Prier 15 jours avec Simone Weil - Martin Steffens - E-Book

Prier 15 jours avec Simone Weil E-Book

Martin Steffens

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Beschreibung

Un recueil de textes commentés pour découvrir ou redécouvrir la pensée chrétienne à travers l'un de ses guides.

Ce qu’on a retenu de la philosophe française Simone Weil (1909-1943), c’est d’avoir quitté son poste de professeur agrégé de philosophie pour aller travailler à la chaîne, de 1934 à 1935. Soucieuse du sort des hommes humiliés, Simone Weil mettait un point d’honneur à parler de leur cause en toute connaissance, pour traduire leur souffrance sans jamais la trahir. Cette extrême attention à l’autre et ce profond désir de vérité fi rent de sa vie non seulement une grande aventure humaine mais aussi un authentique itinéraire spirituel. Car à qui cherche ardemment la vérité, il est donné de rencontrer un jour Celui qui est la Vérité : « Si on
se détourne [du Christ] pour aller vers la vérité, on ne fera pas un long chemin sans tomber dans ses bras », écrit-elle au père Perrin.
Prier quinze jours avec Simone Weil, c’est donc prendre le parti de préférer la vérité à toute illusion réconfortante.
Sans rien se cacher du malheur des hommes, c’est apprendre à voir de quelle façon l’amour de Dieu y est présent. La prière était vécue par Simone Weil comme le moyen de devenir, au milieu des souffrances humaines, un simple instrument de Dieu : l’écho de Son amour.

Se ressourcer et apprendre pendant quinze jours en compagnie d'un maître spirituel.

EXTRAIT

Tout le ridicule de notre condition humaine tient en ce que, selon le philosophe Nicolas Malebranche, l’homme peut être distrait de sa quête de la Vérité par le seul bourdonnement d’une mouche. Cette dernière ayant pénétré dans notre lieu de méditation, nous voilà tout entiers concentrés à ne pas l’entendre, puis
contraints de tergiverser sur la conduite à tenir, s’il faut l’éconduire ou bien l’écraser, simple insecte devenu le symbole de notre indisponibilité à l’essentiel. La faculté d’attention est, comme toute chose précieuse, une chose fragile.
Car l’attention est, selon la formule de Malebranche, une « prière naturelle » : la voie sûre mais exigeante que tout homme peut emprunter dans sa recherche de la Vérité. C’est là ce que Simone Weil comprit très tôt. Nous l’avons mentionné dans la note biographique qui ouvre ce recueil : à l’âge de 14 ans, écrasée par le génie de son frère, désespérée de n’y point avoir part, Simone Weil fut saisie par l’idée selon laquelle « n’importe quel être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume de la vérité réservé au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d’attention pour l’atteindre » (AS 769).

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1977, Martin Steffens est professeur agrégé de philosophie. Membre de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil,
il est aussi connu pour son livre à succès Petit traité de la joie (Éd. Salvator).

À PROPOS DE LA COLLECTION

La collection Prier avec, ce sont :

• Des livres sources
– pour passer quinze jours en compagnie d’un maître spirituel à la manière de ces temps de retraite qui ouvrent une brèche dans notre univers quotidien.

• Des livres pratiques
– un rappel biographique en début de volume;
– un itinéraire balisé en introduction;
– une entrée dans la prière répartie sur les quinze chapitres de l’ouvrage;
– pour aller plus loin, une bibliographie expliquée.

• Des livres accessibles
– un ressourcement qui va à l’essentiel pour des chrétiens actifs;
– une information donnée de l’intérieur pour un public plus large.

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COLLECTION PRIER 15 JOURS

Des

livres sources

pour passer quinze jours en compagnie d’un maître spirituel à la manière de ces temps de retraite qui ouvrent une brèche dans notre univers quotidien.

Des

livres pratiques

un rappel biographique en début de volume

un itinéraire balisé en introduction

une entrée dans la prière répartie sur les quinze chapitres de l’ouvrage

pour aller plus loin, une bibliographie expliquée.

Des

livres accessibles

un ressourcement qui va à l’essentiel pour des chrétiens actifs

une information donnée de l’intérieur pour un public plus large.

SIMONE WEIL(1909-1943)

Penser sa vie et vivre sa pensée. Tel serait l’idéal pour un philosophe : que, non seulement, il pense, mais que sa vie reflète sa pensée. Simone Weil a été plus loin que cela : elle a vécu, pleinement, intensément, dangereusement, et sa pensée est la trace qu’une telle aventure a laissée sur des bouts de papiers (cahiers d’écolier ou articles de journaux). Aucun livre publié de son vivant, aucun système philosophique : rien que des actes, des coups de tête, des entêtements, des rencontres, toute chose dont la pensée de Simone Weil est née, dont elle a, comme un sismographe, restitué la vibration.

Ce qui ne veut pas dire que Simone Weil ne fut pas une grande philosophe : les Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale ou L’Enracinement sont des textes éblouissants de rigueur conceptuelle. Il reste qu’ils s’entendent à partir des expériences dont ils tentent de venir à bout : la fréquentation assidue des plus pauvres, le travail à la chaîne, la participation à la guerre d’Espagne, l’expérience d’ouvrière agricole, la maladie, et enfin, discrètement logée au cœur de ces événements : la rencontre de Simone Weil, athée d’origine juive, avec le Christ.

Avant d’entrer dans le détail de ces événements, une question doit être posée : comment se fait-il que cette vie si bien remplie ait accouché d’une pensée si profonde ? Car on peut vivre mille choses et n’en retenir rien. Ou bien vivre tellement de choses qu’on ne dispose plus, pour les penser, d’assez de temps ou d’énergie. Si Simone Weil a su percevoir l’universelle vérité à travers ses expériences particulières, c’est qu’elle était douée d’une extraordinaire qualité d’attention.

Cette qualité d’attention lui a été donnée par le premier événement marquant de sa vie. Simone Weil naît dans une famille bourgeoise de Juifs éclairés, à Paris. Elle a un frère aîné, André, qui se révèle être un véritable génie. En raison de ses dons en mathématiques, on le compare à Blaise Pascal. Simone Weil, de son côté, est prise d’une tristesse insondable : à 14 ans, elle pense à mourir. Non qu’elle fût jalouse de son frère : « Je ne regrettais pas les succès extérieurs, écrit-elle, mais de ne pouvoir espérer aucun accès à ce royaume transcendant où les hommes authentiquement grands sont seuls à entrer et où habite la vérité. J’aimais mieux mourir que de vivre sans elle. »

Le désir de vérité dévore déjà la petite Simone. À son grand désespoir, elle croit la vérité, sans laquelle toute vie est illusoire ou mensongère, réservée aux génies. Quand advient une première lueur, presque une grâce : « Après des mois de ténèbres intérieures, j’ai eu soudain et pour toujours la certitude que n’importe quel être humain, même si ses facultés naturelles sont presque nulles, pénètre dans ce royaume de la vérité réservé au génie, si seulement il désire la vérité et fait perpétuellement un effort d’attention pour l’atteindre. »

L’attention : voilà la méthode qu’elle cherchait et qu’elle ne cessera plus d’appliquer. Voilà le fil directeur de sa vie. Car alors même que tout lui réussit (obtention du baccalauréat, admission à l’École Normale Supérieure), son attention la porte vers ceux à qui nul ne prête attention, parce que leur malheur fait fuir. Dès l’âge de 18 ans, elle organise pour les chômeurs des collectes et donne avec son frère des cours du soir aux ouvriers. Elle va là où son souci de l’homme la mène, sans avoir jamais celui de plaire : lors d’une collecte de fonds pour les chômeurs, à laquelle le directeur adjoint de l’ENS accepte de participer de façon anonyme (il ne veut tout de même pas passer pour un communiste), Simone Weil fait inscrire sur un panneau dans la cour : « Faites comme votre directeur : donnez anonymement pour les chômeurs ».

Son tempérament anarchiste lui vaut d’être nommée, une fois l’agrégation de philosophie obtenue, au Puy. Peu affectée par cet exil loin de la capitale, Simone Weil prend aussitôt contact avec le monde ouvrier et syndical de la région. En 1934, elle pose un congé sans solde pour aller travailler à la chaîne, à Alsthom puis chez Renault. Elle reproche en effet au milieu syndical de connaître mieux la vulgate marxiste que ces hommes que le marxisme prétend libérer. Elle se fait donc proche des travailleurs les plus pauvres, afin de penser non pas pour eux ou à leur place mais avec eux et à partir de ce qu’ils vivent.

La portée de cette expérience d’usine fut plus que politique. Car ce que Simone Weil retient de ces jours passés au milieu de machines qui imposent au corps et à l’esprit une cadence inhumaine, c’est ce qu’elle appelle le malheur. Le malheur, c’est l’impression mortelle de ne compter pour rien, d’être broyée par un mécanisme aveugle, sans attention ni égards pour l’humanité de chaque homme. Or, selon elle, ce mécanisme qui réduit volontiers l’homme à l’état de chose, ce mécanisme qu’elle appelle parfois « le règne de la force », est à l’œuvre partout, bien au-delà du monde de l’usine : c’est lui qui fait que tout homme, quoiqu’il se le cache parfois, se plaît à dominer, à être le centre, à étendre son pouvoir partout où il en est capable.

Ce qu’elle vérifie avec effroi en 1936, quand elle décide de s’engager auprès des anarchistes en résistance contre le franquisme, en Espagne : si la convivialité règne d’abord entre ces hommes unis pour un monde plus juste, le but même de la lutte, c’est-à-dire le mieux-être des plus pauvres, se perd rapidement : « Un abîme séparait les hommes armés de la population désarmée, un abîme tout à fait semblable à celui qui sépare les pauvres et les riches », écrit-elle dans une lettre à Georges Bernanos. Car, remarque Simone Weil, une fois mis en possession de sa pleine puissance, l’homme ne peut pas ne pas en abuser : « Des hommes apparemment courageux au milieu d’un repas plein de camaraderie racontaient avec un bon sourire fraternel combien ils avaient tué de prêtres ou de “fascistes” – terme très large. » Puis elle ajoute : « J’ai eu le sentiment que lorsque les autorités temporelles ou spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue. »

Cette disposition de l’homme à dominer autant qu’il peut dominer, Simone Weil l’appelle, en raison de son universelle attraction, la pesanteur. Rien n’y échappe : ainsi un gaz lâché dans l’atmosphère occupe immédiatement tout l’espace qu’il peut, de la même façon que « les poules se précipitent à coups de bec sur une poule blessée ». Toute force, humaine ou naturelle, individuelle ou collective, tire à chaque instant ses ultimes conséquences. Il faudrait, pour faire exception à cela, ne pas dominer là même où on en a le pouvoir : retenir en soi l’appétit de domination.

Mais, puisque la loi de la pesanteur est universelle, une telle retenue relève du miracle. Simone Weil, en cela lucide, sait lire les effets de la pesanteur dans son propre comportement : lors de ses crises de migraine, de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes, elle ressent le besoin d’infliger sa douleur à autrui. Ce qu’elle analyse comme suit : la douleur crée un vide en celui qui souffre ; celui-ci ne se tient plus en lui-même ; faire du mal, cela revient à « combler [ce] vide en soi en le créant chez autrui » ; c’est étendre son pouvoir sur l’autre pour se soulager de son impuissance. La grâce serait pour elle de supporter le vide créé par la douleur, de renoncer ainsi à la force. Mais, demande Simone Weil, « comment se délivre-t-on de ce qui est comme la pesanteur ? ».

Une partie de la réponse à cette question lui fut donnée lors d’une terrible crise de migraine. Nous sommes en 1938. Avec pour souci celui de ne pas répandre sa douleur hors de soi, en l’occurrence de ne pas souiller le monde de sa plainte et de ses invectives, Simone Weil se met à réciter le poème Love de George Herbert, poème que vient de lui faire découvrir un ami. Elle prête à cette récitation « toute [s] on attention […] en adhérant de toute [s] on âme à la tendresse qu’il enferme ». Elle découvre alors que cette récitation, parce qu’elle est renoncement à la force, consentement au vide, a « la vertu d’une prière » : « C’est au cours d’une de ces récitations que […] le Christ lui-même est descendu et m’a prise. »

De cet événement, elle ne parle à personne, sinon, in extremis, au père Joseph-Marie Perrin et à Joë Bousquet, dans une lettre qu’elle leur adresse avant de partir à New York, avec la certitude qu’elle ne les reverra plus. Simone Weil a ressenti le besoin, dans sa foi, de rester extrêmement pudique. Rien ne lui fait plus horreur que l’adhésion tapageuse à une collectivité, quelle qu’elle soit, Église ou parti. Elle hésite à se faire baptiser, puis décide de se tenir au seuil de l’Église pour préserver le contact gratuit, libre et intime qui la lie à Dieu. Sa foi fut secrète et cependant agissante, comme le levain dans la pâte.

Sa rencontre avec le Christ divise sa vie en deux : elle sait désormais que quelque chose fait exception à la pesanteur, qu’elle nomme la grâce. Mais il ne s’agit que d’une exception, et l’actualité politique de son temps ne fait que confirmer le règne impitoyable de la force : après l’inutile humiliation du Traité de Versailles, l’Allemagne, désormais nazie, prend sa revanche et envahit la France. Simone Weil, de par ses origines, est contrainte de fuir vers le sud. Là, elle se fait ouvrière agricole chez l’écrivain et agriculteur Gustave Thibon. À Marseille, elle écrit pour les Cahiers du Sud de Jean Ballard et, au contact de René Daumal et Lanza del Vasto, se passionne pour la spiritualité hindoue. Elle apprend le sanscrit pour lire la Bhagavad-Gîtâ dans le texte, tout en ne cessant pas de s’engager dans le siècle : à partir d’avril 1941, elle distribue clandestinement, au péril de sa vie, les Cahiers du Témoignage Chrétien, créés pour lutter contre la collaboration au nazisme.

En 1942, ses parents la persuadent de quitter la France. Elle embarque pour New York puis, prise de remords, revient à Londres pour, espère-t-elle, être envoyée en terre occupée par les membres de la France Libre réunis autour du général de Gaulle. En raison de sa trop faible santé, il lui est plutôt confié de travailler sur ce que pourrait être la Constitution de la France, une fois celle-ci libérée. Ce travail, dans lequel elle jette ses dernières forces (Simone Weil est alors atteinte d’une tuberculose et refuse de manger davantage que ne le fait un Français en zone occupée), donnera naissance à son œuvre maîtresse : L’Enracinement. Le sous-titre de ce texte inachevé parle de lui-même : Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain.

Car l’homme, selon Simone Weil, est originairement un être non point de droits, mais de devoirs : reconnaître l’obligation originelle qui le lie à son frère, telle est la destinée proprement humaine. D’avoir cherché la vie où elle était, dans l’aventure humaine et l’attention à l’autre, Simone Weil meurt d’épuisement à Londres, le 24 août 1943. Elle a 34 ans.

NOTRE PARCOURS

La purification de mon idée de Dieu

Nous venons de voir que l’événement crucial de la vie de Simone Weil a été de croire que l’attention seule, pourvu qu’elle soit parfaite, permet un accès sûr à la vérité. Il semble donc cohérent de prendre comme point de départ la prière définie comme attention (premier jour). Or puisque l’attention est vide, attente, disponibilité, accueil de la vérité (et non quête volontariste vers elle), elle se doit de dépouiller son objet de tout ce qu’on projette sur lui, afin de le recevoir « dans sa vérité nue ». C’est là donc la première étape de notre parcours (jour 1 à 3) : le dépouillement de Dieu de ce qui n’est pas lui, dépouillement allant jusqu’à la conception lucide de ce que Simone Weil nomme le malheur (qui est l’appréhension d’un monde sans Dieu, livré au pur mécanisme de la force).