Pourquoi nous sommes tous des djihadistes - Montasser AlDe'emeh - E-Book

Pourquoi nous sommes tous des djihadistes E-Book

Montasser AlDe'emeh

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Beschreibung

Le témoignage exclusif d’un Belge parti en Syrie

Qu’y a-t-il dans la tête des jeunes djihadistes qui quittent la France, la Belgique, les Pays-Bas ou l’Angleterre ? Qu’y a-t-il dans la tête d’un jeune né ici, éduqué ici, qui part combattre dans un pays dont il ignorait l’existence il y a cinq ans ?
Cette question nous hante tous. Alors que bon nombre d’experts ou de journalistes livrent leurs commentaires, loin du théâtre des combats, l’auteur, un jeune chercheur belgo-palestinien, a décidé, pour ses recherches, de s’infiltrer en Syrie et de rejoindre un groupe de jeunes djihadistes européens.
Il a vécu, dormi, mangé, passé les frontières avec eux. En partageant leur quotidien, il a tenté de comprendre leurs motivations.
Et ses conclusions sont étonnantes, loin des poncifs de certains.
Aujourd’hui, Montasser AlDe’emeh a fondé un centre de « dé-radicalisation », comme aiment l’appeler les autorités, un centre de « la connaissance », comme il aime, lui, le nommer.
Au-delà de son histoire incroyable, il livre ici l’analyse, probablement la plus fine et la plus pertinente à ce jour, d’un phénomène qui tétanise l’Occident.

Une enquête sociologique d'un spécialiste du djihad pour comprendre les motivations de certaines convictions et radicalisations religieuses

A PROPOS DE L'AUTEUR

Montasser AlDe’emeh est belgo-palestinien. Il a 26 ans et est chercheur universitaire. Islamologue, spécialiste du djihad armé, il intervient comme expert dans de nombreux colloques, ainsi qu’auprès de médias européens et internationaux dont Der Spiegel. Il est le fondateur et le directeur du centre « La Voie vers...»

EXTRAIT

Je reviens de Syrie, des environs d'Alep plus précisément où j'ai vécu pendant deux semaines avec de jeunes djihadistes, notamment des Belges et des Néerlandais partis rejoindre, se battre et mourir dans les rangs de Jabhat al-Nosra (ce groupe, qui a fait allégeance à Al-Qaïda et qui a été créé en 2012 pendant l'insurrection syrienne). Principalement actif en Syrie, mais aussi au Liban, il est considéré comme un groupe terroriste.
Je rejoins la salle de bain. Je me déshabille. Sous la douche, j'ouvre le robinet et je décide de me raser. Sans miroir.
La longueur de ma barbe, qui m'arrive presque jusqu'à la poitrine, témoigne de ces longs mois pendant lesquels je me suis plongé dans mon travail de recherche. Nous sommes à la fin juillet. Je me suis laissé pousser la barbe depuis février, soit le moment où j'ai commencé à me plonger dans mon sujet.
Mais je suis confronté à un problème : elle est si longue et si drue qu'une lame ne pourra pas la couper. Comme si cette expérience refusait de me quitter.

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Je dédicace ce livre aux orphelins du monde entier et à ceux qui sont loin de chez eux.

Facebook du centre : https://www.facebook.com/centrumdewegnaar

Twitter : https://twitter.com/___Montasser___

https://twitter.com/dewegnaar

Facebook : https://www.facebook.com/aldeemeh

Chapitre 1 / LE DÉPART EN SYRIE

Ma barbe de djihadiste

Debout dans mon petit appartement, devant le miroir, je regarde cette longue barbe qui orne depuis des mois mon visage. Elle est le symbole de tous les moments incroyables que je viens de vivre pour terminer mon sujet de recherche de doctorat qui porte sur l’extrémisation violente de jeunes musulmans européens partis faire le djihad en Syrie et en Irak.

Je reviens de Syrie, des environs d’Alep plus précisément où j’ai vécu pendant deux semaines avec de jeunes djihadistes, notamment des Belges et des Néerlandais partis rejoindre, se battre et mourir dans les rangs de Jabhat al-Nosra (ce groupe, qui a fait allégeance à Al-Qaïda et qui a été créé en 2012 pendant l’insurrection syrienne). Principalement actif en Syrie, mais aussi au Liban, il est considéré comme un groupe terroriste.

Je rejoins la salle de bain. Je me déshabille. Sous la douche, j’ouvre le robinet et je décide de me raser. Sans miroir.

La longueur de ma barbe, qui m’arrive presque jusqu’à la poitrine, témoigne de ces longs mois pendant lesquels je me suis plongé dans mon travail de recherche. Nous sommes à la fin juillet. Je me suis laissé pousser la barbe depuis février, soit le moment où j’ai commencé à me plonger dans mon sujet. Mais je suis confronté à un problème : elle est si longue et si drue qu’une lame ne pourra pas la couper. Comme si cette expérience refusait de me quitter.

Je quitte ma douche et je vais devant mon évier. Je saisis une paire de ciseaux d’une main et de l’autre des touffes de poils. Et je coupe lentement cette longue barbe qui me mange les joues, le menton et le cou et qui, depuis quelques mois, me définit aux yeux de tous. Je peux alors m’enduire le visage de crème, je prends mon rasoir et je me rase. C’est comme une renaissance : je me sens rajeuni de dix ans. Je retrouve le visage glabre d’avant le début de mes recherches.

Dès les premiers départs de jeunes Européens vers la Syrie et l’Irak, je me suis senti interpellé en tant que chercheur et en tant que personne issue de l’immigration par la façon dont les médias et certains experts commentaient ces départs. Très clairement ils n’appréhendaient pas les processus mentaux de ces jeunes qui partaient, et je voyais grandir le fossé d’incompréhension qui se creusait entre la société et ce phénomène. Mon sujet de doctorat porte sur l’extrémisation violente des jeunes musulmans de mon pays, mais au-delà des chiffres et des statistiques je me suis rapidement rendu compte qu’il fallait que je les rencontre là où ils étaient : en Syrie, pour essayer de comprendre.

Je suis un des rares chercheurs européens à m’être rendu sur place. Et à présent, me voilà revenu à Bruxelles dans un autre monde, celui qui est le mien, pour un nouveau départ. Un nouveau défi m’attend : après avoir tenté de comprendre ce qui motive ces jeunes à partir, je dois à présent tenter de l’expliquer.

Je m’habille et je décide de sortir. Le contraste entre le Montasser barbu et le Montasser glabre est saisissant. La veille, toujours barbu, je m’étais rendu dans un des plus importants centres commerciaux de Bruxelles. C’était un des derniers jours de soldes, j’étais rentré dans ma boutique favorite. Tous les regards s’étaient alors tournés vers moi et je voyais dans les yeux de l’appréhension et une crainte faite de préjugés. Ces derniers temps, tout ce qui est barbu est suspect.

Je retourne dans le même complexe commercial avec la veste achetée la veille. Cette fois-ci, je passe quasiment inaperçu, et quand les regards s’attardent sur moi, ils sont amicaux. À l’intérieur, je suis pourtant toujours le même.

À présent, je peux me concentrer sur mes recherches sans que mon apparence ne teinte toutes mes interactions sociales.

Après avoir partagé le quotidien des jeunes djihadistes pendant deux semaines, je me dis que les condamner a priori sans connaissance et sans preuve ne contribuera pas à une société plus juste. J’ai vécu avec eux, je les ai vus manger, dormir, faire des courses, jouer avec leurs enfants, nager et faire du sport, rire et discuter, se préparer au martyre. Je savais qu’ils se battaient, tuaient et commettaient peut-être des atrocités ; celles que tout conflit armé engendre, quel que soit le camp auquel on appartient. Il fallait voir ce qu’ils vivent pour tenter de comprendre. Il est toujours aisé d’asséner des vérités quand on ne va pas sur place, quand on commente les événements depuis l’arrière comme le font de nombreux journalistes et experts. Je voulais comprendre, et pour cela il fallait prendre le risque insensé de les rencontrer sur place. Quitte à être pris en otage ou à ne pas revenir vivant.

Mais j’avais des atouts. Je suis palestinien, et les Palestiniens sont généralement respectés par les djihadistes. Cependant, récemment un Palestinien a été exécuté par l’EI parce qu’il était soupçonné d’espionnage par le Mossad. Je suis jeune, j’appartiens à la même génération et surtout je parle quatre langues, dont l’arabe et plusieurs de ses dialectes. Enfin, je connaissais la filière qui pouvait me faire passer en Syrie.

Alors, comme un voleur dans la nuit, un beau matin j’ai pris l’avion pour la Turquie d’où, sans visa, muni simplement d’un nom et de mes contacts avec de jeunes djihadistes belges et néerlandais, j’ai gagné la Syrie où j’ai risqué ma vie sous les bombes et sous les tirs.

Cela fait environ deux ans que j’ai choisi le sujet de mon doctorat que j’ai poursuivi à l’Université d’Anvers : il était consacré aux jeunes partis combattre en Syrie dans un contexte de djihad international. Je savais que je devrais aller en Syrie. Mais quand et comment ? Je ne le savais pas alors. Mais je savais que j’irais là-bas, car, dans mon esprit, si l’on veut étudier ce phénomène, il faut rencontrer ses acteurs. On ne peut rester dans sa tour d’ivoire.

Juste avant de partir, j’étais un peu nerveux. Je ne l’avais dit à personne. Mes parents n’étaient même pas au courant. Jusqu’à aujourd’hui, ils ne savent toujours pas ce que j’ai vécu. Ce livre leur racontera.

Un départ en Syrie ne s’improvise pas. Les premiers contacts ont eu lieu via Facebook. J’ai utilisé mon profil sans me cacher : Montasser AlDe’emeh. Je suivais déjà sur la Toile ces combattants occidentaux partis en Syrie : que font-ils là-bas ? Que postent-ils sur Facebook ? Qu’ont-ils à dire ? J’ai suivi de près plusieurs profils et beaucoup discuté avec certains d’entre eux.

Un des comptes Facebook que je suivais était « De Basis », soit le terme néerlandais pour « La Base », ce qui est la traduction française d’Al-Qaïda. C’étaient des combattants de Jabhat al-Nosra, affilié à Al-Qaïda. Je ne savais pas qui était derrière ce compte… Était-ce un compte commun ou une personne ? Je n’en savais rien. Je leur ai demandé s’ils étaient en Syrie. On m’a répondu par la positive. J’ai posé une série de questions via un message privé posté sur Facebook. Abou Fulaan, un des combattants qui postait des vidéos sur ses activités en Syrie, m’a répondu via une vidéo, sur le site de partage YouTube.

Les contacts se sont développés sous une forme étonnante. À l’époque, à Anvers, des vidéos diffusées via YouTube étaient fort regardées. Un homme se présentant comme « Bear Grills d’Anvers » postait des séquences humoristiques ou des commentaires sur la vie politique. L’homme était filmé derrière le volant d’une BMW dans la circulation ou à l’arrêt. Cet homme d’origine marocaine était devenu tellement connu en Flandre que lors de la dernière campagne électorale, il était parvenu à attirer dans sa voiture les principaux candidats qui se présentaient aux élections. Même la figure de proue de l’extrême droite, qui a bâti toute sa carrière sur le rejet de l’immigré, a pris place sur le siège du passager de sa voiture pour l’enregistrement de vidéos.

Quand une idée marche, elle est rapidement copiée. Avec des fortunes diverses. De Syrie, un Anversois au visage flouté a publié à son tour des vidéos sur YouTube, sous le nom « Bear Grills de Syrie ». C’était peut-être moins drôle, mais c’est par une de ces vidéos, postée sur YouTube, que j’ai eu des réponses à des questions que j’avais posées via Facebook. Le contact était ainsi noué, et c’est par ce canal que j’ai obtenu mes premières informations, de première main, sur les motivations qui ont bien pu pousser des jeunes, nés et élevés en Europe, à tout quitter pour la Syrie. Voici une transcription de cette première vidéo :

« Salem aleikum, chers frères et sœurs en Islam. Ceci est le quatrième épisode d’Abou Fulaan d’Anvers. Comme vous le savez, nous avons invité une série de personnes pour nous poser des questions. Notre premier invité aujourd’hui est Montasser AlDe’emeh, un frère belgo-palestinien qui effectue des recherches aux universités d’Anvers et de Louvain. J’ai ici une tablette avec les questions à répondre.

Première question : Pourquoi partir en Syrie ? Est-ce que ceux qui partent sont des personnes défavorisées qui ne savent que faire dans la vie ? Ou qui pensent qu’ils vont en Syrie pour y jouer Rambo et parader avec une arme ?

Ce n’est pas vrai, mes frères. C’est ce que les médias veulent que vous croyiez. On retrouve ici des personnes issues de toutes les couches de la société, des gens qui ont des diplômes de master, et même des gens qui ont étudié à l’Université d’Anvers. C’est ce que les médias et la « saleté de l’État » (traduction de Staatsvuiligheid, déformation du mot Staatsveiligheid qui signifie Sûreté de l’État, le service de renseignements belge) veulent faire croire afin que l’on n’éprouve aucune sympathie pour ces hommes. J’ai vu ici des infirmiers. Il y a des médecins et des spécialistes en informatique. Des hommes de toutes les couches de la société. Des jeunes défavorisés. Je dirais plutôt : des hommes qui viennent de quartiers défavorisés. Et il y en a bien sûr… naturellement.

Nous avons des gens venus de partout. Cela ne veut pas dire qu’ils ont choisi les gars. Ce n’est pas vrai. Comment se faitil qu’un Belge habite à Brasschaat (quartier riche de la région d’Anvers) et que les Marocains habitent à Borgerhout ou à Hoboken et d’autres quartiers du même type.

Cela n’est pas par hasard. Crois-moi, ces hommes ne veulent pas vivre dans de tels quartiers défavorisés. C’est que les autorités belges les y ont laissés à leur sort. Mais ils ne sont pas venus ici parce qu’ils étaient défavorisés. Ils ont une idéologie politique pour laquelle ils veulent se battre. Ils veulent appliquer la charia dans ce pays pour avoir la justice ici en Syrie. Car nous en avons assez de l’oppression, de cette démocratie où l’on désigne quelqu’un qui doit nous diriger et nous dire ce que nous devons faire. Si tu as voté pour quelqu’un par erreur, il restera quatre ans à t’empoisonner la vie. Ici ce n’est pas comme cela. Nous avons une législation et celle-ci est là pour toujours. On ne peut la changer. Si quelqu’un veut la changer, nous le mettons sur le côté. Et nous choisissons quelqu’un qui appliquera la charia. Nous connaissons notre livre : tout y est écrit.

Si vous suivez le Coran, vous savez si quelqu’un est juste ou pas tandis que dans la démocratie il y a autant de législations que de personnes qui l’appliquent.

Deuxième question : les combattants belges en Syrie ont-ils des liens avec Sharia4Belgium ? Est-ce que Sharia4Belgium a quelque chose à voir avec tout ceci ?

Pour autant que je le sache, Sharia4Belgium était déjà dissoute lorsque ces hommes sont partis en Syrie. Deuxièmement, son dirigeant, Fouad Belkacem (Abou Imran) était déjà en prison. Il n’avait pas droit à des visites et n’avait aucun contact avec le monde extérieur. Comment pourrait-il donc être responsable pour ces combattants qui étaient ici en Syrie ?

Il faut donc balayer cet argument. Il faut cesser de dire qu’Abou Imran a quelque chose à y voir. Ce n’est pas Abou Imran qui a incité ces jeunes à venir en Syrie. Nous avons un manuel : c’est le Coran. Et il nous dit ce que nous devons faire. Si demain, Abou Imran disait : « Vous devez revenir ! », cela ne changerait rien. Notre religion nous le dit. À nous les musulmans, je veux dire. Il faut être entreprenant. Cela ne va pas que nos frères soient en prison suite à de fausses accusations.

Et vous ne faites rien. Si vous ne faites rien, vous serez les suivants en prison. Et personne ne viendra vous aider. C’est l’oppression des autorités belges. Et c’est la raison pour laquelle tous ces jeunes viennent ici. Ces jeunes hommes qui à Anvers sont opprimés.

De tous les côtés : à l’école, en rue, au travail. En tant que musulman pratiquant, on ne peut pas bouger. Cela ne va pas.

Je me rappelle lorsque je me déplaçais en voiture à Anvers : j’ai été arrêté par un policier. Je lui en ai demandé la raison. Il m’a dit : « Nous avons reçu du bourgmestre la mission de harceler tous les musulmans radicaux. De vous rendre la vie si pénible que vous vous distancieriez de votre religion. »

C’est la réalité et j’en suis témoin. Celui qui pratique sa religion le sait aussi. Celui qui ne pratique pas sa religion ne remarquera rien. Donc, retournez à votre religion. Vous comprendrez ce que je dis. Les hommes qui sont venus ici n’ont pas voyagé parce qu’ils étaient désespérés. Ils ont été éveillés par les autorités belges qui mènent des campagnes de haine contre les musulmans. Prenez Filip Dewinter, le leader de l’extrême droite à Anvers. Il peut faire ce qu’il veut. Il peut créer un jeu vidéo où l’on détruit des mosquées avec une batte de base-ball. Les Marocains doivent être frappés à coups de battes. Imaginezvous ce qui se serait passé s’il l’avait fait avec la communauté juive. Vous attrapez un juif et vous le frappez avec un gourdin et vous détruisez des synagogues. Croyez-moi, il ne fera jamais cela. Il sait pourquoi il ne le fait pas : parce que la communauté juive est précisément au-dessus de la loi. Et les musulmans sont en dessous. Et on appelle cela la démocratie. L’égalité des droits. Comme musulman, je n’en ai pas été témoin. Donc Abou Imran n’a rien à voir. Les autorités belges sont responsables du départ des combattants pour la Syrie. Vous n’avez pas oublié l’interdiction du voile ? L’interdiction de l’abattage halal ? Il y a beaucoup de choses. On ne peut même pas prier en rue. On peut fumer des cigarettes, écouter de la musique et faire d’autres choses, mais prier, on ne peut pas.

Troisième question : l’interdiction du voile a-t-elle joué un rôle dans le départ de femmes vers la Syrie ?

Nous connaissons cela aussi dans l’islam. Une interdiction du voile. Parce qu’un voile avec un petit sac jaune, avec du parfum et du rouge à lèvres, c’est interdit. Je n’ai rien contre. Nous connaissons le khimar1, le jilbab2 ou le hijab3, le niqab4. On retrouve ces mots. Une femme doit s’habiller ainsi. Mais ce n’est pas en raison d’une interdiction du voile parce qu’à leurs yeux, le voile est un symbole de l’islam. Et ils ne veulent pas le voir. « C’en est assez avec ces musulmans. On ne veut pas de ces musulmans en Belgique. Nous voulons les conduire à une autre religion ».

Et c’est allé si loin que des sœurs qui portent le khimar ne se sentent plus accueillies dans la société.

Au début nous avons d’abord vu une interdiction de voile dans les écoles. C’est ainsi que des filles de 16 ans qui veulent étudier ne peuvent le faire. Combien de récits n’avons-nous pas entendus de femmes à qui l’on a retiré de force le hijab ? Alors que des hommes musulmans étaient là et ne faisaient rien. Les gars, c’est votre responsabilité ! Vous devez vous lever pour vos sœurs. Vous êtes coresponsables. Et pas seulement si c’est votre sœur. Nous sommes une communauté. Il faut se lever pour nos sœurs.

Et alors, on entend ces kuffar (incroyants) qui disent que les musulmans ne veulent pas que leurs femmes étudient. C’est vous qui ne voulez pas que nos femmes étudient sinon on n’aurait pas introduit cette interdiction ; il y a beaucoup de musulmanes qui ont beaucoup de qualités et qui peuvent apporter quelque chose à la société. Mais la société ne veut pas, c’est pourquoi elles viennent ici.

Ici elles peuvent. Ici elles peuvent aller à l’école. Ici elles peuvent suivre les cours. Ici elles peuvent se déplacer librement en rue sans que l’on ne les harcèle ou qu’on leur arrache leur voile. C’est pourquoi les femmes sont venues ici. Je me souviens de la vidéo « Femme de la rue » où l’on voit à Bruxelles une femme qui se déplace en rue et qui est sans cesse harcelée. Imaginez une femme en khimar qui se déplacerait à Brasschaat ou à Knokke ? Que se passera-t-il ? On n’a pas fait de reportage. Parce que cela n’intéresse pas.

Voici mon message aux musulmans d’Anvers : « Vous devez vous lever pour vos sœurs parce que bientôt ce sera le tour de votre sœur. »

Je me rappelle encore comment une femme a été frappée en rue par la police à Bruxelles. Ils l’ont déshabillée et l’ont fait marcher dans le bureau de police. Personne ne disait rien. Il est grand temps que la communauté musulmane se lève. Nous n’acceptons pas cela. Nous devons nous lever pour nos sœurs. Si quelqu’un s’en prend à nos sœurs, ce sera la fin.

Quatrième question : Êtes-vous des combattants pour le califat ou pour la Syrie ?

Nous sommes des combattants pour le califat. Les frontières syriennes ont été fixées par les pouvoirs coloniaux que nous ne reconnaissons pas. Lorsque nous aurons libéré la Syrie, nous ne resterons pas à ne rien faire alors que nos frères musulmans sont oppressés en Jordanie, en Palestine ou en Indonésie.

Non ! Nous nous lèverons pour les musulmans, où qu’ils soient.

Et pourquoi ? Parce que notre pays est un. Notre sang est un. Et notre guerre est une.

Lorsque le sang de nos musulmans coule, nous les soutenons. Et si notre pays est pris par d’autres, nous le reprendrons. Et si quelqu’un mène la guerre contre les musulmans, nous serons prêts à défendre les hommes de notre communauté. Car nous sommes restés trop longtemps couchés. Il est temps de se lever.

Cinquième question : Le contexte international joue-t-il un rôle dans le départ des jeunes musulmans ? Et plus précisément l’injustice au Moyen-Orient ou le contexte géopolitique ?

Naturellement, cela joue un rôle important dans la vie des musulmans. On a vu beaucoup de souffrances sur internet. Et si l’on va voir sur internet, c’est parce que les médias ne montrent rien de ces choses. Et il y a encore des choses plus graves que l’on peut voir sur internet. Guantanamo, Abou Ghraib.

Beaucoup de choses sont infligées aux musulmans. Et les musulmans se réveillent un peu. Pas complètement, mais c’est un début. Nous, musulmans, sommes devenus plus conscients. Via internet, nous sommes allés à la recherche de réponses. Et pas dans les médias, pas à la télévision. Nous ne voulons plus de télévision. Elle nous a trop menti. Combien de choses n’avonsnous pas vues à la télévision qui ont été manipulées ?

Et sur l’internet, ce n’est pas comme cela : on va y chercher ce que l’on veut. Si l’on veut savoir ce qui se passe en Afghanistan ou en Syrie, il faut aller chercher sur l’internet. Si l’on regarde la télévision belge, on n’entendra parler que de ces groupes de marginaux qui partent pour la Syrie parce qu’ils sont malheureux et toutes sortes de stupidités du même genre. C’est ce que l’on entend à la télévision. Sur internet, il y a d’autres choses. On y voit des jeunes qui sont conscientisés et qui ont vu l’oppression subie par les musulmans, des musulmans qui sont abattus. Les gens commencent à être sensibilisés à la situation des musulmans. C’est pourquoi ils se sont levés et font face à l’injustice qui leur est faite.

C’est fini pour aujourd’hui. Montasser, tu m’as envoyé beaucoup de questions. Ce sera pour une autre fois. J’ai d’autres choses à faire maintenant. Et pour les téléspectateurs : réagissez ! Montrez que vous êtes conscientisés. Frères, si vous avez des questions, envoyez-les, je répondrai dans un prochain épisode. Inch Allah, au prochain épisode. Allez, salam aleikum. »

On peut peut-être s’étonner de mes questions sur Sharia4 Belgium. Il faut savoir que cette organisation était alors considérée comme un des principaux pourvoyeurs de combattants pour la Syrie au départ de la Belgique. L’histoire de Sharia4Belgium est intéressante. Créé en 2010, Sharia4Belgium, comme Forsane Alizza en France, était alors un des multiples avatars continentaux du groupe Islam4UK, fondé en Angleterre par l’imam Anjem Choudary, qui prônait l’instauration d’un État islamique dans lequel serait appliquée la Charia. C’est vraisemblablement le charisme de Fouad Belkacem, qui prendra rapidement la tête de Sharia4Belgium qui expliquera son succès. Âgé de 33 ans, cet ex-vendeur de voitures d’occasion avait un passé de délinquant.

Fouad était un fan du gansta rappeur Tupac dont l’affiche ornait le mur de sa chambre. Il a suivi une option scientifique jusqu’en quatrième. Il s’est ensuite orienté vers l’enseignement secondaire technique et, la dernière année, il a choisi la mécanique automobile dans l’enseignement professionnel. Son père a rapidement commencé à l’impliquer davantage dans son entreprise de vente de voitures : il pensait qu’il pouvait être un bon commercial.

« Mon frère, Fouad, ne peut pas supporter l’injustice. Il veut aider les gens. Voilà pourquoi il s’était inscrit sur la liste du Parti démocratique musulman (MDP), qui a ensuite été rebaptisé la Ligue arabe européenne (AEL). C’était une sorte de Vlaams Belang pour les musulmans. Il a fait équipe avec Dyab Abou Jahjah et Said Touhafi. Fouad est toujours extrêmement pressé. Il a tout donné, tout de suite. Il veut défendre les droits des musulmans à qui des non-musulmans font du tort », a déclaré son frère dans une de mes interview exclusives.

Pour lui, Fouad a seulement commencé à pratiquer en 2003, après un grave accident de voiture, en France, sur la route vers le Maroc.

« Mon plus jeune frère a été légèrement blessé – il dormait sur le siège arrière –, ma sœur de dix-sept ans a eu une fracture du crâne et Fouad a été très grièvement blessé. Sa mâchoire a été brisée et une de ses artères a été touchée. Il a fait un arrêt cardiaque et a frôlé la mort. Il a perdu plus de deux litres de sang. Les pompiers ont dû le désincarcérer. »

La famille poursuit l’interview :

« Ses premiers mots à l’hôpital ont été “Papa, je suis tellement désolé”. Il se sentait coupable pour sa sœur et son plus jeune frère. Fouad a été opéré plusieurs fois, mais il a survécu. Apres cet accident, il a compris qu’il allait commencer une nouvelle vie.

Il a laissé pousser sa barbe, qui cachait ses cicatrices, et il a plongé dans le salafisme. L’imam Nordine Taouil l’a encouragé. Il a également voyagé à plusieurs reprises en Arabie saoudite et a adopté le nom d’Abou Imran. Ce nom, il l’a mis en grosses lettres sur la dépanneuse de l’entreprise familiale. »

Pour son père, Fouad est un éternel malchanceux. Quand il sort, il se cogne la tête contre un mur. Quand il s’est marié, il a eu un accident. Quand il a dû comparaître devant le tribunal, l’attentat à Charlie Hebdo a eu lieu et quelque chose s’est passé à Verviers.

« Ce garçon a le poisse de toute façon » constate-t-il, amer.

Pour sa mère, c’est après les attaques de New York et de Washington du 11 septembre 2001 que les choses ont commencé à changer pour les musulmans.

Fouad Belkacem, alias Abou Imran, est devenu célèbre grâce à Sharia4Belgium. Mais de nombreux imams s’opposaient à son organisation et même Nordine Taouil, son soutien du début, lui a tourné le dos et a déposé une plainte.

Mais, pour son père, « un fils reste un fils. Un utilisateur ou un revendeur de drogue reste un fils. Un voleur ou cambrioleur reste un fils. Un braqueur de banque reste un fils. Tous les péchés sont sur nos enfants. Pour les autres, nous ne faisons rien. Fouad est un gars ordinaire. Après son accident, il voulait vivre selon ses propres valeurs islamiques. Les gens ont été dégoûtés par eux (les membres de Sharia4Belgium, éd.). Ils les haïssaient. Quand ils sont arrivés dans les mosquées, les visiteurs du lieu n’étaient pas contents. Personne ne voulait rien savoir à leur sujet. Ils étaient devenus des étrangers dans leur propre communauté.

Sauf dans notre maison. Je les ai invités à venir. Parfois, il y avait trente-cinq hommes dans mon salon. Je me sens coupable de ne pas avoir encouragé mes enfants à étudier davantage. J’ai essayé de les aider à suivre une formation pour compenser ce qui avait été perdu, pour monter une entreprise et créer des emplois pour nos chômeurs. Je donnais des conseils à Fouad.

Je l’ai averti qu’ils étaient suivis par la police. Je savais que son apparence était perçue comme une provocation et qu’il irritait de nombreuses personnes. »

Selon son frère, Fouad voulait que sa voix soit entendue et la seule façon d’y parvenir, c’était de provoquer.

« Ces gars-là (les membres de Sharia4Belgium, ndlr) ont vécu des moments difficiles. Ils ont été suivis et emmenés au poste de police. Après les émeutes qui ont éclaté suite à l’instauration de l’interdiction du foulard à l’Athénée d’Anvers, Fouad ne pouvait plus se tenir sur ses jambes tant il avait reçu de coups de la police. Il a ensuite été condamné à six mois de prison pour insubordination envers la police. Les banques ont refusé de lui ouvrir un compte. Il était méprisé et haï. »

Lorsque j’ai voulu savoir s’ils comprenaient que les appels à introduire la sharia en Belgique avaient choqué, le frère et le père de Fouad m’ont répondu qu’il avait vu que c’était possible en Angleterre et même aux Pays-Bas.

Le souhait de Fouad était de voir introduite la sharia en Belgique pour des questions telles que l’héritage et le droit du mariage. Comme en Angleterre, où ils ont les tribunaux de la sharia5.

Fouad a toujours nié qu’il recrutait et envoyait des jeunes en Syrie. Que pense-t-il de ces jeunes gens finalement partis làbas ?

Pour le frère de l’ex-leader de Sharia4Belgium :

« Ces gars-là finissent par faire ce qu’ils veulent, non ? Mais que faisaient-ils là? La communauté internationale aurait dû faire quelque chose, mais le monde entier a abandonné la Syrie. Certains jeunes y sont allés parce que la pression en Belgique était trop grande, d’autres sont partis car ils étaient contre l’injustice. »

Pour sa mère :

« Mon fils ne voulait envoyer personne en Syrie. Il a dit, au cours du procès, qu’il n’était pas d’accord avec le fait que ses amis soient partis.

Il voulait rester ici, en Belgique, pour faire la da’wa6. Fouad pensait qu’il était comme Filip Dewinter, un homme qui peut penser et parler, mais à présent, il est condamné à douze ans de prison. Regardez, ils le suivaient depuis 2010. Ce que je me demande, c’est pourquoi ne l’ont-ils pas averti dès le début ? Pourquoi l’ont-ils laissé faire ? Pourquoi n’ont-ils pas dit qu’il ne pouvait pas donner des interviews ? Mais non, il a été encouragé. À la télévision, il a été invité aux débats. Et puis il a été attaqué pour ce qu’il avait dit. »

Pour sa famille, Fouad a été durement condamné parce qu’il était un symbole, le mouton noir.

« Je l’avais prévenu que personne ne pouvait le protéger. Il n’était que le fils d’un homme d’un petit village à Berkane, je le lui ai dit. Comme Fouad était un macho, il a été traité plus durement. Regardez Jejoen Bontinck7. Les garçons qui ont combattu en Syrie qui pourraient y avoir commis des crimes de guerre reçoivent des peines plus légères. Et Fouad écope de douze ans. »

Pour son frère, ceci est le résultat d’un long processus. « Eh bien, tout a commencé à l’école. Nous avons toujours été des figures de proue dans la salle de classe. Nous parlons néerlandais, français, anglais et arabe. Nous ne sommes pas dupes. Mais les enseignants ne peuvent pas faire face à ce genre de jeunes gens et ils ne nous encouragent pas à continuer à étudier. On m’a envoyé à l’ASF8 car ils ne pouvaient pas me tolérer. Quand on m’appelait, je souriais toujours – les enseignants pensaient que je riais d’eux. Fouad et moi avons le même problème : l’expression de notre visage est un sourire. Cela est considéré comme arrogant mais nous le sommes aussi. Quand Fouad a écopé de douze ans de prison, il riait en apparence. Mais pas à l’intérieur. »

La famille s’est-elle rendue au tribunal pour assister au procès ?

Les réponses fusent :

« Non. Pourquoi aurais-je été alors que les gens dans la salle d’audience grondaient contre mon fils ? Il n’a rien à voir avec le départ des jeunes. Il est innocent et ce n’est pas un terroriste. »

Aujourd’hui, le regard des voisins a changé ?

Pour sa mère :

« Ils ont de la sympathie pour nous. Beaucoup. Certains disent “Allons, ils exagèrent”. »

Quelle est l’attitude de Fouad en prison ?

« Toutes les personnes qui ont un problème viennent à lui. Il est une sorte de contact pour les autres prisonniers. Il est respecté par tous, des gardiens de prison aux codétenus. Même avec le directeur, il a un bon contact. Il a été près de trois ans dans la même cellule. Il est le plus propre dans sa cellule. »

Pour sa mère, il a toujours été un maniaque de la propreté qui passait sa maison au Dettol.

Pour son père, le seul défaut est sa croyance en la liberté d’expression.

Enfin, comment voyez-vous votre avenir ?

Sa mère : « Je suis tombée malade. Je ne peux plus me tenir sur mes pieds. Et surtout, j’ai peur. »

« Nous avons peur pour nos enfants. Je ne dors plus. Si ça continue comme ça, je songe à retourner dans mon pays, où je pourrai marcher avec la tête haute. Je veux, avec mes enfants, être laissé tranquille », renchérit le père.

Lorsque le téléphone a sonné dans la pièce, c’était Fouad Belkacem qui appelait de la prison. Voici le contenu de son appel :

FOUAD BELKACEM : « J’étais prévenu que je serais jugé sévèrement. Surtout après les événements de Paris et de Verviers. Les juges étaient sous une grande pression, j’allais être utilisé comme moyen de dissuasion. Alors qu’il il est absurde que Sharia4Belgium soit lié à des organisations djihadistes comme Al-Qaïda et l’État islamique.

J’espérais un acquittement, mais même après le verdict, je me sens fort mentalement. Je vois cela comme un test de Dieu. Ma patience sera récompensée. Bien sûr, j’aimerais plutôt être avec ma femme et mes enfants, mais Dieu aime celui qui patiente. Je n’ai rien à voir avec le départ de jeunes musulmans en Syrie. J’étais à ce moment-là en prison et Sharia4Belgium était dissous. Je reste inébranlable. Force et constance, jusqu’à ma mort. »

Sharia4Belgium s’inscrit clairement dans la mouvance du salafisme djihadiste, courant islamique réactionnaire qui entend assujettir la vie individuelle et sociale par l’imposition de règles strictes. Il s’oppose à l’ordre juridique démocratique, au système juridique occidental et à l’intégration des musulmans dans la société occidentale. Dès sa création en 2010, Sharia4Belgium a réussi à se hisser au rang du groupement salafiste djihadiste le plus expressif présent sur le territoire européen, usant d’internet et d’activités de propagande pour professer publiquement ses idées. Il a diffusé sur son site internet les idées d’idéologues du mouvement djihadiste international comme Abou Muhammad Al-Maqdisi ou Anwar Al-Awlaki.

Dès sa création, la Sûreté de l’État, service de renseignement belge, s’y est intéressée. En 2011, Sharia4Belgium, initialement présent à Anvers, a étendu son rayon d’action vers le sud, jusqu’à Bruxelles. Avec ses tenues de camouflage militaire ou ses tuniques à l’afghane ou à l’arabe, sa barbe touffue et son crâne rasé, Fouad Belkacem, ex-vendeur de voitures, faisait, selon des politiciens belges, initialement figure de clown. Il était toujours disponible pour expliquer sa vision de la société.

Sharia4Belgium s’est toujours défendu de vouloir recourir à la violence en Belgique, glorifiant seulement le djihad défensif (si les musulmans sont attaqués) et la résistance en Palestine. Le groupe a été impliqué à Molenbeek-Saint-Jean en juin 2012 dans les débordements qui avaient suivi l’interpellation en rue d’une femme portant le niqab. En septembre 2012, il était largement impliqué dans une manifestation à Anvers contre le film « L’innocence des musulmans », qui insulte le Prophète. Pas moins de 230 personnes ayant pris part à la manifestation ont été arrêtées : il apparaîtra ensuite que 70 d’entre elles partiront se battre en Syrie.

La surveillance s’est encore renforcée sur Sharia4Belgium qui, le mois suivant, annonça qu’il se sabordait. Fouad Belkacem a alors été condamné à deux ans de prison pour incitation à la haine à l’égard des non-musulmans.

Sharia4Belgium se fait alors discret. Le groupe revient sous les feux de l’actualité en avril 2013 lorsque la police fédérale mène une cinquantaine de perquisitions. La police a alors déjà cartographié le mouvement : les dirigeants, le « noyau dur », et les sympathisants. L’enquête montre que les premiers départs vers la Syrie d’hommes gravitant autour de Sharia4Belgium datent d’août 2012. Ils s’échelonneront jusque 2014. Quarante-six personnes seront poursuivies devant le tribunal correctionnel d’Anvers. À l’automne 2014, ils ne seront que huit sur le banc des prévenus, les autres étant soit morts au combat, soit toujours en Syrie, soit disparus des radars de l’antiterrorisme. Fouad Belkacem, qui était le seul à ne pas avoir rejoint la Syrie, a nié avoir incité au départ en Syrie. Le tribunal correctionnel l’a néanmoins reconnu – avec d’autres – comme dirigeant d’une organisation terroriste et l’a condamné à 12 ans de prison.

Après cet échange avec Bear Grills, l’essentiel était peut-être fait : j’étais en contact – du moins l’espérai-je – avec ces fameux combattants.

Et un jour, un de ces jeunes – je ne connaissais pas leurs noms, ils étaient anonymes – m’envoie un message privé Facebook « Viens-nous voir ».

Je lui ai immédiatement répondu : « j’espère que ce sera possible ». J’avais obtenu ce que j’espérais. Et je n’avais pas dû le demander moi-même. Ils avaient devancé ma demande. « L’émir doit encore donner son autorisation. Je lui demanderai demain et je te répondrai. »

Ce n’est pas seulement en raison de ma longue barbe, qui me donnait l’apparence d’un musulman pratiquant, qu’ils avaient confiance en moi. Ils connaissaient les articles que j’avais publiés dans les pages opinion du quotidien flamand De Standaard, notamment un article intitulé « comprendre plutôt que condamner ». Ils savaient que j’étais nuancé, que je cherchais à les comprendre. Et visiblement, ils appréciaient ces articles que je publiais sur mon compte Facebook.

Ce n’est qu’un mois plus tard que la réponse est venue alors que j’avais perdu tout espoir. Je pensais qu’il était un peu naïf de croire que je pourrais me rendre dans un pays en guerre. Mais début juillet, je recevais un message privé sur Facebook : « viens ». Sur le moment, mon estomac s’était retourné : c’était le feu vert que je n’attendais plus. En ce début de mois de juillet ensoleillé, mon esprit vagabondait sur le nom de destinations de vacances. Je n’en ai discuté avec personne et je suis immédiatement allé acheter un ticket pour la ville d’Hatay en Turquie. Cette fois, c’était certain, je partais.

J’ai seulement choisi d’en parler à Tom Sauer, le professeur qui supervise ma thèse de doctorat à l’université d’Anvers. Il n’a pas tenté de me dissuader. Il savait que j’espérais pouvoir gagner la Syrie pour mes recherches. Il m’a écrit, deux jours avant mon départ, une lettre de recommandation rédigée en anglais :

« Par cette lettre je confirme que Montasser AlDe’emeh est inscrit comme doctorant au département de politique de l’université d’Anvers depuis 2013 sous la supervision du professeur Ludo Abicht et de moi-même. Ses recherches universitaires portent sur les combattants syriens venus d’Europe. C’est dans ce but qu’il séjourne en Syrie en juillet 2014. »

Le départ pour la Syrie : un aller simple pour la mort ?

Ce soir-là, j’ai à peine pu fermer l’œil : le simple fait de m’imaginer que, dans quelques heures, je serai en Syrie me préoccupe beaucoup. Je n’ai préparé aucun bagage avant d’aller me coucher. J’ai complètement nettoyé mon appartement et rassemblé la nourriture qui s’y trouvait. J’ai aussi rassemblé toute ma correspondance personnelle dans un grand sac en plastique. Je l’ai jetée dans une poubelle publique. Je ne voulais pas que ma famille découvre et lise ces lettres si je ne devais jamais rentrer de Syrie.

J’ai eu quelques moments de panique. Vers minuit, quelques heures avant mon départ, j’ai reçu via Facebook un message de Syrie. « Montasser, un jeune Anversois va te donner un sac. Il viendra te le remettre à Bruxelles. Dis-moi où il peut te rencontrer. »

Je n’ai pas voulu donner mon adresse. J’ai fixé rendez-vous près d’une station de métro toute proche. J’ai couru jusqu’à celle-ci et, tournant en rond près de l’entrée, j’ai commencé à dévisager les personnes qui s’y trouvaient. Une patrouille de police dans les environs. Était-ce un piège ? Je n’ai pas voulu montrer mon inquiétude. J’ai attendu et attendu. Lorsque j’ai vu un homme avec un sac à dos dans un abribus situé devant la station, je lui ai demandé s’il attendait quelqu’un. « Es-tu Montasser ? Tu es différent de ta photo sur Facebook », m’a-t-il répondu avant de me confier le sac à dos que je devais remettre à la personne qui me prendrait en charge à la frontière.

Je suis parti, dubitatif. Qu’est-ce que ce sac pouvait bien contenir ? Une fois à la maison, je l’ai placé sur un fauteuil, le regardant sans oser l’ouvrir. Quand j’ai retiré les feuilles d’aluminium qui l’emballaient, j’ai découvert des sacs de soupe instantanée Knorr ainsi que des boîtes Tupperware avec un couscous encore tiède, sans doute préparé par la mère d’un combattant. Je n’ai pu m’empêcher de penser à ma propre mère qui m’apporte aussi des plats. Quoi que fasse leur fils, les mères sont toujours là. Inconditionnellement, ai-je alors pensé. Et je me suis demandé comment ma mère réagirait si elle savait que j’étais en Syrie. J’ai préféré chasser cette idée de mon esprit.

Ce n’est qu’une heure avant mon départ que j’ai rapidement glissé quelques vêtements dans une grande valise. Dans un plus petit sac, j’ai rangé quelques carnets et stylos.

Pas d’ordinateur, je me servirai de mon téléphone portable.

Oui, je suis inquiet. Pour ma propre sécurité. Y arriverai-je vivant ? Est-ce que je reviendrai un jour ? Je ne connaissais pas ces gens que j’allais rejoindre. Même pas leurs noms. Je n’avais vu leurs visages que masqués, sur Twitter ou Skype. Je ne savais pas s’ils étaient honnêtes.

Comment ma famille allait-elle vivre cette situation ? Mon esprit était assailli de questions sans réponses. J’avais choisi de partir, il fallait à présent assumer jusqu’au bout.

Pour ma dernière soirée en Belgique, j’ai rompu le ramadan en compagnie de la famille d’un de mes frères. Pendant le repas, j’étais très ému. Je me suis dit que c’était peut-être la dernière fois que nous nous voyions. Et j’éprouvais beaucoup de fierté d’appartenir à cette famille. Je brûlais d’envie de leur dire que je partais le lendemain en Syrie. Mais je ne pouvais pas. Et j’avais des difficultés à retenir mes larmes quand je pensais à ces moments agréables avec mes proches qui eux, ne connaissaient rien de mes projets. Lorsque je l’ai quitté, mon frère n’a pas compris pourquoi notre étreinte était plus longue que d’habitude.

Pourquoi aller en Syrie ? Pour y chercher la vérité. Mais pour certains – et même pour ma famille –, c’est inconcevable et trop dangereux. C’est pour cette raison que je ne l’ai pas prévenue. J’ai simplement envoyé un SMS à une de mes sœurs pour lui annoncer que je partais. J’ai transmis une copie via un message privé. Et, pour être vraiment certain qu’elle le lirait, j’ai fait suivre le même message à son mari via WhatsApp. À ma bellesœur avec qui j’avais passé ma dernière soirée en Belgique, j’ai envoyé un message lui indiquant qu’elle pouvait venir chercher devant la porte de mon appartement, la nourriture que j’avais retirée de mon frigo.

Je n’ai pas écrit que je partais en Syrie. J’ai seulement mentionné la Turquie, plus précisément la frontière turco-syrienne où j’allais poursuivre mes recherches. Personne n’était donc au courant.

Je suis sur le quai du métro, en direction du métro Rogier, d’où je rejoindrai la gare du Nord de Bruxelles afin d’y prendre un train vers l’aéroport. Il n’est pas encore six heures. Je n’ai pas voulu que quelqu’un m’y emmène. À côté de moi est assise une jolie femme avec un regard mystérieux. Cela ne fait que renforcer mon inquiétude. Plutôt que d’aller en Syrie, je ferais mieux d’apprécier sa beauté. Je quitte un pays en paix pour un pays en guerre. Je n’ai jamais connu la guerre. En tant que réfugié, j’ai bien été témoin de la pauvreté, mais c’est évidemment différent.

Mon regard tombe sur un panneau de la police. Et je pense aux contrôles d’identité à l’aéroport. Sur la photo de mon passeport, je n’ai pas de barbe. Or, celle que je porte est très longue. Ferontils des difficultés parce que je pars pour la Turquie ? La Syrie est toute proche et les nombreux combattants occidentaux qui ont gagné la Syrie l’ont rejointe via la Turquie. Ma détermination à étudier de plus près ces combattants auxquels je consacre ce doctorat depuis des mois a jusqu’à présent primé sur les peurs associées au voyage. C’est extraordinaire comme on peut se dépasser pour atteindre son but, et à ce niveau, je peux dire que je suis radical, ce qui est curieux vous en conviendrez, pour un chercheur qui travaille notamment sur les processus de radicalisation et d’extrémisation des jeunes musulmans. Pour moi, le combattant n’est pas le plus important. Ce que je veux, c’est trouver la personne qui est derrière le combattant et identifier, comprendre les processus qui l’ont conduit à devenir ce qu’il est devenu.

C’est le propre de l’homme d’être en recherche, cela devrait toujours être son but. Je suis à présent dans le train vers l’aéroport de Bruxelles-National. Une fine pluie tombe. Le bruit du mouvement du train et les crissements sur les voies perturbent le silence du petit matin. Une chose est certaine : ce n’est pas le climat de la Belgique qui va me manquer.

À partir de mon expérience, j’ai décidé de viser une renaissance spirituelle : retourner vers les origines et le moi le plus pur. C’est ainsi que l’on redevient humain après les expériences négatives vécues. C’est à partir de là que j’ai commencé à étudier le phénomène de ce que l’on nomme « les combattants syriens ». Je veux, avec eux, retracer leur parcours. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Et comment comptent-ils l’atteindre ? Nous sommes tous le produit de nos expériences. Eux aussi. C’est pourquoi je vais à leur recherche dans le tumulte d’Alep. Et une voix me répète : « Montasser, que vas-tu faire là-bas ? » Et je détourne la tête.

Le passage de la douane à l’aéroport de Bruxelles-National s’est bien passé, mais cela a cependant duré un peu plus longtemps que la normale. J’ai l’impression que le policier a contrôlé mon nom avant de me donner le feu vert. J’ai vu son regard se fixer à plusieurs reprises sur mon visage et sur la photo. J’ai vu ses doigts tapoter sur le clavier de son ordinateur comme pour effectuer des vérifications.

Les noms de « potentiels combattants syriens » figurent sur une liste. Ils risquent d’être appréhendés à l’aéroport et de ne pas pouvoir poursuivre leur voyage. Mon nom ne se trouve pas dans une telle liste bien que je me considère comme un combattant. Je me lance dans une quête, qui peut être sans fin, vers la vérité. N’est-ce pas un combat ? C’est certain : c’est aussi une forme de djihad dans lequel la poursuite de la connaissance est centrale et réclame des sacrifices.

Arrivé à Istanbul, je dois faire viser mon passeport. Et la police commence à faire des difficultés. Je ne porte pas de barbe sur la photo de mon passeport.

Est-ce bien vous ?

Le policier scrute mon passeport pour voir s’il ne s’agit pas d’un faux.

— Donnez-moi votre carte d’identité. D’où êtes-vous originaire ?

— De Palestine.

« Filistin ! », répète-t-il d’une voix forte, employant ainsi le terme turc pour désigner la Palestine. Sur quoi je lui confirme : « Oui. Filistin. »

Le fait que j’aie suivi il y a quelques années six mois de cours de langue turque à l’Université catholique de Louvain m’est d’un grand secours. Le policier demande alors des instructions et des conseils au policier au guichet voisin. Lui non plus ne sait que faire. Il décide de m’envoyer à un autre guichet, le 32.

— Où allez-vous ?

— À Hatay.

— Allez-vous combattre en Syrie ?

— Non.

— Qu’allez-vous faire en Syrie ?

— Je ne vais pas en Syrie.

Mentir, dans de telles circonstances, est peut-être la seule chose à faire si je veux avoir mon vol pour Hatay. « Attends-là », me lance-t-il en me désignant une file où je dois attendre.

Où ai-je déjà connu ce sentiment ? Et là, les souvenirs affluent. C’était il y a quelques années, avant la révolution égyptienne. Après avoir atterri au Caire pour prendre un second vol vers l’Arabie Saoudite, j’ai aussi été interrogé par les services secrets. Lorsqu’un policier m’a demandé mon pays d’origine et que j’ai dit : « Palestine », j’ai été interrogé par les services secrets. Simplement parce que j’étais palestinien. Je ne portais pas de barbe, mais des cheveux longs avec des vêtements occidentaux.

J’ai vécu la même chose quand je me suis rendu, quelques mois avant ce départ vers la Syrie, en Jordanie. J’y allais pour faire des recherches sur les mouvements salafistes djihadistes. Là aussi, j’avais été interrogé par les services secrets.

Mais deux hommes se dirigent vers moi et me font revenir au temps présent, sans doute des membres des services secrets. Ils m’emmènent, sans agressivité aucune, vers des sièges dans un coin de l’aéroport. L’un d’eux glisse ces mots « État islamique en Irak et au Levant ». Et je me demande ce qui va se passer. Je montre ma carte du personnel de la KUL, l’Université catholique de Louvain ainsi que ma carte d’étudiant de l’Université d’Anvers qui mentionne que je suis un chercheur qui réalise une thèse de doctorat. Je vois dans leurs yeux une forme de respect. Mais ils continuent à m’interroger :

— À quelle faculté travaillez-vous ?

— À la faculté de sciences politiques.

— Qu’allez-vous faire à Hatay ?

— Je vais à l’Université de Hatay, Monsieur.

Pourtant, je ne sais pas s’il y a une université à Hatay. Mais à leur expression et à leur regard approbateur, je sais qu’il y a bien une université à Hatay.

Ouf ! Je précise que « Je vais aussi aller à la plage et visiter une série de sites à Antioche ».

— Qu’allez-vous encore y faire ?

— Je vais voir des réfugiés syriens, les interroger sur leurs expériences en Syrie

— Et que pensez-vous de l’État islamique en Irak et au Levant ?

— Que dois-je dire ? « Que pensez-vous d’eux ? » dis-je en riant

C’est la seule réponse qui me vient à l’esprit, mais les deux hommes continuent à m’observer, dans l’attente d’une réponse.

— Écoutez, le Prophète, que la paix soit avec lui, est venu miséricordieux sur terre. Pour moi aşk (amour en Turc) et merhamet (miséricorde en Turc) sont des notions centrales. Je suis contre le fait que l’on tue des innocents.

— Et Bachar el-Assad ?

— Que penser de lui ? Je le répète. Moi, je ne veux pas avoir affaire avec ceux qui tuent des innocents. Savez-vous que mon nom a été choisi par les Ottomans et que des membres de ma famille ont servi dans l’armée ottomane ?

Ils me regardent alors, quelque peu étonnés.

— Êtes-vous déjà venu en Turquie ?

— Oui, au cours de l’été 2010. J’ai aussi appris le turc.

— « Nasılsın ? » me lance-t-il alors (ce qui, en turc, signifie Comment allez-vous) ?

— Iyiyim, sen nasılsın ? (Bien et vous ?)

Tout cela semble les amuser, mais un des deux agents ouvre tout à coup mon sac et commence à regarder ce qu’il contient, ce qui ne m’inquiète pas, car je n’ai rien à cacher. Il commence à sortir un carnet et à tourner les pages. Il consulte attentivement la première page de mon carnet de voyage sur laquelle j’ai écrit les numéros des contacts de Jabhat al-Nosra que je dois contacter quand j’arrive à Hatay. Il y a aussi le numéro du trafiquant qui doit me faire passer la frontière. J’ai noté ces numéros sur la première page de mon carnet avec d’autres informations cruciales. Et s’il m’interrogeait ? Que devrais-je dire ? Je pourrais oublier mon vol. Et c’en serait fini avec mes contacts qui doivent me conduire en Syrie. En une fraction de seconde, j’ouvre la deuxième page et je lui dis :

— Regardez, c’est le journal de mon voyage.

— En quelle langue ?

— En néerlandais.

Je reprends alors mon bloc-notes et j’ouvre mon sac devant ses yeux pour qu’il puisse voir ce qu’il contient. Il le montre à son collègue. Je range mon carnet dans mon sac. Ouf ! Je peux partir. Ils me montrent alors leur côté le plus engageant et s’excusent. Ils expliquent que, s’ils m’ont interrogé, c’est parce que la Turquie est voisine de la Syrie. Et que la Turquie doit prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de ses citoyens. Ils citent encore le nom d’État islamique pour montrer leur inquiétude. Je leur dis que je comprends. On vise mon passeport et je peux poursuivre mon voyage. Je gagne le couloir qui mène vers les vols intérieurs. Et je n’oublie pas de déchirer la page avec les numéros de contact pour la glisser dans mon portefeuille.

J’attends maintenant que la porte s’ouvre. Il y a vraiment peu de monde autour de moi. Aurai-je un avion quasi vide ? Je pourrai peut-être enfin dormir. Car je me demande si je trouverai le sommeil cette nuit. J’aurai vraisemblablement échangé mon lit bien chaud pour un autre dans une maison, entourée d’habitations détruites à Alep. Il y aura peut-être des bombardements, et le danger sera au coin de la rue. Comment pourrai-je, au nom de Dieu, m’endormir entre des militants de Jabhat al-Nosra, un groupe affilié à Al-Qaïda ? Comment cela se passera-t-il ? Il n’y a pas de WiFi ici. Je ne peux donc contacter personne en Belgique, car la carte de mon opérateur téléphonique ne fonctionne pas ici. C’est vraiment étrange…

L’avion est finalement complet. Des passagers me fixent. Avec ma longue barbe, ils ont l’impression que je suis peut-être un djihadiste. Dans l’avion, j’ai à côté de moi un adolescent. À côté de lui, c’est un adulte et il m’interroge :

— D’où es-tu ? De Tchétchénie ?

C’est à mon tour de m’interroger. Pourquoi un Tchétchène ? Est-ce à cause de la couleur claire de ma barbe ?

Mais il continue :

— Vas-tu en Syrie ?

— Non, je suis belge. Et non, je ne vais pas en Syrie.

On arrive. Les manœuvres devant mener à l’atterrissage ont commencé. L’avion tangue de gauche à droite. Le pilote ne peut pas maintenir l’équilibre. L’avion doit reprendre de l’altitude avant même de se poser. On vole encore 15 minutes. Et l’avion connait encore des problèmes pour atterrir. L’avion tangue à nouveau, mais il se pose quand même. Les passagers applaudissent. Et je m’interroge : est-ce que le pilote était débutant ? Lorsque je quitte l’avion sur la passerelle, je comprends. Quel vent ! Ma barbe fait mine de s’envoler.