Sauvée par ses ailes - Bellisa Aina - E-Book

Sauvée par ses ailes E-Book

Bellisa Aina

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Beschreibung

"Sauvée par ses ailes" retrace le parcours de Bao, une jeune femme originaire d’un pays africain, venue en Suisse avec l’espoir de poursuivre ses études. Accueillie par une famille qui lui promet soutien et intégration, elle se retrouve rapidement exploitée comme domestique, privée de liberté, de salaire et de contacts avec ses proches. Entre solitude, trahison et larmes, elle tente de survivre à une situation d’abus dissimulée sous l’apparence d’un échange culturel. Sa force intérieure, sa foi vacillante suffiront-elles à la sortir de cette impasse ? Ce récit est un témoignage de résilience, de dignité et de courage face à l’injustice silencieuse.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Depuis son enfance, Bellisa Aina est fascinée par le « Tantara », un jeu narratif de son pays mêlant pierres et récits fictifs. Elle consigne ses émotions et inspirations dans des carnets au fil des années. "Sauvée par ses ailes" est l’aboutissement de cet engagement : transformer des expériences intimes en histoires universelles.

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Seitenzahl: 230

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Bellisa Aina

Sauvée par ses ailes

© Lys Bleu Éditions – Bellisa Aina

ISBN : 979-10-422-7159-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Elisabeth Rasoanantenaina,

à Joseph Mahafonitra,

mes défunts parents

Je n’aurais pas dû venir. Des promesses sont faites, des espoirs sont nés…

I

Raconte-moi tes…

Souvenirs

Un dimanche après-midi, je suis occupée à taper les mots sur mon téléphone. J’écris à une très bonne amie, Khalila. Et elle finit par déduire :

— Et c’est comme ça que tu te retrouves en Europe, en étant sportive ?
— Non, pas vraiment. Je faisais du basketball jusqu’à seulement mes 18 ans, tu ne te rappelles plus ? En Suisse, j’étais chez Agnès, la sœur de Dorian.
— Tu me racontes comment tu es arrivée ici en Europe. On peut s’appeler ? As-tu le temps ?
— Bien sûr ! J’ai tout mon après-midi, les enfants sont sortis avec leur papa.

Khalila est une amie de longue date. Nous parlions de tout quand nous étions au collège. Elle était, il y a longtemps, à la fois une amie confidente et une petite sœur que je n’ai jamais eue. Nous nous sommes séparées de vue quand j’entamais mes études à l’université, dans mon pays. Nous venons de nous retrouver sur les réseaux sociaux. Elle se trouve actuellement en Irlande et moi en Suisse, quelle coïncidence ! Nous deux avions un ami commun : Dorian.

— Allo ! Bao ? Est-ce que tu te souviens de nos folies avec Dorian, quand on devait montrer notre chorégraphie à toute l’équipe ?
— Oui, je me rappelle toujours. Quel souvenir !
— Quand il prend l’air sérieux pour montrer à toute l’équipe notre chorégraphie.
— L’un qui croise le regard de l’autre suffit pour nous éclater de rire.

Khalila, Dorian et moi étions tous les trois dans un groupe de jeunes liturgistes à la Chapelle de la Nonciature Apostolique. Le groupe, accompagné d’une bonne sœur, prépare la liturgie du dimanche. En dehors de cette activité, nous préparons aussi des spectacles ou des danses. Bien que les jeunes de cette Chapelle créent vraiment un lien au sein de l’équipe, une autre amitié s’est formée naturellement entre Khalila, Dorian et moi. Nous sommes devenus proches. Mais Khalila a quitté la capitale et est partie au sud avec toute sa famille. Nous nous sommes perdues de vue. Mais avec Dorian, j’ai continué l’amitié.

— Cela étant, je suis partie de la capitale et vous avez continué à être dans le groupe.
— Oui, on a même organisé des sorties en dehors de notre vie à la Chapelle. Et Brigitte me confiait son fils à chaque sortie. Elle ne laisse pas Dorian sortir si je n’y vais pas moi-même.
— Je n’arrive pas à croire ça ! Mais Dorian et toi sortiez ensemble ?
— Non. Et moi non plus, je ne comprends pas trop pourquoi elle nous faisait ça.
— Mais c’est ça qui me paraît bizarre. Elle ne peut pas faire confiance à son fils ? Il n’a plus 14 ans, lui !
— C’est peut-être parce qu’on est plus proche que les autres… J’ai accepté sans me poser trop de questions. D’ailleurs, Dorian sortait avec Clara.
— Ah oui, je me rappelle aussi Clara, c’est une fille très sympa.
— Après un moment, ma grande sœur, Zara, a travaillé près de la capitale. Elle invitait nos cousins et nos cousines à passer un week-end chez elle. Zara, n’oublie pas Dorian. Quand il y a des fêtes dans ma famille, elle et mes cousins l’invitent aussi. Mon oncle, chez qui j’habitais pour mes études, l’aimait beaucoup aussi. Et quand il y a des fêtes avec l’équipe de La Chapelle, j’y vais avec Dorian et c’est là-bas qu’il voit Clara.
— Comparée à moi, tu allais souvent chez eux ; Brigitte et toi, vous semblez si complices.
— Oui, j’étais sa confidente. Un jour, elle s’est confiée à moi, je l’ai écoutée avec attention. Et c’est ainsi que notre relation s’est créée. Plus tard, c’était le tour de Dorian de se confier à moi. Je fais attention à les écouter et à ne pas mêler les pinceaux, ni devenir un mouchard. Je m’en sortais très bien jusqu’à un moment où j’ai raconté à Brigitte ce que la sœur de Clara a vécu comme un incident. Beaucoup plus tard, j’étais déjà ici. Brigitte a utilisé ces informations pour séparer Dorian et Clara. Clara ne veut plus me parler jusqu’à l’heure actuelle.
— Alors ça, c’est moche !
— Oui, mais c’est comme ça. J’avais trop confiance en elle. Telle mère, telle fille.
— Quoi ? Agnès t’a fait la même chose ?
— Oui. J’avais confiance en elle, j’ai raconté sans filtre des choses à propos de moi et elle les a utilisées à sa guise.
— Mais ce n’est pas vrai, elle a osé te faire ça ? Alors que tu l’aidais ?
— Oui. Tout est permis. Ce qui me rend triste dans l’histoire, tu sais ?
— Oui, ton amitié avec Dorian est gâchée par sa sœur et sa mère. Et c’est dommage.
— C’est bien ça ! Dommage.
— Et tu n’as plus eu de contact avec lui ?
— Jusqu’à aujourd’hui, non. Je cherche dans les réseaux sociaux, mais avec les pseudonymes et les noms inventés, c’est difficile. Le mieux c’est d’avoir son WhatsApp.
— Il a un nom de famille qui se termine par « son », mais j’ai oublié. Oui, tu as raison pour son WhatsApp, mais désolée, je n’ai pas de contact avec un de ces jeunes à la Chapelle.
— Je souhaite toujours lui dire directement que je suis désolée de notre amitié qui s’est terminée ainsi.
— Le temps va arranger ça… Donc, tu étais tout au début chez la sœur de Dorian pour étudier ? Comment ça, c’est donné ?
— Brigitte, leur maman a fait le lien entre sa fille et moi. Agnès et ses enfants m’ont déjà vu dans notre pays. Je restais souvent manger chez eux le dimanche. Les cousins et cousines de Dorian et Agnès me connaissent aussi. Tu vois, selon notre culture, c’est de la famille, et rien d’autre ! Agnès cherchait quelqu’un pour l’aider un peu. Elles, Agnès et Brigitte ont vu que je ferais bien l’affaire parce que ses enfants me connaissent déjà bien. Je me sentais, en plus, honorée et respectée quand Brigitte m’a dit que je représenterai sa famille une fois que je serai en Suisse. Et je me disais que je ne décevrais pas la famille de Dorian. C’est comme ça que je suis venue en Europe pour 3 mois. Le couple qu’Agnès et son mari forment a prolongé mon séjour de trois mois. J’avais donc un visa touristique de 6 mois : du 5 juin au 4 décembre 2003.
— OK, si je comprends bien : ils ont demandé les trois mois supplémentaires quand tu étais déjà sur place ?
— Oui, c’est bien ça.
— Continue, c’est intéressant !
— Pour me faire rester ici, il fallait me marier ou faire des études. Bien sûr, Agnès ne souhaite pas que je me marie si elle veut que je sois chez elle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le temps était limité pour avoir les notes et tous les papiers nécessaires par procuration, puis les envoyer par poste jusqu’en Europe. Mais finalement, le courrier est arrivé 2 jours avant l’échéance de mon séjour. Mes bagages étaient prêts, moi aussi. L’université a accepté le dossier, puis l’autorité suisse aussi. Tout cela était fait en une demi-journée : dès l’arrivée de mon dossier, nous sommes tous allés à Neuchâtel pour la fameuse inscription, puis allés à Berne pour la prolongation de mon séjour. J’ai pu accompagner Agnès à l’université, mais à Berne, je n’avais plus le droit de venir. C’était Hans, son mari et elle qui devaient entrer dans une maison. Je suis restée dans la voiture avec leurs enfants. L’attente était longue. Quand cette journée s’est terminée, j’ai pleuré fort.
— Tu ne voulais pas rester ?
— En toute honnêteté, je voulais rentrer. C’était trop pour moi. Ils ne m’ont jamais demandé si cela me convenait ou non. Ils ont fait tout ça pour eux, pour que je puisse rester en Europe le plus longtemps possible. En plus, Agnès est une dame très influente.

Je me rends compte que je tiens le crachoir et je ne veux pas impacter la relation de Khalila avec Dorian. Tant pis ! D’ailleurs, qu’est-ce que cela change ? Ce n’est pas Dorian le fautif.

— Aider Agnès et faire les études étaient trop pour toi ?
— Je combinerais bien les deux, mais ce n’était pas le cas.
— Ne me dis pas que tu t’es fait avoir. Je n’ai pas envie d’être à ta place. Qu’est-ce qu’ils t’ont fait finalement ?
— J’ai travaillé pour eux au lieu d’étudier. Je voulais me plaindre à n’importe qui, mais je n’avais pas le droit de parler aux gens dans notre village. Mon pays, mes amis, ma famille me manquaient tellement, car on ne m’a pas autorisé à appeler. Les conditions de travail n’étaient pas celles que j’attendais. Quand j’ai fait part de mon avis à Agnès, le lendemain de la course à la montre pour mon inscription et la demande de prolongation du séjour, elle m’a répondu clairement : « C’est trop tard ! »
— It’s too late - I said it’s too late to apologize… yeah eh!

J’ai suivi Khalila qui chante la chanson de Timbaland dans le but d’adoucir l’histoire et surtout de retenir mes larmes au bout du téléphone. Khalila et moi rions, puis le silence s’installe. Alors, je continue ce que j’ai commencé :

— J’ai beaucoup prié à ce moment-là pour que les choses changent. Je n’osais plus leur dire ce que je voulais, par peur. Alors, j’ai prié chaque jour pour que Dieu me tende la main pour me sauver de cette situation. Ce n’était pas ce que j’espérais. On dirait que mon Dieu faisait tout le contraire : malgré toutes les difficultés rencontrées lors de la préparation, je peux rester un moment en Suisse. La cerise sur le gâteau : l’autorité suisse m’a encore accordé une deuxième prolongation de 3 mois avant de recevoir le titre de séjour « étudiant ». J’ai fait en tout neuf mois de tourisme. J’étais en colère contre ce Bon Dieu, je lui ai crié : Pourquoi existe-t-il encore ? Pourquoi ne m’a-t-il pas écouté et pourquoi continue-t-il de satisfaire les deux personnes qui font la pluie et le beau temps ? Je voulais retourner à ma terre. Là-bas, je ne manquais pas l’église tous les dimanches. J’avais un avenir dans le pays. J’ai laissé filer cette chance pour venir ici. La suggestion d’Agnès de ne pas attendre mes examens et d’étudier ici était plus avantageuse. J’ai été furieuse toute la journée quand Agnès m’a lancé un regard audacieux et m’a dit que c’était trop tard. Pour moi, il n’était pas trop tard. Quel pays veut retenir une étrangère qui voudrait rentrer dans son pays parce qu’elle a changé d’avis et qu’elle ne veut pas rester ? D’ailleurs, mon billet était encore valable. Si Agnès disait oui, je partais le lendemain. J’ai tant pleuré, j’ai perdu la tête jusqu’à oublier complètement le numéro de Zara. Après plusieurs essais, j’ai pu composer son numéro et lui dire que j’étais coincée ici et que j’étais désolée, et surtout d’oublier le Noël qu’on avait prévu passer ensemble. Je ne voulais pas savoir le coût de l’appel et si j’avais le droit d’appeler ou pas, j’en ai fait qu’à ma tête. Agnès me devait bien ça !

Le silence s’installe entre Khalila et moi. Comme si chacune de nous est en train de voir un phénomène qui nous dépasse et que les mots sont pauvres pour le décrire. Je reprends, comme si je dois poursuivre une action :

— Une fois de plus, j’étais sous l’influence de quelqu’un. Ma foi et ma croyance en Dieu étaient fragiles à cette époque. Je tombais dans la dépression, mais personne ne l’a vu, ou peut-être qu’aucun de ces deux adultes ne voulait le voir. J’ai passé mon premier Noël dans une grande tristesse. Comme je suis souvent avec les enfants, je n’avais pas le temps de me vider, je pleurais seulement dès qu’une occasion se présentait. Tout le mois de décembre était un mois de pleurs et de tristesse. Noël 2003 : loin de ma famille, de mes amis et de mon pays. Ici, décembre est sombre et brumeux, alors que là-bas, c’est l’été avec fruits et musiques. L’air de mon pays, le sourire des gens me manquait tellement. Il n’y avait pas de partages sincères dans la maison, et cela était très embarrassant.
— C’est vraiment embarrassant, je te comprends. Donc, tu ne t’occupais pas des enfants, tu n’as pas étudié, qu’est-ce que tu faisais chez eux réellement ?
— Bonne question ! Je devais m’occuper des deux enfants, mais il y avait aussi toute la maison, la lessive et le repassage, le jardin, les repas et même les réunions des parents. Je n’avais pas le temps de me reposer. Je vais au lit vers 1 h du matin et me réveille vers 6 h 30 pour avoir du temps à faire ces tâches.
— Mais tu as été quand même payée, n’est-ce pas ?
— C’était convenu comme un travail, donc j’allais recevoir un salaire, mais je n’ai reçu aucun argent. Agnès m’a proposé un salaire avant d’arriver en Suisse. Mais je lui ai dit que je lui dirai une fois que je serai sur place. Je voulais voir la vie ici en Suisse avant de savoir quel salaire il fallait demander. Le fait peut-être d’être étudiante à la filière que j’ai choisie m’a permis de voir les choses comme ça.

Et je continue, je ne peux plus m’arrêter.

— Quand j’ai vu le travail que je faisais, j’ai décidé qu’ils me paieraient par un salaire de baby-sitter : 8 heures par jour et les heures supplémentaires ainsi que les week-ends restent un service rendu. C’était pour valoriser mes services, mais en même temps, je les prenais comme ma famille. C’est ce que Brigitte me disait : une représentante de leur famille, une ambassadrice !
— Je trouve que c’était raisonnable de lui demander un salaire de baby-sitter et de compter huit heures. Alors que tu n’es pas seulement baby-sitter, mais une femme à tout faire chez eux.
— Agnès était furieuse. Elle a dit que je suis une profiteuse, qu’elle est complètement déçue parce que j’envisageais depuis le début de me faire fortune.
— Mais avec ça, tu pourras payer l’université et faire tes études, non ?
— J’ai donc été inscrite pour commencer mes études en mars 2004 à l’université. Mais j’y suis allée avec un téléphone. Agnès m’envoie un SMS une heure ou deux après mon départ de la maison pour que je revienne. C’est-à-dire : je me prépare à aller à l’université, une fois je suis en classe, elle m’envoie un message me disant que je devais rentrer parce qu’elle a besoin de moi à la maison. Comme si je devais apparaître en classe pour disparaître peu de temps après. Le semestre s’est déroulé dans le vide, je n’avais pas beaucoup d’informations sur mes études.
— Tu n’avais pas non plus de contact avec ta famille restée au pays ?
— Je n’avais pas le droit. En tout cas, personne ne m’a autorisé à appeler là-bas, même à mon arrivée. Mais j’ai secrètement appelé ma sœur. Mon téléphone portable n’avait pas la possibilité d’envoyer des messages à l’étranger et je pense que c’était voulu qu’il fonctionne comme ça. Et j’ai vu comment Agnès utilisait le téléphone fixe pour éviter des frais exorbitants. Alors je l’ai fait quand elle n’était pas à la maison. J’envoyais aussi des lettres et des photos à ma famille lorsque quelqu’un allait là-bas. Ce sont des connaissances d’Agnès, donc les lettres arrivent chez Brigitte et Dorian pour être ensuite remises à ma sœur. Mais en discutant avec ma sœur, j’ai su que mes lettres et mes photos ne sont jamais parvenues à Zara.
— Hmmm comment ça ?
— Je ne voulais pas cacher à ma sœur ma réalité. Je n’avais pas le temps de me coiffer, j’avais les cheveux partout, j’avais les yeux fatigués… Parfois, je ne me change que quelques jours après. Les photos lui montreraient ce que je suis en train de vivre, non pas les photos clichées qui montrent les beaux paysages ou de bons repas. Ma sœur est à la fois, ma mère, une amie confidente, c’est à elle que je parle de tous mes secrets, les amers comme les doux. D’ailleurs, j’en ai encore dans mes papiers des lettres pour elle. Je les ai écrites pour les lui donner en personne le jour où je la verrai.
— Jusqu’à maintenant, tu les as toujours ?
— Oui.

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Tes secrets

Salut Khalila, voici quelques lettres écrites dans un petit cahier où je mettais mes plaintes, mes douleurs et mes soucis pour pouvoir continuer en bonne humeur le lendemain. Je pensais les lire à ma sœur, le jour où je rentre, mais des années ont passé…

Jeudi 5 juin 2003 : Tu me manques déjà dès mon arrivée à Zurich. J’ai envie que je ne sois pas seule à voir ces beaux paysages si différents que les nôtres. Ne serait-ce que de nous dire que nous sommes à l’étranger, de goûter les choses, de rire en prenant nos bagages. Il est tard, mais je dois décrire ce que je viens de voir :

Mon avion a finalement atterri vers environ 17 h au lieu de 15 h. Mon vol de Paris – Zurich a été annulé et je devais attendre le prochain. L’aéroport de Zurich est tellement incroyable : à peine arrivée dans le couloir, la vérification des pièces d’identité et de séjour se déroule bien sans faire une longue queue. J’ai cherché mes bagages et ensuite la sortie pour pouvoir saluer la famille d’Agnès.

Mes pieds ont gonflé et heureusement, Agnès les a vus. Elle a profité de m’acheter une paire de sandales en guise de cadeau de bienvenue. C’est ce qu’elle m’a dit. Mes pieds étaient soulagés. Les magasins forment une galerie et il y en a même trop. Mon ventre a eu un grand creux, mais je n’osais pas leur dire. Mon dernier repas était le petit déjeuner dans le Boeing, peu de temps avant notre atterrissage à Paris.

Je ne pensais pas qu’à 19 h du soir, il fait toujours jour. Et c’est très impressionnant de voir, de penser qu’il fait nuit dans notre pays alors qu’ici, le soleil peine à se coucher. On dirait que je suis sur une autre planète.

On prenait la route, et j’ai pensé à toi : « Si seulement elle était là, on voyait toutes ces choses ensemble. »

La route, oh, c’est tellement incroyable : déjà, elle est grande, mais dotée de trois voies pour chaque sens, c’est grandiose ! C’est là que je me suis dit : je suis dans un pays développé.

Les enfants ont grandi ; Jonas se souvient bien de moi. Il est mignon, gentil. Sa sœur pleurait, je ne sais pas pourquoi. Les parents ne font pas grand-chose pour la calmer. J’ai envie de la consoler, de lui parler, mais mon allemand de quelques heures se limite aux : « Ja » et « Nein », et « Guten Abend ». Jonas ne cesse pas de me dire des informations sur la route, ce qu’on est en train de voir. Tout ce qu’il me dit est intéressant, mais si seulement, je comprends sa langue. Alors on a trouvé une combine : je regarde ce qu’il me montre par son doigt, tout mimi, et j’interprète moi-même ce qu’il veut me dire et je réponds Ja… Il me regarde bien dans mes yeux et après, il affiche un petit sourire. Nous nous entendons déjà bien. Yara aussi s’est calmée et a commencé à me lancer un regard si doux. Je les aime déjà.

Leurs parents sont devant et n’ont pas eu grand-chose à me dire. C’est plutôt calme, même trop calme à mon goût. Les enfants s’occupent déjà bien de moi et c’est l’essentiel. Je viens pour eux, il est normal qu’on crée une atmosphère d’entente.

Sur l’autoroute, il y a un grand panneau : « Mövenpick » avec un dessin savoureux. Nous nous sommes arrêtés là, et waouh, le buffet de salades. Il y a de toutes les sortes : maïs, concombre, betterave, carotte râpée, trois ou quatre sortes de sauce. J’ai envie de tout goûter, tellement je suis curieuse du goût de chaque chose dans ce restaurant. Agnès m’a conseillé de prendre une assiette de salade composée de plusieurs choses. Le couple a chacun pris quelque chose d’autre, les enfants ont la même chose dans leur assiette. Miam.

On est arrivé peu de temps avant minuit. La pluie nous accueille dans le village d’Agnès. Quelle bénédiction !

Tu me manques encore plus quand nous sommes enfin arrivés à la maison. J’ai attendu qu’Agnès me fasse signe pour t’appeler, juste pour dire que je suis bien arrivée. Mais il ne s’est rien passé. Je comprends, c’est sûr, parce qu’il est bientôt minuit et demi. Je te dis bonne nuit avec notre fameuse formule : « Je vais brosser les dents. »

Vendredi 6 juin 2003

Ma montre affiche 6 h du matin, donc, ici, il ne fait que 5 h du matin. Le soleil est de nouveau là. Il s’est au moins couché, je l’ai vu. J’ai déjà les yeux grands ouverts. J’entends des oiseaux qui chantent tout près de la fenêtre du salon. Je me suis levée et approchée de cette fenêtre : un arbre très imposant qui donne de l’ombre à l’immeuble. Nous sommes au troisième étage. Une partie de verdure au sol, j’entends aussi du bruit de voiture, mais la circulation est encore rare alors qu’il fait déjà jour. Mon premier matin en Suisse ! Je suis revenue vers le canapé sur lequel j’ai dormi la nuit. J’attends impatiemment le moment pour t’appeler et te raconter tout ce que j’ai déjà vu depuis hier. Je me suis petit à petit rendormie pour ne plus me réveiller qu’à 7 h du matin. J’ai commencé à ranger le salon, je ne sais pas trop quoi faire à part mettre en ordre cette pièce. J’ai envie de me doucher, mais je ne sais pas si la famille est réveillée. Il est 8 h 30, j’entends des bruits dans le couloir : Jonas suivi de sa petite sœur Yara. Elle tient un bébé dans sa main et l’autre main est tenue par Jonas. Ils me saluent. Jonas, d’après ma compréhension, voulait montrer à Yara que Bao dort dans le salon et qu’elle ne va pas partir. Je les ai accueillis. Nous avons échangé quelques mots. Je ne sais vraiment pas quoi dire à ces enfants mignons. Jonas a fini par allumer la télé. Ils sont assis à côté de moi. Je regarde un peu les affaires dans mes valises.

Agnès se réveille à son tour : elle m’a montré la plus importante pièce pour la famille : la cuisine. Pour elle, ce sera l’endroit où je me dirigerai pour préparer les biberons du matin et du soir. Pendant toutes ses explications, Agnès a mis quelques croissants au four pour notre petit-déjeuner. Nous sommes descendues à la cave pour la lessive. Elle a eu l’occasion de me montrer la buanderie. À l’étage, l’appartement a quatre pièces : une chambre à droite de l’entrée, au fond du corridor, occupée par un jeune adolescent ; en face de l’entrée se trouve une deuxième chambre remplie d’habits qui forment une montagne au milieu ; ensuite la salle de bain qui donne à gauche de l’entrée et la cuisine. En face de la cuisine, le salon et la salle à manger donnent une grande pièce, et au fond du corridor à gauche se trouve la chambre à coucher du couple.

Quand je vois la quantité d’habits à repasser, je me dis que la Suisse est spécialiste de tout ce qui est grand, en fait, je crois. Dans cette chambre entière, il n’y a que des habits à repasser et quelques meubles collés aux trois côtés du mur. La matinée, on est resté à l’intérieur. L’après-midi, Agnès nous a emmenés à la maison qu’ils ont achetée. Le déménagement est prévu à la fin du mois. Nous avons travaillé le jardin. Ensuite, nous sommes retournés à l’appartement pour le repas du soir. Hans est resté avec les enfants dans l’appartement. Agnès et moi sommes retournées à la maison pour continuer le jardinage, il était 20 h 30. En fait, la maison qu’ils ont achetée est une vieille maison, les plantes sont difficiles à déraciner et à enlever.

Je reviens encore ! Il est passé minuit. Il n’y a toujours pas de proposition d’appeler ma famille aujourd’hui. OK, Agnès est peut-être trop occupée avec ses enfants et mon arrivée. Elle m’a montré tout ce qu’il y a à faire. C’est tellement beau ici. J’ai vraiment envie que tu sois là pour voir ensemble tout ce qu’il y a ici.

Agnès m’a avisé que demain, samedi, elle ira au travail et je ferai le boulot seule. Je me consacrerai au repassage. Elle a bien montré ce que je peux faire à la cuisine, au salon et comment se comporter avec les enfants. J’apprends à parler l’allemand avec leurs petits, ils sont mignons et très gentils. Je vais m’allonger sur mon canapé, je suis encore fatiguée du voyage. J’ai quand même fait plus de 24 heures de voyage sans m’allonger. C’est normal si mes pieds sont encore gonflés comme les pattes des éléphants.

Je ne pense qu’à t’appeler et entendre ta voix toute la journée. Je vais dormir dans un immense désespoir et fatigue.

Samedi 7 juin 2003

Trop, c’est trop ! L’ambiance est pourrie ici ! Je veux rentrer. Il y a des choses bizarres qui se sont passées aujourd’hui. Il est presque 1 h du matin, mais je dois raconter dans ce cahier. Le matin, Agnès m’a réveillée tôt, et elle m’a saluée. Elle est partie au travail. Hans l’a déposée là-bas. Je me suis levée, mais les enfants dorment encore. Je me presse pour repasser. Je dois finir ces repassages si nous allons déménager à la fin du mois. Mais je pense aussi que cette chambre sera pour moi, je n’ai plus envie de dormir sur ce canapé et surtout de ranger mes affaires, ne serait-ce que mes sous-vêtements. Même dans mon pays, j’avais ma chambre. Le tas d’habits dans la chambre dépasse la hauteur de ma poitrine. Nous : Yara, Jonas, Hans et moi étions au salon. Chacun son occupation ce matin. Hans tâche de m’expliquer en français certaines choses en Suisse, chez eux, dans le village. Il discute bien malgré son accent. Les enfants jouaient tranquillement. Je les regarde souvent et essaie de savoir ce qu’ils veulent dire, faire ce qu’ils veulent.

Vers 12 h 15, Hans prenait l’appel d’Agnès. Après quelques échanges de mots, il se trouve à la cuisine en train de fouiller ce qu’il peut faire à manger, sûrement. Je n’ai pas vu l’air et Agnès ne m’a pas dit de préparer le repas. Après environ trois quarts d’heure, Hans finit de préparer le repas. Nous avons mangé des tranches de viande de porc, des carottes râpées et des pâtes. Je remarque qu’Hans ne dit plus grand-chose. Je profite de ce silence pour avancer plus vite dans le repassage. Les enfants ont fini par s’endormir devant la télé. J’ai fait le tour de tout l’appartement, mais je n’ai pas vu une chambre destinée pour les enfants. Une chambre se trouve au fond du couloir, Agnès m’a dit qu’il ne faut pas m’en occuper, car un autre jeune loge dedans. Qui est-ce ? Il a mangé avec nous aujourd’hui et Jonas lui adresse souvent la parole, il l’admire beaucoup à ce que j’ai vu. Mais le garçon en question privilégie la discussion avec Hans. J’observe seulement. Qui est-ce vraiment et qu’est-ce qu’il fait chez la famille ? Pourquoi je ne dois pas m’occuper de lui ? Mais fait-il partie de la famille ou pas ?