de prévoir la manière dont ils allaient s’organiser pour ces trois semaines en nous annonçant un rythme soutenu et en nous demandant de conserver une hygiène de vie proche du quotidien, se lever tôt, travailler, manger de vrais repas, rendre nos devoirs et interrogations. J’ai alors quitté le lycée sans me douter un seul instant que je venais d’avoir mon dernier cours en classe de terminale, que je quittais pour toujours le lycée où j’étais depuis la sixième et où j’avais grandi et mûri. Le confinement strict est annoncé le 16 mars au soir lors d’une nouvelle allocution du président avec des mesures applicables dès le lendemain matin. Ce même soir Papa et Maman se sont disputés pour la première fois du confinement. Depuis cinq ans, nous vivions en garde alternée. Nous allions une semaine sur deux chez mon père à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne et l’autre semaine chez ma mère à Paris dans le 6e arrondissement. Au tout début du confinement ma Maman et mon beau-père de l’époque, Georges avaient le Covid. Ma mère voulait tout de même que nous retournions chez elle comme prévu dans le jugement du divorce la semaine qui suivait. À l’époque, le Covid n’était pas diagnostiqué dans les pharmacies ou chez les médecins, car les hôpitaux prenaient uniquement en charge les cas graves et vitaux. Nous ne savions pas faire la différence entre une grippe et le Covid. Ma Maman n’était donc pas certaine d’avoir le Covid.
Papa s’opposait radicalement au fait qu’on retourne à Paris, pensant qu’elle nous mettrait mon frère, Théo et moi en danger. Ma sœur, Marie venait de commencer la garde alternée inversée pour apaiser les nombreuses tensions dans la fratrie. Elle devait aller chez mon père les semaines où Théo et moi étions chez ma mère et inversement. À l’époque, les relations entre ma sœur et moi étaient extrêmement difficiles, nous nous adressions à peine la parole et les disputes étaient quotidiennes et violentes. Nous avons donc débuté le confinement par 3 semaines chez Papa à Choisy. Les premiers jours se sont déroulés à merveille. Nous étions dans une maison avec un petit jardin, à l’heure où le soleil de mars pointait de nouveau le bout de son nez. Dès le premier jour, j’ai établi un planning heure par heure de ce que je devais faire. J’avais des heures de lever, de coucher, mes heures de pauses et mes créneaux de révision. J’ai toujours été très bonne en organisation et je me faisais des plannings et des « to do list » pour tout et n’importe quoi bien avant le confinement. Je me suis imposée un rythme régulier en suivant mon emploi du temps exactement comme au lycée. Dès les premiers jours, certains profs ont disparu de la circulation, nous laissant seuls avec le programme à préparer pour le bac. Nous n’avons jamais eu de nouvelles ni de notre professeur de philosophie ni de notre professeur de physique alors que c’était à l’époque ma spécialité pour le bac. À ce moment-là, je voulais à tout prix le décrocher avec la mention très bien et je comptais bien tout mettre en œuvre pendant ce confinement pour l’obtenir de mon côté même si c’était sans l’aide de certains de mes professeurs. J’ai toujours été très perfectionniste dans mes études. Je travaillais toujours de manière à être première de ma classe. Si j’étais mal classée, je prenais cela comme un véritable échec. En fait, je vivais avec la frustration et la déception permanente, car rien n’était assez bien, rien n’était à la hauteur que je me fixais à moi-même. Lors du confinement, notre rythme de vie a radicalement changé, mais la rupture de lien social ne se faisait pas tant ressentir dans un premier temps. Lorsque que nous n’étions pas en visio pour les cours nous passions nos journées en appels vidéo, organisions des repas, visio… Nous avons réussi à garder le contact malgré l’éloignement physique. Je me suis même découvert de nouvelles passions pour la couture et l’aquarelle qui me permettaient de petites coupures dans la journée. L’ambiance était bonne au sein du foyer paternel, la maison était grande, nous ne nous marchions pas dessus et chacun respectait le rythme des autres.
17 mars 2020, Choisy Le Roi
« Cher Journal, aujourd’hui, c’est le premier jour de confinement. Le Président, Emmanuel Macron a annoncé hier qu’à partir de ce midi, toute sortie devait être justifiée d’une autorisation, sinon nous risquons une amende. Beaucoup de gens ont fui en urgence Paris pour la campagne. Je n’en peux plus de regarder les infos, on ne parle plus que de ça. Je n’arrive pas à imaginer qu’un jour notre vie redeviendra “normale”, ça me paraît impossible. Le plus angoissant, je pense, c’est que nous n’avons aucune idée du temps que cela va durer et de la suite, nous avons du mal à nous projeter dans un futur proche ou éloigné. Ça nous apprend en quelque sorte à vivre au jour le jour, à prendre des nouvelles de nos proches et à travailler sur nous-même. On ne sait même pas si le bac aura lieu… J’aimerais tellement l’avoir dignement. Parfois, je regarde des photos d’avant la pandémie en me disant “tu ne profitais pas assez avant”. Hier matin, je suis allée récupérer des affaires chez Maman et je me suis rendu compte que c’est la dernière fois que je sortais avant je ne sais pas combien de temps. En ce moment, les avis sont mitigés sur la gravité du Covid et en allant chez Maman hier, j’étais terrorisée que ce soit la dernière fois que je la vois. L’ambiance est lourde et angoissante, je ne sais pas vers où on va et ça m’inquiète beaucoup. »
Le 3 avril, le ministre de l’Éducation nationale annonçait que nous ne passerions pas le bac et qu’il serait passé uniquement en contrôle continu avec les notes de l’année. Cette nouvelle m’a détruite, m’a brisée. Cela faisait plusieurs années, plusieurs semaines que je travaillais avec rigueur et détermination pour cette épreuve certes triviale, mais synonyme pour moi d’une étape importante dont tout le monde se souvient et que tout le monde peut raconter. Si vous fermez les yeux, vous vous souvenez sans doute du stress avant les épreuves, des révisions de dernière minute, de la peur des résultats. Ce jour-là, j’ai compris que je ne pourrai me souvenir de rien de tout cela. Ce soir-là, après cette annonce, je suis sortie pour la première fois hors de chez moi. Nous avions le droit de sortir avec une attestation de sortie pour faire les courses. J’ai donc fait mon attestation simplement pour aller prendre l’air et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai lâché toute ma douleur dans les rues désertes de Paris. J’avais l’impression qu’on me privait d’une partie de mon adolescence, que j’aurai toujours ce petit goût d’inachevé au fond de mon cœur. Au bout de quelques semaines, le confinement fut prolongé d’un mois, au moins jusqu’au 15 avril. Cela ne me dérangeait pas spécialement, je prenais goût à vivre de mon côté, à m’imposer ma propre routine, à être plus autonome scolairement. Ce qui était particulièrement difficile à cette époque, c’est qu’on nous demandait de préparer nos dossiers pour le postbac. J’étais totalement perdue. On nous demandait de choisir pour notre avenir alors que pour l’instant, nous ne savions même pas où nous serions dans une semaine. Peut-être que finalement, on serait confinés toute notre vie et qu’on devrait faire nos études en distanciel. Je n’en savais rien, je n’arrivais pas à me projeter.
Les jours se ressemblaient, nous étions pris dans nos nouvelles habitudes, néanmoins, je pense que je me souviendrais toute ma vie de ce soir du 5 avril 2020. Ma sœur ne voulait toujours pas retourner chez mon père après presque un mois. Elle avait mon père au téléphone ce soir-là et ma mère s’est retrouvée mêlée à leur dispute. L’appel a duré plusieurs heures et les cris et les larmes fusaient depuis la cuisine. Mes parents ont commencé à se reprocher des choses qui n’avaient rien à voir avec la conversation de base. Ma chambre n’était pas attenante à la cuisine où se déroulait l’appel, mais pourtant, j’entendais chaque mot prononcé, chaque poignard lancé. Ma mère prenait le parti de ma sœur et s’exposait violemment à toutes les critiques que lui faisait mon père. Celui-ci a notamment énoncé le fait que l’amour qu’il avait eu pour ma mère n’avait jamais été vrai, qu’ils avaient toujours vécu dans la théâtralisation de leur amour. Avons-nous alors été des acteurs engagés dès notre naissance ? Notre bonheur enfantin était-il faux ? Avons-nous seulement été conçus, car cela rendait bien sous le feu des projecteurs ? J’ai remis énormément de choses en question en entendant cela, jusqu’à remettre mon existence en question. La tension était électrique, ma sœur pleurait toutes les larmes de son corps, ma Maman également. Vers les coups de 22 heures, ma mère a quitté la maison de rage, sans attestation de sortie, sans téléphone et sans passeport alors que nous étions en pleine période du confinement avec l’interdiction formelle de sortir pour une autre raison que pour faire des courses. Elle est revenue une heure plus tard. Elle avait avalé une plaquette de somnifères. Elle est rentrée dans sa chambre, a fermé la porte à clé et est allée se coucher. Nous essayions avec Marie de défoncer la porte sans succès. Nous tentions de protéger Théo. Il était jeune, il ne devait pas être mêlé à tout cela. Elle a enfin fini par nous ouvrir la porte, ma sœur et moi étions en ligne avec les pompiers qui nous demandaient de la maintenir éveillée, qu’il ne fallait surtout pas qu’elle s’endorme. Les secours sont arrivés assez rapidement pour prendre en charge notre Maman. Nous n’avions pas le droit de l’accompagner, car à l’époque, les hôpitaux étaient surchargés et nous devions à tout prix limiter les contacts pour ne pas propager le Covid. En franchissant le seuil de la porte, ma Maman s’est retournée vers moi. Son visage était creusé par les larmes et ses yeux emplis de la mort. Elle m’a dit « Amélia, prends soin de ton frère et de ta sœur, fais en sorte qu’ils ne manquent de rien, je t’en supplie » et les pompiers l’ont emmenée, nous laissant pleurer, car nous pensions que nous venions de perdre notre Maman pour toujours. Cette phrase me hante encore à l’heure actuelle. J’étais encore une fois mise à une place qui n’était pas la mienne, si ma Maman rejoignait les étoiles, je devrais être la nouvelle Maman de mes frères et sœurs et vivre moi-même sans Maman. J’ai cru ce jour-là que je n’allais peut-être jamais la revoir vivante. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer, j’étais anéantie. Nous n’avons pas eu de nouvelle d’elle jusqu’au lendemain matin. Les heures paraissaient interminables, l’angoisse et la tristesse ne diminuaient pas. Plus tard dans la soirée, j’ai envoyé un message à ma Marraine et j’ai rappelé mon père, qui n’a au début pas reconnu ma voix, il m’a confondu avec Marie avec qui il venait de se disputer violemment. Je n’ai pas trouvé le réconfort que j’espérais dans les paroles de mon père. Il m’a dit « tu sais si elle voulait vraiment en finir, elle n’aurait pas raté son coup », cela m’a tout sauf rassurée, il n’en savait rien après tout si elle était encore vivante. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Comment est-ce possible d’en arriver là ? Mes parents s’aimaient tellement à l’époque, ce soir ma Maman a essayé de quitter cette vie après une engueulade avec mon Papa. Le lendemain, à notre plus grand soulagement, elle est revenue à la maison. Elle allait mieux, du moins physiquement, elle n’était plus en danger. Je pense que j’ai vécu cette tentative de suicide comme un réel abandon. J’avais l’impression qu’on ne comptait pas dans l’équation et à l’époque, je ne comprenais pas qu’on puisse vouloir s’ôter la vie. J’avais pleine conscience que ma Maman subissait énormément de choses depuis un tas d’années, mais penser à partir, à laisser trois enfants, ça, je ne pouvais le concevoir.
C’est le 11 avril 2020 que les choses ont commencé à déraper, insidieusement et vicieusement. J’ai décidé ce jour-là que j’aurai mon body summer cet été 2020. J’aurai enfin le corps de mes rêves, je n’aurai plus honte de moi-même à la plage. Je n’ai jamais été très à l’aise avec mon corps et notamment lors de la période estivale. Je trouvais mes amies hyper bien foutues et j’avais sans cesse l’impression de faire tache à côté, comme la copine sympa, mais qui n’a rien à montrer en bikini sur la plage. Cette année-là, tout cela serait terminé, je serai fière de l’image que je renverrai de moi, des abdos que je me serai formés. Pendant le confinement, il y avait sur les réseaux sociaux un concept de cours de sports en visio. Nous étions plusieurs milliers à nous connecter et des coachs sportifs nous faisaient chaque soir des cours pendant une petite heure. Rien de bien alarmant aux premiers abords. Toutefois, lorsque j’ai commencé à suivre ces cours de sport, j’avais la volonté ferme de perdre du poids alors que j’avais un poids totalement correct, je n’avais pas spécialement de poids à perdre bien que mon apparence me complexait beaucoup depuis toujours. J’ai toujours été très sportive et donc assez musclée. Mes cuisses étaient ainsi assez volumineuses, ce qui était difficile pour moi à assumer. J’ai donc décidé à ce moment d’arrêter de me resservir à table et de faire chaque jour au moins une petite heure de sport après mes cours. Je me disais que cela compenserait le fait que je ne m’active plus pour marcher de chez moi au lycée. Au niveau alimentaire, j’ai toujours adoré manger. J’étais plutôt un bec salé, le sucré ne m’attirait pas vraiment. Je ne me prenais pas spécialement la tête sur l’alimentation. J’avais déjà essayé par le passé, en 2017, de contrôler ce que je mangeais, mais sans réellement réussir, j’étais trop gourmande pour me priver de manger. Alors certes, je culpabilisais un peu d’aller au fast-food ou de manger des choses grasses, mais ça n’a jamais été une obsession. J’avais déjà essayé de compter mes calories, mais à l’époque ça me fatiguait, je n’y connaissais absolument rien et je ne voyais pas l’intérêt de connaître tous ces chiffres par cœur. Depuis le début du confinement, je pensais souvent au fait qu’on se dépensait beaucoup moins et j’ai commencé à développer une peur irrationnelle de prendre du poids, c’est pourquoi je me tenais chaque jour à mon heure de sport, pour garder bonne conscience. La question du poids était devenue une vraie question de société. Combien de kilos allions-nous prendre ? Comment aurons-nous notre body summer pour l’été 2020 ? À cette époque, j’ai commencé à chercher sur Internet, comment perdre quelques kilos avant l’été. Je voyais qu’on me conseillait des centaines d’astuces miraculeuses comme de réduire mes calories, de boire plus d’eau, de me faire vomir, de faire du sport chaque jour, de manger moins de féculents et d’arrêter le sucre. J’ai donc commencé à appliquer ces conseils sans savoir qu’ils me mèneraient quelques mois plus tard aux portes de la mort.
Je commençais à manger beaucoup plus de fruits et légumes au lieu de manger des gâteaux. Dans un premier temps, j’ai supprimé le goûter, changé mon petit-déjeuner et j’ai arrêté les produits laitiers. Avant cela, je n’aimais pas plus que ça les fruits et les légumes. J’en mangeais parce qu’il le fallait, mais je ne me tournais pas vers cela quand j’avais faim. Je me dirigeais plus naturellement vers des biscuits ou du pain avec de la pâte à tartiner. À ce moment-là, je me suis persuadée que j’adorais tous les fruits et les légumes et je me suis donnée comme règle de ne manger que cela quand j’avais faim ou envie de manger quelque chose. Je commençais à diaboliser les aliments que j’appelais « aliments interdits ». Je ne m’autorisais pas ces aliments en semaine, mais je faisais une petite exception le week-end où je m’accordais un petit plaisir.
J’ai commencé doucement à perdre mes premiers kilos. Vicieusement, insidieusement, mais petit à petit le nid de la restriction se formait. Je voyais que je flottais un peu plus dans mes habits, mais à l’époque, je ne me pesais pas. J’avais peur de me peser sur la balance de chez mon père, car c’était une balance connectée et que j’avais trop honte de mon poids. Un jour, ma belle-mère m’a dit que je m’étais affinée, que j’avais perdu mes rondeurs de l’enfance pour mes formes de femme. Je ne m’en étais pas spécialement rendu compte, mais j’avais commencé ma chute vers les ténèbres.
Nous avons enfin été déconfinés le 11 mai 2020. À l’époque, je me surprends à ne pas vraiment avoir envie de revoir mes copines. J’étais bien dans ma routine, j’avais mes petites habitudes, j’allais à mon rythme et ça m’allait très bien comme cela. J’ai eu du mal à profiter des moments avec mes proches. Je m’imaginais que les retrouvailles seraient incroyables, finalement, je me surprenais à rêver de nouveau à un confinement, lors des moments entourés, je songeais à quand je retournerai chez moi pour me blottir dans mon lit, seule. Lorsque je retrouvais mes amies, certaines me disaient que je m’étais un peu affinée, que cela m’allait bien. J’ai alors décidé de monter sur la balance et j’ai découvert qu’en effet, j’avais perdu deux kilos depuis le mois de mars. J’avais très peur à ce moment-là de reprendre le poids que j’avais perdu. J’ai alors continué à faire attention à mon alimentation, limiter les aliments que je caractérisais comme « interdits », car trop caloriques ou trop gras. Mon poids à l’époque restait tout à fait convenable et je juge maintenant que bien que les mécanismes se soient mis en place à ce moment, cela ne relevait pas encore de l’obsession, car toute ma vie ne tournait pas autour de cela, si on me proposait d’aller manger dehors, je savais mettre de côté mes nouvelles habitudes alimentaires. Néanmoins, petit à petit, mes règles se durcissaient et je m’autorisais de moins en moins « d’écarts ».
Le 19 mai, nous avons eu les premiers résultats de Parcoursup. À l’époque, j’avais mis un peu de toutes les formations, de la licence de droit, au DUT information communication, jusqu’à la prépa commerce. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais réellement faire. J’avais donc repoussé le moment de faire un choix jusqu’aux affectations. J’étais tout de même maintenant obligée de décider de ce que je voulais faire. Je me souviens que cette époque a été extrêmement difficile. Je passais mon temps à pleurer, car c’était la première fois que je devais faire un choix par moi-même, décider de mon avenir. La décision était bien trop lourde à porter pour moi qui n’avais jamais rien eu à décider. J’étais assez étonnée d’avoir été acceptée en classe préparatoire. Je ne pensais vraiment pas avoir les notes pour y être prise. J’étais également acceptée dans un DUT information communication et je passais mes journées à pleurer et mes nuits à actualiser le site des résultats d’affectation. J’étais incapable de décider par moi-même de mon avenir, je voyais les places défiler, je suivais mon évolution chaque jour sur des tableaux Excel. En discutant avec mon entourage, et notamment avec mes parents et mes professeurs, ils m’ont raisonné sur le fait que j’avais les capacités d’aller en prépa. C’était une chose à laquelle je n’avais jamais pensé avant. Mes copines du lycée qui voulaient aller en prépa me parlaient de la difficulté de ces études, mais je n’avais absolument pas envisagé de tenter ma chance également. Je ne voulais pas faire que du théorique après le Bac, j’avais envie de me lancer dans des projets plus concrets. Après plusieurs douloureuses semaines d’hésitation, j’ai refusé le DUT pour accepter la classe préparatoire économique et commerciale option scientifique du lycée Montaigne dans l’attente d’avoir un autre établissement. Je pense que j’ai pris cette décision en grande partie pour ne pas décevoir mes proches qui jugeaient que viser le DUT, c’était viser en deçà de mes capacités et qu’ayant été dans les premières de classe toute ma scolarité, je pouvais oser la classe préparatoire.
Le 19 juin 2020, j’ai organisé un shooting photo pour l’anniversaire de ma meilleure amie, Oriane. J’avais demandé à mon amie, Ella, qui est photographe et qui capture à chaque fois de magnifiques moments, de nous prendre en photos. J’adore son style, elle nous a vite mis à l’aise et nous a donné des conseils pour poser devant sa caméra. Nous nous sommes prêtées au jeu avec mes trois meilleures copines, Eva, Oriane et Lou. Nous avons fait des photos de groupe et des photos individuelles. Je posais déjà pour elle avant le confinement, mais là, je me sentais totalement illégitime, car je ne me trouvais pas assez belle par rapport à mes copines pour me faire prendre en photo. J’ai tout de même passé un très beau moment avec mes amies et j’avais hâte de recevoir les photos de nous quatre. Quelques jours plus tard, j’ai découvert les photos et cela m’a fait un réel choc. Je me suis trouvée énorme, disproportionnée. Mes copines avaient le corps idéal, moi je ne voyais que mes bourrelets et la tonne de gras que j’avais sur les jambes et le ventre. Je me souviens avoir pleuré devant ces photos, je me suis vue encore plus grosse que je ne le pensais. Pourtant, j’avais perdu du poids depuis le dernier shooting. Cela voulait-il dire qu’avant j’étais vraiment très ronde ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Ce qui était sur c’était que je voulais être aussi élancée que mes copines, et pour cela, il me fallait encore perdre quelques kilos superflus. Secrètement, je les enviais beaucoup, elles n’avaient aucun problème avec la nourriture et une d’entre elles voulait même prendre du poids, mais n’y arrivait pas. Je ne comprenais pas cela, le fait qu’on veuille prendre du poids. Je comprenais encore moins que l’on n’y arrive pas, c’était pourtant super facile de prendre quelques kilos, enfin, c’est ce que je pensais…
Les résultats du bac tombent quelques jours plus tard, le 7 juillet. Je suis admise avec mention bien en filière scientifique. Cette nouvelle aurait pu me réjouir, mais il en était autrement, j’étais totalement dégoûtée. Je m’étais depuis toujours promis que j’aurais la mention très bien. J’avais l’impression d’avoir travaillé toutes ces années pour rien. J’étais extrêmement déçue de moi-même. Si j’avais donné plus d’efforts durant l’année, je l’aurai sûrement eu avec la mention supérieure. Certains penseront sans tort que c’est mon côté perfectionnisme qui ressort. Je sais que je ne suis jamais satisfaite de moi et que je me dévalorise sans arrêt, mais je n’ai jamais plaisanté sur ma performance scolaire, je l’ai toujours fait passer avant tout et j’étais très exigeante avec moi-même. Nous sommes allées avec mon amie Nina chercher nos résultats à Montaigne. Nous avions eu exactement la même note, pas étonnant pour le binôme que nous formions au quotidien. Nous n’avons pas vécu l’excitation des résultats. Nous savions déjà que nous avions le bac, il ne nous restait plus qu’à espérer les mentions. Nous étions chez Nina lorsque nous avons tous regardé nos résultats sur notre téléphone. Aucune émotion, aucun enthousiasme. Nous nous sommes annoncés nos mentions, sans aucune joie. La remise des diplômes s’est faite par groupe de 3 ou 4, pour ne surtout pas éparpiller le covid partout. Nous avons vu une dernière fois nos professeurs qui se tenaient à 2 mètres de nous et qui nous ont tendu notre collante bac, puis nous sommes rentrées chez nous. Pas de partage, pas de reconnaissance, aucune fierté. C’est la dernière fois que je suis rentrée dans mon collège-lycée et j’en garde un souvenir glaçant, aucun contact, seulement la distance physique et morale. C’était pour moi le passage d’une étape, le passage de l’adolescence à l’âge adulte. Ce passage, je l’ai vécu comme si j’avais été poussée violemment dedans, sans avoir eu le temps de dire au revoir à mon ancienne vie. Le lycée s’est terminé comme cela, chacun dans son coin, sachant que pour beaucoup, nous ne nous révérions jamais. Quelques jours plus tard, j’ai obtenu mon code de la route et j’en étais très satisfaite. Ma grand-mère allait m’offrir le permis qui représente pour moi une certaine forme d’autonomie pour mes 18 ans. Deux jours plus tard, j’ai été acceptée en prépa ECS au lycée Chaptal. Je pouvais enfin partir de Montaigne et ne pas passer encore deux années de plus là-bas. À la seconde où j’ai cliqué sur le bouton accepter, j’ai été prise d’une importante panique, je ne savais absolument pas dans quoi je me lançais, mais je ne pouvais plus revenir en arrière. Je me suis connectée au site de ma prépa et j’ai commencé à faire la tonne de devoirs qui était demandée. Il y avait beaucoup de mathématiques et une quinzaine de livres à lire en géopolitique, philosophie et littérature. Les livres ne me donnaient vraiment pas envie, je n’aimais pas spécialement lire, mais je m’y suis beaucoup appliquée et j’en ai lu une grande partie.
Mi-juillet, nous sommes partis avec mon grand-père, mon père, ma belle-mère, mes deux sœurs et mon frère à Megève pour quelques jours de vacances. Je me souviens que les rapports étaient extrêmement tendus avec Marie qui voulait d’ailleurs à un moment rentrer à Paris après une crise entre elle, mon père et ma belle-mère. L’ambiance était extrêmement lourde et la famille se dégradait un peu plus. C’était une petite fissure de plus sur ce grand rocher familial, mais elle causait des fragilités supplémentaires. Durant ce séjour, j’ai continué à réduire un peu plus mes quantités, à échanger des assiettes pour avoir le moins possible à manger, à rajouter de l’huile dans l’assiette des autres pour avoir toujours le sentiment de moins manger qu’eux. J’ai commencé à paniquer à chaque fois que nous allions au restaurant, à prendre les aliments les moins caloriques de la carte et à ne pas finir mon assiette, même si j’avais encore faim. Je continuais à faire une séance de sport par jour, le matin à jeun. Heureusement, durant ce séjour, je n’ai eu à me mettre en maillot qu’une fois. Mon père, qui adore capturer tous les instants, m’avait prise en photo ce jour-là et j’étais totalement dépitée de voir à quoi je ressemblais en maillot : une baleine. Mon objectif était alors de perdre encore un peu pour me sentir bien sur la plage quelques jours plus tard. À ce moment-là, je ne le savais pas encore, mais j’étais devenue totalement obsédée par mon corps, mon poids et l’alimentation. J’avais déjà perdu le contrôle alors que je pensais justement que j’en avais toute possession.
Je suis ensuite partie à St Malo avec ma Maman, mon frère et ma sœur. Mon beau-père, Georges, n’était pas venu avec nous, car il devait soi-disant travailler. J’ai passé quelques jours avec ma famille puis je suis rentrée avant eux à Paris, car je repartais avec ma Marraine, mon Parrain et mes deux cousins à l’île de Ré. En rentrant, Georges était là, mais il avait enlevé toutes ses affaires, je ne m’en suis heureusement pas rendu compte à ce moment-là, j’ai dormi chez moi puis suis repartie le lendemain à l’aube. Le jour de mon arrivée à l’île de Ré, j’ai reçu un appel de ma tante, qui m’a expliqué que mon beau-père avait enlevé toutes ses affaires, car il comptait quitter ma mère, qui était encore en vacances en Bretagne et qui ne se doutait d’absolument rien. Elle devait redescendre sur Paris quelques jours plus tard et il était hors de question qu’elle apprenne cette nouvelle en ouvrant la porte de la maison, seule avec mon frère et ma sœur et moi à l’autre bout de la France. Je savais qu’elle avait déjà eu des comportements violents vis-à-vis d’elle-même et de Georges pour les mêmes motifs, je ne m’imaginais pas Marie et Théo gérer cela seuls. Ses deux meilleurs amis, mes deux tantes, mon Parrain et ma Marraine étaient au courant, et moi qui n’avais rien demandé à personne. Ils m’ont tous énormément accompagnée à ce moment-là. Ses deux meilleurs amis ont appelé mon beau-père pour lui demander de remettre ses affaires et de faire comme si de rien était le temps que des proches de ma mère rentrent sur Paris et puissent l’entourer. Il l’a donc fait et j’étais en quelque sorte soulagée, même si je savais que les mois qui arrivaient allaient être particulièrement difficiles. Garder ce secret durant trois semaines a été extrêmement douloureux pour moi. J’essayais le plus possible d’éviter tout contact avec ma mère, mais parfois, je l’avais au téléphone et je devais lui mentir. Je me sentais comme une hypocrite, rendue coupable par complicité de cette séparation. Lorsque ma mère m’appelait, elle me racontait comme elle s’investissait dans la maison de campagne de Georges. Elle achetait de la décoration, repeignait les murs, cirait le parquet, tout cela pour que quelques semaines plus tard elle ne puisse plus jamais remettre les pieds là-bas.