Pourquoi je suis devenu athée - Pascal Masi - E-Book

Pourquoi je suis devenu athée E-Book

Pascal Masi

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Beschreibung

Le cheminement intellectuel et spirituel d'une conversion

Peut-on se convertir à l'athéisme ?
S’appuyant sur son parcours personnel, Pascal Masi examine, dans une langue accessible à tous, l'itinéraire qui l'a mené d'une foi chrétienne à un athéisme assumé. Un basculement qui aura pris trente ans.
Pour en expliquer les étapes, l’auteur revisite à la lumière des savoirs du XXIe siècle chaque verset du Notre père. Cet examen sans concession du texte biblique constitue la trame de ce récit.
C’est pour l’essentiel la démarche scientifique qui lui sert d’outil conceptuel pour interroger les affirmations qui sous-tendent le Notre père.

A mi-chemin entre témoignage et essai, le travail de Pascal Masi aboutit, étonnamment peut-être, à la construction d’une spiritualité différente et incontestablement athée. Ce qui l’amène à achever son récit par la formulation d’un texte alternatif qu’il nomme Prière de l’athée.

Plongez dans cette analyse méthodique et rigoureuse des Ecrits et découvrez l'introspection enrichissante d'un homme converti à l'athéisme.

EXTRAIT

Lorsque je prenais le temps de réfléchir à ce petit texte répété tant de fois, je constatais avec une certaine amertume, avec une certaine peine même, que chaque ligne de cette prière posait autant de questions qu’elle offrait de réponses.
Étonnamment, curieusement peut-être, je n’arrivais pas à me convaincre complètement de la solidité des propositions formulées par cette pierre angulaire de la religion de mon enfance.
Le temps des recherches était venu.
Les pages qui vont suivre seront donc celles d’un voyage. Un voyage qui m’a conduit d’un monde de convictions relatives certes, mais réelles, à celui du doute, puis à celui d’un vaste mouvement de déconstruction intellectuelle suivi d’un patient travail de reconstruction.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1954, en région parisienne, Pascal Masi reçoit une éducation protestante à laquelle il adhérera très tôt avec conviction. Après des études de gestion, il occupe différents postes de management au sein de grands groupes, avant de tout lâcher pour se lancer professionnellement dans la sculpture. Un art qu'il pratiquait en amateur depuis des années. Dans le même temps, il entreprend une réflexion approfondie sur la foi de son enfance. Il accepte de tout mettre en cause en s’appuyant sur les savoirs scientifiques de notre siècle. En 2016, suite aux terribles tueries de Paris et de Nice et confronté à la maladie, il décide de mettre par écrit le fruit de son travail : il était devenu athée.

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Pascal Masi

Pourquoi je suis devenu athée

Du « Notre père » à la « prière de l’athée »

À Alexandra et Céline

Avant-propos

Août 2016.

La terrible tuerie du 14 juillet sur la Promenade des Anglais de Nice est dans toutes les têtes. La mienne ne fait pas exception.

Je suis hospitalisé. Dixième étage du Service de médecine interne de Cochin. Je viens de subir un accident vasculaire cérébral. Le nerf optique est touché. On me fait comprendre que ces lésions seront irréversibles. Debout, face à la fenêtre de ma chambre, sonné, cerné presque par ces intrusions multiples, je contemple distraitement les toits de Paris qui semblent toucher par centaines le ciel gris de la capitale.

En cet après-midi d’été sans lumière, une idée, un vague projet, qui m’occupe depuis quelques années déjà m’apparaît comme une évidence : il me faut impérativement prendre le temps de réécrire le Notre père. Oui, c’est cela, il faut réécrire de bout en bout la prière que Jésus a donnée aux chrétiens. Celle-là même qui m’a accompagné pendant tant d’années. Curieuse injonction, j’en conviens, mais injonction tout de même.

Dans les mois qui suivent, je décide alors d’arrêter toute activité professionnelle et d’entreprendre la rédaction du court essai qui va suivre. Un essai dont l’aboutissement devra donner corps et forme à une nouvelle version du Notre père. Une version complètement réécrite, fruit d’une revue serrée et rigoureuse de cette prière à la lumière des savoirs du xxie siècle, et dont l’aboutissement sera une version sans dieu ni Dieu, sans croyance et sans religion. Un Notre père « nouveau », que je choisirai de nommer Prière de l’athée.

Pourquoi en suis-je arrivé là ?

La conjonction d’événements aussi improbables qu’impensables, parfaitement étrangers les uns aux autres, explique cette impérieuse nécessité de dire et de partager maintenant ce qui m’occupe depuis tant d’années.

L’immédiate actualité d’abord : l’horreur d’une tuerie insensée commise sous le nom volé d’une religion monothéiste comme celle qui fut la mienne. Comment peut-on à la fois invoquer Dieu – fut-il Allah – et commettre de tels actes ?

En second lieu, la sensation d’avoir frôlé la mort jusque dans ma chair. D’avoir touché ma propre finitude. Si l’accident vasculaire s’était produit quelques millimètres plus haut, ce pouvait être le fauteuil roulant ou plus grave encore.

Et enfin, l’arrivée à maturité d’une lente évolution personnelle : la découverte d’une spiritualité différente cachée dans les insoupçonnables replis d’une activité de l’esprit nouvelle pour moi : la démarche scientifique.

En ce jour d’août 2016, je sais qu’il me faut écrire sur cela et sur rien d’autre.

Comme beaucoup, j’imagine, la vie m’avait rendu assez insatisfait de la religion de mon enfance. Pas vraiment original. Mais à la différence de beaucoup, peut-être, j’ai entrepris pendant des années d’interroger les sciences sur les grands sujets qu’abordent les religions : la vie et ses origines, l’incroyable diversité des formes qui caractérise la vie, la mort et la vie possible après la mort, l’origine de cette planète sur laquelle je marche toute la journée, le système stellaire auquel la Terre semble être rattachée comme par des fils invisibles, et le cosmos lui-même qui contient ce ciel dont les religions parlent si volontiers et si souvent…

Sur toutes ces questions, j’avais découvert que des disciplines comme la biologie évolutive, la génétique, la neurobiologie, l’astrophysique, la cosmologie, la paléoanthropologie, avaient dit et disent encore des choses extraordinaires. Et j’avais constaté que l’étude de ces champs d’investigation de la pensée humaine avait changé ma vie.

Cette prise de conscience fut pour moi une source d’étonnement. Pourquoi avoir été surpris ? Et oui, pourquoi ?

Plusieurs raisons sans doute. Mais une l’emporte sur toutes les autres : parce que dans l’imaginaire général de nos sociétés surmédiatisées, les sciences ne parlent pas ou peu. On ne les entend presque pas. Elles sont la nouvelle « Grande Muette » de nos temps frénétiques et numériques. Et donc, comme beaucoup, j’avais longtemps vécu sans les entendre, sans entendre ce qu’elles avaient à dire, à me dire.

Pourtant, cette situation n’avait rien d’un parcours obligé.

J’avais pu constater que si l’on prend le temps d’interroger les sciences, c’est tout l’édifice mental du monde de la foi qui est systématiquement mis en question. Ce qui, avouons-le, n’est pas une mince différence. Après trois décennies, tout le système de croyances hérité de mon éducation religieuse est ressorti ébranlé de cet examen de passage et pour tout dire de conscience. Peu à peu, pas à pas, cet examen a fait de moi un athée assumé et accompli. Quelqu’un en mesure de porter un regard analytique sur la revendication des religions à nous dire le réel. Quelqu’un capable de comprendre pourquoi certaines d’entre elles ont souhaité – et souhaitent encore – imposer leur logique et parfois même leurs macabres promesses.

Face aux affirmations que propose le vaste monde des croyances, il me semble important de bâtir un corpus d’idées et de concepts cohérent, un contrepoids intellectuel. Ce corpus, héritier fidèle, je l’espère, de la démarche scientifique, constituera l’architecture de cette pensée.

C’est la raison d’être de ce livre.

Un livre qu’il faut envisager comme un témoignage personnel. Comme le témoignage autobiographique sincère d’un parcours de pensée. Il vise à éclairer le débat et les interrogations qui naissent fort logiquement des temps troublés que nous traversons.

Prologue

Le matin du monde

La jeune Stralaë se fraye un chemin dans les hautes herbes de la savane. Elle tient nerveusement le long bâton qui la protège habituellement des serpents. Ce matin-là, elle va plus vite qu’à l’habitude. Elle veut retrouver l’énorme tubercule qu’elle a vu la veille et qu’elle n’a pas réussi à déterrer. Elle contourne un dernier bosquet et la voilà arrivée à l’endroit recherché.

Elle s’arrête et se penche. D’un revers de main, elle balaie la poussière qu’elle avait délicatement déposée pour masquer le tubercule. Il est encore là. Aucune bête n’est passée pendant la nuit. Soulagement. Les pics en bois que Stralaë avait utilisés pour fouiller le sol n’avaient pas suffi, car lorsque la terre rouge est desséchée, elle devient dure comme la pierre. Même le bois le plus vigoureux s’avère trop tendre… Cette fois, elle est revenue, bien décidée à trouver une solution.

Elle reste immobile un moment. Perplexe. Que faire ?

C’est alors qu’elle remarque deux cailloux. Ces cailloux, elle les avait aperçus la veille sans y prêter attention. Mais, pour une raison qu’elle ignore, dans la lumière du matin, elle les regarde différemment. Elle s’accroupit lentement et les fixe, intriguée. Elle jette son bâton à quelques coudées. Et tant pis pour les serpents ! Se saisit des deux pierres. Une dans chaque main. Une goutte de sueur perle à son front. Une idée saugrenue, une idée qu’elle n’a jamais eue, – une idée que « personne » n’a jamais eue d’ailleurs – mobilise toute sa pensée : les frapper l’une contre l’autre pour en modifier la forme. C’est exactement cela : les frapper l’une contre l’autre pour en changer la forme et s’en servir pour déterrer la racine imprenable. Stralaë sait que la pierre est bien plus dure que le bois. La pierre devrait parvenir à casser ce sol si dur, se dit-elle.

Les gouttes de sueur se font plus nombreuses. C’est tout son visage qui ruisselle. Elle s’essuie et porte un premier coup. Puis un deuxième. Elle frappe. Et frappe encore. Les chocs sont maladroits. Elle n’a jamais fait ce geste. Rien ne se passe. Elle continue. Elle hésite. Et persévère. Sans grand succès. Et soudain, un premier éclat se détache. Elle n’en croit pas ses yeux. Elle s’interrompt et observe attentivement. L’intérieur de la pierre est noir comme la nuit. La pierre dans sa main gauche vient de perdre un morceau.

Stralaë est vraiment agitée maintenant. Sa respiration se fait irrégulière. Elle souffle bruyamment. Elle reprend la frappe. Un deuxième éclat tombe. Puis un troisième…

En quelques minutes qui lui paraissent interminables, c’est tout le bord de la pierre qui s’est transformé. L’un de ses côtés est devenu plus étroit. À force de frapper, le caillou est devenu vraiment coupant. Ce tranchant, elle ne l’a jamais vu.

Après de longs efforts, elle se dit qu’elle ne pourra pas faire mieux.

Sa tête, comme ses doigts, lui font mal. Il fait chaud et le soleil n’explique pas tout. Elle respire l’air déjà sec du midi. Elle abandonne le caillou resté intact et serre fort contre son sein le précieux objet. Elle se retourne vers le tubercule, s’agenouille et s’en sert pour fouiller le sol. Miracle ! En quelques minutes, elle dégage sans peine l’imprenable racine. Puis estimant avoir assez retiré de terre, Stralaë pose doucement la pierre fraîchement taillée et se saisit avec délicatesse du végétal. Comme d’un trésor.

Elle se redresse doucement, le fruit de tant d’efforts au creux des mains. Et hume le tubercule puis l’air. Un sentiment nouveau et inconnu l’envahit. Elle avait ressenti quelque chose d’étrange ce matin-là et curieusement, cette impression s’est dissipée. Elle va mieux, beaucoup mieux même. Stralaë sait qu’elle mangera à sa faim mais il ne s’agit pas de cela.

Elle hésite puis décide de rebrousser chemin. Elle en oublie son bâton. Ce bout de bois qui ne la quittait jamais. Arrivée à la hutte, elle se sent épuisée, vidée. Sans même manger, elle s’allonge lentement à l’extérieur pour profiter de la fraîcheur qui tombe, pose délicatement le tubercule à son côté, sent son corps se détendre et s’endort.

Lorsqu’elle se réveille, la nuit est tombée. Elle ouvre les yeux et fixe le ciel. Sa tête, lourde, reste collée au sol. À l’équateur, la nuit africaine porte avec elle un étonnant fourmillement d’étoiles. Ces scintillements, elle les connaît. Elle ne les regarde pas souvent car, pour elle, comme pour le groupe avec qui elle partage sa vie, ils n’ont pas grande importance, ce sont les yeux des dieux. Voilà tout. Mais cette nuit-là, ses yeux à elle restent immobiles et fixent le ciel plus longtemps que les autres fois. Les étoiles lui paraissent différentes. Elle les regarde, encore et encore. Et pour la première fois, elle se demande d’où peuvent bien venir ces petits points de lumière.

Et non sans tristesse constate qu’elle ne sait pas.

Déconstruire, reconstruire

Le temps du doute

Bien curieuse journée que celle de Stralaë.

Pour avoir une chance de la comprendre, il va falloir voyager dans le temps et dans l’espace : un voyage de six mille kilomètres vers le nord et de deux millions et demi d’années dans le futur. Car pour comprendre cette histoire il faut d’abord se rendre sous les oliviers de Palestine, en l’an Trente de notre ère. C’est donc sur une colline de Galilée que nous avons rendez-vous.

Une foule bigarrée se presse de toutes parts pour écouter un homme qui commence à faire parler de lui. Il s’appelle Jésus. Sont là des hommes, des femmes, des enfants, des gens simples, des érudits, des pauvres, des riches et beaucoup de malades. Au premier rang sont assis ceux qu’il appelle ses disciples. Ils sont divers comme la foule : il y a des pêcheurs du lac de Tibériade tout proche et des habitants de la cité.

Puis, sous l’azur du Proche-Orient, Jésus prend la parole longuement. C’est un certain Matthieu, présent ce jour-là, qui transcrira des années plus tard, dans un livre qui porte le nom d’évangile, les préceptes que cet homme donna à la foule. Parmi ceux-ci, figure notamment une prière. Les gens de Galilée vivent dans une société pétrie de religiosité et à cette époque-là, s’adresser à son Dieu est une affaire sérieuse. Il propose donc une nouvelle prière que l’on appellera, dans les siècles qui suivront, le Notre père. Elle allait devenir le texte le plus connu que cet homme ait légué à l’Histoire.

Matthieu écrit : « Voici comment vous devez prier :

Notre Père qui es aux cieux !

que ton nom soit sanctifié ;

que ton règne vienne ; 

que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ;

pardonne-nous nos offenses, 

comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ;

ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. 

Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. » 1

Ce texte fait partie de ce qui fut appelé le Sermon sur la montagne dans l’évangile de Matthieu. Il a deux mille ans. Et depuis deux mille ans, des millions de gens l’ont dit et répété tout au long de leur vie.

Source de réconfort souvent, point d’orgue lors des offices religieux dans le monde chrétien, routine de la vie liturgique et personnelle, cette prière a été et est encore le compagnon de route d’une bonne partie de l’humanité.

D’éducation protestante, je l’ai moi aussi dite et répétée pendant des années. Avec des bonheurs divers, je dois dire. Parfois elle semblait m’aider. Parfois elle semblait ne rien m’apporter. Souvent elle résonnait dans mon cœur par sa seule musicalité. Car si son texte contient des discontinuités quelque peu déroutantes, il recèle un rythme très particulier qui lui confère tout à la fois les qualités d’une composition musicale et d’une élégante poésie. Pour cette raison, et bien d’autres naturellement, tout lecteur du « livre des livres », accorde au Sermon sur la montagne et à la prière de Jésus une place centrale.

La vie qui passe

Les épreuves et le tumulte de la vie, les années qui passent, tout concourt à s’interroger sur les fondements de l’éducation que l’on a reçue. La religion que j’avais eue en partage ne pouvait échapper à cette simple règle. Ainsi, la construction intellectuelle et morale proposée par « ma » religion n’arrivait pas à chasser les questions lancinantes qui tournaient dans ma tête depuis mon enfance : D’où venons-nous, nous les humains ? D’où viennent toutes les espèces vivantes qui nous entourent ? D’où vient la vie ? D’où vient ce sol sur lequel je marche à chaque instant ? D’où viennent ces étoiles qui brillent de toutes parts dans le ciel noir d’une nuit sans nuages ?

Pas très original ! Ces questions, les humains se les posent depuis toujours. Depuis qu’une certaine Stralaë se les posa il y a deux millions et demi d’années.

Et ce Notre père, ne doit-il pas lui aussi faire l’objet d’un questionnement ? Quand la prière commence par « notre Père qui es aux cieux ! », veut-elle dire que je suis le fils d’un dieu, ou de Dieu ? Je veux bien le croire mais comment est-ce possible ? Et que ce dieu est dans les cieux, c’est-à-dire hors sol, « là-haut » comme aurait dit Pierre Lemaître2 ? De proche en proche, c’est tout ce texte de la prière qui interroge mon esprit. « Ils prient. Qui ? Dieu. Prier Dieu, que veut dire ce mot ? » lance Victor Hugo dans les Misérables.3 Et oui, que veut dire ce mot ?

Que peut bien vouloir dire « que ta volonté soit faite » lorsque l’Histoire montre tous les jours que les hommes n’en font qu’à leur tête, souvent pour le meilleur, mais non moins souvent pour le pire ?

Et comment comprendre « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien » alors que la famine a été le compagnon de route de toute l’humanité pendant des millénaires et l’est encore pour des millions de gens ? La prière aurait-elle été si peu efficace ?

Lorsque je prenais le temps de réfléchir à ce petit texte répété tant de fois, je constatais avec une certaine amertume, avec une certaine peine même, que chaque ligne de cette prière posait autant de questions qu’elle offrait de réponses.

Étonnamment, curieusement peut-être, je n’arrivais pas à me convaincre complètement de la solidité des propositions formulées par cette pierre angulaire de la religion de mon enfance.

Le temps des recherches était venu.

Les pages qui vont suivre seront donc celles d’un voyage. Un voyage qui m’a conduit d’un monde de convictions relatives certes, mais réelles, à celui du doute, puis à celui d’un vaste mouvement de déconstruction intellectuelle suivi d’un patient travail de reconstruction.

Dans Méditations cartésiennes, le philosophe Edmund Husserl écrit : « Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra “une fois dans sa vie” se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire. »4 Si l’injonction et l’ampleur du projet peuvent paraître titanesques, l’humilité qui marque le propos est frappante. Husserl répète deux fois le verbe « tenter » : il écrit qu’il faut « tenter de renverser » et « tenter de […] reconstruire ». Sans doute savait-il mieux que personne – il est philosophe, après tout – que les hommes ont bien du mal à laisser derrière eux leur passé, leurs habitudes et les plis de l’éducation qu’ils ont reçue. Alors modestement, il propose de « tenter ». Je me disais que cette route-là était à ma portée. Je ne voulais pas « vraiment devenir philosophe », même si la perspective de gagner un peu en sagesse ne me laissait pas indifférent ! Au fond, je voulais simplement savoir et comprendre. En avoir le cœur net, comme on dit. Et sur ce terrain-là, le compte n’y était pas.

Pas du tout même.

Par le plus grand des hasards – mais était-ce bien un hasard ? –, je découvris la paléoanthropologie, l’étude des « hommes préhistoriques » pour faire simple. Dans Aux Origines de l’Humanité, un ouvrage collectif dirigé par deux scientifiques français de grand talent, Yves Coppens et Pascal Picq, je découvris des trésors insoupçonnés sur les origines du genre humain. « Mes » origines.

Un schéma représentant l’arbre de l’évolution des hominidés5 – nos ancêtres – fut comme un coup de tonnerre pour moi : lorsqu’on interroge les fossiles d’ossements humains ou préhumains, ceux-ci nous disent que, pendant l’intégralité de notre évolution, il a toujours existé plusieurs espèces simultanément. Jusqu’à quatre ou cinq en même temps pour les genres Australopithèque et Homo. Rien que cela ! Ce qui rend la chose si étonnante est le fait qu’aujourd’hui, il n’existe plus qu’une seule espèce : nous, les Homosapiens. Mais nous ne sommes seuls que depuis vingt-cinq mille petites années environ. C’est-à-dire depuis qu’un autre hominidé, l’homme de Neandertal, a décidé de tirer sa révérence. Or cette histoire de l’évolution de l’homme commence au moment où le dernier ancêtre commun à notre lignée et à celle d’un autre grand singe se séparèrent, il n’y a pas moins de sept à huit millions d’années. C’est dire qu’en réalité nous ne sommes uniques que depuis fort peu de temps.

Je tombai de mon siège.

Comment réconcilier cela avec le fameux « Puis Dieu dit : Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance […] » que l’on trouve dans le premier livre de la Bible ?6 De quel homme pouvait-il bien s’agir ? Dieu avait-il créé plusieurs espèces d’Hommes ? Dans quel but ? Comment pouvaient-elles être toutes à Son image ? Des abîmes de perplexité m’envahirent. Je décidai de lire un deuxième livre sur le sujet, puis un troisième puis des dizaines, écrits par des auteurs français, américains, anglais. Jugement sans appel : tous disent la même chose. Dès les origines, l’Homme a évolué en suivant une structure dite buissonnante, c’est-à-dire dotée de plusieurs rameaux parallèles. Jamais de façon linéaire. Les fossiles sont formels. Je repensai à Husserl : nul besoin de déconstruire. Tout ce que, naïvement sans doute, je tenais pour vrai s’écroulait, page après page.

Ainsi une science, la paléoanthropologie, disait des choses sur mes origines. Elle levait un voile – se pourrait-il qu’il y en ait d’autres ? – sur des réponses à mes interrogations premières. La lecture assidue de ce vaste corpus de connaissances avait fait reculer mes origines à plus de huit millions d’années. Une durée plus que respectable au regard de la mienne, il va sans dire, mais aussi et surtout au regard de l’histoire de la vie de Jésus qui remonte à deux petits millénaires.

Je sentais confusément que j’avais beaucoup à découvrir et à apprendre. Mais alors que faire ou plutôt que lire, qui suivre, qui interroger pour avoir une chance d’entrevoir des réponses solides et convaincantes à toutes ces découvertes qui semblaient se liguer pour tout remettre en cause ? La réponse, à l’évidence, était dans la question.

Lorsqu’on étudie l’histoire des Hommes avant l’Histoire, les hommes préhistoriques donc, un concept revient comme un leitmotiv : l’évolution. La paléoanthropologie recourt en permanence à ce concept. Mais qu’est-il au juste ? Comment fonctionne-t-il ? Pourquoi est-il le fil conducteur qui permet d’expliquer les ramifications de la vie des hominidés ? Il fallait donc ouvrir une autre page : apprendre et tenter de comprendre les mécanismes de l’évolution. Les grands auteurs et découvreurs ne manquent pas sur le sujet tant il est vrai que sans lui, la vie telle qu’elle s’offre à nos yeux reste incompréhensible.

Et au cœur de l’évolution et de ses mécanismes, se cache un autre monde. Celui de la génétique. Pour aborder l’évolution des espèces, de toutes les espèces, il faut ouvrir la page de la génétique. En effet, c’est elle qui permet de comprendre les mécanismes qui autorisent la continuité de la vie et ses adaptations permanentes aux incessants changements apportés par le temps qui s’écoule.

Ces connaissances « acquises », la remontée dans le temps devient possible.

Avant ce dernier ancêtre commun entre « nous » et la branche des chimpanzés – puisque c’est d’eux que nous avons divorcé il y a à peu près huit millions d’années –, que s’est-il passé ? D’où viennent ces singes et ces mammifères qui ont occupé toute la Terre après qu’un astéroïde a eu la curieuse idée de percuter notre planète, il y a quelque soixante-cinq millions d’années ? Sans ce bouleversement, pas d’extinction des dinosaures. Et sans cette extinction, pas ou peu de mammifères. Alors nos origines seraient-elles dues au hasard de la collision imprévue entre la Terre et cet astéroïde ? Que pouvait bien devenir Dieu dans un tel scénario ? Pouvait-on encore parler de création et à plus forte raison de dessein ?

Pour continuer l’investigation, il fallait impérativement interroger la science de la vie, la biologie. Cette discipline donne des réponses passionnantes et souvent à peine croyables. Elle nous dit que la vie a un commencement et que l’on connaît même sa date de naissance : entre trois milliards et demi et quatre milliards d’années. Elle nous dit aussi qu’on ne connaît pas encore le jour exact mais qu’on y travaille ! La vie est donc ancienne, certes, mais elle n’a rien d’éternel. Alors que s’est-il passé avant cette date ? Pourquoi Dieu aurait-il jugé utile d’attendre près d’un milliard d’années avant de créer la vie puisque notre Terre date de quatre milliards et demi d’années ?

Lorsque la vie apparaît, la Terre est encore une jeune planète : vieille d’un milliard d’années à peine. Il fallait donc reprendre le chemin et étudier l’histoire de la Terre. A-t-elle un début, un commencement ? Comment et pourquoi est-elle née alors que l’univers existait depuis plus de neuf milliards d’années ?