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Directement touchée par les attentats de Paris, l'auteure nous raconte ce qu'elle a vécu cette nuit-là, et celles d'après.
La haine raciste est dévastatrice. La violence qui en découle d’une façon inattendue sans raisonnement met à terre et bouleverse la vie.
Ce livre nous emmène au cœur de nos vies, à la recherche du sens à trouver dans l’indicible.
Les attentats de Paris de novembre 2015 bouleversent la France et nous interrogent sur la violence haineuse humaine.
L’auteure, touchée directement par ces attentats, tente de trouver des réponses.
Un récit poignant et intime sur la vie après les attentats de Paris qui nous mène à réfléchir et tenter de donner du sens à ces événements.
EXTRAIT
C’est le 13 novembre 2015 au matin. C’est mon anniversaire. Nous avons prévu de le fêter le lendemain, samedi. Les SMS se multiplient : enfants, petits-enfants, amis. Marie-Aimée a pris sa journée pour préparer un gâteau avec son fils Sami. Je reçois un message d’elle : « Ma petite Maman chérie, bon anniversaire, nous te souhaitons tous une belle journée »… Oui, en effet, la journée est douce. Je déjeune avec une amie chère.
Ce soir-là, Sami, notre petit-fils de treize ans, a préféré rester avec son ami Joseph pour regarder le match de foot. C’est lui qui nous prévient par téléphone. Il est 22 h 20. Nous écoutions Les Noces de Figaro. Nous ne savions rien des événements qui se déroulaient. Marie-Aimée et Thierry, son compagnon, étaient au restaurant La Belle Équipe pour fêter, avec sept de leurs amis, l’anniversaire de Hodda. À 21 h 40, cinq d’entre eux étaient déjà fauchés par des tirs de kalachnikov. Quatre avaient pu s’enfuir sans voir qui était tombé.
Il y a des jours où tout cesse d’exister. Une violence, des crimes imprévisibles et impensables frappent, cognent, écrasent, laminent. Le choc, le chaos, la terreur, la mort. L’horreur et la haine se déchaînent sans raison, entraînant des jours et des jours de douleur. Il y a des blessures que le temps n’apaise pas, qui touchent à la racine des choses. Il devient nécessaire de vivre avec, d’accepter le moment présent sans pouvoir les faire disparaître. Le temps n’appartient à personne, et pourtant des humains décident de trancher la vie. Cette vie tranchée du corps ne peut qu’être éternellement présente. L’éternité assujettie à notre réalité humaine nous dépasse et nous transcende.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Danielle Dalloz, psychanalyste pour enfants et adultes, a eu un itinéraire marqué par des rencontres déterminantes : Françoise Dolto et Denis Vasse. Elle est notamment l’auteure de
La Jalousie (1999) et
Le mensonge (2000) chez Bayard Presse,
A quoi rêvent les enfants (Audibert, 2002),
Où commence la violence ? (Albin Michel, 2003) et
Si la jalousie m’était contée (Ed. La Martinière, 2007).
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Seitenzahl: 115
Veröffentlichungsjahr: 2018
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SOMBRER OU SE RELEVER ?
C’est le 13 novembre 2015 au matin. C’est mon anniversaire. Nous avons prévu de le fêter le lendemain, samedi. Les SMS se multiplient : enfants, petits-enfants, amis. Marie-Aimée a pris sa journée pour préparer un gâteau avec son fils Sami. Je reçois un message d’elle : « Ma petite Maman chérie, bon anniversaire, nous te souhaitons tous une belle journée »… Oui, en effet, la journée est douce. Je déjeune avec une amie chère.
Ce soir-là, Sami, notre petit-fils de treize ans, a préféré rester avec son ami Joseph pour regarder le match de foot. C’est lui qui nous prévient par téléphone. Il est 22 h 20. Nous écoutions Les Noces de Figaro. Nous ne savions rien des événements qui se déroulaient. Marie-Aimée et Thierry, son compagnon, étaient au restaurant La Belle Équipe pour fêter, avec sept de leurs amis, l’anniversaire de Hodda. À 21 h 40, cinq d’entre eux étaient déjà fauchés par des tirs de kalachnikov. Quatre avaient pu s’enfuir sans voir qui était tombé.
Il y a des jours où tout cesse d’exister. Une violence, des crimes imprévisibles et impensables frappent, cognent, écrasent, laminent. Le choc, le chaos, la terreur, la mort. L’horreur et la haine se déchaînent sans raison, entraînant des jours et des jours de douleur. Il y a des blessures que le temps n’apaise pas, qui touchent à la racine des choses. Il devient nécessaire de vivre avec, d’accepter le moment présent sans pouvoir les faire disparaître. Le temps n’appartient à personne, et pourtant des humains décident de trancher la vie. Cette vie tranchée du corps ne peut qu’être éternellement présente. L’éternité assujettie à notre réalité humaine nous dépasse et nous transcende.
Aussitôt l’information reçue, sans la vérité concernant nos enfants, nous tentons de joindre Marie-Aimée par téléphone. Sans succès. Anéantis, mon mari et moi ne pouvons que nous prendre dans les bras et attendre des nouvelles. Des amis conduisent Sami chez nous. Notre perception à cet instant se limite à la violence du choc. Comment vivre ces heures ? L’humilité devient la seule position vivable devant ce qui peut arriver et devant le vivant suspendu au temps ; vie sous toutes ses formes : pierres, plantes, animaux. Tout est vivant : les atomes, les cellules, les molécules qui s’épanouissent au gré des rencontres, de l’environnement et disparaissent. Nous avons donné la vie avec bonheur. Nous ne pouvions présager l’extrême cruauté qui allait faucher celle de nos enfants. Mon mari est aujourd’hui âgé, diminué dans ses mouvements et son audition. Ses facultés sont absolument intactes. Le choc fut incommensurable.
Toute la nuit du 13 novembre, Sami et moi restons côte à côte, allongés dans la chambre d’amis. Nous sommes pendus au téléphone avec deux amis survivants, Camille et Samy, qui ont été installés dans un hôtel par la police et y sont retenus. Ils questionnent, s’informent, ils cherchent leurs amis. Au matin, toujours rien. Aux Invalides, la liste des morts identifiés s’allonge ainsi que celle des blessés. Notre fille aînée et notre gendre y passeront la journée… Le 14 novembre à 16 heures, deux policiers se présentent chez nous pour nous annoncer la mort de Thierry, lui-même policier. Ils viennent récupérer les clés de l’appartement pour enlever armes et uniformes de police. C’est la loi, pour éviter le vol de ses équipements. Ils nous disent ne rien savoir pour Marie-Aimée.
À 18 h 30, je reçois un appel d’un colonel : « Madame, vous êtes la mère de Marie-Aimée Dalloz ? Pourriez-vous nous donner quelques indications s’il vous plaît… quelle est la couleur de ses yeux ? Pouvez-vous me décrire sa dentition ? Quel est son tour de poitrine ? » Je crie : « Elle est sous vos yeux ? » « Non, madame. Ce sont les questions que l’on m’a chargé de vous poser pour vérifier. » Je donne les indications. « Nous vous rappellerons. » Cet interrogatoire macabre nous fait entendre la vérité de façon évidente et insupportable dans son horreur, mais nous ne voulons pas y croire. Il est 20 h 30. Téléphone à nouveau : « Madame, une voiture vient vous chercher pour vous mener aux Invalides. » C’est la mère de Joseph qui, la veille, avait déjà reconduit notre petit-fils chez nous. Sami va dormir chez la sœur de Thierry.
Aux Invalides, je retrouve notre fille aînée, son mari et des amis. La Croix-Rouge a dressé des tables, un buffet, tous attentifs à l’accompagnement de chacun. Une jeune femme se précipite vers moi, triomphante : « Elle est à la Salpêtrière ! » Je me dresse de joie pour y courir. Elle me regarde, met la main devant sa bouche et balbutie : « Pardon, pardon, je me suis trompée, ce n’est pas vous que je cherchais ! » L’impression que le cœur s’arrête de battre… un coup d’épée… Je suis comme morte, les larmes ne peuvent même pas couler pour me soulager. Choc sans parole possible. Il faut encore attendre. Nous attendons en silence. À 23 h 50, la famille Dalloz est invitée à monter au premier étage, dans un bureau de l’Hôtel des Invalides. Un homme nous attend, nous fait asseoir en cercle, et annonce : « Marie-Aimée Dalloz a été tuée devant La Belle Équipe. […] Vous serez convoqués pour reconnaître les corps. » Nous nous soutenons les uns les autres, nous nous prenons dans les bras. C’est fini. C’est vrai. Comment survivre ? Une voiture officielle me raccompagne à la maison. Mon mari m’attend. « Elle est morte. » Il sanglote et nous nous effondrons. Je suis incapable d’annoncer la nouvelle à notre petit-fils par téléphone. J’attendrai le lendemain matin. Vais-je pouvoir trouver les mots ?
L’épreuve de la reconnaissance des corps… Elle est terrible. Je me suis rendu compte à quel point elle est indispensable pour prendre acte de la réalité. « Oui, c’est elle. » « Oui, c’est lui. » « Oui, c’est Justine. » Chacun dans une pièce, ils semblent paisibles, ils semblent dormir derrière la vitre. Oui, ce sont eux. C’est vrai. Le réel est là, incontournable. Une partie de notre vie se termine avec la leur. Nous ne nous embrasserons plus, nous n’échangerons plus, nous ne rirons plus, nous ne nous soutiendrons plus. Plus jamais, notre vie ne sera partagée ici-bas. PLUS JAMAIS. Effondrement. Sami veut rester seul un moment près du corps de chacun. Il en a besoin. Nous respectons.
Une de nos petites-filles devait également participer à cette fête à La Belle Équipe… Elle était en retard. La police l’a protégée en l’empêchant de sortir du métro…
Ce témoignage, avec les thèmes qui en découlent pour moi, ne peut évidemment enlever la douleur. Ce livre vise simplement à prendre part à la réflexion pour respecter chaque vie dans sa différence. Il y a des tragédies qui résistent au temps au plus profond de notre intimité. Mon goût obstiné de la vie se nourrit du fait que Marie-Aimée était dans l’amour avec Thierry lorsqu’ils ont été assassinés avec leurs amis. Ils ont cessé ensemble leur vie terrestre. Aujourd’hui, c’est à nous de nous relever chaque matin jusqu’au jour où viendra celui de les rejoindre. Gardons leur présence enkystée ennous.
Au Vietnam, la tradition du « Gio » réunit famille et amis pour un repas de souvenir, le jour du premier anniversaire de la mort. Ce n’est pas un repas de tristesse. Le soir du 13 novembre 2016, en cette date si douloureuse, nous nous sommes réunis, famille et amis, après les commémorations et le recueillement au cimetière, pour qu’aucun d’entre nous ne plonge dans le chagrin de la solitude. Sami a pris la parole : « Ce soir du 13 novembre 2015, j’ai eu peur, je n’ai pas compris. Je voulais aller te voir, Maman, mais les routes étaient bloquées. Je n’ai pas non plus compris. Et pendant trois jours, en moi, c’était le chaos, la fin. J’entends que mon beau-père est parti, ensuite Hyacinthe, puis Justine, Hodda et Halima. Pour toi, j’avais encore espoir. Mais un matin, je sentis le froid, la fin. Jamais plus je ne pourrai te dire je t’aime et c’est la seule chose que j’aimerais te dire : je t’aime. Je vous aime tous : Maman, Thierry, Justine, Hyacinthe, Hodda, Halima. Maman, tu as été la mère de mes rêves, tu as toujours été là quand j’en avais besoin. Nous avons eu beaucoup de péripéties, même énormément, mais tu m’as relevé, tu t’es relevée. De là-haut, tu nous regardes, aidez-nous encore et encore à nous relever. »
Mon mari a ajouté : « La seule arme qui nous permettra de vaincre le mal, c’est la force de l’amour et des liens qui nous réunissent ce soir, sans oublier tous ceux qui sont avec nous par la pensée. Cette force qui nous permet de croire que la vie renaîtra malgré ceux qui veulent martyriser leurs frères. Faisons que la vie puisse demeurer dans la force de l’amour. L’amour que notre fille vivait avec Thierry, ses deux enfants et Sami. Marchons ensemble sur ces chemins inconnus et dangereux vers l’éclat de l’espérance, l’espérance de la lumière après la mort. »
Notre fille aînée, après avoir retrouvé et raconté nombre de péripéties vécues avec sa sœur, s’est adressée directement à Marie-Aimée : « Petite sœur, ton arrivée n’était pas attendue, tu as été une belle surprise pour nos parents et pour moi. En juillet, tu es née, j’ai des souvenirs plein la tête. À la maternité, je te vois pour la première fois dans les bras de la sage-femme. Je me souviens que je t’ai présenté l’appartement où nous allions vivre, je t’ai montré chaque pièce et tu étais dans mes bras. La joie de ta naissance a été grande. Notre vie ensemble a été riche en anecdotes, en fous rires, en émotions, en voyages et en agacements aussi ! Tu ne répondais jamais au téléphone, tu n’écoutais jamais les messages, nous ne savions jamais à quelle heure tu allais arriver. Tout était surprise avec toi, jusqu’à ton départ… Ta vie aura été remplie de surprises du début à la fin. La dernière est la plus dure. Une fois de plus, j’aimerais te réveiller. Mais, cette fois-ci, c’est impossible. Merci à toi Papa, merci à toi Maman de m’avoir offert une petite sœur. Je l’ai aimée du fond du cœur, je l’aime, elle ne me quitte pas. »
Notre gendre a pris aussi la parole : « Marie-Aimée, Thierry, un an déjà que nous ne vous voyons plus, que nous ne vous entendons plus. Vos rires, vos voix retentissent toujours dans nos mémoires, même quand les larmes nous montent aux yeux. Nous tous qui sommes réunis ce soir, nous vivons avec une plaie béante au cœur et qui ne peut se refermer. Nous sommes maintenant chargés de vous et cela fait de nous des tisserands qui tissent une étoffe de liens solides. Cette étoffe nous tient un peu chaud malgré le froid qui a saisi nos os, voici un an, et qui ne nous lâche pas… Le même chiffre sur votre tombe marque la fin de votre vie : 2015. Il résonne comme une sentence sans appel… Nous portons votre vie que vous ne pouvez plus porter. Pour cela, vous restez plus vivants que jamais et cela tant que nous vivrons, nous qui vous aimons si fort. Ce repas est en votre honneur, mais pas seulement. Il veut célébrer également ceux qui vous ont connus et qui vous conservent dans leur mémoire. Il veut rendre hommage à ce qui vous portait depuis que vous vous étiez rencontrés : l’espoir d’une meilleure vie, le plaisir de donner et de recevoir et le bonheur d’être. »
Comment survivre à de telles cruautés ? Dans son recueil de poèmes Extravagaria, Pablo Neruda écrit :
« Que dure la vie d’un homme après tout ?
Vit-il un jour et un seul ?
Une semaine ou plusieurs siècles ?
Que dure la mort d’un homme ?
Que veut dire pour toujours ? »
APRÈS DE TELLES BLESSURES, COMMENT SURVIVRE ?
Cette immense souffrance si cruelle m’a amenée à réfléchir sur la genèse des pulsions meurtrières. Comment se construit le lien aux autres ? Comment accepter nos différences ? Quelles questions cela soulève-t-il pour l’éducation des enfants, pour la place des femmes dans les sociétés ? Quel rôle jouent les croyances religieuses ? Réfléchissons ensemble à ces problématiques.
Dans La Liberté pour quoi faire (1953), Georges Bernanos écrit : « On ne subit pas l’avenir, on le fait. » Ce n’est pas le déni ni le récit qui permettent de poursuivre notre chemin après de tels traumatismes, ce sont les liens aux autres, la présence de chacun, retrouver le socle de toutes les paroles échangées. Cet équilibre permet de vivre chaque instant pour survivre à la cruauté sans nom de tels assassinats.
Le terrorisme peut cibler n’importe qui, où que l’on soit, partout, ayant seulement pour cause de vivre librement à la française. Les répercussions de ces crimes sont multiples et souvent antagonistes. L’amputation inexplicable de la vie met à l’épreuve le quotidien. La vulnérabilité de la vie est devenue une réalité qui donne sa mesure à chaque instantvécu.
Au jour du procès de celui qui a organisé 130 meurtres, qu’adviendra-t-il ? L’union nationale retrouvée après le choc n’existe plus depuis longtemps. Notre système démocratique et laïc se trouve déboussolé et le danger généré par les extrémistes angoisse bien des Français. La France de la paix et de la sécurité est fragilisée. La jeune génération, qui n’avait pas connu la guerre, se trouve face à des menaces constantes depuis les années 1990. Ces jeunes ressentent la nécessité de l’entraide et tentent de maîtriser leurs peurs dans des sports de combat et des projets de vie basés sur l’essentiel : le lien aux autres avec les compétences de chacun.