Rouvrir l’horizon - Cécile Renouard - E-Book

Rouvrir l’horizon E-Book

Cécile Renouard

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Beschreibung

Quelle attitude pour les chrétiens face aux effondrements actuels ? Revenir aux sources de l’espérance et de l’engagement Un essai original et prophétique ! Crises écologique, sociale, politique, spirituelle… Dans cet essai lumineux, Cécile Renouard et Xavier de Bénazé nous invitent à prendre la mesure des enjeux actuels, sans nous réfugier dans un optimisme insouciant ni céder au désespoir. Surtout, ils puisent à la source vive de l’Évangile, qui fait de chaque baptisé un « prêtre, prophète et roi » – et de chaque être humain un « contemplatif, militant et leader » –, pour nous donner de véritables raisons d’agir et d’espérer. Ainsi pourrons-nous témoigner de manière crédible de l’espérance qui nous habite et relever ensemble les défis de notre temps. Un appel radical à l’engagement espérant, à l’espérance engagée.

À PROPOS DES AUTEURS:

Religieuse de l’Assomption et philosophe, Cécile Renouard enseigne notamment au Centre Sèvres, aux Mines de Paris et à l’ESSEC. Elle est aussi cofondatrice et présidente du Campus de la Transition.

Xavier de Bénazé est prêtre jésuite, délégué Laudato si’ pour la Province jésuite EOF. Il a participé au lancement du Campus de la Transition dont il est aujourd’hui administrateur.

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Conception couverture : © Christophe Roger

Composition : Soft Office (38)

Relecture : Le Champ rond

© Éditions de l’Emmanuel, 2023

89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

ISBN : 978-2-38433-113-0

Dépôt légal : 3e trimestre 2023

Cécile Renouard

Xavier de Bénazé

Rouvrir l’horizon

Manifeste d’espérance engagée face aux effondrements

Préface de Michel Maxime Egger

Préface

« Allier le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté », disait Antonio Gramsci. Une formule qui continue à fleurir dans le monde politique. S’ils partagent avec l’intellectuel italien la même soif de justice, la sœur de l’Assomption Cécile Renouard et le jésuite Xavier de Bénazé ne sont pas communistes, mais des chrétiens engagés avec amour et détermination dans la Cité, au service de la Création qui « gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rm 8, 22).

Forts de leur foi, de leur expérience et de leur collaboration féconde au Campus de la Transition dans la région parisienne, ils diraient plutôt : « Conjuguer l’effort de la lucidité et la grâce de l’espérance. » Un tissage essentiel, car autant la lucidité sans l’espérance peut devenir désespérante, autant l’espérance sans la lucidité peut tomber dans un idéalisme naïf. Avec justesse, contrairement à Antonio Gramsci et à certains collapsologues, les auteurs évitent les registres « rosacés ou noirâtres » de l’optimisme et du pessimisme, deux « voiles » qui « obstruent l’avenir » en empêchant ce qui est pour eux capital et qu’ils développent avec brio dans une forme de « manifeste » : voir clairement, comprendre en allant à la racine des problèmes et agir à la hauteur des défis. Et si l’Anthropocène, avec tous les bouleversements qui mènent vers une planète en partie inhabitable, était un kairos à saisir pour un renouveau, sinon une renaissance ?

Être lucide, pour Cécile et Xavier, c’est – données scientifiques à l’appui – regarder la réalité en face, prendre toute la mesure de la gravité de la situation, analyser les causes profondes, saisir avec nuances les responsabilités individuelles et structurelles. Ce n’est pas seulement s’informer, mais se laisser toucher, se rendre sensible aux cris de la Terre et aux clameurs des pauvres. Cela implique de reconnecter la tête et le cœur, de se relier avec gratitude et émerveillement au vivant, d’accueillir des émotions douloureuses comme la peur, l’impuissance, la colère, la tristesse, le découragement ou la culpabilité. Sans les laisser nous submerger ou nous y enfermer, au risque de nourrir l’inertie, mais pour les « composter » en engrais pour l’engagement, ainsi que le propose le « Travail qui relie » de Joanna Macy. Sans cacher leur ambivalence, Cécile et Xavier reconnaissent la puissance transformatrice des émotions, en particulier pour dépasser le hiatus entre les discours et les actes, flagrant tant au niveau des États que des entreprises et des individus.

Si ce processus de lucidité peut dans un premier temps conduire à des formes de désespoir, voire à de la désespérance, il permet aussi de ne pas s’y arrêter, mais de les traverser dans une « spirale dynamique » pour s’ouvrir à l’espérance. Celle-ci n’est pas une « pilule magique » pour rendre l’insoutenable supportable ou ne pas désespérer face aux effondrements en cours et à venir, mais le fruit même de la lucidité dans sa réalité implacable. Ainsi que l’affirme Jacques Ellul, qui n’est jamais loin, l’espérance naît quand il n’y a plus d’espoir, c’est-à-dire de solutions à seules vues humaines.

Là où l’espoir vient de l’extérieur et repose sur la raison et la volonté humaines, l’espérance sourd de l’intérieur, du cœur profond, dans une ouverture au « plus grand que soi » dont elle est l’un des dons. « Passion de l’impossible1 », l’espérance est animée par la puissance du vivant et du mystère divin qui en est la source. Là où la lucidité, avec en particulier les projections de la collapsologie, dessine le futur, c’est-à-dire ce qui sera à partir de ce qui est, l’espérance descelle l’à-venir, c’est-à-dire ce qui sera à partir de ce qui ad-viendra et que l’on ne connaît pas encore. Si le futur ignore le mystère et nous enferme dans ce qui n’est qu’à notre mesure, l’à-venir est l’inespéré toujours possible, qui dépasse notre entendement, impossible à calculer ou empaqueter. Une manière de donner du sens au présent en « rouvrant l’horizon » dont les initiatives de transition peuvent être de fécondes incarnations.

Pour Cécile et Xavier, ce mystère du « plus grand que soi » a un nom et un visage : Jésus Christ. Leur espérance se nourrit de la participation à sa mort-résurrection, à sa vie en plénitude, plus forte que tous les maux qu’il a pris sur lui, vaincus et transfigurés. Elle repose sur sa parole : « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Dieu, à travers son Verbe incarné, ne nous promet pas une sortie de crise, mais une présence fidèle. Il ne nous abandonne pas, c’est nous qui l’oublions et nous séparons de lui. Il n’est pas silencieux ou absent, c’est nous qui ne l’entendons pas et ne sommes pas présents à sa présence. Dans cette perspective, Cécile et Xavier nous invitent à manduquer le livre de l’Apocalypse, qui clôt la Bible. Un récit symbolique dont ils montrent l’actualité, qui « donne des ressources pour agir aujourd’hui dans le changement d’époque qui est le nôtre ». Il raconte notamment le combat spirituel qui se joue sous la surface de l’Histoire, pleine de bruit et de fureur, avec pour horizon – à la fin des temps – la promesse d’un « Royaume de justice et de paix pour tous ».

En même temps, Cécile et Xavier nous mettent en garde contre un mauvais providentialisme ou une espérance passive, où tout serait dans les mains de Dieu, dans la seule attente d’issues tombées du Ciel. Car Dieu n’est pas là pour résoudre les difficultés et épreuves, mais pour nous aider à les traverser et les transformer. Dans le respect de notre liberté, mais surtout en synergie avec la grâce de l’Esprit qui « souffle où il veut » (Jn 3, 8) et « fait toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5), à partir du moment où – dans la conscience humble de nos limites et de ce qui nous dépasse – nous nous ouvrons à ses énergies pour libérer les possibles.

On l’aura compris. Le défi, pas facile à réaliser, est d’arriver à tenir ensemble, en permanence, la lucidité et l’espérance ainsi que, d’une certaine manière, le futur soudé à la première et l’à-venir lié à la seconde. Cécile et Xavier y parviennent en traçant un chemin de crête entre Terre et Ciel, mystique et politique. Une voie étroite sur laquelle ils nous invitent à danser au service de la « grande transition » écologique et sociale. Dans une approche holistique et synthétique, qui brasse large en croisant et mettant en résonance des éléments comme le modèle des six portes, Laudato si’, les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola et nombre de pistes dans la seconde partie de l’ouvrage, ils posent pour cela – avec souffle et pédagogie, clarté et profondeur – quelques jalons essentiels qui sont autant de « boussoles éthiques et spirituelles » pour donner du sens, c’est-à-dire une orientation, une signification et une direction à notre existence et à nos engagements.

La voie proposée rejoint celle de la « personne méditante-militante » promue dans les réseaux de transition intérieure2. L’originalité de l’ouvrage est de la déployer à travers la triple vocation baptismale de prêtre, prophète et roi. Ces figures, très connotées religieusement et qu’il convient de féminiser, pourront ne pas parler à certaines personnes, voire en rebuter d’autres. Certes, Cécile et Xavier – par leur langage et leurs références – s’adressent de fait en priorité à un public chrétien, dont ils souhaitent éclairer les choix et stimuler l’engagement, en rappelant le « rôle essentiel des minorités actives pour provoquer des points de bascule ». Ils sont toutefois aussi convaincus de l’universalité du message de fond de l’Évangile et voient l’Esprit à l’œuvre chez nombre de leurs contemporains désireux de changer en profondeur et de prendre soin du vivant, indépendamment de leurs convictions religieuses. Cette ouverture se traduit dans la seconde partie du livre, riche de ressources très diversifiées qui vont bien au-delà de la seule tradition chrétienne, pour nourrir les cheminements personnels et « raviver la petite flamme de l’espérance dans nos engagements quotidiens ».

Il vaut donc la peine de ne pas rester bloquer sur les références chrétiennes. La force de Cécile et Xavier est non seulement de les assumer, mais de les actualiser en élargissant leur compréhension par rapport à l’approche classique de la littérature biblique, en en montrant la pertinence et la puissance pour – au-delà des milieux d’Église – s’engager pour le changement de cap. Pour le dire de manière simplifiée et en les laïcisant, les figures de prêtre, prophète et roi renvoient respectivement à la contemplation méditante, à l’action militante et au leadership responsable. À travers le prisme spirituel choisi, l’ouvrage leur donne cependant une dimension de profondeur accrue, une forme de supplément d’âme et d’esprit. Chaque personne pourra en faire son propre miel et y trouver des résonances avec ses convictions et ses pratiques.

Le prêtre ou la prêtresse est la personne qui relie la Terre et le Ciel, le matériel et le spirituel, le visible et l’invisible, le temps et l’éternité, la nature et le divin. Par son ancrage dans le cœur profond, lieu de rencontre avec le « plus grand que soi », elle sait tenir dans la tempête tout en compatissant aux souffrances du vivant. Par la méditation et la prière, la célébration et la louange, elle cultive la gratitude pour les dons gratuits de Dieu et de la Création qu’elle offre en retour et en partage, mais aussi l’émerveillement pour la beauté du monde. Pas de prédation ou d’accaparement donc, mais – dans une décélération du temps – une démarche de dépossession et de désappropriation qui ouvre sur la sobriété heureuse ou joyeuse, seul antidote crédible au système croissanciste, productiviste et consumériste.

Imprégnés de l’expérience du mystère de la croix et d’une vision non doloriste de la passion du Christ, Xavier et Cécile parlent à cet égard de « sacrifice » et de « renoncement », voire d’« abnégation » pour une vie en abondance. Des mots forts, justes, mais peut-être difficilement audibles pour la sensibilité contemporaine qui, de manière plus « soft », parlera de contentement et de suffisance. Quel que soit le vocabulaire choisi, l’enjeu est de vivre la transition comme une métamorphose ou une Pâques : un passage de la mort à la Vie où, dans un don de soi et une réorientation de tout notre être vers le « plus grand que soi », il s’agit de mourir à tout ce qui – en nous, dans nos modes de vie et le système – participe de forces de mort, de séparation et d’inertie, pour aller vers la vie, la reliance et le mouvement.

Le prophète ou la prophétesse n’est pas la personne qui annonce ce qui va arriver, mais celle qui – fort de l’esprit de l’Apocalypse, qui signifie dévoilement – discerne les signes des temps, met à nu, interpelle et réveille les consciences. Être prophète, c’est donner une voix aux êtres – humains et autres qu’humains, d’aujourd’hui et de demain – qui n’en ont pas. C’est dénoncer le mal à l’œuvre dans le monde sous toutes ses formes, y compris structurelles, et protester contre les complicités personnelles et collectives qui l’entretiennent et alimentent l’inaction. En ayant, par exemple, le courage de recourir à la désobéissance civile, mais aussi de renoncer à nos conforts, à la démesure consumériste et à nos modes de vie incompatibles avec le respect des limites planétaires, la justice et une vie digne pour toutes et tous.

Dans une perspective nourrie notamment par la tradition biblique, s’il joint sa voix à celles – scientifiques et militantes – qui lancent l’alerte, le prophète ne parle pas du même endroit. Il appelle à la conversion et au changement radical à partir non seulement du présent, mais de l’à-venir et, plus encore, des « fins dernières » dont il a une expérience spirituelle. Éveillée, la parole prophétique interrompt notre sommeil et éveille. Inspirée, elle inspire des visions et des engagements nouveaux. Critique, elle brise le cocon de nos acquis et de nos certitudes bon marché. Venue du plus profond, elle appelle au loin. Ouverte, elle rouvre l’horizon et appelle à un dépassement constant. Dynamique, elle met en mouvement. Brûlante, elle enflamme le cœur.

Le roi ou la reine est le leader qui exerce sa responsabilité – au double sens de « répondre à » et « répondre de » – dans la complexité du monde et du quotidien. En bon jardinier, il prend soin de la Création, dans le souci de respecter les équilibres, les lois et l’intégrité du vivant. En se décentrant de ses intérêts propres, il se met au service du bien commun et de la justice des communs, dans l’attention aux plus vulnérables, au partage équitable et durable des richesses. Surtout, il veille à partager le pouvoir qu’il transforme d’un pouvoir « sur » – fondé sur la domination, la compétition, la peur et où l’autre devient un rival – en un pouvoir « de », « avec » et « du dedans », centré sur la coopération, l’entraide, la confiance et où l’autre devient un allié. Dans cette perspective, il encourage – par de nouveaux modèles de gouvernance et de démocratie – à la participation ou représentation des êtres, y compris autres qu’humains, affectés dans les décisions qui les concernent.

Cécile et Xavier le soulignent avec force à plusieurs reprises. Un point clé de la royauté est le discernement. Individuel sur la manière – propre à chaque personne – de donner sens à son existence, accomplir les changements de mode de vie et de consommation exigés par les dégradations en cours, répondre aux appels du monde et de Dieu. Mais aussi collectif afin d’identifier les combats à mener, les leviers à activer, les blocages à déjouer pour opérer les transformations structurelles. L’enjeu est, à chaque fois, d’apprendre à décider, prioriser et agir de façon juste pour bien vivre ensemble, en particulier face aux dilemmes éthiques qui touchent tous les aspects de nos existences et de la société : alimentation, transport, chauffage, loisirs, numérique, etc. La « grande transition » est tout sauf un processus de bisounours. Ainsi que le montre bien l’ouvrage, des conflits sont inévitables qu’il va falloir assumer et transformer de manière créative, à travers notamment la culture du « désaccord fécond » chère au philosophe Patrick Viveret et l’art de la « beauté du compromis » prôné par Lanza del Vasto. Loin de toute compromission, les deux impliquent une compréhension systémique et holistique des enjeux, la reconnaissance de la légitime diversité des engagements, la capacité de dialoguer et de créer des ponts.

Profondément complémentaires et poreuses, ces figures de prêtre, prophète et roi ne cessent de se répondre, se recouper et s’interpénétrer au fil des pages. Elles forment en réalité un tout. Mobilisant les différentes dimensions de l’être – corps, âme et esprit –, elles impliquent les trois en une métanoïa, une mutation ou métamorphose intérieure. En termes de transition intérieure, on dirait qu’elles renvoient à des « rôles » qu’il s’agit de « faire jouer ensemble dans nos existences individuelles et nos choix collectifs ». Elles relient également la tête, le cœur et les mains. Car l’espérance dont elles témoignent n’a de sens et de fécondité que si elle s’incarne dans la chair du monde et de l’Histoire, dans l’être et le faire. Elle n’est pas attente, mais action. Elle nourrit et se nourrit de choix et d’engagements dans tous les domaines et à toutes les échelles, du plus personnel au plus collectif, du local à l’international. Cécile et Xavier, loin de rester dans de simples théories, déclinent une série de pistes qui vont de la mise en question des indicateurs de mesure comme le PIB aux écogestes, en passant par la politique énergétique et les formes de gouvernance.

Pour une personne méditante-militante, la manière de s’engager est aussi importante que ce pour quoi elle s’engage. Cette conviction se traduit par des attitudes intérieures qui à la fois sous-tendent les figures de prêtre, prophète et roi, et en découlent. Parmi les nombreuses postures évoquées dans le livre, trois nous semblent particulièrement cruciales tant pour nos existences individuelles que pour celles des collectifs.

D’abord, l’humilité. Elle nous rappelle en permanence nos limites, nos fragilités, nos insuffisances et nos incohérences, mais aussi le caractère relatif et toujours partiel de notre action face à l’ampleur de la tâche et la complexité des enjeux. Elle est, d’une certaine manière, indissociable d’une grande qualité de Cécile et Xavier : l’humour, mot où s’épousent l’humilité et l’amour.

Ensuite, un rapport juste au temps. L’enjeu est de durer dans l’engagement sans s’épuiser, dans un équilibre dynamique entre le don et le soin de soi, sans sacrifier l’essentiel à l’important et ce dernier à l’urgent. Une telle persévérance est notamment rendue possible par un ancrage dans le cœur profond, la connexion au vivant et à ses rythmes ainsi que, souligné par Cécile et Xavier, l’enracinement en Dieu par la foi et la prière.

Enfin, un « dégagement joyeux ». Comment, au cœur même de nos engagements et de nos vies, garder un espace intérieur libre et désencombré, ouvert à la puissance de vie du vivant et aux énergies – non seulement renouvelables mais inépuisables – de l’Esprit sans lequel nous ne pouvons rien. Il s’agit, dans un décentrement permanent de l’ego et un recentrement vers le « plus grand que soi », d’agir en se détachant des résultats (toujours incertains) et des fruits qui ne nous appartiennent pas, en préférant la fécondité à l’efficacité, dans une acceptation du droit à l’erreur et sans considérer les échecs comme la fin de tout.

« Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce soit avec douceur et respect… » (1 P 3, 15-16). Cécile et Xavier ont pris au sérieux et quasi à la lettre cette invitation, en la resituant dans le contexte de l’Anthropocène. Lucide, contemplative, prophétique, responsable, incarnée, mystique, humble, engagée et dégagée, l’espérance qui les anime et dont témoigne leur livre est ouverte, « hors cadre » et en mouvement. Bien ancrée dans leur foi, avec des racines au Ciel et dans la Terre, elle est en marche permanente, à l’image du Christ qui n’a pas une pierre où reposer la tête. Elle s’oppose donc à tout enracinement qui serait enfermement, fixation et conformisme. Elle invite au contraire à se laisser déplacer, sortir de nos zones de confort, déconstruire nos conditionnements, décoloniser notre imaginaire, oser des pas de côté, prendre des chemins de traverse et non encore balisés.

« Rouvrir l’horizon », c’est ne jamais se satisfaire de l’acquis et des réponses toutes faites, mais toujours chercher à se dépasser et aller plus loin. Selon une dynamique de reliance et d’amour qui va de « commencement en commencement » (Grégoire de Nysse, IVe siècle), dans un questionnement permanent, une tension constante entre l’en bas et l’en haut, entre le doute (à traverser) et la certitude (à dépasser). Entre le « pas encore » du siècle à venir et le « déjà là » du Royaume en voie de transfiguration, ici et maintenant, par la coopération – dans l’Histoire – des êtres humains, des autres qu’humains et de l’Esprit Saint.

Michel Maxime Egger

Sociologue et écothéologien

1. Jacques Ellul, L’Espérance oubliée, Gallimard, 1972, p. 188.

2. Voir notamment Michel Maxime Egger, Tylie Grosjean et Elie Wattelet, Reliance. Manuel de transition intérieure, Actes Sud, 2023.

Introduction

Un soir, au sortir d’une conférence sur Laudato si’ pour une paroisse parisienne. Une femme m’aborde, moi Xavier, et me dit : « Merci de ce que vous nous avez partagé. C’est dur. Heureusement nous, chrétiens, nous avons l’espérance. Nous savons qu’avec Dieu ça ira bien. »

Un matin, autour d’une tasse de chicorée dans le réfectoire du Campus de la Transition. Un jeune fortement engagé en écologie me partage ses insomnies à moi, Cécile : « C’est terrible. Avec cette crise, j’ai l’impression qu’il n’y a plus d’avenir. »

Des rencontres comme celles-ci, nous en avons vécu des centaines ces dernières années, ensemble ou chacun dans nos missions. Leur tendance à peindre l’avenir en rose sous prétexte d’optimisme chrétien ou à draper d’un noir désespéré le jour qui vient nous traverse nous-mêmes. Mais nous savons par expérience que ces aveuglements rosacés ou noirâtres ne mènent nulle part. Ce sont plutôt des voiles qui empêchent de voir, d’analyser à la racine et d’agir en conséquence. Ce sont des œillères qui obstruent l’avenir. Au contraire, avec d’autres, aux profils les plus divers, nous avons la chance de vivre des engagements qui créent un futur souhaitable et désirable par tous, tout en sachant que nous ne contrôlerons jamais la Vie qui nous traverse. De plus, comme chrétiens, nous faisons en ces lieux l’expérience que l’Esprit de Dieu œuvre avec nous pour cocréer cet à-venir. Loin du rose, du noir ou du vert-greenwashing, nous voulons alors vous partager comment, pour nous, l’espérance engagée qui anime nos chemins permet de rouvrir l’horizon en cette période de crise. Une sorte de retour aux sources de nos engagements pour ensuite nous tourner résolument vers la Terre et tous nos frères et sœurs, vers ici et maintenant.

Car crise, il y a bien. Loin de nous le rose trop facile d’un optimisme béat. Crise écologique, crise sociale, crise économique, crise politique, crise des valeurs… La moitié de la population de la planète vit dans un régime non démocratique. La moitié la plus pauvre du globe se partage 2 % des richesses et 8,5 % des revenus3, émet seulement 7 % des émissions de gaz à effet de serre (GES)4, mais vit en majorité dans des pays qui sont et vont être de plus en plus affectés par les événements climatiques extrêmes et par la dégradation rapide des écosystèmes. Les peuples et les personnes pauvres sont ainsi à la fois les moins responsables et les plus injustement touchés par la crise écologique et sociale. Dans le même temps, la croissance du PIB sert toujours de critère majeur pour évaluer la situation des pays et ce que serait une vie bonne. Elle est pourtant largement corrélée à l’augmentation de la consommation énergétique par habitant, celle-ci étant encore majoritairement dépendante des combustibles fossiles. La croissance partout, tout le temps, est donc insoutenable si nous voulons préserver notre maison commune qui se dégrade à grande vitesse.

Car la combustion de ces énergies fossiles et les émissions de CO2 qui les accompagnent sont en train de faire dérailler la stabilité climatique qui nous a permis de développer toutes nos « grandes » civilisations humaines. C’est peut-être pour cela que la crise climatique est celle que nous avons le plus en tête. Nous commençons à savoir, et même à sentir dans notre chair, que la quantité de CO2 dans l’atmosphère est passée de 280 à 410 ppm sur les deux cents dernières années5, entraînant d’ores et déjà une hausse moyenne de 1,2 °C à la surface du globe par rapport à l’ère préindustrielle. Mais le climat n’est malheureusement pas la seule frontière planétaire à risque. La « Grande Accélération6 » imposée à la planète par la croissance exponentielle des sociétés humaines, surtout occidentales, depuis 1950 se fait toujours plus intense. Son impact sur la planète est tel que certains n’hésitent pas à qualifier notre époque de nouvelle ère géologique baptisée « Anthropocène7 ». Ce qui veut dire que l’humain (anthropos) est aujourd’hui la force majeure qui transforme la planète. Les chiffres ne peuvent que donner froid dans le dos. Pour n’en citer que quelques-uns, comme au hasard : la France a perdu 30 % de ses oiseaux en trente ans8 ; nous avons franchi six des neuf frontières planétaires qui assurent la stabilité du système Terre depuis 10 000 ans9 ; d’ici 2050-2070, une partie des pays tropicaux pourraient devenir inhabitables sous l’effet cumulé de températures et d’humidité en hausse (phénomène de wet bulb)10 ; selon les estimations, les migrations environnementales d’ici 2050 devraient toucher de 200 à 700 millions de personnes11…

Le mot « effondrement » que certains utilisent pour parler de ces phénomènes résume bien la situation et l’ambiance. Mais ce singulier nous semble trop vague. Comme si tout à coup le grand soir, le grand effondrement12 allait arriver de manière certaine, à très court terme ou dans quelques années. La situation est alarmante, c’est certain. Mais il nous faut sortir du noir d’un imaginaire totalisant et enfermant. On peut commencer à poser des questions : à quels rythmes, à quelles échelles et comment vont s’enchaîner les catastrophes ? Remettre de la complexité dans la réflexion permet de rouvrir des possibles, de prioriser, de discerner personnellement et collectivement comment agir de façon juste. Le dernier rapport du Giec décrit ainsi plusieurs trajectoires possibles du point de vue du réchauffement climatique et de ses conséquences sur les populations et le vivant, de la plus optimiste à la plus catastrophique. Cette dernière est liée à la probabilité faible (mais bien réelle) d’événements dits « à fort impact » : « Des réponses abruptes et des points de bascule du système climatique, tels qu’une forte augmentation de la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique et du dépérissement des forêts, ne peuvent être exclus (degré de confiance élevé)13. » Quels que soient les scénarios pour le futur, ils comprennent tous pour les humains des bouleversements intellectuels, psychologiques, pratiques et existentiels. Tous les aspects de nos vies sont déjà et seront toujours plus impactés. Mais pas de façon uniforme et homogène. Voilà pourquoi nous préférons parler d’« effondrements » au pluriel.

Alors, face à l’érosion de nos certitudes et face aux limites biogéophysiques planétaires, il nous semble urgent d’entendre que nous sommes appelés à réinventer des modes de vie plus sobres et conviviaux. Il nous faut « redéfinir la qualité de vie et le progrès14 » comme le propose le pape François dans son encyclique Laudato si’, sur la sauvegarde de la maison commune. Cette redéfinition du progrès met en cause nos façons de nous rapporter aux sciences et aux techniques, nos manières de regarder, de connaître le monde qui nous entoure et d’y inscrire l’existence humaine. Plus profondément, c’est la question du sens qui est posée. Or, le sens de nos vies est lui-même profondément en crise, au moins dans un pays comme la France. Ainsi, selon une enquête récente de la Fondation Jean-Jaurès15, 40 % des jeunes Français de 25 à 34 ans disent ne pas se sentir assez solides mentalement pour tout affronter dans leur vie quotidienne, quand 20 à 30 % de la population dit ressentir l’éco-anxiété et 60 %, craindre une frappe nucléaire. Le tout accompagné d’un manque croissant de motivation au travail et à l’effort. Les auteurs de l’étude résument même leurs propos en parlant de la « flemme » d’une génération et d’une culture « canapé », où la valeur loisir est, pour l’ensemble de la population, loin devant la valeur travail (41 % contre 24 %). Dans un tel contexte, comment peut-on encore se poser la question de l’espérance ? Quelle signification et quelle direction donner alors à nos existences ?

Ce contexte de crise du sens de l’existence sur une planète elle-même en crise vitale nous presse alors, nous Cécile et Xavier, deux humains, deux chrétiens, deux religieux engagés à la suite du Christ pour aimer et servir ce monde et cette Création : quelle est notre espérance face à ces effondrements dramatiques ? De quelles boussoles éthiques et spirituelles se saisir ? Quel horizon intérieur rouvrir alors même que l’horizon extérieur se dérobe ?

Nous ne prétendons avoir LA réponse à ces questions. Mais nous souhaitons engager le dialogue avec nos lecteurs et lectrices, poursuivant les nombreuses conversations que nous avons la chance d’avoir avec des personnes venues de contextes très différents, et à partir de nos expériences de vie. Ce livre prend ainsi sa source dans l’aventure que nous vivons depuis cinq ans – comme religieuse de l’Assomption pour Cécile, comme jésuite pour Xavier – avec la création du projet laïc du Campus de la Transition16, et plus largement dans nos lieux de vie communautaire, de travail, d’engagement, dans des institutions non confessionnelles et dans des structures d’Église. Nous sommes régulièrement désarçonnés par les mauvaises nouvelles en cascade et éprouvons incrédulité, frustration, colère et honte devant les inerties et œillères collectives, notamment de la part des catégories plus aisées dont nous faisons partie. Catégories sociales qui portent pourtant une plus large part de responsabilité dans la crise actuelle ou qui en sont particulièrement complices. Ainsi, si l’objectif pour réaliser l’accord de Paris17 sur le climat est pour la France de passer d’une moyenne de 10 tonnes d’équivalent CO2 émis par Français et par an à 2 tonnes en 2050, rappelons que les 10 % les plus riches de l’Hexagone émettent 30 tonnes par an (ce chiffre s’élevant à 73 tonnes pour les Américains et Canadiens les plus aisés). La responsabilité d’agir n’est donc pas la même pour chacun ! Par ailleurs, les « schismes de réalité18