San Martín par lui-même et par ses contemporains - Denise Anne Clavilier - E-Book

San Martín par lui-même et par ses contemporains E-Book

Denise Anne Clavilier

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Beschreibung

Epopée révolutionnaire.

« Il n'y avait rien, il fit presque tout » : voici comment Malraux résume l'action du général José de San Martín (1778-1850).
Le co-libérateur de l'Amérique du Sud se présente ici dans sa sensibilité humaine et son génie politique à travers quelque cent cinquante documents historiques laissés par les acteurs et les témoins de ce qui fut une épopée révolutionnaire. Pour conquérir l'indépendance de l'Argentine, du Chili et du Pérou, San Martín fit appel aux combattants du monde entier. Ce sont leurs lettres, leurs ordres, leurs décrets, leurs chroniques et leurs mémoires qui sont rassemblés ici, pour la première fois en France et dans leur langue originale, avec pour l'anglais et l'espagnol une traduction en vis-à-vis. Pusieurs textes français, tel ce portrait de Bolívar, rédigé par San martín vers1840, sont inédits jusqu'en Argentine.
Déjà auteur aux Éditions du Jasmin de la première biographie en français de ce héros argentin des droits de l'homme, qui avait choisi de passer en France ses dernières années, Denise Anne Clavilier nous invite à le découvrir de plus près.

A travers cent cinquante documents historiques, découvrez le co-libérateur de l'Amérique du Sud, sa sensibilité humaine et son génie politique.

EXTRAIT

Votre situation n’admet pas que je dissimule. Dix ans de sacrifices constants servent aujourd’hui de trophée à l’anarchie ; la gloire de les avoir faits est à présent un chagrin, quand on considère son peu de fruit. De vos propres mains, vous avez creusé un précipice et, accoutumés que vous êtes à le voir, aucune sensation d’horreur n’est capable de vous arrêter. C’est le génie du mal qui vous a inspiré le délire de la fédération. Ce mot est plein de mort et ne signifie que ruine et dévastation. J’en appelle là-dessus à votre propre expérience et je vous supplie d’écouter avec franchise de cœur l’opinion d’un général qui vous aime et n’attend rien de vous. J’ai des raisons de connaître votre situation, parce que dans les deux armées que j’ai commandées, j’ai eu besoin de m’assurer de l’état politique des provinces qui dépendaient de moi.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Docteur en littérature comparée de l'Université de Paris, Denise Anne Clavilier se prend de passion pour la culture argentine en 2004 en découvrant la littérature du tango-canción. La faible présence du tango sur le marché francophone du livre lui inspire en 2007 l'idée d'un premier livre : Barrio de Tango. Depuis juillet 2008, elle développe un important travail de promotion vers le public francophone : elle édite un blog sur l'actualité culturelle argentine, www.barrio-de-tango.blogspot.com, elle collabore avec le musicien et producteur argentin Litto Nebbia, directeur-fondateur de Melopea Discos, dont elle a notamment traduit en français le site Internet. Elle conçoit et accompagne des voyages culturels à Buenos Aires. Depuis 2010 Denise Anne Clavilier est académicienne correspondante en France de l'Académie nationale de tango de la République Argentine.

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Couverture

Titre

Copyright

DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DU JASMIN

Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, mai 2010

San Martín, A rebours des conquistadors, décembre 2012

Tango negro, de Juan Carlos Cáceres, (traduction et commentaires)

CHEZ D’AUTRES ÉDITEURS

Deux cents ans après, le Bicentenaire de l’Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango, revue Triages, numéro spécial 2010, Tarabuste Éditions

Tous droits de reproduction, de traduction

et d’adaptation réservés pour tous pays

© 2014 Éditions du Jasmin

www.editions-du-jasmin.com

Remerciements de l’auteur

Celui qui croyait au ciel

Celui qui n’y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle

Fou qui fait le délicat

Fou qui songe à ses querelles

Au cœur du commun combat

Louis Aragon, La Diane française

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage

Ou comme cestuy-là qui conquit la Toison

Et puis est retourné plein d’usage et raison

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Joachim du Bellay, Les Regrets

Remerciements

à Marie Geffray, auteur de Malraux, un combattant sans frontières, paru aux Éditions du Jasmin, qui m’a fait découvrir le discours de notre flamboyant premier ministre de la Culture, qui sert de préface à cet hommage rendu à José de San Martín.

En guise de préface

Discours d’André Malraux, ministre d’État

lors de l’inauguration de la statue du général San Martín, à Paris, le 23 juin 1960

Monsieur le Président de la Nation Argentine,

Excellences, Mesdames, Messieurs,

L’orateur qui m’a précédé […] disait que San Martín avait trouvé dans Epictète que rien n’était plus terrible que la mort. Sachons aussi que lorsqu’il est mort, on lui a demandé s’il souffrait et qu’il a répondu : « Ce n’est rien, c’est sans importance, ce n’est que la fatigue de la mort. » Il fut, de ce point de vue, plus grand que son maître et il y a toujours dans nos mémoires, autour de son nom, une sorte de rayonnement mystérieux qui tient à sa vie et à quelque chose de plus énigmatique. Lorsque s’éteignait « La Marseillaise », sous ce ciel si semblable à celui de Lima, dans cette demi-chaleur, avec ces arbres, ce ciel gris, je pensais à ce qui nous unit à lui. C’est que cette « Marseillaise », il l’a si souvent entendue et sans doute quelquefois chantée. Elle était alors le chant presque unique de la liberté du monde. Ce que fut sa vie […] tient en quelques mots : il n’y avait presque rien et il fit presque tout. Il n’y avait pas d’organisation et il organisa. Il y avait des combattants, mais pas d’armée ; il fit l’armée. Il y avait une libération, mais il n’y avait pas de dessein délibéré ; il conçut la libération. C’était admirable de traverser les Andes ; encore fallait-il arriver de l’autre côté avec une armée suffisante pour vaincre. Il traversa les Andes, vainquit, et dans un style que vous connaissez tous, car on pourrait graver ici la phrase fameuse : « On dira du moins qu’en 24 jours nous avons traversé la plus haute Cordillière, chassé les tyrans et que nous sommes alors rentrés chez nous. »

Il ne rentra d’ailleurs pas chez lui puisqu’il devait libérer la moitié de l’Amérique Latine. Lorsque tout fut fini, c’est-à-dire lorsque, ayant conçu la libération du Chili, l’ayant assurée, ayant compris que la force de l’Espagne était au Pérou, ayant décidé qu’on ne vaincrait que par mer, ayant mis en place cette flotte, lui qui avait appris contre l’Angleterre la guerre marine, il prit Lima […], moins d’ailleurs avec ses troupes que parce qu’il avait fait comprendre ce qu’était la liberté. Il se retira et, on vous l’a dit tout à l’heure, il partit avec cet étendard. C’est un moment extraordinaire de la grandepoésie historique que ce moment où nous devons imaginer, après plus de vingt ans de retraite, cet homme admirable dont le nom était dans toutes les mémoires de la moitié du monde latin, quasi inconnu à Boulogne, ayant consacré la fin de sa vie à l’éducation de safille1[…] reprenant entre ses mains l’étendard de Lima qui était l’étendard de Pizarro, mais dont on oublie qu’il avait été l’étendard brodé par la reine Jeanne-la-Folle, la mère de Charles-Quint. […] Que cet étendard ait été sur le tombeau de l’un des plus durs conquérants du monde et qu’il ait fini entre les mains du libérateur le plus pur, il y a là de quoi rêver dans cette vie qui s’étend entre plusieurs étendards. Car avant celui-là, il y eut, vous le savez, celui brodé par les femmes de Mendoza, et qui devait devenir ensuite l’étendard de l’Argentine. […]

Ce qui nous unit à lui, c’est simplement ce qu’il portait de plus grand, qu’il nous a souvent dédié, qu’il ne nous devait pas. Il n’y a qu’une forme profonde de la grandeur humaine et celle qui consiste à oublier le pouvoir, seulement pour une raison énigmatique ou seulement parce qu’il y a quelque chose de plus grand que le pouvoir qui s’appelle la justice, ceci appartient à tous les hommes. […]2

1Le romancier prit ici quelques libertés avec l’histoire.

2L’intégralité de ce discours est disponible sur le site internet du ministère français de la Culture.

Avertissement

José de San Martín fut un héros pour son temps. Comme le disait Malraux en juin 1960, il reste pour nous un exemple à méditer puisqu’il fit (presque) tout à partir de (presque) rien, libéra le sud de l’Amérique avec des idées simples et innovantes et une confiance accordée sans mesure aux gens, chez qui il savait faire jaillir des trésors de courage et d’ingéniosité, dans une grande rigueur morale alliée à une empathie tout humaine. Et pourtant, l’élaboration d’un ouvrage sur lui en français se heurte à des particularités qu’on ne rencontre guère qu’avec lui.

De cet homme, l’Amérique latine a fait un mythe mais le reste du monde, qui l’avait immensément admiré de 1817 à 1824, l’a vite oublié après sa mort en 1850. Pour que le lecteur ne se perde pas dans l’inconnu, j’ai donc choisi de dérouler cette sélection dans l’ordre chronologique. Ainsi, selon son gré, il peut en faire un roman épistolaire ou un fonds documentaire.

L’action de San Martín demeure de nos jours aussi révolutionnaire que jadis. Avant sa disparition et bien plus encore après, elle lui valut d’être fort maltraité en Argentine, au Chili et au Pérou. À vrai dire, bon nombre de dirigeants de ces pays eussent aimé effacer jusqu’à son souvenir des annales nationales mais l’immense admiration qu’il avait suscitée de son vivant interdisait de le jeter aux oubliettes. On lui fabriqua donc une légende dorée, martiale et si éblouissante que longtemps personne ne songea à la contester, malgré les vives protestations émises en leur temps par ses derniers compagnons survivants. Ses écrits furent expurgés et asceptisés, on censura une phrase ici et là tout un paragraphe. On opéra des sélections déformantes. On alla jusqu’à détruire, ce dont Bartolomé Mitre, père de l’histoire officielle en Argentine, est accusé d’avoir fait avec certaines archives de Mendoza. Sur sa vie familiale (frères et sœur, épouse, enfants et belle-famille) et ses activités maçonniques, couvertes par le secret le plus absolu, on a perdu des pans entiers de documentation qu’il a peut-être lui-même détruits ou que son gendre se sera chargé de faire disparaître pour qu’ils ne tombent pas en des mains indiscrètes (celles de Bernardino Rivadavia puis, après son décès, celles de Mitre).

Dans ces conditions, je me suis fixé quelques règles pour choisir les citations et en établir le texte. N’ayant pu consulter les seuls documents qui font foi, les manuscrits et imprimés conservés aux archives nationales de l’Argentine, du Chili et du Pérou, au Musée Mitre et aux archives nationales espagnoles, j’ai recherché les versions imprimées les plus proches de la date d’origine, pour les documents politiques et militaires. Pour l’ensemble des textes, j’en ai corroboré la rédaction en croisant plusieurs sources, notamment lorsqu’ils avaient été rassemblés dans les sommes rédigées par des historiens de la seconde moitié du XIXe siècle : Carlos Calvo, Benjamín Vicuña Mackenna, Mariano Paz Soldán et Manuel de Odriozola. Si, malgré les préjugés qui faussent si souvent leur jugement et celui des savants de leur époque, leur honnêteté intellectuelle ne saurait être mise en doute, leur méthodologie a de quoi faire frémir un chercheur du XXIe siècle. Même le travail très précis de Gerónimo Espejo, acteur des faits qu’il relate, doit être abordé avec précaution. Pour les témoignages des tiers, j’ai privilégié ceux en qui San Martín avait mis sa confiance (Tomás Guido, William Miller) et intégré quelques auteurs hostiles (Thomas Cochrane, Maria Graham) pour la mise en relief du tout.

Sur un certain nombre de lettres très éclairantes dont je n’ai trouvé que des éditions récentes (autour de 1910), je me suis résolue à recourir à une source originellement destinée au grand public et donc fort susceptible pourtant d’avoir cédé, ici et là, au ciseau invisible du censeur : Su correspondencia, 1823-1850. Son éditeur, le Museo Nacional Histórico de Buenos Aires, est sans doute aujourd’hui au-dessus de tout soupçon, mais en 1910, il était par excellence l’artisan de la mythographie officielle.

Dans toute la mesure du possible, j’ai confronté ces textes à ceux publiées de 1910 à 1911 par le musée Mitre dans les douze volumes savants de ses Documentos del Archivo de San Martín, qui, ici ou là, proposent des variantes de transcription des manuscrits rassemblés par Bartolomé Mitre et conservés par ce musée.

Ces réserves émises, il convient d’ajouter que la personnalité de San Martín est si forte qu’elle plane comme le condor au-dessus des mesquineries de l’histoire.1

Lisons-le donc sans arrière-pensée.

***

Sauf mention contraire, j’ai modernisé l’orthographe des textes en espagnol. Cette opération ne s’est que rarement révélée nécessaire pour les textes anglais et français.

1En Europe, deux musées lui sont consacrés. Le plus important se trouve à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, dans la maison où il a terminé ses jours (113 Grande Rue). L’autre est installé en Espagne, dans le bourg de Cervatos de la Cueza, en Castilla y León, dans la maison natale de son père.

PARTIE IQuelques portraits

Les textes qui suivent datent de plusieurs époques de la vie de San Martín, toutes postérieures à la traversée des Andes et à la bataille de Chacabuco (1817) qui firent connaître son existence à l’Occident.

On remarquera la mention du teint mat, d’autant plus volontiers relevé par les auteurs qu’ils rencontrent notre héros au cours de ses campagnes, alors qu’il vit au plein air et au soleil, et qu’eux-mêmes arrivent de Grande-Bretagne, où ils sont habitués aux teints laiteux de leur île. Cependant et en dépit de sa prévention contre lui, l’Écossaise Maria Graham, qui le rencontre après une année de gouvernement au Pérou, loin des champs de bataille, ne remarque rien (p 279).

On relèvera aussi l’abondante pilosité faciale. Puisque les Amérindiens ont le cheveu raide et le poil rare, ce détail insistant constitue, avec ses portraits, une indication solide de son ascendance espagnole et légitime, s’il en était besoin. Et pourtant, la rumeur, inventée et soutenue en son temps par ses ennemis politiques, a la vie dure, aujourd’hui encore en Argentine, qui voudrait qu’il ait été métisse et donc bâtard.

Mémoires du général William Miller, Londres, 1828

Ces mémoires sont le premier témoignage jamais écrit sur la révolution au Chili et au Pérou par l’un de ses protagonistes. L’Europe vit encore sous la Restauration d’après Waterloo. Officier anglais, né en décembre 1795 et approché en 1817 par les agents de San Martín et O’Higgins, Miller rejoignit l’Armée des Andes en 1818, alors que la victoire de Chacabuco venait de l’auréoler d’un immense prestige. Il participa à la libération du Chili et du Pérou, où il s’installa et fonda une famille après le départ de San Martín (1822). Au Pérou, il remplit les plus hautes fonctions militaires et mourut en 1861, gardant à San Martín une inébranlable amitié.

General San Martin is a native of the Missions on the banks of the river Parana, and is now fifty-two years of age1. He is tall, and rather stout2than otherwise. He has a dark, pleasing countenance, with large, expressive, and penetrating eyes. His manners are dignified, easy, friendly, and prepossessing. He writes well, speaks very good French, and understands something of the English language. Although he has had many political enemies, he has always been personally popular.Even when his army has pressed most heavily on the resources of a province, the inhabitants have continued to speak of him with enthusiasm, although some may have disapproved of his measures. In the formation of the government of Peru, as well as previously, he displayed the soundness of his judgment, by selecting men of first rate talent, such as Jonte, Monteagudo, Guido, Garcia del Rio, and others. If he was sometimes less fortunate in the selection of his military leaders, it could hardly have arisen from want of discernment. With regard to his political bias, it appears that San Martin considered the monarchical form of government as most fit for Peru; but it is the decided opinion of those, who have had good opportunities of forming one, that he never entertained an idea of placing the crown upon his own head3, although, it is believed, that he would have willingty assisted a prince, of blood-royal, to mount the throne of Peru.

Le général San Martín est natif des Missions, sur les rives du Paraná et il est âgé maintenant de cinquante-deux ans1. Il est grand et rien moins que robuste2. Sa figure est sombre, avenante, avec de grands yeux expressifs au regard pénétrant. Ses manières sont dignes, pleines d’aisance, cordiales et imposantes. Il écrit bien, parle un très bon français et comprend la langue anglaise. Bien qu’il ait eu de nombreux ennemis politiques, il a toujours été apprécié à titre personnel. Même quand son arméepesait très lourd sur les ressources d’une province, les habitants continuèrent à parler de lui avec enthousiasme, bien que certains eussent pu désapprouver ses mesures. Dans la formation du gouvernement du Pérou comme auparavant, il montra la solidité de son jugement en choisissant des hommes éminents par le talent, comme Jonte, Monteagudo, Guido, García del Río et d’autres. S’il fut parfois moins heureux dans le choix de ses chefs militaires, la cause n’en fut certes pas le manque de discernement. Quant à ses vues politiques, il semble que San Martín ait considéré la forme monarchique de gouvernement comme la plus adaptée au Pérou mais ceux qui eurent de bonnes occasions de s’en faire une idée sont d’avis que jamais il n’entretint l’idée de coiffer lui-même la couronne3, même si, croit-on, il eût bien volontiers aidé un prince de sang royal à monter sur le trône du Pérou.

General San Martin having had the misfortune, in 1822, to lose hiswife4, a young and very charming woman, came to England in the same year. He is now living in Brussels, to complete the education of his only child, a beautiful and accomplished daughter.

Ayant eu le malheur en 1822 de perdre son épouse4, une jeune etfort charmante jeune femme, le général San Martín vint en Angleterre la même année. Il vit à présent à Bruxelles, pour parfaire l’éducation de son unique enfant, une jeune fille accomplie et ravissante.

1Yapeyú, où San Martín est né, le 25 février 1778, se situe sur la rive de l’Uruguay. En 1827, il avait à peine cinquante ans, pour autant que la date de naissance soit exacte. Miller se fonde sur la rumeur publique sur ce point.

2Stout : robuste (à tous âges) ou empâté (pour une personne qui a vieilli). L’édition en espagnol, publiée en 1828, est mal traduite :es alto y grueso(gros). Un faux sens qui ancra pour longtemps l’image d’un général ventru (voir le récit de Juan Bautista Alberdi, p 16). Depuis 1828, cette mauvaise traduction est répétée aveuglément par les auteurs scolaires et même les universitaires sans que personne consulte le texte original.

3Ici, Miller s’inscrit en faux contre Lord Cochrane, qui, depuis son retour d’Amérique, racontait à qui voulait l’entendre que San Martín avait brigué le trône pour lui-même. Voir p 305.

4Légère erreur de date. Remedios est décédée le 3 août 1823. San Martín est arrivé en Europe en 1824. On voit ici combien la rapidité inattendue de son départ a traumatisé ses compagnons d’armes.

Carnets de voyage de Samuel Haigh, 1829

Né vers 1795, sans doute dans le Kent, Samuel Haigh partit au Chili en 1817 pour y implanter un comptoir commercial, en qualité de commis d’un grand négociant anglais. Au moment le plus critique, de février à avril 1818, il prit fait et cause pour le Chili, ce qui lui valut l’estime de San Martín et O’Higgins. De retour dans son pays, il publia ces carnets d’Amérique du Sud en 1829. Le livre connut assez de succès pour justifier une réédition en 1831. C’est là tout ce que l’on sait de cet homme. Ces carnets n’ont semble-t-il été traduits en espagnol qu’en 1917, à Santiago pour le centenaire du pays.

Nous voici en 1817, après Chacabuco. Après une rude traversée des Andes, notre jeune commis anglais est arrivé le jour même à Santiago.

A grand fête and ball was to be given, that night, by General San Martin, in honour of Commodore Bowles, (his Britannic Majesty’s commander in the Pacific) whose frigate, the Amphion, was then lying in the Bay of Valparaiso. All the English were to be there, and they obligingly offred Mr. Robinson and myself tickets; accordingly, in the evening, after taking of our beards for the first time since we left Mendoza, and dressing for the occasion, we proceeded to the Cabildo, a large public building, where the assembly was given.

Le général San Martín devait donner cette nuit-là une grande fête et un bal en l’honneur du capitaine de vaisseau Bowles (commandant de Sa Majesté Britannique dans le Pacifique) dont la frégate The Amphion mouillait alors dans la baie de Valparaíso. Tous les Anglais devaient en être et ils nous offrirent obligeamment des cartons, à M. Robinson et moi-même. Ainsi donc, le soir, après nous être fait la barbe pour la première fois depuis notre départ de Mendoza, et nous être habillés pour la circonstance, nous nous rendîmes au Cabildo, grand bâtiment public où se tenait la réception.

The spacious court of the Cabildo forming a large quadrangle, was fitted up for this entertainment; an awning had been spread over for a roof which was adorned with the united flags of Buenos Ayres, Chile, and other friendly nations; the whole was beautifully illuminated at the sides with variegated lamps, and several rich glass chandeliers were suspended in different parts of the room. The large sala and apartements around were laid out with supper and refreshments, and other rooms were set apart for the chief officers, both civil and military.

Le vaste patio du Cabildo en forme de grand rectangle avait été arrangé pour les réjouissances, un auvent avait été déployé en guise de toit et décoré avec un mélange de drapeaux de Buenos Aires, du Chili et d’autres nations amies. Le tout était joliment éclairé sur les côtés par une multitude de lampes et plusieurs superbes lustres de verre étaient suspendus en différents points de la pièce. Un souper et des rafraîchissements étaient servis dans la grande salle et les salons alentour et d’autres pièces étaient apprêtées pour les dignitaires, civils et militaires.

I was this evening introduced to General San Martin, by Mr. Richard Price, and was much struck at the appearance of this Hannibal of the Andes. He is tall and well formed, and his whole appearence is highly military: his countenance is very expressive; his complexion a deep olive; his hair is black, and he wore large whiskers without mustachios; his eyes are large and black, and possess a fire and animation which would be remarkable under any circumstances. He is very gentlemanly in his deportment, and, when I saw him, he was conversing with the greatest ease and affability to the company around; he received me with much cordiality, for he is very partial to the English nation.

Ce soir-là, M. Richard Price me présenta au général San Martín et je fus très frappé par l’allure de cet Hannibal des Andes. Il est grand et bien bâti et toute son apparence est fort militaire. Son visage est fort expressif, son teint bistre soutenu, ses cheveux sont noirs et il porte de longs favoris sans moustache, il a de grands yeux noirs dotés d’une flamme qui ne passerait inaperçue en aucune circonstance. Il est très homme du monde dans son comportement et, quand je le vis, il s’entretenait avec un haut degré d’aisance et d’affabilité avec le monde qui l’entourait ; il m’accueillit avec une grande cordialité, car il prise fort la nation anglaise.

The assembly was most brilliant, consisting of all the inhabitants of the first rank in Santiago, as well as of all the chief military officers: hundreds were performing the mazy walts, and general satisfaction was depicted in every face.

La réception était des plus brillantes, rassemblant tous les habitants de haut rang de Santiago, ainsi que tous les officiers supérieurs : par centaines, ils exécutaient les figures enchevêtrées de la valse et la satisfaction générale était dépeinte sur tous les visages.

Carnets de voyage du capitaine Basil Hall (1823)

Durant la campagne de libération du Pérou, Basil Hall (Edimburgh, 1788 - Portsmouth 1844), officier de la Royal Navy, veillait sur les intérêts et la sécurité de ses compatriotes. Neutre, il était reçu dans les deux camps et allait et venait du Pérou au Chili. Sont reproduites ici les notes qu’il prit après sa rencontre avec San Martín, le 25 juin 1821, trois semaines avant la chute de Lima et qu’il publia à son retour en Ecosse en 1823, sans les remanier car, explique-t-il dans une préface tardive, il avait constaté que leur rédaction originale était plus claire. Il dit les avoir publiées telles quelles et dans leur ordre chronologique.

Celui-ci a connu le succès le plus durable de tous les ouvrages sur la révolution sud-américaine, avec des rééditions jusque dans les années 1840 et des traductions en espagnol, allemand, italien et français.

General San Martin is a tall, erect, well-proportionned, handsome man, with a large aquiline nose, thick black hair, and immense bushy whiskers, extending from ear to ear under the chin: his complexion is deep olive, and his eye, which is large, prominent, and piercing, jet black; his whole appearence being highly military. He is thoroughly well-bred, and unaffectedly simple in his manners; exceedingly cordial and engaging, and possessed evidently of great kindliness of disposition: in short, I have never seen any person, the enchantment of whose address was more irresistible. In conversation he goes at once to the strong points of the topic, disdaining, as it were, to trifle with its minor parts: he listen earnestly, and replies with distinctness and fairness, showing wonderful resources in argument, and a most happy fertility of illustration; the effect of which is to make his audience feel they are understood in the sense they wish. Yet there is nothing showy or ingenious in his discourse; and he certainly seems at all times perfectly in earnest, and deeply possessed with his subject. Several times during this interview his animation rose to a high pitch, and then the flash of his eye, and the whole turn of his expression, became so exceedingly energetic as to rivet the attention of his audience beyond the possibility of evading his arguments. This was remarkably the case when the topic was politics; on which subject I consider myself fortunate in having heard him express himself frequently.

Le général San Martín est un homme grand, droit, bien proportionné et beau, avec un long nez aquilin, des cheveux épais et noirs et d’immenses favoris broussailleux qui vont d’une oreille à l’autre sous le menton, son teint est bistre foncé et son œil, large, saillant et perçant, est d’un noir de jais, l’ensemble de son allure étant hautement militaire. Il est fort bien élevé, et simple, sans affectation dans ses manières, extrêmement cordial, engageant et doté à l’évidence d’une grande amabilité naturelle. Bref, je n’ai jamais vu personne dont le commerce enchanteur fût plus irrésistible. Dans une conversation, il va droit au cœur du sujet, dédaignant, le cas échéant, de badiner sur les points mineurs : il écoute avec honnêteté et répond avec nuance et justesse, faisant preuve de merveilleuses ressources argumentaires et d’une très heureuse prodigalité dans l’illustration de son propos. Par voie de conséquence, ses auditeurs se sentent compris dans le sens qu’ils souhaitent. Pourtant, rien d’ostentatoire ni d’artificieux dans son discours. Assurément, il paraît en tout temps parfaitement sincère et en pleine possession de son sujet. À plusieurs reprises durant l’entretien, son ardeur attint un paroxysme et l’éclat de son regard et toute sa physionomie devinrent alors si incroyablement énergiques qu’il rivait l’attention de ses auditeurs qui ne pouvaient plus se soustraire à son raisonnement. C’était notablement le cas quand on parlait de politique, sujet sur lequel je considère comme un privilège de l’avoir souvent entendu s’exprimer.

But his quiet manner was not less striking, and indicate of a mind of no ordinary stamp: he could even be playful and familiar, when such was the tone of the moment; and whatever effect the subsequent possession of great political power may be supposed by some to have had on his mind, I feel confident that his natural disposition is kind and benevolent, and, I conceive, far above the reach of such vulgar influences.

Mais ses manières paisibles n’étaient pas moins saisissantes. Elles signalent un esprit d’une trempe peu commune. Il pouvait même être enjoué et fraternel lorsque les circonstances le voulaient et quel que soit l’effet que d’aucuns penseront qu’un tel don pour le pouvoir politique ait sur son esprit, je suis sûr que par inclination naturelle il est aimable et bienveillant et, j’imagine, bien au-delà d’influences aussi vulgaires.

During the first visit I paid to San Martin, several persons came on board his vessel privately, from Lima, to discuss the state of affaires, upon which occasion his views and feelings were distinctly stated; and I saw nothing in his conduct afterward to cast a doubt upon the sincerity with which he then spoke.1

Durant la visite que j’ai rendue à San Martín, plusieurs personnes de Lima montèrent à bord à titre privé, pour discuter du cours des évènements et à cette occasion, il exprima clairement ses vues et ses sentiments. Par la suite, je n’ai rien vu dans sa conduite qui jette le moindre doute sur la sincérité avec laquelle il avait alors parlé.1

1La suite de ce passage, qui rapporte la teneur de la conversation entre San Martín et Hall, a été traduit dans le blogwww.barrio-de-tango.blogspot.com, dans les entrées consacrées à la biographieSan Martín, à rebours des conquistadors,parue aux Editions du Jasmin.

Voyage en Europe de Juan Bautista Alberdi

Juan Bautista Alberdi (1810-1884) était un éminent juriste et diplomate argentin, d’obédience unitaire et libérale et d’esprit plus ouvert et plus démocratique que la majorité des hommes au pouvoir pendant la République conservatrice des années 1860-880. On lui doit la première constitution entrée en vigueur en Argentine (1854). Avec quelques amendements, elle régit toujours le pays. Lorsqu’il rencontre San Martín à Paris, Alberdi voyage pour fuir le régime de Rosas. Cette page est un classique de la littérature argentine.

París, 14 de Septiembre de 1843

El 1° de Septiembre, a eso de las once de la mañana, estaba yo en casa de mi amigo el señor D. M. J. de Guerrico, con quien debíamos asistir al entierro de una hija del señor Ochoa (poeta español) en el cementerio de Montmartre. Yo me ocupaba, en tanto que esperábamos la hora de la partida, de la lectura de una traducción de Lamartine, cuando Guerrico se levantó, exclamando: «¡El general San Martín!» Me paré lleno de agradable sorpresa al ver la gran celebridad americana que tanto ansiaba conocer. Mis ojos, clavados en la puerta por donde debía entrar, esperaban con impaciencia el momento de su aparición.

Paris, 14 septembre 1843

Le 1erseptembre, à environ onze heures du matin, je me trouvais chez mon ami monsieur D. M. J. de Guerrico, avec qui nous devions assister à l’enterrement d’une fille de monsieur Ochoa (poète espagnol) au cimetière de Montmartre. Pendant que nous attendions l’heure de partir, je tuais le temps en lisant une traduction de Lamartine quand Guerrico se leva en s’exclamant : « Le général San Martín ! » Je me levai empli d’une agréable surprise à l’idée de voir la grande célébrité américaine que je désirais si fort connaître. Mes yeux, fixés sur la porte par laquelle il devait entrer, attendaient avec impatience le moment où il apparaîtrait.

Entró por fin con su sombrero en la mano, con la modestia y el apocamiento de un hombre común. ¡Qué diferente lo hallé del tipo que yo me había formado oyendo las descripciones hiperbólicas que me habían hecho de él sus admiradores en América!

Il entra enfin, le chapeau à la main, avec la modestie et la retenue d’un homme ordinaire. Combien je l’ai trouvé différent de l’image que je m’étais formée en écoutant les descriptions hyperboliques que m’en avaient faites ses admirateurs en Amérique !

Por ejemplo: Yo le esperaba más alto, y no es sino un poco más alto que los hombres de mediana estatura. Yo le creía un indio, como tantas veces me lo habían pintado, y no es más que un hombre de color moreno, de los temperamentos biliosos. Yo le suponía grueso, y, sin embargo de que lo está más que cuando hacía la guerra en América, me ha parecido más bien delgado; yo creía que su aspecto y porte debían tener algo de grave y solemne, pero le hallé vivo y fácil en sus ademanes, y su marcha, aunque grave, desnuda de todo viso de afectación. Me llamó la atención el metal de su voz, notablemente gruesa y varonil. Habla sin la menor afectación, con toda la llanura de un hombre común. Al ver el modo de como se considera él mismo, se diría que este hombre no había hecho nada de notable en el mundo, porque parece que él es el primero en creerlo así.

Par exemple, je m’attendais à ce qu’il soit plus grand or il l’est juste un peu plus qu’un homme de stature moyenne. Je croyais qu’il était indien comme si souvent on me l’avait dépeint or il n’est rien d’autre qu’un homme au teint mat, comme ceux de tempérament bileux. Je supposais qu’il était gros or, quand bien même il l’est plus que lorsqu’il faisait la guerre en Amérique, il me parut des plus sveltes. Je croyais que son aspect et son port devaient avoir quelque chose de grave et de solennel mais je l’ai trouvé alerte et délié dans ses gestes, et sa démarche, quoique grave, dénuée de la moindre affectation. Le timbre de sa voix, particulièrement basse et virile, m’a frappé. Il parle sans la moindre affectation, avec toute la bonhommie d’un homme normal. À voir la manière dont lui-même se considère, on dirait que cet homme n’a rien fait d’extraordinaire dans le monde, car il a l’air d’être le premier à le croire.

Yo había oído que su salud padecía mucho; pero quedé sorprendido al verle más joven y más ágil que todos cuantos generales he conocido de la guerra de nuestra independencia, sin excluir al general Alvear, el más joven de todos. El general San Martín padece en su salud cuando está en inacción, y se cura con sólo ponerse en movimiento. De aquí puede inferirse la fiebre de acción de que este hombre extraordinario debió estar poseído en los años de su tempestuosa juventud. Su bonita y bien proporcionada cabeza, que no es grande, conserva todos sus cabellos, blancos hoy casí totalmente; no usa patilla ni bigote, a pesar que hoy lo llevan por moda hasta los más pacíficos ancianos. Su frente, que no anuncia un gran pensador, promete, sin embargo, una inteligencia clara y despejada, un espíritu deliberado y audaz. Sus grandes cejas negras suben hacia el medio de la frente cada vez que se abren sus ojos, llenos aún del fuego de la juventud. La nariz es larga y aguileña; la boca pequeña ricamente dentada, es graciosa cuando sonríe; la barba es aguda.

J’avais entendu dire que sa santé était fort mauvaise, mais je fus surpris de le voir plus jeune et plus agile que tous les autres généraux de notre guerre d’indépendance que j’ai connus, sans en exclure le général Alvear, le plus jeune de tous. Le général San Martín se porte mal quand il est dans l’inaction et il lui suffit de se mettre en mouvement pour guérir. On peut en inférer la fièvre d’action dont cet homme extraordinaire a dû être habité dans les années de son orageuse jeunesse. Son visage, élégant et de belles proportions, plutôt petit, a gardé tous ses cheveux, maintenant presque tous blancs ; il ne porte ni favori ni moustache alors qu’aujourd’hui c’est la mode même pour les plus pacifiques de nos anciens. Son front, qui n’annonce pas un grand penseur, promet pourtant une intelligence claire et franche, un esprit réfléchi et audacieux. Ses gros sourcils noirs montent jusqu’au milieu du front chaque fois qu’il ouvre ses yeux encore pleins du feu de la jeunesse. Le nez est long et aquilin, la bouche petite, avec toute sa denture, avenante lorsqu’il sourit, et le menton est pointu.

Estaba vestido con sencillez y propiedad: corbata negra, atada con negligencia; chaleco de seda, negro; levita del mismo color; pantalón mezcla de celeste; zapatos grandes. Cuando se paró para despedirse acepté y cerré con las dos manos la derecha del gran hombre que había hecho vibrar la espada libertadora de Chile y el Perú. En ese momento se despedía para uno de los viajes que hace en el interior de Francia en la estación de verano1.

Sa tenue était sobre et appropriée : cravate noire nonchalamment nouée, gilet de soie, noir, jaquette de même couleur, pantalon en camaïeu ciel, souliers effilés. Quand il se leva pour prendre congé, je reçus et serrai à deux mains la droite du grand homme qui avait fait briller l’épée libératrice du Chili et du Pérou. Il prenait alors congé pour l’un des voyages qu’il effectue à l’intérieur de la France pendant l’été1.

No obstante su larga residencia en España, su acento es el mismo de nuestros hombres de América, coetáneos suyos. En su casa habla alternativamente el español y francés, y muchas veces mezcla palabras de los dos idiomas, lo que le hace decir con mucha gracia que llegará un día en que se verá privado de uno y otro o tendrá que hablar un patois de su propia invención. Rara vez o nunca habla de política -jamás trae a la conversación con personas indiferentes sus campañas de Sud-América; sin embargo, en general le gusta hablar de empresas militares.

En dépit de son long séjour en Espagne, son accent est celui de nos hommes d’Amérique de sa génération. Chez lui, il parle tantôt espagnol tantôt français et mélange souvent des mots des deux langues, ce qui lui fait dire non sans esprit qu’un beau jour, il se verra privé de l’une et de l’autre ou bien qu’il lui faudra parler un patois de sa propre invention. De politique, il parle rarement, voire jamais. Jamais il n’impose ses campagnes d’Amérique du Sud dans la conversation avec des personnes indifférentes ; cependant, en général, il aime parler d’entreprises militaires.

1Alberdi use ici de concepts argentins. L’intérieur, c’est ce qu’on appelle alors la province (par opposition à la capitale) et l’été, c’est notre hiver. San Martín avait l’habitude de passer la mauvaise saison dans le midi de la France ou de l’Italie, notamment à Naples.

Portrait par Adolphe Gérard, Boulogne-sur-Mer, 22 août 1850

Extrait de la nécrologie publiée au lendemain des obsèques, dans L’Impartial, le quotidien de Boulogne-sur-Mer. Cet article est l’une des rares traces qu’Adolphe Gérard (1804-1878) ait laissées à la postérité, avec sa maison de la Grande-Rue (devenue musée) et sa trace dans les archives judiciaires du Pas-de-Calais (il était avocat auprès du tribunal civil de cette sous-préfecture). En creux, on découvre dans ce texte un bourgeois libéral et cultivé typique de la Monarchie de Juillet. Les majuscules et la ponctuation originales ont été respectées.

Le samedi 17 août 1850, à trois heures de l’après-midi, est décédé dans notre ville, Grande-Rue, n° 105, où il demeurait depuis seize mois, et à l’âge de 72 ans 5 mois et 23 jours, l’un des héros de l’indépendance Américaine, le général Don José de SAN-MARTIN. […]

Il vécut [à Boulogne] dans une retraite absolue, au sein d’une famille fière de lui et dont il était adoré.

Il y est mort plein de jours, à la suite de longues souffrances occasionnées par une hypertrophie du cœur1, sans que la fermeté de son caractère, et la hauteur de sa raison aient fléchi un seul instant.

M. de San-Martin était un beau vieillard, d’une haute stature que ni l’âge, ni les fatigues, ni les douleurs physiques n’avaient pu courber. Ses traits étaient expressifs et sympathiques ; son regard pénétrant et vif ; ses manières remplies d’affabilité ; son instruction des plus étendues ; il savait et parlait avec une égale facilité le français, l’anglais2 et l’italien, et avait lu tout ce qu’on peut lire. Sa conversation aisément enjouée était l’une des plus attrayantes que l’on pût écouter. Sa bienfaisance était sans bornes. Il avait pour l’ouvrier une véritable sympathie ; mais3 il le voulait laborieux et sobre ; et jamais homme n’a fait moins que lui de concession à cette popularité méprisable qui se fait le flatteur des vices des peuples. Il disait à tous et sur tout la vérité !

Son expérience des choses et des hommes donnait à ses jugements une grande autorité. Elle lui avait appris la tolérance.

Partisan exalté de l’indépendance des nations, sur les formes proprement dites de gouvernement, il n’avait aucune idée systématique. Il recommandait sans cesse, au contraire, le respect des traditions et des mœurs, et ne concevait rien de plus coupable que ces impatiences des réformateurs qui, sous prétexte de corriger les abus, bouleversent en un jour l’État politique et religieux de leur pays : « Tout progrès, disait-il, est le fils du temps. »

[…]

Moins connu en Europe que Bolivar, parce qu’il rechercha moins que lui les éloges de ses contemporains, San-Martin est aux yeux des Américains son égal comme homme de guerre, son supérieur comme génie politique, et surtout comme citoyen. Dans l’histoire de l’Indépendance Américaine, qui n’est pas écrite encore, au moins pour la France, il représente le talent d’organisation, la droiture des vues, le désintéressement, l’intelligence complète des conditions sous lesquelles les nouvelles républiques pouvaient et devaient vivre. À chaque année qui s’écoule, à chaque perturbation qu’elle éprouve, l’Amérique se rapproche davantage de ces idées qui étaient le fond de sa politique : - La liberté est le plus précieux des biens, mais il ne faut pas la prodiguer aux peuples neufs. - La liberté doit être en rapport avec la civilisation4. Ne l’égale-t-elle point ? C’est l’esclavage. La dépasse-t-elle ? C’est l’anarchie.

Maximes fécondes que notre pauvre France doit aujourd’hui sérieusement méditer ; car c’est parce qu’elle les a méconnues que l’ère de ses révolutions est toujours ouverte.

Boulogne-sur-Mer, le 21 août 1850

1Diagnostic erroné du médecin, qui, dans l’après-midi, ne sut pas reconnaître la gravité de la situation.

2Sur ce point, Gérard se trompe. San Martín était mal à l’aise avec l’anglais, il le lisait, mais sans l’aimer.

3Ce « mais » révèle un racisme de classe étranger à San Martín mais fréquent dans la bourgeoisie orléaniste, pour qui l’ouvrier était par nature paresseux et ivrogne. Chez San Martín, cette exigence du travail et de la sobriété s’étendait à toutes les classes sociales. Ses officiers supérieurs en ont su quelque chose.

4En 1850, ce mot recouvre ce que nous appellerions développement (politique et socio-économique).

PARTIE IIUne enfance et une jeunesse fort peu documentées

Par un curieux acharnement du destin, fait d’une conjonction d’événements fortuits et de destructions volontaires au gré des circonstances politiques, seul un petit nombre de documents nous sont parvenus sur l’enfance et la jeunesse du général San Martín, carence qui s’est avérée providentielle quand il fallut convertir un homme de chair et de sang en mythe continental.

José de San Martín est né à Yapeyú en 1778 mais la petite ville, sise dans l’actuelle Province de Corrientes, a été incendiée en 1817 après une incursion du Brésil sur la rive ouest de l’Uruguay. C’est ainsi que son acte de baptême et celui de son frère Justo Rufino ont sans doute disparu à jamais.

Par la suite, il a vécu la vie discrète d’un simple fils de capitaine à Málaga, en Andalousie. Même si sa précocité a certainement impressionné son entourage, celui-ci ne comprenait aucun de ces dignitaires dont la position sociale aurait justifié qu’on conservât leurs écrits, comme on le fit pour les admirateurs haut placés du jeune Mozart.

Un peu plus tard, de 1786 à 1789, il a étudié dans ce qui s’appelait alors Seminario Real de los Nobles de Madrid, école supérieure qui préparait les futurs cadres de l’armée. Il est fort probable que les documents relatifs à son séjour dans ces murs aient été détruits lorsqu’à la tête de ce qui était devenu l’École Militaire, on fit le rapprochement, dans la seconde moitié de 1817, entre le petit San Martín, qui avait laissé un si fort souvenir trente ans plus tôt, et le général qui, à l’autre bout du monde, humiliait les armes de Fernando VII, sous le règne duquel mieux valait se montrer prudent.

On sait aussi que ses papiers militaires d’Espagne ont subi des destructions. Lorsqu’il fut évident que, contrairement à sa demande de congé militaire en août 1811, il n’avait pas rejoint la capitale royaliste du Pérou, il fut porté déserteur. Aussi sa dernière feuille de service et d’autres plus anciennes peut-être furent-elles marquées du sceau de l’infâmie. Et lorsque l’Espagne, bien plus tard, se résolut à reconnaître l’indépendance de ses anciennes colonies, les archivistes auront altéré une nouvelle fois les documents pour en faire disparaître les signes du déshonneur.

Pour cette première partie de sa vie, le biographe en est donc réduit à analyser le vocabulaire employé par San Martín lui-même, lorsqu’entre les lignes il laisse affleurer sa sensibilité et ses émotions dans ses lettres, et à croiser des bribes d’information provenant d’autres sources, comme celles fournies par la Gazette de Lausanne, qui rapporte les récits que faisaient, dans les salons vaudois et les loges maçonniques, les réfugiés libéraux espagnols, ses anciens condisciples qui gardaient de lui le souvenir d’un enfant brillant et surtout beaucoup plus jeune qu’eux.

Incorporation dans le régiment de Murcie, juillet 1789

Ce placet autographe du jeune San Martín, adressé au comte de Bornos, au ministère de la Guerre à Madrid, accompagnait un dossier qui devait contenir une attestation d’hidalguía (premier degré de noblesse), une autre de limpieza de sangre (absence d’ascendance juive ou musulmane) et quelques lettres de recommandation de ses professeurs et sans doute des supérieurs hiérarchiques de son père.

La procédure habituelle consistait à déposer un épais dossier de candidature au ministère, qui mettait plusieurs mois à l’instruire et la candidature une fois approuvée, il s’écoulait encore beaucoup de temps avant l’incorporation du cadet. Des candidats bien mieux recommandés que lui ont dû patienter près d’un an avant d’entrer dans un régiment qui n’était pas toujours de leur goût. Or, San Martín reçut une réponse datée du 15 juillet 1789 et intégra son régiment le 21. Ce traitement hors normes nous indique donc que, sinon l’armée espagnole dans son ensemble, du moins un certain nombre de hauts responsables comme les capitaines-généraux de Málaga (dont dépendait le père du candidat) et de Cadix (dont dépendait le régiment de Murcie), avaient déjà conscience d’être en présence d’un sujet d’exception, car, si notre héros est bien né en février 1778, ce dont il n’y a pas lieu de douter, il n’a qu’onze ans et demi. Pourtant, les ordonnances royales de 1768 fixaient à douze ans révolus l’âge minimum d’incorporation. De surcroît, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, les cadets n’étaient pas incorporés avant l’âge d’au moins quinze ou seize ans.

Excelentísimo Señor:

Don José Francisco de San Martín hijo de don Juan Capitán Agregado al Estado Mayor de esta Plaza, con el debido respeto dice que a ejemplo de dicho su padre y hermanos cadetes que tiene en el Regimiento de Soria1, desea el exponente seguir la distinguida carrera de las armas en el Regimiento de Murcia, a cuyo efecto rendido:

Suplica a V. E. se digne concederle plaza de cadete en el citado Regimiento de Murcia, mediante, a lo expuesto y que su referido padre está pronto a asegurar le tanto de asistencias que previene S. M.2 así lo espera de la bondad de V. E.

Monseigneur,

Don José Francisco de San Martín, fils de don Juan, capitaine attaché à l’état-major de cette place, avec le respect qui est dû, déclare qu’à l’exemple de son susdit père et de ses frères cadets au régiment de Soria1, le soussigné désire suivre la distinguée carrière des armes dans le Régiment de Murcie, à quelle fin il prie Votre Excellence de daigner lui accorder une place de cadet au susdit Régiment de Murcie, compte-tenu des raisons invoquées et que son père, ci-mentionné, est prêt à lui assurer toute l’assistance que Sa Majesté a prévue2. C’est ce qu’il espère de la bonté de Votre Excellence.

Málaga 1ero de Julio de 1789.

Excelentísimo Señor José Francisco de San Martín

Málaga, 1er juillet 1789

Très éminent sire

José Francisco de San Martín

1Il n’y avait que deux cadets en même temps dans un même régiment. San Martín a trois frères aînés. Seuls les deux plus âgés sont déjà dans l’armée. Justo, d’un an son aîné, entrera comme cadet en 1795, à l’âge plus habituel de dix-huit ans, à la prestigieuseGuardia de Corps, peut-être grâce aux brillants états de service de son puîné.

2Les ordonnances royales de 1768 exigeaient que leurs parents subviennent aux besoins des élèves officiers à hauteur d’une somme minimale, à charge pour l’armée de fournir le gîte, le couvert et de pourvoir à la formation militaire elle-même.

Rapport du combat d’Arjonilla, 23 juin 1808

El Teniente Coronel don Juan de la Cruz Mourgeón1 dió parte desde Arjonilla, con fecha 23 del corriente, al señor Marqués de Coupigni2, comandante de la vanguardia, y éste a la Suprema Junta, del glorioso combate que tuvo con una partida del ejército Dupont. A las tres de la madrugada del mismo día se puso en marcha dicho Mourgeón, dirigiéndose a ocupar los puestos avanzados de Arjonilla, con el cuerpo de su mando, compuesto de la compañía de cazadores de guardia Walonas, la de Balbastro, la de voluntarios de Valencia y Campo Mayor, la del Príncipe de Caballería, Dragones de la Reina, Húsares de Olivencia, Borbón y escuadrones de Carmona. Puesta en orden la columna de los de Aldea del Río por el camino del Arrecife, y habiendo andado como tres cuartos de legua, les avisó el Capitán don José de San Martín, comandante de su vanguardia que se había encontrado una descubierta de los enemigos; les ordenó los atacase, pero no pudiendo verificarlo en el momento por haberse puesto los enemigos en huida, determinó cortarlos por otro camino. En consecuencia, se dirigió San Martín por una trocha, sostenido por una partida suya de Campo Mayor, a cargo del subteniente del mismo don Cayetano de Miranda y la caballería de su mando de Húsares de Olivencia y Borbón, cuya fuerza consistía en 21 caballos; con ellos pasó a la casa de postas, situada en Santa Cecilia; al llegar a ella vió que los enemigos estaban formados en batalla, creyendo que San Martín con tan corto número no se atrevería a atacarlos; pero este valeroso Oficial únicamente atento a la orden de su jefe puso a su tropa en batalla y atacó con tanta intrepidez, que logró desbaratarlos completamente, dejando en el campo 17 dragones muertos y 4 prisioneros, que aunque heridos los hizo conducir sobre sus mismos caballos, habiendo emprendido la fuga el oficial y los restantes soldados con tanto espanto, que hasta los mismos morriones arrojaban de temor, lográndose coger 15 caballos en buen estado, y los restantes quedaron muertos.

Le lieutenant-colonel don Juan de la Cruz Mourgeón1rendit compte depuis Arjonilla, en date du 23 courant, au marquis de Coupigny2, commandant de l’avant-garde, et celui-ci à la Junta suprême, du glorieux combat qu’il mena contre un détachement de l’armée de Dupont. À trois heures du matin ce même jour, le dit Mourgeón se mit en marche, en vue d’occuper les postes avancés d’Arjonilla, avec le corps placé sous son commandement, composé de la compagnie de chasseurs des gardes wallones, celle de Balbastro, celle des supplétifs de Valence et deCampo Mayor, la compagnie de cavalerie du Prince, les dragons de la Reine, les hussards d’Olivencia, de Bourbon et des escadrons de Carmona. Une fois mise en ordre la colonne des soldats d’Aldea del Río sur le chemin d’Arrecife et après avoir parcouru environ trois quarts de lieue, le capitaine don José de San Martín, commandant de son avant-garde, les avisa qu’il avait découvert une trouée chez l’ennemi. Il leur donna l’ordre d’attaquer mais ne pouvant le faire sur le moment parce que les ennemis avaient été mis en fuite, il décida de les prendre par un autre chemin. En conséquence, avec le soutien d’un détachement de son unité de Campo Mayor, aux ordres du sous-lieutenant don Cayetano de Miranda, et de la cavalerie des hussards d’Olivencia et de Bourbon, dont la force était constituée de vingt-et-un cavaliers placés sous son commandement, San Martín emprunta un layon. À leur tête, il alla au relais de poste situé à Santa Cecilia. À son arrivée, il vit que les ennemis s’étaient formés en ordre de bataille, croyant qu’avec un si faible effectif, San Martín n’oserait pas les attaquer. Mais ce valeureux officier, n’écoutant que les ordresde son chef, mit ses hommes en ordre de bataille et attaqua avec tant d’intrépidité qu’il réussit à les mettre en déroute complète, laissant sur le champ de bataille dix-sept morts parmi les dragons et quatre prisonniers, qu’il fit, malgré leurs blessures, emmener sur leurs propres chevaux, tandis que l’officier et les autres soldats avaient pris la fuite avec une telle frayeur que même leurs shakos s’étaient envolés de terreur. Ils laissèrent capturer quinze chevaux en bon état et les autres étaient morts.

Mucho sintió San Martín y su valerosa tropa se les escapase el Oficial y demás soldados enemigos; pero oyendo tocar la retirada, hubo de reprimir su ambición de gloria.

San Martín et ses valeureux hommes se désolèrent fort de ce que l’officier et les autres soldats ennemis leur avaient échappé, mais en entendant sonner la retraite, il lui fallut réfréner son ambition de gloire.

El Teniente Coronel Mourgeón ordenó la retirada por haber observado que venía al enemigo un refuerzo de 100 caballos. Dispuso en consecuencia fuese el Teniente de caballería del Príncipe, don Carlos Lanzarote, con 20 caballos, a sostener a San Martín por el Arrecife, mientras él mismo se adelantaba por la derecha de éste con el escuadrón de Dragones de la Reina, al mando de su Capitán don José de Torres, dejando el del resto de la columna al del Teniente Coronel y comandante de la compañía de cazadores de guardias Walonas don Dionisio Baouligni, con la orden de que tomase posición y cubriese los bagajes y municiones, con cuya operación se contuvieron los enemigos, y dejaron retirar con el mejor orden a San Martín.

Le lieutenant-colonel Mourgeón ordonna la retraite après avoir observé qu’arrivait un renfort ennemi de cent cavaliers. Il disposa en conséquence que le lieutenant de la cavalerie du Prince, don Carlos Lanzarote, s’en fût avec vingt cavaliers soutenir San Martín du côté d’Arrecife, tandis que lui-même s’avançait par sa droite, avec l’escadron de dragons de la Reine, sous les ordres de son capitaine don José de Torres, laissant l’escadron du reste de la colonne à ceux du lieutenant-colonel, commandant la compagnie des chasseurs des gardes wallonnes, don Dioniso Baouligni, avec l’ordre de prendre position et de couvrir les bagages et les munitions, opération qui contint l’ennemi et laissa San Martín se retirer dans un ordre parfait.

Por nuestra parte sólo ha habido un cazador de Olivencia herido, a pesar de haber sufrido nuestra tropa descargas de tercerolas y pistolas. San Martín hace un elogio distinguido de toda su tropa, particularmente del Sargento de Húsares de Olivencia, Pedro de Martos, y del cazador del mismo Juan de Dios, que en un inminente riesgo le salvó la vida, del Sargento de caballería de Borbón Antonio Ramos y del soldado del mismo Ignacio Alonso.

De notre côté, malgré les décharges de fusils et de pistolets que nos hommes ont essuyées, nous n’avons eu qu’un blessé, un chasseur d’Olivencia. San Martín fit un éloge distingué de tous ses hommes, en particulier du sergent des hussards d’Olivencia, Pedro de Martos, et du chasseur de ce régiment, Juan de Dios, qui, devant le danger imminent, lui avait sauvé la vie, du sergent de cavalerie du Bourbon, Antonio Ramos, et du soldat de ce régiment, Ignacio Alonso.

Los que huyen de esta manera son los vencedores de Jena y Austerlitz3.

Ceux qui fuient ainsi sont les vainqueurs d’Iéna et d’Austerlitz3.

1Son prénom est Juan de la Cruz (saint Jean de la Croix), couramment abrégé en Cruz. Le patronyme Mourgeón révèle l’origine francophone, probablement picarde ou wallonne. Après la restauration de Fernando VII, Mourgeón fut nommé vice-roi de la Nouvelle-Grenade (Amérique centrale). C’est à lui qu’il revint de combattre Bolívar. Il trouva la mort à la bataille de Quito, le 8 avril 1822. En 1821, il s’était apprêté à affronter San Martín, qui croisait alors au large des côtes péruviennes et dont on craignait qu’il s’emparât du port de Guayaquil qui avait rallié la révolution.

2Antoine Malet, marquis de Coupigny de Liguereuil (Arras, 1759 - Madrid, 1825), officier célibataire issu d’une vieille famille artésienne, avec une longue tradition d’engagement dans les gardes wallones du roi d’Espagne. En 1789, la famille restée en Artois avait émigré. A titre de comparaison et pour éclairer la carrière de San Martín, notons que Coupigny entra le 26 juillet 1776, à dix-sept ans, aux gardes wallones, en qualité d’enseigne. En dépit d’un lignage ancien et prestigieux, cet excellent officier ne fut promu capitaine que le 5 août 1795, à trente-six ans (source :Histoire des gardes wallones au service d’Espagne, Colonel Guillaume, F. Parent éditeur, Bruxelles, 1858, où il est rapporté, à tort, qu’Antoine Malet passa à Joseph Bonaparte. Il s’agit sans doute d’une confusion avec un des nombreux homonymes).

3Napoléon n’avait encore envoyé que des troupes de réserve mal entraînées. Et la guerre de partisans que leur faisaient les Espagnols les terrorisait. Coupigny et Mourgeón ne se sont peut-être pas encore rendu compte qu’ils n’avaient pas affaire à l’élite de l’armée française. À moins qu’ils n’aient voulu amplifier le fait d’armes pour galvaniser la population civile.

Coupigny à San Martín en 1808 et 1809

Madrid, 20 de setiembre 1808

Señor d. José de San Martín

Mi estimado amigo:

Tengo la satisfacción de felicitarle a usted por el grado de teniente coronel con que la junta de Sevilla se ha servido distinguirlo. Incluyo a usted la certificación que me pide y es regular se sepa en esa, y usen los que estuvieron en Bailén la medalla que se nos ha concedido.

Madrid, 20 septembre 1808

Monsieur d. José de San Martín

Mon cher ami,

Ce m’est une satisfaction de vous féliciter pour le grade de lieutenant-colonel par lequel la Junta de Séville a daigné vous distinguer. Je vous adjoins le certificat que vous m’avez demandé et il est normal que l’on sache ce qu’il contient et que ceux qui furent à Bailén portent la médaille qui nous a été accordée.

Siento mucho sus males, y tendré particular gusto en su restablecimiento como en que mande a su afectísimo amigo.

J’ai grand regret de vous savoir malade et votre rétablissement me donnera une joie toute spéciale comme le fait que vous disposiez des services de votre très dévoué ami,

El Marqués de Coupigny

Marquis de Coupigny

Mi estimado amigo

He sabido con placer el restablecimiento de usted, y como aprecio el mérito y los buenos oficiales, quisiera marchase usted al ejército de Cataluña, para donde salgo mañana, empleado por la suprema junta central; y estando a mis órdenes e inmediación podría adelantarle a usted en su carrera.

Creo que si usted hace esta solicitud constando con mi consentimiento a la junta central, no pondrá la menor repugnancia pero si la hubiere escríbame usted que yo veré de allanarla.

Páselo usted bien y mande a su afectísimo amigo

Mon cher ami,

C’est avec plaisir que j’ai appris votre rétablissement et comme j’apprécie le mérite et les bons officiers, je voudrais que vous vous mettiez en route pour l’armée de Catalogne vers laquelle je pars demain, au service de la Junta centrale suprême. Être placé immédiatement sous mes ordres pourrait accélérer votre carrière.

Je crois que si vous adressez cette requête en faisant état de mon accord à la Junta centrale, elle n’y posera pas le moindre obstacle. Si toutefois il s’en présentait un, écrivez-moi, que je voie à l’écarter.

Portez-vous bien. Et disposez des services de votre très dévoué ami, 

El marqués de Coupigny

Marquis de Coupigny

Contesté en 13 de marzo al señor Coupigny que luego que me acabase de restablecer, solicitaría de la suprema junta la orden para marchar a sus órdenes.

J’ai répondu le 13 mars à monsieur de Coupigny que dès que je serai tout à fait rétabli, je demanderai à la Junta suprême l’ordre de me présenter devant lui.

Feuille de services du 6 mars 1809

Batallón de infantería ligera

Voluntarios de Campo Mayor 

Bataillon d’infanterie légère

Volontaires de Campo Mayor 

El ayudante primero D. José de San Martín y Matórras.

Su edad, 27 años1;

su país, Buenos Aires, en América ;

su calidad, noble, hijo de capitán ;

su salud, buena;

sus servicios y circunstancias los que se expresan: 

Le major premier D. José de San Martín y Matórras

Âge : 27 ans1

Pays : Buenos Aires, en Amérique

Qualité : noble, fils de capitaine

Santé : bonne

Services et circonstances :

ceux consignés ci-après : 

Tiempo en que empezó a servir los empleos

Empleos, fechas

Cadete, 21 julio 1789

2° subteniente, 19 junio 1793

1er subteniente, 28 julio 1794

2° teniente, 8 mayo 17952

2° ayudante, 26 diciembre 1802

Capitán, 2 noviembre 1804

Ayudante 1°, 27 junio 1808 

Époque où il commença à tenir les grades

Grades, dates

Cadet, 21 juillet 1789

2nd sous-lieutenant, 19 juin 1793

1er sous-lieutenant, 28 juillet 1794

2nd lieutenant, 8 mai 17952

2nd major, 26 décembre 1802

Capitaine, 2 novembre 1804

Major 1er