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Afghanistan, 4h07 : une mère quitte son lit et nourrit son tout petit enfant.Afrique du Sud, 4h13 : un homme se demande si c’est l’aube ou si c’est un feu, cette lumière au loin. Il boit un coup d’eau et reprend sa pelle.Albanie, 4h19 : dans un hôpital...Zimbabwe, 0h07 : douze bûcherons autour d’un feu de bois sec. L’un d’entre eux se nomme Joseph.Toutes les six minutes, en chaque pays de la Terre, il se passe quelque chose.Un enfant, une femme, un vieillard...Sept ou huit lignes.Un tour du monde.
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Seitenzahl: 166
Veröffentlichungsjahr: 2017
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SIX PETITES MINUTES
Xavier Deutsch
SIX PETITES MINUTES
Éditions Luc Pire (Renaissance S.A.)
Avenue du Château Jaco, 1 - 1410 Waterloo
éditions Luc Pire
www.editionslucpire.be
Six petites minutes
Corrections : Astrid Legrand
ISBN : 978-2-50705-517-2
© Éditions Luc Pire, 2017
Tous droits réservés. Aucun élément de cette publication
ne peut être reproduit, introduit dans une banque de données ni publié sous quelque forme que ce soit, soit électronique, soit mécanique
ou de toute autre manière, sans l’accord écrit et préalable de l’éditeur.
À Pierre, l’été, la terre
Chaque indication horaire est formulée
en heure locale.
Afghanistan, 4h07
La femme dort. Une sorte de miaulement minuscule, à peine perceptible, survient de la pièce voisine. Et, bien qu’elle dorme, la femme l’entend. Elle se lève aussitôt sans réveiller son mari, et se rend dans cette pièce. Elle se penche sur un berceau de bois blanc et tend ses bras vers le tout petit enfant, elle prend le tout petit enfant dans ses bras et l’entoure d’une couverture, puis elle s’assied sur une chaise et défait sa chemise. Elle blottit le tout petit enfant contre elle et lui tend son sein. D’un mouvement vif, l’enfant happe de sa toute petite bouche le téton de sa mère, et il suce le lait qui surgit. Il suce vite et fort, il tire bien.
La femme voit, dans la lueur d’une toute petite lampe laissée allumée, le visage de son enfant, ce tout petit visage absorbé par la tâche de se nourrir, ces toutes petites lèvres qui tètent, la petite gorge qui avale ce lait à toute allure, et les grands yeux de l’enfant qui ne quittent pas les siens. De grands yeux tout ouverts plantés dans les yeux de sa mère.
Afrique du Sud, 4h13
Le gars lève les yeux vers l’est en se demandant si c’est l’aube qui vient, cette lueur rougeâtre qu’il aperçoit au loin. Il n’en sait rien. Ça peut être aussi bien un grand feu, de puissants lampadaires.
Il soulève un bidon, boit un coup d’eau. Puis il reprend sa lourde pelle, se penche vers ce long pan de terre noire et recommence à creuser.
Albanie, 4h19
L’infirmier tourne le visage vers le panneau où clignote une ampoule rouge. Il dépose la tasse de thé noir qu’il avait abondamment sucrée, sort de la pièce, et longe le couloir jusqu’à la chambre 112. Il entre. Il s’approche de la femme qui est allongée, qui souffre, et dont le front brûle de fièvre. La respiration de cette femme est haletante et son haleine, chaude. Ses cheveux, répandus sur l’oreiller, sont collés entre eux par de la transpiration. L’infirmier dit : « Je vais vous donner un verre d’eau fraîche. Puis un cachet. Le médecin passera, Madame, à huit heures. »
La femme ouvre la bouche, pas les yeux.
Algérie, 4h25
L’ouvrier tourne la mollette qui actionne la vanne dans la tuyère puis il sent son collègue lui toucher l’épaule. Ici, on ne parle pas souvent, à cause du bruit. L’usine à gaz est saturée de clarté, d’une clarté blanche qui rend les tuyères plus nettes que sur la plus nette des photographies. L’ouvrier regarde son collègue et l’interroge en silence. Qu’est-ce qu’il y a ? L’autre, du menton, lui indique un autre endroit et l’ouvrier regarde par là, puis il sourit. Et, à son collègue qui lui a touché l’épaule, il fait « Oui » de la tête, et tourne à nouveau la mollette jusqu’à ce que le manomètre indique 160.
Allemagne, 4h31
Hans est debout sur le quai de la gare routière d’Hanovre et il en a pour un moment avant que vienne son bus. La pluie a cessé au milieu de la nuit et les réverbères font luire des flaques noires sur l’asphalte, où nagent quelques traces irisées, des lignes d’huile de moteur.
Hans porte un cartable en cuir dans sa main droite. Il est seul, debout, juste sous la lumière blanche d’une lampe, ayant à sa gauche une publicité pour H&M, et à sa droite la route ponctuée de quelques réverbères. Il lève sa main gauche devant ses yeux et regarde son pouce : il s’est planté une écharde sous l’ongle depuis la veille et ça le contrarie.
Andorre, 4h37
Il est facteur à La Cortinada. Il pourrait dormir une heure encore mais le vent souffle derrière la fenêtre et ça ne marche pas. Il ne se rendort pas. Ça l’énerve un peu. Sa femme ronfle doucement à côté de lui, il l’écoute. Elle prend pas mal de place dans le lit mais il n’ose pas la repousser. S’il la pousse, elle pourrait s’éveiller, ce serait dommage pour elle. Le prénom de sa femme est Ana. Il approche d’elle son visage et respire l’odeur tiède et fade, et séduisante pourtant, qui monte de cette peau chaude, cette odeur de femme endormie.
Il doit pisser, il n’a pas envie de se lever, il se dit que, même en ne dormant pas, il se repose en restant allongé dans l’obscurité, en fermant les yeux. Cependant sa vessie l’oppresse, il hésite encore mais il se lève et sort de la chambre pour aller pisser dans la salle de bain. Il prend garde à diriger le jet sur la faïence pour ne pas faire de bruit et se demande s’il va tirer la chasse. Ou pas. Il hésite. Il craint que la chasse d’eau réveille sa femme, de l’autre côté du mur.
Il retourne se coucher sans avoir tiré la chasse, et il se rendort.
Angola, 4h43
L’homme se penche au pied du mur et regarde les sacs de ciment. Il en compte sept, et le huitième est ouvert. C’est correct. Il faudrait un peu de lumière pour vérifier mais ça semble correct. Il compte quatre sacs, puis trois, et le huitième est ouvert car il a été entamé par l’autre équipe, c’est correct.
Il met la main dans l’ouverture du huitième sac et touche le ciment. C’est souple, c’est bien sec. C’est correct.
L’homme se détourne et longe le mur jusqu’à la petite baraque où sont rangés les outils et il vérifie que la porte a été fermée par l’équipe de la veille. Ça va.
Le contremaître visitera le chantier ce matin, il faut que tout soit correct.
Antigua-et-Barbuda, 4h49
Il y a une fille sur le toit de sa maison, et elle pleure. Elle semble appeler au secours et, si elle continue, elle va réveiller les voisins !
Qu’est-ce qui lui prend ? Qu’est-ce qu’elle fout sur ce toit ? Elle va tomber si elle continue à se tordre les mains et à crier.
Heureusement que les gens dorment et ne l’entendent pas.
Arabie Saoudite, 4h55
Ça fait quatorze heures qu’il roule. Il a quatorze heures, neuf cents kilomètres et quarante tonnes de camion dans les mains. Il calcule qu’il pourrait être à Al Humiyat dans une heure. Alors il fume des cigarettes l’une après l’autre et tète du café dans un bidon. Il a mis la musique à fond, un enregistrement du concert Elevation Tour de U2 à Boston !
Il ricane en pensant à ça : des gars reniflent des lignes de cocaïne blanche à Boston, lui c’est de la noire. Il sniffe sa ligne de bitume. Quatorze heures, neuf cents bornes et encore combien ? Quarante tonnes.
Argentine, 5h01
La femme roule avec précaution, elle ne se hâte pas. Peut-être devrait-elle tout de même se dépêcher un peu. Mais il tombe sur son pare-brise une neige fondue qui la rend inquiète. Elle entre dans les faubourgs de Koluel Kayke, aux confins des provinces de Chubut et de Santa Cruz, et cherche le sens des ruelles ponctuées de lampadaires électriques. Il n’y a personne à qui demander le chemin. Qui voudriez-vous qui soit dehors à cette heure et par ce temps ? La femme tourne la tête sur le côté, vers sa fille qui est assise là et qui geint. La femme dit à sa fille : « Respire lentement. »
La fille de cette femme a perdu les eaux, la poche est rompue. Peut-être cette femme devrait-elle tout de même se dépêcher un peu, sans quoi sa fille accouchera dans la voiture.
Il neige plus fort. Où se trouve-t-il donc, cet hôpital ?
Arménie, 5h07
C’est un petit promontoire qui s’avance sur le lac. Au bout du promontoire, un ponton de bois. Puis la vaste étendue, l’eau noire. Il pleut. Le type cherche quelque chose dans la besace qu’il a posée au bord du ponton. Il jure. Il finit par vider sa besace sur le plancher du ponton.
Sa barque est amarrée à un anneau de fer riveté au ponton mais ce n’est pas ça qu’il regarde. Il cherche quelque chose parmi les objets issus de sa besace et jure de ne pas trouver ce qui lui manque. Si ça ne s’y trouve pas, il en sera quitte pour retourner le chercher. Une heure de marche en tout, et sous la pluie. Comme s’il n’avait que ça à faire !
Australie, 5h13
La prison de Casuarina-Fremantle, au sud de Perth, cellule D117. Un type n’arrive pas à dormir. Il entend quelque chose dans un tuyau de chauffage. Il entend quelque chose dehors, mais il ne sait pas ce que c’est. Dehors, s’il regardait par la fenêtre, il ne verrait de toute façon rien. Il entend son codétenu respirer bruyamment. Ce n’est pas qu’il ronfle, c’est autre chose. Une sorte d’asthme.
L’homme qui ne dort pas est assis sur sa couchette et puis il se lève pour se passer de l’eau sur la figure. Dans quelques heures, on l’appellera au parloir. Son avocat viendra lui apporter la réponse et ce sera oui, ou bien ce sera non.
Il se demande si Faulkner travaille ce matin.
Autriche, 5h19
La fille laisse Gunther fermer derrière elle la porte de la boîte, et s’engage dans la Schönbrunner Strasse. La pluie semble avoir cessé, l’air est doux, léger. La fille est fatiguée, la nuit a été longue, mais ça va. Elle rentre chez elle. Elle porte un imperméable de demi-saison qui lui arrive à la hauteur des genoux, sa silhouette fait penser à celles que dessinait Hitchcock parfois : ces belles Américaines.
Ses talons claquent agréablement sur le trottoir humide. Un camion, qui arrive en face d’elle, ralentit, comme si le chauffeur voulait regarder cette fille qui marche, puis il repart derrière elle, et elle se retourne en souriant. Pour regarder s’il s’arrête, ou s’il s’éloigne.
Azerbaïdjan, 5h25
Un homme très jeune quitte le lit, et quitte la femme qui y dort mais qui se réveillera en sentant son compagnon se lever. Elle lui dira, et sa voix sera tout endormie : « Tu t’en vas ? » Il dira oui. Ce sera un murmure. Il s’en va, c’est certain, il ne sait pas quand il pourra revenir. Il a un peu peur, en réalité, mais il n’oserait jamais le reconnaître.
Il s’approche d’une chaise où, la veille, il a déposé ses affaires, et il se rhabille dans la pénombre. Il n’a pas fait de lumière mais ça va, un lampadaire est allumé dans la rue Jafar Khandan, juste à côté de la station Lukoil, qui laisse entrer une sorte de poussière de clarté par la fenêtre de la chambre.
Il enfile ses chaussettes, ses bottines, son caleçon, le reste. Son uniforme. Il boucle son ceinturon auquel pend son arme. Il trouve son képi sur la commode parce que, pendant la nuit, sa compagne a trouvé drôle de s’en coiffer.
Il sort, sans se retourner derrière lui. De toute façon, elle s’est déjà rendormie.
Bahamas, 5h31
C’est une grosse femme dans une robe noire, une très grosse femme. Et cette cabine est bien trop étroite. C’est à peine si la femme peut se retourner, allonger un bras pour s’emparer de la bouteille d’eau qu’elle a posée derrière elle, lorsqu’elle a besoin de boire un coup. Elle hésite d’ailleurs à boire : après, il faut pisser. Elle n’a pas le droit de quitter sa cabine avant six heures du matin. Combien de temps encore ? Une demi-heure.
Une voiture avance lentement sur l’arrière et ralentit puis s’arrête à la hauteur du guichet, et la grosse dame tend le bras. Elle prend le ticket que lui tend l’homme assis au volant, glisse le ticket dans la machine et prononce le montant : trois dollars. Elle saisit le billet, rend deux dollars. Actionne la barrière. La voiture s’avance et quitte le parking puis disparaît.
La femme soupire et tourne le visage à gauche.
Bahreïn, 5h37
Il n’a pas du tout envie de se trouver là, sur la Sheikh Khalifa bin Salman Highway, au volant de sa Dodge. Il roule sous la clarté des lampes. Il dépasse uniquement des camions mais il croise une ou deux voitures en sens inverse, qui reviennent de l’aéroport. Il regarde avec envie ces voitures qui rentrent à Manama, tandis qu’il est contraint de partir. S’il pouvait seulement rester… S’il osait seulement dire à Khaled que, cette fois, non, il ne part pas. Que sa place est auprès de son fils dont c’est aujourd’hui l’anniversaire. Cet anniversaire que l’an passé il avait déjà loupé, pour la même raison : à cause d’un vol, d’un avion. Il n’est pas difficile de trouver un autre pilote pour New Delhi. Khaled n’aurait à donner qu’un coup de téléphone.
Les pilotes, non, ce n’est pas ce qui manque.
Bangladesh, 5h43
L’homme avance dans le couloir, jusqu’au fond, puis il tourne au coin et tout de suite il est devant la porte. Il ne frappe pas, il entre, et l’odeur qui remplit la chambre le surprend : du bon parfum, de la sueur et du tabac. Mais il en a vu d’autres et il s’approche du lit.
Une femme est allongée entre les draps. Pas de couverture. Une bretelle de sa nuisette a glissé sur son épaule mais ça ne gêne pas l’homme qui est entré dans la chambre et il pose la main sur cette épaule nue, pas loin de la bretelle qui a glissé. Il secoue l’épaule. La femme bouge, ses cheveux semblent poisseux à cause de la transpiration. Elle remue. Elle murmure quelque chose et l’homme lui dit en anglais qu’il est l’heure pour elle de se réveiller.
La Barbade, 5h49
Le gars était venu pour méditer sur la plage, il était venu pour voir le soleil se lever. Il était venu tôt pour avoir le temps de rejoindre son coin de sable, au bon endroit, et pour prononcer toutes les incantations nécessaires et pour se situer lui-même en état de réceptivité. Il voulait que chacun de ses chakras soit ouvert, et que le premier soleil de la journée, le soleil oint des puretés océanes, l’imprègne d’une énergie neuve.
Mais un albatros, volant bas, lui a chié sur l’épaule. Alors il est reparti en se disant que c’était foutu pour aujourd’hui et qu’il reviendrait demain.
Belgique, 5h55
Il ne bouge pas du tout. Il est tapi dans un fond de mousse derrière un rideau de fougères et il entend les gouttelettes tomber lentement autour de lui de toutes parts. Il sait une chose : en forêt, il faut une demi-heure pour se faire oublier. Quand un homme entre en forêt, les animaux se barrent et se taisent. Puis l’homme trouve son trou, il s’y installe et ne bouge plus du tout. Il faut une demi-heure. Puis la vie reprend, on entend un geai, on voit une couleuvre filer dans l’humus. Un renard émerge de la pénombre et de la brume. L’air sent bon.
Le type est dans son fond de mousse et c’est à peine s’il laisse aller le filet de condensation de son souffle. Il est capable de rester longtemps. Sa veste est forte et ses bottines sont bien cirées, bien lacées. Il a dans sa poche un quignon de pain et du saucisson. Il ne bouge pas du tout. Un chevreuil avance dans le taillis. L’homme ne bronche pas du tout, il regarde le chevreuil. Il déplace sa main lentement, un tout petit peu, vers son fusil calé entre ses jambes.
Belize, 6h01
Elle s’est levée très tôt, d’ailleurs elle a peu et mal dormi. Mais c’est pour une très heureuse raison. Elle quitte sa douche pour apaiser cette sorte de fièvre, cette joie. Elle se prépare une tasse de thé. Pendant que l’eau chauffe, elle retourne lire cette lettre reçue mardi. La relire encore. Cette enveloppe à l’en-tête du Dr Ernesto Macal, Dental Clinic Macal, Racoon Avenue, Belmopan.
Elle tressaille encore et sourit. Cette lettre. Elle est si émue, après l’avoir lue cependant cent fois, qu’elle sent des larmes lui monter aux yeux. Des larmes qui jaillissent. Elle joint ses deux mains sur la lettre. Cette lettre.
Elle est engagée ! Elle commence à neuf heures. Elle se tourne, le visage humide encore, vers l’eau de son thé.
Bénin, 6h07
L’homme blanc tente de savoir à quelle heure part le bus qui relie Abomey à Natitingou mais il ne semble pas se satisfaire des réponses que lui donne le préposé. Le préposé se prénomme Adebayo, il est d’une grande patience avec l’homme blanc qui tente de savoir à quelle heure part le bus vers Natitingou. Comment savoir ? Le bus part lorsqu’il est rempli de voyageurs. L’homme blanc ne se satisfait pas de cette réponse, il réclame davantage d’explications. Adebayo s’exprime avec patience et politesse, il dit : « Ah oui » lorsque l’homme blanc réclame une précision supplémentaire en agitant son bracelet-montre sous le visage du préposé. Adebayo ne s’énerve pas, pourquoi s’énerver ? Il est préposé à la ligne de Natitingou et son devoir consiste à donner les explications nécessaires. L’homme blanc ne semble pas encore satisfait mais ce n’est rien, Adebayo va répéter, ah oui, que le bus partira bientôt. Quand ça, bientôt ? Lorsqu’il sera rempli de voyageurs, ah oui.
Bhoutan, 6h13
Ça faisait quatre jours que Yeshey en parlait et sa sœur, Tshering pema, lui avait dit que c’était une bonne idée et qu’il était préférable de le faire tôt, le matin, pour que la couleur soit éclatante et fraîche au moment de rejoindre l’école, de sorte que les garçons n’auraient d’yeux que pour elle, et Yeshey avait répondu en riant qu’elle ne désirait attirer l’attention que d’un seul d’entre eux, le beau Jigme Chogyel.
Ce matin, Yeshey a la poitrine nue et le buste penché sur la bassine dans laquelle sa sœur Tshering pema déverse de l’eau claire. L’eau du rinçage. Car l’opération se termine.
Tshering pema dit à Yeshey qu’elle peut se redresser. Elle lui tend une serviette propre dans laquelle la jeune Yeshey enroule ses cheveux. Ses beaux cheveux soyeux qui, tout à l’heure, au moment de se rendre à l’école, auront la blondeur de l’aurore, l’éclat du safran…
Elles rient en songeant que les garçons, particulièrement le beau Jigme Chogyel, n’en reviendront pas de la voir, elle, Yeshey, devenue blonde !
Belarus, 6h19
Le vétérinaire entre à Krasnapollye par la route des marais et il se caresse la moustache en tenant son volant de la main gauche. Il regarde l’épicerie aux volets fermés, il lève les yeux vers le lampadaire qui n’arrive pas à s’allumer comme il faut. La lumière tressaute, comme un oiseau blessé qui tenterait des’envoler, n’y parvient pas, recommence tout le temps. Quelqu’un devrait y remplacer l’ampoule ou faire quelque chose.
Le vétérinaire tourne après l’épicerie et se dirige vers la ferme au bord du village. La dernière ferme. Il se range devant la porte. Il met la main sur la poignée de sa trousse et quitte sa voiture. Le froid le surprend. Fait-il si froid que ça ? Ou bien est-ce lui qui est fatigué ? Il n’avait pas si froid ce matin en sortant de chez lui. Sa respiration condense l’air glacial et il franchit les quatre pas qui le séparent de la porte. Il entre sans frapper. Une ampoule nue au plafond. La femme est là, dans la pièce, devant la table en sapin sur laquelle son chien est allongé. Le vétérinaire regarde d’abord le chien, puis la femme. Puis il touche le chien qui est allongé sur la table. Le pelage est humide et sec à la fois, c’est étrange. Le chien ne bronche pas. Il étale et tend ses pattes raides comme s’il voulait repousser quelque chose. La femme ne dit rien, le chien ne bronche pas, et le vétérinaire ouvre sa trousse.
Birmanie, 6h25
Le technicien refuse de se rendre en forêt tant que la Jeep n’est pas réglée. La veille, le moteur