Radio God - Félix . - E-Book

Radio God E-Book

Felix

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Beschreibung

Une nuit. Une ville. Un taxi. Le 25 décembre, un chauffeur sillonne les rues désertes, embarquant des passagers cabossés par la vie. Dieu lui parle parfois. Par la radio. Radio God est un roman noir, cynique et spirituel. Une errance urbaine où chaque course révèle une vérité sombre.

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Seitenzahl: 88

Veröffentlichungsjahr: 2025

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kata ton daimona eaytoy (fidèle à son propre démon)

Sommaire

PROLOGUE

UN

DEUX

TROIS

QUATRE

CINQ

SIX

SEPT

HUIT

NEUF

DIX

ONZE

DOUZE

TREIZE

QUATORZE

QUINZE

SEIZE

DIX-SEPT

DIX-HUIT

DIX-NEUF

VINGT

VINGT ET UN

VINGT-DEUX

ÉPILOGUE

PROLOGUE

« Vous êtes bien sur votre radio préférée, la bande FM numéro un chez les moins de 20 ans… »

(Changement de fréquence)

“Video killed the radio star, video killed the radio...”

(Changement de fréquence)

« Tu veux des nuggets croustillants ?

T’en veux VRAIMENT ??? »

(Changement de fréquence)

« Savoure l’instant avec Coca-Cola…»

(Changement de fréquence)

« …ce n’est pas une théorie complotiste. Juste une autre manière de lire l’Histoire… »

(Changement de fréquence)

“Last Christmas, I gave you my heart but the very next day, you gave it away…”

(Changement de fréquence)

« Seigneur, pourquoi rejettes-tu mon âme ? Pourquoi me caches-tu ta face ?

Je suis misérable et mourant depuis ma jeunesse, accablé par tes terreurs, et désespéré. (Psaume 88:14-15) »

(Grésillement)

(Changement de fréquence)

(Nouveau grésillement)

« Nous venons d’écouter les deux maîtres fantasques, Duke Ellington et John Coltrane, avec “In a sentimental mood”… »

(Interférence courte)

(Changement de fréquence)

« …malheureusement. Côté météo : la nuit sera bien froide. On passe sous zéro. Restez bien couverts. Joyeux Noël à tous et surtout n’oubliez pas de… »

(Changement de fréquence)

« …et bien d’autres burgers encore à prix imbattables. Alors, n’attendez plus… »

(Changement de fréquence)

(Son d’un opéra)

(Changement de fréquence)

« …déplore un accident entre une voiture et une moto au nord de la ville, pas de blessés mais une route partiellement fermée… »

(Interférence courte)

(Bruit blanc)

Foutue radio!

À force de zapper, je finis par tout entendre et ne plus rien écouter.

Choisir la bonne station FM, c’est sans doute la partie la plus difficile de ce job.

Je ne veux pas de bla-bla.

Je veux de la musique.

Avec les années, rares sont les fréquences qui arrivent encore à me surprendre.

Je suis devenu un juke-box humain, capable de reconnaître le titre et l’artiste en un quart de seconde.

Un talent inutile, je le sais bien.

Suis-je, pour autant, un génie mélomane ?

Je ne crois pas.

C’est juste le poids du temps.

Des nuits blanches entières à écouter, réécouter, en boucle.

Cela finit forcément par s’imprégner en moi.

Rouler la nuit, surtout après minuit, a au moins cet avantage :

moins de pubs, moins d’animateurs hystériques, et des infos qui changent à peine d’une heure à l’autre.

Mes doigts continuent de tourner le bouton de l’autoradio.

Je cherche la musique qui saisit l’état d’âme. L’instant !

J’aime secrètement fantasmer sur une fréquence transmise directement par Dieu.

Comme si Lui était l’animateur.

Un DJ muet, qui ne parle qu’à travers les morceaux qu’il diffuse.

Une musique qui ne serait plus seulement du son.

Mais un message transmis par une onde céleste. Rien que cela.

Mes doigts tournent encore sur le bouton trop usé de la radio.

Mais où te caches-Tu donc, Dieu de la FM ?

(Nouvelle fréquence)

“She’s crazy like a fool, wild about Daddy Cool…”

Bien essayé, mais je vois mal le Père Créateur être cool…

Je décide de fermer les yeux et de me laisser porter par la grâce…

(Changement de fréquence)

(Nouveau bruit blanc)

« …et maintenant chers auditeurs, ouvrez bien grands vos oreilles, on écoute Iggy Pop et les Stooges :

“Down on the street” ».

Voilà, je lâche le bouton.

La voici, la station de ma nuit.

J’ai enfin capté Dieu, ou l’inverse.

Peu importe.

C’était le signal divin que j’attendais.

UN

On dit que, lorsque la mort nous frôle, notre vie défile devant nos yeux incrédules.

Un film accéléré.

On reste figé, spectateur impuissant de ce métrage soudain trop court.

Trop tard pour changer la fin : le générique est déjà en route, et l’on s’aperçoit que le casting était bien rempli.

Certains noms ne nous disent plus rien : figurant 1, figurant 2, figurant 3…

D’autres, au contraire, nous serrent le cœur une dernière fois : les parents, les amis, les amours.

On oublie vite les techniciens, ceux qui nous ont pourtant permis d’utiliser les inventions d’hommes plus ambitieux qu’un simple chauffeur de taxi.

Et on découvre, sans surprise, que toutes les cascades étaient faites maison.

Aucune doublure pour encaisser les coups.

Suis-je Tom Cruise ?

Non. Je lui préfère Belmondo.

Une vraie gueule, et pas un rond pour assurer les scènes les plus risquées.

Aucun effet spécial, aucun fond vert.

Travelling avant. Action.

Une seule prise. Jamais de rattrapage.

Et surtout, ne pas s’attendre à une ovation. Pas d’entracte.

La seule récompense : prolonger un peu le scénario.

Un scénario inclassable : comédie, drame, romance, action, horreur…

Mais avec du recul, c’était surtout une comédie dramatique.

Le genre où l’on rit nerveusement pendant que tout s’effondre.

Faut-il vraiment frôler la mort pour comprendre que notre solitude n’en est pas une ?

Tous ces noms qui défilent… Ne sontils pas la preuve de ce que j’ai toujours minimisé ?

On n’est pas seuls.

On choisit juste de couper des scènes au montage.

Par fatigue. Par orgueil. Les deux.

J’ai pensé à tout ça à l’arrêt, devant un arbre fendu par la foudre, couché en travers de la route.

Un arbre massif. Aucune idée de son espèce — je ne suis pas garde forestier.

Et ce serait me mentir que de me croire pilote d’exception, doté de réflexes surhumains.

Que dalle.

Je n’ai pas évité cet arbre.

Je ne me suis pas sauvé la vie.

La vérité est ailleurs.

Dans un hasard qui m’échappe encore.

L’air sentait le bois brûlé. Mon souffle peinait à se calmer.

Premier réflexe idiot : une clope.

Je fouille le paquet de Marlboro, j’en chope une à l’aveugle.

Elle est à l’envers sur ma bouche.

J’éclate de rire. Un rire prétentieux.

Celui d’un type qui devrait être mort.

Alors je me tais.

Je remets la clope à l’endroit, je l’allume enfin.

Ma première taffe a le goût d’un condamné à mort.

Mais pour moi, c’est plutôt la première du reste de ma vie.

Je reste immobile.

Le générique est terminé depuis longtemps.

Le bruit du moteur ressemble au ronron d’un projecteur qui tourne à vide.

Mes phares projettent encore. Mais plus rien ne bouge.

Le tronc me fixe.

Ou c’est moi qui le fixe.

Je passe la marche arrière.

Je vois ma mort s’éloigner.

Elle reste là, couchée sur le bitume.

C’est décidé : je ne repasserai jamais dans cette rue.

Ma vie s’arrête ici.

À cet arbre foudroyé.

J’ignore encore la date de ma mort, ni comment elle viendra.

Mais maintenant je connais un endroit interdit.

Et c’est cette rue.

Je fais demi-tour.

Et je repars vers le passé.

Là où il me reste du temps à vivre.

Là où les arbres ne sont que du décor.

Une légèreté s’invite.

Je la laisse entrer.

Elle m’enveloppe d’une chaleur inconnue.

On m’a laissé la vie. À moi d’en faire quelque chose.

Habité par cet élan soudain de gratitude, je décide de me diriger vers un lieu symbolique.

Peut-être y trouverais-je le premier client de cette nuit à l’allure miraculeuse.

DEUX

Il pleut. Comme il faut.

Pas une averse tragique qui inspire des chansons, non.

Juste une pluie de fin de journée, lassée d’elle-même. Grise. Froide. Résignée.

Le contrecoup de l’arbre fendu a dû traumatiser les essuie-glaces : ils couinent à chaque passage.

Des essuie-glaces glacés par la peur, me suis-je dit en riant tout bas.

Les vitres et le chauffage, eux, ont repris leur vieux combat.

La buée va et vient.

J’ai arrêté d’essayer de régler ça depuis longtemps.

Posté devant l’église, j’attends le premier client de la nuit.

Pile à minuit, un type sort.

Le son des cloches retentit.

Il s’avance vers moi. Long manteau noir, grosse barbe.

Une gueule entre l’apôtre défroqué et le prof de philo qui sent le bourbon bas de gamme.

Il prend place à l’arrière, sans dire bonsoir, et lâche d’un ton exaspéré :

— Roulez.

On aurait dit un vieux polar mal doublé.

Je l’ai regardé dans le rétro.

— Vous voulez qu’on aille où, exactement ?

Il a souri. Tristement.

— Eh bien, puisque nous sommes déjà en enfer, emmenez-moi vers le paradis !

— Ça risque d’être une course coûteuse, dans ce cas…

Après tout, moi aussi je peux être cinématographique.

Je démarre la voiture. Puis le taximètre.

Toujours dans cet ordre. Ça me rend plus sympathique, je crois.

Ma nuit peut commencer.

La pluie accentuait les lampadaires.

Tout brillait sans conviction.

Non.

Tout brillait avec lassitude.

C’est important, la précision, avec la lumière.

On a roulé une dizaine de kilomètres. Bercés par la ville, le moteur, le couinement des essuie-glaces et nos respirations désaccordées.

— La messe était bonne ? fis-je.

Il a soufflé du nez. Puis un rire qui n’en était pas un.

— Un chef-d’œuvre d’absurde. Du grotesque.

Pause. Puis :

— C’est censé être l’anniversaire du Christ, non ? Pas un ballon. Pas une bougie. Pas un gâteau. Même pas un chapeau pointu. Rien. Franchement, l’organisateur aurait pu s’efforcer…

Il laissa passer un silence. Puis reprit, presque pour lui-même :

— T’imagines ça ? Ton anniv’, t’as pas choisi tes invités. Ta seule playlist, c’est un chœur claqué qui entonne des « Loué soit le Seigneur… ».

Pas sûr qu’IL soit si loué que ça, face à des fidèles venus uniquement par culpabilité. Ou par peur.

Je lui ai offert une grimace neutre, accompagnée d’un sourire discret.

Mon masque préféré. Je l’appelle mon combo gagnant.

Je l’ai surpris à dessiner sur la vitre embuée. Puis j’ai crevé l’abcès :

— Du coup, vous, vous ne LUI avez rien demandé ?

— À qui ?

— Au Christ.

— Bien sûr que si, répondit-il, sérieux et malicieux à la fois. Mais il m’a ordonné de quitter les lieux immédiatement !

Je souris franchement, cette fois.

Silence.

On roulait dans une ville sans visage.

Que des reflets. Des ombres. Des feux rouges mouillés.

Même les chiens errants semblaient absents.

Il a croisé mes yeux dans le rétro.

— T’es croyant, toi ?

J’ai esquivé avec mon combo gagnant.

Lui a souri sincèrement. Preuve que ma méthode fonctionne.

Il s’est redressé sur la banquette.

— Moi, ma foi… c’est un job.

— Un job ?

— Oui. Toi, par exemple. Ton taxi, c’est ton boulot. Tu roules, tu prends des clients, tu les déposes, t’encaisses, et tu recommences.

— C’est bien résumé, oui.

— Voilà. Tu ne le fais pas par plaisir. Mais pour survivre. Et ma foi, c’est pareil. Je ne l’ai pas par choix. Par nécessité de…

— Survivre ? complétai-je.

— Ouais. Sinon, on se flingue.

Silence encore.

Pas lourd. Plutôt un repos pour nos cordes vocales.