Silence Turquoise - Françoise Chastel - E-Book

Silence Turquoise E-Book

Françoise Chastel

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Beschreibung

Malentendante, elle a consacré sa vie à la cause des sourds et malentendants.

Une belle vie tissée de travail, de rencontres, de créativité, de coups d’audace. Pour faire avancer la cause des Sourds, Françoise Chastel se fait étudiante, enseignante, globe-trotter, journaliste et à présent écrivain. Avec d’authentiques bonheurs d’écriture elle nous entraîne dans son monde jusqu’à nous en faire partager ses sensations… (Jacques Molénat)
Les lecteurs du premier ouvrage de Françoise Chastel Des mains et des lèvres croyaient la connaître. Cet ouvrage autobiographique retrace en effet les grands moments de la vie professionnelle et personnelle de l’auteur, pour la période de 1939 à 1980.
Silence Turquoise se situe dans son sillage et suit l’ordre chronologique, apportant le complément nécessaire pour la période allant de 1985 à nos jours d’une vie très dense, très mouvementée.
Les épisodes de la vie de Françoise Chastel se mêlent aux avancées du combat des sourds pour plus de visibilité et de reconnaissance.
On y retrouve la même énergie dans les deux parties de sa vie avec un engagement sans faille, une détermination continue pour repousser les limites du possible toujours plus loin, un sens de la liberté qui ignore les conventions.
Les anecdotes foisonnent et l’art de vivre sourd donne toute sa raison d’être à ce fameux pont qui permet au monde sourd et au monde entendant de se rencontrer.

Découvrez l'autobiographie de Françoise Chastel, une malentendante qui a consacré sa vie à aider les sourds fidèle à ses convictions.

EXTRAIT

C’est ainsi que les 30, 31 janvier et 1er février 1987 au Centre Spécialisé pour Déficients Auditifs d’Albi eut lieu le premier Symposium européen des interprètes pour déficients auditifs. Les interprètes de conférences de Bruxelles étaient bien là avec en premier lieu Danica Seleskovitch, directrice de l’École Supérieure des Interprètes et Traducteurs (ESIT) qui présidait le symposium. Philippe Séro-Guillaume interpréta l’allocution prononcée par Danica. Quelques années plus tard, une formation en interprétation en langue des signes était créée à l’ESIT. J’eus la chance de faire partie de l’équipe des formateurs.
En 1994 Philippe Séro-Guillaume soutint sa thèse sur la langue des signes. Dans son discours Danica déclara (entre l’interprétation en langue des signes et l’interprétation orale) : « il y a convergence, il y a plus : il y a une totale identité de processus et de méthode. La différence entre une langue gestuelle et une langue orale n’est pas plus grande que la différence entre les langues telles que le chinois par exemple, qui s’écrit en idéogrammes ou l’allemand aux structures syntaxiques. Et d’ailleurs toutes les langues ne sont-elles pas gestuelles : gestes de la glotte ou gestes des mains, perception auditive ou perception visuelle qu’importe ? Ce n’est pas l’explicite qui compte mais ce que le locuteur veut dire en parlant, ce que comprend l’interlocuteur en recevant. »
Grâce à la collaboration entre Danica et les praticiens français de la langue des signes, celle-ci gagna son droit de cité à l’Université et aujourd’hui l’ESIT forme au master en interprétation français/langue des signes française.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Françoise Chastel est née en 1939 à Montpellier, rue de l’Université. Éducatrice auprès des enfants sourds du CESDA de Montpellier puis de ceux de l’école intégrée Danielle Casanova d’Argenteuil (95), elle devait s’engager dans la vie associative locale, régionale puis nationale. Elle a toujours milité pour la reconnaissance de la langue des signes française, l’éducation bilingue et l’accessibilité des personnes sourdes. Actuellement directrice de publication et rédactrice en chef d’Echo Magazine « fenêtre ouverte sur les Sourds et leur culture », elle participe activement à la vie de la communauté sourde.

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Françoise Chastel

Silence turquoise

AVANT-PROPOS

Deuxième ouvrage de Françoise Chastel

Les lecteurs du premier ouvrage de Françoise Chastel Des mains et des lèvres croyaient la connaître. Ce premier ouvrage autobiographique retrace en effet les grands moments de la vie professionnelle et personnelle de l’auteur, pour la période de 1939 à 1980. Silence Turquoise, se situe dans son sillage et suit l’ordre chronologique, apportant le complément nécessaire pour la période allant de 1985 à 2015 d’une vie très dense, très mouvementée. Et il jette aussi un éclairage supplémentaire sur la personnalité de Françoise Chastel. Ce second ouvrage est consacré pour une grande partie à cette mobilité exceptionnelle qui la caractérise (rien n’empêche jamais l’auteur de partir, rien n’arrête sa curiosité qui la pousse en avant, rien ne freine son désir d’aller voir ailleurs) et a pour thème le voyage, dans l’espace et dans le temps, le voyage sous toutes ses formes, y compris la forme intérieure qui bouscule les certitudes.

Le récit lui-même est un voyage, qui égrène des étapes géographiques, au fil du temps, le lointain : Alger, Fès, Madrid, Tunis, ou le proche : Argenteuil-Paris : puzzle en construction, des étapes symboliques, pour le domaine professionnel : Adieu Madame le professeur ou privé : Et quoique l’Homme fasse…, des étapes culturelles : Éclosion de talents, ou familiales : Une famille heureuse. Ces itinéraires enchantent tant ils embarquent le lecteur dans des contrées nombreuses dont le dénominateur commun est de faire partie de ce « pays des Sourds » qui, dit-on parfois, n’existe sur aucune carte, parce qu’il est assurément sur toutes mais aussi parce qu’il permet au lecteur de revisiter ces propres moments de sa vie par auteur interposé : il se retrouve dans les joies simples d’une balade en montagne, dans la visite d’un château, dans les annonces de mariages ou de naissances de sa propre famille. Ou dans les moments de deuil. Le chapitre Et quoique l’Homme fasse, ses jours s’en vont, courant est une élégie, troublante, où la mort du père et celle de la mère sont mises côte à côte avec cette émotion contenue dont l’affleurement poignant entre vite en résonnance.

On se déplace beaucoup dans cet ouvrage, en France, métropolitaine et d’Outre-mer, sur les rives méditerranéennes, en Afrique, voire en Asie. On est bien loin de ces « voyages autour de ma chambre » populaires en France au xviie siècle, où l’auteur promenait ses lecteurs dans des pays le plus souvent imaginaires, pour rédiger, en fait, son autobiographie. Ici, tout est bien réel et on largue les amarres, en se défaisant de tous les encombrements de la vie quotidienne, ce qui donne ce sentiment de légèreté et de liberté. Le pays des Sourds c’est ce monde du « silence turquoise » où la couleur est le symbole du ralliement. Rien à voir avec le règne du silence, alors que l’auteur multiplie les propos rapportés ou les dialogues pris sur le vif, donnant ainsi la parole à ses connaissances ou amis sourds.

Le Silence turquoise promène le lecteur en trente chapitres de ce lieu précis du premier chapitre qu’est le Pont du Diable, à Saint-Guilhem-le-Désert (qui connaît cet endroit reculé ?) vers ces espaces larges dont les tracés sont invisibles : conférences internationales, rencontres, expériences partagées. Le mouvement s’amplifie au fil des pages, et on navigue vers ces eaux territoriales où l’appartenance à une communauté ouverte prend le pas sur l’intérêt ou le positionnement particulier. Tout l’art de Françoise Chastel est de conduire ce basculement progressif avec douceur mais aussi fermeté. L’art du conteur chez elle réside dans cette façon subtile de maintenir l’intérêt tout en ne retenant pas le lecteur. Il se sent libre de ses mouvements et adhère complètement au projet de voyager car il sent, même confusément, que le cap est tenu : direction « en avant, toute » ! Sans se retourner, sans s’arrêter car le sens de la vie habite le capitaine, et Françoise Chastel est déterminée quant à la façon dont il faut aborder l’aventure et la vivre : pleinement !

Silence turquoise ne s’adresse bien évidemment pas qu’aux personnes sourdes, même si certains, très nombreux, ont pris part aux mêmes voyages que ceux de l’auteur. À cet égard, cet ouvrage est aussi, une chronique très précise des grands moments historiques de la communauté sourde. Il concerne aussi tous ceux dont un modèle de trajectoire suscite la curiosité : qu’est-ce qui pousse à une telle dynamique, à un tel militantisme ? Les paragraphes conclusifs des chapitres (rédigés en italiques) apportent quelques réponses. Ils constituent des réflexions intérieures de l’auteur. Françoise Chastel y exprime ses convictions et les grandes lignes de sa démarche humaniste : elle croit aux potentialités de l’être humain pour apporter de la générosité dans notre monde ; elle croit à la communication avec ses semblables ; elle croit qu’il est possible toujours d’avancer et de dépasser ses propres limites et que celles-ci restent à tracer.

Ainsi, c’est sur un point d’orgue que Françoise Chastel laisse ses lecteurs : le Silence turquoise est aussi sa petite musique intérieure, sa mélodie du bonheur pour lequel elle semble particulièrement douée. Cet ouvrage est donc une histoire sans fin, puisque l’auteur, malicieusement laisse au lecteur le soin et le plaisir d’en écrire le chapitre suivant, et puis l’autre et puis l’autre.

Mireille Golaszewski

Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

Chargée de mission ministérielle sur la scolarisation des élèves malentendants et sourds

PRÉFACE

De Jacques Molenat

Journaliste et écrivain

D’être devenue sourde, c’est la chance de Françoise Chastel. Plongée brutalement à l’âge de six ans dans le monde du silence, elle ne s’incline pas, elle ne se recroqueville pas. Au contraire, elle se forge, à la force du poignet, un destin hors normes. Une belle vie tissée de travail, de rencontres, de créativité, de coups d’audace. Pour faire avancer la cause des Sourds, Françoise Chastel se fait étudiante, enseignante, globe-trotter, journaliste et, à présent, écrivain. Avec d’authentiques bonheurs d’écriture elle nous entraîne dans son monde jusqu’à nous en faire partager ses sensations : «  dans le silence, a-t-elle confié àLa Gazette de Montpellier, le bruit est représenté par ce qui bouge, la musique par ce qui vibre. Notre œil écoute. » Et voici comment elle entend « le silence de la mer » : « les vagues s’approchent et reculent. La houle les fait grossir à vue d’œil : une musique visuelle avec ses contraltos sous forme d’écume. » Magie des mots !

Françoise Chastel est devenue la figure emblématique des quelque 800 Sourds de Montpellier. Ils se connaissent tous. Ils forment entre eux une communauté vivante qui a son école, son centre de formation professionnelle, ses associations de sportifs, d’artistes et même de danseurs !

Après un stage à Washington à l’université Gallaudet, la seule au monde conçue pour les Sourds, Françoise Chastel s’investit dans la promotion de la langue des signes. Elle est la rédactrice en chef d’Écho Magazine, le journal des Sourds de France. Elle sait mettre en vedette des Sourds d’exception comme Henri Corderoy du Tiers, le premier pilote sourd de l’Hexagone invité sur l’aéroport de Candillargues le 29 juin 2013 pour y procéder à des baptêmes de l’air. Françoise Chastel voit large : via l’organisation du premier Sommet méditerranéen et européen des Sourds, en 2005, elle a noué des liens avec les Sourds d’Italie, d’Espagne, du Portugal, d’Algérie, du Maroc de Tunisie. Sourds sans frontières !

Leur condition, Dieu merci, s’est nettement améliorée. Les innovations facilitent leur vie quotidienne. La communication par texto s’est banalisée. Les Sourds sont sur Facebook, échangent vidéos, signes et textes. En 2005 la langue des signes a été officiellement reconnue comme langue. La ville de Montpellier a été la première en France, en janvier 1983, à requérir des interprètes dans cette langue et, plus tard, une guide sourde pour les visites de la ville.

Tout irait beaucoup mieux si certains médecins cessaient de voir dans la surdité une maladie, « alors que c’est un état. » C’est l’un des combats de Françoise Chastel. Avec bon sens, elle demande que les mesures en faveur des Sourds soient discutées « en leur présence. » Elle cite en exemple le Dr. Paddy Ladd1, Sourd britannique, qui estime que, dans le domaine de l’éducation, les Sourds se sentent trop souvent « colonisés » par les entendants.

Entre Sourds, la solidarité est totale. L’autre été une femme sourde a été malmenée à Paris dans un commissariat du xve arrondissement. « Toute la communauté sourde a réagi, raconte Françoise Chastel. Arnaud Balard, le créateur du drapeau de la langue des signes, a aussitôt diffusé sur les réseaux sociaux une image symbolique : une femme allongée contre une poubelle, face au commissariat. » Voilà qui va droit au cœur de Françoise Chastel : des Sourds qui savent se faire entendre !

Jacques Molénat

1 Le Dr. Paddy Ladd est auteur, activiste et chercheur de la culture sourde de renommée mondiale. Il est le concepteur du deafhood qui présente l’acceptation possible et positive de la surdité.

INTRODuCTION

Mon premier livre Des mains et des lèvres est l’introduction de mon histoire et elle s’inscrit dans ce mouvement vaste connu sous le nom de Réveil Sourd.

Silence Turquoiserelate ces quarante années au cours desquelles nous avons pu accéder à notre citoyenneté pleine et entière. La langue des signes, enfin reconnue officiellement et par la société en tant que langue à part entière nous a permis de participer pleinement à la vie telle que nous souhaitons la vivre, où la communication est facilitée dans toutes les étapes d’une existence à la couleur turquoise.

Pourquoi « turquoise » ? Cette couleur indique tout simplement notre différence : elle est devenue le symbole de la communauté sourde ; elle rend visible la surdité. Ce n’est pas une couleur triste. Elle est estivale et pleine de fraîcheur, la plus fluide du spectre des couleurs. Elle est transparente comme les eaux d’un lagon, comme la couleur des mots que nous lisons et qui deviennent clairs sur les mains, sur les lèvres comme dans les livres et dans les rêves. Car rêver turquoise c’est rêver d’espoir.

Dans Silence Turquoise vous allez suivre un parcours de vie aventureux. Passer du monde entendant au monde Sourd et inversement est un exercice de haute voltige ô combien passionnant.

Le premier chapitre Diable de Pont qui a inspiré l’excellent artiste surdiste qu’est Arnaud Balard, pour la couverture de l’ouvrage donne le ton. Justement le mot « pont »est le lien symbolique qui relie les Sourds et les entendants. On se retrouve sur l’une ou l’autre rive, parfois au milieu.

Vous allez retrouver dans cet ouvrage des personnages rencontrés dans Des mains et des lèvres. Quarante ans après ils auront évolué, c’est sûr. Et celui qui fut Jean, devient ici Nelson. À l’époque ce fut caché, une histoire souterraine que l’évolution de la vie a fait ressortir au grand jour, une identité retrouvée.

Et alors cette histoire amoureuse tel un fil conducteur va pimenter les chapitres, leur apporter un cachet nouveau. On bascule avec plaisir dans le monde entendant, pour retrouver ensuite le monde Sourd dans sa dimension nationale et internationale, ses projets en suspens et son formidable espoir pour l’avenir.

Alors feuilletez vite ce livre de mots et d’images et laissez-vous porter par leur miroitement : on y parle de nous et des autres,et vous verrez que la vie est une belle aventure dans le Silence Turquoise.

Françoise Chastel

Diable de pont

(Les années80)

Je poursuis mon travail d’écriture, à la demande de mes lecteurs précédents. Je convoque mes souvenirs. Dans le fond de ma mémoire se trouvent enfouis ces moments incroyables qui ont jalonné ma vie, ces personnes qui m’ont accompagnée. Que sont devenus ceux qui figuraient dans le premier ouvrage Des mains et des lèvres qui couvrait la période de 1939 à 1980 ? Je reviens quarante ans en arrière où un tas d’images se pressent dans ma tête ! Elles ne sont pas déconnectées de mon récit précédent, mais le prolongent : une jonction demeure, le Pont du Diable, comme jeté entre ces deux périodes de ma vie. Il est un trait d’union, un entre-deux, un lieu magnifique et chargé de symboles.

En 1985 le CESDA organisait des échanges avec des classes de CE1 et CE2. Depuis mon retour de Gallaudet College, j’avais quitté le Cours Ménager et mes grandes. On parlait ainsi alors des « grands » et des « petits »  et cette appellation ne rendait pas compte seulement de leur différence d’âge mais portait une charge affective forte. J’allais venir chez « les  petits » en tant qu’éducatrice et accompagner le professeur dans le projet de classe bilingue. C’était un projet très élaboré où la langue des signes côtoyait le français et où les enfants sourds avaient des référents pour modèles et les aider à s’exprimer correctement.

Je travaillais au sein d’une équipe soudée avec Huguette Jammes, professeur spécialisé et épouse de Laurent Jammes, le nouveau directeur, venu d’Albi. Fernand Maille, le directeur pédagogique dirigeait les classes bilingues, et il était très attentif à la progression des enfants. C’est ainsi que nous avions été amenés à des échanges entre classes pilotes. Il y en avait encore très peu en France. La philosophie du bilinguisme et son intérêt tant linguistique que culturel avaient été prônés par 2LPE (deux Langues pour une éducation) à notre retour de Gallaudet, au cours de stages à Saint-Laurent-en-Royans puis à Poitiers. Ses retombées positives se faisaient connaître un peu partout.

C’est ainsi que nous avons accueilli les jeunes élèves de l’école intégrée Danielle Casanova d’Argenteuil. Ils étaient accompagnés de leur directeur, Marcel Bedos, natif de Talairan (11), un homme jovial, gouailleur mais dont les lèvres étaient difficiles à déchiffrer car il souriait tout le temps. Son nom signe – « un pincement prolongé du bas de la joue » –m’avait intriguée. Sébastien, un élève de C1 d’Argenteuil m’en avait fourni l’explication :

–Il nous pince la joue lorsqu’il passe nous voir en classe. Cela veut dire que nous travaillons bien. 

C’est ainsi que les enfants, souvent malicieux, notent les gestes répétés de leurs professeurs, et, s’agissant d’enfants sourds, leur trouvent rapidement une dénomination en LSF.

Dans le cadre des sorties pédagogiques, les classes d’Argenteuil et de Montpellier s’étaient retrouvées à Saint-Guilhem-le-Désert et avant de visiter l’abbaye, nous avions fait un détour par le Pont du Diable. Devant la curiosité de mon jeune auditoire j’avais tenu à leur donner le nom du pont. Aussitôt les doigts se levèrent avec la même interrogation des mains et des yeux :

–Pourquoi « Pont du Diable » ? 

Certains se demandaient sans doute, non sans peur si le Diable n’était pas caché sous lepont.

Je leur répondis:

–À cause de la légende ! 

Les voilà qui se pressent devant moi, les mains suppliantes :

–Raconte-nous ! 

J’essaie de calmer leur impatience. Sans succès. Ils veulent savoir. Alors je cède tout en précisant que je ne me rappelle plus très bien des détails.

–Ce soir j’achèterai le livre et je vous raconterai l’histoire demain.

Tout ce petit monde est d’accord. On passe sur le pont ; tous se penchent sur le parapet. Nous sommes obligés de les retenir. Mathieu du CE1 Montpellier s’écrie en pointant l’Hérault du doigt : 

–J’ai vu l’œil du Diable : il est tout rouge ! 

Le lendemain. Ils sont là, enfants d’Argenteuil et de Montpellier. Les yeux fixés et mes mains alors leur racontent. Tout y passe : les deux rives de l’Hérault. Le pont qu’il faut construire, les difficultés qui rebutent. Cet inconnu mystérieux qui se présente comme architecte. Les yeux marquent le suspense. Et ces cris de joie lorsque le chien traverse le pont avec à sa queue une poêle attachée et que le Diable fait un plongeon dans l’Hérault ! Ils applaudissent : 

–Encore ! Encore ! 

Combien de fois j’ai raconté cette légende au cours de la matinée, je ne saurai ledire.

Rentrée 1988 à Argenteuil : je fais partie des nouveaux éducateurs. Les enfants sont là et parmi eux, je reconnais ceux qui étaient à Montpellier, il y a trois ans. D’un même mouvement, ils lèvent la main en signe de reconnaissance :

–Oh ! Mais c’est elle : le Pont du Diable !

Et d’ajouter :

–Maintenant on la veut la légende écrite ! On veut la lire et la garder en souvenir ! 

Même lorsque je traverserai toute la France, le Pont du Diable de Saint-Guilhem-le-Désert sera là. Je ne me sens pas dépaysée en banlieue parisienne, même sans le soleil ! Oui cette légende est avec moi et sera pour eux, photocopiée en plusieurs exemplaires.

Quelques années plus tard, bien plus tard, lors de mon départ à la retraite, ils seront là ces lycéens pour me dire au revoir et avec leurs mains répéter et répéter :

–Le Pont du Diable : on n’a jamais oublié ! 

Que de temps passé depuis 1978 !

En 1979 nous nous sommes retrouvés au congrès mondial des Sourds de Varna (Bulgarie). D’un côté il y avait les entendants, Jean-Paul Mit, Jean-Noël Dreillard, Marie-José Armengaud, et de l’autre, nous, les Sourds. Nous étions leurs tuteurs afin de les guider dans les conversations en langue des signes. André, mon mari, et Evelyne Koenig affirmaient avec force qu’il y aurait un après-Gallaudet car la société sourde était bel et bien en train de changer. À Varna Mervin Garretson nous encouragea, le regard brillant derrière ses lunettes. Un deuxième stage était en cours à Washington et parmi les stagiaires, Michel Lamothe, rencontré un an plus tôt, curieux de faire partie des anciens élèves de Gallaudet.

1980 fut aussi l’année du Minitel. Le Minitel dialogue transforma notre manière de communiquer. Nous pouvions nous passer de tiers au téléphone. Cependant les communications se faisaient de Minitel à Minitel. Ma mère fut l’une des premières à l’utiliser :

–Quand je t’appellerai je taperai 44 sur l’écran. Tu sauras que c’est moi ! 

Notre code affectif : le 44 de la rue de l’Université !

Et puis aussi, la renommée de l’International Visual Theater de Vincennes, IVT nous attirait irrésistiblement. Je sentais en IVT le symbole du changement, comme si l’ambiance de Gallaudet s’était transposée en France. De plus parmi les fondateurs d’IVT figurait Bill Moody, notre interprète en langue des signes à Gallaudet, celui qui maniait si bien la langue des signes française et la langue des signes américaine et allait de l’une à l’autre avec souplesse et esthétisme. Son interprétation nous subjuguait.

En 1983 je reçus de Mervin Garretson une invitation : Celle d’animer la commission éducation au Congrès mondial de Palerme. De loin il avait suivi la progression de l’association que nous avions créée à notre retour de Gallaudet : 2LPE (deux langues pour une éducation) dont le but était de sensibiliser au bilinguisme, d’expliquer ce que c’était : aux enfants sourds au moyen de deux langues : la langue des signes et la langue française.

C’était le 17 novembre 1979 dans la bibliothèque de l’INJS de Paris que l’association 2LPE avait été créée par Christian Deck, président. Un des objectifs de cette association était d’organiser chaque année un stage à l’intention des parents d’enfants sourds, des adultes sourds et des professionnels. Le premier stage –parents – avait eu lieu en juillet 1980 à la Providence de Saint-Laurent-en-Royans et regroupa 80 personnes. À la suite de ce stage, 2LPE se développa dans différentes villes de France pour des stages parents et aussi des cours de langue des signes. André et moi participions à l’organisation des stages d’été. Je fus la rédactrice en chef du journal du stage – Vivre ensemble.

C’est ainsi qu’André et moi nous partîmes pour Palerme par voie ferrée et je me retrouvai avec mes amis sourds français et américains dans une commission qui nécessitait beaucoup de rencontres et d’organisation. Nous en étions aux tout premiers débuts, il faut le reconnaître. Mais notre objectif était tout tracé et nous voulions le réussir.

Nous étions dans un engrenage où il était question d’informer le mieux et le plus rapidement possible. La classe bilingue pilote des C1 que j’animais au CESDA avec Huguette Jammes se révélait prometteuse. Nous travaillions la langue des signes et le français, sous l’œil attentif de Fernand Maille, directeur pédagogique. J’animais en même temps les formations d’élèves professeurs de la FISAF, à Cesson Sévigné, à côté de Rennes et à Valence. En même temps je suivais une formation pédagogique afin d’être en règle avec l’enseignement que je prodiguais et qui était fort éloigné de mes fonctions de professeur de couture des débuts. Mon statut était celui d’éducatrice spécialisée.

De son côté André fut appelé à initier les jeunes enfants sourds de la maternelle à la langue des signes. Ses étonnantes facultés de conteur firent merveille. Fernand Maille le répétait : le bilinguisme ce n’est pas seulement en classe qu’il doit exister mais aussi en dehors de la classe. La langue des signes et le français doivent coexister. Venu du Centre de Rééducation de l’Ouïe et de la Parole (CROP) de Saint-Hippolyte-du-Fort dans le Gard, M. Maille comme on l’appelait, était un fervent partisan du bilinguisme :

–L’autre jour on m’amène un jeune enfant sourd. J’ai voulu connaître son niveau de communication. Tout fier il prononce lentement et avec effort le mot : table. Je lui demande ce que représente pour lui une table. Il reste muet. Il ne savait pas ! 

Depuis M. Maille avait pris à cœur l’importance de la communication, dans ses premiers rudiments. Les contes portés par les mains habiles d’André amenaient les enfants à poser des questions avec leurs petites mains. Les signes étaient maladroits certes mais l’essentiel était que les enfants entrent dans l’histoire et développent un vocabulaire personnel qui s’enrichirait au fur et à mesure.

❋❋ ❋

La langue des signes est une langue visio-gestuelle qui déploie ses signes dans l’air. Les mains s’agitent et pour ceux qui ignorent les signes, on dirait des marionnettes dessinant d’étranges figures. On comprend son attractivité pour les enfants, pour les tout-petits, qui, alors même qu’ils ne « parlent » pas sont fascinés. Ces mains qui sculptent l’espace donnent à voir des formes très fertiles pour l’imaginaire. De même, les conteurs en langues vocales utilisent une gestuelle corporelle qui « anime » le récit : c’est-à-dire, au sens étymologique, lui donne une âme. Dans certaines régions, les locuteurs sont plus démonstratifs que dans d’autres, et sont parfois accusés de l’être trop. Certaines personnes joignent le geste à la parole. Les Sourds s’animent : l’expression de leur visage qui est partie de leur langue, la fluidité de leurs gestes pour exprimer du sens, la précision de leurs mains, de leurs doigts, la poétique, pourrait-on dire, qui donne corps au sens. C’est plus que de l’habileté manuelle, c’est tout un art du dessin ou de la sculpture immatérielle qui donne à voir, qui donne à dire, qui donne à s’émerveiller.

En marge de l’Université d’été de 2LPE Politique bilingue en2008.

Sur le pont du diable, de gauche à droite : Michel Lamothe, Victor Abbou, Christian Barral et Catherine Texier.

Pont entre sourds et entendants : premier interprète à Montpellier

(Les années80)

Lors de notre réunion de rentrée au bureau de l’AGSMR, Émile Julien nous avait posé la question à André et àmoi :

–Comment c’était Gallaudet College ?

Mon mari avait alors exprimé une geste d’enthousiasme et ses mains avaient dessiné sa découverte d’un univers de communication incroyable ! Mes mains avaient ajouté le signe international I Love You ! Devant nos collègues sidérés, nous avons été unanimes : notre stage avait été productif. Nous avons alors proposé que l’AGSMR héberge une antenne locale de 2LPE sous le nom de 2LPE Montpellier.

Les premières activités de 2LPE Montpellier démarrèrent très vite après le premier stage de Saint-Laurent-en-Royans. Notre principal objectif était d’informer les parents d’enfants sourds et surtout d’intéresser les Sourds à notre mouvement.

Le CESDA mit une classe à notre disposition. Très bientôt les cours de langue des signes débutèrent. Les premiers cours connurent un véritable succès. Les professeurs du CESDA et de nombreux orthophonistes furent nos premiers élèves. André débutait les cours de Communication Visuelle Gestuelle (CVG) par une série d’exercices de mise en condition avec des descriptions, suivant la méthode de notre professeur américain Gil Eastman. Il installait la communication dans l’espace et je prenais sa suite pour faire réviser et travailler la grammaire.

Petit à petit le langage gestuel prit le nom de langue des signes (LSF). Ce terme était plus adéquat et les chercheurs du laboratoire de Gallaudet avaient précisé :

–Nous avons l’ASL (American Sign Language) ! Vous, les Français vous avez la LSF.

–Et d’ajouter, les mains reconnaissantes :

–C’est Laurent Clerc2 qui nous a apporté la langue des signes ! Nous n’oublionspas !

Entre-temps André était devenu président de l’AGSMR. J’en étais la secrétaire générale. Notre collaboration nous permit de faire avancer bien des projets. L’AGSMR et le CESDA travaillaient la main dans la main. Émile Julien voyait un bel avenir se dessiner devant nous avec les conférences auxquelles nous participions.

Par exemple la conférence de Tom Mayes (S), vice-président de Gallaudet et qui fut notre premier invité. Intéressant de bout en bout dans son expérience de formation des anciens élèves de Gallaudet à la politique, il nous ouvrit une porte de plus : rencontrer les politiques et surtout être formés à les rencontrer.

Vers le mois de mars 1980 nous étions appelés à une conférence pour les parents d’enfants sourds à Nîmes. J’avais bien recommandé de prendre un interprète en LSF afin que les Sourds comme les entendants puissent participer à la conversation.

La conférence débute. Il est question de communication ! Telle qu’elle existe côté entendant et côté sourd ! Le public écoute avec attention car être sourd dans un monde entendant devrait être vécu sans rupture de communication. Mais comment ?

Les mains habiles de l’interprète traduisent. Et puis voilà que mon regard rencontre le sien qui interroge. Vite je saisis les mots sur les lèvres de l’orateur, et la suppléance mentale aidant, je lui envoie le signe. Elle me fait merci d’un sourire. C’est ainsi que je fis la connaissance de Paule Pellecuer. La conférence terminée, je la retrouve. Elle se présente :

–Mes parents sont sourds. Depuis toute petite je communique avec eux en langue des signes. Je les aide dans leurs démarches administratives.

Elle me remercie de lui avoir soufflé quelques signes. Je lui conseille de venir à nos cours de LSF au CESDA. On les aménagera le soir pour ceux qui travaillent. Affaire conclue. Une fois par semaine Paule, accompagnée de parents d’enfants sourds de Nîmes, Beaucaire et Montpellier deviendra assidue à nos cours.

Et à la fin de l’année scolaire elle se présentera à l’INJS de Paris et décrochera le diplôme du premier degré d’interprète enLSF.

À quelque temps de là le colloque « Informatique et Handicap » a lieu à Montpellier. J’informe Paule. Il faut absolument qu’elle y soit. La langue des signes doit pouvoir traduire le langage informatique. Les Sourds doivent pouvoir y participer. De plus c’est un bon moyen pour la faire connaître du public. Finalement elle accepte. Nous sommes peu nombreux car ce colloque a lieu un jour de semaine. Accompagnée de Didier Olive, informaticien et de Pierre Fenouillet, tous deux parents d’enfants sourds, nous nous installons. Paule est sur la scène. Tous les yeux la fixent. L’académicien Louis Leprince-Ringuet ouvre la séance. Tout va bien. Sauf que mes yeux me brûlent : une conjonctivite s’est déclarée. À la pause je signifie à Paule que je ne peux rester, mais qu’elle continue.

–Tu as deux spectateurs : Pierre Fenouillet et Didier Olive. Tu fais comme s’ils étaient sourds. On ne voit pas qui est sourd ou pas dans la salle ! Compris ? 

Paule s’exécute.

Le lendemain, elle me raconte :

–Imagine : Pierre Fenouillet dormait ! Quant à Olive, heureusement qu’il s’y connaissait en informatique car il écrivait, son carnet était plein de notes ! 

Elle ajoute en souriant :

–Et puis une personne du colloque est passée derrière Olive et a regardé ce qu’il écrivait. Un moment après Louis Leprince-Ringuet est venu sur la scène et m’a félicitée. “Que la langue des signes puisse traduire l’informatique ! C’est formidable !” 

Le mois suivant nous étions invités à Louveciennes, siège de la Cie Honeywell-Bull par Louis Leprince-Ringuet en personne. Laurent Jammes, le directeur du CESDA était avec nous. Paule s’illustra brillamment dans son rôle d’interprète. La langue des signes, acceptée par un académicien ! Non mais !

L’idée nous trottait dans la tête depuis un certain temps. Lors de la dernière réunion du bureau de l’AGSMR il avait été question de rencontrer des politiques. Émile Julien nous avait dit que c’était notre meilleur moyen pour avancer. Grâce à un jeune membre de l’association, Christian Barral, nous avions pu rencontrer le député de l’Hérault Gilbert Sénés. Cependant il nous fallait surtout rencontrer et convaincre Georges Frêche, le maire de Montpellier de l’utilité de créer un poste d’interprète en langue des signes à la mairie de Montpellier. Nous étions encouragés dans cette démarche par Daniel Parent, adjoint au maire, qui était à l’époque directeur de l’ARIEDA (Association Régionale Intégration Enfants Déficients Auditifs). Après un échange de correspondance je pus enfin rencontrer Georges Frêche. Je lui parlai de Gallaudet et lui offris alors la brochure3 que j’avais écrite et qui décrivait le stage. Je mis en avant notre désir de communication et la reconnaissance de notre identité.

–Nous voulons être des citoyens à part entière, ajoutai-je. Et pour cela nous devons pouvoir participer à la vie de la Commune grâce à un interprète en langue des signes.

Georges Frêche m’écouta attentivement et me conseilla de rencontrer immédiatement Michel Vincent, le directeur du bureau des handicapés de la mairie, ce que je fis, pleine d’espoir.

C’est ainsi que je me trouvai devant le bureau de Michel Vincent, un homme jeune à l’air avenant mais qui ne pouvait me voir  et pour cause : il était aveugle. Nos échanges se firent donc sans la rencontre de notre regard. Là il était impassible et souriant, prêt à m’écouter. Je fus déconcertée. Ce fut lui qui commença :

–Expliquez-moi ce qu’est la Langue des signes !

J’essayai alors de lui décrire cette langue de l’espace. Mes mains rencontrèrent ses mains pour lui donner une idée de ce qu’elle était, de ses paramètres, de la vie qu’elle donnait au silence.

Michel Vincent les mains croisées sur le bureau écoutait et opinait de la tête. Il m’interrompit pour me dire :

–Je vais me faire l’avocat du Diable. Que pensez-vous que cette langue va apporter aux enfants sourds ?

Je suis restée une heure dans son bureau. Une véritable dissertation sur la langue des signes, sur cette langue qui nous permettait d’exister, sur les moyens que nous envisagions pour l’avenir. Je lui parlai de Paule, de ses talents d’interprète. Lorsque je le quittai Michel Vincent me serra vigoureusement la main et je vis ses lèvres articuler :

–Nous allons tout faire pour vous donner satisfaction.

De retour, par Minitel je prévins Paule :

–Ça y est ! Nous aurons une interprète à la Mairie. J’ai parlé de toi à Vincent Michel.

Et puis, ces deux nouvelles, coup sur coup : une bonne et une mauvaise :

La bonne : pour la première fois en France, la mairie de Montpellier se dotait des services d’une interprète en langue des signes.

La mauvaise : ce n’était pas Paule qui avait été choisie mais Anne-Marie Autier, fille de parents sourds. C’était le 11 janvier 1983 ! Mais c’est comme si c’était hier !

❋❋ ❋

Ainsi je poursuivais mon apprentissage de l’obstination. La vie apprend en effet qu’il faut persévérer et que lorsque la cause est bonne, elle finit par aboutir. Nous avons su convaincre de l’utilité d’un interprète parce que nous étions nous-mêmes convaincus qu’il fallait jeter un pont entre deux langues et deux cultures, pour que non seulement Sourds et entendants se comprennent mais pour que chaque groupe se familiarise avec la culture de l’autre. La vie est une école de la tolérance et tout rapprochement est fécond.

Au premier rang, de droite à gauche : Andrée Saint-Antonin, Bernard Bragg, X, Rose-Marie Raynaud

Au deuxième rang : X, Émile Julien, Colombe Pellegrini, Yves Delage, Françoise Chastel, Denise Lajoix

Au troisième rang : Marcel Alié, Jean de Ferrière, Frère Jean-René Andrieu, Nelly Delage, Claude Lajoix, AndréCuif

2Laurent Clerc est né sourd le 26 décembre 1785 à La Balme-les-Grottes (Isère). Après des études à L’Institution des Sourds-Muets de Paris il y devient enseignant. Sa rencontre avec un pasteur américain venu en Europe chercher une méthode pour les enfants sourds-muets sera déterminante. Il le suivra aux États-Unis et créera avec lui la première école pour les sourds-muets américains. De nombreuses écoles américaines s’inspirèrent de cette école dont le Gallaudet College, devenu depuis Gallaudet Université.

3Une Sourde française au Gallaudet College (en cours de réédition.)

Les petits pas feront les grandes rivières.

(Les années80)

Habiter le port de Carnon est bien agréable. Nathalie et Cathy, à présent adolescentes y ont leurs amis. Elles deviennent de plus en plus indépendantes.

–Dis maman, je peux sortir ce soir ?

Nathalie prend un air suppliant.Je regarde André. Il hausse un sourcil désapprobateur et ses mains expriment :

–Elle est jeune, ce n’est pas prudent.

Je partage son avis. Et pourtant bien plus tard j’apprendrai qu’elles ont pu faire le mur déjouant notre surveillance. Le boudin remis en place contre la porte par l’une des deux, nous laissant croire que personne n’était sorti. Et dernièrement, Cathy, malicieuse articule :

–Tu sais, maman on en a profité ! Comme toi et papa, vous étiez sourds ! Tu voudrais savoir ?

Non je ne veux pas savoir ! C’est leur secret ! C’est leur vie qu’elles se sont forgée avec les avantages et les inconvénients d’avoir des parents sourds. Et puis il y a si longtemps ! C’est amnistié ! Cathy ajoute perfide :

–Quand vous aviez le dos tourné, on se tirait les cheveux ! 

Cependant une nuit, André me tape frénétiquement l’épaule :

–Nathalie n’est pas à la maison !