Portugal - Michel Zumkir - E-Book

Portugal E-Book

Michel Zumkir

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Beschreibung

Les révolutions sont les visages des peuples.

Au Portugal, la révolution des Œillets, le 25 avril

1974, transforma ce pays sans rompre avec son héritage. Le Portugal des œillets est celui du fado, une complainte attachante d’un cœur que l’amour de la patrie déchire.

Façade de l’Europe, le Portugal donna à ce continent ses lettres de grandeur lorsque ses navigateurs partirent à la découverte du monde.

Les relations étroites avec l’Angleterre, puissance des mers, et le Brésil, géant de la terre conquise, ont forgé l’identité de ce «petit pays». Mais dans le cœur de ceux qu’il conquiert, le Portugal sera toujours la terre de grandes et belles émotions.

Ce petit livre n’est pas un guide. Il raconte le pays du sourire sérieux, où l’on se promène pour le plaisir de vivre. Parce que les Portugais, forgés par l’austérité des décennies de dictature, sont devenus les messagers d’une démocratie apaisée et ouverte sur la modernité.

Un grand récit suivi d’entretiens avec Yves Léonard (historien), Lídia Jorge (écrivaine) et João Barradas (musicien).


À PROPOS DE L'AUTEUR 

Michel Zumkir est écrivain, critique littéraire et travaille à l’Humathèque Condorcet. Le Portugal s’est installé progressivement dans sa vie au point de devenir un de ses ports d’attache.

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Couverture

Page de titre

O fado é tudo o que eu digo

Mais o que eu não sei dizer

« Le fado est tout ce que je dis

Et tout ce que je ne sais pas dire »

Tudo isto é fado – Anibal Nazaré

(Fado chanté par Amália Rodrigues, et bien d’autres fadistes)

Pour Amélie, Dominique, Jean-François, Juliana, Paula, Sérgio.

Para o formoso e saudoso Peiyen.

Je remercie Jérôme pour ses relectures attentives, et pour tout le reste.

Carte

AVANT-PROPOSPourquoi le Portugal ?

Une fin d’été à Lisbonne. La journée a prodigué une douce chaleur, une lumière apaisante, le soir apporte une fraîcheur qui fait frissonner le Tage lui-même. Je dîne seul dans un petit restaurant où la nourriture simple et savoureuse est cuisinée par une vieille dame, où les portions sont généreuses, les nappes en papier blanc et les plats très bon marché. Des habitués, attablés, parlent du trafic urbain, de football, d’autres choses que je ne comprends pas. Des gens entrent acheter des canettes de Sagres, de Super Bock1, ou des bouteilles d’eau et ressortent aussitôt. Le patron blague avec les clients. Dans la vitrine du comptoir, les petiscos2 (croquettes de viande, de morue, chaussons aux crevettes3…) et les desserts maison (coupes de crème, puddings, salades de fruits…) me font de l’œil. Le serveur dépose quelques hors-d’œuvre sur la table. Je picore les olives, ne peux résister à la croquette de morue. Je commande la soupe du jour aux légumes, du porc aux palourdes et un pichet de vin blanc du Douro. Je ne sais plus à quel moment du repas, (mais je sais que l’alcool agissait déjà), j’ai reposé mon verre, ou mes couverts, ou mon livre, et je me suis senti envahi par un vaste sentiment de bonheur. Des souvenirs me sont revenus.

Lembro-me que. Je me souviens que. Tout avait mal commencé. Le premier contact avec la langue portugaise. Je devais avoir dix-huit ou dix-neuf ans. J’accompagnais une amie à son cours de portugais. La professeure de m’apostropher directement dans cette langue qui m’était alors totalement étrangère. Et moi de me figer, de n’attraper aucun mot au passage. Si j’avais osé, je me serais enfui en courant. On ne m’y reprendrait plus, j’ai pensé. Je ne savais pas que cette langue si belle mais si difficilement discernable par une oreille novice serait une des plus grandes aventures de ma vie.

Lembro-me. Je me souviens. Au début des années 1990, Europalia Portugal, en Belgique. À l’affiche : de l’art baroque, des azulejos, Fernando Pessoa, le ballet Gulbenkian et de la musique. Une soirée de concerts pop avec notamment le groupe Madredeus dont on disait qu’il était la rencontre entre le fado et Cocteau Twins, un groupe qui deviendra un des emblèmes du Portugal à l’international. Et là, ce soir-là : le choc absolu. Recueillement et ferveur. La salle en transe. La voix, le châle, la présence héraldique de Teresa Salgueiro, tellement portugaise (fantasme). J’étais conquis.

Lembro-me que. La première fois à Lisbonne, au milieu de la décennie 1990, une semaine de novembre, le ciel est resté couvert en permanence, il pleuvait, pleuvinait, pleuvait. L’humidité collait au corps, aux vêtements, aux draps. Pas de chauffage dans la minuscule pension du Bairro Alto, quartier qui, à cette époque, mixait l’héritage de la movida lisboète des années 1980 et la tradition populaire, mêlait des jeunes gens excentriques, des journalistes en cravate et des veuves en noir. Je me souviens d’un bar devenu mon QG. Ouvert sur la rue, on y écoutait du fado l’après-midi, et le soir, du rock et de l’électro. Il n’existe plus. Je me souviens que cette première fois, la ville ne s’est pas donnée comme ça, comme une première venue, elle m’a séduit avec lenteur, retenue. Elle m’a suggéré de la séduire à mon tour, de me comporter en gentleman pour qu’elle s’ouvre un peu à moi. Un peu ? Beaucoup ? Beaucoup, j’ose espérer.

Aujourd’hui, si elle aguiche avec son centre historique quasiment restauré, si les visiteurs de quelques jours repartent conquis, elle ne leur offre que son décor. Son âme, elle la garde à couvert, épandue sous ses pavés et dans tous ses quartiers – du plus gentrifié au plus éloigné. Il faut du temps, de la patience pour s’en approcher, et bien sûr, elle s’échappe dès qu’on pense y accéder. Comme tout le pays d’ailleurs, qui lui ressemble parfois, souvent pas. Il ne faut pas s’y tromper. Le pays varie d’une région à l’autre, même climatiquement, sans parler des archipels de Madère et des Açores. J’ai commencé à le sillonner l’été suivant. Le voyage recommencera souvent. Du nord au sud, d’est en ouest : villes, villages, endroits déserts et fêtes populaires, bord de mer et intérieur des terres. Splendeurs et misères. Traditions et modernités. Vitalité et abandon. Mon fil conducteur ? Les concerts de musique portugaise, bien plus variée qu’on ne le pense (j’y reviendrai) et qui, en été, foisonnent dans le pays entier, jusque dans les endroits les plus reculés.

Et toujours cette question qui me taraude ou qu’on me pose : pourquoi le Portugal a-t-il pris une telle importance dans ta vie ? Je n’ai pas la réponse. Si elle existait, elle n’apporterait rien. Alors, je l’ai transformée en : qu’est-ce que le Portugal ? Son cœur, son âme, son peuple ?

Aujourd’hui, le pays essaie de se vendre à coups de mots-slogans aux touristes et aux investisseurs – sardines, morue, pasteis de nata, Grandes Découvertes, fado, révolution des Œillets, Lisbonne, Fernando Pessoa, saudade, etc. Et cela fonctionne, pour le meilleur et pour le pire quelquefois. Ces mots, on les retrouvera disséminés ici et là dans le texte qui aura pour guide d’autres mots qui ne font pas partie des publicités, mais que les Portugais ne cessent de répéter : pequino país, país pequenino – petit pays, pays minuscule.

Bienvenue dans ce minuscule magnifique petit pays.

1 Les deux bières les plus consommées au Portugal pour lesquelles il faut choisir son camp, au botter en touche, comme au football entre le SL Benfica (Lisbonne) et le FC Porto.

2 Tapas portugaises, qu’il ne faut surtout pas appeler tapas, si on ne veut pas se prendre les foudres nationales.

3 En portugais : croquetes de carne, pasteis de bacalhau, rissóis de camarão.

Les œillets d’Amália

Le Portugal est un petit pays. Je ne me serais jamais permis de l’écrire ainsi, en ouverture de récit, si, quand j’ai commencé à comprendre la langue portugaise, je ne m’étais mis à l’entendre et à le lire partout. Partout au Portugal et dans la bouche des Portugaises et des Portugais, je précise. Autrement dit : en ville comme à la campagne ou en bord de mer, dans les transports en commun, les cafés et les restaurants, dans les explications qu’on me donne quand je demande pourquoi ci et pourquoi ça, à la télévision et à la radio aussi, dans le courrier des lecteurs, les chroniques et les articles des quotidiens, dans les commentaires des réseaux sociaux.

Avec ses 561 km de longueur et sa largeur maximale de 218 km, ses quelque 88944 km2 de superficie continentale (92080 km2, si on y ajoute les archipels de Madère et des Açores), le Portugal occupe la 111e place dans le classement mondial des pays par surface, la 18e à l’échelle du continent européen (la France est 2e et la Belgique 34e). Il n’est donc pas si petit que ça, le petit pays, plutôt de taille moyenne. Mais comme ironise une de mes amies, ce qui est petit pour les Portugais est « moyen » pour beaucoup d’autres. Pour un Belge comme moi, par exemple, habitué à un pays de plus petite taille et divisé en deux.

Une autre chose qui se dit au Portugal : ce n’est pas moi, ce n’est pas nous, ce sont les autres. L’écrivain et diplomate José Cutileiro (1934-2020) s’est d’ailleurs montré intrigué de cette capacité qu’ont les Portugais à déplacer hors d’eux-mêmes la raison de ce qu’ils sont, de ce qu’ils font et de ce qui leur arrive. Il a aussi avancé qu’ils étaient des Italiens tristes. Tristes et heureux, je dirais alors, et bien vivants.

Prenons l’exemple du fado. Si certains prétendent qu’il est triste à pleurer, et il peut l’être, j’ajouterai que c’est pour notre plus grand plaisir. Les larmes qui coulent à son écoute nous soulagent des trahisons et des abandons amoureux, de la douleur de vivre. En concert, les larmes sont de bonheur. Surtout de bonheur. Quelle joie j’ai ressentie, un après-midi que je venais d’atterrir à Lisbonne, que l’été commençait, quand, dans le jardin de la maison d’Amália Rodrigues, un jardin fleuri, où le nom de la Voix du Portugal est inscrit en lettres rouges et lumineuses, où il est agréable de venir prendre un verre ou d’écouter des concerts, protégé de la ville par ses hauts murs, une fadiste et ses deux guitaristes mâtinaient leurs fados de marches populaires entraînantes. Et tout le public, même moi, avec mon portugais fragile et ma façon fausse de chanter, de reprendre en chœur Cheira bem, cheira a Lisboa1 (Ça sent bon, ça sent Lisbonne), de frapper dans les mains. Quelle joie quand, à la fin du concert, nous avons applaudi à tout rompre, crié notre ferveur tous ensemble. Et que nous avons entendu siffler Chico, le perroquet gris d’Amália Rodrigues, comme s’il nous apportait un peu de l’âme de sa propriétaire qui nous manque tant.

Petit pays. Et parfois même : pays minuscule. Un grain de sable dans l’univers. Si je ne comprends pas réellement le pourquoi de cette façon critique, négative de percevoir le pays, de cette autoflagellation, je ne peux que la remarquer. Quand j’essaie de savoir pourquoi ils affirment cela, ils me répondent : nous sommes comme ça, nous les Portugais. Cette posture n’est pas sans ambiguïté. À ce complexe d’infériorité se combine un orgueil bien entretenu.

Un possessif chéri

Cette fierté est celle d’être Portugais. De vivre au Portugal, ou d’en être natif. De sentir couler le pays dans ses veines. De le vivre de toutes ses manières et dans tout son corps. D’agrémenter les fêtes de sa musique et de ses saveurs.

O nosso, a nossa. Notre. Ce possessif devant toutes les choses chéries. O nosso país. O nosso Vasco da Gama. O nosso arroz de marisco. A nossa grande Amália. O nosso mar. As nossas lindíssimas regiões. A nossa Revolução dos Cravos e os nossos filhos da madrugada. A nossa Senhora de Fátima. O nosso Ronaldo. On reprend la liste, on la déploie en français : Notre pays. Notre Vasco de Gama et nos Grandes Découvertes. Notre passé glorieux qui possiblement, sûrement, nécessairement reviendra. Notre riz aux coquillages, notre cuisine, une cuisine nourrie des traditions de nos régions, une cuisine qui se réinvente aussi. Notre Amália (Rodrigues) et notre fado, un style musical reconnu comme l’âme du peuple et comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Notre mer – l’océan Atlantique que les Portugais appellent souvent simplement la mer, dans les poèmes particulièrement. Nos sublimes régions. Notre révolution des Œillets et nos enfants de l’aube (la génération de celles et ceux nés et ayant grandi en démocratie). Notre-Dame de Fátima apparue à trois enfants bergers. Notre (Cristiano) Ronaldo, meilleur buteur de l’histoire du football.

Cette propension à voir le pays petit est comme inscrite à même la langue portugaise. Les diminutifs y abondent, généralement pour ajouter une notion de petitesse, une marque d’affection ou de sympathie. Parfois pour rien, juste par habitude. C’est une façon portugaise de parler. Ce qui d’ailleurs exaspère mon grand ami Sérgio, particulièrement quand, au restaurant, quelqu’un demande la « petite addition ». Il s’énerve aussi quand on l’aborde en anglais, comme s’il était touriste, alors qu’à part sa petite enfance au Mozambique, il a toujours vécu à Lisbonne. Cette façon d’aborder le touriste en anglais, en français (plus rarement), fait partie de l’hospitalité portugaise. Mettre à l’aise la personne que l’on reçoit, invite, accueille. Rendre service. Ouvrir sa table, sa maison. Son pays. Une véritable leçon de savoir-vivre.