Secret en Ré - L’Atelier des écrivains - E-Book

Secret en Ré E-Book

L’Atelier des écrivains

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Beschreibung

La Flotte, en 2022. Nora retourne dans sa maison famille des années soixante-dix. Une vieille photo va révéler de vieux secrets. Nora, 50 ans, habite au Canada. Elle vient d’hériter de la maison de son père dans laquelle elle a passé toute son enfance. Elle se rend sur l’île de Ré afin de décider de ce qu’elle va en faire. Elle n’a jamais connu sa mère, morte en couches en lui donnant la vie. Et personne n’a jamais voulu lui parler d’elle. Nora ne l’a même jamais vue en photo. En aérant la maison, un vieux cliché tombe de derrière un meuble. Six jeunes personnes, sourient à l’objectif. Au dos de cette photo, une inscription : « Nora, ces personnes ont les réponses aux questions que tu te poses ». Nora sera alors projetée dans les années soixante-dix par le récit des proches de son père dont les langues finiront par se délier.


À PROPOS DU COLLECTIF

 « L’Atelier des écrivains » est un collectif d’auteurs qui a rédigé, "le temps d’un week-end", un roman dont l’action se situe sur l’île de Ré. Le premier atelier organisé à Sainte-Marie-de-Ré a permis l’écriture collégiale de " Mystère en Ré", "L’inconnu de l’estran ". Il ne fait pas de doute que cette première production de «  L’Atelier des écrivains» sur Ré la Blanche sera suivie de bien d’autres qui apporteront, aux auteurs qui y participeront, l’immense plaisir de la création partagée.

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Association L’ATELIER DES ÉCRIVAINS

secret en ré

Le mystère de la maison bleue

© – 2024 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Pour que demeure le secret. Nous tairons jusqu’au silence.

— Max-Pol Fouchet, Demeure le secret

NORA L’héritière

Je mets la clé dans la serrure de la maison. La porte s’ouvre.

J’ai émigré au Canada, il y a trente ans. Je viens d’hériter de la maison de mon père, dans les hauts de La Flotte-en-Ré, au 10 rue des Coins Jaloux. Je n’ai pas pu assister à ses obsèques qui ont eu lieu voilà bientôt trois mois et cela m’a beaucoup peinée ; les enfants, le travail, la distance et puis j’étais bien malade quand cela est arrivé, une grosse grippe qui n’en finissait pas et m’avait réellement affaiblie.

Ouf, je suis enfin en France, là, sur le terrain de mon enfance. Toronto-Paris par avion, Paris-La Rochelle par le train et La Rochelle-La Flotte en bus, plus le décalage horaire, on ne voyage plus à cinquante ans comme à vingt. Heureusement que j’ai dormi à Paris hier soir, ce qui me permet d’être si tôt sur l’île, ce matin.

Ces parfums d’embruns salés, l’air du large, les odeurs épicées des immortelles des sables appelées aussi Hélicrysum Italicum et de résine des pins, tout me rappelle mes jeunes années lorsque j’enfourchais ma bicyclette rouge pour aller au collège, le nez au vent ; je m’extasiais déjà de ces maisons blanches aux volets verts, posées autour de l’océan, comme des morceaux de sucre. J’aimais aussi les dégradés de couleurs de la mer, par temps nuageux avec quelques trouées éparses de soleil : taches virant du bleu marine au vert, du turquoise au sable doré et les vagues ourlées d’écume blanche venant lécher la plage.

J’habitais alors un vrai petit paradis… et étais pleine d’insouciance.

C’est la fin de l’été et quelques voiles à l’horizon virevoltent comme des danseuses.

J’entre dans le vestibule et marque un temps d’arrêt.

Un grand miroir magnifique à l’encadrement ouvragé et doré à la feuille d’or me renvoie mon image. Je suis triste. Mon père ne sera plus jamais là, à mes côtés. Mes épaules se chargent soudain d’un poids. J’ai froid dans cette pénombre. Finies les effusions de joie lorsque je voyais Papa et ses embrassades affectueuses et discussions interminables. Je me sens coupable. J’aurais dû venir le voir plus souvent. Et ce vide, ce silence, cette immobilité, de tout ce qui se trouve là, dans la fraîcheur d’une maison qui a fermé ses volets, me sont insupportables. Il n’y a plus cette musique de jazz que Papa adorait, ces senteurs de son parfum préféré. Je suis là, plantée droite comme un if, entourée de fantômes au milieu de l’absence, l’éternelle absence. Je sens mes larmes couler, mes mains trembler puis tout mon corps sangloter. Il y a là toute sa vie, ses vêtements, son empreinte sur toute chose.

Nous étions très proches ; d’autant plus proches que je n’ai jamais connu ma mère. Il était très affectueux et délicat avec moi. J’ai été son enfant chérie, très choyée même si au fond de mon cœur, je portais ce lourd secret de ne rien savoir de ma mère. Comment était-ce possible ?

Papa était antiquaire brocanteur et avait gardé les plus belles pièces pour lui, comme le miroir positionné dans l’entrée, à côté du porte-manteau perroquet et d’un vieux porte-parapluie en zinc.

Il venait me voir tous les deux ans à Toronto et s’amusait beaucoup avec mes enfants. Pourquoi ne suis-je pas retournée en France plus souvent ? Il aurait été tellement heureux de nous voir ! Lui qui avait été orphelin de père et mère et n’avait pas de famille sauf ses amis, qui remplaçaient ce manque viscéral, et moi, sa fille. Mais, nous les enfants, sommes parfois égoïstes quand on trouve le bonheur ailleurs. On oublie vite le temps que nos parents nous ont consacré ! Il faut avoir vieilli soi-même pour réaliser tout cela.

Des grands-parents, je n’en ai pas eu. Je n’ai pas connu le bonheur d’une famille, allant à la plage l’été, avec papi et mamie et toute une marmaille endiablée avec tout l’attirail que les enfants emportent avec eux. Moi, j’allais à la plage de l’Arnérault, méduses aux pieds, pour pouvoir jouer dans l’eau en évitant de me blesser sur une coquille d’huître ou de moule, enfoncée dans le sable et laissant apparaître juste son bout, tranchant comme un rasoir. On se baignait jusque vers dix-sept heures. Puis on se séchait rapidement pour enfiler le short et le T-shirt, remettre les sandalettes et nous marchions jusque sur le port.

Papa et moi nous arrêtions chez le glacier où je prenais mon éternel cornet chocolat/vanille que je léchais en évitant que la crème glacée ne coule sur mes doigts. Tranquillement, nous nous dirigions vers la maison bleue.

Là, il fallait rentrer se dessaler sous la douche du jardin ; que c’était agréable ! C’était le plus souvent le tuyau d’arrosage qui servait de douche. Le premier qui l’utilisait avait la chance de bénéficier d’un peu d’eau tiédie par le soleil, puis arrivait une eau plus glacée ! Je restais sécher dehors.

Mon père avait beaucoup d’amis dans le voisinage chez qui nous passions parfois la soirée. J’adorais aller regarder la télévision chez Jozef qui habitait en face de chez nous. Papa n’en voulait pas à la maison car il pensait que ça allait me détourner de mon travail scolaire, alors chez Jozef, c’était la fête !

Quelques années plus tard, vers mes seize ans, nous faisions un billard avec Roger, le voisin de Jozef, qui me regardait d’un peu trop près. Il aimait bien les femmes. C’était un séducteur né. Que l’on ait seize ans ou plus, ses yeux étincelaient instantanément à la vue d’une femme ou d’une jeune fille. Son regard ardent s’accompagnait aussitôt d’un compliment qui me faisait rougir de gêne. Papa le semonçait en disant :

— Roger, arrête un peu ton charme ! Nora n’a que seize ans, alors !

Roger se mettait aussitôt à rigoler.

— Paul, je ne fais pas de mal !

Puis en se tournant vers moi :

— Ma chérie, excuse-moi, mais tu es vraiment une très jolie jeune fille !

Et la soirée se terminait dans la bonne humeur et les éclats de rire autour d’un verre.

Je me promène au rez-de-chaussée de la maison, décide d’ouvrir tous les volets, toutes les fenêtres pour aérer et laisser entrer le soleil.

L’émotion du premier instant où je pénètre dans ces lieux semble s’adoucir. C’est une maison à deux étages avec des combles aménagés sommairement. En bas, le vestibule donne sur la porte de la cuisine avec un grand vaisselier en pitchpin et des assiettes anciennes chinées çà et là, un piano en fonte noir à 5 feux gaz, four et chauffe-plat, mon père étant un passionné de cuisine. Au mur sont accrochées une série de casseroles en cuivre et une bassine à confiture. Un buffet ancien immense est rempli de vaisselle et d’ustensiles de cuisine. Les louches, spatules en tout genre et écumoires pendent à côté de la plaque de cuisson espérant l’arrivée d’un prochain cordon-bleu mais en vain… Les torchons sont restés sur le porte-torchons et attendent d’être lavés. Quant à son tablier de coton vert, il est accroché là, à la patère, vide de son cuisinier. Ma gorge se serre à nouveau ; que de temps passé à raconter mes petites histoires dans cette cuisine ! Combien de paroles échangées, de recettes transmises. Parfois, nous avions tous les deux les mains dans la farine et il m’apprenait à faire de la pâte à tarte ou un gâteau au chocolat. Avant de verser la pâte dans le moule, il prenait une petite cuillère, en prélevait un peu et me disait :

— Goûte-moi ça ; c’est bon ? Assez sucré ? Qu’est-ce que tu crois qu’il faudrait rajouter ?

— Hum… Un peu de sel.

Il goûtait à son tour.

— Tu as raison, un peu de sel équilibrera le goût du chocolat et du sucre et ça n’en sera que meilleur ! Tu es une très bonne cuisinière, ma chérie !

Il éduqua mon palais aux saveurs raffinées. Quels bons moments on passait ensemble, à côté de la chaleur enveloppante du four qui cuisait la pâte et exhalait le parfum envoûtant du gâteau qui dorait peu à peu !

En sortant de la cuisine, on entre dans un grand salon où trônent deux gros fauteuils club en cuir marron, ainsi qu’une banquette du même style, installés autour d’une table basse au plateau en marbre gris clair veiné de blanc, le tout sur un tapis persan. Au mur, un meuble bibliothèque avec les dictionnaires Quillet en douze volumes, des romans d’aventures à la voile, des classiques de la littérature française, des piles de magazines « Loisirs nautiques » et « Saveurs ». À l’opposé, dans un coin, une table ronde en noyer est entourée de six chaises confortables, recouvertes de velours grenat. Nous étions souvent plusieurs à déjeuner ou à dîner. Papa adorait mitonner de bons petits plats partagés avec les voisins d’en face, Roger et Jozef.

J’allume le lampadaire à l’abat-jour en vessie de porc qui diffuse une lumière dorée. C’est ici que l’on s’asseyait Papa et moi, dans les fauteuils, quand il me racontait des histoires et plus tard, quand j’apprenais à lire et qu’il me faisait faire mes devoirs. Je me revois, pelotonnée tout contre lui et entends encore sa voix chaude et bienveillante. Cela se terminait toujours par un gros câlin, un bisou, puis :

— Maintenant, tu peux aller dormir !

Je crois que Papa adorait sa fille et veillait sur moi avec inquiétude parfois. Il ne voulait surtout pas qu’il arrivât quoi que ce soit à sa petite chérie.

Sur la table basse du salon, le journal local Le phare de Ré est posé ainsi que le Sud Ouest. Mais plus personne ne le lit. À côté se trouve une boîte de chewing-gums nicotine que Papa mâchait depuis qu’il avait décidé d’arrêter de fumer.

Le salon ouvre sur une terrasse gravillonnée que Papa avait aménagée en salon d’été à l’arrière de la maison. Trois fauteuils en osier pâlissent doucement, exposés aux vents et aux embruns salés. Deux hamacs invitent à la sieste, attachés entre l’amandier et un cerisier. Un Cycas revoluta pousse très lentement dans une poterie d’Anduze ocre vernissée. Des bambous anarchiques peuplent le fond du jardin. Un palmier nous regarde du haut de ses 6 mètres. Quelques roses trémières, en toute liberté, ont poussé là où le vent les a semées. Une table en mosaïque s’écaille doucement au soleil et dans un coin, à l’ombre, un arrosoir en zinc attend, en vain, son jardinier. Plus loin, un barbecue bâti en brique rappelle le parfum des sardines grillées au thym qui s’y sont prélassées. On dirait un jardin d’Eden oublié, ne demandant qu’à revivre ! Que d’éclats de rire, de verres remplis, d’histoires drôles à n’en plus finir ont envahi ces lieux… Et dans la troupe qui s’y réunissait, il y en avait toujours un pour sortir la guitare et entonner un air à la mode ou raconter des potins de village.

Je regagne la maison en essuyant mes pieds sur le paillasson extérieur et monte les escaliers vers le premier étage.

J’ouvre grand les fenêtres des chambres et aperçois Jozef, le voisin d’en face, dehors sur le pas de sa porte.

— Ohé ! Jozef, je viens juste d’arriver, j’ouvre les fenêtres à l’étage, je jette un coup d’œil et je viens te faire la bise ! à tout à l’heure !

Je rentre dans ma chambre et regarde avec nostalgie tout l’univers qui a jalonné mon enfance. Sur les étagères, j’y ai abandonné des BD de Corto Maltese, des magazines Rock and Folk