Sagesses d'un peuple en équilibre - Corinne Hell - E-Book

Sagesses d'un peuple en équilibre E-Book

Corinne Hell

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Beschreibung

Sagesses d’un peuple en équilibre, roman ponctué de passages philosophiques et de réflexions sur notre rapport au monde, nous amène dans le quotidien des Indiens d’Amazonie. Ici, notre protagoniste participe, avec ces derniers, à leurs activités sociales et spirituelles, et partage leur mode de vie en accord avec la nature. En faisant le parallèle avec nos sociétés occidentales, il nous propose un autre regard sur le monde. En quête d’un idéal, il s’interroge également sur le bonheur et sur notre relation aux esprits…


À PROPOS DE L'AUTEURE


Artiste peintre et art-thérapeute, Corinne Hell écrit Sagesses d’un peuple en équilibre, son premier roman inspiré de ses voyages et de ses parcours initiatiques, en hommage au peuple amazonien. Pour elle, la littérature est un repère et une ouverture vers l’imaginaire, autant qu’elle nous permet d’accéder à la connaissance et à la compréhension du monde.

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Seitenzahl: 266

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Corinne Hell

Sagesses d’un peuple en équilibre

Roman

© Lys Bleu Éditions – Corinne Hell

ISBN : 979-10-377-6358-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

N’hésitez jamais à partir loin, au-delà de toutes les mers,

toutes les frontières, tous les pays, toutes les croyances.

Amin Maalouf

Chapitre 1

Un rêve qui se dessine…

C’était un soir chaud en plein mois de juillet. Je m’apprêtais à partir pour la jungle amazonienne du Pérou, en vérifiant ce qui manquait à mon expédition. Il me fallait peu de choses, je souhaitais m’aventurer le plus légèrement possible, dans un état d’ouverture total à ce qui m’attendait. Une lampe torche solaire, des chaussures de marche imperméables, de multiples carnets d’écriture, quelques vêtements adaptés, et un petit équipement de survie. Je glissais également dans mon sac quelques fruits secs, des biscuits, des soupes déshydratées, ainsi qu’une gourde filtrante, des comprimés contre la fièvre, et un flacon à la citronnelle pour éloigner les moustiques. J’emportais aussi mon objet fétiche, une pierre ramassée il y a quelque temps dans les Pyrénées, représentant un visage lorsqu’on la positionne d’une certaine manière. Porté autour du cou, ce caillou énigmatique m’accompagne depuis bien longtemps maintenant, en agissant comme un double, un protecteur. Dans les civilisations animistes, ces objets fétiches, auxquels on attribue un pouvoir magique et bénéfique, font intégralement partie du quotidien. La lumière tamisée qui inondait la pièce de l’appartement et le silence qui y régnait me laissèrent divaguer un instant. J’avais hâte de rejoindre cette communauté emplie de mystère qui n’a cessé d’alimenter mon imaginaire depuis tant d’années. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu cet esprit téméraire empreint de liberté. Enfant, je partais seul des journées entières à travers les collines et les espaces boisés qui entouraient la maison familiale. La forêt était mon refuge, un espace qui me connectait à mon être intérieur, et à l’enfant sauvage qui grandissait en moi. J’avais l’impression de me sentir dans un cocon réconfortant, bien au chaud parmi les forêts de mousse et de fougères. La nature était ma confidente, elle pansait mes blessures, recueillait mes secrets et mes moments les plus intimes. J’observais inlassablement les bourgeons apparaître, les feuilles bouger au gré du vent, les insectes se frayer un passage parmi les amas de branches et les racines apparentes. Rien ne pouvait expliquer cette attirance extrême pour les espaces naturels, et cette passion sauvage que je ne partageais avec personne, si ça n’était quelques amis que j’entraînais parfois dans mes escapades. Contrairement à eux, la nature ne m’ennuyait jamais, et dès que je le pouvais, je lui rendais visite. J’avais aussi un attrait infini pour l’inconnu, et chaque nouveau paysage ou nouvel évènement qui s’offrait à moi devenait un moment d’exaltation. Mes balades, censées être à durée déterminée, se rallongeaient au fil de mes découvertes. Mon goût pour l’exploration s’était révélé très tôt et ravissait mes rêves les plus fous. Aujourd’hui, je ne fais que reproduire ces instants d’enfance. Ils font partie de moi, et m’ont structuré dans ma vision et mon vécu du bonheur. Les espaces naturels m’offrent un moment unique dans la folle cadence du quotidien. Ils me nourrissent de par leur beauté, leur force ou leur douceur. Leur capacité de régénération et d’adaptation est immense. S’en imprégner peut influencer notre propre force vitale.

Depuis quelques années déjà, je songeais à vivre ma passion pour la nature et les espaces vierges de façon encore plus extrême, et à lui donner un sens profond. Aller plus loin dans la découverte, ne pas rester dans le paysage mais vivre avec ceux qui le traversent à chaque instant de leur vie, et qui construisent leur univers autour de lui. M’appuyer sur des critères de vie liés à autre chose, à d’autres valeurs, être dans un état d’esprit minimaliste pour pouvoir m’imprégner au mieux des environnements parcourus. Prendre le temps d’écouter le monde, de comprendre, d’observer les choses qui ne retiennent pas notre attention en temps normal. C’est ainsi que j’ai choisi de rejoindre cette tribu de la jungle amazonienne pendant deux mois, plutôt que de rester statique dans mes livres. Côtoyer une société traditionnelle découle d’un besoin de découverte de populations à la fois semblables à nous-mêmes en termes de physiologie, et très différentes culturellement, avec des aspects parfois difficiles à imaginer et à intégrer dans nos modes de compréhension civilisés. L’une de mes volontés est de saisir l’opposition de nos centres d’intérêt quotidiens étant donné les disparités de nos lieux de vie, mais aussi d’observer ce qui nous rejoint dans le vécu des émotions, tels les liens qui unissent tous les humains. Nos conceptions des choses diffèrent, mais les instants de joies, de colère, de peur ou de chagrin demeurent similaires en termes de ressenti. Je souhaite observer les différences culturelles, comportementales ou visionnaires, tant au niveau de la vie en général que des relations humaines. Mais l’intérêt majeur revient au fait que ces sociétés traditionnelles sont les gardiennes d’un vécu, d’un mode de vie hérité de leurs ancêtres qu’elles ont su maintenir pendant des millénaires. Contrairement aux sociétés occidentales, elles subsistent encore de la chasse et de la cueillette, de petites cultures ou de sommaires élevages. Leur quête est avant tout celle de l’harmonie avec le milieu environnant, en veillant à son maintien et à sa régénération. Je me souviens avoir lu dans un ouvrage un ancien dicton venant de ces peuples amazoniens :

Chaque fois que vous abattez un arbre, vous devez lui demander pardon,sinon une étoile tombera du ciel.

Les Indiens participent ainsi au cycle de la vie, au même titre que les végétaux ou les animaux. Ce mode de vie adapté à leur environnement éloigne toute idée d’échanges commerciaux, et propose une relation des plus respectueuse avec la nature. Remonter aux origines, voilà ce qui m’anime essentiellement. Comprendre ce qui nous a façonnés, ce qui a donné une réalité à ce que nous vivons. Les chasseurs-cueilleurs étaient présents sur notre territoire il y a plus de dix mille ans, et aujourd’hui encore, des milliards de gens dans le monde vivent de manière traditionnelle. Ces sociétés humaines se maintiennent sans accéder au monde moderne, de par leur volonté conservatrice, et l’isolement géographique de leur lieu de vie. Ils entretiennent des processus sociaux intacts et réitérés depuis des siècles. Rien ne semble avoir changé ni évolué. Ils vivent ainsi depuis l’âge de pierre, à l’écart de tout ce qui constitue notre monde civilisé. Les mêmes gestes sont perpétrés depuis des centaines d’années, marquant d’autant plus les origines et les traditions. L’autre raison qui me pousse vers cette aventure est ce lien au mystique qui ne me quitte pas depuis l’enfance. J’ai souvent ressenti des choses inexplicables et peu cartésiennes, ne sachant pas toujours comment les aborder. Je m’imaginais l’existence d’autres formes de pensées, de mondes parallèles auxquels seul un petit nombre de personnes auraient accès. J’étais persuadé faire partie de cet échantillon privilégié qui sait naviguer entre inconscient et réalité, et qui sait se relier à d’autres formes de conscience. En partant pour ce coin perdu du grand « paradis vert », je me prépare à faire la connaissance d’une petite communauté vivant de manière isolée depuis toujours, nommée les Maravilloso. Ce nom leur a été donné en mille neuf cent quatre-vingt-deux par les anthropologues ayant parcouru leur territoire, quelque temps après la venue des missionnaires évangélistes qui marqua leur première rencontre avec le monde extérieur. Évidemment, ces derniers ont bien tenté de les convertir au christianisme, mais ils ont su résister avec ferveur, rejetant entièrement l’idéologie proposée. Surpris par la force de leur résistance face aux volontés dogmatiques qu’ils voulaient leur imposer, et leur détermination pour maintenir l’authenticité de leur peuple, les anthropologues ont choisi de les nommer « Les Merveilleux », les Maravilloso en espagnol. Jusque-là, personne encore ne soupçonnait leur présence, alors qu’ils vivaient tranquillement depuis des siècles. Un mystère entoure pourtant cette période où les colonisateurs ont souhaité les convertir et n’y sont pas parvenus. La force de leurs esprits aurait-elle suffi à repousser ce qu’ils ne voulaient pas ? Est-ce de l’ordre de leur destinée que d’avoir pu résister aux tentations proposées par les missionnaires ? Dès lors, le clan n’a plus vraiment eu de véritables contacts avec le monde civilisé, si ça n’est peut-être quelques aventuriers de mon espèce, au passage plutôt discret et respectueux. Heureusement, les peuples habitant la forêt amazonienne sont protégés par le gouvernement, seules quelques personnes peuvent rejoindre ces territoires reculés, à condition d’obtenir les papiers nécessaires, et de fournir de bonnes intentions. Certains membres de la tribu sont plus ou moins conscients de l’existence d’un monde différent de celui qu’ils côtoient. Par l’observation des vols aériens survolant leurs territoires, la possibilité d’un monde inconnu à leurs yeux se présente d’elle-même. Dans leurs têtes, cet oiseau de fer géant qui avance dans le ciel doit relever d’un ailleurs lointain et imperceptible. Repliés dans leur univers, les Indiens sont les premiers humains à avoir vécu dans la forêt amazonienne. Leurs croyances spirituelles et leur connexion à la nature les maintiennent dans une logique de préservation des espèces par une quête respectueuse et pure du vivant. Bien rares sont ceux ayant une démarche similaire dans nos mondes plutôt énergivores. Considérer davantage le milieu naturel dont nous dépendons permet de prendre du recul sur notre propre existence. À l’origine, les Indiens prient le soleil, la lune, l’eau et la forêt. Ils invoquent les esprits de la nature et les esprits divins pour leur demander leur protection. Pour eux, tout ce qui est dans la nature depuis l’être vivant jusqu’à la pierre, participe au lien sacré de la vie, et se situe au même niveau dans la roue de l’existence. L’homme n’est pas un être supérieur, il appartient à la vie et doit accomplir sa mission sur terre, à savoir respecter le monde dans lequel il évolue. Chaque chose, chaque animal sur cette terre est digne d’un respect qui naît d’un amour profond pour l’Univers. Un proverbe amérindien résume en grande partie leur philosophie :

Traitez bien la terre, elle ne vous a pas été donnée par vos parents, elle vous a été prêtée par vos enfants.

Tous les peuples indigènes ont profondément intégré la nature dans leur vie, et la considèrent comme leur Mère. Une Mère accueillante, généreuse, merveilleuse de beauté et nourricière. Pour eux, tout ce qui compose le monde est lié et indissociable. Chaque chose ne peut exister que par la relation qu’elle entretient avec les autres choses. Ce rapport étroit entretenu avec l’environnement montre l’importance du maintien de l’harmonie entre les différentes composantes de l’Univers. La rencontre avec les missionnaires dans les années quatre-vingt n’a pas eu d’emprise sur la tribu des Maravilloso. Chose plutôt rare, car en général, les missionnaires redoublent d’idées pour arriver à leurs fins. Ils établissent de premiers contacts à la périphérie des territoires pour apprendre leur langue, puis réalisent des expéditions en hydravion pour gagner la confiance des Indiens en utilisant le même langage qu’eux. Ensuite, ils vont tenter de convaincre les familles par l’utilisation de cadeaux et d’objets facilitant le quotidien (machettes, casseroles, hameçons, vêtements, médicaments…) afin qu’ils adhèrent au christianisme. En chantant les louanges de Dieu, les indigènes abandonnent ainsi tout ce qui relève de leurs cérémonies traditionnelles, et se transforment peu à peu en hommes de foi, en oubliant leur culture. Mais les Maravilloso ne souhaitaient pas voir ces hommes parmi eux, et encore moins se soumettre à leur dogme. Par leur détermination, ils ont refusé ce qui pouvait leur apporter du confort, et ont su vaincre ce qui aurait détruit leur vision pure et magique de la vie. Leur seule volonté était de rester isolés du reste du monde. Depuis ce temps, il apparaît que seules les personnes ayant les autorisations gouvernementales de notre monde civilisé et l’accord des esprits selon leur vision du monde peuvent les approcher. Par leurs rites, les Indiens ont réussi à construire une sorte de bouclier spirituel afin de ne pas bousculer la force et l’harmonie de leur tribu. Peuples peu évolués selon nos critères de confort et nos systèmes de valeur, ils demeurent depuis toujours hermétiques à nos modes de vie extrapolés et irresponsables. Les leurs nous paraissent primitifs, peu évolutifs depuis des millénaires, et illusoires quant à leurs croyances spirituelles. Les peuples premiers peuvent intriguer de par leurs comportements sauvages, leur nudité affichée et leurs mystérieuses peintures corporelles qui les relient aux esprits. Leur principal souhait est de préserver la connaissance de leurs ancêtres, de la forêt, des vertus des plantes. Ils savent se soigner avec la sève des arbres, trouver de multiples remèdes dans cette vaste étendue végétale, et bien entendu, survivre dans ce milieu hostile à nos yeux. Avec l’apparition du progrès social et économique, ce lien évident avec la nature a pratiquement disparu de nos modes de vie. Pourtant ils pourraient être de précieux conseillers, et nous aider à repenser notre relation à l’environnement, nous suggérer la construction d’un monde plus humain et plus solidaire.

Je n’ai pu réunir que quelques connaissances au sujet des Maravilloso, essentiellement celles rapportées par les anthropologues dans les années quatre-vingt et relatives à leurs croyances. Les autorités gouvernementales protégeant les tribus isolées du Pérou m’ont permis d’accéder à ces informations, étant donné les motivations liées à mon travail d’ethnologue. Mais ce sont davantage les nombreuses lectures au cours de mon existence sur l’Amazonie et ses différentes sociétés qui alimentent mes données. Je suis impatient de découvrir ces savoirs ancestraux encore enfouis dans ce petit coin du monde et me sens privilégié. On ne connaît presque rien de cette tribu isolée qui continue de vivre en mode semi-nomade grâce à la chasse, la pêche, la cueillette ou l’agriculture de subsistance. Le temps paraît ne pas les avoir atteints. Les organismes gouvernementaux les protégeant affirment que leur volonté première est de rester isolés du reste de la planète. J’ai obtenu des autorités péruviennes une autorisation de séjour sur leur territoire, afin de pouvoir observer quelque temps leur lieu de vie. Plusieurs tests et papiers ont été nécessaires pour appuyer ma demande d’explorateur en quête d’une vie plus proche de la nature et de l’humain. Cela m’a été accordé assez rapidement, le but étant évidemment de rapporter d’avantage de données les concernant, et de démontrer la richesse du clan au niveau culturel. Leurs modes de vie et leurs croyances spirituelles seront au cœur de mes observations. Le gouvernement contrôle leurs territoires en accordant l’accès vers leur civilisation à un nombre restreint de personnes, et en les considérant comme un peuple à protéger des dangers menaçant leur survie. Cette supervision permet la sauvegarde de leurs modes de vie ancestraux, mais aussi la réduction des risques de transmission de maladies pouvant leur être fatales, telles la grippe ou la rougeole. Du fait de leur isolement, leur système immunitaire n’a pas pu se développer à l’identique du nôtre, et ne peut supporter les maladies même les plus bénignes. Un dossier médical précis est ainsi exigé lors des demandes d’autorisation, ainsi qu’une distanciation physique raisonnable lors du séjour. Contrairement à la majeure partie des tribus primitives, les Maravilloso n’ont pas subi les fréquents phénomènes d’acculturation, les déplacements ou les maladies à répétition. Difficile d’imaginer que par leur volonté mentale ou leurs invocations des esprits, ils puissent repousser ces intrusions néfastes à leur harmonie. Pourtant, de nombreuses croyances et pratiques orientales amènent à considérer de manière naturelle les forces non visibles. Les pratiques d’ordre mystique ou spirituel montrent que l’esprit humain est bien en dessous de ses capacités d’utilisation, et qu’il existe d’autres sphères de perception. Pour ces peuples ancestraux et traditionnels, le chaman est le médiateur entre le monde des hommes et celui des dieux, entre le monde visible et les mondes invisibles. Il relie le monde des hommes à celui des esprits, et a la capacité de voyager dans une sphère impalpable peuplée d’entités surnaturelles. Au sein de la communauté, il est à la fois guérisseur, protecteur, maître spirituel, contrôleur des âmes, mais aussi gardien de l’ordre, et décideur des lieux de chasse et de pêche.

La rencontre ne s’avère pas facile, mais la soif de découverte qui me pousse avec frénésie vers eux, renforce ma confiance de parvenir à établir de bons contacts relationnels. Cette expédition étant organisée par mes soins, je reste serein par rapport à mon rêve, même si je n’ai pas encore trouvé de solution pour parvenir concrètement jusqu’à eux. Je tente de me coucher un peu, mais l’excitation d’un départ imminent perturbe mon sommeil qui s’entrecoupe de rêves éveillés. J’ai l’étrange impression que les Indiens m’attendent, qu’ils savent déjà que je viens à leur rencontre. Un rêve étrange me montre un homme, d’une cinquantaine d’années, trapu, au regard doux mais déterminé, qui me fixe intensément. Il ne bouge pas, je sens sa forte présence, et le vois très nettement. Autour de lui, tout reste flou et relève du domaine onirique. Lui seul apparaît d’une manière très nette, en me fixant sans cesse du regard. J’observe la scène qui ne me paraît pas anodine, comme si quelque chose invitait nos esprits à communiquer ensemble. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai l’impression de ressentir des choses hors du commun qui ne s’inscrivent pas dans nos modes de pensées occidentaux, et de vivre de manière un peu décalée. Je n’en parlais jamais à personne, de peur d’être incompris, mais les rêves éveillés jalonnaient souvent mes nuits. Je me retrouvais dans un état entre l’éveil et le sommeil qui me faisait percevoir les choses de manière différente, voir des formes étranges, et ressentir des états inhabituels. Je réalise aujourd’hui que nos modes de perception peuvent être étriqués, et qu’il y a une multitude de dimensions encore inconnues à nos yeux. Les hommes se sont accordés pour percevoir le monde d’une certaine manière, mais l’on peut constater, à travers le temps, qu’il y en a bien d’autres pour contraster nos discernements. Un jour, je rêvais que je communiquais avec les arbres comme s’ils étaient humains, et je voyais la sève couler en eux, tel le sang qui circule dans nos corps. Leurs racines communiquaient entre elles, formant un véritable réseau d’échange. Autant dire que l’univers des arbres me suit depuis longtemps, et qu’une communication proche avec la nature a toujours été présente dans ma vie. Une autre fois, j’ai observé la métamorphose physique d’une personne de ma famille étant en train de changer de comportement dans sa vie, et dont le corps était marqué par les évènements. À chaque phase de mutation, un détail de son physique se modifiait, et je voyais de longues périodes de sa vie défiler. Ces visions et sensations étranges se manifestaient en général le soir lorsque j’étais dans mon lit. Mon corps, fatigué, partait dans le sommeil, mais mon esprit demeurait comme éveillé, prêt à s’aventurer sur d’autres niveaux de conscience. Personne autour de moi ne pouvait soupçonner mes étranges nuits, et mes parents n’étant pas de fins psychologues, je ne leur faisais jamais part de mes expériences nocturnes. Il m’arrivait de passer une bonne partie de la nuit dans cet état second, et de ne ressentir aucune fatigue au réveil. Bien au contraire, je me sentais comme régénéré, éloigné de tout abattement. Plus tard, mes livres de chevet portaient tout naturellement sur les phénomènes surnaturels, la psychologie ou le chamanisme. Je pense que je cherchais à comprendre ce qui m’arrivait. Mes parents, eux, s’imaginaient que j’envisageais des études d’ethnologie ou d’anthropologie. Au début, ma route prit un autre tournant, et je me dirigeais en premier vers un cursus littéraire. La peur de devoir dévoiler et approfondir ce qui m’arrivait m’obligeait à cultiver mon jardin secret. Le regard social pouvant être paralysant et difficile à assumer, je n’étais pas prêt à affronter cela, et restait silencieux sur le sujet. Pourtant, quelques années plus tard, pris par ma passion pour les peuples du monde, je me destinais à des études d’anthropologie. C’est ainsi que selon moi, ce rêve de la présence forte d’un Indien dans mon sommeil n’est pas une projection d’images que mon cerveau engendre face à une situation qu’il espère, ou à l’inverse, qui pourrait le perturber. J’y vois une prémonition, une communication d’âme à âme, et l’appel d’une rencontre forte qui va se produire, et que je ressens profondément. Interloqué par cet homme si réel qui ne bougeait pas, je décidais de poursuivre l’observation de cette image, qui demeura quelques instants, puis s’en alla. Cela doit être un signe, un accord de l’univers, autre que gouvernemental, pour pouvoir aller vers eux en toute tranquillité. Je me sens sur la bonne route, en confiance, et pleinement ouvert à ce qui m’attend.

Ne trouvant toujours pas le sommeil, je rêvasse dans mon lit, et feuillette les quelques documents recueillis sur ce peuple mystérieux. Tribu qui a traversé les âges, les Maravilloso auraient des origines très lointaines. Aucun conflit ou rencontre fortuite avec d’autres peuples n’a été relevé, leur monde s’entoure ainsi de mystère et d’inconnu. L’absence de contacts avec les Occidentaux a favorisé leur continuité à travers le temps et contribué à la conservation de leurs savoirs ancestraux. Voilà ce qui donne tout son sens à mon voyage… Ce côté préservé leur confère une grande pureté, et ravive mon goût de l’originel. En totale autarcie avec leurs modes de vie, leur recherche est avant tout celle de l’harmonie avec la nature. Ils paraissent être en communication constante avec elle, par l’observation de tout changement qui viendrait déroger à la quiétude de leur vie. Ils sont à l’écoute des signes, des paramètres extérieurs et intérieurs qui se manifestent, et se fient totalement à eux. Dans nos sociétés modernes, l’homme a une vision linéaire et humaine de l’histoire, alors que pour les sociétés traditionnelles, elle devient cyclique et mystique. Les actes du quotidien forment comme une répétition de l’acte originel, où les hommes cohabitent avec les dieux. Toute catastrophe, tout accident, toute maladie ou toute mort est le signe de l’intervention d’esprits néfastes. Les démons s’emparent des âmes et créent le désordre, ce qui les amène à suivre certains interdits dans leur vie quotidienne. Le chaman se porte garant d’assurer la cohésion et l’organisation de la société, d’où la relation forte entretenue avec le divin. Dans leurs croyances, les esprits sont présents dans chaque élément de l’Univers : les végétaux, les pierres, les fleuves… Ce peuple et cette culture me sont étrangers d’un point de vue généalogique, mais j’y sens une forte résonance avec moi-même, comme s’ils cautionnaient ce que j’avais toujours perçu comme une évidence. C’est mentalement que je me prépare à cette fabuleuse rencontre, et éprouve un besoin irrépressible de conforter mes pensées aux leurs. Sereinement, je me laisse aller, et glisse enfin dans le sommeil.

Six heures du matin

L’avion décolle dans trois heures. Mes affaires prêtes, je déjeune rapidement, avec une humeur joyeuse et mordante, malgré une nuit bousculée par des états semi-éveillés, et des rêves à répétition. Je profite de cette vivacité matinale pour faire quelques exercices en prévention des longues heures à venir dans l’avion. Tout me paraît radieux ce matin, le temps pourtant maussade, ma tasse de thé dont je perçois de nouveaux arômes alors qu’il m’accompagne depuis des années, le bruit des premières voitures dans la rue… Je ferme la porte de mon appartement, et alors qu’elle claque, le temps s’arrête brusquement. Je me vois tourner une page, le passé n’a plus d’emprise sur moi, il s’éloigne déjà… Le regard taciturne et effacé du chauffeur de taxi qui m’amène à l’aéroport conforte mon envie de m’éloigner de ce modèle de société qui paraît davantage embrumer les gens avec des rêves illusoires de possessions et de contraintes. Subir, accepter passivement ce qui est, ou profiter pleinement de la vie, réaliser ses rêves ? Mon esprit philosophique me fait dériver vers des schémas de vie que je considère comme primordiaux. Je me ravive vite alors que le chauffeur me pose une question. Au timbre de sa voix, je me dis que sa nuit n’a pas dû être terrible, ou qu’il n’est pas encore tout à fait réveillé. Arrivé à l’aéroport, je me dirige vers la salle d’enregistrement en me faufilant parmi les voyageurs. Je ne peux m’empêcher d’observer cette foule aux attitudes si singulières. Les visages reflètent la joie ou l’impatience, l’anxiété ou la tristesse des adieux laissés aux proches, l’excitation d’un départ imminent ou la colère face à un oubli quelconque. Tellement de possibilités d’aborder la vie. Valises à la main, tous exécutent les mêmes gestes, et se dirigent vers les mêmes endroits. Seules les langues diffèrent par moment, et s’entremêlent sous un fond de brouhaha humain ou d’annonces sonores. Je me détache de cette ambiance en feuilletant un magazine d’actualités, pour m’apercevoir quelques minutes plus tard avoir tourné les pages mais n’y avoir rien vu… Je me laisse alors glisser dans l’appréciation du moment. Dommage que les voyageurs ne se laissent pas davantage porter par l’ambiance de ces lieux de transit qui transportent vers d’autres horizons, d’autres cultures. Ils choisissent plus souvent de se focaliser sur la logistique et les temps d’attente, occupés par divers passe-temps : lecture, téléphone, café ou grignotage de petits encas. Je me suis moi-même laissé piégé par ces occupations. Il semblerait que le temps se doit d’être toujours comblé, et qu’il n’y ait plus de place pour la rêverie ou les divagations de l’imaginaire. L’ambiance qui règne dans les aéroports ne favorise pas cet égarement. Cela m’attriste, j’ai décidé depuis quelques années de m’octroyer le luxe d’accéder à ces moments de pause, de contemplation et constaté que le vide fait jaillir de nouvelles perceptions, de nouveaux regards. Faire le vide en soi, autour de soi amène à libérer un espace qui n’est plus d’actualité, et qui n’était pas disponible pour accepter de nouvelles choses de par son encombrement. Je tente régulièrement d’évacuer ce trop-plein, cet espace immobile qui ne vit plus, et qui m’empêche d’acquérir de nouvelles richesses intérieures. Cela me semble vital pour ne pas laisser cet espace inerte. Ne pas se laisser envahir, ne pas se laisser prendre par les surcharges d’informations que nous côtoyons chaque jour. Nous paraissons habitués à emmagasiner des quantités phénoménales de données, qu’elles nous correspondent ou non. Je me souviens d’une citation de Gurumayi Chidvilasananda :

Si vous êtes constamment fermé, vous ne pourrez rien recevoir. Si vous êtes constamment ouvert, vous ne pourrez rien retenir de ce que vous avez reçu. Vous devez être comme les ailes d’un oiseau ; ouvrez et fermez, avec une souplesse parfaite.

Trouver le juste équilibre, être à l’écoute de soi, de ses envies profondes me paraît indispensable dans ces moments-là. Savoir débrancher, refuser le flux dans lequel chacun s’engouffre. Voilà bien la raison de mon voyage… Retrouver l’essentiel, et ce qui nous relie à nous-mêmes. Autour de moi, la foule défile, hôtesses et pilotes se frayent un passage dans la masse, déjà parés de leurs uniformes. Ils déambulent à travers les voyageurs, pas encore totalement imprégnés de leurs attitudes professionnelles, mais en dégageant une sorte de fascination, un côté mystérieux. Des passagers attendent sagement leur vol, alors que d’autres font les cent pas, leur téléphone collé à l’oreille. J’observe un moment ces visages égarés, ces gestes civilisés, ces émotions refoulées ou exprimées, toutes ces personnes se retrouvant dans une même pièce, mais ne s’adressant pourtant pas la parole.

Neuf heures, décollage

Un sourire marqué m’accompagne et persiste. Je dois me réjouir exagérément pour ceux qui m’observent, mais les regards intrigués ne me dérangent pas. Je me sens traversé par un curieux mélange d’excitation et de sérénité. Rien ne vient contraindre cette douce sensation ni mettre un doute sur ma détermination. Je me sens déjà ailleurs, dans cet autre monde qui m’attend, et savoure pleinement cet état, avant que la personne assise à mes côtés ne m’éloigne de cet instant d’évasion.

« Pardon, monsieur, d’être aussi directe, mais j’ai pour habitude de demander aux personnes qui m’accompagnent sur le même vol la raison de leur voyage. Cela vous dérange-t-il ? »

« Non, bien sûr. »

Je marquais un temps d’arrêt, ne sachant comment formuler exactement ma réponse, et tentant de cerner la personne me faisant cette demande.

« En fait, je pars pour observer une petite tribu isolée dans la forêt amazonienne. C’est un voyage personnel qui me tient à cœur depuis de nombreuses années. »

« Oh, voilà qui est intéressant. Cela fait rêver, en général on me parle d’une famille à visiter, d’un voyage d’affaires ou de tourisme classique. »

« C’est un peu une visite de famille aussi, répondis-je. En fait, je me sens proche de cette tribu sans pouvoir l’expliquer vraiment. »

Ne souhaitant pas poursuivre la conversation, je repars dans mes rêveries et ma béatitude. Mais au bout de quelques minutes, la femme, sans doute restée sur sa faim, reprend ses questionnements avec une curiosité telle que je me laisse emporter par ces interrogations plutôt que par mes états songeurs.

« Excusez-moi, mais quand vous dites que vous vous sentez proche, de quelle manière cela se manifeste-t-il ? »

« Ah, je ne pensais pas pouvoir discuter de cela avant mon retour, mais si cela vous intéresse, je vais poursuivre. Tout petit déjà, je sentais en moi de fortes connexions avec la nature, des envies de fusion et d’alliance avec elle. Finalement, elle m’attirait plus que les humains, et parfois même plus que les femmes lors de mes premiers émois. J’étais réceptif à cette façon de communiquer, et il m’arrivait souvent d’avoir l’impression de dialoguer avec les arbres, les montagnes. En me rendant auprès de cette tribu, je vais pouvoir approfondir ces manières d’être et de vivre, et assouvir mon besoin de mysticisme. Ma réponse vous satisfait-elle ? »

« Oui, mais peut-être qu’à cette époque, vous dialoguiez avec les éléments naturels comme n’importe quel enfant qui s’invente des histoires, des amis imaginaires ? »

« Je ne crois pas non, cela allait bien plus loin, et se poursuivait dans mon sommeil, où je me situais entre le rêve et la réalité. Je pense que j’avais à ce moment-là accès à d’autres mondes, incompréhensibles par nos sociétés, mais pourtant évidents et intégrés par beaucoup de peuples dans le monde. »

« C’est bien étrange en effet. En avez-vous parlé à des personnes spécialisées ou interloquées par ce sujet ? »

« Non, je l’ai toujours gardé au fond de moi pour ne pas être considéré comme anormal. C’est pourquoi j’éprouve aujourd’hui un besoin irrépressible de retrouver ces mondes en quelque sorte, de me reconnecter à ces modes de pensée. J’ai par contre lu énormément de livres sur les peuples traditionnels du monde entier, sur leur relation au divin, aux forces naturelles et surnaturelles. »

« Cela va être un voyage passionnant, je crois. J’aimerais beaucoup avoir de vos nouvelles si cela ne vous dérange pas ».

« Bien sûr, je serais ravi à mon retour de vous parler de mon expérience. »

Nous échangeâmes brièvement nos coordonnées, et je passais le reste du vol à observer les nuages que nous survolions. Tel un enfant, je m’amusais à voir les personnages et les formes se dessinant lentement. L’aspect inaccessible du ciel m’a toujours fasciné, cela conforte sans doute mon côté rêveur et aventurier. Cet espace immense, parfois uniforme, d’autres fois surplombé de surfaces mouvantes et changeantes. Je pourrais m’évader des heures en contemplant un ciel nuageux. Quelques heures plus tard l’avion atterrit à Lima, la capitale péruvienne. Le jour est à peine levé, mais la ville est déjà très active. Comme toutes les capitales, Lima est grande, trop peuplée et bruyante. Le ciel, souvent gris et embrumé, y laisse une atmosphère lourde et triste. Les gratte-ciel et les grandes chaînes de magasins, présents partout sur la planète, inondent les grandes artères. Heureusement, quelques kilomètres plus loin se trouve le centre historique autour de la Plaza Mayor, avec des bâtiments ayant une âme, une histoire riche d’un passé colonial mouvementé. Les quartiers les plus riches surplombent le haut d’une falaise qui sépare la ville de l’Océan Pacifique. À quelques rues de la Plaza de Armas se trouve le mercado central