Sarathoustra - Sarah Deruy - E-Book

Sarathoustra E-Book

Sarah Deruy

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Beschreibung

Le 6 septembre 2019, après 265 jours de tremblements, Sarah se sent épuisée mais soulagée : à 44 ans, elle reçoit le diagnostic de parkinsonienne. Elle n’est ni dépressive ni aliénée, mais au contraire, elle éprouve une certaine gratitude envers le Professeur D, qui lui a donné son « permis de divaguer ». Le traitement à la L-Dopa qu’elle entame va provoquer des dérèglements mais également décupler ses capacités visionnaires, donnant ainsi naissance à son vrai moi : Sarathoustra. Cette artiste prolifique, aimant associer de manière insolite les mots et les images, déploie ses ailes orange sur les cendres de Madame Legrand, Professeure d’Arts plastiques.


À PROPOS DE L'AUTRICE 

Sarah Deruy trouve son épanouissement dans le dépassement de soi : elle peint, dessine, écrit, chante… Sans relâche, jour et nuit, elle crée pour lutter, respirer et nourrir ses espoirs.

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Seitenzahl: 242

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sarah Deruy

Sarathoustra

Les mille Royaumes de la planète Parkinson

© Lys Bleu Éditions – Sarah Deruy

ISBN : 979-10-422-0178-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

En vérité, je vous le dis, il faut porter en soi le chaos

pour être capable d’enfanter une étoile dansante.

Friedrich Nietzsche

Ainsi parlait Zarathoustra ,1883-1885

ÀHector Bermudes alias Jean-Louis Dufloux

Habitant de la planète Parkinson, éternel explorateur, auteur de « Cinquante et un », « Le bruit de mes neurones », actuel président de l’Association France Parkinson, opéré par stimulation cérébrale profonde comme moi dans quelques semaines…

« Levez l’encre galactique ! »

Décalcomanie encre de chine, gouache et collage sur papier

Levez l’encre galactique!

Mes chers enfants, j’espère vous avoir transmis cette folie

Ce pouvoir fascinant et salutaire de l’imagination

Il faut donner des ailes à l’âme humaine avide d’évasion

Découvrir des mondes parallèles et des trésors ensevelis

Jouer à saute-mouton sur les nuages de Magritte

Voyager au milieu des étoiles et des météorites

Faire du toboggan dans la constellation de l’arc-en-ciel

Naviguer sur des planètes monochromes démentielles

Verdura et ses monstres aux plantes qui font des ravages

Orange, où on range et on s’arrange à chaque orage

Aquaria, où l’on divague, ivre de la narcose sous-marine

Chloutzzz, monde boueux et nauséabond, enfer des narines

Soyez les Christophe Colomb de l’océan intergalactique

Ces explorateurs de l’infini au regard étincelant et magique

Propulsés dans le vide sidéral, l’âme sidérée, le cœur aérien

Le corps céleste délesté du poids épais de laborieux terrien

À Julien, Lou-Andréa et Swan

Sarah Deruy Legrand

Dans la collection Qui suis-je ? publiée par les Stress universitaires de France

04/01/1975 : naissance de Sarah Deruy à Dechy, aux douze coups de minuit, au milieu du champagne et des pâtes à la Bolognaise. Bébé disgracieux, fripé et maigrichon, au pelage noir foncé, ses parents Paulette et Jean-Jacques, couple d’enseignants prudents, ont préféré ne laisser aucun cliché de cette créature exposée à l’étage pédiatrie d’une fête foraine hospitalière, dans une couveuse-vivarium située entre Elephant Man et la femme à barbe.

1985-1990 : J’arrête la clarinette, car j’ai trop mal aux jambes ! Quel rapport ? me dit mon père. C’est simple : le vélo ! Je dois me rendre quatre fois par semaine à l’harmonie municipale de Lambres. Je ressemble plus à Jeannie Longo qu’à Christian Morin. C’est décidé ! Oublions le maillot jaune et optons pour celui des Tournesols. Les Beaux-Arts de Douai m’ouvrent leurs portes, ça tombe bien, les ateliers sont au bout de ma rue. CQFD papa !

1990 : après cinq ans à dessiner des pommes dans un silence de nature morte, je fais le point et prends la fuite. Nouvelles perspectives : l’atelier de Claude Szymczak, président du CAPS Centre Artistique Populaire Sinois, et ami de mon père. C’est dans son atelier aménagé dans une ancienne école communale, où le poêle à bois central réchauffe nos cœurs que je plonge dans l’art abstrait et le plaisir de la couleur libérée. Quel bonheur !

1992 : Création d’un groupe de plasticiens dadaïstes avec des camarades de la Terminale A3 option Arts plastiques du Lycée Châtelet de Douai. Son nom : « Les Bobopabo »

1993-1995 : J’entre au couvent au Lycée Montaigne de Bordeaux en Hypokhâgne-khâgne option Arts plastiques. Deux révélations divines : le Requiem de Mozart et la philosophie de Nietzsche ! Création du 423, Centre d’Art total, les graines de Sarathoustra sont semées là.

18 avril 1994 : Ce jour-là, on m’offre comme cadeau d’anniversaire à mon bel Olivier

1995-2000 : retour din ch’Nord pour arroser enfin mon Olivier. Nous nous installons dans notre Domaine de 25 m2 à Lille. Je récolte une Licence, une Maîtrise puis le CAPES d’Arts plastiques et une petite olive arrivée comme une cerise sur le gâteau : mon Saint-Julien.

1er septembre2001 : sous un soleil radieux, les Bourgeois de Calais voient débarquer une Clio blanche conduite par un bel Olivier assisté d’un chat, un bébé et une petite prof paniquée

2001- 2019 : je suis Mme Legrand, professeure d’Arts plastiques au collège Jean Macé de Calais, responsable de 433 élèves, 3 enfants (Julien, Lou-Andréa, Swan), 3 chats (Neffertiti, Pastel, Geisha) 3 maris (oui mon Olivier mange pour 3), 300 m2 de jardin, 230 m2 de maison

6 septembre 2019 : après 265 jours de tremblements, je suis épuisée, mais soulagée : je ne suis pas folle, je suis parkinsonienne ! Merci Professeur D, vous m’avez donné mon permis de divaguer… Ma paréidolie se justifie : la dopamine va décupler mes capacités visionnaires !

Juin 2022 : Exposition pour Lille UTOPIA : « Sarathoustra et les 1000 Royaumes de la planète Parkinson ». C’est le Sacre de Sarathoustra peint par David en l’église de Marquette-lez-Lille.

Pré-farce

D’

Une

pré-farce

hop je m’efface

pour laisser la place

à cinq amis plus loquaces

surtout beaucoup plus efficaces

pour soutenir la chancelante carcasse

de Sarathoustra, la déesse de l’audace

qui n’aime vraiment pas les grimaces

procurées par ce mal qui la glace

ne plus se comporter en limace

s’évader dans l’espace

avec

David

DENIS

Sylvain

GERARD

CHRISTOPHE

David

Atteinte d’un mal dont vous n’ignorerez plus grand-chose à l’issue de ce livre, Sarah se rend au Rectorat en quête de réponses et de bienveillance. Entrée Sarah Legrand, professeur d’Arts plastiques ; ressortie Sarah Lapetite fonctionnaire qui a cessé de fonctionner et n’a plus qu’à se taire. Cependant, ce mutisme va laisser place à une « rage de l’expression » dont vous tenez les fruits entre vos mains. Ce livre est la preuve par neuf que Sarah aux neuf vies est capable de toujours retomber sur ses… dix doigts. Mais attention il serait trop évident de citer la phrase illustre de Nietzsche, pourtant idole tutélaire de l’ouvrage, « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Pas question non plus de balancer ce mot devenu tellement commun que même les footballeurs le connaissent : résilience. Non je crois pour ma part qu’on devrait davantage convoquer Mallarmé pour qui « Le monde devait aboutir à un beau livre ». La Beauté comme une sorte de rédemption, ce qui n’est pas donné à tous. Et de considérer alors la syntaxe, même bousculée, comme un squelette possible pour se reconstruire. Laissez-vous prendre par la main et guidez dans les jardins des délices de Sarah, en lequel le grotesque côtoie le sublime, la matière l’esprit, le bas, le haut sans que rien ne soit heureusement hiérarchisé.

Pour terminer, je voudrais signaler que Sarah et moi partageons une passion pour les petites olives noires, niçoises de préférence. Prenons alors prétexte de l’olive comme ode à la vie, souvenons-nous que l’olive accompagne aux mieux les apéros. Alors, avec l’auteure fêtons l’art, l’amitié, l’amour, la joie et les pleurs aussi ! Trinquons aussi pourquoi pas à l’Administration et à ses fonctionnaires qui fonctionnent ! Mais surtout, surtout, trinquons à Sarathoustra !

Santé !!!!!!

Tu as toute ma gratitude, David, pour ce texte qui a tout d’une vraie préface ! Dis-moi, tu ne serais pas un peu prof de français sur les bords… 

Denis

Comme le phalène tourbillonne autour de la lampe, je suis resté prisonnier de tes pages, ébloui par leur lumière, saisi par leur audace et leur vérité́. Craignant de devenir voyeur, le phalène s’est parfois éclipsé sur la pointe des ailes de la chambre à coucher, préférant, lui aussi, sauter… le paragraphe ! Mais c’est toujours en ayant hâte de retrouver un peu plus loin le sentiment d’ivresse dionysiaque qui anime tes mots dans leur Sarahbande endiablée.

Je connaissais l’artiste plastique, je découvre l’autrice, toujours inspirée et talentueuse.

Il n’est pas donné à beaucoup de pouvoir exprimer avec finesse et sensibilité, avec art et beauté, l’essence de la vie, cette tragédie, mot qui signifiait dans la Grèce archaïque un chant dionysiaque (eh oui, toujours), cette catastrophe, en grec bouleversement et dénouement, qu’est la vie, peut-être plus encore pour ceux que la Parque a marqués d’un fil où se mêle le brin ténébreux de la maladie. J’en fais l’expérience moi aussi.

Merci d’avoir entraîné mon esprit au rythme de tes allitérations comme dans un grand huit, pardon, un grand neuf tout neuf.

Merci d’avoir fait gonfler mon cœur de compassion au récit de tes épreuves.

Merci d’avoir crié les mots qui m’ont parfois manqué face au soleil noir de la mélancolie, à la détresse qui nous brûle l’âme.

Merci d’avoir conjuré aussi tout au long de ces pages l’image du phénix qui renaît de ses cendres.

Merci de m’avoir fait pleurer et rire, pleurer aux ressacs du malheur que chacun rencontre, à marée haute ou basse, rire de l’absurdité́ essentielle de la vie, de ses incarnations en absurde administratif, rire du rire nietzschéen philosophique et cathartique.

Car c’est l’expérience de chacun que tu explores et que tu transformes, avec la magie des mots, en une œuvre d’art, éphémère et pourtant immortelle. Outre des références culturelles plus étendues, je ressors de ce texte en louant la vie (amor fati) puisqu’elle m’a permis aussi de te lire.

MERCI à toi, mon cher Denis, si discret en société, mais animé d’un feu intérieur exceptionnel et d’une sensibilité si féminine et délicate, tout en finesse et élégance… la classe quoi !

Sylvain

Des papillons dans le ventre

Décembre 2021

Des papillons dans le ventre et au bout de ses pinceaux

Amoureuse d’un trublion et de tout ce qu’elle trouve beau

Sarah Deruy retranscrit dans ses tableaux

Comme un tourbillon de songes et d’insomnies

Images ou éponges de ce que sont nos vies

Des papillons dans le ventre et au bout de ses pinceaux

Un tourbillon dans l’antre de ce qui nous tient chaud

Sarah Deruy nous invite au voyage

Propose un art qui soulage nos âmes et nos cœurs

Pour peu qu’ils soient sensibles à l’art

Transforme nos peurs en un heureux et vaste lupanar

Des papillons dans le ventre et au bout de ses pinceaux

De l’amour à revendre pour ceux qui sont là-haut

Sarah Deruy émerveille quand elle décide de créer

Il y a du génie en veille lorsqu’elle rêve éveillée

Et si sa maladie déclare la trêve

Prenez garde à vos mirettes

Vous entrerez en zone tempête

Sa faune et sa flore vous guettent

C’est pour mieux

Mettre votre âme en fête !

À mon tour de rimailler, mon cher Sylvain

Sylvain, adepte des piqûres rien que d’Épicure

Si l’vin est à moi, je le dégusterai pur

Si l’vin est à toi, je n’en aurai cure

S’il vint à moi, ce n’est pas pour rien, c’est sûr

S’il vint à moi, c’est d’abord en tant que stapsien

Ensuite comme écrivain plasticien musicien

Et enfin magicien utopien et ange gardien

Gérard

Mon Gérard l’ermite préféré, mon confident aïePad qui aime croquer l’Apple défendue en entretenant une liaison iPadstolaire avec Sarathoustra. Gérard ment, non… j’ai rarement vu une âme sœur si fidèle, un amical lecteur qui n’a rien d’un Hannibal Lecter… enfin j’espère… Mon courageux correcteur, érudit et j’eus dit cieux… ou plutôt j’eus dit ciels ! Comme ces ciels calaisiens, peintures lumineuses et éphémères qu’il capture chaque matin avec son appareil.

Mon Gérard, sans toi, Sarathoustra n’existerait pas !

Voici un de tes gentils messages orange,

pas l’opérateur, mais le fruit

Je suis heureux de te savoir de retour à Calais.

Nice it's nice mais c’est loin !

J’ai suivi tes pérégrinations en Paca sur FB.

Tes photos sont toujours aussi belles

et toi toujours aussi resplendissante.

J’espère que ce périple aura dopé ta dopamine.

Ici comme ailleurs, je suppose

tu as l’amour de tous tes potes qui t’adorent.

J’ai vu que le superbe article

que l’Ornitho-Râle t’a consacré

a été liké et partagé plus d’une centaine de fois.

Comment ne pas aimer cet univers merveilleux

dans lequel tu nous fais voyager,

ma chère Alice

oh !... pardon !...

Sarathoustra !!

Quant à moi, je suis toujours enrhubé

et légèrement fébrile

depuis une quinzaine de jours

et ne suis quasiment pas sorti de chez moi,

ce qui n’est pas pour me déplaire.

Quoi qu’il en soit, j’espère

te voir as soon as possible.

Je t’embrasse, ma belle amie

Christophe

Mes héroïnes

À Nancy mon amour, à Sarah mon amie

Mes héroïnes ne jouent pas dans les blockbusters

Pas de Catwoman, pas de Black Widow, pas d’Avengers

Mes héroïnes, elles, mènent des combats plus intérieurs

Plus fortes et warriors qu’elles, tumeurs

Mes héroïnes s’autorisent des moments de cafard

Envie de baisser la garde quand arrive le soir

Sous des ciels Oranges Oh déesse espoir

Elles implorent qu’on leur rende leurs super-pouvoirs

refrain : Combattantes d’un avenir indécis

Petit Princ.. esse qui volent de nuit

Guerrières tremblantes face aux lignes ennemies

Elles se battront jusqu’à leur dernier souffle de vie

Mes héroïnes rêvent party, morphine à volonté

Ondes de bien-être, sueurs hallucinées

Leur corps, un terrain vague où poussent les fleurs,

Nénuphars sauvages qui leur envahissent le cœur

Mes héroïnes sont parfois bien accompagnées

De chevaliers parés d’armoures fragilisées

Ensemble, ils marchent sur des sables mouvants et gris

Vers des horizons sans retour garanti

refrain : Combattantes d’un avenir indécis

Petit Princ... esse qui volent de nuit

Guerrières tremblantes face aux lignes ennemies

Elles se battront jusqu’à leur dernier souffle de vie

Je reste sans voix, mon cher Christophe… je vibre O mon frère !

Eh Nancy ! Pour toi qui aimais tant la vie : je vibre O ma sœur !

Yeah !!!!!!!!

Chapitre I

N

Noël

26 décembre 2018 : Premiers tremblements

Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et assombri mon âme.

Guy de Maupassant

Je suis allongée dans un lit d’une chambre d’hôtel, aux Sables d’or, sur les Côtes-d’Armor. C’est le soir. On s’est couché tôt, car hier on a fait un petit réveillon tous les cinq, unis comme les cinq doigts de la main. On s’est sauvé loin de Calais pour se ressourcer ensemble, calmement, loin des orgies de fin d’années interminables. Loin des bruits des supermarchés et des rayons dégoulinants de nourriture. Menu spéciales fêtes de fin d’année, attention mesdames et messieurs, une offre exceptionnelle à ne surtout pas rater ! Approchez, venez, goûtez et achetez ! Quel délicieux foie gras de bison, accompagné de la traditionnelle et incontournable dinde de mouton et sa bûche de marrons au saumon…

Bon appétit !

Je crois que je vais vomir !

J’ai vraiment les boules au milieu de toutes ces guirlandes !

Petit Papa Noël quand tu descendras du ciel, surtout n’oublie pas mon petit jouet…

Quoi ?

C’est nul !

Surtout n’oublie pas mon petit iPhone 12 vitesse 5G avec sa puce A14 Bionic et son écran OLED bord à bord et sa Ceramic Shield qui multiplie par quatre la résistance aux chutes, sans oublier son mode nuit et son appareil photo superpuissant…

Mais revenons à notre ragoût de mouton.

Ou simplement à nos moutons.

Je dressais donc le décor en rappelant que nous étions tous les cinq, seuls et tranquilles, dans la nature bretonne, dans un endroit isolé des folies de fin d’années. Dehors, j’aperçois les étoiles et le vent souffle. Tout est si calme et reposé. Je suis contente de me mettre sous la couette pour terminer mon livre. J’adore m’endormir avec un bouquin, depuis toujours ! Les enfants regardent leurs écrans et mon Olivier aussi, tout est normal. Je peux m’évader dans mon roman et remonter le temps. Me voilà avec Fragonard, l’invention du Bonheur de Sophie Chauveau. Je vis en plein 18e siècle.

Je porte une petite robe en dentelle bien décolletée, des bas de soie et une mouche près de la bouche pour signifier que je suis coquine… Je suis une libertine ! Je joue quelques notes sur un clavecin ou peut-être une harpe… Je suis entourée de peintures mythologiques où les déesses et les satyres jouent au chat et à la souris. Je me prends pour Artémis en train de prendre mon bain dans un torrent. Actéon m’observe, je suis nue et rebelle, je suis furieuse et je décide de le transformer en cerf. Tiens, ça lui apprendra à jouer les voyeurs ! À présent, je suis dans un boudoir, il y a d’épais rideaux de velours rouge, symboles de la passion. Les draps sont défaits et leurs plis prêtent à confusion. Je me laisse entraîner par la volupté des parfums et des caresses. Je voudrais que mon amant ferme vite ce fameux verrou !

Mais en ce moment il est plutôt occupé sur Facebook.

Triste retour à la réalité !

Pourquoi suis-je retombée si vite dans ma chambre d’hôtel, en 2018 ?

Je veux vite repartir dans mon 18e siècle adoré !

On allait justement fermer le fameux verrou avec Fragonard…

Pourtant, la magie n’opère plus, il y a quelque chose qui me dérange.

Je ne parviens plus à laisser mon esprit voyager, mon boudoir devient flou, je saute des lignes, je quitte même ma page. Pourquoi ? Je ne comprends pas ce qui se passe… j’ai beau me concentrer, tous les mots bougent ! Je n’arrive plus à tenir mon livre correctement. Je change de position, je me tourne à gauche puis à droite, je change de main. J’enlève mes lunettes, je les remets. Rien à faire, mes doigts tremblent !

Mais oui, c’est ça le problème : mes doigts grelottent ou sursautent sans aucune raison !

Quel phénomène curieux ! Je ne me l’explique pas, pourtant je dois me résoudre à quitter le siècle des Lumières. Envolées les Liaisons dangereuses ! Mon Valmont viendra peut-être pendant mon sommeil. Il m’aidera à écrire une lettre, la même qu’il a dictée à Cécile pour Danceny… Mon Don Juan, le vrai, s’est mis à ronfler et en plus, il prend toutes les couvertures. Le lit est bien trop petit dans cet hôtel, je commence à regretter mon king size conjugal. Et je sens toujours mes mains trembler, est-ce que je fais de la tension ?

Trop d’émulation érotique peut-être ?

Je ne pense pas être en manque. Il est vrai que ma seule drogue, c’est moins le sexe que la bière. Je regarde mes mains, ces doigts qui ressemblent tant à ceux de mon père, mais qui ne tremblent pas de la même façon. Malheureusement, je sais reconnaître les mains d’un alcoolique, mon père est mort d’avoir trop bien vécu autour d’un verre, il avait 52 ans. Malgré tout, je pense comme lui :

Il vaut mieux une vie courte et bien remplie qu’une vie longue et vide.

Il y a ceux qui voient le verre à moitié vide, ceux qui voient le verre à moitié plein.

Et ceux qui préfèrent boire directement à la bouteille.

J’ai souvent de plus en plus soif… Est-ce un avertissement que ce léger tressaillement ? Je me résigne à poser mon livre et me lance dans l’observation minutieuse de ma main, cet organe préhensile relié au bras par le poignet et composé de cinq doigts. La nature est bien faite, ce n’est pas le grand Léonard et ses fabuleux dessins anatomiques qui dira le contraire. Avez-vous déjà essayé de dessiner votre main ? Cela peut paraître stupide ou évident, pourtant la main se révèle un modèle capricieux, aussi difficile à saisir qu’un visage. Peut-être parce que chaque doigt raconte une histoire différente et remplit des fonctions multiples. Il suffit d’admirer les sculptures de Rodin pour s’en rendre compte : les mains suppliantes de l’Enfer, les deux mains droites des amants célébrées en Cathédrale ou bien sûr les mains des Bourgeois de Calais que j’ai tant photographiées !

Pour comprendre les passions de l’âme humaine, concentrez-vous sur les mains. Tantôt caresses, tantôt griffes, elles s’enlacent ou se déchirent, elles s’effleurent du bout des doigts ou s’agrippent. Elles dansent ou elles cognent. Elles sont ballantes et se laissent tomber le long du corps. Elles sont brillantes et restent en suspens le temps d’une divine rencontre…

Corps célestes réunis par la beauté de deux doigts aimantés, deux index…

Jamais aucun doigt n’a reçu un tel hommage ! Michel-Ange fait de l’index le doigt divin par lequel l’étincelle vitale passe du Créateur à sa créature. Le dénommé index qui se plaît à conserver son nom latin, par snobisme peut-être, est le plus bavard. Si on le lève pour prendre la parole, il se passe même des mots et se fait très bien comprendre. Lorsqu’il se dresse tout seul, très droit et ferme, il met en garde, il ordonne, il interdit, il refuse, il menace… L’index adore cultiver son côté prophétique… Pourtant, il ferait mieux de se faire discret. Son passé n’est pas si glorieux, il a trempé dans de sombres histoires de délation. L’index se salit lorsqu’il se pointe pour accuser ou dénoncer. L’index fait des listes et se met à table. C’est le champion du tri et de l’ordre. Humidifié par la salive, il permet de tourner plus vite les pages. Lorsque le nez le demande, il peut aussi nettoyer les crottes, néanmoins l’index préfère laisser cette fonction indigne à plus petit que soi. C’est le partenaire idéal du pouce, une fois réunis, ils disent nickel top !

Ah ! Le pouce, c’est mon doigt préféré ! Je l’ai tellement sucé ! Je remercie César, pas Jules, mais le sculpteur, d’avoir rendu hommage à son pouce dans ses œuvres monumentales. Qu’il est beau ce gigantesque menhir de la modernité élancé fièrement vers le ciel ! Premier doigt de la main, le plus court, le plus gros, mais le plus fort ! Le pouce se la joue à part, il s’oppose aux autres par sa taille et son emplacement sur la main, il permet la préhension. Sans lui, on ne peut pas attraper la vie pleinement. On peut donner un coup de pouce quand quelqu’un a besoin d’une aide discrète, sucer son pouce quand on souhaite se sentir rassurée ou compter en pouce quand on ne supporte pas d’avoir un mètre. Si on le crie dans la cour de récré, ce n’est pas pour dire pousse toi de là, dégage ! Ce genre de grossièreté n’est pas digne de notre noble Tom Pouce. C’est pour marquer une pause dans le jeu. Un problème au boulot, une mauvaise nouvelle ? Pouce ! Il faut que je refasse mes lacets, ça compte pour du beurre. Quoi ? Mais enfin, Madame, on ne peut pas réagir ainsi… la vie n’est pas qu’un jeu… ça ne compte pas je te dis ! Tiens, regarde, je peux même le pointer vers le bas. Là t’es mort ! Pas de pitié, pauvre glagladiateur dont la vie ne tient qu’à un pouce. La vie : en haut, la mort, en bas ! Bon, d’accord, je préfère la vie.

Arrive ensuite le plus grand des cinq, qui aime nous le rappeler en s’appelant Majeur. Il se croit le plus important, surtout dressé tout seul ! Il se montre volontiers grossier et provocateur. Ah ! Ce fameux doigt d’honneur qui n’en finit pas de se faire remarquer. Synonyme de « va te faire enc…, connard ! », ce célèbre geste ordurier n’est pas tout jeune. Le majeur se serait dressé pour la première fois en 423 av. J.-C., pendant une pièce de théâtre d’Aristophane. Un des personnages aurait mimé son pénis avec son majeur bien droit. Sous l’Empire romain, il devient digitus impudicus, il incarne le mauvais œil, car on se fourre aussi le doigt dans l’œil… On raconte que le tyrannique Caligula aimait qu’on se mette à genoux pour lui sucer le majeur… cachez ce doigt que je ne saurais voir !

Contrairement au majeur mal éduqué malgré sa majorité, son voisin de droite ne se manifeste quasiment jamais. Il est bien trop sage et discret ce dénommé annulaire. Il est pourtant le premier doigt à se former lors du développement du fœtus. Si on le mesure avec l’index, on peut même déterminer directement le sexe de l’enfant. Selon une croyance antique, l’annulaire de la main gauche serait directement relié au cœur par la veine de l’amour : la Vena Amoris. C’est pourquoi, c’est lui qui porte l’alliance, cet anneau dont il tire son nom. Aveccette alliance, je deviens ton époux, par elle, je te promets mon amour, mon soutien et ma fidélité… L’échange des alliances est l’aboutissement rêvé d’une vie pour tout annulaire qui se respecte. C’est son heure de gloire, il se dresse dans toute sa splendeur, c’est lui le doigt mis à l’honneur en ce jour de mariage ! Le majeur n’a qu’à bien se tenir… de toute façon il se lèvera bien assez tôt le jour du divorce…

Enfin, il y a celui qu’on surnomme affectueusement le petit doigt, parfois dressé à l’heure du thé pour faire snob, il a du mal à faire oublier la fonction ingrate que son nom lui prête. Le nom auriculaire désigne en effet ce qui a rapport à l’oreille. Ce pauvre auriculaire, en plus d’être le plus petit et le moins vigoureux, est contraint de nettoyer les oreilles. Depuis l’invention du coton-tige, il pensait être débarrassé de cette pénible besogne, mais on l’utilise de plus en plus dans les narines ! On ne lui demande même plus de dire ses secrets…

Quelle aventure extraordinaire dans une seule main ! On ne s’en rend pas toujours compte. On met tous les doigts dans le même panier alors qu’ils sont si différents ! Chaque doigt possède sa propre personnalité et une forte sensibilité. Je m’amuse à faire parler chacun de mes cinq doigts en jouant avec leurs ombres sur le mur de la chambre. Je les remercie, ces fidèles serviteurs, de m’avoir toujours obéi au doigt et à l’œil. Je les observe en détail, plis par plis, empreintes identitaires avec qui j’ai réussi à créer. Rarement fatigués. Ils sont presque des êtres animés, autonomes et doués d’un génie énergique et libre. Ils dansent, ils figurent des créatures, le lapin, l’oiseau, le chien qui tire la langue… Les ombres chinoises leur donnent une vie féérique. Je les embrasse, je les lèche. Heureusement que ma moitié dort, mes fantaisies commencent à l’inquiéter, alors lui faire comprendre la vie privée de chaque doigt d’une main peut lui paraître encore un signal suspect d’une maladie dégénérative.

Je plie et déplie mes doigts.

Je me force à les garder immobiles, mais en vain.

Ils ont la tremblote !

Plus je les regarde, plus je les trouve laids et disgracieux ces doigts trop petits, boudinés et plissés. Mes ongles sont rongés et sales. Je ne supporte ni vernis, ni bague, ni crème, ni gant. Rien ne doit entraver le plaisir du toucher et le contact avec la matière. Un proverbe dit que les ampoules aux mains sont plus honorables que les bagues. Les miennes sont laides, mais elles sont bien là, ces compagnes inlassables et fidèles, sans qui rien ne pourrait se créer !

Les mots d’Henri Focillon, dans son Éloge de la Main, me reviennent :

La main est action : elle prend, elle crée et parfois on dirait qu’elle pense.

Que veulent-elles me dire, les miennes avec leurs dix doigts qui frétillent sans cesse ?

Donne-moi un coup de pouce mon gros doigt préféré.

Dis-moi ce qui se passe monsieur le Majeur prétentieux,

Ou toi l’index qui sait tout, tu ne veux pas m’aider non plus, espèce de délateur !

De toute façon, ce n’est pas beau de montrer du doigt !

Je ne te le demande même pas à toi l’annulaire qui est bagué comme un vulgaire pigeon !

Mon petit doigt m’a dit, mon petit doigt m’a dit… nan nananère…

Va nettoyer tes crottes de nez, minus !

Les amis se comptent sur les doigts de la main, tu parles !

Tiens, je préfère ne plus vous voir !

Je les glisse sous mon oreiller pour qu’ils me laissent un peu tranquille.

Sages, pas bouger !

Je cherche le sommeil sans rien dire à personne.

Il est si tard…

L’aurore aux doigts de rose les eût trouvés pleurant…

Oh non, Homère, pas les doigts !