Revue de psychanalyse et clinique médicale - Hors-série N°2 - RPH Éditions - E-Book

Revue de psychanalyse et clinique médicale - Hors-série N°2 E-Book

RPH Éditions

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Beschreibung

"La Revue de Psychanalyse et Clinique Médicale" est une publication semestrielle assurée par le RPH-École de psychanalyse. Elle rassemble les actes des colloques et journées d’étude organisés par le RPH, ainsi que des articles aux contenus variés : articles théoriques, articulations théorico‑cliniques, études de cas cliniques, articles de recherche.

Le hors-série n° 2 aborde les questions soulevées lors de la journée d’étude du mois de juin 2023 Clinique du partenariat entre chirurgie et psychanalyse et traite plus particulièrement de la spécificité du partenariat qu’il est possible de tisser entre chirurgiens – esthétiques et orthopédistes plus particulièrement – et psychanalystes.

Il est aussi question de ce qui oriente la praxis – πραξις, l’action – des psychothérapeutes et psychanalystes. Ainsi, au fil des interventions et des articles, plusieurs techniques spécifiques sont explicitées. Les avancées propres aux champs médical et psychanalytique y sont également présentées, démontrant que la vie psychique n’est jamais absente avant, pendant et après une intervention médicale.

Depuis sa création, le RPH-École de Psychanalyse met au cœur de son projet le dialogue et le partenariat avec les médecins, les chirurgiens, les psychiatres et les universitaires. Les effets résultant de cette politique clinique se vérifient quotidiennement dans la rencontre avec les malades, patients et psychanalysants. Les travaux réunis au sein de ce numéro hors-série participent à la construction d’une articulation entre psychisme, corps et organisme comme objets communs d’étude de la médecine et de la psychanalyse.


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Actes de la IIIe journée d’étude duRPH

Clinique du partenariat entre chirurgie et psychanalyse

Salle Vinci — 75002 Paris Samedi 10 juin 2023

Ouverture

Sabrina Merabet, psychothérapeute, doctorante à l’Université de Paris Cité, membre clinicienne du RPH, Consultation Publique de Psychanalyse, 33 rue Jean-Baptiste Pigalle, 75009, 06.52.76.94.73, [email protected]

Je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue à cette troisième journée d’étude organisée par l’École de psychanalyse du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital. Cette journée d’étude est consacrée à la clinique du partenariat entre la chirurgie et la psychanalyse.

Nous ne pouvons aborder le thème de cette journée d’étudesans présenter ce qu’est cette clinique du partenariat proposée par l’École du RPH depuis sa fondation. C’est pour cette raison que je prendrai le temps de présenter l’histoire de l’apparition de la clinique du partenariat afin de témoigner de son lien direct avec l’expérience de la pratique psychanalytique aux côtés de la pratique chirurgicale.

1. Clinique du partenariat

Clinique est un terme qui apparaît au XVIIe siècle. Emprunté au latin clinicus, du grec klinikos, lui-même issu de klinê, « lit »1, la clinique est « propre au médecin qui exerce son art près du lit de ses malades »2. Partenariat est une « action commune entre organismes différents dans un but déterminé »3.

Si « Clinique » et « Partenariat » sont associés dans une seule et même expression, il s’agit d’un art exercé près du lit du malade, relevant d’une action commune entre différents partenaires dans un but déterminé. Dans le cadre de la « Clinique du partenariat », terme proposé par Fernando de Amorim, les différents partenaires sont le médecin, le chirurgien, le psychiatre, le gynécologue, le praticien de l’organisme, dans une action conjointe avec le psychanalyste. Mais quelle action est exercée ? Dans quel but déterminé ? Et de quelle manière ? Afin de répondre à ces questions que pose une définition textuelle de ce dispositif qu’est la clinique du partenariat, nous allons devoir examiner d’abord de plus près l’histoire de sa création.

L’histoire commence à l’hôpital Avicenne, dans les années 1990. Un psychanalyste du nom de Fernando de Amorim travaille aux côtés des Professeurs Loïc Guillevin et Philippe Casassus dans le service d’hématologie et de médecine interne. Le contexte médical était celui de l’épidémie du sida et des limites de la pratique médicale. Face à l’énigmatique de la rechute de la maladie, la persistance du symptôme et sa récurrence malgré le traitement médical, Amorim découvre qu’il y a bien quelque chose qui résiste à la guérison. Ce quelque chose, ce n’est non pas la maladie, mais le malade lui-même. La clinique du partenariat apparaît comme nécessité face au constat que « soigner la maladie ne soigne pas toujours le malade »4.

Cela, Amorim le conclut dès 1999 :

« Personne ne fait une maladie grave pour rien. Il y a toujours une histoire de douleur, une histoire d’amour, une histoire humaine qui est au rez-de-chaussée de l’immeuble que notre clinique s’habitue à regarder au-dessus (bien au-dessus), pendant que le sujet reste sur le trottoir à se débattre, sans avoir le code pour rentrer (et “rentrer” veut dire : “docteur : j’ai besoin d’aide”) avec sa demande maladroite d’aide, son mutisme, son agressivité, son allégresse… »5

À la suite de Sigmund Freud avec l’hystérie, Jacques Lacan avec la psychose, Amorim propose d’aborder la maladie organique comme effet de l’inconscient structuré comme un langage. Bien sûr, sans la médecine et le traitement médical, le malade peut subir la maladie, voire même mourir. Mais sans une lecture « de son inconscient qui se répète dans son corps, le sujet aura la tendance à répéter dans son corps, car c’est le chemin le plus facile que le sujet a trouvé pour dire sa souffrance dans une formation de compromis, et dans les cas les plus extrêmes par la mort »6. Médecine et psychanalyse doivent donc pouvoir organiser conjointement leur praxis, d’un côté la prise en charge du Réel de l’organe et de l’autre, l’écoute de la maladie comme signe ultime d’un réveil « à la vie », l’appel d’un malade en prise avec l’angoisse de l’existence.

Toujours en 1999, apparaît pour la première fois le terme de clinique du partenariat dans un éditorial écrit par Amorim et signé conjointement avec Philippe Casassus :

« Il nous semble qu’une proposition légitime serait de penser la clinique7 du XXIème siècle où médecins et psychanalystes pourraient travailler dans un régime de partenariat8. Cela par le simple fait que la souffrance est toujours au cœur même de la douleur. C’est-à-dire qu’il y a toujours de la souffrance du sujet dans la douleur organique9. »10

À partir de cette proposition clinique, il est possible d’apercevoir l’opacité du symptôme se diluer devant le patient que nous découvrons : un être parlant. Néanmoins, ce mouvement et cette articulation clinique, ce changement de perspective nécessite des outils.

En 2003, Amorim fait la proposition d’une cartographie de la clinique avec le malade, le patient et le psychanalysant, à l’usage des médecins, psychistes et psychanalystes en institution et en ville. Si la cartographie est publiée en 2003, il est possible de percevoir des signes de sa construction dès les années 1990 : je citerai seulement, à titre d’exemple, la proposition du terme de « psychyste » (d’abord avec un y) qui apparaît en 1993 lors du premier colloque de l’Association de Formation et de Recherche Clinique en Médecine Interne, Hématologie et Psychopathologie (AFORMAG).

En 2023, le Manuel clinique de psychanalyse est publié et la cartographie est définie comme telle : 

« Sa visée est de synthétiser sur une page la situation clinique telle que nous nous la représentons et de répondre à des questions concrètes : qui est impliqué dans la situation clinique ? Quel est le déroulement logique d’une cure et ses moments clés ? Comment représenter les attentes et les positions de l’être en souffrance qui vient rencontrer un clinicien ?

La cartographie doit être lue de gauche à droite. Entre les champs du besoin (à gauche) et le champ de la Durcharbeitung (à droite) se déroule le travail clinique dans une progression logique. »11

Les quatre colonnes correspondent « aux quatre positions subjectives de l’être : malade, patient, psychanalysant et sujet. Ces colonnes montrent les évolutions possibles de l’être, de la position de malade à celle de sujet, en traversant une psychothérapie et, pour certains, une psychanalyse »12. Ainsi, « cette cartographie permet également d’identifier les différents intervenants, les lieux d’interventions du clinicien et sa stratégie clinique (la cônification du transfert en particulier) »13.

Cette cônification du transfert est un jalon essentiel de la stratégie clinique dans le partenariat entre médecin et psychanalyste. Celle-ci désigne « l’action du médecin qui va orienter le malade ou le patient vers le psychanalyste »14. Il s’agit là de compter avec l’autorité du transfert du médecin au service de l’entrée en psychothérapie du patient.

Del’apparition du terme de clinique du partenariat en 1999 à la publication du Manuel clinique de psychanalyse en 2023, la théorisation s’est étoffée et précisée. Faire une histoire de son évolution serait une tâche passionnante, néanmoins au cours de ces évolutions, un motif subsiste à travers les années : celle de différencier psychanalyse et lecture psychosomatique du symptôme et de la maladie afin de mettre la rigueur scientifique au service de la clinique. La clinique du partenariat s’inscrit en ce sens. Ces journées d’étude sont nées il y a deux ans, afin de remettre au goût du jour la discussion avec les partenaires cliniques et faire honneur à l’histoire du RPH. En 2021, avait été organisée la première journée d’étude : neuroradiologues, endocrinologue et rhumatologue étaient intervenus aux côtés de psychanalystes et psychothérapeutes, questionnant le partenariat possible entre Neurosciences et Psychanalyse. En 2022 a eu lieu une journée à propos de Psychanalyse, gynécologie et maternité. Nous avions eu l’honneur d’écouter deux sages-femmes témoigner de leur pratique aux côtés de psychothérapeutes et de psychanalystes.

Ces deux premières journées de travail ont abouti à un constat qui se résume à cette phrase que je me permets de citer, tirée d’une des interventions du docteur Nemraoui à la journée d’étude sur les neurosciences. Ce constat oblige médecins et psychistes : « Sauver l’organisme sans prendre en compte le malade, son désir et sa jouissance n’est pas une thérapeutique solide. Cela laisse la porte ouverte à la récidive et à la souffrance, quelle qu’en soit la forme. C’est ici que se situe l’importance de la clinique du partenariat. »15

2. Entre chirurgie etpsychanalyse

Aujourd’hui, nous nous penchons sur le cas de la clinique du partenariat entre chirurgie et psychanalyse. Ce partenariat est heuristique, l’histoire et la pratique nous le démontrent. Je voulais vous toucher un mot sur l’importance d’organiser une telle journée, aux côtés de mes collègues du comité d’organisation, Erwann Gouadon, Jeanne Simmou et Élodie Chopard. Lorsque j’ai commencé à suivre l’enseignement au sein de notre École de psychanalyse, j’ai découvert la théorie freudo-lacanienne enseignée par Amorim à travers les supervisions individuelles et de groupe, les séminaires, les colloques, mais aussi à travers la Revue de Psychanalyse et Clinique Médicale que je vous recommande vivement de vous procurer. Dans les tout premiers numéros, j’ai rencontré le témoignage de la pratique des chirurgiens qui sont invités aujourd’hui et qui ont gentiment accepté de nous faire l’honneur de leur présence. C’est pour cette raison que lorsqu’il m’a été proposé d’organiser une journée d’étude avec la participation de ces praticiens qui ont jalonné mes lectures, c’est avec plaisir que j’ai accepté. Ce partenariat est aussi heuristique pratiquement : « La technique de l’écarteur » est le nom d’une technique proposée par le président du RPH, à partir de la clinique et de l’expérience du travail avec ses collègues chirurgiens. Cette technique consiste à proposer au patient ou au psychanalysant de revenir en séance dans quelques minutes, plus tard dans la journée ou le lendemain. Cette technique consiste ainsi à ouvrir la voie, comme avec un écarteur, dès l’approche d’un matériel fécond pour la cure, d’un retour du refoulé, signifié par une détresse, une souffrance par le patient ou le psychanalysant.

Aujourd’hui, qu’en est-il du partenariat entre chirurgie et psychanalyse ? Comment mettre en place et nourrir la clinique du partenariat entre psychistes et chirurgiens ? Quelles avancées cliniques sont possibles grâce à la pratique conjointe du chirurgien et du psychanalyste ? Quelles en seraient aussi les limites ? Voici les questionnements qui nous accompagneront tout au long de la journée et qui promettent de belles discussions témoignant de l’actualité clinique d’un tel partenariat et de son caractère scientifique. C’est sur ces mots que je déclare ouverte cette journée de travail.

Références bibliographiques

Dictionnaires

Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, https://www.cnrtl.fr

Dictionnaire de l’Académie Française, https://www.dictionnaire-academie.fr

Ouvrage

Amorim (de), F. (Dir). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH Éditions,2023.

Articles de périodiques

Amorim (de), F & Casassus, P. « Éditorial ». Revue de Psychanalyse et de Clinique Médicale, La douleur, 1999, n° 3, p. 1-4.

Amorim (de), F. « Introduction », Actes du 1er colloque de l’AFORMAG, Les cliniciens face aux grands malades : la prise en charge des hémopathies et du SIDA, Paris, AFORMAG, 1993, pp. 3-18.

Amorim (de), F. « Introduction ». Actes du 2ième colloque de l’AFORMAG, Les cliniciens face aux grands malades : la prise en charge des hémopathies et du SIDA,Paris, AFORMAG, 1994, pp. 1-23.

Nemraoui, F. « La clinique du partenariat ». Revue de Psychanalyse et de Clinique Médicale, 2021, n° 49, pp. 267-73.

Lien internet

Amorim (de), F. La clinique du partenariat, la tendance des médecins a peu de soin, 2009, consulté le 27 mai 2023, https://www.rphweb.fr/details-la+clinique+du+partenariat+sur+paris+75+la+tendance+des+medecins+a+peu+de+soin-101.html.

1 Dictionnaire de l’Académie Française, Clinique, consulté le 27 mai 2023, https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9C2610.

2Ibid.

3 Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales, Partenariat, consulté le 27 mai 2023, https://www.cnrtl.fr/definition/partenariat

4 Amorim (de), F. La clinique du partenariat, la tendance des médecins a peu de soin, 2009, consulté le 27 mai 2023, https://www.rphweb.fr/details-la+clinique+du+partenariat+sur+paris+75+la+tendance+des+medecins+a+peu+de+soin-101.html

5 Amorim (de), F. « Introduction ». Actes du 2ième colloque de l’AFORMAG, Les cliniciens face aux grands malades : la prise en charge des hémopathies et du SIDA, Paris, AFORMAG, 1994, p. 3.

6 Amorim (de), F. « Introduction », Actes du 1er colloque de l’AFORMAG, Les cliniciens face aux grands malades : la prise en charge des hémopathies et du SIDA,Paris, AFORMAG, 1993, p. 10.

7 Je souligne.

8 Je souligne.

9 Les auteurs soulignent.

10 Amorim (de), F. & Casassus, P. « Éditorial ». Revue de Psychanalyse et de Clinique Médicale, La douleur, 1999, n° 3, p. 1.

11 Amorim (de), F. (Dir). Manuel clinique de psychanalyse, Paris, RPH Éditions, 2023, p. 59.

12Ibid.

13Ibid., p. 73.

14Ibid., p. 48.

15 Nemraoui, F. « La clinique du partenariat ». Revue de psychanalyse et de clinique médicale, 2021, n° 49, p. 269.

Topologie du patient insatisfait après une chirurgie esthétique

Docteur Vladimir Mitz, chirurgien plasticien, 176 boulevard Saint-Germain, 75006 Paris, 01.45.44.29.00, [email protected]

Résumé16 : Dans son intervention, le docteur Vladimir Mitz aborde la question du rapport patient/chirurgien dans le cadre de la chirurgie esthétique. Il met en évidence les difficultés des chirurgiens à introduire le psychiste auprès des patients. Enfin, il présente deux cas cliniques dans lesquels il est question de souffrance psychique associée à la demande de chirurgie et de la difficulté à répondre ou non à cette demande. Ainsi, il encourage la clinique du partenariat tout en indiquant ses écueils dans le cadre spécifique de la chirurgie esthétique.

Mots-clés17 : chirurgie esthétique – psychosomatique – demande de chirurgie – insatisfaction – partenariat.

Bonjour à toutes et à tous.

D’abord un petit mot de reconnaissance vis-à-vis de Fernando de Amorim. C’est un homme considérable dans votre profession parce qu’il a été pratiquement le seul capable d’imaginer trois choses extraordinaires.

La première : un réseau de psychanalyse en milieu hospitalier destiné à ne pas gagner de l’argent, mais à apporter de l’aide à la souffrance. C’est un concept qui est tellement révolutionnaire que ça ne peut lui valoir que des ennemis et des jaloux. Ceci explique aussi que vous soyez en petit nombre alors qu’autour de Jacques Lacan, il y avait une foule de gens qui venaient plus pour le cirque que pour l’aide aux patients.

La deuxième chose qui est très importante, c’est la collaboration que nous avons – nous chirurgiens – avec Fernando, depuis maintenant une bonne vingtaine d’années ; avec cette difficulté qui est très particulière qui est que, quand on dit à un patient qui vient pour se faire opérer ou qu’on l’opère qu’il faut qu’il aille consulter un de nos amis qui est psychanalyste, on craint deux choses. Soit qu’il nous prenne pour un fou, soit qu’il nous fasse immédiatement un procès. Parce que ça veut dire qu’il y a quelque chose qui ne va pas et la seule chose qui ne va pas, c’est évidemment l’acte chirurgical.

La troisième chose, c’est la constance de Fernando de Amorim dans sa lutte pour former des jeunes et, en même temps qu’il les forme, de prendre ce risque énorme de les exposer à des patients qui vont téléphoner parce qu’ils vont se suicider. Cela n’a rien à voir avec mon topo, mais je vous parle ici en termes très sérieux de choses profondes. C’est cet aspect urgentiste que l’on peut retrouver chez Fernando, qui est de dire que le danger le plus extrême, c’est la mort, la mort des autres et que, si les médecins et les chirurgiens ont des drogues pour les uns et des bistouris pour les autres, vous, vous avez la force de l’esprit. Donc, de tenter de former une équipe autour de ce concept, c’est quelque chose qui est considérable et que je respecte, que j’admire parce que, depuis quelque temps, ce n’est pas que j’ai envie de me suicider, mais je me suis intéressé à ce qu’il se passe dans le monde dans lequel nous vivons où, forcément, les tensions qui existent au niveau national, international, individuel et personnel, poussent les gens à abandonner la barque et à se jeter à l’eau. Donc bravo Fernando pour ce fantastique travail, et j’espère que vous en êtes tous conscients.

En ce qui me concerne, je suis chirurgien plasticien. J’ai la chance aujourd’hui de connaître ceux qui vont vous parler un petit peu plus tard de sujets pointus. Nous, notre grosse difficulté, c’est que nous ne sommes pas formés à l’esprit de l’écoute bienveillante. Nous sommes formés à manier un bistouri. En général, le chirurgien est silencieux. Il travaille dans une salle d’opération. Parfois, il discute avec ses aides ou met un peu de musique. Mais nos rapports avec nos patients sont limités et, au fur et à mesure des années, ce qu’il se passe pour nous, c’est que nous devenons de plus en plus silencieux. J’ai appris ça de mon beau-frère qui est un très grand chirurgien, qui s’appelait Daniel Marchac, c’était un chirurgien qui opérait les nouveau-nés qui avaient des malformations crâniennes. Petit à petit, je le voyais, au fur et à mesure des années, me dire : « Moi, je ne fais pas d’histoire avec les patients donc je ne parle pas : je réponds ou je fais un hochement de tête, mais je n’engage pas de dialogue autre que ce pour quoi, exactement, ils viennent. » Donc c’était sa conception personnelle, évidemment discutable.

À l’inverse, j’ai fait mon clinicat et j’ai été interne avec un autre professeur qui s’appelait Raymond Vilain. C’est un comble pour un chirurgien esthétique, mais il n’était pas que ça ! C’était un homme assez génial qui avait eu, d’ailleurs, Lacan comme patient et qui nous racontait que Lacan avait un truc pour ne pas avoir peur avant de se faire opérer : il hurlait à l’Hôpital Américain, ce qui faisait que tout le monde entendait ce cri guttural qu’il poussait juste avant que l’anesthésiste ne l’endorme, c’était vraiment le cri d’un homme primitif, blessé et qui voulait s’en sortir. Je vous donne cette anecdote parce qu’elle est vraie. Raymond Vilain était quelqu’un de très différent de Daniel Marchac parce que lui s’intéressait à l’individu qu’il y avait derrière la blessure. Le concept de psychosomatique a été un des domaines où il a le plus travaillé. Tout à l’heure, Rami Selinger vous en reparlera d’une manière très élargie et très importante parce que c’est un concept énorme qui est sous-estimé, au moins par ceux qui veulent réellement améliorer les patients. En effet, ils oublient le côté psychologique pour ne penser qu’à la matière : aux nerfs, aux vaisseaux qui sont comprimés… Raymond Vilain s’intéressait à la psychosomatique et il avait ce talent étonnant de pouvoir pénétrer à l’intérieur de l’esprit des gens. Il avait, en un clin d’œil, saisi qu’il y avait quelque chose qui pouvait aller ou ne pas aller. Donc, à l’inverse de Daniel Marchac, il allait à l’intérieur de ces personnages. Mais il n’allait pas trop loin. S’il voyait qu’il y avait un problème, c’est comme s’il voyait qu’il y avait une faille ; il voyait la faille, et là, tout de suite, il frappait dans ses mains, il y avait une psychologue et un psychiatre dans son service qui étaient chargés d’accourir et en quelque sorte de prendre la suite.

Nous, dans nos pratiques personnelles – en tous cas moi, dans ma pratique personnelle – je n’ai pas eu la chance, sauf à l’hôpital, d’être accompagné par un psy ou une psychologue. Donc, quand vous êtes un chirurgien et que vous êtes dans votre cabinet, et que vous souhaitez améliorer le contact avec le patient, on peut demander à un psychologue ou une psychologue de venir consulter. Un certain nombre de mes confrères l’ont fait, par exemple – peut-être que certains le connaissent – le docteur Dardour, célèbre chirurgien esthétique, qui a pendant longtemps consulté avec une psychologue à ses côtés. Ça posait un énorme problème. Parce que, quand un chirurgien dit à une patiente « j’ai l’impression que vous avez un problème, peut-être que ce serait bien que vous alliez voir un psy », la patiente le prend très mal. Et si elle discute avec ce psy, cette patiente est perdue pour le chirurgien parce que c’est une proximité trop importante. Il faut, dans l’expérience que j’en ai tirée, qu’il y ait une certaine distance. C’est-à-dire que le chirurgien doit rester le chirurgien, il doit exprimer au patient la possibilité d’aller voir un psychanalyste ou un psychiatre en fonction des problèmes. Mais c’est au patient de prendre cette décision, c’est assez difficile de le pousser à faire ce pas. Cet exercice, pour nous, c’est un peu comme si, dans chaque patient, il y avait deux écueils. C’est pour ça que j’ai appelé mon topo une « topologie » parce que le chirurgien représente un vecteur puissant. Au départ, le vecteur chirurgien et le vecteur patient sont sur la même ligne. Petit à petit, il y a un écart qui se creuse. Petit à petit, le vecteur chirurgien va vers la chirurgie et le vecteur patient s’en éloigne et, l’un pour l’autre, devient incompréhensible. Le discours du chirurgien tombe dans le vide ; le discours du patient qui s’est éloigné n’a plus confiance dans le discours du chirurgien, il est un peu perdu, et c’est la source de tous les problèmes. Voilà pourquoi j’ai appelé cela la « topologie des patients insatisfaits ».

Là, je vais rentrer dans la véritable histoire, je vais raconter – si j’ai le temps – l’histoire de trois patients pour que vous puissiez avoir une idée précise de comment ça se passe. Je vais d’abord vous raconter l’histoire de monsieur T.

Monsieur T. est un très bel homme de 50 ans. Il est blond, les yeux bleus, le visage assez marqué, le visage énergique, il est petit, il est marié à une très belle femme, brune, très demandeuse de médecine esthétique. Au départ, monsieur T. vient me consulter un petit peu en cachette de sa femme parce qu’il a des sillons nasogéniens qui sont très marqués et il demande à ce qu’on les remplisse. Ça se fait. C’est de la médecine esthétique, on utilise de l’acide hyaluronique. Pendant deux ou trois ans, ça se passe très bien : il vient de temps en temps pour se faire faire un petit peu de médecine esthétique ; la femme vient de son côté et, en fait, ils ne viennent pas ensemble. Un jour, monsieur T. vient, je pensais qu’il venait pour son injection rituelle, il me dit : « Non, Docteur, j’ai un problème, est-ce que vous pourriez me prescrire un médicament contre l’impuissance ? Je voudrais… être mieux. » J’étais un peu étonné parce que ce n’était pas franchement mon rôle, mais, comme je l’aimais bien, c’était un patient sympathique donc plutôt que de lui prescrire de l’acide hyaluronique, je lui ai fait une ordonnance qui, normalement, devait faire en sorte qu’il puisse satisfaire – je ne sais pas ni qui… sa femme, ce n’était pas trop mon problème. Et puis, il a disparu. C’était un monsieur qui avait un travail très important : il était directeur de chantiers de construction importants, il a gagné beaucoup d’argent. Donc, il a vendu son affaire et il est parti aux Baléares. Là, je n’ai pas revu le couple pendant quelque temps.

Je l’ai vu revenir trois ans après. Son visage avait considérablement évolué : il était marqué, il avait l’air assez triste, il était un petit peu fermé, il m’a dit : « J’ai un cancer du côlon, on me le soigne et ça se passe bien. J’ai un problème : je ne m’aime plus quand je me regarde dans le miroir. » Je fais un examen complet de son visage. Je lui dis : « Oui, je pense que vous êtes bel homme mais c’est vrai que peut-être ce qui vous rend triste chez vous, ce sont vos paupières qui sont un peu tombantes. » « Oui, docteur ! C’est exactement ça ! Je ne voulais pas vous le dire, je voulais que ce soit vous qui me le disiez. » Bien. Donc je lui fais ce que je fais habituellement, des photographies, je lui explique le principe de l’opération. Je n’ose pas trop aborder avec lui ses problèmes de vie privée. Il a un comportement très différent de ce que j’avais connu. C’était comme s’il avait retourné sa veste à l’intérieur. Ce qu’on voyait, ce n’était plus la veste rutilante mais le côté de la doublure. Donc, on prévoit l’opération, on pratique l’opération qui se passe sans aucun problème, les suites sont simples. Puis, il rentre aux Baléares. Je pensais avoir fait un homme heureux et j’espérais qu’au moins, il ait le confort de la vie. Mais voilà que, semaine après semaine, je reçois des e-mails me disant : « Je ne suis pas content. » « Ça ne va pas ». Il m’envoie des photos en me disant : « Regardez, je ne suis pas pareil à gauche qu’à droite. » « Tout le monde me dit que je ne suis pas pareil à gauche qu’à droite. » « Ma femme me dit qu’elle ne me reconnaît plus. » C’est très ennuyeux parce que, par e-mail et par photos, on ne peut pas beaucoup correspondre. Je lui dis : « Pas de soucis, dès que vous revenez en France – parce qu’il revenait régulièrement – passez me voir que je regarde ».

Monsieur T. revient donc me voir avec un air toujours aussi abattu et il me pointe ses deux paupières en me disant : « Regardez, là, je ne suis pas du tout pareil. » Je lui montre ses photographies et – heureusement que nous faisons des photographies préopératoires – je lui montre qu’il y avait déjà une différence considérable qui était génétique : on n’est jamais pareil des deux côtés et, forcément, une opération a du mal à rétablir une symétrie parfaite, les cicatrices ne sont pas tout à fait au même endroit. Lui insiste énormément, énormément. Là, je lui pose des questions par rapport à sa vie privée. Évidemment, sa femme ne le désire plus, les petites amies qu’il avait en France sont oubliées. Il se retrouve seul avec lui-même avec une opération qui ne fonctionne pas, à son avis. C’est-à-dire que ses paupières, l’image que j’en ai eue, c’était l’image de sa sexualité. Donc, j’ai quand même décidé de l’opérer, de faire une petite retouche. J’ai pratiqué cette retouche devant ce patient insatisfait. Je l’ai fait très simplement au cabinet. Mais j’ai senti que le fait d’abonder dans son sens, et bien que je ne sois pas persuadé de la nécessité de faire cette retouche, était quelque chose dont il avait besoin parce que c’était une restauration de sa personnalité. Cette retouche s’est bien passée. Il en a été fort ravi, très content. Il m’a écrit après un mail : « Vous voyez, Docteur, je savais que j’avais raison. Vous m’avez opéré et vous m’avez écouté. Je me sens beaucoup mieux. Et d’ailleurs, ma femme dit maintenant qu’elle me reconnaît. » J’en ai conclu que, finalement, leur couple s’était bien rétabli.

Voilà une histoire qui est assez intéressante pour vous faire sentir à quel point le chirurgien peut être isolé avec son patient. Et là, malheureusement, en tant que chirurgien, je n’ai pas votre capacité de psychanalyste de pouvoir aller voir en profondeur. Mais, dans ce cas-là, la topologie de ce patient montrait qu’il n’était pas effondré, que sa courbe était quand même horizontale et non pas descendante, et qu’on pouvait lui donner un petit coup de pouce pour qu’il aille mieux. Donc, pour lui, ça s’est bien passé.

Deuxième histoire : monsieur Ça. C’est un homme qui a 65 ans, un homme très sympathique, très érudit, ancien sportif de haut niveau. Monsieur Ça, c’est pareil, c’est un monsieur qui prend très soin de sa personne. Il a été cassé à tous les étages. Toutes les opérations ne se sont pas trop mal passées. Lui aussi au bout de deux-trois années au cours desquelles je lui faisais des petits soins, des petits traitements parce qu’il avait envie d’être jeune, il vient me voir en me disant : « Ça ne va pas, tout le monde me dit que je suis fatigué. » Je le regarde et je ne lui pose pas trop de questions sur sa vie personnelle ou sur sa vie privée. Je dis : « Oui ». Un peu comme monsieur T., avec les années qui passent, ses paupières s’étaient un peu alourdies, la mode était à porter une petite barbiche, une moustache donc au niveau du visage, ça lui allait pas mal. Mais c’est vrai qu’au niveau de son regard, il y avait un alourdissement des paupières et peut-être que ça lui donnait un côté moins réflexogène, moins dynamique. Donc j’ai fait des photographies et je lui ai proposé de faire une intervention. Il m’a dit : « Je vais y réfléchir. » Moi-même, j’étais extrêmement hésitant parce que je me demandais pourquoi. Ses paupières étaient un peu lourdes, mais elles n’étaient pas catastrophiques. Alors j’ai essayé de lui parler de sa vie privée. J’ai fait ce que vous, vous faites : je lui ai dit : « Racontez-moi, comment ça se passe pour vous, il faut quand même que je comprenne. » J’étais un peu échaudé par le premier cas. Il me dit : « Mon amie m’a quitté, mais elle continue de me dire qu’elle m’aime, mais nous n’avons plus de relations. De temps en temps, elle me téléphone. On se voit amicalement. Elle me dit qu’elle ne peut pas vivre sans moi. Elle m’aide dans mon travail parce qu’elle me fait des affiches, des préparations pour mes cours. Mais nos relations sont un peu distendues, et je vois qu’elle ne me regarde pas comme elle me regardait avant. » J’étais hésitant.

Je voulais savoir, comme je vous ai dit tout ça, quels sont ceux qui pensent qu’il aurait fallu l’opérer ? Levez la main. Vous êtes chirurgien, vous avez un patient comme ça, vous ne savez pas trop ce qu’il faut faire, vous sentez que derrière il y a un problème psychologique, il y a peut-être un petit problème physique. Que ceux qui l’opèrent lèvent la main. Ce n’est pas honteux. *rires* Vous n’êtes pas nombreux. Je n’ai pas fait de bêtise, mais je l’ai opéré. Parce que je me suis dit : « Après tout, je ne peux que lui faire du bien, il va retrouver un petit peu son énergie, on lui dira moins “tu as l’air fatigué”. » Un mois après l’opération – ce qui est très tôt – ce patient revient me voir d’un air abattu, il avait entre-temps téléphoné cinq fois à la secrétaire en disant : « Ça ne va pas du tout. » Il revient me voir, je regarde, il n’y a rien d’anormal : il a une cicatrisation qui est en cours, la paupière est encore un petit peu épaisse d’un côté, mais je ne vois rien qui soit affligeant. « Ça ne va pas du tout. Mais regardez là : là, ça tombe. » « Oui, c’est vrai. » Mais je lui montre les photos : c’était là avant, ça tombe toujours. Pour corriger ça, il faudrait faire un lifting temporal. C’est une opération plus compliquée. Je lui dis : « Patientez un peu, vous n’avez pas fini de cicatriser. » Il me dit : « D’accord. » Il m’aimait bien parce que, pour des tas d’autres raisons, il me respectait. Quelque part, on avait une relation de confiance. Il est revenu au bout de deux mois encore plus abattu en disant : « Partout où je vais, je suis obligé de me cacher, je suis obligé de dire que je me suis cogné, les gens me disent “t’as l’air fatigué”, “Ça n’est plus ce qu’il était”. » Je lui ai demandé à propos de sa copine, il me dit : « On a rompu. » Là aussi, j’ai cédé. C’est-à-dire que, pour lui faire plaisir, j’ai décidé de lui faire une petite retouche sous anesthésie locale d’une de ses paupières. J’ai fait cette opération et, finalement, ça ne s’est pas trop mal passé et je n’ai pas d’autres nouvelles.

La conclusion, pour moi, c’est que ce qui nous manque le plus, en tant que chirurgien, c’est d’avoir accès à quelqu’un qui peut objectivement prendre en charge ces patients au niveau psychologique. Mais c’est une prise en charge qui est très compliquée parce que ces patients doivent investir sur ce nouveau personnage qui va apparaître. À part Fernando, que je connais, et qui est pratiquement le seul à avoir pu assumer cette tâche ingrate de prendre des patients insatisfaits de chirurgiens, je ne connais pas d’autre médecin – et surtout psychanalyste, psychologue ou psychiatre – qui accepterait cette tâche très dure. Parce qu’ils savent bien ces médecins, psychiatres ou psychanalystes, quand on leur envoie les patients, qu’on voudrait qu’il n’y ait pas de procès. On voudrait que ces patients continuent de nous aimer et non pas de nous attaquer en disant « vous m’avez raté » et d’entraîner la justice pour essayer, eux, d’avoir raison. Ce n’est pas forcément pour avoir une indemnisation, c’est surtout pour montrer que c’est eux qui avaient raison. Ma conclusion, c’est que le patient veut toujours avoir raison et nous, chirurgiens, nous devons nous soumettre. J’avais d’autres histoires à vous raconter, mais je pense qu’il faut que je laisse la parole.

16 Rédigé par Lucille Mihoubi.

17 Proposés par Lucille Mihoubi.

Une clinique humaine

Fairouz Nemraoui, psychothérapeute, docteure diplômée de l’Université Sorbonne Paris Nord, membre clinicienne du RPH-École de psychanalyse, Consultation Publique de Psychanalyse, 1 bis rue du Clos des Noyers, 94700 Maisons-Alfort, 06.35.47.81.36, [email protected]

Résumé : Par l’étude d’un cas clinique, l’auteure défend une clinique du partenariat entre chirurgiens et psychanalystes, qu’il s’agisse de demandes d’ordre esthétique ou médical. Seule la clinique du partenariat permet de mettre en place une thérapeutique solide.

Mots-clés : psychose – partenariat – organisme – corps – dysmorphophobie.

Victoria se rend régulièrement aux urgences ; ses crises d’angoisse l’y amènent. Celles-ci sont massives. Prise de panique, pensant devenir folle, elle se rend à l’hôpital psychiatrique dans lequel un médecin lui indique qu’elle est schizophrène et qu’elle souffre d’un conflit intérieur. Ce dernier l’invite fortement à commencer une psychothérapie en parallèle de son traitement médicamenteux. C’est ce qui l’amène à contacter le Service d’Écoute Téléphonique d’Urgence du RPH.

Victoria a eu une enfance teintée de graves maltraitances et de négligences. Concernant sa mère, elle précise : « Elle continue de me faire du mal, mais je finis toujours par y retourner ».

Pour cette intervention, je vais me centrer sur son symptôme de dysmorphophobie. Victoria a la certitude d’avoir le visage déformé, notamment par le nez de sa mère qu’elle est sûre d’avoir. Elle en souffre depuis « toujours » dit-elle, mais la situation empire : « En plus mon nez ne fait pas français et je ne veux rien avoir affaire avec le pays d’origine de mes parents » dit-elle. Son nez la renvoie à la trop grande proximité avec sa mère, une mère dont elle a des difficultés à se séparer.

Ses relations aux hommes sont construites sur le même modèle, elle choisit chaque fois des hommes qui ne la traitent pas bien. Il y a quelques années, l’un d’eux lui dit qu’il trouve son nez « moche ». À partir de ce moment-là, son nez devient une obsession. Elle le regarde, le touche, le mesure, le photographie tous les jours. Elle crée des albums contenant les différentes photographies de son nez afin de pouvoir les comparer. Elle décide alors de faire une rhinoplastie. Un an plus tard, une crise d’angoisse l’assaille, elle trouve que son nez a été « raté »même si son entourage lui disait l’inverse. Elle tente de se suicider, ce qui s’ajoute à une liste de tentatives de suicide déjà conséquente et ayant commencé dès l’enfance. Plusieurs hospitalisations psychiatriques ont déjà eu lieu suite à ces passages à l’acte.

Lorsque je la rencontre, Victoria a déjà subi trois rhinoplasties. L’une d’elles fait suite à un épisode de scarifications. Elle s’était scarifié le visage à l’aide d’un rasoir, en parlant de sa famille, elle précise : « Puisque personne ne veut voir à quel point je souffre, je voulais leur faire voir ». Une hospitalisation d’urgence est demandée par son médecin traitant à ce moment-là.

Victoria dit qu’elle « n’arrive pas à [se] trouver, je ne sais pas qui est qui ». Elle tente de s’identifier en passant par le Réel d’un acte chirurgical : la rhinoplastie. Comme se questionne Fernando de Amorim lorsqu’il se réfère aux trois registres dégagés par Jacques Lacan que sont le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire : « Passons-nous, avec la chirurgie esthétique de l’Imaginaire (phase du miroir) au Réel (acte chirurgical) sans passer par le Symbolique ? »18 Le travail de la cure psychanalytique sera justement de passer par le Symbolique. Cela permettrait ainsi de sortir l’être en souffrance de la tentation de continuer à passer par la voie imaginaire de la chirurgie plastique, qui a des effets au niveau du Réel de l’organisme.

Victoria songe justement à faire une quatrième rhinoplastie, « même si un médecin avait refusé, il y en a toujours un qui accepte »,dit-elle. L’acte chirurgical qui intervient dans le Réel de l’organisme répond ici à une souffrance psychique. Je l’invite ainsi à ne pas se précipiter, et à associer librement en séance. Comme le précise Nafissa Boukerche-Delmotte reprenant les termes de la loi bioéthique : « En science tout ce qui est possible n’est pas souhaitable »19.

Victoria cherche une limite à l’extérieur, c’est de cette manière qu’elle interprète notamment le fait d’avoir été arrêtée par la police après avoir volé dans un magasin : « Je pouvais me le payer ce gel douche, mais je voulais que quelqu’un me calme »,dit-elle. De la même manière, elle apprécie d’être hospitalisée, car, je cite, « il y a toujours quelqu’un qui répond, ils donnent des soins et ils sont gentils. Ça me change de ma famille ».

Victoria se rend à sa psychothérapie tous les jours. L’angoisse parfois massive m’amène à mettre en place la technique de l’écarteur. Conceptualisée par Amorim en hommage aux chirurgiens, celle-ci vise à ajouter des séances supplémentaires, soit le jour même, nous parlons alors de technique de l’écarteur verticale ; soit dans la semaine, la technique de l’écarteur horizontale20. Cette souplesse du cadre permet notamment à l’être de ne pas être dépassé par sa souffrance et, dans le cas de Victoria, d’éviter le passage à l’acte.

Un médecin esthétique me partageait son embarras face à certains patients. Il m’informait que parmi les demandes des personnes qui le contactent, il se voit en refuser au moins une par jour. L’argument est une détresse psychique évidente, des « demandes que je sens folles », dit-il.

Dans son cas, Victoria a la certitude d’avoir un nez déformé. Elle pense que l’opération chirurgicale pourra apaiser son obsession. Au fil des séances, elle dit que ce nez lui est insupportable, car il est comme celui de sa mère : « Il n’y a que mon nez qui ressemble à ma mère ». Elle le trouve raté : « Il manque le bout, la personnalité, je n’ai jamais pu me différencier d’elle pour de vrai ». Elle ne supporte pas que tout soit « mélangé » dans sa famille.

Son psychiatre lui avait dit qu’il ne trouvait pas son nez bizarre, mais tout à fait normal. « Je ne l’ai plus jamais vu. Je ne peux pas accepter qu’on me dise qu’il n’y a rien, encore une fois, on nie ma réalité, comme ma mère ». Elle poursuit : « Je ne veux pas avoir le nez de ma mère. Il y a quelque chose que je dois rompre, je veux changer de visage ». Trop proche de sa mère, elle tente de marquer une séparation en passant par le Réel, la chirurgie. L’association libre en séance parie au contraire avec le Symbolique.

Victoria prend soin de tenir son visage uniquement dans des positions où elle trouve que son nez est supportable. C’est une obsession de chaque minute qui l’épuise.

Elle accepte de repousser le rendez-vous avec le chirurgien lorsque je l’invite à venir en séance à la même heure, mais ce projet l’obsède et revient régulièrement dans ses associations libres. Périodiquement, elle prend rendez-vous chez un chirurgien esthétique qu’elle n’honore pas toujours.

Suite à mon intervention l’invitant à ne pas se précipiter, une femme qu’elle considère comme une amie lui dit que je ne suis pas sa mère et qu’elle fait ce qu’elle veut. Suite à cela, Victoria va consulter un médecin esthétique qui procède à des injections d’acide hyaluronique au niveau des sillons nasogéniens. Elle dit : « Mon nez a l’air un peu mieux maintenant, et je ne me suis pas fait ouvrir comme je vous avais dit que je ne le ferais pas ». Les injections lui coûtent plus de 400 euros qu’elle dépense sans même les avoir. Les dépenses compulsives représentent l’un de ses symptômes. Comme elle le précise elle-même : « Un pas en avant, huit en arrière. Je suis un vase brisé, c’est trop difficile de recoller les morceaux ». Ces passages à l’acte sont des tentatives pour Victoria de faire corps, mais en passant par le Réel et l’Imaginaire. Le Symbolique fait défaut et pour garder une unité, le Moi de Victoria concentre le délire sur une partie du corps, celle-ci étant hautement significative.

Victoria ne se reconnaît pas dans le miroir, elle dit ne pas savoir que c’est elle. Elle n’arrive pas à mémoriser son visage. « Quand je me regarde dans le miroir, je ne peux pas voir le tout, l’ensemble. Je ne peux me concentrer que sur une partie. Je ne sais pas où je me situe par rapport à mon corps, je regarde les autres à la piscine et je me demande ».

Il est arrivé qu’elle se brûle le visage, à ce moment, elle dit « ne pas sentir la douleur