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This book engages critically with some of the major assumptions of prominent Transhumanists such as Nick Bostrom of Oxford University and Stefan Sorgner of John Cabot University at Rome. More broadly, questions concerning the complex relationships between society, technology, and ethics are widely explored. Important thinkers such as St. Augustine, Nietzsche, Bertrand Russell, and C. S. Lewis are enlisted to highlight and support the main arguments presented by the author. The book aims at a general readership interested in the current claims and possible outcomes of the Transhumanist and Posthumanist movement. It strikes a cautionary note about humanity's reliance on emerging technologies, particularly their potential to enhance and, eventually transform, human life span, cognition, and emotion.
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Seitenzahl: 276
Veröffentlichungsjahr: 2022
ibidem Press, Stuttgart
Each new power won by man is a power over man as wellC. S. Lewis
Table of Contents
Foreword/Préface
Introduction: First Thoughts
Chapter One Transhumanism: Renaissance Humanism 2.0?
Chapter Two Transhumanism: Enfant Terrible of the Enlightenment?
Chapter Three Transhumanism: A Romantic Movement?
Chapter Four Nietzsche Transhumanist?
Chapter Five Futurism: The Modern Birth of the Man-Machine
Chapter Six Transhumanism, Eugenics, and the New Man
Chapter Seven Transhumanism, Globality, and the Terrorism of Technology
Chapter Eight Love and Sex in the Age of the Posthuman
Chapter Nine Immortality What is it Good For?
Chapter Ten Posthumanism and The Meaning of Life
Chapter Eleven The Perils and Promise of the Posthuman
Bibliography
Dan Corjescu nous propose à travers l’ouvrage que vous tenez entre vos mains un voyage critique d’une profondeur et d’une justesse remarquables, au cœur de la pensée transhumaniste, de ses précurseurs historiques et de ses débats avec la tradition philosophique, l’histoire des idées et la culture contemporaine. Tout en prenant au sérieux le transhumanisme, que l’on peut (trop) brièvement définir comme un courant de pensée culturel et philosophique qui prône la transformation de l’humain par les moyens de la science et des techniques, Dan dégage les motivations et les idéaux, parfois parmi les plus surprenants, du transhumanisme. Il montre également les risques et les travers auxquels la pensée transhumaniste peut conduire, lorsque la volonté d’améliorer l’humain, d’en transcender la nature présente, ne considère pas toute la profondeur des problèmes et du mystère humain qu’elle affronte.
Je n’envisage pas dans ces quelques lignes de commenter l’épopée philosophique que nous propose Dan Corjescu, laissant au lecteur le plaisir et la surprise de s’engager avec l’auteur dans le voyage inoubliable qu’il lui propose. Je souhaiterais plutôt proposer modestement dans ces quelques pages une brève introduction historiographique au transhumanisme, afin de tracer les contours historiques et sociologiques d’un courant de pensée que Dan Corjescu aborde pour sa part dans ses contenus transversaux, sa généalogie et ses conséquences générales proprement philosophiques.
De ses sources mythologiques et ses filiations renaissantes, en passant par l’affirmation de son appartenance au rationalisme des Lumières, le transhumanisme n’a cessé de se chercher des fondations lointaines dans des références passées. Mais cette recherche est rétrospective : l’histoire du transhumanisme et sa constitution effective comme courant de pensée, qui se définit comme tel, sont plutôt récentes. C’est en effet au cours du 20ème siècle que peut se tracer, depuis son point d’origine, la généalogie d’un corpus d’idées qui n’a cessé depuis de se développer en trouvant ses racines en Europe, son terrain d’épanouissement aux Etats-Unis, et sa diversité des deux côtés de l’Atlantique.
Avant de devenir un mouvement en Californie, le transhumanisme a d’abord été une idée européenne. Une première génération de scientifiques a posé des intuitions fortes dès les années 1920 : on compte les savants britanniques John Burdon Sanderson Haldane, Julian Huxley et John Desmond Bernal, auxquels il faut rajouter Pierre Teilhard de Chardin et Jean Coutrot. Ils s’inscrivent dans une filiation issue des Lumières qui accorde une place importante, mais non exclusive, aux technologies dans le développement de l’homme, de Francis Bacon à Cabanis en passant par Condorcet. Sans doute, pourrait-on aussi placer dans cette filiation l’utopisme technologique européen, avec Saint-Simon pour l’Occident ou Nicolas Fedorov pour la Russie. La conception de l’art, de la technique et du travail dans la culture chrétienne n’est pas non plus étrangère aux prémisses du transhumanisme : en effet, le travail est une valeur importante pour le christianisme, car il permet un arrachement de l’homme à la nature, un dépassement de soi. La technologie n’est au fond qu’une forme plus accomplie de travail qui doit permettre à l’homme, pour les transhumanistes, de s’élever au-delà de sa nature initiale.
Si le transhumanisme est une idée européenne, c’est cependant aux USA que ses conditions d’émergence comme communauté sociale (avec ses militants, ses associations, ses institutions et ses pratiques) et comme courant de pensée spécifique, se concevant explicitement comme tels, vont se constituer dans les dernières décennies du siècle dernier, en particulier dans les année 1990.
L’idée que la technologie puisse accomplir l’humanité est un élément particulièrement constitutif de la culture américaine. Depuis le XIXe siècle, les États-Unis n’ont cessé de nourrir cette conviction, développant un utopisme technologique qui s’est exprimé de différentes façons. Ses racines sont sans doute à la fois religieuses et philosophiques, fusion de l’héritage des Lumières et d’un christianisme protestant enthousiaste à l’idée que l’homme puisse participer par ses techniques au dessein du créateur. À partir du début du XIXe siècle, une vision résolument optimiste de l’homme, de son action et de ses productions techniques anime la religiosité américaine, et ne va cesser de se déployer au cours du siècle suivant. Ce terreau culturel singulier a permis l’efflorescence d’un utopisme technologique au sein de la contre-culture des sixties. Férus des nouveaux courants religieux, comme le New Age qui milite pour une nouvelle alliance de la science et de la conscience, adeptes des techniques de développement personnel, les générations issues de cette époque diffusent dans le tissu social de nouvelles pratiques collaboratives, une euphorie technologique, un nouvel imaginaire cybernétique, tous les ingrédients de la culture cyberpunk....
Dans les années 1970 et 1980, c’est toute une génération d’ingénieurs, notamment dans le domaine de l’électronique et de l’informatique au sein de ce qu’on commence à appeler la Silicon Valley, qui baigne dans cet héritage. Le mouvement transhumaniste est un des fruits de cette ébullition qui invite au dépassement de la condition humaine par la grâce des technologies, et nourrit une conception hype des techniques : avec elles, promet-on, l’humanité entre dans une phase de « vitesse de libération » qui ne peut que l’amener à s’émanciper des limites du corps et de sa finitude, à la fois pour chaque individu et pour toute l’espèce. C’est dans ce contexte, celui de la contre-culture américaine, où baignent cryogénistes, cyber gnostiques et technophiles, que naît le transhumanisme, comme en témoigne la sociologie des membres actifs du réseau extropien, premier groupe transhumaniste initié en 1988 par le jeune Max O’Connor (alias Max More).
Extropy est un mouvement, composé d’une douzaine de jeunes gens fascinés par les perspectives de l’informatique. Profitant de l’arrivée du web, le petit groupe fonde son institut (Extropy Institute) et se dote d’une revue et d’une liste de diffusion qui font son succès, attirant.
Concrètement, Extropy (néologisme formé à partir d’une inversion du concept physique d’entropie) est d’abord un magazine, puis une mailing list, enfin un institut, accueillant des conférences et des orateurs de marque comme le roboticien Hans Moravec, l’ « inventeur des nanotechnologies » Eric Drexler, le chercheur en I.A. Marvin Minsky, les romanciers de SF Greg Bear et Vernor Vinge ou encore l’informaticien Bill Joy. Ces rencontrent attirent des passionnés de cryptographie, d’informatique, de biotechnologie et des membres des associations de cryoni. Ces bouillonnements d’échanges intellectuels permettent à Max More de développer ses idées en un mouvement structuré, l’extropianisme, qu’il présente comme la formulation primitive et la première philosophie du transhumanisme. Il entend donner à son transhumanisme extropianiste une structure idéologique, rédigeant plusieurs versions des « Principes extropiens », multipliant des articles dans le magazine Extropy qui jouent un rôle fondateur pour le mouvement transhumaniste, s’incorporant notamment l’éthique libertarienne d’Ayn Rand, la métaphysique de l’identité personnelle de Parfit, et l’épistémologie rationaliste poppérienne. Avec Extropy, Max More forge un vocabulaire, dessine une vision du monde qui est la marque du transhumanisme (c’est encore et toujours aujourd’hui par rapport aux positions fondatrices des extropiens que les transhumanistes contemporains se définissent par affinité ou prise de distance).
David Pierce et Nick Bostrom, tous deux philosophes oxfordiens d’origine anglaise, font opérer dès 1998, un virage au mouvement extropien avec la création de la World Transhumanist Association (WTA), puis la publication en 2002 de la Déclaration Transhumaniste. Cette évolution interne du transhumanisme s’accompagne, en externe, de son internationalisation et de sa thématisation publique ; le programme gouvernemental américain pour créer une industrie des nano et biotechnologies au début des années 2000 mobilise clairement des thématiques transhumanistes (médecine d’amélioration, édition génétique, etc.), exemple caractéristique du fonctionnement de « l’économie des promesses ». Le fameux rapport NBIC de 2002 de la National Science Foundation, Converging Technologies for Improving Human Performance, en est un illustre exemple. Cette montée en visibilité publique des thématiques transhumanistes fait aussi l’objet d’une polémique croissante qui contribue à la renommée du courant du transhumanisme. C’est notamment en 2004 que sort un article de Francis Fukuyama qui contribuera particulièrement à la médiatisation du transhumanisme, en présentant le courant comme « l’idée la plus dangereuse au monde » (Foreign policy, 2004).
En 2004, Bostrom crée avec James Hughes, sociologue et bioéthicien américain, une deuxième organisation, l'Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET), et son Journal of Transhumanism qu’ils rebaptisent d’une formulation plus académiquement neutre et respectable : le Journal of Evolution and Technology. L’action militante des premières revues transhumanistes comme Extropy est désormais doublée par la promotion d’une pensée plus scientifique et idéologiquement plurielle. A l’institution mondialisée du transhumanisme avec la WTA, suivra rapidement son universitarisation principalement en Angleterre au sein de l’Université d’Oxford. Le Oxford Uehiro Centre for Practial Ethics (OUCPE) et le Future of Humanity Institute (FHI), fondés respectivement en 2002 et 2005, vont constituer deux foyers actifs de la pensée transhumaniste académique. Leurs figures centrales sont Nick Bostrom et Anders Sandberg pour le FHI, et Julian Savulescu et Ingmar Persson pour le OUCPE. A la suite de ces développements, le mouvement transhumaniste californien, extropien et militant de la première heure disparaît définitivement en 2006, considérant avoir atteint ses objectifs.
En ces premières décennies du XXIe siècle, le courant transhumaniste s’est peu à peu internationalisé, se ramifiant sous la forme d’un réseau d’associations locales, autonomes les unes des autres mais plus ou moins fédérées dans Humanity+ (nouveau nom depuis 2008 de la WTA). Humanity+ revendique environ 4000 membres au début de l’année 2020. Ces associations se trouvent aux USA, en France, en Italie, en Espagne, dans des pays scandinaves, en Russie et aussi de plus en plus en Europe centrale. Elles sont de différentes sensibilités, plus ou moins libérales. A côté de ce réseau associatif de tendance essentiellement militante, plusieurs centres de recherche en IA ou en bioéthique d’inspiration utilitariste au sein du monde anglo-saxon, se sont aussi peu à peu développés depuis la fin du siècle dernier, notamment au sein des universités californiennes (Berkeley, Stanford) et oxfordienne (GB). Parmi ceux-ci, le Future of Humanity Institute (FHI) et l’Oxford Uehiro Centre for Practial Ethics (OUCPE) exercent une influence importante sur l’évolution des idées transhumanistes, notamment en promouvant la recherche sur l’intelligence artificielle, la prudence éthique (prise en compte des « risques existentiels ») face aux technologies de rupture, ou en prenant rationnellement position en faveur d’une augmentation génétique « contrôlée » des capacités physiques, cognitives et morale des humains. Pour des motifs notamment politiques, ces centres de recherche et leurs universitaires ne prennent que rarement des positions explicites en faveur du transhumanisme (le terme faisant plus référence à une posture militante que scientifique dans les milieux universitaires), et ne se mêlent pas – à quelques exceptions près – aux manifestations militantes des associations transhumanistes. Mais ils alimentent les polémiques scientifiques et normatives qui en poursuivent aujourd’hui l’histoire.
A ces deux pôles militants et académiques du transhumanisme contemporain, il faut encore souligner la vitalité des secteurs et acteurs financiers et économico-industriels de la Silicon Valley portés par un solutionnisme technologique hérité de la contre-culture et du techno-utopisme américains. Toutefois, les acteurs de la Silicon Valley séduits par la philosophie extropianiste et l’évolution de la pensée transhumaniste d’obédience libertarienne tels Sergey Brin et Larry Page (cofondateurs de Google), Peter Thiel (cofondateur de PayPal) ou Elon Musk (CEO de Tesla, SpaceX, Neuralink…), n’entretiennent pas de liens directs avec la base militante, plutôt économiquement modeste des milieux associatifs transhumanistes. Des liens existent avec les pôles académiques de la réflexion sur le transhumanisme, mais ils restent ténus tant relationnellement que financièrement, et limités à des apparitions publiques lors de talk-shows. Les entrepreneurs de la Silicon Valley entendent, à l’instar des académiques, soigner une réputations sociale que le transhumanisme pourrait ternir aux yeux du grand public.
Les sources du transhumanisme apparaissent ainsi à la fois séculaires, puisant aux aspirations les plus archaïques de l’humanité (quête d’immortalité), et propres aux conditions spécifiques de l’environnement culturel, techno-scientifique, socio-économique et idéologique de la seconde moitié du 20ème siècle.
En raison de la diversité de ses sources, de son histoire et de la pluralité des acteurs qui le composent, le transhumanisme se présente davantage à l'analyse sous la forme d'une constellation de positions, de postures et d'intentions diverses, que sous les traits d'un bloc idéologique unifié et monolithique.
Sans entrer dans les détails, nous pouvons indiquer quelques distinctions utiles entre :
1) Un transhumanisme identitaire et militant d'associations, réseaux, instituts et mouvements transhumanistes (par exemple Humanité+ ou, en France, l'AFT Technoprog). Le transhumanisme est ouvertement proclamé et assumé par ses partisans qui se réclament explicitement du transhumanisme ;
2) Un transhumanisme plus fondateur et théorisé, que l'on retrouve notamment chez des auteurs comme Max More (en particulier ses premiers travaux), Nick Bostrom, David Pearce, Anders Sandberg, Ingmar Persson, Ben Goertzel, Julian Savulescu, James Hughes, etc. Les théories transhumanistes de ces auteurs ont été ou sont encore développées dans des centres de recherche universitaires tels que le Centre for the Study of the Future of Humanity (l'Institut du Futur de l'Humanité) ou le Centre Uehiro d'éthique pratique de l'Université d'Oxford, ou le Centre for the Study of Existential Risk, ou le Centre Leverhulme pour le futur de l'intelligence de l'Université de Cambridge.
Ces deux premières formes de transhumanisme, sociologiquement identitaire et militant, ou plus fondationnel, se subdivisent eux-mêmes en courant de pensée transhumanistes extrêmement variés, parfois à cheval entre militantisme et académisme. Plus qu’un système cohérent, ils forment une nébuleuse transhumaniste qui se caractérise néanmoins par une normativité partagée : les nombreux mouvements constitutifs de cette nébuleuse partagent la conviction que la meilleure voie qui s’offre à l’humanité pour évoluer, tant au plan individuel que collectif, est de se dépasser, de s’auto-transformer consciemment par les moyens des sciences et des techniques. Sans contraindre les libertés individuelles (les transhumanistes sont pour la plupart très attachés au respect de l’autonomie individuelle), tout devrait donc être facilité en société pour permettre toute pratique d’expérimentation sur soi, en vue de transformer ses capacités, son substrat biologique, son identité, tout en se dotant collectivement des ressources nécessaires pour prévenir autant que possible les risques auxquels une telle permissivité pourrait exposer.
A côté de cette nébuleuse transhumaniste normativiste et porteuse d’un idéal de transformation indéfinie de soi, il est encore utile de distinguer :
3) Un transhumanisme socioculturel plus « tacite » ; ce transhumanisme-là est un transhumanisme qui ne se revendique pas, qui ne se pense pas en tant que tel, mais qui se fait sans se dire, qui s’inculture dans des pratiques et des projets scientifiques, et auquel de nombreux acteurs contribuent sans le reconnaître ou sans vouloir le reconnaître, parfois à leur corps défendant ou sans le savoir. Nous nous trouvons ici sur une ligne de frontière particulièrement poreuse et ambigüe entre l’idéal scientifique moderne, qui vise depuis toujours la connaissance de la nature et sa maîtrise, de façon à rendre toujours meilleure la vie humaine (en termes d’espérance de vie, de qualité de vie, etc.), et l’aspiration transhumaniste clamée en faveur de l’amélioration de l’humain par les technosciences.
4) A proximité de ce transhumanisme « pratique », on peut encore distinguer les nombreux tenants d’un transhumanisme « ontologique », qui considère que nous sommes déjà toutes et tous d’emblée « transhumains ». Le désir profond qui nous habite depuis le fond des âges de progresser, de nous améliorer, de transcender les limites de nos conditions et d’accroître notre qualité de vie, en serait un signe indéniable ; il en irait de même des relations de l’homme et de la technique qui montreraient que nous avons toujours été des cyborgs « par nature », puisque nous n’aurions jamais cessé de nous façonner nous-mêmes, longtemps inconsciemment d’ailleurs, en produisant des outils qui, en retour, nous produisent eux aussi, bref des techniques, des milieux d’artifices et des cultures qui, qu’on le veuille ou non, impactent depuis toujours notre morphogenèse au cours de l’évolution.
5) On peut encore distinguer un transhumanisme « posthumaniste », appelé « métahumanisme », comme le fait le philosophe Stefan Sorgner, à l’origine de ce néologisme. Les métahumanistes (qui ne représentent qu’une petite communauté au sein de la nébuleuse des mouvements transhumanistes) ne se reconnaissent pas tout à fait dans le transhumanisme aux sens précédemment entendus. Davantage équipés d’un background issu des sciences humaines et sociales, plus que des sciences de l’ingénieur, de l’informatique ou des sciences du vivant, ils considèrent que les progrès technoscientifiques et les effets de la convergence NBIC de ces dernières décennies, vont de pair avec un changement civilisationnel et culturel majeur en train de se produire, et qui exige que l’humanité recoure à de nouvelles clés de compréhension de son identité et de sa destinée dans la nature. Les possibilités de transformation technoscientifique de l’humain dans son environnement contemporain sont si radicalement nouvelles, qu’elles nous font d’ores et déjà sortir du paradigme de l’humanisme classique au sein duquel nous nous serions jusqu’ici compris et définis en tant qu’êtres humains. Pour les métahumanistes, une transformation profonde de l’humain est engagée, et celle-ci est à la fois technique, langagière, symbolique et culturelle.
Bien qu’en en faisant partie d’une certaine façon, nous pouvons distinguer ces formes de transhumanismes-là, socioculturel ou pragmatique, ontologique ou métahumaniste, des formes de transhumanismes plus militants ou fondationnels que nous avons évoquées précédemment. Les premières apparaissent à première vue moins normatives que les secondes, plus descriptives d’états de fait et de constats anthropologiques qui conduisent à penser que le transhumanisme fait partie, qu’on le veuille ou non, d’un destin qui, au fond, n’aurait nul besoin de militantisme et de luttes sociales pour se réaliser.
6) Enfin, mais sans prétention à l’exhaustivité, on peut encore mentionner aux marges de ces différences d’approche et d’expression normativistes et/ou descriptivistes des courants transhumanistes, des récits transhumanistes d’un troisième type, plus externalistes, tantôt « épouvantail », tantôt « marketing », que dépeignent et simplifient à outrance leurs narrateurs. Ces derniers, pour la plupart du temps, ne sont pas transhumanistes mais font plutôt partie des critiques du transhumanisme ou de ses exploitants externes. Les uns produisent de tels récits à des fins de stratégie commerciale pour les intérêts de leur business, les autres pour se construire un adversaire qui aura toutes les qualités de l’épouvantail en plein soleil de midi, aussitôt construit aussitôt incendié pour les besoins d’une bonne cause (cependant, ladite cause n’est en général guère honorée par le recours à ce type de stratégie – à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire).
30 ans après la création de l’Extropy Institute, quel paysage le transhumanisme présente-t-il? Comme toute son histoire, il est hétéroclite, fait à la fois d’acteurs installés (industriels, chercheurs académiques) et d’amateurs (militants, chercheurs marginaux). Le réseau des militants semble stagner : les associations ne voient plus leur nombre grandir, leur activité dans le débat public est plus réduite et se renouvelle peu. Est-ce parce que les principales thématiques qu’ils défendaient comme l’enhancement, l’immortalisme, l’idée d’une convergence entre informatique et biologique, la colonisation spatiale sont bien acclimatées dans le débat public et académique? Persiste aussi l’engagement d’acteurs industriels, souvent issus de la bulle internet des années 1990 (Google, Amazon, Space-X, etc.), dans des projets originairement rattachés plus ou moins explicitement au transhumanisme, beaucoup moins aujourd’hui, mais dont la publicité demeure importante même si les domaines changent au gré de l’actualité (biotechnologie, intelligence artificielle, colonisation spatiale).
Dans la dernière décennie, l’Association transhumaniste mondiale, Humanity+, a traversé plusieurs crises et dissensions internes, qui ont affaibli sa structure et son organisation. Quant aux nombreuses associations et institutions nées de l’enthousiasme et des idéaux des transhumanistes de la première heure, elles semblent avoir atteint, tant aux Etats-Unis qu’en Europe, leur pic de croissance et se maintiennent sur un plateau. La plupart entretiennent leurs adhérents, s’affaiblissent ou disparaissent, d’autres se refusent désormais à exposer un credo explicitement transhumaniste, préférant avancer désormais sur mode masqué. Tel est par exemple le cas du Future of Humanity Institute à Oxford University et de son médiatique directeur, Nick Bostrom, du Oxford Uehiro Centre for Practial Ethics, de la Sens Research Foundation, d’Alcor, de la Turing Church Community, d’Io9, du Foresight Institute, du Machine Intelligence ResearchInstitute (de son ancien nom, le Singularity Institute for Artificial Intelligence), etc. Néanmoins, la mission du transhumanisme comme mouvement social, associatif et institutionnel, a porté ses fruits. En effet, le transhumanisme est aujourd’hui devenu un courant culturel et philosophique de portée internationale, non seulement social mais aussi académique. Faisant désormais l’objet de recherches et de publications abondantes, il n’est plus ignoré dans les débats de société, par les questions, souvent dérangeantes, qu’il pose, et les enjeux éthiques qu’il soulève.
Tout au long de son ouvrage, Dan Corjescu aborde nombreuses de ces questions avec une vigueur intellectuelle et une clarté remarquables, prenant position et partageant, nombreux arguments à l’appui, son avis en s’appuyant sur les grands auteurs de la tradition philosophique, ainsi que sur bon nombre d’auteurs, scientifiques et philosophes qui prennent ces questions à bras-le-corps pour tenter d’y répondre : dans un monde de plus en plus technologisé et connecté comme le nôtre, sommes-nous destinés à fusionner, dans un futur plus ou moins proche, avec nos créations techniques? Rester humain nous demandera-t-il de devenir « transhumain »? Nos inventions techniques vont-elles nous remplacer? Une post-humanité est-elle possible, ou relève-t-elle du fantasme? L’avenir de l’humanité passe-t-il par la conquête spatiale, par le contrôle par l’homme de sa propre évolution, ou par des changements socioculturels et politiques majeurs? A quoi tenons-nous que nous ne voudrions perdre dans les transformations anthropologiques auxquelles nous exposent nos technologies? Quel est le sens de la finitude, de la vulnérabilité, de l’effort, des obstacles et de la souffrance dans ce qui fait de nous des êtres capables de technique, de créativité, de perfectibilité et de transcendance? Qu’est-ce qui, au fond, constitue le noyau dur de notre humanité?
Catalyseur de réflexions tantôt optimistes sur les technologies (existential hopes), parfois catastrophistes (existential risks), générateurs de grandes questions ouvertes (big questions), le transhumanisme donne aujourd’hui indéniablement sens, de façon underground (soit en mobilisant l’imaginaire, soit en « se faisant » sans « se dire ») à des activités technoscientifiques et industrielles qui mobilisent d’importants capitaux, et fascinent les imaginaires (la conquête de l’espace, la cryogénie, la lutte contre le vieillissement,...). Il constitue de ce point vue un horizon d’attentes au sens quasi-kantien du terme.
En concurrençant, ou en s’articulant avec le rôle qu’ont tenu classiquement, à l’égard de la science, certaines aspirations religieuses ou humanistes mobilisatrices pour la science (la recherche de la compréhension de l’harmonie de la Création, du dessein divin, ou la quête d’une maîtrise accrue de l’homme sur la nature, etc.), les idées transhumanistes jouent en effet aujourd’hui un rôle d’idéal régulateur et de mobile motivationnel majeur pour de nombreuses recherches technoscientifiques. Si, par exemple, l'idée d'une intelligence générale, ou de la singularité, n'est pas jugée scientifiquement crédible par ceux qui font de l'intelligence artificielle, elle constitue pour certains d'entre eux comme une utopie porteuse de sens, un point omega qui sera toujours repoussé mais dont la contemplation devient essentielle pour nourrir un projet de recherche. L’idéal de l'homme augmenté, libéré de ses vulnérabilités aux maladies et aux défaillances organiques, joue lui aussi un rôle équivalent dans le secteur des biotechnologies, quand bien même rares y sont les acteurs qui s’y diraient transhumanistes. Preuve, s’il en est, de la réussite de l’opération : le transhumanisme, comme forme d’idéal régulateur tacite (underground), déborde bien, désormais, et largement, ses limites institutionnelles et idéologiques historiquement constituées.
Comme courant de pensée philosophique et culturel, les imaginaires technologiques que véhicule le transhumanisme, l’horizon d’attentes qu’il nourrit et les interrogations ouvertes qu’il pose, en font ainsi aujourd’hui une des coordonnées inévitables du vaste champ des réflexions contemporaines et à venir sur les futurs possibles de l’humain. Plus que par ses spéculations ou les projets qu’il inspire, le transhumanisme impacte par ses provocations qui sont autant d’interpellations, en particulier pour l’humanisme, à se développer sans cesse dans un dialogue critique avec son temps. Le transhumanisme apparaît de ce point de vue comme une opportunité à saisir pour un humanisme renouvelé, qui ne pourra rester vivant, attractif et créatif qu’en mettant à jour les limites et les problèmes du transhumanisme, et en formulant de solides propositions concurrentes des idées transhumanistes qui foisonnent aujourd’hui dans notre culture occidentale contemporaine.
C’est précisément à cette double entreprise essentielle que s’emploie Dan dans ce livre: présenter, analyser et déconstruire d’une part les tentations idéalistes que constituent les propositions transhumanistes, proposer d’autre part une revisitation en profondeur de ce qui fait que la vie humaine, dans sa finitude, sa vulnérabilité et ses limites, vaut infiniment la peine d’être vécue et aimée pour ce qu’elle est, à savoir : la condition de possibilité transcendantale, et donc indépassable, du transhumanisme lui-même. « We are a dialectical race », écrit avec justesse Dan. « We need imperfection to grow. We need tragedy to see farther. We need evil to make us stronger and more noble […] perhaps that is the whole point of the matter. That through the harsh discipline of death, decay, and personal oblivion we reach into ourselves to create both a life and works that defy all these. Within the lathe of painful mortality is born beauty, grace, and nobility; the beauty of a Raphael Madonna, the grace of a Michaelangelo statue, the nobility of Galileo's "Eppur si muove" ».
Dans un langage limpide, agréable et accessible, ce livre dont Dan nous fait le cadeau n’est pas un récit d’érudition historique sur le transhumanisme ; il ne s’agit pas non plus d’une présentation exhaustive de ce courant de pensée, ni d’une analyse sociologique des communautés transhumanistes. Il s’agit plutôt et plus profondément, d’une enquête philosophique passionnante sur les idéaux transhumanistes, leurs racines anthropologiques et culturelles, et ce qu’ils nous révèlent en miroir de notre humanité réelle, cette humanité non fantasmée qui est la condition de possibilité indépassable de tous les fantasmes et de tous les possibles de la culture humaine.
David Doat.
M’insegnavate come l’uom s’etterna
—Dante
The human species can, if it wishes, transcend itself—not just sporadically, anindividual here in one way, an individual there in another way, but in its entirety,as humanity. We need a name for this belief. Perhaps transhumanism will serve:man remaining man, but transcending himself, by realizing new possibilities ofand for his human nature.
—Julian Huxley
Transhumanism is profoundly teleological. It seeks as its end goal the arrival or creation of the Posthuman. Because of this, Transhumanism can be seen as an intermediary stage of humanity which concerns itself with somatic, neurological and even the spiritual/moral enhancement of human beings as they currently are now. However, over time, Transhumanists suppose that either through a process of the gradual accumulation of enhancements and their synergistic effects or through a significant technological-ontological break (such as “mind-uploading”) with the human past, a qualitatively new type of human being will arise. This future human is as distant and as vague an image to the Transhumanist as Communism was to Marx since it primarily serves as a hopeful idea/ideal and not a currently realizable condition. It is in this sense that all Transhumanists are also Futurists. Their eyes, hearts, and minds are firmly fixed on the coming of the New Man. It is as often as not a hyper-optimistic vision, a kind of technological Evangelium.
Indeed some scholarly commentators have described the Transhumanist movement as a modern (Postmodern?) Christian heresy similar in narrative structure to the Greek Orthodox theologian Nikolai Fedorovich Fedorov's (1829-1903) notion of the ultimate end of salvation as deification (theosis) – “a radical transfiguration of the whole person, body and soul, and the whole cosmos”. (Sorgner 2014) As we shall see, such ideas find their truest contemporary echoes in the work of Ray Kurzweil and Vernor Vinge especially in their shared concept of the “Singularity”. The key idea which these three thinkers have in common is the elevation of humanity to a God-like status.
A traditional fundamental attribute of the Gods or God is immortality. It is a state of being to which many, if not all, Transhumanists aspire. Thus, the vast majority of Transhumanists are “immortality optimists” and do not foresee any intrinsically or extrinsically bad outcomes should humanity achieve a significantly longer life-span than is possible at the present time. Of course, as the philosopher John Martin Fischer has pointed out, not all possible states of immortality are equal. It is one thing to be completely immortal in the sense of indestructible. It is quite another thing to be medically immortal which while precluding death by natural causes, such as aging, would by no means exclude the many possibilities for a violent or accidental death whether willed or unwilled. Accordingly, it is this latter type of immortality which is almost always being referred to in this book.
Yet despite the religious tone of some of their more controversial ambitions, such as the achievement of immortality, the majority of Transhumanists claim to have a materialist, naturalist view of life and eschew traditional religious concepts and practices. Their project, according to them, is exclusively based on science and the scientific method leaving no space for the supernatural or mystical. Yet, as we have already mentioned, some Transhumanists' aims reach epic heights of the fantastic, cosmic, even the eschatological (the self-liquidating nature of current human ontology through technology for instance). One commentator has claimed that Transhumanism serves to “re-enchant” the secular, thus helping to explain both its popular attraction and intellectual contradictions between form (religious/mystical) and content (technological/scientific). (Tirosh-Samuelson 2012)
But is this a sort of special case of the “lady doth protest too much, methinks”? Because for all of their insistence upon the scientific/materialist credentials of their project does not the whole of it misstep on a fundamental philosophic premise? For the Transhumanist discourse is primarily based not on the actual state of the science of today, but on the emerging possibilities of the science of tomorrow. This is another way of saying that the whole of the Transhumanist enterprise is based on the primeval desire of hope, as were all religions and ideologies of the past. It is upon the hopes for an elixir to life, for a return to paradise, for the philosopher's stone that this movement is psychologically based. As of yet, there is not much evidence or event that any of these desires can or will ever be met. However, perhaps to their credit, the promoters of Transhumanism fervently believe that we now possess the knowledge, techniques, and philosophic mind set to succeed in fact where previous ages had remained hopelessly stuck in fiction.
Thus, unlike religions but formally similar to some ideologies of the recent past in particular Communism and Nazism, Transhumanism's main premise is that it is, in principle, a realizable scientific program of human transcendence. In this sense, Transhumanism can be seen as the discursivetechnologicalhypertrophization in the late 20th and early 21st century of the optimistic faith of the Enlightenment in man's ability to better himself and his world. Yet, we ask, to what extent are these Transhumanist premises and its transcendental vision realizable and/or desirable? This book will seek to help germinate important liminal questions and perhaps even illuminate some possible future paths to what is hoped will be the outlines of a preliminary yet satisfactory answer.
Of all things the measure is man, of the things that are, that [or “how”]they are, and of things that are not, that [or “how”] they are not.
—Protagoras
Human knowledge and human power meet in one; for where the cause is not known the effect cannot be produced. Nature to be commanded must be obeyed.
—Francis Bacon
The world to Bacon does not only oweIts present knowledge, but its future too.
—John Dryden
O Jahrhundert, O Wissenschaften! Es ist eine Lust zu leben!
—Ulrich von Hutten
It was his beauty that had ruined him, his beauty and the youth that he had prayed for.
—From Oscar Wilde's Dorian Gray
Man is the future of Man
—Francis Ponge
The world that Francis Bacon was born into and lived all his life in and its implications for the development of his thought has been masterfully described thus: