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Comment vit-on un AVC ? Stéphane Poirel a vécu cette expérience, du début à la fin, en étant conscient et en dialoguant avec les médecins aux urgences et en réanimation. C’est une épreuve bouleversante qui vous plonge dans l’inconnu…
Cependant, après il faut se rebâtir. La meilleure façon d’y arriver est de définir des objectifs et une stratégie pour les atteindre. L’analyse froide et la volonté permettent la résilience : un état d’esprit qui amène à gravir notre propre Everest pour la victoire sur soi-même.
Ce témoignage est relaté en quatre parties : la vie sous pression que l’on s’inflige, l’accident en lui-même et sa prise en charge en hôpital, la reconstruction en clinique, puis dans la vie réelle. Cette reconstruction s’étend sur plusieurs années. L’accident dure une fraction de seconde. Cela invite à la réflexion au sujet des causes de ce dernier.
À PROPOS DE L'AUTEUR
« Pourquoi ne pas raconter ton histoire ? » lui avait demandé sa compagne, alors qu’il était presque cloué au lit dans ce service de neurologie. Excellente suggestion ! Ses souvenirs étaient encore très précis et cela lui donnait des choses à faire, dans un univers où le temps avait changé son débit. De plus, cette écriture lui permettait de réitérer l’expérience d’un festival de court-métrage dédié au handicap.
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Seitenzahl: 272
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Stéphane Poirel
Renaissance
Un AVC m’a sauvé la vie
Roman
© Lys Bleu Éditions – Stéphane Poirel
ISBN : 979-10-377-6366-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Êtes-vous curieux de connaître étape par étape, comment on vit la survenue d’un AVC ?
J’ai vécu cette expérience, du début à la fin, en étant conscient et en dialoguant avec les médecins aux urgences et en réanimation. C’est une expérience vraiment unique… Cependant, ce qui est le plus instructif, c’est de déterminer les causes de cet accident. Car souhaite-t-on vraiment être marqué pendant des années à cause d’un événement qui ne dure qu’une fraction de seconde ?
Si j’avais su…
Cette histoire est un témoignage sur un accident qui amène à un questionnement sur notre vie moderne, où paradoxalement, l’être humain serait le seul animal à ne plus être adapté à son biotope :
La première fois que j’ai vu le neurologue passer dans ma chambre du service de neurologie, il m’a dit : « il y a de plus en plus d’AVC et de plus en plus jeune. »
En un instant, j’ai compris l’impact de notre mode de vie sur l’usure de notre organisme : la mauvaise alimentation, l’alcoolisme, la sédentarité, le manque de sport, le manque de sommeil, le stress au travail…
Tout cela génère un cocktail qui explose quand l’organisme atteint une limite.
J’ai atteint cette limite, mais avec la chance de ne pas dépasser le point de non-retour. Il a suffi d’un tout petit saignement, pour paralyser toute la moitié gauche de mon corps. La bonne nouvelle, c’est que je suis droitier et doublé d’une forte volonté pour me reconstruire.
Alors, comment se relève-t-on ?
Mac Arthur disait : « La jeunesse n’est pas une période de la vie, elle est un état d’esprit… »
Il faut refuser le confort pour garder cette jeunesse. On ne vieillit pas de la même manière, si l’on s’assied tous les jours dans un fauteuil, ou si l’on marche tous les jours pendant des heures. Mais c’est un effort quotidien de maintenir cet état d’esprit. Cependant, à la longue, on en fait une habitude qui vient même modifier le mental.
Vingt-trois heures. L’heure des salseros, et plus particulièrement dans ce haut lieu de la salsa qui perdurait depuis plusieurs années dans une zone d’activités en lisière de la commune de Toulouse. D’ailleurs, nous étions à quatre cents mètres de l’unique domaine viticole toulousain, quasi sulfaté au gaz d’échappement, voire au kérosène, étant donné la proximité du couloir aérien qui menait les avions vers l’aéroport de Blagnac. Bref, une zone d’activité où la fête ne risquait pas de gêner les voisins, puisqu’il n’y en avait pas à cette heure-ci.
Comme presque tous les vendredis, la soirée s’annonçait excellente. En témoignait le nombre de véhicules garés sur les trottoirs, de part et d’autre de la rue principale, et même dans certaines rues transversales. Il fallait être astucieux afin de gagner quelques mètres en plaçant sa voiture dans des endroits improbables grâce à un chausse-pied. Et une fois de plus, ce soir-là, mon goût du risque fut payant : une micro-place, juste devant l’entrée de ce havre aux sonorités de la Havane, sur le trottoir d’en face, entre deux autres voitures. Le genre de place où il vaut mieux être sobre pour manœuvrer en toute sérénité. Autant au ski, il y a le « planté du bâton », autant là, il y avait le « levé du pneu sur le trottoir ». Tout un art. Je me souviens même que certaines filles qui arrivaient à pied, d’une place de parking plus lointaine, ne s’extasiaient pas devant la belle voiture que je n’avais pas, mais devant ma dextérité à la manœuvre. De part et d’autre des pare-chocs avant et arrière, il n’y avait parfois qu’une dizaine de centimètres. Bien sûr, je savais qu’après un ou deux mojitos bien tassés, la sortie du véhicule serait plus périlleuse. Et régulièrement, dans ce cas de figure, je priais intérieurement pour que les propriétaires des véhicules, qui encadraient le mien, partent avant moi… D’ailleurs, une fois ma portière ouverte, je ne pouvais m’empêcher de sortir une blague sur ma façon de me garer, afin d’emboîter le pas à ceux et celles qui sortaient fumer leur cigarette, et qui, en sortant, avaient le temps d’apprécier mon savoir-faire presque chirurgical.
C’était également le moyen d’engager la conversation avec les membres de cette grande famille que composent les danseurs de salsa. Nous étions tous là pour une raison principale : danser, prendre du bon temps à dessiner des cercles dans l’air et sur le sol, au tempo de la musique. La salsa fait partie de ces danses où tout le monde affiche un sourire qui démarre de l’oreille droite, pour se terminer à l’oreille gauche. Ou inversement.
Ce restaurant d’entreprise le jour se métamorphosait en repère cubain la nuit. Ils étaient plus de vingt établissements ouverts à midi pour les entreprises de cette zone d’activités, mais un seul la nuit, pour les amoureux de la salsa.
Il n’y avait donc que quelques mètres entre ma voiture et l’entrée. Une fois la porte poussée, on pouvait ressentir la chaleur de ces lieux, et la musique, plus ou moins tamisée à l’extérieur, devenait omniprésente une fois à l’intérieur. Le bar se trouvait à droite, dans un premier hall. Lors de ce type de soirées, il y avait toujours un monde fou : une première rangée de personnes accoudées au bar, puis une seconde rangée qui espérait passer commande, puis encore une troisième rangée qui discutait avec la précédente. Tout le monde avait le sourire et on pouvait deviner chez certains la pause qui était nécessaire entre deux salsas : la plupart du temps, leur visage humide trahissait le fort taux de stress hydrique.
Ces deniers venaient de l’autre salle, beaucoup plus grande, où il y avait deux types de personnes : celles en périphérie, contre les murs ou les baies vitrées, qui regardent, et celles qui dansaient. Les premières profitaient également d’une pause bien méritée, tandis que les secondes se lâchaient sur la piste en des chorégraphies bien établies par les standards de la salsa. Certains étaient des spécialistes des passes, parfois tellement complexes qu’on pouvait craindre qu’ils fassent des nœuds avec les bras de leur partenaire. D’autres étaient les spécialistes des « petits pas », et surprenaient leur partenaire, ainsi que les observateurs, par une danse captivante, mais dénuée de passes. Tout était dans le jeu de jambes en accord avec la rythmique complexe de la salsa.
Je me rappelle qu’à une époque où je ne maîtrisais pas du tout ce type de jeu de jambes, j’étais dans un bar avec une amie, lors du festival Tempo Latino de Vic-Fezensac, quand un couple, physiquement magnifique, se mit à danser et à capter toute l’attention des gens qui étaient là pour prendre un verre, mais également de certains qui venaient de stopper leur danse pour les admirer… Au bout d’au moins une bonne minute, mon amie me dit à l’oreille : « As-tu remarqué qu’ils n’ont pas encore fait une seule passe ? » J’étais, moi aussi, tellement pris sous ce charme, que je ne l’avais même pas remarqué.
Mais pour en revenir à ces soirées salsa du vendredi, il y avait aussi des couples de danseurs qui illuminaient la piste par leur maîtrise naturelle de la technique, qui leur permettait d’agencer des syllabes de salsa afin d’en épouser le rythme et la mélodie, pour finalement arriver à parler la langue de cette danse. C’était un pur bonheur ! Il régnait une véritable bienveillance du début jusqu’à la fin de la soirée. Exactement la même ambiance que celle expérimentée lors d’un séjour à Cuba, en mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept.
À un moment donné, je ressentis le besoin de faire une pause. Comme pratiquement tout le monde se connaissait, au moins de vue, je m’étais posté à côté d’un ami rencontré en cours de salsa. Nous étions à ce moment-là du côté opposé à l’entrée. Dans cette grande salle, de là où nous étions, nous pouvions voir les nouveaux arrivants surgir.
Et tout d’un coup, de l’autre côté de la piste qui s’était légèrement dépeuplée, je vis apparaître dans la première rangée des observateurs, une blonde habillée de blanc de la tête aux pieds. On aurait mis un gyrophare en couvre-chef, je crois que le résultat aurait été le même. Visiblement, elle cherchait « l’âme sœur »… Bien sûr, mon ami et moi n’avions pas manqué l’occasion d’en parler en échangeant quelques remarques grivoises, quand, tout à coup, je la vis traverser la piste de danse en se dirigeant vers nous. Les dieux de la danse étaient-ils de mon côté ?
« Tu vas voir, ça va être pour nous ! » dis-je à mon ami. Il ne lui restait encore que quelques mètres avant d’arriver à nous quand, en une fraction de seconde, je pris conscience que les dieux n’existaient même pas : mon appel du regard n’eut aucun effet sur elle car, au dernier moment, elle bifurqua vers mon voisin. Et voici comment, en un rien de temps, on peut se sentir terriblement solitaire.
Cependant, cette sensation de chute dans le vide ne dura pas longtemps. Cette blonde maléfique était accompagnée d’une grande rousse, dont les grands yeux bleus m’invitèrent à faire quelques pas de salsa. Bizarrement, cette image est encore gravée dans ma mémoire, bien plus que celle de la blonde qui avait provoqué un mini-séisme dans mon ego. L’image de ces grands yeux bleus remplis de bonté, qui avaient déclenché la douce sensation d’avoir été pris dans une aura de bien-être.
Quelques salsas plus tard, nous nous retrouvâmes au bar, à déguster un mojito. Puis, au bout de dix bonnes minutes de palabres dans lesquelles je décelais une certaine complicité, vint l’inévitable question :
« Et qu’est-ce que tu fais dans la vie ? »
L’ambiance aidant, et peut-être aussi l’alcool, je lui répondis :
« Je suis réalisateur de films pornographiques ! »
J’avais très légèrement décalé mon cœur de métier, puisqu’en réalité je réalisais des films pour entreprises.
Et sans sourciller, elle me répondit :
« Eh ben ça tombe bien ! Je viens de faire une soirée sex-toys ! »
Là, je pensais être face à mon double sur le plan de l’humour. Du très lourd ! On allait pouvoir rigoler…
Mais la discussion, qui dura un bon moment, se termina sur une note professionnelle : elle avait trois activités, dont l’une, en plein développement, avait besoin d’une visibilité sur internet. On ne se refait pas. Mon passé de technico-commercial n’était pas mort. Nous échangeâmes nos coordonnées, et dans ma tête, je me dis que ce n’étaient pas des paroles en l’air.
En attendant de revoir cette femme qui répondait au prénom de « Corinne », la semaine de travail reprit, à la suite d’un week-end relativement classique, dans lequel j’avais saupoudré une petite séance de course à pied sur dix kilomètres.
Lundi matin, six heures, mon réveil me sortit de mon sommeil très concentré, car très court : je ne me couchais rarement avant minuit… Un grand bol de chocolat chaud, ou devrais-je dire, de cacao chaud, celui qui colle bien au palais, suivi, quelques minutes plus tard, par un expresso tout droit sorti de mon percolateur de compétition, à cinquante euros, mais qui m’offrait de très bons cafés, façon dé à coudre « ristretto ». Tous, chocolat et cafés, je les ingurgitais devant mon écran d’ordinateur, car rituellement, j’utilisais ce créneau horaire, jusqu’à neuf heures, afin de régler les dossiers qui me demandaient une certaine concentration. À partir de neuf heures le téléphone commençait à retentir, puis la journée de travail « standard » commençait, jusqu’à, là aussi, rituellement, dix-neuf heures, voire vingt heures.
Car, lors de mes débuts en tant que chef d’entreprise, en mille neuf cent quatre-vingt-dix-huit, depuis mes bureaux je pouvais voir le haut des camions sur la rocade toulousaine, à environ deux cents mètres. Et le truc, c’était d’éviter de prendre la voiture, entre dix-sept heures et dix-neuf heures. En effet, à ces heures-là, je voyais les toits des camions complètement immobiles sur cette portion de rocade. Et comme nous n’étions qu’à quelques encablures d’une bretelle, les répercussions sur le trafic se faisaient ressentir directement devant le bureau. Parfois, il fallait presque dix minutes à un quart d’heure pour parcourir seulement cinquante mètres. D’où mes coutumes de journées de travail plutôt longues. Entre perdre du temps dans les bouchons, et rendre ce temps plus productif, il n’y avait pas photo.
J’étais resté presque dix ans dans ces locaux, relativement bien situés par rapport aux principaux donneurs d’ordres toulousains. Puis mon dernier déménagement me permit d’intégrer mes bureaux dans une grande maison située en périphérie de Toulouse, à quelques centaines de mètres de la campagne. D’ailleurs, mes dix kilomètres de course à pied, je les démarrais au pied de chez moi. Plus besoin de prendre la voiture pour s’éloigner de la pollution urbaine. J’avais déjà un pied dans un cadre de vie entre le rural et le citadin.
De plus, les nouvelles technologies ayant évolué, certains produits numériques pouvaient très bien être livrés par internet, avec deux ou trois réunions par téléphone pour réaliser les modifications, et hop, le tour était joué. Il m’arrivait même de travailler avec des clients dont j’ignorais le visage. On finit par deviner la moindre mimique, en fonction des intonations de la voix au téléphone.
Malgré tout, dans mon métier de réalisateur de films pour entreprises, il fallait bien aller voir le client, ne serait-ce que pour analyser ses besoins en communication, ainsi que faire les repérages des lieux de tournage. Le travail à distance a quand même ses limites…
À une époque, on m’appelait Rapido’s pizza chez SFR, car je mettais un point d’honneur à être dans les délais, voire, avant les délais. Ce qui un jour me valut une bouteille d’Armagnac de bonne qualité, en guise de reconnaissance. Comme me l’avait dit, à mes débuts, un sous-traitant d’AIRBUS :
« Dans les affaires, il n’y a peut-être pas de sentiments, mais il faut qu’il y ait du respect ».
Et ce respect passait par les délais tenus, ainsi que la qualité du produit fini. Ce qui, finalement, aboutissait à une fidélisation du client. Un marché « gagnant-gagnant » par le travail bien fait, qui, au fil du temps, rassure le client. Être exemplaire et irréprochable, un combat de tous les jours, pour consolider sa place après l’avoir conquise.
Mais rester à flots, sur le haut de la vague, cela n’est tenable qu’un certain temps. J’avais commencé à en prendre conscience, après avoir licencié mon unique salarié, six mois après l’explosion de l’usine AZF le vingt et un septembre deux mille un. Cet événement tragique avait défiguré une bonne partie de la ville de Toulouse, et donc son tissu économique. Mon chiffre d’affaires ayant été malmené, j’avais donc dû réduire la voilure. Puis, après avoir délégué les tâches administratives, je m’étais fait la réflexion suivante :
« Jusqu’où pourrais-je aller tout seul ? »
Ce qui me réconfortait dans cette perspective fut la remarque d’un stagiaire venu faire ses premières armes :
« Avant d’arriver ici, j’avais l’impression que vous étiez dix… »
Il est bien là le danger : à vivre de sa passion, on finit par ne plus compter ses heures.
Mon chiffre d’affaires retrouvé, j’avais finalement embauché à nouveau. Et l’esprit de compétition était toujours là. De plus, dans une ville de réseaux, j’avais fini par fréquenter jusqu’à neuf clubs d’entreprises. Avec pour conséquence, beaucoup de prises de contact. Mais comme la plupart du temps il s’agissait de soirées, le rythme était plutôt sportif… Car évidemment, il fallait concilier ces dîners avec la vie privée. Je ne savais pas toujours à quelle heure je me couchais, mais je savais que le lendemain, le réveil sonnait à six heures… Ce rythme s’était imprimé dans mon horloge biologique, à tel point qu’il m’arrivait d’ouvrir un œil juste avant la sonnerie du réveil. Surtout les jours incluant des rendez-vous importants…
À force, j’avais remarqué que je ne me souvenais pas de mes rêves. Car je devais néanmoins avoir des périodes de sommeil paradoxal pendant la nuit. Mais leur souvenir, au petit matin, n’était plus là. En revanche, à la moindre grasse matinée, le samedi ou le dimanche, les rêves revenaient à ma mémoire. Il faut dire qu’en semaine, il m’arrivait de dormir seulement trois ou quatre heures par nuit. Je refaisais le plein d’heures de sommeil durant le week-end. Et donc, la pratique du sport, course à pied, natation, ski, etc., ne pouvait se faire qu’en fin de semaine. Parfois pas du tout, dans le cas de grosses missions à clôturer dans de brefs délais. La satisfaction du travail bien accompli était un fabuleux moteur, mais j’avais fini par oublier de savoir dire non. Chaque nouvelle mission était devenue un défi à relever, quelles que soient les contraintes dictées par le commanditaire. Et comme un peintre qui peaufine son œuvre dans les derniers détails pendant des heures et des heures, j’étais tombé dans une spirale de perfectionnisme. Avec l’expérience, je savais que la première moitié du temps du projet représentait quatre-vingt-dix pour cent du produit réalisé, l’autre moitié, la deuxième mi-temps, était les dix pour cent de perfectionnisme. Une finition qui n’en finissait jamais. Des détails que j’étais le seul à voir, mais qui m’obsédaient à chaque instant. Ils étaient comme le maquillage d’une femme que l’on ne voit pas, mais dont on ressent qu’il illumine son visage. Le Graal de tout artiste : la beauté d’une œuvre masquant la technique parfaitement maîtrisée qui a permis de la réaliser. C’est un chemin sans fin ; mais ça, avant d’en prendre conscience…
Après avoir envoyé un texto à Corinne en début de semaine, nous nous étions revus le samedi suivant, à nouveau dans ce haut lieu toulousain de la salsa. Après quelques tours effrénés sur la piste de danse, nos gosiers respectifs nous menèrent directement au bar afin d’effectuer un ravitaillement en bonne et due forme. C’est là que les choses sérieuses commencèrent…
Je la questionnai habilement sur ses différentes activités, puisqu’elle était intéressée par mes capacités dans le domaine du façonnage de sites web. Elle avait en effet une activité en plein démarrage qu’elle souhaitait développer plus amplement. Nous nous accordâmes sur un rendez-vous chez elle, dans le Tarn, pour en parler plus longuement, et surtout de manière plus axée sur le professionnel.
N’étant pas un connaisseur hors pair de la topographie du Tarn, une imprégnation des cartes des alentours de Castres fut nécessaire à la préparation de mon voyage vers ces contrées inconnues. Lorsque l’on est un Toulousain depuis un peu trop d’années, on finit par voir que par Toulouse. Car ici, dans la capitale de l’aéronautique, quand on parle de Montauban, on parle du Nord… Alors le Sud du Tarn… C’est presque « Terra incognita ».
Mon expérience de plusieurs années de technico-commercial sur une grande partie de la France, à l’époque des cabines téléphoniques et des cartes Michelin, vint à mon secours pour la réussite de cette mission : me rendre en un point situé entre deux petits villages, en pleine cambrousse, au pied de la Montagne noire.
J’eus d’ailleurs un moment d’hésitation lors du passage de la frontière entre la Haute-Garonne et le Tarn ; cependant, mon sens de l’orientation n’était pas trop rouillé. Quelques repères m’avaient confirmé que j’étais sur la bonne route. Arrivé à Dourgne, village d’un millier d’âmes, le fait que la départementale ne traverse pas le bourg, mais passe à côté, m’avait quelque peu perturbé dans ma navigation à vue. J’avais continué tout droit, alors qu’il fallait que je tourne dans une communale à angle droit, bien cachée entre deux maisons de village. Fort heureusement, mon sixième sens, celui du technico-commercial à la recherche d’un prospect qu’il vient voir pour la première fois, ne me fit pas défaut : je sentais que quelque chose ne tournait pas rond, et sous cette pression inconsciente, j’opérai un demi-tour pour enfin prendre la bonne direction. Et comme sur cette communale, il me fallait prendre le troisième chemin sur la gauche, tous mes sens étaient en plein éveil. Les pupilles dilatées à leur maximum, les muscles du cou bandés comme un arc de compétition, je surveillais au fil des mètres que j’avalais, la survenue de ce troisième chemin.
Puis, comme une apparition, une allée en terre, bordée de gigantesques platanes, s’offrit à moi. Avec délicatesse, j’entrepris le parcours de ces derniers deux cents mètres de cailloux. Mes pneus allaient sans doute me remercier à l’arrivée. Et comme un dernier défi avant d’atteindre le Saint Graal, il y avait deux entrées à vingt mètres d’intervalle, qui donnaient sur deux corps de fermes voisines. Là encore, mon groin me fit honneur en choisissant le bon passage. Chose qui me fut confirmée à mon arrivée dans la cour : Corinne, attirée par un bruit nouveau, celui généré par mon bolide, sortait à peine de chez elle, suivie de près par deux de ses amies que j’avais connues en même temps qu’elle, lors du premier soir. Un soulagement délicieux parcourut mon corps, de mes orteils, jusqu’à la racine de mes cheveux, pour siéger ensuite dans les moindres recoins des circonvolutions de mon cerveau. Peut-être un début de bonheur…
Nous prîmes le classique « petit café » que l’on offre aux visiteurs, puis nous commençâmes à discuter de manière plus professionnelle, alors que les deux autres convives nous avaient déjà quittés pour vaquer à leurs occupations respectives. Corinne me fit ensuite visiter sa maison, car elle avait également deux chambres d’hôtes, ainsi qu’un gîte à quelques dizaines de mètres de là. Sa deuxième activité était celle de secrétaire comptable qu’elle pratiquait encore de manière salariée, et souhaitait développer sous le statut d’indépendante. Après m’avoir fait faire le tour du propriétaire extérieur et présenté à ses deux juments, « Caline » et « Palouse », qui dominaient les deux hectares de terrain herbacé, je me disais qu’il était plus attractif de faire fructifier un site web dont le sujet était ce petit paradis sur terre, plutôt que de démarrer un autre site web sur le sujet du secrétariat comptable… Mais voilà, les chambres d’hôtes ainsi que le gîte n’étaient pas une activité suffisamment rémunératrice. D’où ce besoin de créer un nouveau site vitrine pour promouvoir son activité de secrétaire comptable à temps partagé pour différentes entreprises de petite taille.
Malgré tout, j’avais eu également le feu vert pour améliorer le site internet du gîte et des chambres d’hôtes. Ce fut beaucoup plus intéressant, puisque je pouvais laisser libre cours à l’une de mes passions : la photographie. Ce lieu respirait le bonheur d’un petit paradis sur Terre.
L’autre passion, sur laquelle j’avais forgé mon activité professionnelle, était centrée sur l’image animée. Comme je l’avais avoué à Corinne lors de notre toute première rencontre, mon expertise se situait au niveau de l’audiovisuel. Je réalisais des films pour entreprises et institutions, depuis plus de quinze ans à ce moment-là. D’ailleurs, au fil de nos nombreux échanges, au téléphone, sur une piste de danse, ou à son domaine, nous avions fini par être assez proches, au point de la convier à l’un de mes tournages.
Il s’agissait là d’un projet relativement important, puisqu’il fallait réaliser une douzaine de courts métrages pour un grand groupe. Le tout, en un mois. L’ensemble des prises de vue se déroulait sur deux semaines, à Toulouse et à Bordeaux. Comme chaque film était dédié à un service de l’entreprise, il y avait en moyenne deux tournages quotidiens de deux heures par service, avec une pointe un jour, où il fallut gérer « au millimètre » les équipes et la mise en scène : trois tournages avec trois équipes différentes, ce fut un maximum. Mon état de fatigue était tel qu’en rentrant de Bordeaux, j’oubliai mon téléphone portable dans les toilettes d’une station-service de l’autoroute. C’était la première fois qu’une pareille étourderie m’arrivait. Et à cinquante kilomètres de la station, je préférai leur téléphoner pour leur demander de me le garder, sachant que j’avais encore d’autres tournages à Bordeaux. Je comptais le reprendre au passage. Ce fut comme un signal : je venais de passer un peu « dans le rouge » ce jour-là…
À l’occasion de l’un des derniers tournages à Toulouse, j’avais convié Corinne qui s’intéressait à cette activité. D’autant plus, m’avait-elle confié, qu’elle fut figurante dans le film « Marche à l’ombre », en mille neuf cent quatre-vingt-quatre.
Là, nous étions entre le reportage et le film de fiction. Chaque service avait établi un scénario de quelques minutes qui devait montrer de manière humoristique, l’évolution de son cœur de métier. Durant le tournage, Corinne prit naturellement le rôle d’accessoiriste et assistante de réalisation, car il y avait une bonne vingtaine de personnes à gérer et à mettre en scène. Mais tout se déroulait dans la bonne humeur. Elle eut droit, d’ailleurs, à la primeur du montage de ce dernier court métrage, qui à la suite des divers effets en post-production, donna un film muet des années mille neuf cent.
C’est ainsi que naquit notre collaboration professionnelle. Et par la suite, grâce à son réseau, je fus mandaté pour la réalisation d’un documentaire pour le parc du Sidobre qui jouxte la ville de Castres, durant l’été deux mille quatorze. Le Sidobre est un chaos granitique de dix kilomètres sur dix, culminant à environ sept cents mètres d’altitude, qui garantit un dépaysement total. Le film de présentation qui était diffusé à l’office du tourisme, la Maison du Sidobre, nécessitait un ravalement de façade. En d’autres termes, une nouvelle édition à réaliser.
Sur plusieurs jours de tournages, avec l’aide d’un drone pour les prises de vue aériennes, nous réussîmes à éditer un film de vingt minutes, malgré une séquence de cinq minutes résumant plus d’une heure d’interview de deux bibles vivantes de l’évolution des techniques d’exploitation du granit du Sidobre : deux tailleurs de pierre de plus de quatre-vingts ans, à qui on aurait pu donner soixante ans au bas mot. Ils avaient une telle forme physique, et intellectuelle, que j’avais reçu un avertissement, à un moment donné, en essayant de leur donner un coup de main pour bouger une grosse pierre, lors d’une de leur démonstration de taille à l’ancienne :
« Non, mais on n’est pas pourris ! » me lança le plus bavard des deux…
Comme il était à moitié sourd, du fait de décennies à taper sur des pointes métalliques, je pris son ton comme une engueulade. Cependant, son sourire me fit comprendre que c’était avec de la bienveillance qu’il s’autorisait ce recadrage… Le tournage, dans un pareil lieu, fut une très agréable expérience humaine.
Autre magnifique expérience humaine, en juin deux mille seize, la réalisation d’un court métrage de fiction pour le festival Regards Croisés dont le thème est « métiers et handicaps ». Corinne m’avait, là aussi, trouvé cette occasion de réaliser autre chose que des films d’entreprise en flânant sur internet. Manon, l’une de ses deux filles, éducatrice spécialisée, me permit de solliciter des acteurs amateurs handicapés, ainsi qu’une troupe de passionnés du Moyen-Âge. La rencontre des deux donna un court métrage qui fut sélectionné à ce festival, dont les diffusions ainsi que la soirée de gala eurent lieu à Nîmes. Nos handicapés trisomiques étaient aux anges : ils avaient l’impression d’être à Cannes. Moi, de mon côté, pendant la soirée de gala, j’avais pu dialoguer en plan rapproché avec Mathilda May. Un autre moment de bonheur, mais plus furtif. Une tranche de plaisir finement découpée.
Petit à petit, tout en conservant mes clients majoritairement toulousains, je glanais des contrats côté tarnais, dans le domaine de l’audiovisuel, mais également dans celui de l’internet.
D’ailleurs, en cette fin d’année deux mille seize, je venais de signer à nouveau un projet de sous-titrages avec le bureau toulousain d’une société de traduction, dont le client final était un des acteurs majeurs de l’aéronautique civile et militaire. J’avais en charge de sous-titrer une vingtaine de reportages courts, de trois minutes chacun, avec les fichiers textes que cette société de traduction me fournissait, et de renvoyer les fichiers vidéo ainsi sous titrés. Afin de pouvoir travailler de manière nomade, j’avais dupliqué le projet de ma station de montage à mon ordinateur portable, en prenant soin de recopier régulièrement de l’un à l’autre, chacune des avancées.
Et en matière de prospection côté Tarn, une chose à laquelle je n’avais pas franchement pensé était l’enseignement public. Corinne y avait très sérieusement pensé. Elle m’avait proposé de faire un tour à l’IUT de Castres, afin de prospecter pour une place en tant qu’enseignant vacataire. J’avais cette expérience, puisque je réalisais régulièrement des formations en entreprise, dans le domaine du web ou de l’audiovisuel, depuis la création de ma boîte… De plus, mon parcours universitaire, ainsi qu’enseignant à Santé navale, à l’occasion de mon service militaire à Bordeaux, me permettaient de parler à une foule sans sourciller. Évidemment, la foule se résumait là aux quelques étudiants du département « MMI », Métiers du Multimédia et de l’Internet.
Corinne avait eu un bon flair : il y avait un poste à pourvoir. Il s’agissait pour moi de parler de ma passion et de mes expériences dans l’audiovisuel pour entreprises et le support web. Avec près de vingt ans derrière moi, je pouvais faire un cours pratiquement sans notes, et répondre à des questions, puis reprendre le fil de mon discours en restant cohérent, puisque je m’appuyais sur des exemples vécus.
Corinne et moi, nous nous étions suffisamment rapprochés au point de passer de plus en plus de temps ensemble. Notre amitié naissante avait tellement évolué, que notre relation glissait paisiblement, mais sûrement, vers de l’Amour. Sans se le dire, nous savions qu’à un moment donné nous serions un couple. Et ceci se produisit à la suite d’une soirée salsa à Albi, en juin deux mille quatorze, trois mois après notre première rencontre. Au cours de cette soirée, la température avait graduellement atteint de tels sommets que nous décidâmes stratégiquement de passer quelque temps dans le jacuzzi, au retour à la maison… Nous n’étions pas dupes devant ce stratagème savamment conçu de part et d’autre. Et il suffit d’une glissade dans le plus simple appareil, et une eau à trente-six degrés, pour mettre définitivement les pendules à l’heure… Voilà, nous avions franchi le Rubicon. Le sort en était jeté.
Dès le début de notre relation, je passais la plupart des fins de semaine à Dourgne, chez elle. Même si en périphérie toulousaine, limitrophe de la campagne, je pouvais démarrer mon parcours de dix kilomètres de course à pied, en sortant de chez moi, c’était également très agréable de s’oxygéner en empruntant les sentiers au pied de la Montagne Noire. Il faut avouer que le choix des chemins était beaucoup plus grand.
Corinne m’avait fait remonter à cheval, pour profiter de ces mêmes chemins, mais en communion avec la Miss « Caline », la jument de l’une de ses deux filles. À cause de ses études, cette dernière ne la montait plus. Et au fil des parcours, Caline et moi avions noué une relation relativement serrée.
Mon expérience des chevaux avait démarré en Argentine, pendant mon enfance, aux alentours des six ou sept ans. Un âge où quand on vous place sur une selle « américaine », on a le souvenir de faire le grand écart facial… Malheureusement, ce vécu équestre était parsemé, non pas de trous, mais de grandes vallées désertiques, puisque je remis mon séant sur un cheval vers les huit ou neuf ans, au Mexique, puis en France, bien plus tard, à la quarantaine déjà relativement avancée. Ce qui me poussait à répondre de manière récurrente à la question :
« Quel est votre niveau ? Vous avez quoi comme galop ? »
« Moi ? J’ai un galop trois mille ! »